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Pathologie Verbale, ou Lésions de certains mots dans le cours de l'usage

French 22,887 words 381h 27m read Jan 1, 2004

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The Project Gutenberg EBook of Pathologie Verbale, ou Lťsions de certains mots dans le cours de l'usage
by Emile Littre

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The Project Gutenberg EBook of Pathologie Verbale, ou Lťsions de certains mots dans le cours de l'usage by Emile Littre Copyright laws are changing all over the world. Be sure to check the copyright laws for your country before downloading or redistributing this or any other Project Gutenberg eBook. This header should be the first thing seen when viewing this Project Gutenberg file. Please do not remove it. Do not change or edit the header without written permission. Please read the "legal small print," and other information about the eBook and Project Gutenberg at the bottom of this file. Included is important information about your specific rights and restrictions in how the file may be used. You can also find out about how to make a donation to Project Gutenberg, and how to get involved. **Welcome To The World of Free Plain Vanilla Electronic Texts** **eBooks Readable By Both Humans and By Computers, Since 1971** *****These eBooks Were Prepared By Thousands of Volunteers!***** Title: Pathologie Verbale, ou Lťsions de certains mots dans le cours de l'usage Author: Emile Littre Release Date: January, 2004 [EBook #4935] [Yes, we are more than one year ahead of schedule] [This file was first posted on April 6, 2002] [Most recently updated: April 6, 2002] Edition: 10 Language: French Character set encoding: UTF-8 *** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK, PATHOLOGIE VERBALE, OU LťSIONS DE CERTAINS MOTS DANS LE COURS DE L'USAGE *** This eBook was produced by Carlo Traverso, Robert Rowe, Charles Franks and the Online Distributed Proofreading Team. Title: Pathologie Verbale, ou Lťsions de certains mots dans le cours de l'usage Remark: First published in "…tudes et Glanures, pour faire suite a l'Histoire de la langue franÁaise" Language: French Encoding: ISO-8859-1 We thank the Bibliotheque Nationale de France that has made available the image files at www://gallica.bnf.fr, authorizing the preparation of the etext through OCR. Nous remercions la BibliothŤque Nationale de France qui a mis ŗ disposition les images dans www://gallica.bnf.fr, et a donnť l'autorisation de les utiliser pour prťparer ce texte. Notes: _italics_ are represented by underscores. <greek> translitteration: <a>lpha, <b>eta, <g>amma, <d>elta, <e>psilon, <z>eta, <_e>ta, <th>eta, <i>ota, <k>appa, <l>ambda, <m>u, <n>u, <x>i, <o>micron, <p>i, <rh>o, <s>igma, <t>au, <y>psilon (<u>psilon in diphthongs), <ph>i, <ch>i, <ps>i, <_o>mega, <*i>ota subscript, <`><'><^> accents (after the letter), <:> diaeresis (between the vocals), <;> question mark. <h> rough (before the letter except <rh>), (smooth is unmarked) …mile Littrť Pathologie Verbale ou Lťsions de certains mots dans le cours de l'usage Sous ce titre, je comprends les malformations (la _cour_ au lieu de la _court_, _ťpellation_ au lieu d'_ťpelation_), les confusions (_ťconduire_ et l'ancien verbe _escondire_), les abrogations de signification, les pertes de rang (par exemple, quand un mot attachť aux usages nobles tombe aux usages vulgaires ou vils), enfin les mutations de signification. Notre langue est ťcrite depuis plus de six cents ans. Elle est tellement changťe dans sa grammaire, dans ses constructions et mÍme en son dictionnaire, qu'il faut une certaine ťtude, qui d'ailleurs n'est pas bien longue et que j'ai toujours recommandťe, pour comprendre couramment l'ancienne. Malgrť tout, un grand nombre de mots ont traversť ce long intervalle de temps, ils ont ťtť employťs par tous les FranÁais, il est vrai, habitant le mÍme pays, mais soumis ŗ d'infinies variations de moeurs, d'opinions, de gouvernements. On doit admirer la constance de la tradition sans s'ťtonner des accrocs qu'elle a subis Áa et lŗ. Comme un mťdecin qui a eu une pratique de beaucoup d'annťes et de beaucoup de clients, parcourant ŗ la fin de sa carriŤre le journal qu'il en a tenu, en tire quelques cas qui lui semblent instructifs, de mÍme j'ai ouvert mon journal, c'est-ŗ-dire mon dictionnaire, et j'y ai choisi une sťrie d'anomalies qui, lorsque je le composais, m'avaient frappť et souvent embarrassť. Je m'ťtais promis d'y revenir, sans trop savoir comment; l'occasion se prťsente en ce volume et j'en profite; ce volume que, certes, je n'aurais ni entrepris ni continuť aprŤs l'avoir commencť, si je n'ťtais soutenu par la maxime de ma vieillesse: faire toujours, sans songer le moins du monde si je verrai l'achŤvement de ce que je fais. Je les laisse dans l'ordre alphabťtique oý je les ai relevťes. Ce n'est point un traitť, un mťmoire sur la matiŤre, que je compte mettre sous les yeux de mon lecteur. C'est plutŰt une sťrie d'anecdotes; le mot considťrť en est, si je puis ainsi parler, le hťros. Plus l'anomalie est forte, plus l'anecdote comporte de dťtails et d'incidents. Je suis ici comme une sorte de Tallemant des Rťaux, mais sans mťdisance, sans scandale et sans mauvais propos, ŗ moins qu'on ne veuille considťrer comme tels les libres jugements que je porte sur les inconsistances et les lourdes mťprises de l'usage, toutes les fois qu'il en commet. L'usage est de grande autoritť, et avec raison; car, en somme, il obťit ŗ la tradition; et la tradition est fort respectable, conservant avec fidťlitť les principes mÍmes et les grandes lignes de la langue. Mais il n'a pas conscience de l'office qu'il remplit; et il est trŤs susceptible de cťder ŗ de mauvaises suggestions, et trŤs capable de mettre son sceau, un sceau qu'ensuite il n'est plus possible de rompre, ŗ ces f‚cheuses dťviations. On le trouvera, dans ce petit recueil, plus d'une fois pris en flagrant dťlit de malversation ŗ l'ťgard du dťpŰt qui lui a ťtť confiť; mais on le trouvera aussi, en d'autres circonstances, ingťnieux, subtil et plein d'imprťvu au bon sens du mot. Cette multitude de petits faits, dispersťs dans mon dictionnaire, est ici mise sous un mÍme coup d'oeil. Elle a l'intťrÍt de la variťtť; et, en mÍme temps, comme ce sont des faits, elle a l'intťrÍt de la rťalitť. La variťtť amuse, la rťalitť instruit. *** _Accoucher_.--_Accoucher_ n'a aujourd'hui qu'une acception, celle d'enfanter, de mettre au monde, en parlant d'une femme enceinte. Mais, de soi, ce verbe, qui, ťvidemment, contient _couche_, _coucher_, est ťtranger ŗ un pareil emploi. Le sens propre et ancien d'_accoucher_, ou, comme on disait aussi, de _s'accoucher_, est se mettre au lit. Comme la femme se met au lit, se couche pour enfanter, le prťliminaire a ťtť pris pour l'acte mÍme, exactement comme si, parce qu'on s'assied pour manger ŗ table, s'asseoir avait pris le sens de manger. _Accoucher_ n'a plus signifiť qu'une seule maniŤre de se coucher, celle qui est liťe ŗ l'enfantement; et ce sens restreint a tellement prťvalu, que l'autre, le gťnťral, est tombť en dťsuťtude. Il est bon de noter qu'il se montre de trŤs bonne heure; mais alors il existe cŰte ŗ cŰte avec celui de se mettre au lit. L'usage moderne rťservait ŗ ce mot une bien plus forte entorse; il en a fait un verbe actif qui devrait signifier mettre au lit, mais qui, dans la tournure qu'avait prise la signification, dťsigna l'office du chirurgien, de la sage-femme qui aident la patiente. Je ne crois pas qu'il y ait rien ŗ bl‚mer en ceci, tout en m'ťtonnant de la vigueur avec laquelle l'usage a, pour ce dernier sens, manipulť le mot. C'est ainsi que l'artiste remanie souverainement l'argile qu'il a entre les mains. _Arriver_.--De quelque faÁon que l'on se serve de ce verbe (et les emplois en sont fort divers), chacun songe ŗ _rive_ comme radical; car l'ťtymologie est transparente. En effet, dans l'ancienne langue, _arriver_ signifie uniquement mener ŗ la rive: ęLi vens les arriva.Ľ Il est aussi employť neutralement avec le sens de venir ŗ la rive, au bord: ęSaint Thomas l'endemain en sa nef en entra; Deus (Dieu) li donna bon vent, ŗ Sanwiz _arriva_.Ľ Chose singuliŤre, malgrť la prťsence ťvidente de _rive_ en ce verbe, le sens primordial s'oblitťra; il ne fut plus question de _rive_: et _arriver_ prit la signification gťnťrale de venir ŗ un point dťterminť: arriver ŗ Paris; puis, figurťment: arriver aux honneurs, ŗ la vieillesse. Mais lŗ ne s'est pas arrÍtťe l'extension de la signification. On lui a donnť pour sujet des objets inanimťs que l'on a considťrťs comme se mouvant et atteignant un terme: ęDe grands ťvťnements arrivŤrent; ce dťsordre est arrivť par votre faute.Ľ Enfin la derniŤre dťgradation a ťtť quand, pris impersonnellement, _arriver_ a exprimť un accomplissement quelconque: ęIl arriva que je le rencontrai.Ľ Ici toute trace de l'origine ťtymologique est effacťe; pourtant la chaÓne des significations n'est pas interrompue. L'anomalie est d'avoir expulsť de l'usage le sens primitif; et il est f‚cheux de ne pas dire comme nos aÔeux: Le vent les _arriva_. _Artillerie_.--Ce mot est un exemple frappant de la force de la tradition dans la conservation des vieux mots, malgrť le changement complet des objets auxquels ils s'appliquent. Dans _artillerie_, il n'est rien qui rappelle la poudre explosive et les armes ŗ feu. Ce mot vient d'_art_, et ne signifie pas autre chose que objet d'art, et, en particulier, d'art mťcanique. Dans le moyen ‚ge, _artillerie_ dťsignait l'ensemble des engins de guerre soit pour l'attaque, soit pour la dťfense. La poudre ayant fait tomber en dťsuťtude les arcs, arbalŤtes, balistes, ch‚teaux roulants, bťliers, etc., le nom d'_artillerie_ passa aux nouveaux engins, et mÍme se renferma exclusivement dans les armes de gros calibre, non portatives. Il semblait qu'une chose nouvelle dŻt amener un nom nouveau; il n'en fut rien. Le nťologisme ne put se donner carriŤre; et, au lieu de recourir, comme on eŻt fait de notre temps, ŗ quelque composť savant tirť du grec, on se borna modestement et sagement ŗ transformer tout l'arsenal ŗ cordes et ŗ poulies en l'arsenal ŗ poudre et ŗ feu. Seulement, il faut se rappeler, quand on lit un texte du quatorziŤme siŤcle, qu'_artillerie_ n'y signifie ni arquebuse, ni fusil, ni canon. _Assaisonner_.--Le sens propre de ce mot, comme l'indique l'ťtymologie, est: cultiver en saison propre, mŻrir ŗ temps. Comment a-t-on pu en venir, avec ce sens qui est le seul de la langue du moyen ‚ge, ŗ celui de mettre des condiments dans un mets? Voici la transition: en un texte du treiziŤme siŤcle, viande _assaisonnťe_ signifie aliment cuit ŗ point, ni trop, ni trop peu, comme qui dirait mŻri ŗ temps. Du moment qu'assaisonner fut entrť dans la cuisine, il n'en sortit plus, et de cuire ŗ point il passa ŗ l'acception de mettre ŗ point pour le goŻt ŗ l'aide de certains ingrťdients; sens qu'il a uniquement parmi nous. _Assassin_.--Ce mot ne contient rien en soi qui indique mort ou meurtre. C'est un dťrivť de _haschich_, cette cťlŤbre plante enivrante. Le Vieux de la Montagne, dans le treiziŤme siŤcle, enivrait avec cette plante certains de ses affidťs, et, leur promettant que, s'ils mouraient pour son service, ils obtiendraient les fťlicitťs dont ils venaient de prendre un avant-goŻt, il leur dťsignait ceux qu'il voulait frapper. On voit comment le haschich est devenu signe linguistique du meurtre et du sang. _Attacher, attaquer_.--Ces mots prťsentent deux anomalies considťrables. La premiŤre, c'est qu'ils sont ťtymologiquement identiques, ne diffťrant que par la prononciation; _attaquer_ est la prononciation picarde d'attacher. La seconde est que, _tache_ et _tacher_ ťtant les simples de nos deux verbes, les composťs _attacher_ et _attaquer_ ne prťsentent pas, en apparence, dans leur signification, de relation avec leur origine. Il n'est pas mal ŗ l'usage d'user de l'introduction irrťguliŤre et fortuite d'une forme patoise pour attribuer deux acceptions diffťrentes ŗ un mÍme mot; et mÍme, ŗ vrai dire, il n'est pas probable, sans cette occasion, qu'il eŻt songť ŗ trouver dans _attacher_ le sens d'_attaquer_. Mais comment a-t-il trouvť le sens d'_attacher_ dans _tache_ et _tacher_, qui sont les simples de ce composť? C'est que, tandis que dans _tache_ mourait un des sens primordiaux du mot qui est: ce qui fixe, petit clou, ce sens survivait dans _attacher_. Au seiziŤme siŤcle, les formes _attacher_ et _attaquer_ s'emploient l'une pour l'autre; et Calvin dit _s'attacher_ lŗ oý nous dirions _s'attaquer_. Ce qui attaque a une pointe qui pique, et le passage de l'un ŗ l'autre sens n'est pas difficile. D'autre part, il n'est pas douteux que _tache_, au sens de ce qui salit, ne soit une autre face de _tache_ au sens de ce qui fixe ou se fixe. De la sorte on a la vue des amples ťcarts qu'un mot subit en passant du simple au composť, avec cette particularitť ici que le sens demeurť en usage dans le simple disparaÓt dans le composť, et que le sens qui est propre au composť a disparu dans le simple complŤtement. C'est un jeu curieux ŗ suivre. _Avouer_.--Quelle relation y a-t-il entre le verbe _avouer_, confesser, _confiteri_, et le substantif _avouť_, officier ministťriel chargť de reprťsenter les parties devant les tribunaux? L'ancienne ťtymologie, qui ne consultait que les apparences superficielles, aurait dit que l'avouť ťtait nommť ainsi parce que le plaideur lui avouait, confessait tous les faits relatifs au procŤs. Mais il n'en est rien; et la recherche des parties constituantes du mot ne laisse aucune place aux explications imaginaires. _Avouer_ est formť de _ŗ_ et _voeu_; en consťquence, il signifie proprement faire voeu ŗ quelqu'un, et c'est ainsi qu'on l'employait dans le langage de la fťodalitť. Le fil qui de ce sens primitif conduit ŗ celui de confesser est subtil sans doute, mais trŤs visible et trŤs sŻr. De faire voeu ŗ quelqu'un, _avouer_ n'a pas eu de peine ŗ signifier: approuver une personne, approuver ce qu'elle a fait en notre nom. Enfin une nouvelle transition, lťgitime aussi, oý l'on considŤre qu'avouer une chose c'est la reconnaÓtre pour sienne, mŤne au sens de confesser: on reconnaÓt pour sien ce que l'on confesse. Et l'_avouť_, que devient-il en cette filiŤre? Ce substantif n'est point nouveau dans la langue, et jadis il dťsignait une haute fonction dans le rťgime fťodal, fonction de celui ŗ qui l'on se vouait et qui devenait un dťfenseur. L'officier ministťriel d'aujourd'hui est un diminutif de l'avouť fťodal; c'est celui qui prend notre dťfense dans nos procŤs. _Bondir_.--Supposez que nous ayons conservť l'ancien verbe _tentir_ (nous n'avons plus que le composť _retentir_), et qu'ŗ un certain moment de son existence _tentir_ change subitement de signification, cesse de signifier faire un grand bruit, et prenne l'acception de rejaillir, ressauter; vous aurez dans cette supposition l'histoire de _bondir_. Jusqu'au quatorziŤme siŤcle, il signifie uniquement retentir, rťsonner ŗ grand bruit; puis tout ŗ coup, sans qu'on aperÁoive de transition, il n'est plus employť que pour exprimer le mouvement du saut; il est devenu ŗ peu prŤs synonyme de sauter. Nous aurons, je crois, l'explication de cet ťcart de signification en nous reportant au substantif _bond_. Ce substantif, dont on ne trouve des exemples que dans le cours du quatorziŤme siŤcle, n'a pas l'acception de grand bruit, de retentissement, qui appartient ŗ l'emploi primitif du verbe _bondir_; le sens propre en est mouvement d'un corps qui, aprŤs en avoir heurtť un autre, rejaillit. C'est par le sens de rejaillissement que les deux acceptions, la primitive et la dťrivťe, peuvent se rejoindre. Un grand bruit, un retentissement, a ťtť saisi comme une espŤce de rejaillissement; et, une fois mis hors de la ligne du sens vťritable, l'usage a suivi la pente qui s'offrait, a oubliť l'acception primitive et ťtymologique, et en a crťť une nťologique, subtile en son origine et trŤs ťloignťe de la tradition. _Charme_.--Le mot _charme_, qui vient du latin _carmen_, chant, vers, ne signifie au propre et n'a signifiť originairement que formule d'incantation chantťe ou rťcitťe. C'est le seul sens que l'ancienne langue lui attribue; mÍme au seiziŤme siŤcle il n'a pas encore pris l'acception de ce qui plaÓt, ce qui touche, ce qui attire; du moins mon dictionnaire n'en contient aucun exemple. C'est vers le dix-septiŤme siŤcle que cet emploi nťologique s'est ťtabli. La transition est facile ŗ concevoir. Aujourd'hui la signification primitive commence ŗ s'obscurcir, ŗ cause que l'usage du charme incantation, banni tout ŗ fait du milieu des gens ťclairťs, se perd de plus en plus parmi le reste de la population. Mais considťrez ŗ ce propos jusqu'oý peut aller l'ťcart des significations: le latin _carmen_ en est venu ŗ exprimer les beautťs qui plaisent et qui attirent. L'imaginer aurait ťtť, si l'on ne tenait les intermťdiaires, une bien tťmťraire conjecture de la part de l'ťtymologiste. _Chercher_.--Le latin a _quaerere_; notre langue en a fait _quťrir_, avec la mÍme signification. Le latin vulgaire avait _circare_, aller tout autour, parcourir; notre langue en fit _chercher_, non pas avec l'acception de quťrir, mais avec celle de l'ťtymologie, parcourir: ęToute France a _cerchie_ (il a parcouru toute la France)Ľ, dit un trouvŤre. Jusque-lŗ tout va bien; et chacun de ces deux mots reste sur son terrain. Mais, ŗ un certain moment, _chercher_ perd le sens de parcourir et prend celui de quťrir. C'est un fort nťologisme de signification, qui paraÓt avoir commencť dŤs le treiziŤme siŤcle. Par quels intermťdiaires a-t-on passť du sens primitif au sens secondaire? De trŤs bonne heure, ŗ cŰtť du sens de parcourir, _chercher_ eut celui de porter les pas en tous sens, et mÍme de porter en tous sens la main, et l'on disait chercher un pays, chercher un corps, ce que nous exprimerions aujourd'hui par fouiller un pays, fouiller un corps. A ce point nous sommes trŤs prŤs du sens moderne de _chercher_, qui en effet s'impatronisa dans l'usage et en bannit les deux anciennes acceptions de ce verbe. Bien plus, ŗ mesure que le sens de s'efforcer de trouver a prťdominť dans _chercher_, _quťrir_ est tombť en dťsuťtude, et aujourd'hui il est ŗ peine usitť. Le nťologisme, fort ancien il est vrai, dont _chercher_ a ťtť l'objet, n'a pas ťtť heureux. Il eŻt mieux valu conserver le plein emploi de _quťrir_, qui est le mot latin et propre, et garder _chercher_ en son acception primitive, incomplŤtement supplťťe par parcourir. _ChŤre_.--Ce mot vient du latin vulgaire et relativement moderne _cara_, qui signifiait face, et qui ťtait lui-mÍme une dťrivation du grec <ka'ra>. Cette altťration du sens primitif, ce sont les Latins qui s'en sont chargťs. Puis est venu le vieux franÁais qui n'emploie le mot _chŤre_ qu'au sens de face, de visage. Faire bonne chŤre, c'est faire bon visage; de lŗ ŗ faire bon accueil il n'y a pas loin; aussi cette acception a-t-elle eu cours jusque dans le commencement du dix-septiŤme siŤcle. Ces deux sens sont aujourd'hui hors d'usage; le nouveau, qui les a rejetťs dans la dťsuťtude, est bien ťloignť: faire bonne chŤre, mauvaise chŤre, c'est avoir un bon repas, un mauvais repas. Sans doute, un bon repas est un bon accueil; mais pour quelqu'un qui ignore l'origine et l'emploi primitif du mot, il est impossible de soupÁonner que le sens de visage est au fond de la locution. Ce qui est pis, c'est qu'ťvidemment l'usage moderne s'est laissť tromper par la similitude de son entre chŤre et chair; chair l'a conduit ŗ l'idťe de repas, et l'idťe de repas a expulsť celle d'accueil. _Chťtif_.--Cet adjectif vient du latin _captivus_, captif, prisonnier de guerre; aussi dans l'ancienne langue a-t-il le sens de prisonnier. Mais de trŤs bonne heure cette signification primitive se trouve en concurrence avec la signification dťrivťe, celle de misťrable. Les Latins ne sont point les auteurs de la dťrivation que le mot a subie; ce sont les Romans qui l'ont ainsi dťtournť; dťtournement qui, du reste, se conÁoit sans beaucoup de peine, le prisonnier de guerre ťtant sujet ŗ toutes les misŤres. A mesure que le temps s'est ťcoulť, le franÁais y a laissť tomber en dťsuťtude l'acception du captif, et il n'y est plus restť que celle du misťrable. Mais une singularitť est survenue; au seiziŤme siŤcle, la langue savante a francisť _captivus_, et en a fait _captif_. Les procťdťs de la langue populaire et de la langue savante sont tellement diffťrents, que _chťtif_ et _captif_, qui sont pourtant le mÍme mot, marchent cŰte ŗ cŰte sans se reconnaÓtre. Il faut convenir que, _chťtif_ ayant irrťvocablement perdu son sens de prisonnier, _captif_ est un assez heureux nťologisme du seiziŤme siŤcle. _Choisir_.--Le mot germanique qui a produit notre _choisir_ signifie voir, apercevoir, discerner. Aussi est-ce l'unique acception que _choisir_ a dans l'ancien franÁais. _Choisir_ au sens d'ťlire ne commence ŗ paraÓtre qu'au quatorziŤme siŤcle. A mesure que _choisir_ s'ťtablissait au sens d'ťlire, ťlire lui-mÍme ťprouvait une diminution d'emploi. Le franÁais moderne n'a gardť aucune trace de la vraie et antique acception de _choisir_. Il n'a pas ťtť nťcessaire de donner une forte entorse au mot pour lui attacher le sens d'ťlire; et discerner, qu'il renferme, conduit sans grande peine ŗ faire un choix. Ici se prťsente une singularitť; tandis que, anciennement, _choisir_ n'a que le sens de voir, _choix_ n'a en aucun temps celui de vue, de regard: il veut toujours dire ťlection. DŤs l'origine, le traitement du verbe a ťtť diffťrent du traitement du substantif. Discernement, si voisin du sens d'ťlection, a prťvalu dans celui- ci tandis que le sens plus gťnťral de voir prťvalait, selon l'ťtymologie, dans celui-lŗ. DŤs lors on conÁoit que le quatorziŤme siŤcle ne fit pas un grand nťologisme de signification quand il rendit _choisir_ synonyme d'ťlire. Mais _choisir_ au sens de voir en est mort; c'est un cas assez frťquent dans le cours de notre langue qu'une nouvelle acception met hors d'usage l'ancienne. _Compliment_.--_Compliment_ est le substantif de l'ancien verbe _complir_, et signifie accomplissement. Il a ce sens dans le seiziŤme siŤcle. Le dix-septiŤme siŤcle n'en tient aucun compte, et, laissant dans l'oubli cette acception rťguliŤre, il en imagine une autre, celle de paroles de civilitť adressťes ŗ propos d'un ťvťnement heureux ou malheureux. Il aurait bien dŻ nous laisser entrevoir quels intermťdiaires l'avaient conduit si loin dans ce nťologisme de signification. Ce qui semble le plus plausible, en l'absence de tout document, c'est que, dans les paroles ainsi adressťes, il a vu un accomplissement de devoir ou de biensťance; et le nom que portait cet acte (compliment ou accomplissement), il l'a transfťrť aux paroles mÍmes qui s'y prononÁaient. Notez en confirmation que le premier sens de compliment, selon le dix-septiŤme siŤcle, est discours solennel adressť ŗ une personne revÍtue d'une autoritť. C'est donc bien un accomplissement. _Converser_, _conversation_.--_Converser_, d'aprŤs son origine latine, veut dire vivre avec, et n'a pas d'autre signification durant tout le cours de la langue, jusqu'au seiziŤme siŤcle inclusivement. _Conversation_, qui en est le substantif, ne se comporte pas autrement, et nos aÔeux ne l'emploient qu'avec le sens d'action de vivre avec. Puis, tout ŗ coup, le dix-septiŤme siŤcle, fort enclin aux nťologismes de signification, se donne licence dans _conversation_; et il ne s'en sert plus que pour exprimer un ťchange de propos. Ce siŤcle, qu'on dit conservateur, ne le fut pas ici; car, s'il lui a ťtť licite de passer du sens primitif au sens dťrivť, il n'aurait pas dŻ abolir le premier au profit du second. C'est un dommage gratuit imposť ŗ la langue. _Converser_ a ťtť plus heureux; il a les deux acceptions, et la tradition, d'ordinaire respectable, n'y a pas ťtť interrompue. _Coquet, coquette_.--Un _coquet_ dans l'ancienne langue est un jeune coq. On ne peut qu'applaudir ŗ l'imagination ingťnieuse et riante qui a transportť l'air et l'apparence de ce gentil animal dans l'espŤce humaine et y a trouvť une heureuse expression pour l'envie de plaire, pour le dťsir d'attirer en plaisant. On ne sait pas au juste quand la nouvelle acception a ťtť attachťe ŗ _coquet_. Je n'en connais pas d'exemple avant le quinziŤme siŤcle. _CŰte_.--Le sens ťtymologique est celui d'os servant ŗ constituer la cage de la poitrine. Longtemps, le mot n'en a pas eu d'autre; puis, au seiziŤme siŤcle, on voit apparaÓtre celui de penchant de colline. En cette acception l'ancienne langue disait un _pendant_. La cŰte d'une colline a ťtť ainsi nommťe par la mÍme suggestion qui forma _cŰtť (costť)_ et _coteau (costeau)_. On y vit une partie latťrale, assimilťe dŤs lors sans difficultť aux os composant la partie latťrale de la poitrine. C'est le seiziŤme siŤcle qui a eu le mťrite d'imaginer un tel rapport. Nous usons, sans scrupule, de sa hardiesse nťologique qui susciterait plus d'une clameur si elle se produisait aujourd'hui. Toutefois notons que nos aÔeux (les aÔeux antťrieurs au seiziŤme siŤcle) n'avaient pas ťtť trop mal inspirťs en nommant au propre un _pendant_ ce que nous nommons une _cŰte_ au figurť. _Cour_.--Il y avait dans le latin un mot _cohors_ ou _chors_ qui signifiait enclos. Il se transforma dans le bas latin en _curtis_, qui prit le sens gťnťral de demeure rurale. Devenu franÁais, il s'ťcrivit, ťtymologiquement, avec un _t_, _court_, et figure sous cette forme dans maints noms de lieux, en Normandie, en Picardie et ailleurs. Comme, sous les Mťrovingiens et les Carolingiens, les seigneurs et les rois habitaient ordinairement leurs maisons des champs, _court_ prit facilement le sens de lieu oý sťjourne un prince souverain. On a lŗ un exemple de l'anoblissement des mots. Celui-ci a quittť les champs pour entrer dans les villes et les palais. En la langue d'aujourd'hui, ces deux extrÍmes se touchent encore: la basse-cour tient ŗ l'usage primitif, et la cour des princes, ŗ l'usage dťrivť. Une fausse ťtymologie, qui naquit dans le quatorziŤme siŤcle et tira notre mot de _curia_, y supprima le _t_; mais outre que le _t_ figure dans les dťrivťs, _courtois_, _courtisan_, _curia_ devrait donner non pas _cour_, mais _cuire_ ou _coire_. Nous avons laissť la bonne orthographe des douziŤme et treiziŤme siŤcles (_court_), et gardť la mauvaise du quatorziŤme siŤcle; si bien qu'il est devenu difficile de comprendre comment, organiquement, on a fait pour former le dťrivť _courtisan_; et l'usage est assez penaud quand on lui reprťsente que _courtisan_ jure avec _cour_ ainsi travesti. _Dťmanteler_.--Dans le seiziŤme siŤcle, _dťmanteler_ a le sens propre d'Űter le manteau, ŗ cŰtť du sens figurť: abattre les remparts d'une ville. Aujourd'hui le sens propre a disparu, et l'usage n'a conservť que le sens figurť. _Dťmanteler_ est un nťologisme dŻ au seiziŤme siŤcle, qu'il faut fťliciter d'avoir introduit ce mot au propre et au figurť. C'est vraiment une mťtaphore ingťnieuse d'avoir comparť les remparts qui dťfendent une ville au manteau qui dťfend l'homme des intempťries. Honneur ŗ ceux qui savent faire du bon nťologisme! _Devis_, _devise_, _deviser_.--Ces mots ne sont pas autre chose que le verbe _diviser_, qui a pris une acception particuliŤre. D'abord, nos aÔeux avaient, euphoniquement, de la rťpugnance pour la mÍme voyelle formant deux syllabes consťcutives dans un mot; ils ont donc dit _deviser_; c'est ainsi que de _finire_ ils avaient fait soit _fenir_, soit _finer_. Puis, usant ŗ leur guise du sens du supin latin _divisum_ qui leur avait donnť _deviser_, ŗ nous _diviser_, ils lui ont fait prendre l'acception de disposer, arranger, vu qu'une division se prÍte ŗ un arrangement des parties. De lŗ, _devise_ a signifiť maniŤre, disposition, propos, discours; ce sens a disparu de la langue moderne, qui l'a transportť sur _devis_, propos, et aussi tracť, plan, projet. Quant ŗ la _devise_ d'aujourd'hui, elle est nťe du blason, qui donnait ce nom ŗ la division d'une piŤce honorable d'un ťcu. La _devise_ du blason est devenue facilement synonyme d'emblŤme ou de petite phrase d'un emblŤme. Au sens de partager en parties, l'ancienne langue disait non _diviser_ mais _deviser_, par la rŤgle d'euphonie que j'ai rappelťe ci-dessus. _Diviser_ est refait sur le latin et n'apparaÓt qu'au seiziŤme siŤcle; depuis lors, il n'est plus trace de _deviser_ avec l'acception actuelle de _division_. Si la langue moderne avait gardť _deviser_ pour mettre en parties, on aurait vu tout de suite que _deviser_, tenir des propos, ťtait le mÍme mot; aujourd'hui _deviser_ et _diviser_ sont deux, et ce n'est qu'une ťtymologie subtile, mais appuyťe par les textes, qui en montre l'identitť. En effaÁant la trace de cette identitť ici et ailleurs, l'usage Űte ŗ la langue la facultť de voir dans le mot plus qu'il ne contient, pris isolťment en soi. Un des charmes des langues anciennes est que la plupart des mots se laissent pťnťtrer par le regard de la pensťe ŗ une grande profondeur. _Donzelle_.--_Donzelle_ est un mot tombť de haut, car l'origine en est ťlevťe. C'est la forme franÁaise du bas latin _dominicella_, petite dame, diminutif du latin _domina_. C'ťtait en effet un titre d'honneur dans l'ancienne langue, ťquivalant ŗ _damoiselle_ ou _demoiselle_, qui ne sont d'ailleurs que d'autres formes du mÍme primitif. _Demoiselle_ n'a pas variť dans son acception distinguťe; mais _donzelle_ est devenu un terme leste ou de dťdain. Les mots ont leurs dťchťances comme les familles. Par un esprit de gausserie peu louable, le franÁais moderne s'est plu ŗ affubler d'un sens pťjoratif les termes archaÔques restťs dans l'usage. _Donzelle_ a ťtť une de ses victimes. _Droit_, _droite_.--L'acception de ce mot au sens de opposť ŗ gauche ne paraÓt pas remonter au delŗ du seiziŤme siŤcle; jusque-lŗ, opposť ŗ _gauche_ s'ťtait dit _destre_, du latin _dexter_. C'ťtait le vrai mot, de vieille origine et consacrť par l'antiquitť premiŤre ou latine et par l'antiquitť seconde ou de la langue d'oÔl. Mais tout ŗ coup _destre_ tombe en dťsuťtude; pour remplacer ce mot indispensable, l'usage va chercher l'adjectif _droit_, qui signifie direct, sans courbure, sans dťtours. Il a fallu certainement beaucoup d'imagination pour y trouver le cŰtť opposť au cŰtť gauche; nťanmoins il valait bien mieux conserver _destre_ que crťer une amphibologie dans le mot _droit_ en lui donnant deux sens qui ne dťrivent l'un de l'autre que par une brutalitť de l'usage. N'est-ce pas en effet une brutalitť impardonnable que de tuer aveuglťment d'excellents mots pour leur donner de trŤs mťdiocres remplaÁants? _Dupe_.--La _dupe_ est un ancien nom (usitť encore dans le Berry sous la forme de _dube_) de la huppe, oiseau. La huppe ou dupe passe pour un des plus niais. Il a donc ťtť facile ŗ l'esprit populaire de transporter le nom de l'oiseau aux gens qui se laissent facilement attraper. Toutefois, il faut noter que c'est l'argot ou jargon qui a fourni cette acception dťtournťe; ainsi nous l'apprend Du Cange dans une citation d'un texte du quinziŤme siŤcle; citation qui montre que ce n'est pas d'aujourd'hui que la langue va chercher des supplťments dans l'argot. Quand on emploie le verbe _duper_, il est certainement curieux de parcourir en pensťe le chemin qu'a fait le sens du langage populaire pour tirer d'une observation de chasseur ou de paysan sur le peu d'intelligence d'un oiseau un terme aussi expressif. Malheureusement, _dupe_ comme nom de l'oiseau a complŤtement pťri dans la langue actuelle. Quand nous disons un ťtourneau pour un homme ťtourdi, une pie pour une femme bavarde, comme ťtourneau et pie sont restťs noms d'oiseaux, rien ne nous masque la mťtaphore. Mais _dupe_ n'est plus pour nous un nom d'oiseau, et, au sens de personne facile ŗ tromper, ce n'est qu'un signe que l'on penserait conventionnel, si l'ťtymologie ne rendait pas son droit ŗ l'origine concrŤte, rťelle, du mot. _…chapper_.--Que l'on se reporte par la pensťe au temps oý nos aÔeux parlaient encore latin, mais un latin populaire qui dťrogeait beaucoup ŗ la langue classique. A ce moment se forma le mot _capa_, que les ťtymologistes dťrivent de _capere_, contenir, et qui dťsigne un vÍtement embrassant tout le corps. Il fut facile d'en produire le composť _excapare_, signifiant tirer hors de la chape, ou sortir de la chape. Dans ce milieu nťo-latin, le terme classique _evadere_ n'ťtait pas en usage. Le langage, et surtout le langage populaire, a de l'inclination pour le style mťtaphorique. C'est ŗ ce style qu'appartient _ťchapper_; on se plut ŗ dire sortir de la chape, au lieu de dire s'ťvader; et le verbe nous est restť, mais sans le piquant qu'il avait ŗ l'origine; car qui, en disant _ťchapper_, songe dťsormais ŗ une _chape_, ou, s'il y songe, ose se fier ŗ une si forte mťtaphore? _…clat_.--Les nťologismes de signification sont quelquefois ŗ noter aussi bien que les nťologismes de mot. D'origine, _ťclat_ signifie un fragment dťtachť par une force soudaine. DŤs le quinziŤme siŤcle, tout en gardant son acception primitive, il prend celle de bruit grand et soudain; mais ce n'est que dans le dix-septiŤme siŤcle qu'il reÁoit sa derniŤre transformation, celle qui, au propre et au figurť, lui attribue l'acception d'apparition d'une grande lumiŤre. Les transformations de sens sont bien enchaÓnťes. L'usage a mis un long temps entre chacune; la rupture d'un fragment l'a conduit ŗ un grand bruit; puis un grand bruit l'a conduit ŗ une grande lumiŤre. Il n'y a qu'ŗ le fťliciter d'avoir ainsi ťtendu le champ occupť par le mot. _…conduire_.--Ce verbe est un cas assez compliquť de pathologie linguistique. Il ne se trouve qu'au quinziŤme siŤcle avec le sens d'excuser, c'est-ŗ-dire de se dťfaire, par paroles, de quelqu'un ou de quelque chose. Or ce sens ne peut, ŗ aucun titre, appartenir ŗ _ťconduire_, qui reprťsente _exconducere_, conduire hors. Mais, dans les siŤcles antťrieurs qui n'ont pas _ťconduire_, on trouve _escondire_, qui a prťcisťment, et par l'ťtymologie et par l'usage, la signification d'employer la parole pour ťcarter quelqu'un ou quelque chose; car il vient du latin fictif _excondicere_. A un certain moment, la langue, se mťprenant, a donnť ŗ _escondire_ la forme _ťconduire_, en lui laissant son acception propre qui ne lui convenait plus; puis, l'ťtymologie reprenant ses droits, les modernes, sans lui Űter sa signification usurpťe, lui ont restituť le sens lťgitime de conduire hors. Si au quinziŤme siŤcle l'usage n'avait pas commis la lourde faute de transformer _escondire_ en _esconduire_, on aurait gardť _escondire_ pour se dťfaire de... par paroles, et crťť _esconduire_ pour ťcarter, ťloigner. Au lieu de cela, il a doublť la mťprise; si c'est _escondire_ qu'il a voulu garder, ce verbe ne peut signifier conduire hors; si c'est _esconduire_ qu'il a voulu crťer, ce verbe ne peut signifier se dťfaire par paroles. Mais le mal est fait; il ne reste plus qu'ŗ se soumettre et ŗ juger. _…pellation_, _ťpeler_.--Eh quoi! va-t-on me dire, vous ťcrivez _ťpellation_ par deux _l_ et _ťpeler_ par une seule; soyez donc consťquent, et mettez ou _ťpelation_ ou _ťpeller_. Ami lecteur, ne m'accusez pas, c'est l'usage qui le veut; mais il n'a pas ťtť judicieux, d'autant plus digne de bl‚me que _ťpellation_ est un nťologisme qui n'aurait pas dŻ prťsenter de difformitť. Il est bien vrai que nous disons _appeler_ par une seule _l_, et _appellation_ par deux; et c'est sur ce modŤle qu'on s'est cru autorisť ŗ ťcrire et ŗ prononcer _ťpellation_; faible justification d'une faute d'orthographe. _Appellation_ dťrive non de _appeler_, mais directement du latin _appellationem_, tandis qu'il n'y a point de latin _expellationem_ qui puisse donner _ťpellation_; ce mot vient donc _d'ťpeler_, et l'on n'avait pas la libertť de doubler _l_. Mais qu'est ce verbe _ťpeler_? un trŤs vieux mot qu'on trouve dans nos anciens textes, qui n'a rien de commun avec _appeler_ et qui provient du germanique. Le sens propre en est expliquer, signifier; la langue moderne, le dťtournant de son acception gťnťrale, lui a donnť l'acception spťciale de nommer les lettres pour en former un mot. Et vraiment, quand on lit dans un document du douziŤme siŤcle: _Bethsames, cest nom espelt_ (ce nom veut dire) _citť de soleil_, on touche le moderne _ťpeler_. Fait bien curieux, certains mots peuvent avoir une existence latente que rien ne rťvŤle; on les croirait morts et pourtant ils ne le sont pas. _Espeler_ au sens d'expliquer, de signifier, est depuis longtemps hors d'usage; il semblait oubliť; mais il ne l'ťtait pas tellement que l'usage ne soit allť le chercher dans sa retraite, et mÍme l'ait assez rajeuni pour lui attribuer un emploi nouveau. _…piloguer_.--Les mots ne nous appartiennent pas; ils proviennent non de notre fonds, mais d'une tradition. Nous ne pouvons en faire sans rťserve ce que nous voulons, ni les sťparer de leur nature propre pour les transformer en purs signes de convention. On est donc toujours en droit de rechercher, dans les remaniements que l'usage leur inflige, ce qui reste, si peu que ce soit, de leur acception primordiale et organique. _…piloguer_ exista dans les quinziŤme et seiziŤme siŤcles. Je n'en connais pas d'exemple qui remonte plus haut, ŗ moins qu'on ne suppose l'existence du verbe gr‚ce ŗ l'existence du substantif verbal, attestťe au quatorziŤme siŤcle par une citation de Du Gange: ę_…pilogacion_, c'est longue chose briefment rťcitťe.Ľ _…pilogue_, _epilogus_, <epi'logos>, signifient discours ajoutť ŗ un autre discours; aussi le verbe qui en dťrive n'a-t-il dans ces deux siŤcles que le sens de rťsumer, rťcapituler. Jusque-lŗ tout va de soi; mais le dix-septiŤme siŤcle, qui reÁoit le mot, n'en respecte pas la signification, et il l'emploie sans vergogne au sens de critiquer, trouver ŗ redire. Est-ce pure fantaisie? non, pas tout ŗ fait; dans ces ťcarts il y a de la fantaisie sans doute, mais il y a aussi un rťmora imposť par le passť. A ce terme manifestement d'origine savante et qui lui dťplut comme terme courant, l'usage, en un moment d'humeur, s'avisa de lui infliger une signification pťjorative; et, cela fait, on passa sans grande peine de rťsumer, rťcapituler, ŗ critiquer, trouver ŗ redire. _EspiŤgle_.--On peut admirer comment une langue sait faire de la gr‚ce et de l'agrťment avec un mot qui semblait ne pas s'y prÍter. Il y a en allemand un vieux livre intitulť _Till Ulspiegle_, qui dťcrit la vie d'un homme ingťnieux en petites fourberies. Remarquons que _Ulespiegel_ signifie miroir de chouette. Laissant de cŰtť ce qui pouvait se rencontrer de peu convenable dans les faits et gestes du personnage, notre langue en a tirť le joli mot _espiŤgle_, qui ne porte ŗ l'esprit que des idťes de vivacitť, de gr‚ce et de malice sans mťchancetť. C'est vraiment, qu'on me passe le jeu de mot, une espiŤglerie de bon aloi, que d'avoir ainsi transfigurť le vieil et rude _Ulespiegle_. _Fille_.--Ce mot, si noble et si doux, est un de ceux que la langue moderne a le plus maltraitťs; car elle y a introduit quelque chose de malhonnÍte. L'ancienne langue exprimait par fille uniquement la relation de l'enfant du sexe fťminin au pŤre ou ŗ la mŤre; elle avait plusieurs mots pour dťsigner la jeune femme, _mescine_, _touse_, _bachele_ et son diminutif _bachelette_, _garce_ (voy. ce mot plus loin), enfin _pucelle_, qui n'avait pas le sens particulier d'aujourd'hui et qui reprťsentait, non pour l'ťtymologie, mais pour la signification, le latin _puella_. La perte profondťment regrettable de ces mots essentiels a fait qu'il n'a plus ťtť possible de rendre, sinon par une pťriphrase (_jeune fille_), le latin _puella_, ou bien l'allemand _Mšdchen_ et l'anglais _maid_. Mais ce n'a pas ťtť le seul dommage: _fille_ a ťtť dťgradť jusqu'ŗ signifier la femme qui se prostitue. L'usage est parfois bien intelligent et bien ingťnieux; mais ici il s'est montrť dťnuť de prťvoyance et singuliŤrement grossier et malhonnÍte. _Finance_.--Le latin disait _solvere_ pour payer. De ce verbe, l'ancien franÁais fit _soudre_ avec le mÍme sens. Pourquoi ce verbe, qui satisfaisait au besoin de rendre une idťe essentielle, ne devint-il pas d'un usage commun, et laissa-t-il ŗ la langue l'occasion de chercher ŗ dťtourner de leur acception effective des mots qui ne songeaient guŤre, qu'on me permette de le dire, ŗ leur nouvel office? C'est ce qui n'est pas expliquť et rentre dans ce que j'appelle pathologie verbale. D'un cŰtť, l'imagination populaire se porta sur le verbe latin _pacare_, appaiser, pour lui imposer le sens de payer; et, en effet, un payement est un appaisement entre le crťancier et le dťbiteur. En mÍme temps, l'ancienne langue prenait le verbe _finer_, qui signifie _finir_, et s'en servait pour dire: payer une somme d'argent; en effet, effectuer un payement c'est finir une affaire. Du participe prťsent de ce verbe _finer_, aujourd'hui inusitť, vient le substantif _finance_, qui avait aussi dans l'ancienne langue le sens primitif de terminaison. En se dťtťriorant de la sorte, c'est-ŗ-dire en prenant une acception trŤs dťtournťe, tout en laissant tomber hors de l'usage l'acception naturelle, les mots deviennent des signes purement algťbriques qui ne rappellent plus ŗ l'esprit rien de concret et d'imagť. Si _finance_ signifiant terminaison ťtait restť ŗ cŰtť de _finance_ signifiant argent, on aurait ťtť constamment invitť ŗ se demander quel ťtait le lien entre les deux idťes; mais, l'un ťtant effacť, l'autre n'est plus qu'un signe arbitraire pour tout autre que l'ťtymologiste, qui fouille et interprŤte le passť des mots. _Flagorner_.--Quelle que soit l'ťtymologie de ce mot, qui demeure douteuse, le sens ancien (on n'a pas d'exemples au delŗ du quinziŤme siŤcle) est bavarder, dire ŗ l'oreille; puis ce sens se perd, et sans transition, du moins je ne connais pas d'exemple du dix-septiŤme siŤcle, on voit au dix-huitiŤme _flagorner_ prendre l'acception qui est seule usitťe prťsentement. Quelle est la nuance qui a dirigť l'usage pour infliger au verbe cette considťrable perversion? Est-ce que, inconsciemment, on a attribuť par une sorte de pudeur linguistique, ŗ la _flagornerie_ le soin de parler bas, de ne se faire entendre que de prŤs et ŗ voix basse? Ou bien plutŰt, est-ce que, la syllabe initiale _fla_ ťtant commune ŗ _flagorner_ et ŗ _flatter_, l'usage, qui ne sait pas se dťfendre contre ces sottes confusions, a cru ŗ une communautť d'origine et de sens? _Flatter_.--Le latin avait _blandiri_, dont le vieux franÁais fit _blandir_. Mais les couches populaires n'ťtaient pas un milieu oý tous les beaux mots aient eu le droit ou la chance de pťnťtrer; et leur parler, qui fit si souvent la loi, chercha un vocable qui fŻt plus ŗ leur portťe. Le germanique _flat_ ou _flaz_, qui signifie plat, avait passť dans les Gaules. On en fit le verbe _flatter_, qui signifiait proprement rendre plat, puis alla figurťment au sens de caresser comme avec la main, et par suite de flatter. C'est ainsi que l'on supplťa ŗ _blandiri_, qui ne devint pas populaire, et ŗ _adulari_, qui n'a laissť dans la langue d'oÔl aucune trace. _Adulateur_ ne se trouve que dans le quatorziŤme siŤcle et _aduler_ dans le quinziŤme. Ce sont des mots savants, forgťs directement du latin; la vieille langue en eŻt fait le substantif _aŁlere, aŁleor_ et le verbe _aŁler_. _Franchir_.--Personne de ceux qui emploient couramment ce verbe ne songe au sens propre et ancien. Dans la langue des hauts temps, il n'a que la signification de rendre franc, libre; et, s'il l'avait conservťe jusqu'ŗ nous, on s'indignerait de l'audace du novateur qui l'emploierait pour signifier: traverser franchement, rťsolument des obstacles. Ce hardi nťologisme s'est opťrť au quinziŤme siŤcle; et, ce qu'il y a de curieux, c'est qu'il a fait tomber en complŤte dťsuťtude l'acception lťgitime, et qu'il est restť seul en possession de l'usage. Dans l'opinion commune, l'usage est un despote qui fait ce qu'il veut, sans autre rŤgle que son caprice; mais son caprice mÍme ne peut se soustraire aux conditions que chaque mot prťsente; et, quand on recherche ces conditions, on trouve qu'il a obťi autant qu'il a commandť. _Fripon_.--_Fripon_, au dťbut de son emploi, signifia seulement gourmand, aimant ŗ manger: c'est au dix-septiŤme siŤcle que le changement de sens s'opŤre. Cependant _friponner_, qui veut dire bien manger, commence au seiziŤme siŤcle, dans Montaigne, ŗ prendre le sens actuel et moderne. Aujourd'hui le sens original est complŤtement oubliť. Ici encore l'acception nťologique a tuť l'acception primitive. Tout en bl‚mant ces exťcutions qui sacrifient complŤtement l'ancien au nouveau, ce qui importe ici, c'est de concevoir par quelle dťviation l'usage a passť de l'un ŗ l'autre. Le _fripon_ (gourmand) est entachť d'un dťfaut; de plus, il est fort enclin aux petits larcins pour satisfaire sa gourmandise. C'est lŗ que le nťologisme a trouvť son point d'appui pour faire d'un gourmand un filou. _Fripon_ aurait lieu de se plaindre d'avoir ťtť ainsi mťtamorphosť. C'est une dťgradation; car, d'un dťfaut lťger et qui n'est pas toujours mal portť, on a fait un coquin, un voleur. D'autres mots tombent de plus haut; mais ce n'en est pas moins une chute. _Fronder_.--Qui aurait jamais imaginť que _fronder_, c'est-ŗ-dire lancer une pierre ou une balle avec la fronde, engin qui n'est presque plus en usage, prendrait le sens de faire le mťcontent, critiquer? C'est un hasard qui a produit ce singulier rťsultat. Au temps des troubles de la minoritť de Louis XIV, des enfants avaient l'habitude de se rťunir dans les fossťs de Paris pour lancer des pierres avec la fronde, se dispersant dŤs qu'ils voyaient paraÓtre le lieutenant civil et revenant quand il n'ťtait plus lŗ. Bachaumont compara, un jour, le parlement ŗ ces enfants qui lanÁaient des pierres, que la police dispersait et qui revenaient pour recommencer. De lŗ vint la _Fronde_, nom de la rťvolte contre Mazarin et contre l'autoritť royale, et la _Fronde_ produisit sans peine le verbe _fronder_. _Gagner_.--Ce verbe, par son ťtymologie germanique, a le sens de paÓtre, qu'il a conservť en termes de chasse, et dans _gagnage_ qui veut dire p‚turage. La langue d'oÔl, du sens rural de paÓtre, a passť ŗ l'acception rurale aussi de labourer; puis le profit fait par la culture s'est dans _gagner_ gťnťralisť ŗ signifier toute sorte de profits, seul sens restť en usage. La mÍme dťviation de signification se voit dans le provenÁal _gazanhar_ et l'italien _guadagnare_. Cette dťviation mťrite d'Ítre notťe ŗ cause du fait parallŤle que la langue latine prťsente: le latin _pecunia_, qui signifie argent monnayť, est originairement un terme rural, par _pecus_, mouton, bÍte de campagne. Le mot latin nous reporte ŗ un temps trŤs ancien oý, dans la vieille Italie, les troupeaux faisaient la principale richesse. _Gagner_ est d'une ťpoque beaucoup moins reculťe; pourtant lui aussi reprťsente un ťtat de choses oý la paissance tient un haut rang dans la fortune des hommes; c'est que l'invasion germanique, ŗ laquelle le mot _gagner_ appartient, avait reproduit quelqu'une des conditions d'une sociťtť pastorale. _Galetas_.--Quelle dťchťance! A l'origine, _galetas_ est le nom d'une tour de Constantinople. Puis ce mot vient ŗ signifier un appartement dans la maison des templiers, ŗ la Cour des comptes, et une partie importante d'un grand ch‚teau. La chute n'est pas encore complŤte; mais, au quinziŤme siŤcle, le sens s'amoindrit; et, au seiziŤme, le _galetas_ est devenu ce que nous le voyons. C'est bien la peine de venir des bords du Bosphore pour se dťgrader si misťrablement. N'est-ce pas ainsi que l'on voit des familles descendre peu ŗ peu des hauts rangs et se perdre dans la misŤre et l'oubli de soi-mÍme? _Garce, garÁon, gars_.--Ces trois mots n'en font qu'un, proprement: _gars_ est le nominatif, du bas latin _garcio_, avec l'accent sur _gar_; _garÁon_ est le rťgime, de _garciůnem_, avec l'accent sur _o_: _garce_ est le fťminin de _gars_. Dans l'ancienne langue, _gars_, _garÁon_, signifie enfant m‚le, jeune homme; mais, de bonne heure, il s'y mÍle un sens dťfavorable, et souvent ce vocable devient un terme d'injure, signifiant un mauvais drŰle, un l‚che. Cette acception f‚cheuse n'a pas pťnťtrť dans la langue moderne. Il n'en est pas de mÍme de _garce_. Tandis que, dans l'ancienne langue, _garce_ signifie une jeune fille, en dehors de tout sens mauvais, il est devenu dans la langue moderne un terme injurieux et grossier. Il semblerait que le mot n'a pu ťchapper ŗ son destin: en passant dans l'usage moderne, _garÁon_ s'est purifiť, mais _garce_ s'est dťgradť. Il vaut la peine de considťrer d'oý provient ce jeu de significations. Le sens propre de _garÁon_, _garce_, est jeune homme, jeune femme. Comme les jeunes gens sont souvent employťs en service, le moyen ‚ge donna par occasion ŗ _garÁon_ l'acception de serviteur d'un ordre infťrieur, au-dessous des ťcuyers et des sergents. Une fois cette habitude introduite, on conÁoit qu'une idťe pťjorative ait pris naissance ŗ l'ťgard de ce mot, comme il est arrivť pour _valet_. De lŗ le sens injurieux que l'ancienne langue, non la moderne, attribua ŗ _garÁon_. Ceci est clair; mais comment garce est-il tombť si bas qu'il ne peut plus mÍme Ítre prononcť honnÍtement? Je ne veux voir lŗ que quelque brutalitť de langage qui malheureusement a pris pied, flťtrissant ce qu'elle touchait; brutalitť qui se montre, ŗ un pire degrť encore, dans _fille_, dont il faut comparer l'article ŗ celui de _garce_. _Garnement_.--_Garnement_, anciennement _garniment_, vient de _garnir_. Comment un mot issu d'une telle origine a-t-il pu jamais arriver au sens de mauvais drŰle, de vaurien? Le sens original est ce qui garnit: vÍtement, ornement, armure. Dans les hauts temps, il n'y en a pas d'autre. Mais, au quatorziŤme siŤcle (car ce grand nťologisme d'acception ne nous appartient pas, il appartient ŗ nos aÔeux), l'usage transporte hardiment ce qui garnit ŗ celui qui est garni; et, avec l'ťpithŤte de mťchant, de mauvais, il fait d'une mauvaise vÍture un homme qui ne vaut pas mieux que son habillement. Il va mÍme (car il ne dit jamais un bon garnement) jusqu'ŗ supprimer l'ťpithŤte mťchant, mauvais, sans changer le sens: un garnement. On doit regretter que, pour la singularitť des contrastes, le sens de vÍtement n'ait pas ťtť conservť ŗ cŰtť de celui de mauvais sujet. _Garnison_.--_Garnison_ et _garnement_ sont un mÍme mot, avec des finales diffťrentes et avec une signification primitive identique. Ils expriment tous les deux ce qui garnit: vÍtements, armures, provisions. Longtemps ils n'ont eu l'un et l'autre que cette acception; mais, dans le cours du parler toujours vivant et toujours mobile, on a vu ce qu'il est advenu de _garnement_, qui n'a gardť aucune trace du sens qui lui est inhťrent. La transformation a ťtť moins ťtrange pour _garnison_. Du sens de ce qui garnit, il n'y a pas trŤs loin au sens d'une troupe qui dťfend, garnit une ville, une forteresse. Mais, quand on lit, par exemple, une phrase comme celle-ci: _Le plus mťchant garnement de la garnison_, quel est celui qui, sans Ítre averti, imaginera qu'il a lŗ sous les yeux deux mots de mÍme origine et de mÍme acception premiŤre? _Gauche_.--L'ancienne langue ne connaÓt que _senestre_, en latin _sinister_. Puis au quinziŤme siŤcle apparaÓt un mot (_gauche_) signifiant qui n'est pas droit, qui est de travers. Au quinziŤme siŤcle, _senestre_ commence ŗ tomber en dťsuťtude, et c'est _gauche_ qui le remplace. Pourquoi? peut-Ítre parce que, le sentiment de l'usage attachant une infťrioritť ŗ la main de ce cŰtť, _senestre_ n'y satisfait pas. Il y avait satisfait dans la latinitť; car _sinister_ a aussi un sens pťjoratif que nous avons conservť dans le vocable moderne _sinistre_. En cet ťtat, l'usage se porta sur gauche, qui remplit la double condition de signifier opposť au cŰtť droit et opposť ŗ adresse. L'italien, mŻ par un mÍme mobile, a dit la main gauche de deux faÁons: _stanca_, la main fatiguťe, et _manca_, la main estropiťe. _Geindre_.--_Geindre_ est la forme franÁaise rťguliŤre que doit prendre le latin _gemere_. Avec l'accent sur la premiŤre syllabe, _gťmere_ n'a pu fournir qu'un mot franÁais oý cette mÍme premiŤre syllabe eŻt l'accent. Mais ŗ cŰtť, dŤs les anciens temps, existait _gťmir_, qui provient d'une formation barbare, _gemÍre_, au lieu de _gťmere_. Ces deux verbes, l'usage moderne ne les a pas laissťs synonymes. Suivant la tendance qu'il a de donner ŗ la forme la plus archaÔque un sens pťjoratif, il a fait de _geindre_ un terme du langage vulgaire oý le gťmissement est prťsentť comme quelque chose de ridicule ou de peu sťrieux. Au contraire, _gťmir_ est le beau mot, celui qui exprime la peine morale et la profonde tristesse. _Gent_, s. f.--Il est regrettable, je dirais presque douloureux, que des mots excellents et honorables subissent une dťgradation qui leur inflige une signification ou basse ou moqueuse et qui les relŤgue hors du beau style. _Gent_ en est un exemple. Encore au commencement du dix-septiŤme siŤcle, il ťtait d'un usage relevť, et Malherbe disait la gent qui porte turban; le cardinal du Perron, une gent invincible aux combats; et Segrais, cette gent farouche. Aujourd'hui cela ne serait pas reÁu; on rirait si quelque chose de pareil se rencontrait dans un vers moderne de poťsie soutenue; car _gent_ ne se dit plus qu'en un sens de dťnigrement ou qu'en un sens comique. A quoi tiennent ces injustices de l'usage? ŗ ce que _gent_, tombant peu ŗ peu en dťsuťtude, est devenu archaÔque. Sous ce prťtexte, on l'a dťpouillť de la noblesse, et on en a fait un roturier ou un vilain. _Gourmander_.--_Gourmander_, verbe neutre, signifie manger en gourmand, et ne prťsente aucune difficultť; c'est un dťrivť naturel de l'adjectif. Mais _gourmander_, verbe actif, signifie rťprimander avec duretť ou vivacitť; comment cela, et quelle relation subtile l'usage a-t-il saisie entre les deux significations? Malheureusement, _gourmand_ ne paraÓt pas un mot trŤs ancien, du moins le premier exemple connu est du quatorziŤme siŤcle; de plus, l'origine en est ignorťe; ces deux circonstances Űtent ŗ la dťduction des sens son meilleur appui. Pourtant une lueur est fournie par E. Deschamps, ťcrivain qui appartient aux quatorziŤme et quinziŤme siŤcles. Il parle d'une souffrance qui vient chaque jour vers la nuit _Pour son corps nuire et gourmander_. _Gourmander_ signifie ici lťser, attaquer. Faut-il penser que de l'idťe de _gourmand_ attaquant les mets, on a passť ŗ l'idťe de l'effet de cette attaque, et qu'on a fait de la sorte _gourmander_ synonyme, jusqu'ŗ un certain point, de nuire et d'attaquer? Cela est bien subtil et bien fragile; mais je n'ai rien de mieux. _Gourmander_ est un problŤme que je livre aux curieux de la dťrivation des significations; c'est une partie de la lexicographie qui a son intťrÍt. _Greffe_ (le) et _Greffe_ (la).--Parmi les personnes ťtrangŤres aux ťtudes ťtymologiques, nul ne pensera que le _greffe_ d'un tribunal et la _greffe_ des jardiniers soient un seul et mÍme mot. Rien pourtant n'est mieux assurť. Les deux proviennent du latin _graphium_, poinÁon ŗ ťcrire; on sait que les anciens ťcrivaient avec un poinÁon sur des tablettes enduites de cire. De poinÁon ŗ ťcrire, on tire le sens de lieu oý l'on ťcrit, oý l'on conserve ce qui est ťcrit. Voilŗ pour _greffe_ du tribunal. Mais c'est aussi d'un poinÁon que l'on se sert pour pratiquer certaines entes; de lŗ on tire l'action de placer une ente et le nom de l'ente elle-mÍme. Voilŗ pour la _greffe_ des jardiniers. Heureusement l'usage a mis, par le genre, une diffťrence entre les deux emplois. _Grief, griŤve_.--_Grief_ nous offre une dťformation de prononciation; il reprťsente le _grav_ du latin _grav-is_, qui est monosyllabique; et pourtant il est devenu chez nous disyllabique. C'est une faute contre la dťrivation ťtymologique, laquelle ne permet pas de dťdoubler un _a_ de maniŤre ŗ en faire deux sons distincts. Cela a ťtť causť par une particularitť de la trŤs ancienne orthographe. Dans les hauts temps, ce mot s'ťcrivait _gref_ ou _grief_, mais ťtait, sous la seconde forme, monosyllabique comme sous la premiŤre. Comment prononÁait-on _grief_ monosyllabe? nous n'en savons rien. Toujours est-il que, dans les bas temps, l'orthographe _grief_ ayant prťvalu, il fut impossible de l'articuler facilement en une seule ťmission de voix. De lŗ est nť le pťchť f‚cheux contre l'ťquivalence des voyelles en _gravis_ dans le passage du latin au franÁais. _Griffonner_.--Ce verbe est un nťologisme du dix-septiŤme siŤcle. On a bien dans le seiziŤme un verbe _griffonner_ ou _griffonnier_, mais c'est un terme savant qui se rapporte au _griffon_, animal fabuleux, qu'on disait percer la terre pour en tirer l'or: griffonnier l'or, lit-on dans CholiŤres. Pourtant l'origine de notre _griffonner_ remonte au seiziŤme siŤcle et est due ŗ un joli nťologisme de Marot. Il nomme _griffon_ un scribe occupť dans un bureau ŗ barbouiller du papier. _Griffon_ en ce sens n'a pas durť, et nous l'avons remplacť par _griffonneur_. Comment Marot a-t-il imaginť la dťnomination plaisante que je viens de rapporter? Sans doute il n'a vu dans le barbouillage du scribe qu'une opťration de _griffes_; et dŤs lors le _griffon_, armť et pourvu de _griffes_, lui a fourni l'image qu'il cherchait. _Grivois_.--Un _grivois_, une _grivoise_, est une personne d'un caractŤre libre, entreprenant, alerte ŗ toute chose; mais bien dťÁu serait celui qui en chercherait directement l'ťtymologie. Le sens immťdiatement prťcťdent, qui d'ailleurs n'est plus aucunement usitť, est celui de soldat en gťnťral; le soldat se prÍtant par son allure dťterminťe ŗ fournir l'idťe, le type de ce que nous entendons aujourd'hui par _grivois_. Est-ce tout? pas encore, et la filiŤre n'est point ŗ son terme. Avant d'Ítre un soldat en gťnťral, le _grivois_ fut un soldat de certaines troupes ťtrangŤres. Encore un pas et nous touchons ŗ l'origine de notre locution. Le _grivois_ des troupes ťtrangŤres ťtait ainsi nommť parce qu'il usait beaucoup d'une _grivoise_, sorte de tabatiŤre propre ŗ r‚per le tabac. _Grivoise_ est l'altťration d'un mot suisse _rabeisen_, r‚pe ŗ tabac (proprement fer ŗ r‚per). Quel long chemin nous avons fait! et quelle bizarrerie, certainement originale et curieuse, a tirť d'une espŤce de r‚pe un mot vif et alerte, qu'il n'est pas dťplaisant de possťder! _Groin_.--La prononciation offre ici le mÍme cas pathologique que pour _grief_; elle reprťsente par deux syllabes une syllabe unique du latin. En effet _groin_ vient de _grun-nire_, qui a donnť _grogn-er_, oý _grogn_ est monosyllabique comme cela doit Ítre. La vieille langue n'avait pas, bien entendu, cette faute; elle ťtait trop prŤs de l'origine pour se mťprendre. Mais ici, comme dans _grief_, l'_r_ a fait sentir son influence; la difficultť d'ťnoncer monosyllabiquement ce mot a triomphť des lois ťtymologiques, et le _grun_ latin est devenu le disyllabe _groin_. Je regrette, en ceci du moins, que le spiritisme n'ait aucune rťalitť, car j'aurais ťvoquť un FranÁais du douziŤme siŤcle, et l'aurais priť d'articuler _groin_ prŤs de mon oreille. Faute de cela, la prononciation monosyllabique de _groin_ reste, pour moi du moins, un problŤme. _Guťrir_.--Ce mot vient d'un verbe allemand qui signifie garantir, protťger. Et en effet l'ancienne langue ne lui connaÓt pas d'autre acception. Au douziŤme siŤcle, _guťrir_ ne signifie que cela; mais au treiziŤme siŤcle la signification de dťlivrer d'une maladie, d'une blessure, s'introduit, et fait si bien qu'elle ne laisse plus aucune place ŗ celle qui avait les droits d'origine. Que faut-il penser de ce nťologisme, fort ancien puisqu'il remonte jusqu'au treiziŤme siŤcle? En gťnťral, un nťologisme qui n'apporte pas un mot nouveau, mais qui change la signification d'un mot reÁu n'est pas ŗ recommander. La langue avait _saner_ du latin _sanare_; _saner_ suffisait; il a pťri, laissant pourtant des parents, tels que _sain_, _santť_ qui le regrettent. D'ailleurs, la large signification du _guťrir_ primitif s'est partagťe entre les verbes garantir, protťger, dťfendre, qui ne la reprťsentent pas complŤtement. Le treiziŤme siŤcle aurait donc mieux fait de s'abstenir de toucher au vieux mot; mais de quoi l'usage s'abstient-il, une fois qu'une circonstance quelconque l'a mis sur une pente de changement? _Habillement_, _habiller_.--Il n'y a dans ces mots rien qui rappelle le vÍtement ou l'action de vÍtir. _VÍtement_ et _vÍtir_ sont les mots propres qui nous viennent du latin et que nous avons conservťs, mais l'inclination qu'a le langage ŗ dťtourner des vocables de leur sens primitif et ŗ y infuser des particularitťs inattendues, s'est emparťe d'_habiller_, qui, venant d'_habile_, signifie proprement rendre habile, disposer ŗ. L'homme vÍtu est plus habile, plus dispos, plus propre ŗ diffťrents offices. C'est ainsi qu'_habiller_ s'est spťcifiť de plus en plus dans l'acception usuelle qu'il a aujourd'hui. On ne trouve plus l'acception originelle et lťgitime que dans quelques emplois techniques: _habiller_ un lapin, de la volaille, les dťpouiller et les vider; en boucherie, _habiller_ une bÍte tuťe; en pÍche, _habiller_ la morue, la fendre et en Űter l'arÍte; en jardinage, _habiller_ un arbre, en ťcourter les branches, les racines, avant de le planter. A ce propos, c'est le lieu de remarquer que les mťtiers sont particuliŤrement tenaces des anciennes acceptions. Ici, comme dans plusieurs autres cas, il y a lieu de regretter qu'_habiller_, prenant le sens de vÍtir, puisque ainsi le voulait l'usage, n'ait pas conservť ŗ cŰtť son acception propre. _Habiller_, signifiant vÍtir, est un nťologisme assez ingťnieux, mais peu utile en prťsence de _vÍtir_, et nuisible parce qu'il a produit la dťsuťtude de la vraie signification. _Hasard_.--_Fortuit_, du latin _fortuitus_, ne se trouve qu'au seiziŤme siŤcle. _Fortuitť_ est un latinisme qui n'apparaÓt que de notre temps. De la sorte, ce que les Latins exprimaient par le substantif _fors_ n'avait point de correspondant; et une idťe essentielle faisait dťfaut ŗ la langue. Il advint qu'une sorte de jeu de dťs reÁut dans le douziŤme siŤcle le nom de _hasart_, fourni par un incident des croisades. Le fortuit rŤgne en maÓtre dans le jeu de dťs. L'usage, et ce fut une grande marque d'intelligence, sut tirer de lŗ une signification bien nťcessaire. Il est quelquefois obtus et dťraisonnable, mais, en revanche, il est aussi, ŗ ses moments, singuliŤrement ingťnieux et subtil. Qui aurait songť dans son cabinet ŗ combler, gr‚ce ŗ un terme de jeu, la lacune laissťe par la disparition du terme latin? C'est un de ces cas oý il est permis de dire que tout le monde a plus d'esprit que Voltaire. _Hier_.--La prononciation fait de ce mot un disyllabe; et pourtant il reprťsente une seule syllabe latine, _her-i_; c'est donc une faute considťrable contre l'ťtymologie. L'ancienne langue ne la commettait pas; elle ťcrivait suivant les dialectes et suivant les siŤcles _her_ ou _hier_, mais toujours monosyllabique. Cela a durť jusqu'au dix-septiŤme siŤcle; et encore plusieurs ťcrivains de ce temps suivent l'ancien usage. Toutefois c'est alors que commence la rťsolution de l'unique syllabe archaÔque en deux; rťsolution qui a prťvalu. Notez pourtant que la consťquence n'est pas allťe jusqu'au bout et que, dans _avant-hier_, _hier_ est monosyllabe. La faute qui a dťdoublť l'unique syllabe latine _heri_ est toute gratuite; car elle n'a pas l'excuse de la difficultť de prononciation, comme pour _grief_ ou _groin_. _Hier_ se prononce monosyllabe aussi facilement que disyllabe; et les Vaugelas n'ont pas ťtť des puristes assez vigilants pour faire justice d'une prťvarication qui s'impatronisait de leur temps. _Intťresser_, _intťrÍt_.--Quand on parcourt les significations du verbe _intťresser_, on en rencontre une qui se trouve en discordance avec le sens gťnťral de ce mot; c'est celle oý il devient synonyme d'endommager, lťser, alors qu'on dit en parlant d'une blessure: La balle a intťressť le poumon. D'oý vient cela? Pour avoir l'explication, il faut recourir au substantif _intťrÍt_, et encore non ŗ l'usage moderne, mais ŗ l'usage ancien. En lisant l'historique de ce mot, que j'ai donnť dans mon Dictionnaire, on voit _intťrÍt_ jouer d'une maniŤre remarquable entre dommage et dťdommagement, ce qui importe (latin _interest_) se prÍtant ŗ signifier ce qui importe en mal comme ce qui importe en bien. C'est du sens de dommage impliquť dans _intťresser_ qu'est venue l'acception d'endommager. Au reste, ni le verbe ni le substantif n'appartiennent aux origines de notre idiome; la forme mÍme l'indique; le latin _interesse_, _interfui_, aurait donnť _entrestre_, _entrefu_. Ils apparaissent dans le quatorziŤme et le quinziŤme siŤcles probablement suggťrťs par des mots congťnŤres en provenÁal, en espagnol, en italien. Ce nťologisme a ťtť tout ŗ fait heureux. Il faut signaler les bienfaits comme les mťfaits du nťologisme. _Jument_.--Dans la trŤs ancienne langue, _jument_ signifiait seulement bÍte de somme, ce qui est le sens de _jumentum_ en latin. Mais le mot s'ťtait particularisť dŤs le treiziŤme siŤcle, et, ŗ cŰtť de l'acception de bÍte de somme, il a aussi celle de cavale. Aujourd'hui la premiŤre est absolument oblitťrťe, et il ne reste plus que la seconde. En ceci, la langue s'est montrťe bien mauvaise mťnagŤre des ressources qu'elle possťdait. Le latin lui avait fourni rťguliŤrement _ive_, de _equa_, femelle du cheval. Elle n'avait aucune raison de laisser perdre cet excellent mot; mais surtout elle devait conserver ŗ _jument_ son acception de bÍte de somme, non seulement ŗ cause de la descendance directe du latin, mais aussi ŗ cause qu'il exprimait en un seul vocable ce que nous exprimons par la locution composťe bÍte de somme. Or un vocable simple vaut toujours mieux qu'un terme composť, autant pour la rapiditť du langage que pour la prťcision. _Cavale_ ou _ive_ pour la femelle du cheval, _jument_ pour toute bÍte de somme, voilŗ l'ťtat ancien et bon de la langue. La malencontreuse aperception qui, dans le terme gťnťrique de bÍte de somme, trouva le terme particulier de cavale, troubla tout. _Jument_ ainsi accaparť, comment faire pour rendre _jumentum_? Il n'y avait plus d'autre recours qu'au lourd procťdť des vocables composťs; procťdť d'autant plus dťsagrťable que le franÁais n'a pas la ressource de faire un seul mot de plusieurs et de dire bÍte-somme comme l'allemand dit _Lastthier_. _Ladre_.--Il est dans l'…vangile un pauvre nommť Lazare, qui, couvert d'ulcŤres, gťmit ŗ la porte du riche. Le moyen ‚ge spťcifia davantage la maladie dont ce pauvre homme ťtait affectť, et il en fit un lťpreux. AprŤs cette spťcification, _Ladre_ (LŠzarus, avec l'accent sur _a_, a donnť Ladre au franÁais), perdant sa qualitť de nom propre, est devenu un nom commun et signifie celui qui est affectť de lŤpre. Ceci est un procťdť commun dans les langues. Les dťrivations ne se sont pas arrÍtťes lŗ. Le nom de la lŤpre qui affecte l'homme a ťtť transportť ŗ une maladie particuliŤre ŗ l'espŤce porcine et qui rend la chair impropre aux usages alimentaires. A ce point, ayant de la sorte une double maladie physique qui diminue notablement la sensibilitť de la peau de l'individu, homme ou bÍte, on est passť (qui _on_? _on_ reprťsente ici la tendance des groupes linguistiques ŗ modifier tantŰt en bien, tantŰt en mal, les mots et leurs significations), on est passť, dis-je, ŗ un sens moral, attribuant ŗ _ladre_ l'acception d'avare, de celui qui lťsine, qui n'a ťgard ni ŗ ses besoins ni ŗ ceux des autres. Il n'y a aucune raison de mťdire de ceux qui, les premiers, firent une telle application; ils n'ont pas ťtť mal avisťs, si l'on ne considŤre que la suite des dťrivations et l'enrichissement du vocabulaire. Mais ŗ un autre point de vue, qui aurait prťdit au _Lazare_ de l'Evangile que son nom signifierait le vice de la lťsinerie? et ne pourrait-on pas regretter qu'un pauvre digne de pitiť ait servi de thŤme ŗ une locution de dťnigrement? Heureusement, le jeu de l'accent a tout couvert. _Lazare_ est devenu _ladre_; et, quand on parle de l'un, personne ne songe ŗ l'autre. Ainsi sont sauvťs, quant aux apparences, les respect dŻ ŗ la souffrance et l'ingťniositť du parler courant. _Libertin_.--Le latin _libertinus_, qui a donnť _libertin_ au franÁais, ne signifie que fils d'affranchi. Pourtant, dans le seiziŤme siŤcle, premier moment oý _libertin_ fait son apparition parmi nous, ce mot dťsigne uniquement celui qui s'affranchit des croyances et des pratiques de la religion chrťtienne. D'oý vient une pareille dťviation, et comment de fils d'affranchi l'usage a-t-il passť ŗ l'acception d'homme ťmancipť des dogmes thťologiques? Voici l'explication de ce petit problŤme: les _Actes des apŰtres_, VI, 9, font mention d'une synagogue des _libertins_, en grec <liberti'n_on>, en latin _libertinorum_. Cette synagogue, qui comptait sans doute des fils d'affranchis, ťtait rangťe parmi les synagogues formťes d'ťtrangers. La traduction franÁaise de 1525 de Lefebvre d'…taples porte: ęAulcuns de la synagogue, laquelle est appellťe des _libertins_.Ľ Ces _libertins_ furent suspectťs par les lecteurs de cette traduction de n'Ítre pas parfaitement orthodoxes. De lŗ, en franÁais, le sens de _libertin_, qui est exclusivement celui d'homme rebelle aux croyances religieuses; il prit origine dans le Nouveau Testament, fautivement interprťtť, et n'eut d'abord d'autre application qu'une application thťologique. Ce sens a durť pendant tout le dix-septiŤme siŤcle; aujourd'hui il est aboli; et il faut se garder, quand on lit les auteurs du temps de Louis XIV, d'y prendre ce vocable dans l'acception moderne. Mais il n'est pas difficile de voir comment cette mÍme acception moderne est nťe. Le prťjugť thťologique attachait naturellement un bl‚me ŗ celui qui ne se soumettait pas aux croyances de la foi. De religieux, ce bl‚me ne tarda pas ŗ devenir simplement moral; et c'est ainsi que _libertin_ s'est ťcartť de son origine, non pas pourtant au point de dťsigner toute offense ŗ la morale; il note particuliŤrement celle qui a pour objet les rapports entre hommes et femmes. _Limier_.--Il est curieux de remarquer les ressources de l'esprit linguistique pour dťnommer les objets. Le _limier_ est une espŤce de chien de chasse. Eh bien! le mot ne veut dire que l'animal ou l'homme tenu par un lien. En effet, _limier_, anciennement _liemier_, de trois syllabes, vient du latin _ligamen_, lien. Tout ce qui porte un lien pourrait Ítre dit _liemier_. L'usage restreignit l'acception ŗ celle du chien qui sert ŗ la chasse des grosses bÍtes. Il n'est pas besoin de signaler l'usage mťtaphorique de ce mot dans _limier_ de police. _Livrer_.--En passant de l'usage latin ŗ l'usage roman, les mots n'ont pas seulement changť de forme, ils ont aussi changť d'acception. _Livrer_ en est un exemple. Il vient du latin _liberare_, qui veut dire uniquement rendre libre, mettre en libertť. On trouve dŤs le neuviŤme siŤcle, dans un capitulaire de Charles le Chauve, _liberare_ avec le sens de livrer, de remettre. A cette ťpoque, le bas latin et le vieux franÁais commenÁaient ŗ ne plus guŤre se distinguer l'un de l'autre, le premier arrivant ŗ sa fin, l'autre se dťgageant de ses langes. Toujours est-il que le parler populaire des Gaules ne reÁut pas _liberare_ avec son sens vťritable, mais lui fit subir une distorsion dont on suit sans grande peine le mouvement; car affranchir, mettre en libertť, et ne plus retenir, livrer, sont des idťes qui se tiennent. Mais, manifestement, le mot s'est dťgradť; l'idťe morale de _liberare_ a disparu devant l'idťe matťrielle de mettre en main, de transmettre. Faites-y attention, et vous reconnaÓtrez que les mots ont leur abaissement comme les hommes ou les choses. _Loisir_.--_Loisir_ est un mot ťlťgant du langage franÁais, qui appartient aux plus anciens temps, avec la signification actuelle. D'origine, c'est l'infinitif, pris substantivement, d'un ancien verbe jadis fort usitť, qui ne veut pas dire Ítre en loisir, mais qui veut dire Ítre permis; car il vient du latin _licere_, Ítre licite. Au reste, le sens ťtymologique est conservť dans l'adjectif _loisible_. Ainsi, de trŤs bonne heure, l'usage populaire a trouvť dans Ítre permis un acheminement au sens dťtournť d'intervalle de temps oý l'on se repose, oý l'on fait ce que l'on veut. Il n'y a pas ŗ se plaindre de cette ingťniositť d'un si ancien nťologisme; car n'est-ce pas nťologiser que de transformer la signification d'un verbe latin ŗ son passage dans le franÁais? _Mar‚tre.--Mar‚tre_ n'a plus aujourd'hui qu'un sens pťjoratif et injurieux. Mais il n'en ťtait pas ainsi dans l'ancienne langue; il signifiait simplement ce que nous nommons dans la langue actuelle belle-mŤre. Comme les belles-mŤres ne sont pas toujours tendres pour les enfants d'un premier lit et que le vers du trouvŤre De mauvaise marastre est l'amour moult petite, a souvent lieu de se vťrifier, il n'est pas ťtonnant que _mar‚tre_ soÓt devenu synonyme de mauvaise belle-mŤre. Pourtant il convient d'exprimer ici un regret. Rien n'empÍchait, tout en donnant ŗ _mar‚tre_ son acception nouvelle et particuliŤre, de conserver l'usage propre du mot. Il figurerait trŤs bien ŗ cŰtť de _parastre_, perdu, lui, tout ŗ fait, qui signifiait beau-pŤre. C'est dommage de sacrifier des mots simples et expressifs pour leur substituer des termes composťs, lourds et malaisťs ŗ manier. _Marionnette_.--Ce mot est un assez joli mot, et sa descendance est assez jolie aussi. L'ancienne langue avait _mariole_, diminutif de _Marie_, et dťsignant de petites figures de la Sainte Vierge. Le diminutif _mariolette_ se corrompit en _marionnette_; et, par un procťdť qui n'est pas rare, l'usage transporta le nom de ces effigies sacrťes ŗ une autre espŤce de figures, mais celles-lŗ profanes. En mÍme temps le sens ancien s'oblitťra complŤtement; car, autrement, comment aurait-on commis l'impiťtť d'appliquer le nom des figures de la Sainte Vierge ŗ des figures de spectacle et d'amusement? La dťgradation du sens s'est ici compliquťe d'une offense aux biensťances catholiques. _Mťchant_.--Le quatorziŤme siŤcle a inaugurť (du moins on n'en voit pas d'exemple auparavant) la fortune d'un mot aujourd'hui d'un usage fort ťtendu: ce mot est _mťchant_. C'est le participe prťsent du verbe vieilli _mťchoir_, et d'abord il n'a dťsignť que celui qui a mauvaise chance. Il a passť de lŗ aux choses de peu de valeur: un _mťchant_ livre; et finalement, entrant dans le domaine moral, il s'est appliquť aux hommes d'un naturel pervers. Il y a satisfaction ŗ suivre ainsi la logique secrŤte de l'usage, qui dťrive les significations l'une de l'autre; il est intťressant aussi d'ťtudier comment il se crťe des doublets sans qu'on le veuille. La langue avait _mauvais_, et _mťchant_ au sens moral ne lui ťtait pas nťcessaire. Mais _mťchant_ s'ťtablit; il n'a d'abord aucune rivalitť avec _mauvais_. Il n'en est plus de mÍme quand il passe au sens moral; et dŤs lors les auteurs de synonymes ont ŗ chercher en quoi _mťchant_ et _mauvais_ s'accordent et diffťrent. L'usage, dans ses actes d'un despotisme qui est loin d'Ítre toujours ťclairť, s'inquiŤte peu des soucis qu'il prťpare aux grammairiens. _Merci_.--La pathologie en ce mot affecte le genre, qui, fťminin selon l'ťtymologie en don d'amoureuse _merci_, est masculin dans un grand _merci_. L'usage n'aime guŤre les casse-tÍte grammaticaux, et il s'en tire d'ordinaire fort mal. Le casse-tÍte gÓt ici dans le mot grand: cet adjectif est, selon la vieille langue, trŤs correctement masculin et fťminin, comme le latin _grandis_; mais, suivant la moderne, il a les deux genres, _grand, grande_. L'usage, quand il reÁut la locution toute faite _grand merci_, a pris _grand_ avec son air apparent, et du tout il a fait _un grand merci_. La signification n'est pas non plus sans quelque pathologie. Le sens primitif, qui est faveur, rťcompense, gr‚ce (du latin _mercedem)_, s'est rťtrťci de maniŤre ŗ ne plus figurer que dans quelques locutions toutes faites: don d'amoureuse _merci_, Dieu _merci_. Puis le sens de misťricorde qui ťpargne se dťveloppe amplement, et atrophie l'acception primitive. La misťricorde n'est point dans le latin _merces_; mais elle est, on peut le dire, une sorte de faveur; et la langue n'a pas failli ŗ la liaison des idťes, mÍme subtile, quand elle a ainsi dťtournť ŗ son profit le vocable latin. _Mesquin_.--_Mesquin_ prťsente un singulier accident; il vient de l'espagnol _mezquino_, qui a le mÍme sens. MÍme sens aussi en provenÁal, _mesquin_, et en italien, _meschino_. Mais, dans tout le moyen ‚ge jusqu'au seiziŤme siŤcle inclusivement, _meschin_, _meschine_, signifient jeune garÁon, jeune fille, avec cette nuance pourtant que le fťminin _meschine_ a le plus souvent l'acception de jeune fille qui est en service; acception qu'a aussi l'italien _meschina_. Il faut, ce semble, admettre que du sens de chťtif on s'est ťlevť ŗ l'idťe de jeune garÁon, de jeune fille, considťrťs comme faibles par l'‚ge, et qu'ennoblissant ainsi l'idťe primitive du mot, on n'en a pas effacť pourtant tout ce qui ťtait dťfavorable. Ce fut un anoblissement que _mesquin_ reÁut alors; mais cet anoblissement fut passager; et le mot, secouant ce sens comme un oripeau, n'a plus parmi nous que son acception originelle. _Moyen_.--L'adjectif veut dire qui occupe une position intermťdiaire; le substantif, entremise, ce qui sert ŗ obtenir une certaine fin. On comprend comment l'idťe d'intermťdiaire a suggťrť celle de maniŤre de procťder pour obtenir un rťsultat. C'est certainement un bon exemple de l'art ingťnieux de dťduire des significations l'une de l'autre. Ce mot n'a pas toujours existť dans notre langue; et _moyen_ substantif est un nťologisme. N'allez pas vous rťcrier; c'est un nťologisme d'une antiquitť dťjŗ respectable; il remonte au quatorziŤme siŤcle. Il faut savoir grť au populaire de ce temps d'avoir crťť un substantif si bon et si commode. _Nourrisson_.--A cŰtť de: _le nourrisson_, l'ancienne langue avait _la nourrisson_, signifiant nourriture, ťducation. Tous deux, _le nourrisson_ et _la nourrisson_, viennent du latin _nutritionem_, dont notre langage scientifique a fait nutrition. Le franÁais moderne a laissť se perdre _la nourrisson_. A cŰtť de: _la prison_, l'ancienne langue avait _le prison_, signifiant prisonnier. Tous deux, _la prison_ et _le prison_, viennent du latin _prehensionem_, dont le langage scientifique a fait _prťhension_. Le franÁais moderne n'a pas gardť _le prison_. Il paraÓt que _polisson_ est un mot du mÍme genre, c'est-ŗ-dire un masculin dťduit d'un fťminin latin; ce latin serait _politionem_, et le sens primitif de _polisson_ serait celui de nettoyeur, de balayeur. N'est-il pas amusant de voir l'usage tirer, si je puis ainsi parler, d'un sac deux moutures, et, suivant qu'il considŤre dans l'original latin l'action ou le rťsultat de l'action, avoir dans le premier cas un fťminin et dans le second un masculin? C'ťtait agir fort librement avec le latin que de lui changer ainsi le genre de ses substantifs. Mais, du moment qu'ils ťtaient entrťs dans le domaine franÁais, il ťtait juste qu'ils acceptassent toutes les lois de leur nouvelle patrie. L'ancienne langue fut ingťnieuse avec les deux genres et les deux acceptions; la langue moderne est inconsťquente en gardant tantŰt le masculin, tantŰt le fťminin, mais non les deux rťguliŤrement. _Opini‚tre_.--_Opini‚tre_ dťsigne celui qui est attachť outre mesure ŗ son opinion, et est formť d'_opinion_ et de la finale pťjorative _‚tre_. Certes ceux qui les premiers conÁurent une pareille formation furent de hardis nťologistes; et je ne sais si les plus entreprenants de nos jours s'aviseraient de faire ainsi une jonction qui ne va pas de soi; car _opinion_ se prÍte assez mal ŗ entrer en composition. Quoi qu'il en soit, _opini‚tre_ et ses dťrivťs _opini‚trement_, _opini‚trer_, _opini‚tretť_, n'appartiennent pas aux temps anciens de la langue; ils ne se montrent que dans le seiziŤme siŤcle. C'est un vieux mot pour nous; mais c'ťtait un nťologisme pour Amyot, pour Montaigne, pour d'Aubignť. Il faut les remercier de n'avoir pas repoussť d'une plume dťdaigneuse le nouveau venu; car il est de bonne signification, et figure bien ŗ cŰtť d'_obstination_, _obstinťment_, _obstiner_; ce sont lŗ des termes anciens. Il est heureux qu'_opini‚tre_ ne les ait pas fait tomber en dťsuťtude; cela arrive maintes fois. _Ordonner_.--L'ancienne forme est _ordener_; de mÍme on disait _ordenance_. Cela est rťgulier; car le latin _ordinare_, avec son _i_ bref, n'a pu donner que _ordener_. _Ordonner_ ne se montre qu'au quatorziŤme siŤcle, et aussitŰt il supplante tout ŗ fait _ordener_, qui ne reparaÓt plus. D'oý vient cet _o_ substituť ŗ l'_e_ primitif? On ne peut y voir qu'une faute de prononciation. Les fautes de ce genre sont faciles ŗ commettre et quelquefois trŤs difficiles ŗ rťparer; tťmoin _ordener_, qui en est restť victime, et _ordonner_, dont l'usage prťsent ne soupÁonne pas la tache originelle. _Ordre_.--Dans l'ancienne langue, _ordre_ signifie uniquement arrangement, disposition, et aussi compagnie monastique. Le sens d'injonction, prescription, ne s'y rencontre pas; on ne le voit apparaÓtre qu'au dix-septiŤme siŤcle, et alors il est courant parmi les meilleurs auteurs. C'ťtait pourtant un vigoureux nťologisme de signification. On comprend comment, d'arrangement, de disposition, _ordre_ en est venu ŗ signifier prescription; la liaison des deux idťes, une fois sentie, s'explique sans difficultť considťrable. Mais l'opťration mentale qui les trouva mťrite qu'on la signale ŗ l'attention, ainsi que l'ťpoque oý elle se manifeste et s'ťtablit. Je ne nie pas que je me plais ŗ signaler le dix-septiŤme siŤcle en dťlits de nťologisme. On lui a fait une rťputation de pruderie puriste qu'il ne mťrite ni en bien ni en mal. _Papelard_.--Proprement, ce mot signifie celui qui mange le lard, et encore aujourd'hui on dit, ŗ propos de deux prťtendants qui se disputent quelque chose: On verra qui mangera le lard. En italien, _pappalardo_ veut dire goinfre, bafreur; mais il signifie aussi faux dťvot, hypocrite. Dans le franÁais, mÍme le plus ancien, il n'a pas d'autre signification que celle de faux dťvot. C'est manifestement un mot de plaisanterie, et c'est en plaisantant qu'on en est venu ŗ attribuer aux mangeurs de lard une qualification aussi dťfavorable que celle de l'hypocrite. Les textes ne donnent pas prťcisťment la clef d'une dťrivation si ťloignťe. Pourtant voici comment j'imagine qu'on peut combler la distance entre le point de dťpart et le point d'arrivťe. ęTel fait devant le _papelart_, dit un vieux trouvŤre, Qui par derriŤre _pape lart_.Ľ _Paper le lard_, c'est-ŗ-dire s'adjuger les bons morceaux par-derriŤre, c'est-ŗ-dire sans que les autres s'en aperÁoivent, est un tour de _papelardie_, et de cette papelardie il n'y a pas loin ŗ celle de l'hypocrisie gťnťrale qui ne se borne plus ŗ paper le lard, mais qui se revÍt du masque des vertus vťnťrťes, le tout, il est vrai, pour faire son chemin ou sa fortune, comme ce bon M. Tartuffe. En dťfinitive, paper le lard et faire l'hypocrite sont devenus synonymes, et la plus ancienne langue s'est gaussťe de la fausse dťvotion, qui trompe sous un masque respectť les imbťciles et qui s'adjuge les bons morceaux. _Papillote_.--Il faut vraiment admirer le joli de certaines imaginations dont l'usage est capable. La langue avait, ŗ cŰtť de _papillon_, une forme moins usitťe, _papillot_. Au quinziŤme siŤcle, on va dťnicher ce _papillot_ et en tirer une assimilation avec le morceau de papier qui sert ŗ envelopper les boucles de cheveux des dames avant de les friser. Celui qui l'a fait mťrite toute louange pour cet ingťnieux nťologisme. Notez, en outre, les sens variťs de _papilloter_, tous dťrivťs de ce _papillon_ qu'une heureuse et riante imagination a logť dans la _papillote_. _Parole_.--Oý est la pathologie ŗ dire _parole_ ou lieu de _verbe_, qui eŻt ťtť le mot propre? Elle est en ce qu'il a fallu une forte mťprise pour imposer au mot roman le sens qu'il a. Quand vous cherchez l'origine d'un vocable, soyez trŤs circonspect dans vos conjectures; hors des textes, il n'y a guŤre de certitude. Au moment de la naissance des langues romanes et dans les populations usant de ce que nous nommons bas latin, on se servit de _parabola_ pour exprimer la _parole_. Comment la _parabole_ en ťtait-elle venue ŗ un sens si dťtournť? On rťpugnait ŗ se servir, dans l'usage vulgaire, du mot _verbum_, qui avait une acception sacrťe; d'un autre cŰtť, la _parabole_ revenait sans cesse dans les sermons des prťdicateurs. Les ignorants prirent ce mot pour eux et lui attachŤrent le sens de _verbum_. Les ignorants firent loi, ťtant le grand nombre, et les savants furent obligťs de dire parole comme les autres. _Parabole_ a-t-il subi quelque dťgradation en passant de l'emploi qu'il a dans le Nouveau Testament ŗ celui que lui donne l'usage vulgaire? Sans doute; du moins, en le faisant descendre ŗ un office de tous les jours, on a eu soin de le dťguiser; car ce n'est pas le premier venu qui, sous _parole_, reconnaÓt _parabole_. _Persifler_.--Je n'inscris pas _persifler_ dans la pathologie, parce que le simple _siffler_ a deux _ff_, et que le composť _persifler_ n'en a qu'une; cette anomalie est bizarre, mais de peu d'importance; je l'inscris, parce que _persifler_, quand on en scrute la signification, ne paraÓt pas un produit lťgitime de _siffler_. C'est un nťologisme du dix-huitiŤme siŤcle, aujourd'hui entrť tout ŗ fait dans l'usage. Rien auparavant n'en faisait prťvoir la crťation. Eh bien! supposons qu'il n'existe pas, et imaginons qu'un de nos contemporains, prenant le verbe _siffler_, y adapte la prťposition latine _per_ et donne au tout le sens de: railler quelqu'un, en lui adressant d'un air ingťnu des paroles qu'il n'entend pas ou qu'il prend dans un autre sens; ne verrons-nous pas le nouveau venu mal accueilli? et ne s'ťlŤvera-t-il pas des rťclamations contre de telles tťmťritťs? En effet, la signification d'une pareille composition demeure assez ambiguŽ. Est-ce _siffler_ au sens de faire en sifflant une dťsapprobation, comme quand on dit: siffler une piŤce, un acteur? Non, cela ne peut Ítre, car le persifleur ne siffle pas le persiflť. Il est vraisemblable qu'ici siffler a le sens de siffler un oiseau, c'est-ŗ-dire lui apprendre un air. Le persifleur siffle le persiflť; et celui-ci prend bon jeu, bon argent, ce que l'autre lui dit. Le cas n'aurait pas souffert de difficultť, si le nťologiste avait dit _permoquer_, moquer ŗ outrance. _Permoquer_ nous choque prodigieusement; il n'est pourtant pas plus ťtrange que _persifler_; mais _persifler_ est embarrassant, parce que _siffler_ n'a pas le sens de moquer. Tout considťrť, il me paraÓt que les gens du dix-huitiŤme siŤcle, en choisissant _siffler_ et non _moquer_, ont eu dans l'idťe l'oiseau qu'on siffle et qui se laisse instruire comme veut celui qui le siffle. _Personne_.--_Personne_ est un exemple des mots d'assez basse origine qui montent en dignitť. Il provient du latin _persona_, qui signifie un masque de thť‚tre. Que le masque ait ťtť pris pour l'acteur mÍme, c'est une mťtathŤse qui s'est opťrťe facilement. Cela fait, notre vieille langue, s'attachant uniquement au rŰle public et considťrable que la _persona_ jouait autrefois, et la purifiant de ce qu'elle avait de profane, se servit de ce mot pour signifier un ecclťsiastique constituť en quelque dignitť. C'est encore le sens que ce mot a dans la langue anglaise (_parson_), qui nous l'a empruntť avec sa mťtamorphose d'acception. Nous avons ťtť moins fidŤles que les Anglais ŗ la tradition; et, dťlaissant le sens que nous avions crťť nous-mÍmes, nous avons imposť ŗ _personne_ l'acception gťnťrale d'homme ou de femme quelconques. Le mot anglais, qui est le nŰtre, n'a pas subi cette rťgression, ou plutŰt n'a pas laissť percer le sens, ancien aussi, d'homme ou femme en gťnťral. En effet, cette acception se trouve dŤs le treiziŤme siŤcle. On peut se figurer ainsi le procťdť du franÁais naissant ŗ l'ťgard du latin _persona_: deux vues se firent jour; l'une, peut-Ítre la plus ancienne, s'attachant surtout aux grands personnages que le masque thť‚tral recouvrait, fit de ces personnes des dignitaires ecclťsiastiques; l'autre, plus gťnťrale, se borna ŗ prendre le masque pour la personne. _Pistole_, _pistolet_.--La pathologie, en ces deux mots visiblement identiques, est que leurs significations actuelles n'ont rien de commun. Dans les langues d'oý ils dťrivent, italien et espagnol, ils signifient uniquement une petite arme ŗ feu, et pourtant, en franÁais, ils ont l'un, le sens d'une monnaie, l'autre, celui d'un court fusil. Autrefois, en franÁais, _pistole_ et _pistolet_ se dirent, comme cela devait Ítre, de l'arme portative. Puis, la forme diminutive de _pistolet_ suggťra l'idťe de donner ce nom aux ťcus d'Espagne, parce qu'ils sont plus petits que les autres. Une fois la notion de monnaie introduite dans ces deux mots, l'usage les sťpara, ne faisant signifier que monnaie ŗ _pistole_, et qu'arme ŗ _pistolet_. J'avoue qu'il ne me paraÓt pas que cela soit bien imaginť. L'italien et l'espagnol ne se sont pas trouvťs mal d'avoir conservť ŗ ces mots leur sens originel; et ici nous avons fait trop facilement le sacrifice de connexions intimes. _Placer_.--_Place_, qui vient du latin _platea_, place publique, est fort ancien dans la langue. Il n'en est pas de mÍme du verbe _placer_. Celui-ci, ŗ en juger par les textes, serait un nťologisme de la fin du seiziŤme siŤcle, nťologisme fort bien accueilli par le dix-septiŤme, qui a fait trŤs bon usage de ce verbe et qui nous l'a lťguť pleinement constituť. Nul ne sait aujourd'hui quel est le hardi parleur ou ťcrivain qui, le premier, hasarda un verbe dťrivť de _place_, et destinť ŗ former un auxiliaire fort commode de mettre. Si ce verbe se crťait aujourd'hui, l'Acadťmie voudrait-elle l'accueillir dans son dictionnaire? _Poison_.--Deux genres de pathologie affectent ce mot: il n'a jamais dŻ Ítre masculin, et jamais non plus il n'a dŻ signifier une substance vťnťneuse. _Poison_ est fťminin d'origine; car il vient du latin _potionem_; toute l'ancienne langue lui a donnť constamment ce genre; le peuple est fidŤle ŗ la tradition, et il dit _la poison_, au scandale des lettrťs qui lui reprochent son solťcisme, et auxquels il serait bien en droit de reprocher le leur. C'est avec le dix-septiŤme siŤcle que le masculin commence. Pourquoi cet ťtrange changement de genre? On n'en connaÓt pas les circonstances, et on ne se l'explique guŤre, ŗ moins de supposer que _poisson_, voisin de _poison_ par la forme, l'a attirť ŗ soi et l'a condamnť au solťcisme. Mais lŗ n'est pas la seule particularitť que ce mot prťsente; il n'a aucunement, par lui-mÍme, le sens de venin; et longtemps la langue ne s'en est servi qu'en son sens ťtymologique de boisson. Toutefois, il n'est pas rare que la signification d'un mot, de gťnťrale qu'elle est d'abord, devienne spťciale; c'est ainsi que, dans l'ancienne langue, _enherber_, qui proprement ne signifie que faire prendre des herbes, avait reÁu le sens de faire prendre des herbes malfaisantes, d'empoisonner. Semblablement _la poison_, qui n'ťtait qu'une boisson, a fini par ne plus signifier qu'une sorte de boisson, une boisson oý une substance toxique a ťtť mÍlťe. Puis, le sens de toxique empiťtant constamment, l'idťe de boisson a disparu de _poison_; et ce nom s'est appliquť ŗ toute substance, solide ou liquide, qui, introduite dans le corps vivant, y porte le trouble et la dťsorganisation. _Potence_.--Pour montrer la pathologie de ce mot, je suppose que le franÁais soit aussi peu connu que l'est le zend, et qu'un ťrudit, recherchant dans un texte le sens de ce mot, procŤde comme on fait dans le zend lŗ oý les documents sont absents, par voie d'ťtymologie; il trouvera, avec toute raison, que _potence_ veut dire puissance. Nous voilŗ bien loin du sens de gibet qu'a le mot. Comment faire pour le retrouver? Suivons la filiŤre que l'usage a suivie, filiŤre capricieuse sans doute, mais rťelle pourtant. L'ancien franÁais, se prťvalant de l'idťe de force et de soutien qui est dans _potence_, s'en servit pour dťsigner un b‚ton qui soutient, une bťquille qui aide ŗ marcher. Maintenant, pour passer au sens de gibet, on change de point de vue; ce n'est point une idťe, c'est une forme qui dťtermine la nouvelle acception, et le gibet, avec sa piŤce de bois droite et sa piŤce transversale, est comparť ŗ une bťquille. Il faut laisser la responsabilitť de tout cela ŗ l'usage, qui, ayant gibet, n'avait pas besoin de faire tant d'efforts pour s'engager dans un bizarre dťtour de significations. _Poulaine_.--Ceci est un exemple de ce que je nomme la dťgradation des mots. Au quatorziŤme siŤcle, la mode voulait que les souliers fussent relevťs en une pointe d'autant plus grande que la dignitť de la personne ťtait plus haute; cette pointe ťtait dite _poulaine_, parce qu'elle ťtait faite d'une peau nommťe _poulaine_, et _poulaine_, en notre vieille langue, signifiait _Pologne_ et _de Pologne_. Comme on voit, rien n'ťtait mieux portť. Sa chute a ťtť profonde en passant dans le langage des marins; ils dťsignent ainsi dans les navires une saillie en planches situťe ŗ l'avant, sur laquelle l'ťquipage vient laver son linge et qui contient aussi les latrines. Tout ce que le mot avait d'aristocratique a disparu en cet usage vil; il n'y est restť que la forme en pointe, en saillie. _Prťalable_.--ęNous n'avons guŤre de plus mauvais mot en notre langueĽ, dit Vaugelas, qui ajoute qu'un grand prince ne pouvait jamais l'entendre sans froncer le sourcil, choquť de ce que _allable_ entrait dans cette composition pour _qui doit aller_[*]. Ce grand prince avait bien raison; mais que voulez-vous? Ce malencontreux nťologisme avait pour lui la prescription. Il paraÓt avoir ťtť forgť dans le courant du quinziŤme siŤcle; du moins on trouve ŗ cette date _prťalablement_. Le seiziŤme siŤcle s'en sert couramment. Il est visible que ce nťologisme a ťtť fait tout d'une piŤce, je veux dire qu'il n'existait point d'adjectif _allable_, auquel on aurait ajoutť _prť_. De cette faÁon, _prťalable_, formť d'un verbe supposť _prťaller_, est moins choquant qu'un adjectif _allable_, tirť d'_aller_ contre toute syntaxe. [*] Animť d'une indignation semblable, Royer-Collard avait dťclarť qu'il se retierait de l'Acadťmie franÁaise, si cette compagnie admettait en son dictionnaire le verbe _baser_. _Ramage_.--_Ramage_ est un mot de l'ancienne langue, oý il est adjectif, non substantif. Et, de droit, il ne peut Ítre qu'adjectif. De fait, il est devenu substantif; et c'est ce fait qui appartient ŗ notre pathologie. Quelqu'un, que je ne supposerai ni trŤs lettrť ni trŤs ignorant, entend parler d'ťtoffe ŗ _ramage_, de velours ŗ _ramage_, et il sait qu'en cet emploi _ramage_ signifie branches d'arbre, rameaux. D'un autre cŰtť, il a chez lui en cage des serins dont le _ramage_ lui plaÓt et le distrait. Ce _ramage_--ci dťsigne le chant des oiseaux. S'il a quelque tendance ŗ rťflťchir sur les mots, il pourra se demander d'oý vient qu'un mÍme mot ait des sens si diffťrents, et s'il ne faut pas chercher pour le second _ramage_ un radical qui contienne l'idťe de chant. Ce serait une erreur. Quelque dissemblables de signification que soient ces deux _ramages_, il sont semblables de formation. Dans l'ancienne langue _ramage_ signifiait de rameau, branchier, et venait du latin _ramus_, branche, par le latin barbare _ramaticus_: oiseau ramage, oiseau sauvage, branchier; chant ramage, chant des rameaux, des bois, des oiseaux qui logent dans les bois. C'est de la sorte que _ramage_, devenant substantif, a pu exprimer trŤs naturellement des figures de rameaux et le chant des oiseaux. _Regarder_.--La lutte entre la latinitť et le germanisme appartient ŗ la pathologie, car notre langue est essentiellement latine. De cette lutte _regarder_ est un tťmoin des plus dignes d'Ítre entendu. Les mots latins qui signifient porter l'oeil sur, n'avaient point trouvť accueil; _respeitre_, de _respicere_, ne s'ťtait pas formť, et _respectus_ avait fourni _respict_, avec un tout autre sens; _aspicere_ aurait pu donner _aspeitre_ et ne l'avait pas donnť. Dans cette dťfaite de la latinitť, le germanisme offrit ses ressources; il fallait, il est vrai, dťtourner les sens; mais l'usage, on le sait, est habile ŗ pratiquer ces opťrations. Le haut allemand a un verbe, _warten_, qui est entrť dans le franÁais sous la forme de _garder_. Outre ce sens, _warten_ signifie aussi faire attention, prendre garde; et c'est lŗ l'acception qui s'est prÍtťe ŗ devenir celle de jeter l'oeil sur. Non pas que la langue ait pris _garder_ purement et simplement; elle le pourvut d'un prťfixe; et, ainsi armť, _garder_ s'employa pour exprimer certaines directions de la vue. Ce prťfixe est double, _es_ ou _re_, qui sont ťgalement anciens. L'ancienne langue disait _esgarder_, qui est tombť en dťsuťtude, mais non le substantif _esgard_ (_ťgard_); elle disait aussi _regarder_, qui est notre mot actuel, avec son substantif _regard_. _…gard_ et _regard_, outre leur acception quant ŗ la vue, ont aussi celle de soin, d'attention, qui appartient au radical _warten_, et qui est la primitive. Ils sont ŗ mettre parmi les exemples oý l'on passe d'un sens moral ŗ un sens physique. Cela est plus rare que l'inverse. _Sensť_.--C'est un des cas de pathologie que certains mots, sans raison valable, cessent de vivre. _Verborum vetus interit aetas_, a dit Horace. L'ancien adjectif _senť_ (qui vient de l'allemand _sinn_, comme l'italien _senno_, sens, jugement) a ťtť victime de ces accidents de l'usage. Mais sa disparition laissait une lacune regrettable, et c'est vers la fin du seiziŤme et le commencement du dix-septiŤme siŤcle qu'il a ťtť remplacť par _sensť_. Quel est le tťmťraire qui le premier tira _sensť_ de _sens_, ou, si l'on veut, du latin _sensatus?_ Nous n'en savons rien. Nous le saurions peut-Ítre, si quelque Vaugelas s'ťtait rťcriť contre son introduction. Personne ne se rťcria; le purisme du temps ne lui chercha aucune chicane; et aujourd'hui on le prend pour un vieux mot, tandis qu'il n'est qu'un vieux nťologisme. _Sensualitť_.--Ce ne sont pas seulement de vieux mots qui meurent, selon l'adage d'Horace; ce sont aussi de vieilles significations. On en a vu plus d'un exemple dans ce fragment de pathologie linguistique. _Sensualitť_ mťrite d'Ítre ajoutť ŗ ceux que j'ai dťjŗ rapportťs. En latin, _sensualitas_ signifie sensibilitť, facultť de percevoir. C'est aussi le sens que _sensualitť_ a dans les anciens textes. Mais, au seiziŤme siŤcle, on voit apparaÓtre la signification d'attachement aux plaisirs des sens. DŤs lors, l'acception ancienne et vťritable s'oblitŤre; l'autre s'ťtablit uniquement, si bien qu'on ne serait plus compris si l'on employait _sensualitť_ en sa signification propre. D'oý vient cette dťviation? Elle vient d'une acception spťciale que reÁut le mot _sens_. A cŰtť de se signification gťnťrale, ce mot, particuliŤrement dans le langage mystique, prit, au pluriel, la signification des satisfactions que les sens tirent des objets extťrieurs, des plaisirs plus ou moins raisonnables et matťriels qu'ils procurent. C'est gr‚ce ŗ cet emploi que _sensualitť_, dťpouillant son ancien et lťgitime emploi, n'a plus prťsentť ŗ nous autres modernes qu'une idťe pťjorative. _Sevrer_.--_Sevrer_ doit Ítre mis ŗ cŰtť d'_accoucher_ (voy. ce mot) pour le genre de pathologie qui consiste ŗ substituer ŗ la signification gťnťrale du mot une signification extrÍmement particuliŤre, qui, si l'on ne se rťfŤre aux procťdťs de l'usage, semble n'y avoir aucun rapport. Ainsi, il ne faudrait pas croire que _sevrer_ contÓnt rien qui indique que la mŤre ou la nourrice cesse d'allaiter le nourrisson. _Sevrer_, dans l'ancienne langue, signifie uniquement _sťparer_; il est, en effet, la transformation lťgitime du latin _separare_. Quand on voulait dire cesser d'allaiter, on disait _sevrer_ de la mamelle, _sevrer_ du lait, c'est-ŗ-dire sťparer. L'usage a fini par sous-entendre lait ou mamelle, et, dŤs lors, _sevrer_ a pris le sens tout spťcial dans lequel nous l'employons. En revanche, il a perdu son sens ancien et ťtymologique, oý le nťologisme _sťparer_, nťologisme qui date du quatorziŤme siŤcle, l'a remplacť. _Sobriquet_.--Sobriquet appartient de plein droit ŗ la pathologie. Il lui revient par la malformation; car tout porte ŗ croire qu'il en a ťtť affectť, soit par vice de prononciation, soit par confusion de l'un de ses ťlťments avec un vocable plus usuel. Il lui revient encore par l'ťtrange variťtť de significations qui a conduit depuis l'acception originelle jusqu'ŗ celle d'aujourd'hui. Le sens propre en est: petit coup sous le menton. Ce sens passe mťtaphoriquement ŗ celui de propos railleur, et finalement ŗ celui de surnom donnť par dťrision ou autrement, qui est le nŰtre. En ťtudiant de prŤs le mot, je m'aperÁus que _soubsbriquet_ (c'est l'ancienne orthographe) est exactement synonyme de _sous-barbe_ et de _soupape_, qui signifient aussi coup sous le menton. _Sous-barbe_ s'entend de soi; quant ŗ _soupape_, il est formť de _sous_ et de _pape_, qui veut dire la partie infťrieure du menton; il est singulier que la langue ait eu trois mots pour dťsigner cette espŤce de coup. Cela posť, _briquet_ m'apparut comme synonyme de _barbe_, de _pape_, et signifiant le dessous du menton. Mais il se refusait absolument ŗ recevoir une telle acception. J'entrai alors dans la voie des conjectures, et il me sembla possible que _briquet_ fŻt une altťration de _bequet_: _soubsbequet_, coup sous le bec. J'en ťtait lŗ de mes dťductions, quand l'idťe me vint de chercher dans mon _Supplťment_, et je vis que cette mÍme conjecture avait ťtť ťmise de point en point par M. Bugge, savant Scandinave qui s'est occupť avec beaucoup d'ťrudition d'ťtymologies romanes. Il faut en conclure, d'un cŰtť, que l'opinion de M. Bugge est trŤs probable, et, d'autre cŰtť, qu'on est exposť par les souvenirs latents ŗ prendre une rťminiscence pour une pensťe ŗ soi. Il y a bien loin de coup sous le menton ŗ surnom de dťrision; pourtant, quand on tient le fil, on a une explication suffisante de ces soubresauts de l'usage; et alors on ne le dťsapprouve pas d'avoir fait ce qu'il a fait. _Surnom_ est le terme gťnťral; _sobriquet_ y introduit une nuance; et les nuances sont prťcieuses dans une langue. _SoupÁon_.--J'inscris _soupÁon_ au compte de la pathologie, parce qu'il devrait Ítre fťminin comme il l'a ťtť longtemps, et comme le montre son doublet _suspicion_. _Suspicion_ est un nťologisme; entendons-nous, un nťologisme du seiziŤme siŤcle. C'est alors qu'on le forma crŻment du latin _suspicionem_. Antťrieurement on ne connaissait que la forme organique _soupeÁon_, oý les ťlťments latins avaient reÁu l'empreinte franÁaise. _SoupeÁon_ est fťminin, comme cela devait Ítre, dans tout le cours de la langue jusqu'au seiziŤme siŤcle inclusivement. Puis tout ŗ coup il devient masculin contre l'analogie. Nous connaissons deux cas oý l'ancienne langue avait attribuť le masculin ŗ ces noms fťminins en _on_: _la prison_, mais ŗ cŰtť _le prison_, qui signifiait prisonnier et que nous avons perdu; _la nourrisson_, que nous n'avons plus et que nous avons remplacť par le scientifique _nutrition_, et _le nourrisson_, que nous avons gardť. Il y en avait peut-Ítre d'autres. Si elle avait employť ce procťdť ŗ l'ťgard de _soupeÁon_, _la soupeÁon_ eŻt ťtť _la suspicion_, et _le soupeÁon_ eŻt ťtť l'homme soupÁonnť. Notre _soupÁon_ masculin est un solťcisme gratuit. En regard de _soupÁon_, _suspicion_ est assez peu nťcessaire. Les deux significations se confondent par leur origine, et l'usage n'y a pas introduit une grande nuance. La diffťrence principale est que _suspicion_ n'est pas susceptible des diverses acceptions mťtaphoriques que _soupÁon_ reÁoit. _Suffisant_.--_Suffisant_ a ceci de pathologique qu'il a pris nťologiquement un sens pťjoratif que rien ne lui annonÁait; car ce qui suffit est toujours bon. Bien plus, ce sens pťjoratif est en contradiction avec l'acception propre du mot; car tout dťfaut est une insuffisance, comme _dťfaut_ l'indique par lui-mÍme. On voit que _suffisant_ a ťtť victime d'une rude entorse. Elle s'explique cependant, et, s'expliquant, se justifie jusqu'ŗ un certain point. Il existe un intermťdiaire aujourd'hui oubliť; dans le seiziŤme siŤcle, notre mot s'appliqua aux personnes et s'employa pour capable de; cela ne suscita point d'objection: un homme capable d'une chose est suffisant ŗ cette chose. La construction de _suffisant_ avec un nom de personne ne plut pas au dix-septiŤme siŤcle; du moins il ne s'en sert pas. En revanche et comme pour y marquer son dťplaisir, il lui endossa un sens de dťnigrement relatif ŗ un dťfaut de caractŤre, le dťfaut qui fait que l'on se croit fort capable et qu'on le tťmoigne par son air; si bien que le _suffisant_ ne _suffit_ qu'en apparence. _Tancer_.--_Tancer_ relŤve, ŗ un double titre, de la pathologie: d'abord il a, dŤs l'origine, deux significations opposťes, ce qui semble contradictoire; puis il a subi une dťgradation et, du meilleur style oý il figurait, il a passť au rang de terme familier. Les deux sens opposťs, tous deux usitťs concurremment, sont ceux de dťfendre et attaquer, de protťger et malmener. On explique cela, parce que le latin fictif _tentiare_, dont vient _tancer_, contient le radical _tentus_, de _tenere_, lequel peut se prÍter ŗ la double signification. Mais il n'en est pas moins ťtrange que les Romans, qui crťŤrent ce vocable, aient assez hťsitť sur le sens ŗ lui attribuer pour aller les uns vers la protection et les autres vers l'attaque. C'est un phťnomŤne mental peu sain qu'il n'est pas inutile de signaler. Durant le douziŤme siŤcle et le treiziŤme, les deux acceptions vťcurent cŰte ŗ cŰte. Mais on se lassa de l'ťquivoque qui ťtait ainsi entretenue. Le sens de protťger tomba en dťsuťtude; celui d'attaquer, malmener, prit le dessus. Enfin, par une derniŤre mutation, la langue moderne en fit un synonyme de gronder, malmener en paroles. _Tante_.--_Tante_, avec sont _t_ mis en tÍte du mot, est un cas de monstruositť linguistique. La forme ancienne est _ante_, dont la lťgitimitť ne peut Ítre sujette ŗ aucun doute; car _ante_ reprťsente exactement le latin _amita_, avec l'accent sur _a_. Mais tandis que la pathologie dans les mots ne les atteint que postťrieurement et aprŤs une existence plus ou moins longue, ici l'altťration remonte fort haut. On n'a que des conjectures (qu'on peut voir dans mon dictionnaire) sur l'introduction de ce _t_ parasite, qui dťforme le mot. Ce fut un malin destin qui donna le triomphe au dťformť sur le bien conformť; car c'est toujours un mal quand les ťtymologies se troublent et que des excroissances dťfigurent les linťaments rťguliers d'un mot bien dťrivť. _Tapinois_.--Un mot est lťsť et montre des signes de pathologie, quand il perd son office gťnťral, et que, mutilť dans son expansion, il ne peut plus sortir du confinement oý le mal l'a jetť. Au seiziŤme et au dix-septiŤme siŤcle _tapinois_ ťtait un adjectif ou un substantif qui s'employaient dans le langage courant: une fine _tapinoise_, un larcin _tapinois_. La langue moderne a rejetť l'adjectif ou le substantif, et n'a gardť qu'une locution adverbiale, de laquelle il n'est plus possible de faire sortir _tapinois_: en tapinois. C'est certainement un dommage; il n'est pas bon pour la flexibilitť et la nettetť du langage d'immobiliser ainsi des termes qui mťritaient de demeurer dans le langage commun. Gaspiller ce qu'on a ne vaut pas mieux dans l'ťconomie des langues que dans celle des mťnages. _Targuer_.--_Targuer_ est entachť d'une faute contre la dťrivation; il devrait Ítre _targer_ et non _targuer_; car il provient de _targe_; peut-Ítre les formes de la langue d'oc _targa_, _targar_, ont-elles dťterminť cette altťration. De plus, il a subi un rťtrťcissement pathologique, quand de verbe ŗ conjugaison libre il est devenu un verbe uniquement rťflťchi; les anciens textes usent de l'actif _targer_ ou _targuer_ au sens de couvrir, protťger. Jusqu'ŗ la fin du seiziŤme siŤcle _se targer_ (_se targuer_) conserve la signification propre de se couvrir d'une targe, et, figurťment, de se dťfendre, se protťger. Mais, au dix-septiŤme siŤcle, la signification se hausse d'un cran dans la voie de la mťtaphore, et _se targuer_ n'a plus que l'acception de se prťvaloir, tirer avantage. Il est dommage que ce verbe, tout en prenant sa nouvelle signification, n'ait pas conservť la propre et primitive. Les langues, en agissant comme a fait ici la franÁaise, s'appauvrissent de gaietť de coeur. _Teint_.--Le _teint_ et la _teinte_ sont deux substantifs, l'un masculin, l'autre fťminin, qui reprťsentent le participe passť du verbe _teindre_. Mais, tandis que la _teinte_ s'applique ŗ toutes les couleurs que la teinture peut donner, le _teint_ subit un rťtrťcissement d'acception et dťsigne uniquement le coloris du visage; et mÍme, en un certain emploi absolu, le _teint_ est la teinte rosťe de la peau de la face. Le _teint_ est ou plutŰt a ťtť un mot nouveau, car il paraÓt Ítre un nťologisme crťť par le seiziŤme siŤcle. Du moins on ne le trouve pas dans les textes antťrieurs ŗ cette ťpoque. Toutefois il faut dire que la transformation du participe _teint_, au sens spťcial d'une certaine maniŤre d'Ítre du visage quant ŗ la couleur, a ťtť aidťe par l'emploi qu'en faisaient les anciens ťcrivains en parlant des variations de couleur que la face pouvait prťsenter. Ainsi, quand on lit dans _Thomas martyr_, v. 330: De maltalent e d'ire e _tainz_ e tressuťs, et dans le _Romancero_, p. 16: Fille, com ceste amour vous a p‚lie et _tainte_, on est bien prŤs de l'acception du seiziŤme siŤcle et de la nŰtre. _Tempťrer_, _tremper_.--C'est un accident qu'un mÍme verbe latin _temperare_ produise deux verbes franÁais, _tremper_ et _tempťrer_; et cet accident est dŻ ŗ ce que, l'ancienne langue ayant formť rťguliŤrement de _temperare_ (avec l'_e_ bref) _temprer_ et, par mťtathŤse de l'_r_, _tremper_, la langue plus moderne tira crŻment _tempťrer_ du mot latin. Cela fit deux vocables, l'un organique, l'autre inorganique, au point de vue de la formation; mais, la faute une fois admise par l'usage, _tempťrer_ prit une place que _tremper_ ne lui avait aucunement Űtťe; car l'ancienne langue avait spťcialisť singuliŤrement le sens du verbe latin; dans mťlanger, allier, combiner qu'il signifie, elle n'avait considťrť que le mťlange avec l'eau, que l'idťe de mouiller. _Trťpas_, _trťpasser_.--Quand un mot, perdant sa signification propre et gťnťrale, passe ŗ une signification toute restreinte, d'oý il n'est plus possible de le dťplacer, c'est qu'il a reÁu une atteinte de pathologie. _Trťpas_ et _trťpasser_, conformťment ŗ leur composition (_tres_, reprťsentant le latin _trans_, et _passer_), ne signifiaient dans l'ancienne langue que passage au delŗ, passer au delŗ. Par une mťtaphore trŤs facile et trŤs bonne, on disait couramment _trespasser_ de vie ŗ mort, _trespasser_ de ce siŤcle. C'ťtait de cette faÁon qu'on exprimait la fin de notre existence. Une fois cette locution bien ťtablie dans l'usage, il fut possible de supprimer ce qui caractťrisait ce mode de passage, et _trťpas_ et _trťpasser_ furent employťs absolument, sans faire naÓtre aucune ambiguÔtť. La transition se voit dans des exemples comme celui-ci, empruntť ŗ Jean de Meung: Non morurent, ains _trespasserent_; Car de ceste vie passŤrent A celle oý l'en [l'on] ne puet mourir. Ici _trespasserent_ joue sur le sens de passer au delŗ et de _mourir_. Jusque-lŗ rien ŗ objecter, et de telles ellipses sont conformes aux habitudes des langues. Mais ce qui doit Ítre bl‚mť, c'est qu'en mÍme temps qu'on donnait ŗ _trespasser_ le sens absolu de mourir, on ne lui ait pas conservť le sens originel de passer au delŗ. Il faudrait que nťologisme n'impliqu‚t pas destruction. On remarquera que, tandis que _trťpas_ est du style ťlevť, _trťpasser_ a subi la dťgradation qui affecte souvent les mots archaÔques; il n'est pas du haut style et n'a plus que peu d'emploi. _Tromper_.--Plus d'un accident a frappť ce mot. D'abord il est neutre d'origine, et ce n'est qu'en le dťnaturant qu'on en a fait un verbe actif. Puis, il est aussi ťloignť qu'il est possible de la signification que l'usage moderne lui a infligťe. La trŤs ancienne langue ne connaissait en cette acception que _decevoir_, du latin _decipere_, qui avait aussi donnť l'infinitif _deÁoivre_, par la rŤgle des accents. C'est seulement au quatorziŤme siŤcle que _tromper_ prit le sens qu'il a aujourd'hui. La formation de cet ancien nťologisme est curieuse. _Tromper_ ne signifiait originairement que jouer de la trompe ou trompette. Par la facultť qu'on avait de rendre rťflťchis les verbes neutres, on a dit, dans ce mÍme sens de jouer de la trompe, _se tromper_, comme _se dormir_, _s'ťcrier_, etc., dont les uns ne sont plus usitťs et dont les autres sont restťs dans l'usage. DŤs lors il a ťtť facile de passer ŗ une mťtaphore oý _se tromper_ de quelqu'un signifie se jouer de lui. C'est ce qui fut fait, et les plus anciens exemples n'ont que cette forme. Une fois ce sens bien ťtabli, et les verbes rťflťchis neutres tendant ŗ disparaÓtre, _se tromper_ devint _tromper_, pris d'abord neutralement, puis activement. Qui aurait imaginť, avant l'exemple mis sous les yeux du lecteur, que la _trompette_ entrerait dans la composition du vocable destinť ŗ se substituer ŗ _dťcevoir_ dans le parler courant? _Valet_.--Ce mot avec sa signification actuelle est tombť de haut; et sa dťgradation est un cas de ma pathologie. De plus, il est affectť d'une irrťgularitť de prononciation; il devrait se prononcer _v‚let_, vu l'ťtymologie; prononciation qui subsiste, en effet, dans quelques localitťs. …crit jadis _vaslet_ ou _varlet_, il signifiait uniquement jeune garÁon; en raison de son origine (il est un diminutif de _vassal_), il prenait parfois le sens de jeune guerrier. Dans tout le moyen ‚ge il garde sa signification relevťe, et un _valet_ peut trŤs bien Ítre fils de roi. Mais ŗ cŰtť ne tarde pas ŗ se montrer une acception ŗ laquelle le sens de jeune garÁon se prÍtait facilement, celle de serviteur, d'homme attachť au service. DŤs le douziŤme siŤcle on en a des exemples. Dans la langue moderne, l'usage, ŗ tort, s'est montrť exclusif; l'ancienne signification s'est perdue, sauf dans quelques patois fidŤles ŗ la vieille tradition; et l'on ne serait plus compris, si l'on donnait ŗ _valet_ le sens de jeune garÁon. Toutefois, sous la forme de _varlet_, le mot a continuť de garder une signification d'honneur; mais il ne s'applique plus qu'aux personnages du moyen ‚ge. L'_r_ dans _varlet_ est, comme dans _hurler_ (de _ululare_), un accident inorganique, mais il n'est pas mal de faire servir des accidents ŗ des distinctions qui ne sont ni sans gr‚ce ni sans utilitť. _Viande_.--La _viande_ est pour nous la chair des animaux qu'on mange; mais, en termes de chasseur, _viander_ se dit d'un cerf qui va p‚turer; certes, le cerf pacifique ne va pas chercher une proie sanglante. Donc, dans _viande_, l'accident pathologique porte sur la violence faite ŗ la signification naturelle et primitive. Dans la premiŤre moitiť du dix-septiŤme siŤcle, ce mot avait encore la plťnitude de son acception, et signifiait tout ce qui sert comme aliment ŗ entretenir la vie. En effet, il vient du latin _vivendus_, et ne peut, d'origine, avoir un sens restreint. Voyez ici combien, en certains cas, la destruction marche vite. En moins de cent cinquante ans, _viande_ a perdu tout ce qui lui ťtait propre. On ne serait plus compris ŗ dire comme Malherbe, que la terre produit une diversitť de viandes qui se succŤdent selon les saisons, ou, comme Mme de Sťvignť, en appellant _viandes_ une salade de concombres et des cerneaux. Pour l'usage moderne, _viande_ n'est plus que la chair des animaux de boucherie, ou de basse-cour, ou de chasse, que l'on sert sur les tables. Nous n'aurions certes pas l'approbation de nos aÔeux, s'ils voyaient ce qu'on a fait de mots excellents, pleins d'acceptions ťtendues et fidŤles ŗ l'idťe fondamentale. Vraiment, les barbares ne sont pas toujours ceux qu'on pense. _Vilain_.--La pathologie ici est une dťgradation. Il y a dans la latinitť un joli mot: c'est _villa_, qui a donnť _ville_, mais qui signifie proprennent maison de campagne. De _villa_, le bas latin forma _villanus_, habitant d'une _villa_ ou exploitation rurale. Ainsi introduit, _vilain_ prit naturellement le sens d'homme des champs; et, comme l'homme des champs ťtait serf dans la pťriode fťodale, _vilain_ s'opposa ŗ gentilhomme et fut un synonyme de roturier. Mais, une fois engagť dans la voie des acceptions dťfavorables, _vilain_ ne s'arrÍta pas ŗ ce premier degrť, et il fut employť comme ťquivalent de dťshonnÍte, de f‚cheux, de sale, de mťchant; c'ťtait une extension du sens de non noble. Puis il se spťcialisa davantage, et de dťshonnÍte en gťnťral devint un avare, un ladre en particulier. Enfin, des emplois moraux qu'il avait eus jusque-lŗ, il passa ŗ un emploi physique, celui de laid, de dťplaisant ŗ la vue. C'est ordinairement le contraire qui arrive: un sens concret devient abstrait, mais rien en cela n'est obligatoire pour les langues; et elles savent fort bien que ces inversions ne dťpassent pas leur puissance. _Voler_.--Le mal qui afflige _voler_ est celui de la confusion des vocables et de l'homonymie malencontreuse. Ce mot, au sens de dťrober furtivement, est rťcent dans la langue; je n'en connais d'exemple que de la fin du seiziŤme siŤcle. Auparavant, on disait _embler_, issu du latin _involare_, qui a le mÍme sens. Par malheur, _voler_, l'intrus, a chassť complŤtement l'ancien maÓtre de la maison. _Embler_, qui a ťtť en usage durant le seiziŤme siŤcle et dont Saint-Simon (il est vrai qu'il ne craint pas les archaÔsmes) se sert encore, a aujourd'hui tout ŗ fait disparu de l'usage. Ce qui a fait la fortune de _voler_, c'est son identitť avec un mot trŤs courant, _voler_, se soutenir par des ailes. Une fois que, gr‚ce ŗ quelque connexion assez saugrenue, l'usage eut rattachť l'action du faucon dressť qui _vole_ (c'est le mot technique) une perdrix et l'action du coquin qui s'empare de ce qui ne lui appartient pas, _voler_, c'est-ŗ-dire dťrober, ťtant protťgť par _voler_, c'est-ŗ-dire se mouvoir en lair, n'eut plus aucun effort ŗ faire pour occuper le terrain d'_embler_. Mais admirez la sottise de l'usage, qui dťlaisse un terme excellent pour confondre le plus maladroitement ce qui ťtait le plus justement distinct. _Voler_ avec son sens nouveau est un gros pťchť contre la clartť et l'ťlťgance. C'est le seiziŤme siŤcle qui est coupable de ce f‚cheux nťologisme. L'ordre alphabťtique est nťcessairement aveugle. Pourtant il a, ici, semblť voir clair; car il fait que je termine cette esquisse par l'un des plus frappants exemples de la distorsion que de vicieuses habitudes peuvent infliger ŗ un mot sain jusque-lŗ. Jamais, dans l'espŤce humaine, ťpine dorsale n'a ťtť plus maltraitťe par la pathologie. *** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK, PATHOLOGIE VERBALE, OU LťSIONS DE CERTAINS MOTS DANS LE COURS DE L'USAGE *** This file should be named 4935-0.txt or 4935-0.zip Project Gutenberg eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as Public Domain in the US unless a copyright notice is included. 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22,887 words • 381h 27m read

— End of Pathologie Verbale, ou Lésions de certains mots dans le cours de l'usage —

Book Information

Title
Pathologie Verbale, ou Lésions de certains mots dans le cours de l'usage
Author(s)
Littré, Emile
Language
French
Type
Text
Release Date
January 1, 2004
Word Count
22,887 words
Library of Congress Classification
PC
Bookshelves
FR Langues, Browsing: Encyclopedias/Dictionaries/Reference, Browsing: Language & Communication, Browsing: Literature
Rights
Public domain in the USA.