*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 74228 ***
Au lecteur
Cet ouvrage est incomplet du fait de la mort prématurée de
Champollion. Il devait contenir initialement environ 450 pages et
200 planches, (chiffres donnés dans _Les conditions de la
souscription_). Seulement 90 planches ont été réalisées.
Elles ont été renumérotées.
Léon Jean Joseph Dubois signale dans une note manuscrite, au début de
l'exemplaire de Gallica:
«Il est arrivé plusieurs fois qu'une planche et le texte qui contient
son explication, portent des numéros différents. Ce n'est qu'une
négligence peu importante et facile à réparer.»
Nous avons fait de notre mieux pour rétablir les bons liens.
Cette version numérisée reproduit dans son intégralité la version
originale. L'orthographe n'a pas été homogénéisée. Seules, les erreurs
manifestes de typographie ont été corrigées.
La ponctuation a pu faire l'objet de quelques corrections mineures.
Ce texte comprend de nombreux signes coptes. Il est codé en Unicode
UTF-8. Si certains signes sont illisibles, veuillez vérifier que
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et dispose des jeux de caractères nécessaires.
Le macron, placé au dessus de quelques lettres coptes a été supprimé.
PANTHÉON ÉGYPTIEN,
COLLECTION
DES PERSONNAGES MYTHOLOGIQUES
DE L'ANCIENNE ÉGYPTE,
D'APRÈS LES MONUMENTS;
AVEC UN TEXTE EXPLICATIF PAR M. J. F. CHAMPOLLION LE JEUNE,
ET LES FIGURES D'APRÈS LES DESSINS DE M. L. J. J. DUBOIS.
[Illustration: 15 LIVRAISONS]
A PARIS,
DE L'IMPRIMERIE DE FIRMIN DIDOT,
IMPRIMEUR DU ROI, RUE JACOB, Nº 24
M DCCC XXIII à M DCCC XXV
CONDITIONS DE LA SOUSCRIPTION.
Le prix de chaque livraison, composée de _six planches coloriées, et de
douze pages de texte_, format in-4º, est fixé (_prise à Paris_) à 10
francs.
On tirera un très-petit nombre d'exemplaires sur _papier vélin_ (texte
et planches), format grand in-4º, dont le prix sera de 20 francs.
L'ouvrage sera composé d'environ 200 planches et 450 pages de texte
in-4º.
Pour souscrire, il faut se faire inscrire,
A PARIS, _chez_:
M. DUBOIS, rue de Savoie-Saint-André-des-Arcs, nº 4;
_Et chez les Libraires_:
FIRMIN DIDOT PÈRE ET FILS, rue Jacob, nº 24;
DE BURE FRÈRES, libraires du Roi, rue Serpente, nº 7;
TILLIARD FRÈRES, libraires du roi de Prusse, rue Hautefeuille, nº 22;
TREUTTEL ET WÜRTZ, à PARIS, rue de Bourbon, nº 17; à STRASBOURG et à
LONDRES, même maison de commerce.
PANCKOUCKE, éditeur de la seconde édition de la _Description de
l'Égypte_, rue des Poitevins, nº 14;
GOUJON, libraire de LL. AA. RR. MADAME duchesse de Berry, et madame
la duchesse d'Orléans, rue du Bac, nº 33;
BOSSANGE FRÈRES, à PARIS, rue de Seine, nº 12; à LEIPZIG,
Reichs-Strasse.
DONDEY-DUPRÉ, rue Saint-Louis, au Marais, nº 46, et rue de Richelieu,
nº 67.
LETTRES à M. LE DUC DE BLACAS D'AULPS, premier gentilhomme de la
chambre, pair de France, etc., relatives au Musée royal égyptien de
Turin. PREMIÈRE LETTRE: Monuments historiques; par M. CHAMPOLLION LE
JEUNE. _Paris_, Firmin Didot, 1824; grand in-8º, papier fin satiné,
avec 3 planches. Prix: 5 fr.; grand in-8º, papier vélin, planches
tirées en rouge sur papier de Chine, 10 fr.
(La SECONDE LETTRE est sous presse, et les deux renferment la
restauration chronologique, par les monuments, de la XVe dynastie
égyptienne de Manéthon, et des suivantes jusques et y compris la
XXIIe. La TROISIÈME LETTRE complétera cette histoire chronologique de
l'Égypte jusqu'aux Romains.)
PANTHÉON ÉGYPTIEN.
AMON, AMON-RA, ou AMON-RÉ,
A TÊTE HUMAINE.
CE dieu, de forme humaine, est ici représenté assis sur un trône, comme
le sont pour l'ordinaire toutes les grandes divinités de l'Égypte.
Sa carnation est bleue, couleur propre à ce personnage; sa barbe est
figurée par une appendice noire qui caractérise les divinités mâles;
et dans les cercueils de momie, cette même appendice indique toujours
une momie d'homme; le dieu tient dans sa main gauche un sceptre terminé
par la tête de cet oiseau qu'Horapollon nomme _Koucoupha_, sceptre
commun à toutes les divinités mâles du Panthéon Égyptien, et qui était
le symbole de la _bienfaisance_ des dieux; dans sa main droite est la
_croix ansée_, symbole de la _vie divine_; sa tête est ornée d'une
coiffure royale, surmontée de deux grandes plumes peintes de diverses
couleurs; de la partie postérieure de sa coiffure, descend une longue
bandelette bleue; son col est orné d'un collier, parfois très-richement
décoré; sa tunique, d'abord soutenue au-dessous du sein, au moyen de
deux bretelles, est fixée vers les hanches par une ceinture bleue; des
bracelets ornent le haut de ses bras, et souvent aussi la naissance du
poignet.
On reconnaît ici _le Démiurge_ Égyptien, le dieu créateur du monde,
décrit trait pour trait, par Eusèbe, dans sa _Préparation évangélique_.
Les trois premiers caractères de la légende hiéroglyphique placée
devant l'image du dieu, forment son nom propre ordinaire, et se lisent
Ⲁⲙⲛ (_Amen_ ou _Amon_); les deux signes suivants font souvent partie de
ce même nom, qui se lit alors Ⲁⲙⲛⲣⲏ (_Amonré_, _Amonri_ ou _Amonra_).
C'est ce nom divin que les Grecs ont écrit Αμων, Αμουν et Αμμων, en
considérant cette divinité Égyptienne comme identique avec leur Ζευς,
le _Jupiter_ des Latins.
Dans la théologie Égyptienne, Amon, dont le nom signifiait _occulte_
ou _caché_, suivant l'égyptien Manéthon, était le premier et le chef
des dieux[1], l'esprit qui pénètre toutes choses[2], l'esprit créateur
procédant à la génération et à la mise en lumière des choses cachées[3].
La légende hiéroglyphique qui accompagne ordinairement les
représentations de cet être divin, est celle que porte notre gravure,
et qui signifie, dans son entier, _Amon-ré, seigneur des trois régions
du monde, seigneur suprême_ ou _céleste_.
Amon ou Amonré fut la principale divinité des Éthiopiens, des
Égyptiens, et des peuples de race Éthiopienne ou Égyptienne, qui
habitèrent la Libye aux plus anciennes époques; les siéges principaux
de son culte furent Méroé, en Éthiopie; l'Oasis de Syouah, dans la
Libye; et, en Égypte, Thèbes, la première capitale de l'empire. Les
images du dieu Amon couvrent les magnifiques monuments de cette
ancienne cité, qui, dans la théologie Égyptienne, s'appelait même la
_ville d'Amon_, nom que les Grecs ont assez fidèlement traduit en leur
langue par _Diospolis_, la _ville de Zeus_ ou de _Jupiter_. C'est à
Amon ou Amonré que sont, en effet, dédiés les principaux édifices
religieux de Thèbes. Son image occupe le pyramidion ou le sommet des
plus grands obélisques Égyptiens, tels que ceux de Louqsor et de
Karnac, et le haut de ces superbes monolithes, ouvrages des anciens
Pharaons, que les Romains transportèrent dans leur ville, dont ils sont
devenus les plus beaux ornements; les bas-reliefs, qui décorent les
murs intérieurs ou extérieurs et les colonnes des temples et des palais
de Thèbes, nous montrent le grand dieu Amon recevant les prières et les
offrandes des rois; les Pharaons présentés à cette divinité suprême par
le dieu Phré (le soleil), ou bien par le dieu Mars Égyptien et le dieu
Phré; Amon donnant aux héros du pays le signe de la _vie divine_, en
les élevant ainsi au rang des dieux; les rois vainqueurs conduisant les
prisonniers au pied du trône du dieu, pour lui en faire hommage; enfin,
dans leurs légendes, les Pharaons prirent les titres d'_enfant d'Amon_,
de _chéri d'Amon roi des dieux_, et d'_approuvé par Amon_.
[1] PLUTARQUE.
[2] THÉODORET.
[3] IAMBLIQUE.
[Illustration: 1.]
AMON, AMONRÉ ou AMONRA,
A TÊTE DE BÉLIER (Jupiter-Ammon).
LES écrivains Grecs et Latins, qui nous ont conservé quelques documents
sur le culte et sur la religion des anciens Égyptiens, disent tous
que ce peuple représentait le dieu Amon, la principale divinité de
l'Égypte et de Thèbes, sous une forme humaine, et ayant pour tête
celle d'un _bélier_. On vient de voir cette divinité sous une forme
purement humaine, mais les monuments nous la montrent aussi telle que
les Grecs l'ont décrite; le nom et la légende hiéroglyphique AMON ou
AMONRÉ, _Seigneur des régions du monde, Seigneur suprême_, se lient,
en effet, assez souvent avec l'image d'une divinité assise sur un
trône, le sceptre des dieux d'une main, le symbole de la vie divine de
l'autre, ayant les chairs vertes ou bleues comme l'Amon à face humaine,
mais dont la tête est celle d'un _bélier_, ornée de la même coiffure,
surmontée du disque, et des grandes plumes qui distinguent également
Amon à tête d'homme; le serpent Ureus, vu de face, et qui décore le bas
de cette coiffure, est l'emblême ordinaire de la _puissance royale_;
cet insigne est commun aux dieux et aux souverains de l'Égypte: telle
est la divinité représentée sur notre gravure.
Les images d'_Amon_, à tête humaine, paraissent plus nombreuses sur
les monuments de Thèbes que les images du même dieu à tête de bélier;
et ces dernières se montrent plus fréquemment, au contraire, dans les
temples de Libye, et dans les diverses Oasis où l'on a trouvé des
constructions de style égyptien.
Le bélier, d'après les idées des Égyptiens, était un animal
remarquable, surtout par sa tête dans laquelle réside sa principale
force; et comme il est aussi le chef et le conducteur du troupeau, il
devint pour eux le symbole de la prééminence, de la principauté, dont
ses cornes furent aussi l'emblême chez plusieurs nations orientales;
c'est pour cela que les Égyptiens, selon Plutarque, le placèrent à la
tête des animaux du zodiaque, et que ce quadrupède fut spécialement
consacré au chef des dieux, au Seigneur suprême, à Amon, dont les
représentations empruntent la tête de cet animal, de la même manière
qu'on verra tous les dieux Égyptiens figurés sous une forme humaine,
mais avec la tête des divers animaux, quadrupèdes, oiseaux, amphibies,
reptiles ou insectes, qui leur furent spécialement consacrés.
Le bélier était l'animal sacré des habitants de Thèbes, dont Amon
fut le protecteur spécial et la divinité locale; c'est pour cela
que d'immenses avenues de béliers monolithes, et de vingt pieds de
longueur, unissaient entr'eux les principaux monuments de cette
capitale.
Parmi les récits mythiques Égyptiens que les Grecs nous ont transmis,
il en est un qui pouvait motiver aussi, aux yeux du peuple, cette
tête de bélier donnée aux images du chef des dieux: _Gomi_ ou _Somi_
(l'Hercule des Égyptiens), désira un jour, disait-on, voir face à face
Amon, le dieu suprême: celui-ci, qui voulait rester caché et inconnu,
se couvrit de la peau d'un bélier, et en tint la tête placée devant la
sienne. «C'est pour cette raison, continue Hérodote, qui rapporte à
cet égard les dires des habitants de Thèbes, qu'en Égypte, les statues
d'Amon (Zeus) représentent ce dieu avec une tête de bélier: cette
coutume a passé des Égyptiens aux Ammoniens (les Libyens des Oasis).»
Nous apprenons du même historien qu'à Thèbes, le jour de la fête
d'Amon, une cérémonie sacrée avait lieu en commémoration de cette
entrevue des dieux Amon et Somi: les Thébains sacrifiaient un bélier,
ce jour-là seulement; et après l'avoir dépouillé, on revêtait de sa
peau la statue d'Amon dont on approchait alors celle de Gomi (l'Hercule
Égyptien); après cela, tous ceux qui étaient autour du temple se
frappaient en déplorant la mort du bélier, et son corps était embaumé
et renfermé dans un cercueil sacré.
Enfin, le soleil entrant au printemps dans le signe du bélier, pouvait
être, aux yeux des Égyptiens, l'image sensible du dieu Amon qui,
selon leur croyance, créa le monde et donna la vie et le mouvement à
l'univers, dans cette même saison. C'est peut-être pour cela encore que
ce dieu porte souvent les noms combinés Amon et Ré, Amon-ré ou Amon-ri,
c'est-à-dire _Amon-Soleil_.
[Illustration: 2.]
LE BÉLIER,
EMBLÊME VIVANT D'AMON-RA.
«LES temples égyptiens, dit Clément d'Alexandrie, leurs portiques
et les vestibules sont magnifiquement construits; les cours sont
environnées de colonnes; des marbres précieux et brillant de couleurs
variées en décorent les murs, de manière que tout est assorti; les naos
resplendissent de l'éclat de l'or, de l'argent, de l'électrum, et des
pierres précieuses de l'Inde et de l'Éthiopie; les sanctuaires sont
ombragés par des voiles tissus d'or; mais si vous avancez dans le fond
du temple, et que vous cherchiez _la statue du Dieu_ auquel il est
consacré, un pastophore ou quelque autre employé du temple s'avance
d'un air grave en chantant un pæan en langue égyptienne, et soulève
un peu le voile, comme pour vous montrer le Dieu. Que voyez-vous
alors? un Chat, un Crocodile, un Serpent indigène ou quelque animal de
ce genre! Le Dieu des Égyptiens paraît..... c'est une bête sauvage,
se vautrant sur un tapis de pourpre!» C'était, en effet, un animal
vivant que renfermaient tous les sanctuaires des temples de l'Égypte;
mais ce qui a si fort excité l'indignation du philosophe alexandrin
paraissait, au contraire, aux yeux des Égyptiens une chose bien simple
et bien naturelle. Ils pensaient qu'il était contraire au bon sens
et à la religion d'adresser des prières et des offrandes à une image
purement matérielle de la Divinité, et de la représenter dans le
sanctuaire par un être totalement privé de son souffle créateur[4].
C'est pour cela qu'ils choisirent des êtres vivants dont les qualités
distinctives rappelaient indirectement celles qu'on adorait dans la
Divinité même. Chaque Dieu eut son animal sacré, qui devint ainsi son
image visible dans les temples de l'Égypte. D'ailleurs, les anciens
Égyptiens ne traitaient point les animaux avec autant de mépris que le
font les peuples modernes; ils croyaient, au contraire, que les animaux
étaient d'une même famille, et en lien de parenté avec les Dieux et
les hommes[5]; la loi leur ordonnait de les respecter, et même de les
nourrir[6].
Le Bélier était le symbole vivant du Démiurge égyptien, du premier
des Dieux, _Amon_ ou _Amon-ra_, le Jupiter-Ammon des Grecs. On le
nourrissait principalement dans les sanctuaires de Thèbes et de
Saïs[7]; car l'une de ces villes était consacrée à Ammon, et l'autre
à Nèith, la première émanation d'Ammon, déesse qui, selon toute
apparence, était aussi figurée, comme son père, avec une tête de
Bélier, ainsi qu'on la trouve sur les bas-reliefs des temples de la
Nubie, publiés par M. Gau[8]; mais malheureusement il n'a point dessiné
les légendes hiéroglyphiques de cette déesse criocéphale. Les médailles
des Nomes _Diopolite_, _Hypsélite_, _Xoïte_ et _Maréote_ prouvent aussi
que le Bélier fut l'animal sacré de ces préfectures égyptiennes.
Un nombre immense de monuments nous offrent la représentation du
Bélier, symbole d'Ammon. La figure coloriée de cet animal, gravée dans
notre planche, se trouve sur une momie du cabinet de M. Durand, momie
qui, comme la plupart de celles qu'on rapporte de Thèbes, offre la
représentation de cet emblême vivant d'Ammon, Dieu éponyme de cette
ville. Le Bélier sacré, paré d'un collier et d'une belle housse, est
debout sur un autel dans un naos ou chapelle richement décorée. Sa tête
est ornée du disque et des deux longues plumes de couleurs variées, qui
surmontent la coiffure du Dieu Ammon lui-même, soit androcéphale, soit
criocéphale[9]. L'espèce de grand éventail qui, dans les bas-reliefs
historiques, n'est porté qu'à la suite des Dieux ou des Rois, est
placé à côté du Bélier d'Amon-ré, sur une petite stèle égyptienne qui
représente cet animal sacré, debout sur un autel, et adoré par un
Égyptien qui lui présente des offrandes. Cette stèle, trouvée en Égypte
par M. Thédenat, est maintenant en ma possession.
Le Bélier sacré n'étant qu'une image symbolique d'Ammon, reçoit
le même nom et les mêmes titres que le Dieu lui-même; la légende
_Amon-ré, roi des Dieux_, retracée sur notre planche, accompagne le
Bélier sculpté sur ma petite stèle. Dans une des stèles du comte de
_Belmore_, l'animal sacré porte celle d'_Amon-ré, seigneur des régions
du monde_[10]. Enfin, un nombre très-considérable de scarabées et de
petites amulettes de terre émaillée, présentent l'image du Bélier,
soit debout, soit accroupi, mais toujours décoré du nom ou des titres
honorifiques du Dieu _Amon-ré_, dont il n'est que le symbole.
[4] PLUT. _de Iside et Osiride_.
[5] PORPHYR. _de Abstin._ lib. II.
[6] HÉRODOTE, liv. II, §. 65.
[7] CLÉMENT d'Alexandrie, _Admonit. ad gent._ pag. 25, B. C.
[8] _Monuments de la Nubie_, pl. 21.
[9] _Suprà_, pl. 1 et 2.
[10] _Voyez_ la pl. 1, lég. nº 1.
[Illustration: 2.2.]
AMON-RA.
(L'ESPRIT DES QUATRE ÉLÉMENTS, L'AME DU MONDE MATÉRIEL.)
C'EST parmi les riches décorations d'un cercueil de momie, faisant
partie du Musée royal égyptien de Turin, que nous avons trouvé la
divinité représentée sur cette planche. Les insignes qui surmontent sa
coiffure, une sorte de vase flanqué de deux plumes d'autruche vertes,
les cornes de bouc surmontées du disque, et deux uræus, furent, comme
on le verra dans la suite, communs à plusieurs divinités égyptiennes;
le trait caractéristique de cette image sacrée consiste dans les quatre
têtes de bélier, dont deux sont tournées vers la droite, et les deux
autres vers la gauche. La coiffure bleue qui est censée les recouvrir,
prend ici une forme toute particulière. Le corps du dieu, qui tient
dans ses mains le sceptre de la bienfaisance et l'emblème de la vie,
est tout entier de couleur verte, et l'inscription hiéroglyphique
ⲁⲙⲛ-ⲣⲏ ⲛⲏⲃ (ⲛ) ⲧⲡⲉ _Amon-Ra seigneur du ciel_, nous apprend que cette
singulière image se rapporte à la plus grande des divinités de l'Égypte.
On trouve que cet _Amon à quatre têtes de bélier_ est reproduit sur des
monuments de divers genres. Il est sculpté sur la poitrine du Torse
égyptien du Musée Borgia[11], fragment de statue du plus beau travail
et d'un haut intérêt, puisqu'il est couvert d'une foule d'images,
en pied, de divinités égyptiennes, accompagnées pour la plupart de
légendes explicatives. Le dieu Amon est représenté assis, tenant les
sceptres d'incitateur et de modérateur, au milieu d'un disque soutenu
par _les bras élevés_, symbole de la _supplication_ et des _offrandes_:
quatre ailes partant des épaules du dieu rapprochent cette image de
celle d'_Amon-Ra Panthée_, publiée dans notre planche 5.
On reconnaît encore cette image sur un genre particulier de monuments
funéraires que nous avons nommés _hypocéphales_, parce qu'ils sont
souvent placés _sous la tête_ des momies humaines. Ce sont des disques,
soit en bronze, soit en cartonnage de toile[12], gravés ou peints,
et couverts de tableaux symboliques accompagnés de légendes. Amon
à quatre têtes de bélier assis, et tenant les deux sceptres déja
indiqués, en occupe toujours le centre. Les scènes emblématiques dont
ces hypocéphales sont couverts, sont toutes relatives à la cosmographie
religieuse; par leur forme, ces monuments rappellent celle du monde
matériel; et la place du grand-être cosmogonique duquel tout a procédé
était naturellement marquée au centre même de cette composition
symbolique.
Il resterait à remonter au sens caché des _quatre têtes de bélier_ qui
caractérisent cette forme d'Amon-Ra; et les monuments nous satisfont
pleinement à cet égard.
Dans les textes égyptiens, en écriture sacrée, le _bélier_ est
très-fréquemment employé à la place de l'_oiseau à tête humaine_,
et d'un oiseau de la classe des échassiers, tout-à-fait semblable
à la _grue_. Ces trois caractères expriment l'idée générale _ame_
ou _esprit_; mais chacun d'eux présente cette idée avec une nuance
particulière: le BÉLIER désigne _une ame_ ou _un esprit divin du
premier ordre_; la GRUE _une ame divine dans la quiétude_, et l'OISEAU
A TÊTE HUMAINE, _une ame humaine, unie au corps_ ou _qui en a été
séparée_; ces trois caractères symboliques sont alors accompagnés
de l'image d'un _encensoir_, lequel est, soit la lettre Β, initiale
du mot BAI, qui, suivant Horapollon[13], signifiait _ame_ en langue
égyptienne, soit l'emblème de l'adoration et du respect que méritent
ces essences divines. Enfin les divinités considérées comme l'_ame_ ou
l'_esprit directeur_ de l'univers, ou de l'une de ses subdivisions,
sont toujours représentées avec une _tête de bélier_[14]. Les quatre
têtes de cet animal, que porte l'image d'Amon-Ra, nous présentent donc
ce dieu comme réunissant en lui-même les _quatre ames_ ou _esprits
principaux_ qui régissent le monde.
Cette conclusion, tirée de faits généraux, est clairement confirmée
par l'autorité irréfragable des monuments. Le zodiaque circulaire de
Dendéra nous montre, en effet, dans la bande inférieure, celle qui
représente les trente-six décans, quatre têtes de bélier groupées
et surmontées du disque soutenu par deux cornes: c'est l'image du
second décan des Poissons; la petite légende qui la surmonte signifie
simplement l'_étoile_ ou la _constellation des esprits_ ou _des
ames_, et ce décan est situé entre le midi et _l'orient_, la région
particulière d'_Amon-Chnouphis_. La même légende se lit également
au-dessus du même décan, représenté, comme l'Amon-Ra, gravé sur notre
planche, par un _homme à quatre têtes de bélier_, sur l'un des tableaux
astronomiques[15], copiés dans les temples de l'Égypte: enfin un
bas-relief du temple d'Esné va nous apprendre quels sont les quatre
esprits représentés par cette image symbolique, lesquels étaient censés
réunis dans Ammon-Ra, dont chacun d'eux n'était qu'une émanation.
[11] Aujourd'hui au Musée des Studj, à Naples.
[12] Le Musée royal du Louvre en possède six sous les numéros P. 22
à 27.
[13] Livre IIe, hiérogl., 140.
[14] Voir numéros planches 2, 3, et leur explication.
[15] Description de l'Égypte, A., vol. I. _Edfou_.
[Illustration: 2.3.]
AMON-RA.
(L'ESPRIT DES QUATRE ÉLÉMENTS, L'AME DU MONDE MATÉRIEL.)
PARMI les décorations du célèbre temple d'Esné, à la construction
duquel on avait cru pouvoir assigner une si prodigieuse antiquité,
mais qui doit réellement être rapportée à une époque comparativement
bien moderne, celle des empereurs depuis le règne de Claude jusqu'à
celui des Antonins, on remarque un grand bas-relief[16] dessiné par la
commission d'Égypte, et dont une partie est d'un notable intérêt pour
l'éclaircissement de la discussion présente. (Voyez l'explic. de la
planche 2.3.)
Ce tableau, sculpté et de plus de quatorze pieds de hauteur, occupe
la face intérieure d'un mur d'entrecolonnement du portique. La scène
principale représente l'empereur _Antonin_, sous le costume du dieu
_Horus_, la tête ornée de la coiffure de _Socharis_, tenant d'une main
le _fouet_ et le _pedum_, de l'autre les emblèmes des panégyries,
de la vie et de la stabilité: le naos dans lequel siége l'empereur
assis est porté par huit personnages dont quatre à tête d'épervier
et quatre à tête de schacal. Malgré l'extrême négligence avec
laquelle ont été copiées les légendes hiéroglyphiques qui couvrent
ce bas-relief, on distingue encore, dans celles qui se rapportent
aux quatre _hiéracocéphales_ et aux quatre _lycocéphales_, les mots
suivants: _Ames heureuses de la région de..... dévouées au service du
dieu Horus dans la région supérieure où il est manifesté comme son
père Ammon.--Ames heureuses de la région de..... dévouées au service
du dieu Horus dans la région inférieure où il est manifesté et roi
comme son père Chnouphis._ On remarquera que dans ces légendes, où
Antonin est assimilé au dieu Horus, les mots _ames heureuses_ ou _ames
dans la quiétude_, sont exprimés au moyen du caractère représentant
une _grue_, indiqué par Horapollon[17] et cité dans l'explication de
la planche précédente. Dans ce bas-relief, l'empereur, déja considéré
comme dieu, est servi par les ames ou les esprits inférieurs dévoués à
Horus, le prototype des souverains de l'Égypte, et on compare son règne
à celui d'Ammon, dont il est censé être le fils et le représentant
sur la terre. C'est en effet à cette grande divinité que fut dédié le
temple d'Esné, comme le prouve l'image d'Ammon-Chnouphis-Criocéphale,
sculptée au-dessus de la porte intérieure du temple[18], et qui se
reproduit dans une foule d'autres tableaux sur les diverses parties
de ce grand édifice. L'apothéose d'Antonin que nous venons de décrire
est surmontée d'un second bas-relief[19], représentant le même
empereur agenouillé et offrant l'encens à quatre divinités qui sont
adorées comme _esprits directeurs_, puisqu'on les a figurées sous la
forme de quatre _béliers_, dont la tête est ornée du serpent _uræus_,
l'emblème de la toute-puissance[20]; les légendes hiéroglyphiques,
gravées au-dessous de ces quatre béliers, nous apprennent que ce sont
là les _esprits des dieux Sôou_, _Phré_, _Atmou_ et _Osiris_. Il est
évident, lorsqu'on se pénètre de l'idée rigoureusement juste que toute
la théogonie égyptienne consiste en un système perpétuel d'émanation,
dont la conséquence la plus directe est que chaque divinité renferme
en elle-même l'esprit ou l'essence de toutes les divinités produites
par elle, et qui lui sont subordonnées; il est évident, disons-nous,
qu'_Amon-Ra à quatre têtes de bélier_ n'est qu'une image symbolique de
cet être primordial comprenant en lui-même les quatre grands esprits
recteurs du monde créé, ou, en d'autres termes, les dieux _Sôou_,
_Phré_, _Atmou_ et _Osiris_, qui président aux quatre grands agents de
la nature matérielle.
Tous ces rapprochements expliquent en même temps le sens mystique de
l'un des principaux emblèmes d'_Amon-Ra_, le _bélier_ qui se montre
sous plusieurs formes au milieu des sculptures et des peintures qui
couvrent les monuments égyptiens de tout genre.
[Illustration: 2.4.]
Notre planche 2.4[21] représente le _bélier sacré à une seule tête_
décorée du disque et de l'_uræus_. L'épervier, symbole du _soleil_,
voltige au-dessus du bélier, aux pattes antérieures duquel sont liés
des serpents _uræus_ portant la coiffure emblématique des _régions d'en
haut_; d'autres _uræus_, la tête couverte de la coiffure emblématique
des _régions d'en bas_, paraissent attachées aux pattes postérieures de
l'animal sacré, marchant sur la forme d'une _coudée_ (mesure égyptienne
de longueur), peinte en vert. Le tout repose sur un autel enrichi
d'ornements peints de diverses couleurs.
Le _bélier_, emblème d'Ammon en général[22], exprime par lui-même
l'idée _ame_ ou _esprit_[23], et les uræus symboliques fixées aux
quatre jambes de l'animal désignent assez clairement l'_esprit d'Ammon
mettant en mouvement toutes les puissances des régions supérieures
et des régions inférieures_; enfin la _coudée_ sur laquelle s'opère
ce mouvement rappelle d'une manière tropique des idées d'_ordre_, de
_régularité_, de _justice_ ou de _vérité_. L'inscription hiéroglyphique
qui accompagne ce tableau confirme pleinement ces divers aperçus;
elle répond aux mots coptes ⲡⲇϩⲓ ⲱⲛϧ ϣⲟⲣⲡ ⲛⲛⲓⲛⲟⲩϯ, L'ESPRIT VIVANT,
LE PREMIER DES DIEUX[24]. On ne saurait méconnaître ici le Jupiter
égyptien, qui, selon Manethon, était considéré comme l'esprit qui
parcourt, pénètre ou comprend toutes choses, παντων χωρουν πνευμα[25]:
C'est le GRAND ESPRIT DU MONDE INTELLECTUEL.
Mais Ammon était en même temps l'_ame du monde matériel_, sorti de
son sein, organisé, dirigé et animé par ses émanations, c'est-à-dire
par d'autres formes de lui-même; il était le principe et le moteur
des _quatre éléments_ dont se composait le monde créé. Considéré
sous ce point de vue, Ammon fut symboliquement représenté par le
_bélier à quatre têtes_, lequel exprime le grand esprit renfermant en
lui-même ceux des quatre dieux _Phré_, _Sôou_, _Atmou_ et _Osiris_,
ses émanations; c'est-à-dire les esprits ou les essences divines qui
dirigent les _quatre éléments_ dont est formé le monde matériel,
suivant la vieille doctrine égyptienne[26].
Les témoignages réunis des auteurs et des monuments nous apprennent
en effet que, considérés cosmogoniquement, le dieu _Phré_, l'_Helios_
des Grecs, et _Osiris_, représentent, le premier, le _soleil_, et par
conséquent le principe du FEU ou de la _chaleur_, et le second, le
principe _humide_ ou l'EAU personnifiée; d'un autre côté, les monuments
égyptiens prouvent, comme on le verra par la suite, que le dieu _Sôou_
préside à la zone qui s'étend de la terre à la lune, c'est-à-dire à la
zone de l'_air_, et qu'enfin la _terre_ fut placée sous la protection
immédiate du dieu _Atmou_. C'est donc avec une pleine certitude que
nous voyons dans le _bélier à quatre têtes_ une image symbolique
d'Ammon, le grand esprit élémentaire, l'ame des quatre éléments
matériels.
On remarque assez fréquemment les représentations de ce symbole
mystérieux du grand être dans les temples de la Thébaïde: nous citerons
ici en particulier deux bas-reliefs dessinés par la commission
d'Égypte, à Thèbes, au quartier du Memnonium, dans un temple dédié à
la déesse Hathôr ou Athyr, la Vénus égyptienne, par Ptolémée Évergète
IIe, et désigné sous le nom de Temple de l'Ouest par les auteurs
de la description de l'Égypte. Le premier[27] a été dessiné dans
le sanctuaire de gauche. On y reconnaît le bélier à quatre têtes,
c'est-à-dire Ammon, l'ame des quatre éléments, adoré par les déesses
_Athyr_ et _Thméi_ à droite, Isis et _Nephtys_ à gauche. Le vautour
de la déesse _Mouthis_ ou _Bouto-Neith_, épouse d'Ammon, l'emblème de
la maternité, étend ses ailes au-dessus de l'animal sacré. Un second
bas-relief[28], copié dans le même temple (et reproduit dans notre
planche 2.5 et noté A), nous montre le même bélier à quatre têtes, mais
avec des ailes éployées.
[16] _Description de l'Egypte_, Antiquités, vol I, pl. 81.
[17] Liv. II, Hiérogl. 140.
[18] _Descr. de l'Egypte_, Ant., vol. I, pl. 80, nº 4.
[19] _Idem._, pl. 81.
[20] HORAPOLLON, _Hieroglyphica_, liv. I, § 1. Voir l'explication de
la pl. précédente.
[21] Calquée sur le second cercueil d'une riche momie du Musée de
Turin.
[22] Voir la planche 2.2, et son explication.
[23] Voir l'explication de la planche précédente, 2.3.
[24] Ou, d'après les diverses acceptions du mot ϣⲟⲣⲡ, _principium
deorum_.
[25] Manethon, cité par Théodoret, tom. IV, sermo 3, pag. 512 et 513.
[26] _Dialogue d'Isis et d'Horus._ Voir STOBÉE, _Eclogarum
physicarum_, lib. I, cap. 52, pag. 973 et 974.
[27] _Description de l'Egypte_, Antiq., vol. II, pl. 35, nº 6.
[28] _Idem, ibidem_, pl. 36, nº 1.
[Illustration: 2.5.]
NEF, NOUF,
(CNEPH, _Cnouphis, Chnoubis, Ammon-Chnoubis_.)
LES noms hiéroglyphiques de ce Dieu varient souvent dans leur
orthographe, et cela sur les mêmes monuments. On trouvera les
diverses formes de ce nom sur la planche qui accompagne ce texte,
et ces variations ont toutes été connues par les Grecs, qui les ont
transcrites d'une manière plus ou moins exacte.
Le nº 2 se lit NEV ou NÉF, c'est le _Cnèph_ d'Eusèbe; les numéros 3 et 4,
NOUF ou NOUB, c'est le _Cnouph-is_ de Strabon, et le _Chnoub-is_ des
inscriptions des Cataractes; enfin, les numéros 5, 6 et 1, se lisent sans
difficulté NOUM, c'est le _Chnoum-is_ des pierres basilidiennes.
Cnèph était une des formes sous lesquelles l'ancienne Égypte adorait
le dieu Amon, le créateur de l'univers; c'est pour cela que les
images de Cnèph portent souvent, dans leur légende hiéroglyphique, le
nom d'_Amon_ ou _Amonré_ (nº 7, sur notre planche). Eusèbe, dans sa
_Préparation évangélique_ (livre III, chapitre 12), décrit les traits
sous lesquels les habitants d'Éléphantine adoraient cette grande
divinité, et la description est précisément conforme à celle que nous
allons donner de la représentation de Cnèph figurée sur notre planche.
Le dieu est assis sur son trône; sa tête est celle d'un _bélier_, et
toutes ses chairs sont _bleues_ et souvent _vertes_, comme celles
d'Amon, dont il n'est lui-même qu'une simple modification; un
grand disque, porté sur des cornes de bouc, symboles de la _force
génératrice_, surmonte sa tête, au-dessus de laquelle se dresse aussi
un grand serpent _Ureus_, emblême de la suprême _puissance de vie et
de mort_ que cette divinité exerce sur tous les êtres; sa main droite
tient le signe ordinaire de la _vie divine_, et la gauche, plus souvent
armée du sceptre des dieux bienfaisants, est ici élevée en signe de
protection.
Les habitants de la Thébaïde vénéraient principalement cette grande
divinité. «Ils refusaient même, nous dit Plutarque, de s'imposer pour
le culte ou pour les funérailles des animaux sacrés, parce qu'ils
n'adoraient aucun dieu mortel, mais celui seul qu'ils appelaient
Cnèph, qui est inengendré et immortel.»
Si l'on étudie en effet les bas-reliefs qui décorent les temples de la
Thébaïde, on acquiert bientôt la conviction que Cnèph ou Cnouphis fut
principalement adoré dans cette partie de l'Égypte la plus anciennement
habitée. C'est à Cnouphis qu'est dédié, par exemple, le grand temple
d'Esné, bâti par les Égyptiens, sous les empereurs Romains, depuis
Claude jusqu'à Antonin-le-Pieux; aussi l'image d'Amon-Cnouphis
occupe-t-elle le dessus de la porte au fond du portique; elle est
sculptée sur toutes les colonnes, et une seule face latérale de ce
même portique offre jusqu'à dix-huit bas-reliefs représentant Cnouphis
adoré par des souverains de l'Égypte. Le petit temple d'Éléphantine,
si remarquable par le goût pur de son architecture et par sa parfaite
exécution, fut également consacré au dieu Cnèph ou Cnouphis, par un
des plus illustres Pharaons de la XVIIIe dynastie, _Aménophis_ IIe,
fils de _Thouthmosis_. Ce temple, mentionné par Strabon, existe encore
presque intact; ses bas-reliefs nous montrent le Pharaon Aménophis,
successivement accueilli par le dieu principal du temple, et par toutes
les divinités de sa famille. Dans la grande salle, le roi accompagné de
sa femme, la reine _Taïa_, présente de riches offrandes devant l'arche
symbolique du dieu qui, plus loin, le reçoit dans ses bras.
Cette grande divinité, une des modifications d'Amon, fut considérée par
les Égyptiens, comme la source de tous les biens moraux et physiques;
on l'appelait spécialement le _bon Génie_ (Αγαθοδαιμων), le _bon
Esprit_; c'était le principe de toutes choses, l'esprit qui animait et
perpétuait le monde en le pénétrant dans toutes ses parties[29].
_Cnouphis_ porte, dans plusieurs inscriptions hiéroglyphiques,
une légende de laquelle il résulte que cette divinité présidait
à l'inondation du Nil. Ainsi, ce phénomène, sans lequel l'Egypte
ne serait qu'un désert aride, comme les plaines de la Libye qui
l'avoisinent, était considéré comme un bienfait spécial du _bon Génie_,
un acte de la toute-puissance de _Cnouphis_. Dans quelques bas-reliefs,
cette divinité porte les noms de NEF-RÉ, NOUF-RÉ ou NOUF-RI; et Amon
s'appelle aussi _Amon-Ré_ ou _Amonri_.
[29] EUSEB. _Præparat. Evangel._ III.--HORAPOLLON, I, 64.--IAMBLIQUE,
VIII, 5.
[Illustration: 3.]
NEF, NOUB, NOUM.
(CNÈPH, CNOUPHIS, CNOUBIS, CHNOUMIS, AGATHODAEMON.)
LES Égyptiens adoraient, sous le nom d'_Ammon-Cnouphis_, ou
d'_Ammon-Chnoubis_, l'_Esprit_ incréé, la grande Ame de l'Univers, de
laquelle émane le principe intellectuel qui communique le mouvement
et la vie à tous les êtres créés. Par le nom d'_Amon_ (Ammon), on
exprimait l'incompréhensibilité de son essence; et par les noms de
_Hnèf_ et _Hnoub_, que les Grecs ont écrits _Cnèph_, _Cnouphis_, ou
_Chnoubis_, mots qui se rapportent évidemment aux racines égyptiennes
NÈF, NÈB, NIFE et NIBE, _Flare_, _Afflare_, Πνεῖν, on voulait indiquer
que cet Être inconnu et caché était l'_Esprit_ (Πνεῦμα) qui anime et
conserve le Monde.
Cet être primordial reçut le surnom de _Bon Génie_ (Ἀγαθὸς Δαίμων),
et on le représenta symboliquement sous la forme d'un _serpent_[30].
Horapollon, confirmant le témoignage d'Eusèbe, nous apprend aussi qu'un
_serpent entier_ (ὁλόκληρον ὄφιν), était l'emblême de l'_Esprit qui
pénètre toutes les parties de l'Univers_[31].
Les archéologues ont cru jusqu'ici que le serpent, emblême du _Bon
Génie Cnouphis_, était ce reptile remarquable par la dilatation de son
corps, qui décore la coiffure des Dieux et des Rois, et se montre si
fréquemment dans les sculptures égyptiennes, soit groupé avec d'autres
symboles, soit isolé et ayant la tête ornée de diverses coiffures; mais
cet aspic, qui n'a rien de commun avec le serpent du _Bon Génie_, porta
chez les Égyptiens le nom d'Οὐραῖος (_Ouraios_)[32], mot qui, dépouillé
de la finale que les Grecs y ont ajoutée en le transcrivant, contient,
sans aucun doute, le mot égyptien OURO, _Roi_; c'est pour cela que
cet aspic fut en même temps l'emblême et l'insigne de _la Puissance
royale_; aussi les Grecs traduisirent-ils son nom par Βασιλίσκος, mot
dérivé de Βασιλεὺς, _Roi_, comme le nom égyptien lui-même.
Le Serpent du _Bon Génie_, symbole de Cnouphis l'Ame du Monde, est
figuré sur les monuments égyptiens, soit seul, soit accompagnant le
Dieu même. Il nous a été facile de le reconnaître par le moyen d'une
scène mythique, peinte dans divers manuscrits et sur les cercueils de
plusieurs momies. Le Dieu _Ammon-Cnouphis_, qui occupe dans toutes les
copies de cette scène un rang distingué, y est représenté tantôt avec
un corps d'Homme _à tête de Bélier_, tantôt sous la forme d'un énorme
_Serpent_ monté sur des jambes humaines; et, dans un beau manuscrit
du Cabinet du Roi[33], on lit, à côté du Serpent, l'inscription (nº
1 de notre planche), _Dieu Grand_, _Seigneur suprême_, ou _Seigneur
de la Région supérieure_ (PÊTPÉ), qui est la légende habituelle
d'_Ammon-Cnouphis_, et qu'on retrouve à côté de cette divinité _à tête
de Bélier_, sur ce même manuscrit, et à peu de distance de la scène où
le Dieu se montre sous la forme d'un _Serpent_.
Ce reptile, emblême du _Bon Génie_, le véritable Serpent _Agathodæmon_,
est souvent _barbu_, comme sur notre planche; on le retrouve également
barbu au revers de plusieurs médailles de Néron, frappées en Égypte;
médailles dans lesquelles, circonstance fort remarquable, cet empereur
porte le titre de _Nouvel Agathodæmon_, ΝΕΟΑΓΑΘΟΔΑΙΜΩΝ, gravé autour
du Serpent lui-même. L'inscription grecque du Sphinx donne aussi à ce
même prince le titre: Ὁ Ἀγαθὸς Δαίμων τῆς οἰκουμένης, _le Bon Génie_
(l'Agathodæmon) _de l'Univers_.
Il est rare de voir sur les grands monuments, comme sur les papyrus,
une image d'_Ammon-Cnouphis_, monté sur sa barque symbolique, sans y
retrouver aussi le _Serpent Agathodæmon_, son emblême, qui recouvre le
Dieu sous les vastes replis de son corps. Cet animal sacré est figuré
sur un très-grand nombre de pierres gravées, dites _Gnostiques_ ou
_Basilidiennes_. Le Serpent y porte des têtes variées; mais il est
constamment accompagné de son nom égyptien transcrit sous les formes
grecques, ΧΝΟVΒΙϹ, ΧΝΟVΦΙϹ et ΧΝΟVΜΙϹ.
[30] EUSÈBE, _Préparat. Evangél._ liv. I, chap. 10.
[31] Hierogl. liv. I, §. 64.
[32] HORAPOLLON, liv. I, nº 1.
[33] Acquis de M. Thédenat.
[Illustration: 3.2.]
CNOUPHIS-NILUS.
(JUPITER-NILUS, DIEU NIL.)
LA plupart des cosmogonies orientales admettent que l'_eau_ existait
antérieurement à l'organisation matérielle des autres parties du globe,
dont les germes étaient confondus et entre-mêlés dans ce fluide.
Plusieurs philosophes grecs ont aussi soutenu systématiquement que
l'eau était le principe de toutes choses; cette doctrine sortait, selon
toute apparence, des sanctuaires de l'Égypte, où elle fut professée
dans les temps même les plus reculés.
Les anciens Grecs donnaient au fluide primordial, à cette _humidité_
(Ὑγρόν) _mère_ et _nourrice_ des êtres, le nom d'Océan[34]; et
les Égyptiens, suivant le témoignage formel de Diodore de Sicile,
appelèrent ce même principe _Nil_ (Νεῖλος), dénomination directement
appliquée au grand fleuve qui arrosait leur pays[35].
Le Nil fut de tout temps, en effet, pour la terre d'Égypte, le
véritable principe créateur et conservateur: c'est au limon
annuellement apporté par ses eaux, que cette riche contrée doit
son existence[36]; c'est le Nil qui en maintient et en renouvelle
l'inépuisable fécondité; aussi ce fleuve bienfaisant fut, non-seulement
surnommé _le Très-Saint_, _le Père_ et _le Conservateur du pays_[37],
mais il fut encore regardé comme un _Dieu_[38], et eut, en cette
qualité, un culte et des prêtres[39].
Il y a plus: les Égyptiens considéraient le _Nil_ comme une image
sensible d'_Ammon-Cnouphis_, leur divinité suprême: le fleuve
n'était pour eux qu'une manifestation réelle de ce Dieu qui, sous
une forme visible, vivifiait et conservait l'Égypte. De là vient que
les Grecs, pénétrés des doctrines égyptiennes, ont appelé le _Nil_,
_le Jupiter-Égyptien_[40], et qu'Homère le qualifie de ΔΙΙΠΕΤΗΣ,
c'est-à-dire, _A Jove fluens_.
Cette antique assimilation du Nil avec le Jupiter-Égyptien,
Ammon-Cnouphis, explique d'abord quelques passages des écrivains
Grecs et Latins sur la religion de l'Égypte, et nous donne ensuite
l'intelligence d'une foule de monuments.
On comprend alors, par exemple, pourquoi Cicéron affirme que Phtha ou
le Vulcain-Égyptien, l'Hercule-Égyptien et la Minerve-Égyptienne, sont
fils du _Nil_[41], tandis que tous les autres auteurs les donnent pour
les enfants du Jupiter-Égyptien ou _Ammon-Cnouphis_. C'est dans le même
sens que Diodore nous dit que tous les Dieux Égyptiens tiraient leur
origine du Nil, Νεῖλον πρὸς ᾧ καὶ τὰς τῶν θεῶν γενέσεις ὑπάρξαι[42];
c'est enfin parce qu'il était l'image terrestre du Démiurge Égyptien,
_Cnouphis_, que le Nil reçut les beaux titres de _Sauveur de la région
d'en haut_, de _Père_ et de _Démiurge de la région d'en bas_[43].
Le grand Démiurge égyptien _Cnouphis_, considéré comme _le Nil
céleste_ et comme la source et le régulateur du _Nil terrestre_, est
très-souvent figuré dans les bas-reliefs des temples, sur les cercueils
et les diverses enveloppes des momies. Ses images ne diffèrent point
très-essentiellement de celle que nous donnons ici sous le nº 3.3.
Partout il se montre avec sa tête de Bélier et ses chairs de couleur
_verte_, quelquefois aussi de couleur _bleue_. On le distingue
uniquement à sa légende et à quelques attributs particuliers.
[Illustration: 3.3.]
Les inscriptions qui l'accompagnent ne contiennent point alors son
nom propre _Nef_, _Nouf_ ou _Noum_; elles renferment un simple surnom
dont nous avons réuni toutes les variantes sur notre planche 3.4,
numéros 1, 2 et 3. Ces groupes sont composés du caractère symbolique ou
symbolico-figuratif _Dieu_, et des deux signes phonétiques qui forment
le mot ΠΝ ou ΦΝ, qui se rapporte aux racines égyptiennes ou coptes
ΠΩΝ ou ΦΩΝ, ΠΕΝ ou ΦΕΝ, _fundere_, _effundere_, mots primitifs d'où
dérivent aussi les racines redoublées ΦΟΝΠΕΝ et ΦΕΝΦΩΝ, _superfluere_,
_redundare_. Il est évident que les groupes hiéroglyphiques précités
signifient _Deus effundens_, ou _Deus effusus_, selon que nous
lirons _Noute_-PHON ou _Noute_-PHÊN, en suppléant la voyelle omise,
comme à l'ordinaire, dans la transcription hiéroglyphique de ces mots.
Quoi qu'il en soit, l'une et l'autre de ces qualifications conviennent
parfaitement à Chnouphis considéré soit comme l'auteur du Nil, soit
comme le Nil lui-même.
Le sens de cette légende est d'ailleurs, pour ainsi dire, développé
et expliqué par l'image de _Cnouphis-Nilus_, reproduite sur notre
planche 3.3, d'après les peintures d'une superbe momie appartenant à M.
Durand. Le Dieu du Nil est assis sur un trône; sa tête est surmontée de
cornes de Bouc, et il tient dans sa main un _grand vase_ d'où sortent
deux filets d'eau; l'un est recueilli par un Égyptien agenouillé qui
s'en abreuve, l'autre tombe sur des fleurs et des fruits placés sur un
autel. C'est le même _vase_ que, selon Eusèbe, les Égyptiens plaçaient
à côté des images de Cnouphis[44], et que nous retrouvons, en effet,
parmi les attributs de ce Dieu, sur une foule de monuments: c'est aussi
un _vase_ que les Égyptiens ont constamment employé pour écrire en
hiéroglyphes phonétiques, les divers noms de Cnouphis[45].
Les grands monuments de l'Égypte nous offrent aussi habituellement,
parmi les attributs qui accompagnent les images, soit figuratives,
soit symboliques d'Ammon-Cnouphis, _trois grands vases_ portés sur
de petites constructions en bois, encore en usage dans le pays.
Nous citerons, à ce sujet, des bas-reliefs copiés par la Commission
d'Égypte dans les appartements de granit du palais de Carnac[46]; dans
deux d'entre eux, _les trois vases_ sont placés à côté de l'_Arche_
symbolique du Dieu, recouverte d'un voile, mais reconnaissable aux
têtes de _Bélier_ surmontées de l'Uræus dressé, qui décorent la poupe
et la proue du vaisseau ou _Bari_ sacrée; sur un troisième bas-relief,
ces _vases_ sont reproduits dans la légende hiéroglyphique de
l'_Arche_; légende qui, comme celle des deux autres, commence par le
nom divin d'_Amon_ ou d'_Amon-ra_, appellation et forme primordiales
de _Cnouphis_. Ces trois _vases_, surmontés de tiges et de fleurs de
lotus, sont également placés à côté de l'_Arche de Cnouphis_ dans le
principal bas-relief du temple de ce Dieu à Eléphantine[47], monument
élevé sous le règne du Pharaon Aménophis II, de la dix-huitième
dynastie. (Voyez pl. 3.3, lég. nº 2.)
Ce groupe de _trois vases_ était le symbole du plus grand des bienfaits
du Démiurge, et du fleuve son image terrestre, envers la terre
d'Égypte. «Les Égyptiens, dit Horapollon, pour exprimer l'_inondation_
du Nil, appelée _Noun_ en langue égyptienne, peignaient TROIS GRANDS
VASES (τρεῖς ὑδρίας μεγάλας). _Le premier_ de ces vases représente
l'eau que l'Égypte produit d'elle-même; _le second_, celle qui vient
de l'Océan en Égypte, au temps de l'inondation, et _le troisième_, les
eaux des pluies qui, à l'époque de la crue du Nil, tombent dans les
parties méridionales de l'Éthiopie[48].»
Ce passage important d'Horapollon nous dévoile en même temps le sens de
l'un des titres les plus habituels de Cnouphis, celui de _Seigneur de
l'Inondation_, titre dont on peut voir les variantes hiéroglyphiques,
planche 3.3, numéros 3, 4, 5 et 6.
Ainsi, il est évident qu'Ammon-Cnouphis fut, sous certains rapports,
identifié avec le Nil, et que ce personnage mythique est le _Jupiter
Nilus_, le Dieu Nil, mentionné par les Grecs. Cela explique aussi
pourquoi _Cnouphis_ est le premier et le plus grand des Dieux adorés
aux Cataractes[49], lieu où le fleuve sacré, se faisant un passage à
travers les rocs de granit, entre sur la terre d'Égypte pour y porter
la vie et l'abondance.
_Cnouphis-Nilus_ est représenté sous une forme humaine avec une tête de
Bélier à cornes de Bouc, soit dans les bas-reliefs des temples, soit
sur la plupart des cercueils de momies, et principalement parmi les
sculptures des sarcophages de granit ou d'albâtre trouvés à Thèbes ou
à Memphis. Les cornes de Bouc sont quelquefois surmontées du disque;
souvent aussi le Dieu est placé sur une barque; il est accompagné de
l'une des légendes hiéroglyphiques _Deus effundens_ ou _Deus effusus_,
_Deus magnus effusus_, ou enfin de la légende gravée planche 3.3, nº 1,
_Vindex Ægypti Deus magnus effusus_.
Les mêmes légendes se trouvent tout aussi souvent inscrites à côté
d'un scarabée ayant deux grandes ailes déployées, mais dont la tête,
celle d'un Bélier de couleur verte, est surmontée de deux cornes de
Bouc portant un disque flanqué de deux uræus ornés de la croix ansée.
Ce scarabée est donc l'image symbolique du Dieu _Cnouphis-Nilus_; la
tête de Bélier indique la suprématie du Dieu; sa qualité de _père_ et
sa faculté éminemment _génératrice_ sont exprimées par le Scarabée
et les cornes de Bouc; les autres signes, communs à plusieurs Dieux,
sont l'expression tropique de la _royauté_ et de la _vie_, qualités
inhérentes aux essences divines.
Cette image emblématique de _Cnouphis-Nilus_ (pl. 3.4), a été calquée
sur une momie de la riche collection de M. Durand.
[34] DIODORE de Sicile, Hist. Biblioth. liv. I, p. 12, D. Édit.
Rhodoman.
[35] IDEM, _Ibid._
[36] THÉOPHRASTE, _voyez_ PORPHYRE, _de Abstinentiâ_, lib. II, §. 5.
[37] HERMÈS, Dialogue intitulé _Asclepius_.
[38] _Décret des habitans de Busiris_, voyez _Recherches pour servir
à l'Histoire de l'Égypte_, par M. Letronne, p. 392, 397.
[39] _Voyez_ JABLONSKY, _Pantheon Ægyptiorum_, lib. IV, cap. I.
[40] PIND., PYTH. IV; Parmenon de Byzance, _apud Athen._ V, p. 203,
_c_.
[41] CICÉRON, _de Naturâ Deorum_, lib. III, §. 16, 21 et 22.
[42] DIODORE de Sicile, Hist. Bibl., lib. I, p. 12.
[43] Τῆς μὲν ἄνω σωτῆρα, τῆς κάτω δὲ καὶ πατέρα καὶ Δημιουργὸν.
HÉLIODORE, _Æthiopicorum_, lib. IX, p. 444, c. 20, Edit. de J. Comelin.
[44] EUSÈBE, Préparat. évangéliq., liv. III, chap. 12.
[45] Voyez _suprà_, planche 3.
[46] _Descript. de l'Egypte, Antiqu._ vol. II, pl. 34, nº 1.
[47] _Idem_, v. I, pl. 37, nº 2.
[48] HORAPOLLON, Hiéroglyp., lib. I, §. 21, pag. 36 et 38, Édit. de
Pauw.
[49] Voyez _Recherches pour servir à l'Histoire d'Egypte_, par M.
Letronne, pag. 367, 368, etc.
[Illustration: 3.4.]
AMON-GÉNÉRATEUR, MENDÈS;
(PAN, PRIAPE.)
L'IMAGE du dieu figuré dans cette planche, est très-multipliée sur les
édifices religieux de Thèbes et du reste de l'Égypte. Elle occupe le
sanctuaire de Karnac, le plus magnifique des monuments de l'ancienne
capitale; les hommages et les adorations dont cette image est l'objet,
prouvent qu'elle représente une des plus grandes divinités Égyptiennes.
Ses chairs sont de couleur bleue, et sa coiffure est surmontée de
deux longues plumes peintes de diverses couleurs, comme celle du dieu
_Amon-Ré_ (pl. 1.); une longue bandelette[50] s'échappe de cette même
coiffure et pend jusques aux pieds de l'une et de l'autre divinité; et
ces similitudes se trouvent complétées par la ressemblance de leurs
légendes hiéroglyphiques; celle (nº 1) du dieu qui fait le sujet de cet
article, signifie, _le dieu Amon_ (Ⲁⲙⲛ ⲛⲟⲩⲧⲉ.) _seigneur des régions du
monde_, et ne diffère de celle du Démiurge _Amon-Râ_ ou _Amon-Ré_ (pl.
1.), que par l'absence de la dernière syllabe RA.
Les planches numérotées 1 et 4, offrent donc la représentation d'une
seule et même divinité, _Amon_, _Amen_, _Amoun_ ou _Ammon_, considérée
sous deux points de vue différents. Le Démiurge, la Lumière éternelle,
l'Être premier qui mit en lumière la force des causes cachées, se nomma
AMON-RA ou AMON-RÊ (_Amon-Soleil._), (pl. 1, 2, et 5.); et ce créateur
premier, l'esprit démiurgique, procédant à la génération des êtres,
s'appela _Amon_, et plus particulièrement _Mendès_: cette planche
représente le Démiurge générateur, caractérisé d'une manière spéciale,
et qui ne permet aucune incertitude.
Étienne de Byzance[51] parle en ces termes de la statue du dieu qu'on
adorait à Panopolis: «Là, existe, dit-il, un grand simulacre du dieu,
_habens veretrum erectum_. Il tient de la main droite un fouet pour
stimuler la Lune; on dit que cette image est celle de Pan.» C'est là
une description exacte et très-détaillée de l'Ammon-Générateur, figuré
sur notre planche.
On voit donc ici l'image de la grande divinité que les Grecs
confondirent avec leur _Pan_, parce que les Égyptiens avaient choisi
pour son emblême _le bouc_[52], animal qui, d'après Horapollon[53],
était le symbole de la génération et de la fécondité. Ce bouc sacré,
nourri dans une des principales villes de la Basse-Égypte, portait le
nom de _Mendès_, qu'on a attribué également au dieu lui-même[54].
_Amon-Mendès_, ou l'esprit générateur de l'Univers, était censé
stimuler la Lune avec le fouet placé dans sa main, parce que, d'après
la doctrine Égyptienne, le dieu _Lune_ répandait et disséminait dans
les airs les germes de la génération des êtres[55], et présidait aux
ames qui devaient successivement leur communiquer le mouvement et la
vie. Des chapelles d'_Amon-Générateur_, le Pan Égyptien, existaient
dans toutes les parties de l'Égypte, et les membres de la caste
sacerdotale étaient d'abord initiés à ses mystères[56].
Les grands monuments de l'Égypte offrent de très-nombreux bas-reliefs
dans lesquels les rois, de toutes les époques, sont figurés présentant
leurs vœux et leurs offrandes à _Amon-Générateur_; à Médinet-Abou, par
exemple, on voit successivement le Pharaon Ramsès-Mei-Amoun se rendre
en palanquin au temple du Dieu, accompagner à pied sa statue portée par
vingt-quatre prêtres, et, la ramenant dans le temple, lui faire hommage
des prémices de la moisson.
La légende marquée (nº 2) sur la planche est le nom du Dieu exprimé
en caractères _symboliques_. Le nº 3 est la forme _hiératique_ de la
légende nº 1.
[50] Consulter, sur l'usage de ce cordon ou bandelette, Hérodote,
liv. II, §. 48, et la planche 11 de la Description de l'Égypte, Ant.,
vol. II.
[51] _De Urbibus_, au mot Πανὸς πόλις.
[52] HÉRODOTE, II, §. 46.
[53] HORAPOLLON, liv. II, nº 48.
[54] HÉRODOTE, _Id._--SUIDAS, au mot Μένδης.
[55] PLUTARCH. _de Iside et Osiride_.
[56] DIODORE, liv. I.
[Illustration: 4.]
AMON-RÉ, ROI DES DIEUX.
LE personnage symbolique, occupant la partie inférieure de la planche
nº 5, est fort rarement reproduit sur les monuments Égyptiens de
toutes les époques. Il est tiré, ainsi que sa légende, et les diverses
couleurs qui couvrent les membres variés dont il se compose, d'un
fragment de manuscrit sur toile appartenant à M. Dubois.
La légende hiéroglyphique, placée à la gauche du personnage, n'est
qu'une abréviation d'une légende entière, et qui se lit ⲁⲙⲛ ⲣⲏ-ⲥⲧⲛ
ⲛⲛⲉⲛⲟⲩⲧⲉ et signifie _Amon-Ré, roi des dieux_. Nous avons donc ici une
nouvelle forme consacrée à la représentation du Démiurge ou créateur
de l'univers; mais cette image du dieu suprême doit être classée parmi
celles que, en termes d'archéologie, on a nommées figures _panthées_,
soit qu'elles présentent, réunis dans un seul être, les symboles
particuliers à un grand nombre de divinités différentes, soit, ce qui
est plus naturel et qui s'applique particulièrement à notre gravure,
qu'elles offrent la réunion de tous les symboles et de toutes les
formes propres à une seule et même divinité. On ne connaissait point
jusque-là de figure _panthée_ Égyptienne.
On retrouve, en effet, dans celle-ci, la tête humaine avec les deux
longues plumes, et le sceptre, de l'image ordinaire d'_Amon_ (pl.
1.); les têtes _de bélier_, le _disque_ et les _cornes de bouc_
d'_Amon-Cnouphis_ ou _Cnèph_ (pl. 3.); le bras droit armé du _flagrum_
ou _fléau_, et le _phallus_ de l'_Amon-Générateur_ (pl. 4.); le
scarabée qui forme son torse; le sceptre composé de la croix ansée
et de ce qu'on appelle un nilomètre, l'un emblême de la vie divine,
l'autre de la _stabilité_, se rapportent à _Phtha_, le premier être
créé, la première émanation d'Amon-Cnouphis.
Les quatre ailes horizontales sont celles du scarabée, symbole de la
génération, du monde et de la paternité; les ailes inclinées sont
celles de l'épervier, dont le corps est annexé au scarabée; une
queue de crocodile est entre l'épervier et la queue d'un lion, dont
les pattes portent le personnage entier. Cette figure représentant
Amon-Cnouphis, l'esprit qui pénètre, parcourt et vivifie les
différentes parties de l'univers, il était convenable de composer
son image symbolique des diverses classes d'êtres qu'anime son
souffle créateur. On y remarque, en effet, un épervier, un lion et
un crocodile; c'est-à-dire un type des trois classes d'animaux qui
peuplent les airs, la terre et l'eau.
Les deux plumes de la coiffure sont surmontées de deux serpents à
tête de lion, qui laissent échapper deux jets de lumière, représentée
par une suite de petits triangles, qui servent en quelque sorte
d'encadrement à la figure Panthée. Ces serpents se rapportent, sans
aucun doute, aux quatre déesses à tête de lion, qui versent aussi
la lumière, compagnes ordinaires d'_Amon-Ré_ dans plusieurs scènes
symboliques. Il en sera question dans la partie du Panthéon relative
aux animaux sacrés et aux emblêmes des dieux.
Amon-Ré est figuré selon la forme A de notre cinquième planche, sur un
bas-relief de Thèbes[57]; c'est un abrégé de la précédente.
Une troisième figure Panthée d'_Amon-Ré_, à peu près semblable à la
première, décore la partie antérieure du fameux torse égyptien du Musée
Borgia, qui appartient aujourd'hui à la propagande; elle porte la
simple légende, SEIGNEUR SUPRÊME; la face humaine du dieu est flanquée
de plusieurs têtes d'animaux différents; on y remarque celle d'un
taureau, d'un lion, d'un bélier, d'un crocodile et d'un épervier. Cette
réunion d'êtres si différents de nature, pour représenter la puissance
démiurgique, s'explique par l'idée que les Égyptiens se formaient de
Dieu: «Ils le considéraient comme la cause première de la génération,
le principe de la nature entière, comme un être antérieur à toutes
choses, et qui _comprend toutes choses en lui-même_[58].»
Le titre le plus ordinaire des rois Égyptiens, et des grands personnages,
fut celui de _consacré à Amon-Ré, roi des dieux_, ou de _purifié par
Amon-Ré, roi des dieux_. C'était la divinité protectrice des Pharaons,
celle qui recevait leurs plus riches offrandes, et à laquelle ils
consacrèrent les plus beaux monuments.
[57] Description de l'Égypte, Antiquités, vol. III, pl. 64.
[58] IAMBLIQUE, Mystères des Égyptiens, sect. VII, chap. 2.
[Illustration: 5.]
NÈITH,
(L'ATHÈNE, OU LA MINERVE ÉGYPTIENNE.)
LA divinité qui porta les noms _d'Amon_, _Amon-Ré_, _Cnèph_ ou
_Cnouphis_, fut, comme on a pu le voir, le principe générateur _mâle_
de l'univers. Les Égyptiens symbolisèrent, dans le personnage de
_Nèith_, le principe générateur _femelle_ de la nature entière.
Ces deux principes, étroitement unis, ne formaient qu'un seul tout dans
l'être premier qui organisa le monde. De là vient que les Égyptiens
considéraient _Nèith_ comme un être à la fois _mâle et femelle_[59]
(αρσενοθελυς), et que le nom propre de cette divinité exprimait en
langue Égyptienne, comme nous l'apprend Plutarque, l'idée: _Je suis
venue de moi-même_[60].
La déesse _Nèith_ occupait la _partie supérieure du ciel_[61].
Inséparable du _Démiurge_, elle participa à la création de l'univers,
et présidait à la génération des espèces; c'est la force qui meut
tout[62].
Le culte de cette divinité, général dans toute l'Égypte, comme les
monuments le prouvent, était spécialement pratiqué dans la ville
principale de la Basse-Égypte, à Saïs, où résidait un collége de
prêtres. Le temple de la déesse portait l'inscription fameuse: _Je
suis tout ce qui a été, tout ce qui est, et tout ce qui sera; Nul
n'a soulevé le voile qui me couvre; Le fruit que j'ai enfanté est le
Soleil_[63]. Il serait difficile de donner une idée plus grande et plus
religieuse de la divinité créatrice.
_Nèith_ était le type de la force morale et de la force physique. Elle
présidait à la sagesse, à la philosophie, et à l'art de la guerre[64];
c'est pour cela que les Grecs crurent reconnaître, dans la _Nèith_
de Saïs, leur _Athène_, la _Minerve_ des Latins, divinité également
protectrice à la fois, et des sages, et des guerriers.
Les Égyptiens consacrèrent à _Nèith_ le _vautour_, animal qui, dans
leurs idées, fut le symbole fixe, et du _sexe féminin_, et de la
_maternité_[65]. Cet emblême se rapportait parfaitement à la déesse
Nèith, le _principe femelle_ de l'univers, à la déesse _mère_ de tous
les êtres créés.
Les monuments Égyptiens nous montrent _Nèith_ debout, ou assise sur
un trône, à côté d'Amon-Ré, le premier principe mâle. La déesse, dont
les chairs sont parfois peintes en bleu comme celles de son époux,
mais plus ordinairement en jaune, comme toutes les femmes figurées sur
les bas-reliefs Égyptiens, a pour coiffure un _vautour_, les ailes
déployées, oiseau qui lui était spécialement consacré. Il est surmonté
du _Pschent_, coiffure royale, emblême de la toute-puissance. La
tunique, formée de plumes, est soutenue par des bretelles qui passent
sous un riche collier. Quatre bracelets ornent les bras de la déesse;
les parties inférieures de son corps sont recouvertes par les replis de
deux grandes ailes de vautour. L'emblême de la vie divine est dans sa
main droite; la gauche porte le sceptre terminé par les fleurs de lotus
épanouies, sceptre commun à toutes les déesses Égyptiennes.
La légende ordinaire de _Nèith_ est celle qui accompagne son image
dans notre planche. Son nom est formé du segment de sphère, T,
_article féminin_ de la langue Égyptienne, et encore du _vautour_,
emblême et première lettre du mot _Mère_ (_Mou_ ou _Mout_), en
écriture hiéroglyphique. Cette légende abrégée se lit ⲧⲙⲟⲩ ⲛⲏⲃ ⲙⲡⲧⲡⲉ
et signifie: LA MÈRE, _dame de la région supérieure_. Les monuments
sont donc parfaitement d'accord avec Horapollon, qui dit formellement
aussi[66] que les Égyptiens voulant écrire _Athène_ (_Nèith_),
peignaient un _vautour_, et, de plus, que cette déesse présidait à
l'_hémisphère supérieur du ciel_.
Comme protectrice des guerriers, _Nèith_ se montre sur les bas-reliefs
de Thèbes, recevant l'hommage des rois conquérants, qui conduisent à
ses pieds les étrangers vaincus. C'est devant les images colossales de
_Nèith_ que les rois vainqueurs, sculptés sur les pylones des grands
édifices, semblent frapper un groupe confus de prisonniers élevant
leurs bras suppliants; c'est enfin le _vautour de Nèith_, portant dans
ses serres l'emblême de la victoire, qui plane au-dessus de la tête des
héros Égyptiens, pendant le combat, et après la victoire, comme dans la
cérémonie de leur triomphe.
[59] HORAPOLLON, liv. I, hierog. 13.
[60] PLUTARCH. _de Iside et Osiride_.
[61] HORAPOLLON, liv. I, hierog. 12.
[62] PROCLUS, _in Timæum_.
[63] PLUTARCH. _de Iside et Osiride_.--PROCLUS, _in Timæum_.
[64] PROCLUS, _idem_.
[65] HORAPOLLON, liv. I, hierogl. 11.
[66] _Idem_, hierogl. 12 et 13.
[Illustration: 6.]
NÉITH GÉNÉRATRICE.
(PHYSIS, ATHÉNÈ, MINERVE.)
L'IMAGE symbolique de _Néith_, la _mère universelle_, que nous avons
donnée dans une planche précédente[67], présente cet être divin décoré
de tous ses attributs; ses trois têtes diverses, et les pieds de lion
servant de support à un corps de forme humaine qui réunit les deux
sexes, nous avertissent assez que les Égyptiens ne s'occupèrent jamais
à captiver l'œil ni par la recherche ni par la convenance de formes;
leur sculpture et leur peinture _sacrées_ s'attachèrent constamment
à parler à l'esprit, et combinèrent les signes sans considérer si
l'ensemble qui en résultait fût ou non conforme à la belle nature, qui
n'était point, comme chez les Grecs, le but spécial de leur imitation.
Ce fait, que tout concourt à démontrer, ne doit point être perdu de vue
dans l'étude des monuments figurés de la vieille Égypte.
Ces alliances de portions rapprochées de divers animaux, appartiennent
en quelque sorte à la _grande écriture sacrée_; et quelque monstrueuses
qu'elles paraissent à nos yeux, la main qui les traça n'accordait
rien au hasard ni au caprice; elle était constamment guidée par des
règles invariables: les formes à donner aux images de chaque divinité
de l'Égypte furent fixées dès le commencement même de l'institution
religieuse: les représentations propres à chaque dieu sont absolument
semblables, et dans les temples élevés sous les rois, dix-neuf cents
ans avant notre ère, et dans les édifices sculptés sous les empereurs
Antonin, Marc-Aurèle et Commode.
Cette persistance dans les mêmes formes et pendant une si longue
série de siècles ne doit nullement surprendre, si nous disons que
les _livres sacrés_ de l'Égypte contenaient expressément le détail
très-circonstancié des formes sous lesquelles les sculpteurs et les
peintres furent tenus de représenter les différentes divinités. C'est
en étudiant le _grand rituel funéraire_, composition très-étendue,
dont on trouve des copies plus ou moins complètes dans la main de la
plupart des momies, ou dans le cercueil qui les renferme, que nous
avons été conduits à constater ce fait curieux.
C'est principalement dans la _troisième_ et dernière partie du _rituel
funéraire_ (dont il existe plusieurs copies complètes[68], soit en
hiéroglyphes, soit en écriture hiératique, parmi les manuscrits
égyptiens du Musée de Turin), qu'on rencontre ces descriptions pour
ainsi dire _officielles_ des représentations convenues de divers
dieux ou déesses. Cette dernière portion du rituel, relative aux plus
grandes divinités de l'Égypte, et qui renferme les litanies des dieux,
leurs noms les plus mystiques et leurs attributs les plus saints,
nous offre entre autres les descriptions des images symboliques
d'_Ammon-Panthée_[69], de _Chnouphis_[70], de _Phtha-Patæque_[71],
et de la _Néith-Génératrice_[72], figurée sur notre planche 6.3.
La planche ci-jointe[73] contient le texte hiéroglyphique qui s'y
rapporte, et dont nous avons pris soin de séparer les mots, afin qu'il
soit plus facile d'en suivre la traduction littérale que nous donnons
ici:
_«Ceci est la figure de la divine mère; elle a trois têtes; sur la
tête de lionne, elle a les deux palmes: de plus, sur la tête de forme
humaine, elle a les deux parties de la coiffure Pschent; de plus, sur
la tête de vautour, elle a les deux palmes[74]; en son lieu, elle
porte le phallus; elle a deux ailes, et en leur lieu des pattes de
lion.»_
[67] Pl. 6.3.
[68] Le grand _rituel_ hiéroglyphique du Cabinet du Roi à Paris est
incomplet: il contient seulement la 2e partie de ce livre mortuaire.
[69] Figuré sur notre planche 5.--_Rit. funéraire_, IIIe partie,
sect. III, formule 20.
[70] _Rituel funéraire_, IIIe partie, sect. III, formule 20.
[71] _Rit. funér._, id., id.
[72] _Rituel funéraire_, IIIe partie, sect. III, formule 19.
[73] Planche 6.2, nº 1.
[74] La troisième tête de la déesse, celle de vautour, est coiffée
de la portion inférieure du _Pschent_ dans notre planche 6.3,
extraite du rituel funéraire rapporté par Belzoni; mais le rituel
de Turin la montre coiffée des _deux palmes_, conformément au texte
hiéroglyphique.
[Illustration: 6.2.]
NÈITH GÉNÉRATRICE.
(ATHÈNE, PHYSIS, MINERVE.)
SELON les débris de la doctrine Égyptienne, épars dans les écrits
des derniers Platoniciens et dans les livres Hermétiques, la déesse
_Nèith_, ou la Minerve Égyptienne, ne formait qu'un seul tout avec
le Démiurge Amoun, à l'époque même qui précéda la création des ames
et celle du monde physique. C'est en la considérant dans cet état
d'absorption en l'Être premier, que les Égyptiens qualifièrent _Nèith_
de divinité à la fois mâle et femelle. Le monde étant composé de
parties mâles et de parties femelles[75], il fallait bien que leurs
principes existassent dans le dieu qui en fut l'auteur. Aussi, lorsque
le moment de créer les ames et le monde arriva, Dieu, suivant les
Égyptiens, _sourit, ordonna que la nature fût, et, à l'instant, il
procéda de sa voix un être femelle parfaitement beau_ (c'était la
nature, le principe femelle, _Nèith_.), _et le Père de toutes choses
la rendit féconde_[76]. On retrouve dans cette naissance de _Nèith_,
émanation d'Ammon, la naissance même de l'Athène des Grecs, sortie du
cerveau de Zeus.
Notre planche représente _Nèith, mâle et femelle_, la déesse
Ἀρσενόθηλυς d'Horapollon[77]. La tête centrale de femme est celle même
de la déesse (voyez pl. nº 6.), surmontée de la coiffure _Pschent_,
emblême de la domination sur les régions supérieures et inférieures; la
tête de gauche est celle d'un _vautour_, symbole de la _maternité_ et
du principe _femelle_; et celle de droite, qui est une tête de _lion_,
caractérise _la force_. Proclus nous apprend, en effet, que _Nèith_
était regardée par les Égyptiens, comme _la force de la nature qui meut
tout_[78]. La déesse étend ses bras auxquels sont attachées deux ailes
immenses, ce qui caractérise parfaitement encore la Minerve Égyptienne,
qui, selon Athénagore, était un _esprit étendu en tous lieux_[79]. Le
corps de _Nèith_, couvert d'une tunique soutenue par deux bretelles,
est celui d'une femme auquel est adapté le signe spécial du principe
mâle; des pieds de lion portent cette image panthée de _Nèith_, comme
l'image panthée du Démiurge _Amon-Râ_ (voyez pl. nº 5).
Cette singulière représentation de _Nèith_, mâle et femelle, se trouve
plus ou moins complète dans les peintures des grands manuscrits
hiéroglyphiques. La légende (A) qui s'y rapporte, signifie simplement
LA MÈRE; ailleurs, _le vautour_, caractère principal de ce nom, et
l'emblême spécial de la déesse, est combiné avec le fouet (B), ou suivi
de plusieurs autres signes (C) qui formaient la légende Ⲧⲙⲁⲩ ⲧϫⲣ ⲛⲏⲃ,
_Mater magna Domina_. Il est évident qu'un des noms hiéroglyphiques
de _Nèith_, composé du _vautour_ et du _scarabée_, nom expressément
indiqué par Horapollon[80], se rapportait à _Nèith_ Ἀρσενόθηλυς; ces
deux caractères exprimaient, en effet, le premier le _sexe féminin_ et
la _maternité_, le second le _sexe masculin_ et la _paternité_.
La croyance populaire voulait que _Nèith_ eût été l'inventrice de
l'art de filer[81]; c'est là une nouvelle conformité entre la déesse
Égyptienne et l'Athène des Grecs. La troisième grande fête des
Égyptiens était célébrée à Saïs, et dans toute l'Égypte, en l'honneur
de _Nèith_; pendant cette nuit solennelle, chacun allumait en plein
air des lampes autour de sa maison; cette fête porta le nom de _Fête
des lampes ardentes_, et l'on donnait une raison sainte de ces
illuminations[82].
C'est d'un très-beau manuscrit égyptien hiéroglyphique rapporté
d'Égypte par le courageux voyageur Belzoni, que nous avons extrait
l'image de _Nèith_-Panthée, figurée sur cette planche. D'autres
manuscrits ne donnent à la déesse, toujours mâle et femelle, que la
tête seule de lion.
[75] HORAPOLLON, liv. I, nº 12.
[76] HERMÈS, _liber sacer_, apud JOAN. STOB. _Eclog._ lib. I.
[77] HORAPOLLON, liv. I, nº 13.
[78] PROCLUS, _in Timæum_ PLAT., p. 30.
[79] ATHENAGOR. _Legat. pro Christian._, p. 24, B.
[80] HORAP. liv. I, nº 12.
[81] EUSTATHE, sur Homère, _Iliade_ I.
[82] HÉRODOTE, II, §. 63.
[Illustration: 6.3.]
NEITH CRIOCÉPHALE.
(AMMON FEMELLE, AMMON-LUCINE.)
ON a recueilli l'image de la divinité gravée sur cette planche,
parmi les scènes d'adorations sculptées sur les parois intérieures
des murailles d'un monument isolé à Calabsché, dans la Nubie[83].
L'existence de cette déesse à tête de bélier sur l'un des bas-reliefs
de ce temple, nous paraissait d'abord douteuse. L'artiste aurait pu
facilement, en effet, se méprendre en exagérant le contour du sein,
dans la supposition que cette figure fût réellement un _Ammon_ sur
le monument original: mais le sceptre terminé par une fleur épanouie
de lotus, et la tunique descendant jusques à la cheville du pied, ne
laissent aucun doute sur le véritable sexe de cette divinité. C'est
bien réellement une déesse; et il était d'autant plus important de
constater le fait, qu'aucun autre monument ne reproduit, à notre
connaissance du moins, la combinaison symbolique d'une tête de bélier
sur un corps de femme. Il est fort à regretter que l'artiste ait
négligé de copier les légendes hiéroglyphiques qui accompagnent la
représentation de la déesse: nous connaîtrions plus positivement le
nom et les attributions de cette divinité criocéphale. Des caractères
certains ne permettent cependant point de douter que nous ne devions
voir ici une des formes de Néith, considérée mystiquement comme
la _moitié du grand être_, Ammon; ou, ce qui revient au même en
d'autres termes, le principe femelle de l'univers uni dans Ammon au
principe mâle, ce premier des êtres les renfermant tous les deux
primordialement[84]. C'est, sans aucun doute, à cette forme mystique
d'Ammon-Néith, que s'appliquait le nom de ⲧⲁⲙⲛ _Tamon_, inscrit à côté
de la déesse criocéphale, et que nous avons extrait du rituel funéraire
égyptien. Ce nom y est donné à la déesse Néith et signifie _Ammon
femelle_, car le nom d'Ammon ⲁⲙⲛ se montre ici affecté de l'article
féminin ⲧ.
Dans le bas-relief de Calabsché, la déesse criocéphale est représentée
adorée, en première ligne, par un souverain de l'Égypte, probablement
l'empereur Auguste[85], qui lui offre l'encens. La tête de bélier et
les chairs sont peintes en verd ou en bleu-foncé, couleurs propres
au dieu Ammon: et au-dessus de la paire de cornes supérieure de la
tête d'animal s'élève _la coiffure symbolique de la déesse_ SOVAN,
_d'Ilithya_ ou la _Junon-Lucine_ des Égyptiens, l'une des formes de
la déesse _Néith_[86]. La déesse _Sovan_ elle-même est figurée comme
divinité synthrone à la suite de Néith Criocéphale ou _Ammon-Femelle_,
que l'on pourrait nommer aussi _Ammon-Lucine_; le bas-relief suivant
représente le souverain égyptien adorant le dieu _Amon-Ra_, assisté de
Néith sous sa forme de _Mère divine_[87], coiffée du vautour surmonté
du pschent. Les sculptures de cette partie du monument se rapportent
ainsi aux deux principaux agents de la théogonie égyptienne, le
principe mâle et le principe femelle de l'univers, confondus en un même
personnage.
Il était naturel de donner aussi à Néith une tête de bélier; car le
bélier, l'animal symbolique d'Ammon, fut aussi en même temps celui de
la déesse Néith, ainsi que l'atteste formellement Proclus[88]: καὶ γὰρ
τῶν ζωδίων ὁ κριὸς ἀνεῖται τῇ θεῷ, _parmi les animaux du zodiaque_, LE
BÉLIER _est consacré à cette déesse_. Les habitants de Thèbes, la ville
d'Ammon, et ceux de Saïs, la ville de Néith, vénéraient par un culte
particulier le _bélier_, l'_agneau_ et la _brebis_, comme les emblêmes
vivants des divinités éponymes de leurs cités natales. De nombreux
témoignages de ce fait existent dans les écrits des anciens[89].
[83] GAU, _Antiquités de la Nubie_, planche 21, nº 1.
[84] Voir l'explication de la planche 6, _suprà_.
[85] La plupart des légendes hiéroglyphiques sculptées sur les
édifices les plus récents de Calabsché, se rapportent à cet empereur.
[86] Voyez les planches numérotées 28, 28.3, 28.2 et leur explication.
[87] Voyez la planche 6 et son explication.
[88] Dans son Commentaire sur le Timée.
[89] HÉRODOTE, liv. II, § XLII.--STRABON, liv. XVII, τιμῶσι Σαΐται
πρόϐατον καὶ Θηϐαΐται.--Clément d'Alexandrie, Admonitio ad gentes,
pag. 25, B et C.--THÉODORET, _Sermo III_, page 584.
[Illustration: 6.4.]
LE VAUTOUR,
EMBLÈME VIVANT DE NEITH.
LA déesse Néith ou le _principe féminin de l'univers_, devait
nécessairement avoir pour emblème propre l'animal qui, dans la croyance
commune des Égyptiens, ne comptait aucun mâle dans son espèce.
L'opinion vulgaire désigna le _vautour_. On disait, en effet, que tous
les vautours étaient _femelles_, et qu'il n'y avait point de mâle
parmi eux[90]; que pour devenir féconds, ces oiseaux s'exposaient,
pendant toute la durée des cinq jours épagomènes, à l'action du vent
du nord, suivant Horapollon; du vent du midi ou de l'est, suivant
Ælien[91]; que sa gestation durait cent vingt jours; qu'il nourrissait
ses petits pendant cent vingt autres jours; qu'il se préparait enfin à
une nouvelle gestation pendant une troisième période d'une égale durée;
de sorte qu'en y comprenant les cinq jours épagomènes consacrés à sa
fécondation, cet oiseau distribuait régulièrement et d'une manière
fixe les 365 jours dont se composait l'année civile des Égyptiens[92].
On croyait aussi que le vautour donnait souvent le plus touchant
exemple de tendresse maternelle, en se déchirant le sein pour nourrir
ses petits de son propre sang, lorsqu'il ne trouvait rien pour leur
subsistance[92].
De là vient que, contre l'opinion de toutes les nations occidentales,
qui ne citent du vautour que sa féroce voracité, cet oiseau fut choisi
par les Égyptiens pour le symbole du premier principe femelle, de
la mère commune de tous les êtres, de la déesse Néith, qui, sur les
monuments égyptiens, ne porte jamais d'autre nom dans ses légendes
sacrées, que celui de DÉESSE-MÈRE ou de GRANDE-MÈRE, noms que l'on
trouve également inscrits à côté du vautour son emblème spécial[93].
Enfin, l'image de ce même oiseau est devenue, pour cela même, le signe
de l'idée MÈRE dans l'écriture hiéroglyphique.
D'un autre côté, Néith ou l'Athène égyptienne fut aussi, comme celle
des Grecs, la protectrice des guerriers. Sous ce second rapport,
le _vautour_ devait encore devenir son symbole, puisque, suivant
les Égyptiens, cet oiseau de proie, doué d'une certaine prescience,
marquait sept jours à l'avance et circonscrivait même le lieu qui
devait servir de champ de bataille à deux armées; il faisait face
pendant le combat à l'armée qui devait éprouver la plus grande
perte. Aussi les anciens rois d'Égypte envoyaient-ils, dit-on, avant
d'en venir aux mains, des explorateurs pour observer de quel côté
se tournaient les vautours fatidiques[94]. Les plus anciens Grecs
paraissent avoir eu des préjugés semblables. Hérodote de Pont dit, du
moins, qu'Hercule était ravi quand un vautour se montrait à lui au
commencement d'une expédition militaire[95].
Le symbole de Néith, déesse dispensatrice de la victoire, le _vautour_,
la tête ornée de diverses coiffures, les ailes éployées et tenant dans
ses serres des insignes de la Victoire, est toujours figuré, sur les
bas-reliefs des temples, planant au-dessus de la tête des souverains de
l'Égypte faisant des offrandes aux dieux ou conduisant à leurs pieds
des ennemis vaincus[96]; ailleurs, il ombrage de ses ailes le Pharaon
Thouthmosis que reçoivent dans leurs bras la déesse Néith, le dieu
Amonra[97], et le Pharaon Ramsès-Meiamoun, grand-père de Sésostris,
soit dans ses combats, soit dans la pompe de son triomphe, représentés
sur les bas-reliefs du palais de Medinetabou à Thèbes[98]; enfin, le
plafond de la porte triomphale du sud à Karnac est orné de 18 vautours,
portant l'emblème de la Victoire[99], et semblables à celui qui est
figuré sur notre planche 6.5, tiré des bas-reliefs du tombeau royal
découvert par Belzoni.
[90] ÆLIAN. de Natura animal. lib. II, cap. 46.--HORAPOLLON,
hiéroglyph. lib. I, §. 11.
[91] _Idem. Ibidem._
[92] HORAPOLLON, lib. I, §. 11, pag. 22. Édit. de Pauw.
[93] _Voyez_ la planche, légende numéros 1 et 2.--_Et suprà_ pl. 6 et
6.3, ainsi que leur explication.
[94] HORAPOLLON, lib. I, §. 11, pag. 20.
[95] PLUTARQUE, Vie de Romulus.
[96] _Voyez_ la Description de l'Égypte. A. vol. III, pl. 32, Nº
4.--Pl. 37, Nº 9.--Pl. 47, Nº 2.--Pl. 38, Nº 32.--A. vol. II, pl. 13,
numéros 1, 3 et 4.--Pl. 16, Nº 2, etc.
[97] _Idem._ A. vol. III, pl. 36, Numéros 1 et 3.
[98] _Idem._ A. vol. II, pl. 10 et 11.
[99] _Idem._ vol. III, pl. 50, Nº 2.
[Illustration: 6.5.]
NÉITH MOTRICE ET CONSERVATRICE.
(ATHÉNÈ, MINERVE.)
L'ARTISTE égyptien, en représentant la déesse _Néith_ mâle et femelle,
à trois têtes, et à pieds de lion[100], conformément au texte des
livres sacrés de l'Égypte, a montré réunies comme en un seul corps
toutes les formes sensibles sous lesquelles la _Mère divine_,
c'est-à-dire, l'Athénè Αἰολόμορφος des hymnes orphiques, était offerte
à la vénération des peuples. Chacune des attributions diverses de
ce grand être cosmogonique est ainsi caractérisée par un symbole
particulier dont le sens était bien fixé; tous ces emblèmes, liés
les uns aux autres, formaient donc une image _panthée_ de la déesse,
considérée dans la totalité et dans la plénitude des pouvoirs divers
que la doctrine théologique lui avait assignés. _Néith_ fut à la fois
le symbole du principe femelle, le principe maternel de l'univers,
la sagesse divine inventrice des sciences et des arts de la paix; la
sagesse qui donne la victoire; la force qui meut et conserve la nature,
et par suite la divinité protectrice des guerriers, ainsi que l'Athénè
grecque, copie fidèle de la Minerve égyptienne, dont le culte fut porté
des bords du Nil aux rivages de l'Attique.
La planche 6 représente Néith sous son apparence la plus habituelle:
_une femme ailée, assise, et coiffée du Pschent placé sur la dépouille
d'un vautour_. C'est _Néith_, adorée comme principe _femelle de
l'univers entier_. Elle porte alors nom de _Grande mère_ ou _Mère
divine_: cette forme simple est facile à retrouver dans l'image
complexe de _Néith-Panthée_[101].
Considérée d'une manière moins générale, comme mère des êtres vivants
et protectrice de l'enfantement, Néith, qui prenait alors le nom
de _Swan_, comme on le verra dans la suite, était figurée sous les
apparences d'une _femme à tête de vautour_: la tête de cet oiseau,
emblème de la _maternité_, est en effet la troisième tête de la
Néith-Panthée.
Adorée comme inventrice des arts et des sciences, cette grande déesse,
prenant alors le nom de _Nat_ ou _Nêth_, dont les Grecs ont fait Νηῒθ,
était représentée sous la forme d'une _femme assise, coiffée de la
partie inférieure du Pschent_. On la nommait aussi _Bouto_. Les hymnes
orphiques donnent à Athénè ou Minerve, considérée sous ce point de vue,
les qualifications de τεχνῶν μῆτερ πολύολϐε et de εὑρεσίτεχνε, _mère
féconde des arts_ et _inventrice des arts_[102].
La seconde tête de la _Néith-Panthée_ est celle d'_une lionne_, parce
qu'on figurait cette divinité sous la forme d'une femme léontocéphale,
pour la présenter à l'esprit sous l'une de ses plus importantes
attributions. C'était Néith devenant le symbole de la _force morale_ et
de la _force physique_; ou, comme nous l'apprend Proclus[103], citant
l'opinion même des Égyptiens, _la puissance qui met l'univers entier
en mouvement_, ἡ κινητικὴ τοῦ παντὸς δύναμις. Néith reçoit alors le
nom de _Déesse gardienne_ ou _conservatrice_, que l'on trouvera avec
la forme hiératique sur la planche ci-jointe, représentant la déesse
léontocéphale.
On ne peut méconnaître dans cette forme de l'Athénè égyptienne, la
dispensatrice de la force, la déesse des guerriers, le type de l'Athénè
grecque Πολεμοκλόος et Ὁπλοχαρής[104].
[100] Voy. ci-dessus, planche 6.3.
[101] Planche 6.3.
[102] Hymne à Athénè, vers 8 et 17.
[103] PROCLUS _in Timæum_, lib. I.
[104] Hymnes orphiques, édit. d'Hermann; hymn. XXI.
[Illustration: 6.6.]
NÉITH MOTRICE ET CONSERVATRICE.
(ATHÉNÈ, PHYSIS, MINERVE.)
LE culte de cette divinité, du premier ordre, puisqu'elle était,
selon les mythes sacrés, une émanation, ou, pour mieux dire, un
_dédoublement_ du démiurge _Amon-Ra_, fut généralement en vigueur dans
toutes les parties de l'empire égyptien, et surtout dans les Nomes
où firent leur résidence les différentes subdivisions de la caste
militaire. _Néith-Conservatrice_, la déesse des guerriers égyptiens,
reçut dans Memphis un culte spécial; ce fut en effet dans cette
capitale, dont la fondation fut le résultat de la révolution militaire
qui changea la théocratie égyptienne en monarchie, que les rois, chefs
naturels de la caste guerrière, firent leur résidence habituelle dès la
XIXe dynastie, de préférence à Thèbes, presque abandonnée à la caste
sacerdotale, qui trouvait dans cette antique cité et son principal
foyer et toutes ses origines. La plupart des monuments recueillis sur
l'emplacement ou dans les environs de Memphis nous offrent l'image de
_Néith-Léontocéphale_[105].
On la trouve aussi, quoique bien moins multipliée, parmi les sculptures
qui décorent les temples des autres régions de l'Égypte. Le célèbre
conquérant Ramsès-le-Grand est représenté dans un des groupes sculptés
dans le roc à Ghirsché, en Nubie[106], assis entre le dieu _Phtha_ et
_Néith-Léontocéphale_ qui pose affectueusement sa main sur l'épaule
du vaillant monarque. A Amara, un autre Pharaon comprend dans une
adoration commune cette déesse des guerriers et les grands dieux
_Amon-Ra_ et _Phré_[107]. Ailleurs, _Néith-Léontocéphale_, renfermée
dans une même chapelle (ναὸς) que le dieu _Phtha_, reçoit de riches
offrandes[108]; et les monuments de Dendéra[109] prouvent que son
culte se conserva ailleurs qu'à Memphis, sous les Lagides et sous les
empereurs romains.
C'est comme emblème de la force protectrice du pays, que des statues
colossales de Néith guerrière à tête de lion furent érigées devant les
palais et les édifices sacrés de l'Égypte, et semblaient en interdire
l'entrée aux profanes, aux ennemis des lois civiles et religieuses.
Ces colosses, souvent en très-grand nombre, et presque tous de granit,
montrent la déesse sous la figure d'une femme à tête de lionne; elle
est quelquefois debout, mais plus ordinairement assise sur un trône;
une étroite et longue tunique la couvre à partir du sein, qui reste
nu; ses bras, ses poignets et ses pieds sont ornés d'anneaux plus ou
moins riches; ses mains tiennent l'emblème de la vie divine, et le long
sceptre, terminé par une fleur de lotus, particulier aux _déesses_
égyptiennes. Mais comme Néith était une divinité douée des deux sexes,
Ἀρσενόθηλυς[110], ἄρσην μὲν καὶ θῆλυς ἔφυς[111], le sculpteur lui a
donné quelquefois le sceptre des _dieux mâles_, à tête de coucoupha.
La tête de lionne est toujours surmontée du _disque décoré de l'Uræus_
royal.
On a depuis quelques années transporté en Europe un nombre considérable
de ces statues de _Néith-Conservatrice_. Celles d'entre elles qui
figurent la déesse assise, portent sur le devant du trône des dédicaces
qui nous font connaître le nom des rois sous le règne desquels ces
colosses furent placés sur les dromos ou devant les propylées dont ils
formaient la décoration. Le Musée royal de Paris en possède plusieurs
qui remontent aux temps des Pharaons _Aménophis II_, _Ramsès-le-Grand_
et _Sésonchis_. On en voit d'autres de l'époque du premier de ces
princes à Rome, dans la salle égyptienne du Vatican. Le Musée royal de
Turin en possède quatre du même règne, et l'on peut y admirer aussi une
Néith-Léontocéphale assise, en granit, de huit pieds de hauteur, et
d'un très-beau travail, portant une dédicace du règne de Ramsès VII,
fils de Ramsès-le-Grand.
[105] Nous citerons ici à ce sujet 1º La partie supérieure d'une
figure humaine, de proportions colossales, ornée des images des
dieux adorés à Memphis, _Phtha_, _Néith-Léontocéphale_, _Imouth_,
_Apis_, etc. Ce monument faisait partie de la collection de M.
Durand, récemment acquise par le Roi. 2º Un sarcophage trouvé à
Qalât-el-Kabsch, près de Memphis, et gravé dans la Description de
l'Égypte, A. vol. IV, pl. 5. 3º Enfin, une foule de figurines, en
terre émaillée, en bronze, en bois et même en argent, existant dans
les Musées de Paris, de Naples ou de Turin, et provenant de fouilles
faites dans la Nécropole de Memphis.
[106] GAU, _Antiquités de la Nubie_, planche 30, nº 4.
[107] CAILLIAUD, _Voyage à Méroé_, vol. II, planche XVIII, nº 2.
[108] Description de l'Égypte, A. vol. V, planche 49, nº 4.
[109] Décoration intérieure de la porte du Nord; Descrip. de
l'Égypte, A. vol. IV, pl. 5.
[110] HORAPOLLON, Hieroglyph., liv. Ier, nº 13.
[111] Hymnes orphiques, éd. d'Hermann, nº XXI.
[Illustration: 6.7]
NÉITH CASTIGATRICE.
L'IMAGE de la déesse que présente la planche 6.7, a été calquée sur le
second cercueil d'une magnifique momie existant dans le Musée royal
égyptien de Turin. Le naos qui renferme cette figure symbolique est
entouré d'uræus dont le ventre est censé orné de plaques d'émaux bleus,
rouges et verds, comme l'est réellement un très-bel uræus en bois doré
et qui appartient au Musée Charles X au Louvre. La tête de lion et
toutes les parties nues du corps de la déesse, sont de couleur verte.
Dans l'une de ses mains est le signe de la vie divine, dans l'autre,
le sceptre terminé par un calice de lotus uni à deux fleurs de lotus,
emblêmes du monde matériel. La tête du _crocodile_ symbole _des eaux_,
est combinée avec la tête de lion qui caractérise spécialement cette
grande divinité, en exprimant sa principale attribution, celle de
_gardienne vigilante_.
Horapollon nous apprend, en effet, que, dans l'écriture symbolique
des Égyptiens, la _tête du lion_ (λέοντος κεφαλὴ) exprimait le
_vigilant_ (ἐγρηγορότα) et le _gardien_ (φύλακα), et c'était pour cela,
ajoute-t-il, qu'on plaçait des représentations du lion comme gardiens,
(ὡς φύλακας), aux portes des temples[112]. Ce texte important explique
à la fois et les lions assis que l'on a trouvé placés devant le premier
pylone du grand temple de Philæ[113], et les avenues ou rangées de
statues de la déesse Léontocéphale érigées sur les dromos ou aux
portes de divers temples de Thèbes[114]. Ainsi, la planche précédente
(6.7) nous présenterait la grande divinité _gardienne des eaux_. Mais
la _tête du lion_ pouvait encore être prise sous d'autres acceptions
dans l'écriture symbolique égyptienne; cet animal, doué d'une force
remarquable, inspire naturellement la crainte aux êtres vivants qui
l'approchent, c'est pour cela que sa tête fut aussi l'emblême de la
_terreur_ et de tout ce qui est _formidable_, φοϐερὸν[115]; et cet
emblême s'appliquait convenablement encore à la déesse léontocéphale,
à laquelle on donnait pour principale fonction la garde et la
conservation de la terre d'Égypte et des choses saintes qu'elle
renfermait. Cet être mythique était censé éloigner, par la terreur,
les profanes des lieux sacrés et leur infliger de justes châtiments.
C'est sous une telle attribution que la déesse est représentée dans
cette planche 6.8; sa tête de lion est ornée du disque et de l'uræus;
elle saisit de ses deux mains et foule en même temps aux pieds une
énorme couleuvre, le grand serpent ennemi des dieux, et le symbole des
méchants et des impies, nommé ⲁⲡⲡ ou ⲁⲡⲫ (APOP ou APOPH) LE GÉANT, dans
les textes hiéroglyphiques. L'inscription qui accompagne cette image de
la déesse sur le magnifique torse Borgia, aujourd'hui au Musée Bourbon
à Naples, ne laisse aucun doute sur les attributions redoutables de
cette divinité; elle signifie: _la gardienne puissante_, ⲃⲁⲗ ⲛ ⲣⲏ ⲧⲛⲉⲃ
ⲛⲧϭⲟⲙ ϩⲟⲛⲧ ⲛⲛⲉⲛⲟⲩⲧⲉ ⲛⲓⲃⲓ ⲱϥⲉ (ⲛⲉ) ⲥⲱⲃⲉ, _œil du soleil_, _souveraine de
la force_, _rectrice de tous les dieux_ CHATIANT LES IMPURS.
Nous traduisons provisoirement par _gardienne_ ou _conservatrice_, le
nom hiéroglyphique de la déesse formé des trois premiers caractères de
cette inscription, parce que l'espèce d'instrument qu'il a toujours
pour initiale, est constamment placé dans les mains des divinités
gardiennes et qu'il est aussi l'initiale d'un groupe qui, dans les
textes hiéroglyphiques, exprime évidemment l'idée _conserver_ ou
_garder_; nous soupçonnons, toutefois, que ce signe pris phonétiquement
put représenter la consonne ⲕ. Le nom de la déesse se lirait alors ⲕϩ
ou ⲕϩⲧ en supposant que le ⲧ final n'est point la marque de genre: dans
le premier cas ce nom se rapporterait à la racine ⲕⲱϩ (kôh) _zelus_,
_æmulatio_, _ardor_, _iracundia_, et dans le second cas, à la racine
ⲕⲱϩⲧ (kôht) FEU, _Ignis_; ce dernier nom conviendrait sous tous les
rapports à la compagne chérie de l'Hephæstus ou Vulcain égyptien.
La déesse porte le titre de _Dame de la région de Ratoui_ dans la
légende d'une de ses statues du Musée royal[116]: les autres titres
sont réunis sur la planche 6.2, du nº 2 au nº 8: on les a extraits
de la quatrième partie du rituel funéraire qui se rapporte à
Néith-Panthée, considérée dans ses diverses attributions. Cette grande
divinité, dont la déesse léontocéphale n'est qu'une forme simple, y est
successivement appelée _soleil femelle_ (nº 2), _rectrice des dieux_
(nº 3), _ptérophore_ (ou porte-ailes) (nº 4), _déesse rectrice de la
région supérieure et de la région inférieure_ (nº 5), _tête de son
père_ (nº 6), _divine mère de Paschakasé_ (l'un des noms mystiques de
Phtha) (nº 7), _et royale épouse de Paléhaka_ (l'un des noms mystiques
d'Ammon) (nº 8).
[112] HORAPOLLON, livre Ier, Hiéroglyphe 19.
[113] Description de l'Égypte, A., vol. I, pl. 9, nº 6 et 7.
[114] Voyez l'explication de notre planche 6.7.
[115] HORAPOLLON, liv. Ier, Hiéroglyphe 20.
[116] _Suprà_, planche 6.6, nº 2.
[Illustration: 6.8.]
SATÉ, ou SATI,
(SATIS, L'HÉRA, OU LA JUNON ÉGYPTIENNE.)
LES bas-reliefs sculptés sur les édifices religieux de l'Égypte, nous
offrent assez fréquemment la représentation d'une déesse, caractérisée
surtout par une grande feuille qui s'élève au-dessus de sa coiffure.
Cette divinité reçoit diverses offrandes à la suite d'_Amon-Cnouphis_,
à tête de bélier[117]; elle est aussi figurée donnant la main au dieu
_Amon-Ré_, sur un autel que soutient une belle statue Égyptienne de
la riche collection de M. Durand. Le nom hiéroglyphique de cette
même déesse est toujours composé de trois caractères qui, répondant
aux lettres coptes Ⲥⲧⲏ, doivent se prononcer _Saté_ ou _Sati_. Il
est évident que, dans les mythes Égyptiens, la déesse _Sati_ eut des
rapports intimes avec _Amon-Cnouphis_ ou _Amon-Ré_, le dieu suprême.
Cette déduction est changée en certitude par une inscription grecque du
temps de Ptolémée Evergète II, gravée sur une stèle trouvée à Séhhélé,
île située entre Éléphantine et Philæ[118]. On y lit en effet que la
divinité locale, assimilée par les Grecs à leur _Héra_ (la Junon des
Latins), porta en langue Égyptienne le nom de _Satis_, ou plutôt de
_Sati_, en faisant abstraction de la finale grecque Σ. Dans cette même
inscription, _Hera-Satés_, ou _Junon-Satis_, est nommée immédiatement
après _Ammon-Chnoubis_. D'autre part, une inscription latine, copiée
par l'infatigable Belzoni[119] dans les carrières de Syène, nous
apprend que l'autel qui la porte est dédié à _Jupiter-Ammon-Chnubis_
et à _Junon-Reine_, divinités protectrices de ces montagnes. Il
est donc certain que _Sati_ fut la Junon égyptienne, la compagne
d'_Amon-Cnouphis_ que les Grecs assimilèrent à leur _Zeus_, et les
Romains à leur Jupiter.
Sur notre planche nº 7, cette déesse est figurée assise sur son trône,
la tête couverte de la coiffure ordinaire des femmes Égyptiennes, mais
ceinte de bandelettes, ou plutôt du diadême. Le nu est ordinairement
peint en _jaune_, et quelquefois aussi en _vert_, comme les chairs de
Cnouphis; ses mains portent l'emblême de la vie divine, et le sceptre
ordinaire des déesses.
La légende, qui, sur notre planche, accompagne l'image de _Sati_, se
lisait, Ⲥⲧⲏ ⲧⲛⲟⲩⲧⲉ ⲧϣⲉ ⲡⲣⲏ ⲧⲛⲏⲃ ⲙⲡⲉ, et signifie _Saté_ ou _Sati_,
_déesse, fille de Ré, dame du ciel_; et, comme cette légende est
habituellement la même partout où se montre la représentation de cette
divinité, elle nous apprend avec certitude que _Sati_ était fille du
Soleil, dont le nom était _Ré_, en langue égyptienne.
Que _Saté_ fut l'épouse d'_Amon-Cnouphis_, comme l'ont supposé
les Grecs, en l'assimilant à Héra, épouse de Zeus, ou qu'elle fut
simplement une Parèdre ou compagne assidue du Jupiter égyptien, c'est
ce que nous ne sommes point encore en état de décider.
_Sati_, l'_Héra_ Égyptienne, présidait à l'_hémisphère inférieur du
ciel_[120], comme Nèith à l'_hémisphère supérieur_; et, il est digne de
remarque sans doute, que les déesses compagnes d'_Amon_ ou _Cnouphis_,
le dieu suprême, soient celles qui, selon la croyance établie,
occupaient et régissaient les deux grandes divisions de la sphère
céleste.
La déesse _Sati_ paraît enfin avoir rempli certaines fonctions dans
le monde inférieur, l'_Amenti_ ou enfer égyptien. Son image décore
les portes des superbes tombeaux des Pharaons, dans la vallée de
Biban-el-Molouk, à Thèbes. Sur quelques manuscrits funéraires, cette
divinité, portant la légende _Sati, déesse_[121], ou bien, _Sati, fille
du Soleil_[122], reçoit, à l'entrée du tribunal de l'_Amenti_, l'ame du
défunt, que lui présente une seconde déesse, la tête également ornée
d'une feuille, mais qu'il ne faut pas confondre avec _Sati_, dans la
plupart des manuscrits où cette dernière déesse ne paraît point.
[117] Description de l'Égypte, Antiquités, vol. I, bas-relief du
portique d'Esné.
[118] Voyez _Recherches pour servir à l'histoire de l'Egypte, etc._
par M. Letronne, pages 341 et 480.
[119] _Idem_, page 361.
[120] HORAPOLLON, liv. I, hierogl. 11.
[121] Grand manuscrit hiéroglyphique, gravé dans la Description de
l'Égypte, Antiq., vol. II, pl. 72.
[122] Manuscrit hiératique, publié à Vienne, par MM. Fontana et de
Hammer, 1822.
[Illustration: 7.]
SATÉ,
PRÉSIDANT A LA RÉGION INFÉRIEURE, (_LA JUNON EGYPTIENNE_).
LA divinité à laquelle nous donnons le nom de _Saté_, nom que les
diverses attributions de la déesse confirment déja, paraît avoir
rempli une foule d'emplois dans l'organisation du monde mythique tel
que les idées égyptiennes, exprimées sur les monuments, semblent nous
le présenter. Fille du soleil, le roi du monde physique, Saté paraît
avoir été la protectrice des souverains de l'Égypte: la signification
évidente d'une foule de bas-reliefs décorant les temples, les palais
et les tombeaux, ne laisse aucun doute à cet égard. Il y a plus: Saté
fut celle des divinités pour laquelle les Pharaons de la dix-huitième
dynastie montrèrent le plus de vénération, puisque son image même,
devenue un caractère d'écriture figuratif-symbolique, entre dans
l'expression de la plupart des _prénoms_ ou noms mystiques des princes
de cette antique famille dont le chef délivra sa patrie de la longue
tyrannie des pasteurs: race illustre qui a produit les plus grands
rois de l'Égypte, Mœris, vainqueur des étrangers et protecteur de la
caste agricole; Aménophis II, qui éleva des monuments de sa grandeur
jusques au fond de la Haute-Nubie; Ousiréi, qui orna la ville d'Ammon
d'obélisques et d'immenses constructions; enfin, Ramsès-Méiamoun,
prince guerrier mais ami des arts, bisaïeul de Ramsès-Séthosis si connu
des anciens sous le nom de Sésostris.
Sur les édifices de Thèbes, la plupart des légendes royales des
princes de cette dynastie, sous laquelle l'Égypte atteignit à son plus
haut de sa période de civilisation, de puissance et de gloire, sont
placées sous la protection de _Saté_, ou environnées de ses emblèmes.
Ainsi, dans les bas-reliefs peints de la catacombe royale découverte
par Belzoni, les cartouches contenant le prénom et le nom du Pharaon
_Ousirei_, flanquent une belle image de la Junon égyptienne étendant
ses ailes immenses, et accompagnée de l'inscription hiéroglyphique,
_Saté déesse vivante_, fille du _soleil_, dame du ciel et du monde,
rectrice de la région inférieure, _protectrice de son fils le seigneur
du monde, le roi_, etc., _enfant du soleil_ PHTAH-MEN-OUSIREI[123].
La déesse couvre aussi de ses ailes la légende du même prince[124],
recevant le titre de _son fils chéri_ dans les inscriptions qui
accompagnent ailleurs la déesse _Saté_, décorée elle-même des
qualifications: _vivante, stabilitrice, bienfaitrice de la région
inférieure_, et _dominatrice, comme le soleil, pour toujours_[125]. Il
s'agit de savoir ce qu'il faut entendre par cette _région inférieure_.
Horapollon affirme que la Junon égyptienne occupait l'_hémisphère
inférieur du ciel_ τὸ κάτω (τοῦ οὐρανοῦ) ἡμισφαίριον[126]. Mais le
caractère qui, sur le bas-relief précité, exprime l'idée _région
inférieure_, caractère identique, quoique d'une forme plus simple,
avec celui qui occupe la partie inférieure de notre planche 7.2,
ne me paraît point désigner d'une manière spéciale l'_hémisphère
inférieur du ciel_: j'ai acquis la certitude que c'est là le véritable
signe symbolique de la _partie inférieure de la terre d'Égypte_, la
région que nous connaissons sous le nom de _Basse-Égypte_, et qui,
dans les livres coptes, est appelée, tantôt _Sampésèt-an-Kèmé_,
c'est-à-dire la _partie inférieure de Kèmé_, tantôt _Tsahèt_ ou la
_partie septentrionale_. J'ai été conduit à reconnaître la valeur de ce
caractère, qui a passé des _anaglyphes_, ou bas-reliefs allégoriques,
dans l'écriture hiéroglyphique, en analysant le texte en hiéroglyphes
de l'inscription de Rosette, dans lequel les mots du grec τοῖς
ἱερεῦσι τῶν κατὰ τὴν χώραν ἱερῶν πάντων[127], _aux prêtres de tous
les temples du pays_, sont rendus par neuf caractères signifiant à la
lettre, aux _prêtres appartenant aux régions supérieures_ (les nomes
de la Haute-Égypte) _et aux régions inférieures_ (les nomes de la
Basse-Égypte)[128]. Les _régions inférieures_ se trouvent exprimées
par le redoublement de ce bouquet de tiges plus ou moins nombreuses de
lotus, mais dont deux, les deux extrêmes, sont constamment brisées.
Ainsi, la planche 7.2. de notre panthéon, qui reproduit fidèlement
la plus grande partie de l'un des bas-reliefs peints dont est
décorée l'entrée du tombeau destiné à recevoir le corps du Pharaon
_Méiamoun-Ramsès_, dans la vallée de Biban-Elmolouk à Thèbes[129], nous
offre la déesse _Saté_ tenant le signe de la _vie divine_, étendant
ses ailes comme pour protéger la légende du roi[130], et assise, à
la manière égyptienne, sur le signe symbolique de la _domination_
surmontant le symbole de la _région inférieure_: ce bas-relief, comme
un très-grand nombre de ceux qui décorent les édifices de l'Égypte, est
susceptible d'une véritable _lecture_, et il signifie _Saté, déesse
vivante, dame de la région inférieure_.
[123] _Voyages, Recherches et Découvertes de_ BELZONI _en Egypte et
en Nubie_, atlas, pl. 3.
[124] _Idem_, même planche.
[125] _Idem_, planche 17.
[126] HORAPOLLON, _Hiéroglyph._, lib. I, § II, page 22.
[127] Texte grec, ligne 36.
[128] Texte hiéroglyphique, ligne 5, à la fin.
[129] Ce bas-relief est gravé en entier dans la Description de
l'Égypte, A, tome II.
[130] Supprimée dans notre planche.
[Illustration: 7.2.]
L'URAEUS,
EMBLÊME DU SATÉ.
LES Égyptiens, en créant leur système cosmogonique et religieux,
semblent avoir cherché à établir une concordance très-suivie entre
le monde intellectuel ou le ciel, et le monde physique ou la terre.
Ils ont dit que le premier instituteur de leur civilisation organisa
la société humaine sur le modèle des formes qui régissent les êtres
célestes; de la même manière qu'en ordonnant le monde terrestre,
l'agent du Démiurge avait imité le monde supérieur, autant du moins que
la matière pouvait se prêter à une semblable reproduction. Il résulte
de cette intention, qui se manifeste dans une foule de circonstances,
que des emblèmes de certaines choses célestes s'appliquent également
aux choses correspondantes dans le monde matériel, et réciproquement.
De là vient aussi que les divinités dominatrices de certaines portions
du monde intellectuel, gouvernent également les parties correspondantes
du monde physique. Ainsi _Saté_, ou la Junon égyptienne, régissait à
la fois l'_hémisphère inférieur du ciel_ et la _région inférieure_ de
l'Égypte. Le nom symbolique de cette contrée terrestre, décrit dans
l'explication de la planche précédente, n'a aucun rapport avec le
groupe, signe spécial de la _partie inférieure du ciel_, gravé sur
notre planche 29.3, Nº 2 et 3. On remarquera seulement que c'est,
sans aucun doute, parce que la _plume_ est le premier caractère de
ce dernier groupe, que ce même objet se trouve figuré, comme insigne
distinctif, sur la tête de toutes les images de la déesse _Saté_. Nous
aurons l'occasion de montrer qu'un très-grand nombre de divinités ne
sont reconnaissables sur les monuments égyptiens, qu'au seul _caractère
initial_ de leurs _noms propres_ ou de leurs _titres spéciaux_, placé
sur leur tête ou dominant les divers ornements de leur coiffure. Les
représentations de Saté, reproduites dans ce recueil, offrent un
exemple de cette singulière façon de caractériser les différentes
divinités.
La planche 7.3 contient un des symboles de _Saté_, considérée soit
comme dominatrice de l'_hémisphère inférieur du ciel_, soit comme
régente et protectrice de la _région inférieure terrestre_. La déesse
est ici figurée sous la forme d'un _Uræus_: ce serpent, nommé _aspic_
ou _basilic_ par les Grecs, fut en Égypte l'emblème spécial de la
souveraineté ou de la puissance royale: la coiffure qui couvre sa tête
est la partie _inférieure_ de la couronne _Pschent_, symbole de la
domination sur la _région inférieure_, soit du ciel, soit de la terre.
On trouvera dans l'explication de la planche 11 les preuves et le
développement du sens que nous reconnaissons ici à cette fraction du
_Pschent_.
Le serpent sacré est dressé sur la partie postérieure de son corps,
formant plusieurs replis et enroulements. Le haut du corps est
considérablement dilaté; et cette forme, quelque extraordinaire
qu'elle puisse paraître, est motivée sur un fait réel: l'Uræus, nommé
aujourd'hui vipère _HHayé_ en Égypte, possède en effet la singulière
faculté de s'enfler la portion supérieure du corps, soit lorsqu'il
s'irrite, soit lorsqu'il veut se dresser pour atteindre une proie.
L'_Uræus_, animal sacré de la Junon égyptienne, est figuré avec le
sceptre des dieux bienfaisants, et repose, comme la déesse _Saté_
figurée dans la planche précédente, sur le signe symbolique de la
_domination_, placé au-dessus de l'emblème de la _région inférieure
terrestre_. Ce même reptile est toujours accompagné de la légende
inscrite à côté de son image (planche 7.3.), tirée des bas-reliefs
coloriés du tombeau royal découvert par Belzoni. Les quatre premiers
signes de cette légende forment le nom propre de l'animal sacré, nom
_féminin_ comme le prouve le dernier signe: le serpent, emblème de la
déesse protectrice de l'hémisphère supérieur du ciel et de la partie
supérieure de l'Égypte, est également un _Uræus_ femelle. Le reste de
la légende liée à l'Uræus de _Saté_, signifie _dame du ciel, rectrice
des dieux seigneurs_: titres plus spécialement propres à la déesse qu'à
l'animal sacré, son image symbolique.
Le bouquet de _lotus_, formant l'emblème de l'_Égypte inférieure_, est
ici d'une couleur et d'une espèce qui diffèrent assez essentiellement
de celui qui exprime la même idée dans la planche précédente; mais
cette différence d'espèce et de forme, soit de la plante, soit de la
fleur seulement, ne porte aucune espèce de modification dans le sens
de ces groupes. J'ai eu une foule d'occasions de me convaincre de leur
parfaite identité.
[Illustration: 7.3.]
PHTAH-SOKARI.
(PHTHA ENFANT, HEPHAISTUS, HARPOCRATE.)
HÉRODOTE et plusieurs autres écrivains grecs conviennent qu'une partie
de leur religion nationale leur est venue, soit directement, soit
indirectement, des Égyptiens; à défaut même de cet aveu positif, il
serait impossible, à mesure qu'on acquerra quelque document nouveau
sur l'ancien culte de l'Égypte, de ne point reconnaître les nombreux
emprunts que les instituteurs du culte des Grecs firent à celui des
habitants de Thèbes et de Memphis. Nous avons déja vu que l'_Athène_
Grecque, la _Minerve_ des Romains, était une imitation de la Nèith
Égyptienne[131]; des rapports non moins frappants existent entre
_Phtha_, et l'_Héphaistus_ Grec, ou le _Vulcain_ des Romains.
_Héphaistus_, selon les mythographes Grecs, était fils de _Zeus_: et
_Phtha_ fut une émanation d'_Ammon-Cnouphis_, le _Jupiter_ Egyptien.
_Héphaistus_ naquit tellement _difforme_ que _Héra_, sa mère, honteuse
d'avoir mis au jour un enfant si laid, le repoussa de son sein et
le précipita dans la mer, selon le récit d'Homère; dans une autre
occasion, _Zeus_, irrité, lança hors de l'Olympe le jeune dieu, qui
roula long-temps dans la vaste étendue des airs, et tomba enfin, en
se _brisant les jambes_, dans l'île de Lemnos. Depuis cette époque,
Héphaistus boîta des deux côtés, et ses deux _jambes restèrent
tremblantes et tortues_, selon le même poëte. Le _Phtah_ Égyptien,
représenté nu et dépouillé des bandelettes ou de la tunique étroite qui
le couvre ordinairement (pl. 9), se montre sous des dehors tout aussi
défavorables que l'_Hephaistus_ Grec; et les monuments prouvent que ces
fables grecques ne sont que des mythes Égyptiens corrompus.
Une foule de bas-reliefs, de peintures et de statuettes de terre
vernissée, nous présentent le Dieu _Phtah_ sous la figure d'un
enfant ou, plutôt, sous celle d'un _nain difforme_, ayant des traits
irréguliers, le ventre enflé et les jambes torses (pl. 8, nº 1),
quelquefois ce nain est debout sur un crocodile (pl. 8, nº 2), ou porte
sur sa tête un scarabée, emblême de la génération (pl. 8, numéros 2 et
3). Les légendes hiéroglyphiques qui accompagnent ces images, nomment
cette singulière divinité, _Phtah_, ou _Phtah-Socari_, indifféremment.
Quel que soit le motif qui détermina les Égyptiens à représenter sous
une forme aussi repoussante _Phtah_, l'une de leurs plus grandes
divinités, le fait est désormais constaté, et à l'autorité des
monuments que je viens de citer, se joint celle de l'un des écrivains
les plus graves de l'antiquité: «Cambyse, dit Hérodote, étant entré
dans le temple d'Héphaistus (Phtah), à Memphis, se moqua de sa statue,
et fit des éclats de rire: elle ressemblait à ces dieux que les
Phéniciens appellent _Pataïques_, et qu'ils peignent sur la proue de
leurs vaisseaux; ceux qui n'en ont pas vu, entendront ma comparaison,
si je leur dis que ces dieux sont faits comme des _Pygmées_.»
Les manuscrits et les bas-reliefs des Hypogées qui offrent l'image
d'_Ammon-Générateur_ et celle de _Nèith-Génératrice_ (pl. 4, 5 et 6.3),
nous montrent aussi le Dieu _Phtah_, ou _Phtah-Socari_, _générateur_,
encore sous la forme d'un _Pygmée_ (pl. 8, numéros 4 et 5), et tenant,
comme son père Ammon, le fouet divin pour stimuler la Lune, qui envoie
dans le monde terrestre les germes de tous les êtres vivants; cette
image de l'organisateur du monde a quelquefois deux têtes (pl. 8, nº
6); l'une, _humaine_, c'est la tête ordinaire de _Phtah_; et l'autre,
celle d'un _épervier_ surmontée de longues plumes, est celle que prend
habituellement Phtah, lorsqu'il reçoit le surnom de _Socari_.
La figure nº 4, extraite de l'un des manuscrits Égyptiens rapportés
par M. Belzoni, représente _Phtah_ ayant les pieds contournés comme
l'Héphaistos Grec. Nous devons dire ici que cette circonstance prouve
de plus, qu'_Harpocrate_, mot dont les deux dernières syllabes POKRAT,
_Pokrat_, expriment un individu dont _les pieds_ sont _délicats_,
_mous_ ou _malades_, fut primitivement un des surnoms de _Phtah_.
La description donnée par saint Épiphane, de l'impudique statue
d'Harpocrate, _Image d'enfant, à tête rase; ignoble et abominable_,
s'applique parfaitement aux représentations de _Phtah_ générateur,
numérotées 4 et 5 sur notre planche 8.
[131] Voyez l'explication de nos planches 6 et 6.3.
[Illustration: 8.]
PHTHA ou PTHA.
(PHTHA, HÉPHAISTUS, VULCAIN.)
CE personnage occupait la troisième place dans la nombreuse série des
divinités de l'Égypte; les Grecs, en l'assimilant à leur Héphaistos,
le Vulcain des Romains, ont singulièrement rabaissé et son rang et
son importance; ils ont réduit les hautes fonctions de ce grand être
cosmogonique à celles d'un simple ouvrier.
Telle ne fut point l'opinion des Égyptiens sur leur _Phtha_; selon
leurs mythes sacrés, la puissance démiurgique, l'esprit de l'Univers,
Cnèph ou Cnouphis, avait produit un œuf de sa bouche, et il en était
sorti un dieu qui portait le nom de _Phtha_[132]. Cet œuf était la
matière dont se compose le monde visible; il contenait l'_agent_,
l'_ouvrier_ qui devait en coordonner et en régulariser les diverses
parties; et _Phtha_ est l'esprit créateur _actif_, l'intelligence
divine qui, dès l'origine des choses, entra en action pour accomplir
l'Univers, en toute vérité et avec un art suprême[133].
L'image du dieu _Phtha_ est habituellement sculptée, sur les
bas-reliefs, à la suite d'Amon-Cnouphis son père; le grand Démiurge se
montre en effet presque toujours accompagné de deux autres personnages
divins; d'abord de la déesse _Nèith_ sa première émanation, et, de
plus, d'un dieu dont le corps est serré dans un vêtement très-étroit,
qui l'enveloppe depuis le cou jusque sous la plante des pieds, et ne
donne un libre passage qu'aux deux mains seulement. La tête de ce
personnage mâle est couverte d'une coiffure très-simple, qui se modèle
sur tout son contour; ses mains tiennent le sceptre ordinaire des
dieux bienfaisants, combiné, 1º avec cette espèce d'autel gradué à
quatre corniches, qu'on nomme un _nilomètre_, et qui, dans l'écriture
hiéroglyphique, est le symbole de la _coordination_; 2º avec la _croix
ansée_, emblême de la _vie divine_. Ses chairs sont toujours peintes
en vert; enfin, la légende hiéroglyphique (1 et 2) qui accompagne
ce personnage, nous apprend que c'est là l'image du dieu _Phtha_.
Les trois premiers signes sont phonétiques, représentant les lettres
coptes Ⲡⲧϩ ou Ⲫⲧϩ, et se prononçaient _Ptah_ ou _Phtah_ selon les
dialectes[134]. Les légendes 3 et 4 ne diffèrent que par les attributs
ajoutés au caractère symbolique final _Dieu_, qui, par ces additions,
devient purement représentatif. Le nº 5 est hiératique.
Les Égyptiens qui voulaient rattacher l'histoire de la terre à celle
des cieux, disaient que _Phtha_ avait été le premier de leurs dynastes;
mais que la durée de son règne ne saurait être fixée. Les Pharaons lui
avaient consacré leur ville royale, Memphis, la seconde capitale de
l'empire; ainsi, les quatre principales villes de l'Égypte, _Thèbes_,
_Memphis_, _Saïs_ et _Héliopolis_, étaient chacune sous la protection
spéciale de l'une des quatre grandes divinités, _Amon-Cnouphis_,
_Phtah_, _Nèith_ et _Phré_. Le magnifique temple de _Phtah_ à Memphis,
où se faisait l'inauguration des rois, a été décrit, en partie, par
Hérodote et par Strabon; les plus illustres d'entre les Pharaons le
décorèrent de portiques et de colosses.
L'être auquel on attribuait l'organisation du monde, devait
nécessairement le connaître à fond, ainsi que les lois et les
conditions de son bien-être et de son existence; aussi les
prêtres Égyptiens regardaient-ils _Phtha_ comme l'inventeur de la
philosophie[135], bien différents, en cela, des Grecs, qui ne citaient
de leur Héphaistos que des œuvres matérielles et purement mécaniques.
_Phtha_ est représenté sur notre planche, dans une chapelle richement
décorée; les monuments le montrent, pour l'ordinaire, renfermé dans une
construction de ce genre; ici, il est appuyé sur un grand _nilomètre_,
son emblême spécial, et ce signe est celui de la _stabilité_.
[132] EUSÈBE, _Préparat. Evangel._ liv. III, chap. 11.
[133] IAMBLICH., _de Mysteriis_, sect. VIII, cap. 8.
[134] Ce nom divin est en effet écrit Ⲡⲧⲁϩ dans les textes coptes
thébains.
[135] DIOGÈNE LAERCE, De vitis Philos., _Proœmium_.
[Illustration: 9.]
PHTAH-SOKARI.
(SOCHARIS.)
LES écrivains de l'antiquité, soit Grecs soit latins, ont été jusques
ici les seuls guides pour les savants modernes qui se sont occupés des
mythes de l'ancienne Égypte. Ceux d'entre eux qui ont voulu se former
une idée exacte de cette religion, que tout concourt à présenter comme
la source d'une grande partie de la croyance des Grecs, ont recueilli
avec soin les divers passages des auteurs classiques relatifs aux
différentes divinités Égyptiennes; mais lorsqu'ils ont voulu coordonner
ces matériaux, il n'en est résulté qu'une nomenclature assez bornée, et
une courte série de récits mystiques appliqués confusément à plusieurs
personnages différents, dont les noms, le rang, et la filiation, n'ont
d'ailleurs entre eux aucune espèce de rapport.
Cette incohérence et la confusion qui règne dans les dires des
auteurs grecs et latins sur le culte de l'Égypte, démontraient assez
la nécessité de suspendre toute opinion à cet égard, jusqu'à ce que
de nouvelles lumières pussent éclairer ce point si ténébreux des
recherches historiques. Les monuments seuls pouvaient les produire;
et l'étude des innombrables restes de l'art Égyptien, qui grava sur
la pierre les images des dieux, leurs noms en écriture sacrée, et
très-souvent aussi leur généalogie, doivent nécessairement devenir
nos meilleurs guides. En recueillant avec soin les faits nouveaux que
présentent, avec profusion, ces produits de la sculpture Égyptienne,
nous pouvons espérer de saisir enfin l'ensemble et les principaux
détails du systême religieux de l'Égypte, systême immense, dont
l'antiquité classique ne nous a transmis qu'une esquisse partielle et
incomplète à tous égards.
La certitude déja acquise que les légendes qui, sur les bas-reliefs
et les peintures, accompagnent les images des dieux, contiennent
les noms propres de ces mêmes dieux, et la découverte de l'écriture
_hiéroglyphique Phonétique_[136], sont des moyens puissants qui doivent
jeter un grand jour sur cette matière. Par la connaissance des noms
hiéroglyphiques des divinités, et même par le moyen de ceux dont
le nom nous serait encore inconnu, nous reconnaîtrons qu'une foule
d'images divines, qui n'ont rien de commun ni dans leur forme ni dans
leurs attributs, représentent cependant une seule et même divinité,
considérée toutefois dans des fonctions diverses, puisque leurs noms
propres et leur filiation sont absolument les mêmes. Le personnage
gravé sur cette planche offre un exemple de cette particularité.
La tête de ce dieu est celle d'un épervier, que surmonte une coiffure
particulière, consistant dans la partie supérieure de la coiffure
_Pschent_, flanquée de deux appendices de couleurs variées. Le nom
hiéroglyphique de cette divinité est tantôt Ⲡⲧϩ _Phtah_, tantôt ⲥϭⲣⲓ,
_Socari_, _Socri_, mais plus ordinairement Ⲡⲧϩ-ⲥϭⲣⲓ _Ptah-Socari_.
Ces légendes nous signalent ici une nouvelle forme du dieu _Phtah_
(pl. 9.), l'organisateur du monde, et nous reconnaissons, de plus,
l'identité des deux personnages, à la ressemblance de leur habillement
étroit et de leurs sceptres. _Phtah-Socari_ tient de plus, dans ses
mains, un fouet comme son père, _Amon-Générateur_. Il est très-probable
que le dieu Égyptien Σοχαρις, mentionné dans un vers de Cratinus[137],
n'est autre que le _Phtah-Socari_ figuré sur notre planche.
_Phtha-Socari_ à tête d'épervier, n'est qu'une forme de _Phtha_
considéré comme réglant les destinées des ames qui abandonnent
des corps terrestres, afin d'être réparties dans les 32 régions
supérieures. C'est pour cela que l'image de ce Dieu se trouve toujours
dans les grands rituels funéraires, les catacombes royales, et les
peintures qui décorent les cercueils et les diverses enveloppes des
momies[138].
[136] Voyez ma _Lettre à M. Dacier relative à l'Alphabet Phonétique_.
[137] HESYCHIUS, au mot Πααμυλης.
[138] Voyez la Description de l'Égypte, Antiq. vol. II, pl. 65; et
les bas-reliefs du tombeau royal découvert par Belzoni.
[Illustration: 10.]
PHTAH-SOKARI,
SEIGNEUR DES RÉGIONS SUPÉRIEURES ET INFÉRIEURES.
LE Dieu _Phtah_ se montre ici sous un point de vue essentiellement
différent des deux formes que nous avons décrites sous les numéros 10
et 11. Cette peinture existe sur le cercueil d'une très-belle momie
rapportée d'Égypte par M. Thédenat-Duvent fils, et acquise par M. le
comte de Pourtalès-Gorgier.
La coiffure du Dieu, quoique moins riche de couleurs, ne diffère point,
au fond, de celle que porte ce même personnage sur la planche 10;
sa tête est aussi celle d'un _épervier_, et ses chairs sont vertes,
teinte habituelle de la carnation de _Phtah_ sous toutes ses formes.
Sa courte tunique, soutenue par deux bretelles, est fixée par une
ceinture qui retombe jusque vers les pieds. La légende hiéroglyphique
(nº 1) et l'hiératique nº 2, se lisent PTH ou PTH SKRI NOUTE. _Le Dieu
Phtah-Sokari._
Cette divinité soutient, de sa main gauche, une sorte de segment
de sphère, surmonté de la coiffure ornée d'une espèce de _Lituus_.
Dans une autre partie du cercueil de la même momie, _Phtah-Sokari_
porte également le segment de sphère, mais surmonté d'une coiffure
différente; ces deux groupes sont symboliques, et nous avons déja
dit que le segment de sphère exprimait l'idée _seigneur_ (NÉB), que
_la coiffure ornée du Lituus_ indiquait _les choses_ ou _les régions
inférieures_ et la _coiffure allongée_, sorte de cydaris, les _régions
supérieures_. Ces deux coiffures, réunies et emboîtées l'une dans
l'autre, ainsi qu'on peut les voir disposées sur la tête de la déesse
Nèith (pl. nº 6), formaient la coiffure appelée _pschent_ que portent
les grandes divinités, et qui exprime symboliquement _la domination
sur la région supérieure et la région inférieure_. Phtah tenant
successivement dans sa main ces deux coiffures emblématiques, est donc
ainsi figuré comme dominateur de ces régions du monde.
Ce Dieu occupait en effet un des premiers rangs parmi les intelligences
célestes, et fut aussi l'arbitre et le protecteur spécial de la
_royauté_ dans la région terrestre. Les Égyptiens inscrivirent son nom
le premier dans la liste des Dieux qui ont gouverné le monde inférieur
avant les rois de race humaine. Ceux-ci prenaient le titre d'_approuvé
par Phtah_[139], et parmi leurs qualifications honorifiques on comptait
celle de _chéri_ ou de _bien-aimé de Phtah_[140].
L'inauguration des Rois Lagides, comme celle des Pharaons dont les
souverains Grecs de l'Égypte imitèrent le protocole entier, avait lieu
dans la _ville de Phtah_, Memphis[141], et dans le principal temple
de cette capitale, consacré au Dieu _Phtah_. Le jour même de leur
intronisation, les Rois entraient dans ce temple, la tête ornée du
_pschent_[142], pour y accomplir les cérémonies légales prescrites pour
la prise de possession de la couronne[143].
Ainsi, les Rois Égyptiens semblaient recevoir de _Phtah_ la puissance
suprême, dont les deux parties du _pschent_ étaient le symbole; aussi
donnait-on, à ces princes comme au Dieu Phrê (le Soleil, fils de
_Phtah_), le titre de _Roi de la région d'en haut et de la région d'en
bas_[144].
Le décret gravé sur la stèle de Rosette, relatif à l'intronisation de
Ptolémée-Épiphane, dispose formellement que le _pschent_ que portait ce
prince, serait placé au-dessus d'une chapelle dorée, consacrée au Roi,
au milieu de dix couronnes ornées d'aspics, avec cette inscription:
_Ceci appartient au Roi qui a rendu illustre la région supérieure
et la région inférieure_[145]. Ces derniers mots sont exprimés
symboliquement, dans le texte hiéroglyphique de la même stèle, par la
_coiffure allongée_ et la _coiffure ornée du Lituus_, placées sur le
caractère _région_ ou _contrée_. Ce sont ces deux mêmes coiffures que
le Dieu Phtah tient quelquefois dans ses mains.
[139] Inscript. de Rosette Démotique, ligne 2, grec, ligne 3.
[140] _Idem_, texte hiérogly. lig. 6, 12 et 14.
[141] _Idem_, texte hiérogly. lig. 9, grec, lig. 44.
[142] _Idem._ Dans le texte hiéroglyphique, le _pschent_ est exprimé
par sa propre image (ligne 9), reproduite une seconde fois à la fin
de la même ligne, là où le grec porte: προειρημένον βασίλειον, _la
susdite couronne_.
[143] _Idem_, _ibidem_.
[144] _Idem_, texte démot. lig. 1 et 2, grec, lig. 2 et 3.
[145] _Idem_, texte hiérogly. lig. 10, démot. lig. 27, grec, lig. 46.
[Illustration: 11.]
TRE, THRÉ, ou THORE.
(UNE DES FORMES DE PHTAH.)
LE livre d'Horapollon[146] nous apprend que _le Scarabée_ fut, dans
l'écriture sacrée, un des symboles du Dieu _Phtah_, l'Hephaistus ou le
Vulcain des Grecs et des Romains. Mais l'image de cet insecte est si
multipliée dans les peintures des manuscrits et dans les sculptures des
temples des palais et des monuments funéraires, que cette reproduction
perpétuelle prouve à elle seule l'importance des personnages divins
dont le Scarabée est l'emblême. Les anciens nous disent aussi qu'il
fut consacré au _Soleil_; mais comme cet animal, pris symboliquement,
exprimait une foule d'idées différentes[147], il a pu devenir, par cela
même, le signe tropique de plusieurs divinités.
Notre planche 12 présente l'image d'un Dieu égyptien très-rarement
figuré soit dans les bas-reliefs, soit dans les peintures religieuses;
elle est copiée des précieux dessins que le courageux voyageur Belzoni
a faits, à Thèbes, de toute la décoration du superbe tombeau royal
qu'il y a lui-même découvert.
Dans le vestibule de la magnifique salle voûtée qui renfermait le
sarcophage, sur la face de l'un des six piliers qui soutiennent le
plafond, est un grand bas-relief représentant le Pharaon défunt, décoré
de ses insignes royaux, et accueilli par la Divinité gravée sur notre
planche. Le corps du Dieu est de forme humaine; ses chairs sont de
couleur rouge, teinte que les Égyptiens se donnent toujours dans leurs
peintures; une riche tunique, soutenue par une ceinture émaillée, le
recouvre jusqu'à la hauteur des genoux; des bracelets ornent ses bras
et ses poignets; mais la coiffure, au lieu de s'ajuster sur une face
humaine, pose sur un _Scarabée noir_, qui remplace la tête du Dieu.
Le nom hiéroglyphique, qui d'ordinaire accompagne le personnage,
consiste (légende, nº 1), dans le _scarabée_, la _bouche_, et la
_feuille_ suivie du signe d'espèce _Dieu_. Ce nom est phonétique, et
en appliquant aux caractères qui le composent les valeurs fixes de
ces mêmes signes dans les noms propres hiéroglyphiques des Pharaons
et des souverains grecs et romains, on obtient ΤΡΕ ou ΘΡΕ, que
nous prononcerons en suppléant la voyelle médiale, omise comme à
l'ordinaire, _Taré_, _Teré_, _Théré_ ou _Thoré_.
Quelles que fussent les voyelles et la signification de ce nom propre,
les monuments nous apprennent que ce personnage n'était qu'une des
modifications de _Phtah_, le premier né d'_Ammon-Cnouphis_, l'agent qui
sortit avec la substance du monde de la bouche du Démiurge. L'identité
de _Phtah_ et de _Thoré_ est prouvée par les légendes hiéroglyphiques
de Ptolémée-Épiphane; le titre de ce prince, exprimé dans le texte
grec de l'inscription de Rosette, par les mots: Ὃν ὁ Ἥφαιστος
ἐδοκίμαζεν, est rendu dans les légendes hiéroglyphiques de ce Roi
Lagide, par les mots: APPROUVÉ PAR PHTAH OU PAR PHTAH THORÉ (lég. nº 2)
indifféremment[148]. D'où il est aisé de voir que _Thoré_ n'est qu'un
simple surnom de Phtah, comme _Socari_.
Le Scarabée qui forme la tête de _Phtah-Thoré_, était un emblême
parfaitement en rapport avec l'idée que les Égyptiens avaient du Dieu
_Phtah_; selon Horapollon, cet insecte était l'emblême spécial de la
_Génération_ ou de la _Création_ (Γένεσις)[149]. Et c'est en effet par
l'action de _Phtah_ que le Monde avait été créé, selon la doctrine
égyptienne.
[146] Livre I, §. 13.
[147] _Idem_, §. 10.
[148] Dans des légendes royales d'Épiphane, dessinées à Philæ et à
Thèbes, par M. Huyot; et à Dendérah, par la commission d'Égypte.
[149] HORAPOLLON, liv. I, nº 10.
[Illustration: 12.]
TORÉ, THORE, ou THO.
(UNE DES FORMES DE PHTHA.)
LES monuments nous montrent Phtha créateur, sous un nouvel aspect qui
conserve, toutefois, le caractère distinctif des attributions de ce
personnage mythique. Son corps est ici de forme humaine; il est assis,
mais la tête est remplacée par un _scarabée les ailes étendues_,
tandis que dans la planche précédente (nº 12) les ailes de l'insecte
sont complètement repliées sous leurs élytres. Le Dieu, placé dans une
châsse ou chapelle, semblable aux petits temples monolithes qui, au
fond des sanctuaires de l'Égypte, renfermaient les images symboliques
des Dieux, est porté sur une barque dont les extrémités recourbées sont
ornées d'une fleur de _lotus_ épanouie. Vers la proue, est un autel sur
lequel pose un gâteau sacré, surmonté aussi d'une belle fleur de lotus:
vers la poupe est une rame terminée par une tête d'épervier.
Divers auteurs anciens, et Iamblique entre autres, nous font connaître
les motifs pour lesquels les Égyptiens représentèrent _assises sur
des barques_ la plupart de leurs grandes Divinités. On les figurait
_assises_, parce que l'intelligence divine s'étend et agit sur
l'univers, et ne repose entièrement qu'en elle-même; on les plaçait sur
des barques, que ces Divinités semblent diriger, pour exprimer que la
providence des Dieux gouverne le monde[150].
Le lotus qui décore la barque et surmonte l'autel, exprime
énigmatiquement, d'après le même auteur, la supériorité de
l'intelligence divine par rapport à la matière[151]; et cela, sans
doute, parce que la fleur du lotus, portée sur une longue tige, s'élève
au-dessus des eaux et du limon qui couvre le lit du fleuve, à la
surface duquel cette belle fleur s'épanouit.
La légende qui accompagne cette Divinité est habituellement le nº 2
de notre planche, qui se lit TRÉ NOUTE, _le Dieu Thoré_. Son image
est reproduite dans les grands manuscrits funéraires hiéroglyphiques
et hiératiques; et, entre autres, dans le grand papyrus du cabinet du
Roi[152]. Le texte, placé au-dessous de la représentation du Dieu,
contient aussi le nom hiéroglyphique précité, à l'exception de la
voyelle finale[153].
Vers le commencement du même manuscrit, cette Divinité paraît encore,
assise sur une barque[154], mais _sa tête est celle d'un homme,
surmontée d'un scarabée_ dont les ailes sont repliées. Dans le texte
qui se rapporte à cette scène, le Dieu est simplement appelé TE ou
TO-NOUTE, _le Dieu Tho_ (nº 3). Si cette orthographe n'est point une
simple abréviation du nom _Thoré_ (nº 2), on pourrait reconnaître ici
_l'Univers_ personnifié, _le Monde_, désigné, en langue Égyptienne, par
le mot TO. Horapollon nous dit aussi que le _scarabée_ fut également
le symbole du monde, Κόσμος[155], qui n'était, selon la doctrine
Égyptienne, qu'une production du Dieu _Phtah_.
Quoi qu'il en puisse être, ce Dieu porte, soit avec le nom de
_Tho_[156], soit avec le nom de _Thoré_[157], la qualification de _père
des Dieux_ (lég. nº 1), titre qui appartient en effet à l'Héphaistus
Égyptien, le Dieu _Phtah_, comme le prouve l'obélisque, traduit en
grec par Hermapion, monument qui donne au Pharaon Ramessès le titre de
_préféré par Héphaistus_ (Phtah) LE PÈRE DES DIEUX: Ὅν καὶ Ἥφαιστος ὁ
τῶν θεῶν πατὴρ προέκρινεν[158].
La légende nº 4 est la transcription hiératique du nom hiéroglyphique
nº 3.
[150] IAMBLICH., _de Mysteriis_, sect. VII, cap. 2.
[151] _Idem._
[152] Voyez la Description de l'Égypte, Antiq. vol. II, pl. 73 et 75.
[153] _Idem_, pl. 75, col. 36, 56 et 59.
[154] _Idem_, pl. 75, entre les colonnes 132 et 133.
[155] Hiéroglyphiq., liv. I, §. 10.
[156] Descript. de l'Égypte, Ant. vol. II, pl. 75, col. 135.
[157] _Idem_, col. 127 et 128.
[158] AMMIEN MARCELIN, liv. XVII, ch. 4.
[Illustration: 13.]
POOH, PIIOH, IOH.
LUNUS, LE DIEU LUNE, SELENE.
LA plupart des auteurs grecs ou latins, et, à leur exemple, les savants
modernes qui ont écrit sur la religion égyptienne, affirment, par cela
seul que la Lune était _une Déesse_ dans la Mythologie grecque et
romaine, qu'il en était de même chez les anciens Égyptiens; Jablonski,
surtout, a prétendu prouver l'identité d'Isis et de la _Lune_, et
établir que l'épouse d'Osiris n'était autre chose que la _Lune_
personnifiée[159]: cette opinion, quoique contraire à une foule de
témoignages de l'antiquité, quoique frappée de nullité par l'autorité
positive des monuments, a prévalu toutefois, et on la trouve reproduite
dans la plus grande partie des ouvrages publiés, de notre temps, sur le
culte national de l'Égypte.
Mais selon la doctrine véritablement égyptienne, la Lune était un
_dieu_, une _essence mâle_, et, par conséquent, une divinité forcément
distincte d'Isis et de toute autre essence femelle. L'auteur, quel
qu'il soit, du traité _d'Isis et d'Osiris_, avance, à la vérité, que
les Égyptiens regardaient la _lune_ comme étant à la fois _mâle et
femelle_ (Ἀρσενόθηλυν); mais Spartianus dit plus clairement encore
que, dans la croyance religieuse des Égyptiens, la _lune_ était un
DIEU[160], ce qu'affirme formellement _Ammonius_ en assurant que le
nom de la _lune_ en égyptien était un _nom du genre masculin_[161].
Jablonsky n'a tenu aucun compte de ces trois passages qu'il cite
cependant en entier dans son Panthéon[162], parce qu'ils contrariaient
trop directement son système, qui est de ne voir dans tous les
personnages mythiques de l'Égypte, que des personnifications du soleil,
de la lune et des autres corps célestes.
Au défaut même des témoignages que nous venons d'invoquer, il resterait
encore démontré par le mot seul qui, dans la langue égyptienne,
exprimait l'idée _lune_, que cet astre était considéré comme un _dieu_
et non comme une _déesse_; OOH (_la lune_) en dialecte thébain, et
IOH en dialecte memphitique, sont des mots masculins et que précède
constamment l'article masculin P ou PI, dans tous les textes coptes,
c'est-à-dire, les textes en langue égyptienne écrits avec des lettres
grecques. Ainsi dans la religion de l'Égypte, comme dans les mythes
hindoux, la lune était une divinité mâle. Il a été facile, avec
ce document, de reconnaître dans les bas-reliefs et les peintures
égyptiennes, les images du dieu Pooh ou Piioh.
On a vu dans la description, tout-à-fait conforme aux monuments,
qu'Étienne de Byzance donne de la statue de _Pan_ ou de _Mendès_
(_Ammon générateur_), que le fouet placé dans la main de ce dieu est
destiné à stimuler _la lune_; et l'on trouve très-fréquemment en
effet, à la suite d'_Ammon_, un personnage qu'il serait facile de
confondre avec _Phtah_, mais qui en diffère par des attributs tellement
caractérisés qu'on ne peut méconnaître le dieu _Pooh_, le _Lunus_ ou le
_dieu-lune_ des Égyptiens.
Ce personnage mythique, figuré sur notre planche 14, diffère d'abord
de _Phtah_ par sa coiffure, de l'un des côtés de laquelle s'échappe
un appendice que l'on a considéré, sans aucune certitude toutefois,
comme une _mèche de cheveux bouclée ou tressée_. En second lieu, le
dieu _Pooh_ se distingue essentiellement de _Phtah_ par les insignes
qui surmontent cette coiffure, et qui ne sont que des images de la
lune dans ses différents états. Il porte soit le _disque entier_
ordinairement peint en couleur jaune[163], soit le même disque placé
au-dessus du croissant également peint en jaune[164].
Ailleurs le _disque entier_ est combiné avec la dichotomie,
c'est-à-dire avec l'image de ce même astre lorsque _sa moitié
seulement_ est visible pour nous[165]. Le dieu _Pooh_, assis et
la _tête surmontée du croissant_ seul, est figuré faisant face au
dieu _Phrè_ (_le soleil_), sur un grand bas-relief sculpté à Thèbes
dans les hypogées voisins du Memnonium[166]. Enfin, le _disque_ et
le _sémi-disque lunaires_ combinés (_Voy._ notre pl. Nº 8) sont
représentés faisant pendant au _disque du soleil orné de l'uræus_,
dans les bas-reliefs symboliques sculptés sur la corniche des faces
latérales du portique du grand temple à Dendera[167]; et nous lisons
en effet dans les écrits des anciens, que le _symbole_ de la lune
fut, chez les Égyptiens, la peinture de la _dichotomie_ combinée avec
l'_Amphicyrte_ (_Voyez_ notre pl. numéros 6 et 7), c'est-à-dire l'image
de la lune lorsqu'elle ne montre que la moitié de son disque, jointe à
l'image de cet astre presque dans son plein[168].
[159] Panth. Ægypt. lib. III, cap. I.
[160] _Lunam Ægyptii mysticè_ DEUM _dicunt_.
[161] Καὶ γὰρ εἰ ἀρσενικῶς Αἰγύπτιοι τὴν Σελήνην ὀνομάζειν, etc.
[162] Panth. Ægypt. lib. I, III, §. 6, pag. 64.
[163] Descr. de l'Égypte. A. vol. II, pl. 13, Nº 1. _Voyez_ notre
pl. 14, Nº 4.
[164] _Idem._ A. vol. III, pl. 32, Nº 4.--A. vol. III, pl. 67, Nº
2.--A. vol. I, pl. 43, Nº 19.--_Id._ pl. 95, Nº 8., en face d'_Ammon
générateur_. _Voyez_ notre pl.
[165] _Voyez_ notre pl. 14, numéros 6 et 8; et Descr. de l'Égypt. A.
vol. II, pl. 36, Nº 5.
[166] _Idem._ A. vol. II, pl. 35, Nº 3.
[167] _Idem._ A. vol. IV, pl. 22, Nº 1.
[168] Σελήνης δὲ σύμϐολον, τό, τε διχότομον καὶ ἀμφίκυρτον.
Porphyrius apud Euseb. Præparat. Evangelic. lib. III, cap. 13, pag.
117, Edit. Viger.
[Illustration: 14.]
POOH, PIIOH, IOH.
(LUNUS, LE DIEU-LUNE, SÉLÈNE).
LES formes de convention sous lesquelles les Égyptiens figuraient le
dieu _Pooh_ dans leurs tableaux religieux ou symboliques, ne peuvent
plus être incertaines d'après ce qu'on vient d'établir par l'autorité
des monuments, dans l'explication de la planche précédente. Il nous
resterait à connaître la manière dont on exprima le nom de ce dieu
dans l'écriture sacrée. Malheureusement les dessinateurs de la
commission d'Égypte, en copiant avec fidélité les différentes images
de cette importante divinité, à laquelle toutefois on donne le nom
d'_Harpocrate_ dans le texte de la _Description de l'Égypte_, ont
négligé de copier aussi avec le même soin les légendes hiéroglyphiques
placées à côté de ce personnage. Nous n'avons pu suppléer à cette
omission en consultant les peintures des sarcophages et des enveloppes
des momies, parce que le dieu _Pooh_ n'est jamais figuré, à notre
connaissance du moins, sur les monuments funéraires de ce genre.
Mais le dessin du zodiaque circulaire de Dendéra, donné dans ce
magnifique ouvrage, nous a permis de remplir cette lacune: le nom
hiéroglyphique du dieu _Pooh_ est tracé deux fois dans les légendes
sacrées perpendiculaires[169], placées à côté de la grande figure de
femme ayant les bras étendus, sculptée à la gauche du zodiaque, et qui
représente la déesse _Tpé_, le ciel personnifié.
Le nom hiéroglyphique du dieu _Pooh_ ou _Piioh_ (la lune), (_Voyez_
notre pl. 14, Nº 1), est formé de deux caractères: 1º d'un croissant
à-peu-près semblable à celui que nous plaçons dans nos almanachs pour
exprimer le premier ou le dernier quartier, figure qui, d'après le
témoignage de Clément d'Alexandrie, était le signe de l'idée _lune_
dans l'écriture sacrée égyptienne[170];
2º Du caractère symbolique _Dieu-mâle_, signe déterminatif d'espèce
qui est le caractère final de tous les noms propres des dieux
égyptiens. Ce groupe répond aux mots de la langue parlée POOH-NOUTÉ
_le Dieu-lune_. Nous ajouterons aussi que le croissant renversé était,
selon Horapollon[171], le signe de l'idée _mois_ (_Voyez_ notre pl.
14, Nº 3). Ce même caractère est en effet le signe initial de tous les
groupes hiéroglyphiques, exprimant les noms propres des mois égyptiens.
On trouve enfin, dans les inscriptions précitées du zodiaque circulaire
de Dendéra, ce même croissant placé _les cornes en haut_ (Pl. 14, Nº
9). Il servait à noter _le commencement du mois_; comme sa position
inverse, _le croissant les cornes en bas_, en exprimait _la fin_ et
l'accomplissement[172].
La planche 14.2 contient une nouvelle image du _Dieu-lune_ accompagnée
de symboles indiquant une circonstance particulière du cours de cet
astre. Ce tableau emblématique est reproduit parmi les peintures des
manuscrits funéraires, soit hiératiques, soit hiéroglyphiques, un peu
complets[173].
_Pooh_, la tête surmontée du _disque entier_, peint tantôt en _jaune_,
tantôt en _rouge_, ainsi que _du croissant_, se montre assis sur une
_bari_ ou _barque_, symbole du mouvement de l'astre autour de la
terre. Devant le dieu est un autel chargé d'un pain sacré et d'une
fleur de lotus; derrière lui est le groupe hiéroglyphique exprimant
l'idée d'_Adoration_, _de service ou d'honneur rendu aux dieux_ dans le
texte sacré de l'inscription de Rosette[174]. Hors de la barque sont
des _cynocéphales_ faisant face au dieu et élevant leurs bras vers le
ciel. La posture de ces animaux indique sans aucun doute que le tableau
entier représente emblématiquement _le lever de la lune_. Horapollon
dit en effet que le _cynocéphale debout et les mains élevées vers le
ciel_ exprime le _lever de la lune_[175], que cet animal semble ainsi
féliciter et accueillir avec joie[176].
[169] Descr. de l'Égypte. A. vol. IV, pl. 21.
[170] Σελήνην γράψαι ϐουλόμενοι σχῆμα μηνοειδὲς ποιοῦσι, les Égyptiens
_voulant écrire_ LA LUNE _tracent la figure_ D'UN CROISSANT. Stromat.
liv. V, pag. 657. Édit. Potter.
[171] Hiéroglyphicor. lib. I, §. 4.
[172] _Idem. Ibidem._
[173] Voyez _Descript. de l'Egypte_. A. vol. II, pl. 7, au-dessus des
colonnes 21 à 39.--_Id._ MSS. hiératique, pl. 70.
[174] Texte hiéroglyphique, ligne 7, au commencement. Ce groupe
répond au mot Θεραπεύειν de la 40e ligne du texte grec.
[175] Horapollon. Hiéroglyph. lib. I, §. 15.
[176] _Idem. Ibidem._
[Illustration: 14.2.]
POOH, PIIOH, IOH,
LE DIEU-LUNE, DIRECTEUR DES AMES.
L'ESPRIT des peuples les plus civilisés de l'ancien continent,
éminemment porté vers les idées religieuses, s'efforça, soutenu par
des méthodes plus ou moins perfectionnées, de rechercher la nature des
choses; et non content d'étudier et de systématiser le monde physique,
il voulut même pénétrer tous les secrets du monde intellectuel.
L'Égypte proclama, la première, le dogme sublime de l'immortalité
de l'ame[177]; mais à cette vérité, source pure de toute morale, et
fondement nécessaire de l'ordre social, les premiers législateurs ne
purent lier que de simples hypothèses lorsque, établissant un corps
de doctrine religieuse, ils voulurent expliquer aux hommes l'origine,
l'état présent et le sort futur de cette portion de vie et de raison
qui nous anime et qui nous dirige.
Les Égyptiens pensaient que les ames de tous les êtres qui peuplent
l'univers, n'étaient que des émanations directes de l'Ame par
excellence, de l'Esprit éternel et incompréhensible qui créa, maintient
et gouverne les mondes[178]. Ils croyaient aussi que, sujettes à
diverses transmigrations, les ames devaient successivement passer, en
expiation d'une faute primordiale, dans les corps d'êtres de différents
ordres, avant de rentrer dans le sein de la grande Ame dont elles sont
émanées. La croyance vulgaire voulait enfin que, dans l'intervalle
d'une transmigration à une autre, les ames errassent pendant un certain
temps, dégagées des liens corporels, dans cet espace du ciel compris
entre la terre et _la Lune_[179], zone à laquelle le Dieu-Lune, _Pooh_,
présidait spécialement.
Ainsi, cette divinité jouait un rôle important dans le système
psychologique des Égyptiens; et parmi les peintures qui ornent les
manuscrits découverts dans les cercueils ou sous les bandelettes des
momies, il en est plusieurs qui sont relatives aux ames habitant
la zone céleste soumise au Dieu _Pooh_. Ces manuscrits renferment
le _Rituel funéraire_ plus ou moins complet; et ce rituel, composé
de prières adressées, en faveur de l'ame d'un défunt, à toutes les
divinités présidant soit à la direction des ames pendant leur union
et après la séparation du corps, soit aux différentes régions célestes
dans lesquelles l'ame peut être envoyée, se divise en trois parties
principales, ordinairement séparées par de grandes scènes peintes
occupant toute la hauteur du manuscrit. La scène qui se trouve figurée
entre la première et la seconde partie du _Rituel funéraire_[180], est
divisée en trois bandes horizontales; la bande supérieure représente
la haute région du ciel occupée par l'image _du Soleil_ répandant ses
rayons sur les régions d'en-bas; la troisième bande, est la région
inférieure, la terre, et offre l'image du défunt assis, et recevant,
pour l'ordinaire, les hommages de sa famille; la bande intermédiaire
est la partie du ciel située entre _la Lune_ et la Terre, _la demeure
des ames_, Ψυχῶν οἰκητήριον[181]; on y a peint le Dieu _Pooh_ (la Lune)
sous une forme humaine, élevant ses bras comme pour soutenir le disque
lunaire placé sur sa tête. Cette divinité est toujours accompagnée de
cynocéphales, dont la posture indique le _lever de la Lune_[182], et
souvent aussi d'_oiseaux à tête et à bras humains_ dans une attitude de
respect et d'adoration.
Ces oiseaux symboliques, formés d'un corps d'_épervier_ et d'une
_tête d'homme_ ou de _femme_, étaient, chez les Égyptiens, les images
sous lesquelles ils représentaient habituellement les _ames_ dans les
peintures emblématiques. Les témoignages de l'antiquité sont formels à
cet égard[183]; et s'il était besoin de nouvelles preuves, on pourrait
citer le beau manuscrit hiéroglyphique acquis de M. Thédenat pour le
cabinet des antiques de la Bibliothèque du Roi, manuscrit dans lequel
on voit un de ces éperviers à tête humaine _non barbue_, perché sur
un grand tas de blé devant de riches offrandes, et accompagné de la
légende suivante en caractères sacrés Ⲃⲁⲓ (ⲟⲛϩ) ⲛ (ⲟⲩⲥⲓⲣⲉ) ⲧⲛⲧⲁⲙⲛ
(ϩⲓⲙⲉ), BAI ONH NOUSIRE TNTAMEN HIME l'AME _vivante de l'Osirienne
Tentamon_. On retrouve dans cette légende le mot BAI qui, selon
Horapollon, est le mot même dont se servaient les Égyptiens pour
exprimer l'idée _Ame_[183].
Notre planche 14.3, tirée de l'un des papyrus hiératiques publiés
par la Commission d'Égypte, et reproduite avec les couleurs propres
à chaque objet dans une foule d'autres manuscrits, nous offre donc
les _Ames_ adorant le dieu _Pooh_ dans la zône céleste soumise à sa
puissance.
[177] HÉRODOTE, liv. II, § XXIII.
[178] Voyez ci-dessus l'article _Ammon-Cnouphis_.
[179] _Dialogue d'Isis_, voy. STOBÆI _Eclogar. Physicar._, lib. I,
cap. LII, p. 1076; IAMBLIQUE, _de Anima_, ap. Euseb. Præp. evangelic.
[180] Voy. le grand mss. hiéroglyphique gravé dans la _Descrip. de
l'Egypte_, Ant., vol. II, pl. 72.
[181] Dialogue d'Isis, déja cité.
[182] Voyez l'explication de notre planche précédente.
[183] HORAPOLLON, _Hieroglyph._, lib. I, cap. VII.
[Illustration: 14.3.]
POOH, ou PIIOH,
LA LUNE, LE DIEU-LUNE.
LE nombre peu considérable d'images du _Dieu-Lune_, observées
jusqu'ici sur les monuments d'ancien style égyptien, n'avait point
encore permis de reconnaître les différents noms hiéroglyphiques de
cette grande divinité. Celui qu'on a présenté dans les planches 14
et 14.2 est purement _figuratif_; il offre la représentation d'une
des principales phases de l'astre dont ce dieu réglait le cours et
les mouvements. Ce nom répond, quant à sa nature graphique, au nom
figuratif du soleil donné sur la planche 24, nº 4; mais il était
indubitable que le nom d'une essence divine aussi généralement vénérée
par les Égyptiens que le fut le dieu _Pooh_, devait se trouver sous
plusieurs formes dans les textes hiéroglyphiques. On a déja pu voir, en
effet, que les noms propres des grandes divinités sont exprimés, dans
les légendes en écriture sacrée, par trois méthodes essentiellement
distinctes: 1º _figurativement_[184]; 2º _symboliquement_[185]; 3º
_phonétiquement_[186]; et qu'il n'est point rare enfin de trouver, à
côté de l'image d'un dieu, soit ses noms _phonétique_ et _figuratif_
réunis[187], soit même ces trois sortes de noms à la fois[188].
C'était seulement au milieu d'une collection de monuments comme celle
de S. M. le roi de Sardaigne, véritable musée égyptien, objet d'un vif
regret pour les lettrés de France, que je pouvais espérer de recueillir
les divers noms hiéroglyphiques du dieu _Lune_. J'ai en effet reconnu,
dans cette admirable collection, plusieurs monuments qui se rapportent,
sans aucun doute, au culte du dieu _Pooh_; leur examen m'a conduit à
recueillir deux nouveaux noms de cette divinité, en écriture sacrée.
La figure gravée sur notre planche 14.4, a été calquée sur une stèle
de ce musée; ce petit monument, d'une conservation parfaite, est
en pierre calcaire blanche d'un grain très-fin; la sculpture, d'un
très-bon travail, a été peinte, et les couleurs ont conservé toute leur
vivacité. La hauteur de la stèle est partagée en deux compartiments:
la division supérieure représente le dieu _Pooh_ assis sur un trône
richement décoré; devant lui, est un autel chargé de pains arrondis,
d'un vase contenant des mets consacrés, de diverses sortes de plantes,
et d'un superbe bouquet de lotus lié avec des bandelettes de diverses
couleurs.
Les insignes du dieu ne diffèrent point essentiellement de ceux qu'il
porte déja sur notre planche nº 14; la tunique seule est blanche sur
le bas-relief de Turin; le disque et le croissant sont aussi peints
_en jaune_, et l'ornement qui retombe sur le devant du collier est
d'une forme bien plus distincte. L'_Uræus_, ou serpent, emblême de la
puissance royale, est fixé au diadême qui ceint l'étroite coiffure du
dieu, toujours de couleur _noire_.
Le nom du dieu reproduit sur notre planche est composé de quatre
caractères, non compris le signe déterminatif d'espèce _Dieu_, qui en
indique la fin. Le premier est un _disque_ entièrement _noir_ sur la
stèle, mais que j'ai retrouvé peint en _jaune_, ou bien _strié_, dans
ce même nom divin inscrit soit sur des cercueils de momies, soit dans
des manuscrits funéraires. D'autres circonstances, qu'il serait trop
long de développer ici, me persuadent également que ce premier signe
n'est qu'un caractère _figuratif_, une simple représentation du disque
de la _Lune_ que l'on peint en noir ou en jaune, et que l'on strie
souvent encore, pour le distinguer du disque du _Soleil_, peint en
rouge dans les inscriptions coloriées, ou figuré par un simple cercle
dont l'intérieur est blanc, ou porte seulement un point noir à son
centre dans les textes en hiéroglyphes linéaires.
Les trois derniers signes sont phonétiques, et répondent aux lettres
coptes ⲛⲥⲟⲩ, de sorte que ce nom entier pouvait se prononcer
_Ooh-en-sou_, ou _Ioh-en-sou_, suivant les dialectes; il exprime bien
certainement une phase particulière de la Lune, un des états du Dieu ou
de l'astre auquel il préside: si nous remarquons en effet que le second
caractère ⲛ est un signe de rapport répondant à la préposition _de_, il
nous restera le mot ⲥⲟⲩ (_sou_) qui, dans tous les textes coptes, se
place comme déterminatif devant les nombres exprimant le _quantième_
des jours du mois. Ainsi ⲥⲟⲩ ⲃ ⲛⲁⲑⲱⲣ signifiait le _second jour du mois
d'Athôr_; et dans les différents dialectes de la langue égyptienne, les
mots ⲥⲟⲩⲁ (_soua_), ⲥⲟⲩⲁⲓ (_souai_), et ⲥⲟⲩⲉⲉⲓ (_souééi_), exprimaient
à la fois et _le premier jour du mois_, et la NÉOMÉNIE ou NOUVELLE
LUNE. Il est bien difficile de ne point reconnaître une étroite
connexion entre la syllabe hiéroglyphique _sou_, qui termine le nom du
_Dieu-Lune_, et le mot copte ⲥⲟⲩ appliqué aux subdivisions du mois,
période calquée primordialement sur le cours de la Lune et ses diverses
apparences.
[184] Voyez pl. 20.2, 20.3, etc.
[185] _Id._, pl. 20.
[186] Planches précédentes, _passim_.
[187] Voyez pl. 8, nº 3 et 4.
[188] Pl. 24, nº 1.
[Illustration: 14.4.]
EMBLEMES DE LA LUNE,
OU DU DIEU OOH, IOH, POOH, LE DIEU-LUNE.
L'IMAGE du _Dieu-Lune_, dans la planche précédente, reçoit, sur la
stèle du musée de Turin dont on l'a extraite, les offrandes de deux
personnages représentés dans le second compartiment de la stèle,
agenouillés et élevant les mains en signe d'adoration. Les inscriptions
hiéroglyphiques tracées à côté de ces deux individus, nous apprennent
que la stèle entière n'est qu'une sorte de Προσκύνημα, ou d'_Acte
d'Adoration du Dieu_ OOH-EN-SOU _par le hiérogrammate d'Ammon Neb-rè_,
et _par son fils qui l'aime, Aménémophi_. Deux autres stèles, toujours
d'un petit volume, offrent également des hommages à la même divinité;
mais la forme sous laquelle on l'adore, et le nom sacré inscrit à côté
de l'image et dans le texte de la prière qu'on lui adresse, diffèrent
essentiellement de tout ce que nous avons vu jusqu'ici.
A la place du dieu, on a sculpté la représentation de la _Lune_ même,
sous l'apparence d'un grand _disque_ peint en _jaune_ et combiné
avec le _croissant_; c'est la reproduction en grand de l'insigne
caractéristique qu'on place sur la tête du dieu _Pooh_, de la même
manière que le disque du Soleil repose sur la tête du dieu _Phré_,
lorsque ces deux divinités sont figurées sous une forme humaine.
Dans ces deux stèles, le globe lunaire est porté sur une barque,
symbole du mouvement de l'astre. Mais dans la première, les deux
extrémités de la barque sont couronnées par une fleur de _Lotus_,
tandis que la proue de la seconde est recourbée et se termine en
pointe aiguë, particularité que je n'ai observée jusqu'ici que dans
les _Bari_, ou vaisseaux mystiques consacrés à la Lune. Les deux
barques reposent, non sur une image quelconque de l'_eau_, mais sur
le caractère hiéroglyphique déja connu pour le signe figuratif du
_ciel_[189]; c'était une manière très-simple d'exprimer le cours ou la
navigation de la Lune dans l'immensité des cieux.
L'une de ces deux barques symboliques nous montre le globe de la Lune
flanqué de deux _yeux_ configurés d'une manière particulière; cet
emblême, que l'on a pris tantôt pour une tête de coq, tantôt pour
celle d'un cheval, n'est qu'une manière conventionnelle de représenter
des _yeux de taureau_, ainsi que nous le montrerons dans un article
spécialement relatif à ce symbole, commun au dieu _Pooh_ et au dieu
_Phré_, comme à _Osiris_.
Un nouveau nom hiéroglyphique du _Dieu-Lune_ se présente sur ces
deux stèles; c'est le véritable nom propre de cette divinité, écrit
phonétiquement et suivi d'un signe déterminatif qui ne laisse aucune
espèce de doute sur sa valeur. La _feuille_, le _bras étendu_, et la
_chaîne_, ou _nœud_, forment les éléments phonétiques de ce nom; les
deux premiers sont des voyelles qui expriment, suivant l'occasion,
les sons A, I, ou O, dans tous les textes hiéroglyphiques; le dernier
(la _chaîne_) répond au ϩ (_hori_) des Coptes; nous avons donc ici
incontestablement l'orthographe hiéroglyphique des mots coptes
ⲟⲟϩ (_ooh_), ⲱϩ (_ôh_), et ⲓⲟϩ (_ioh_), qui expriment d'une manière
spéciale l'idée _Lune_ dans le dialecte thébain et le dialecte
memphitique.
Ce mot phonétique est suivi, dans les deux stèles où il est reproduit
cinq fois, d'un caractère déterminatif: le _Croissant de la Lune_
renversé, ou le _disque_ combiné avec le _Croissant_ dont les cornes
sont également _tournées en bas_; ce qui ramène encore à l'idée du mois
ou _période lunaire_. Enfin le nom hiéroglyphique du dieu _Thoth_ (le
deuxième Hermès) est lié, sur les deux stèles, au nom du _Dieu-Lune_,
comme pour rappeler la liaison intime qui existait, dans les mythes
égyptiens, entre ces deux divinités, que les monuments d'ancien style
identifient par une telle communauté d'attributs et de fonctions,
qu'on est tenté de les considérer comme ne formant qu'un seul et même
personnage mythique.
La légende hiéroglyphique, inscrite au-dessus de la première barque
symbolique, signifie textuellement OOH ou IOH-THÔOUTI, _Dieu grand_,
_Seigneur suprême_, _Roi des Dieux_; celle de la seconde stèle porte
seulement les mots IOH-THÔOUTI, _Dieu grand_. Le titre de _Roi des
Dieux_ ne peut avoir été donné ainsi au dieu _Pooh_ ou _Ioh_, que tout
autant qu'on le considérait comme une des formes d'_Amon-ra_, le grand
Démiurge.
[189] Précis du système hiéroglyphique, tableau général des signes,
numéros 234 et 234 _a_.
[Illustration: 14.5.]
LE CYNOCÉPHALE,
EMBLÊME DE POOH, LE DIEU LUNE.
LES rapports intimes que le système théogonique des Égyptiens
établissait, comme le prouvent les monuments, entre le second Hermès,
ou _Thoth Ibiocéphale_, et _Pooh_, ou le _Dieu-Lune_, nous sont encore
signalés par l'identité des emblêmes communs à ces deux divinités.
L'animal symbolique de Thoth, fut aussi celui du Dieu-Lune, et le
Cynocéphale se montre indifféremment paré des insignes propres à l'un
ou à l'autre de ces personnages mystiques.
Horapollon dit expressément, en effet, que le Cynocéphale représente
_la Lune_[190] dans l'écriture sacrée, et il en donne pour raison, que
cette espèce de singe est douée d'une certaine sympathie avec le cours
de cet astre qui exerce sur lui une singulière influence: «Pendant
la conjonction du soleil avec la lune, dit cet auteur, tant que ce
dernier astre reste opaque et privé de lumière, le cynocéphale mâle
ne voit point, se prive de nourriture, et, la tête tristement penchée
vers la terre, il semble déplorer l'enlèvement (ἁρπάγην) de la lune;
la femelle du cynocéphale est alors aussi privée de la vue, et éprouve
non-seulement les mêmes effets que le mâle, mais encore est sujette à
une perte de sang[191] à cette même époque.» Enfin, si nous voulons
en croire le même écrivain, dont l'ouvrage renferme d'ailleurs de si
précieux documents, les Égyptiens avaient coutume, à l'époque même où
il composa son livre, de nourrir des _cynocéphales dans les hiérons,
pour connaître le temps précis de la conjonction du soleil et de la
lune_[192]. Quoi qu'il en puisse être de cette singulière méthode
d'observation, il est certain que le préjugé de l'influence lunaire
sur certains animaux et sur l'espèce des singes en particulier, ne fut
point seulement répandu en Égypte, mais qu'il obtint quelque crédit en
Grèce et même en Italie: le naturaliste Pline assure aussi de son côté,
que les singes sont tristes pendant l'opacité de la lune, _lunâ cavâ
tristes esse_[193].
Parmi les animaux sacrés de l'Égypte, le _cynocéphale_ est un de ceux
dont les images sont les plus multipliées sur les monuments d'ancien
style; symbole de deux des principales divinités, il se montre soit
debout et les bras élevés pour exprimer le _lever de la lune_[194],
soit accroupi, dans l'attitude même que lui donnaient les embaumeurs
lorsqu'ils préparaient le corps d'un individu de ce genre[195], et la
tête ornée du _disque et du croissant lunaires combinés_ ainsi qu'on le
voit sur la planche ci-jointe, copie exacte d'une petite stèle peinte
faisant partie du musée royal égyptien de Turin. Le cynocéphale est
accroupi devant un autel sur lequel sont placés un beau faisceau de
fleurs de lotus et des pains sacrés; au pied de l'autel sont deux vases
dont l'un est ceint d'une bandelette et l'autre entouré d'une tige de
lotus terminée par la fleur encore en bouton. La partie inférieure de
la stèle, est occupée par quatre colonnes d'hiéroglyphes, effacés en
grande partie, et qui contenaient une prière adressée au _Cynocéphale_
sacré, ou plus exactement aux divinités mêmes dont cet animal n'était
que le symbole, les Dieux _Pooh_ et _Thoth seigneur de Schumon_ (ou des
huit régions), par un certain _Ramès_ ou _Ramisé_ (l'enfant du soleil),
personnage qui est figuré à genoux, couvert d'une ample tunique
blanche, et les chairs peintes en rouge, selon la méthode ordinaire.
Au-dessus des offrandes, on a sculpté en grand le caractère figuratif
_Lune_, formé du _disque et du croissant_, comme un emblême parlant
de la divinité à laquelle avait été consacré ce curieux monument; il
présente ainsi, confondus en un seul, le culte du Dieu Lune et celui
du Dieu Thoth, connexion qu'on eût déja pu soupçonner à la vue des
médailles gréco-romaines du nome d'_Hermopolis magna_, la grande ville
de Thoth, dont quelques-unes portent sur leur revers un _cynocéphale
accroupi et la tête ornée du disque lunaire_.
[190] HORAPOLLON, _Hiéroglyph._, liv. I, § 14.
[191] Ἐκ τῆς ἰδίας φύσεως αἱμάσσεται, _idem_, § 14.
[192] HORAPOLLON, _Hiéroglyph._, liv. I, § 14.
[193] _Hist. nat._, lib. VIII, cap. LIV.
[194] Voyez notre planche 14.2.
[195] Une momie de Cynocéphale, appartenant à feu Belzoni, et deux
autres, faisant partie de la collection Drovetti, prouvent ce que
nous avançons ici.
[Illustration: 14.6.]
POOH HIÉRACOCÉPHALE.
(LE DIEU-LUNE A TÊTE D'ÉPERVIER.)
S'IL arrive souvent que les descriptions, données par les auteurs
grecs ou latins, des simulacres ou des statues des dieux adorés en
Égypte, ne paraissent point s'accorder avec ce que nous montrent les
monuments originaux placés sous nos yeux, plus souvent encore nous
sommes forcés de reconnaître leur fidélité à cet égard et l'exactitude
des renseignements sur la foi desquels ils écrivirent. Ainsi la
description de l'image du dieu Cnouphis adoré dans l'île d'Éléphantine,
est tellement circonstanciée dans Eusèbe[196], que les membres de la
Commission d'Égypte, visitant les ruines d'un des temples de cette île,
reconnurent aussitôt la représentation du dieu parmi les sculptures de
l'édifice du sud. C'est également dans le même Traité de ce savant Père
de l'Église, que se trouve un document précieux, à l'aide duquel j'ai
reconnu plusieurs nouvelles formes symboliques, ou conventionnelles,
que les Égyptiens donnèrent aux images de leur dieu _Pooh_ ou le
_Dieu-Lune_.
Dans le troisième livre de sa _Préparation évangélique_, après avoir
parlé de la statue de Cnouphis à Eléphantine, Eusèbe affirme que,
dans la ville d'Apollonopolis, les Égyptiens adoraient principalement
la lune et qu'on l'y voyait représentée _sous la forme_ D'UN HOMME A
TÊTE D'ÉPERVIER (Ἱερακοπρόσωπος ἄνθρωπος), _un javelot à la main, et
subjuguant un hippopotame, emblème de Typhon_[197]. Il est évident
qu'il est ici question de la grande cité d'Apollon, située dans la
Thébaïde, au midi de Thèbes, et nommée Aⲧⲃⲱ, _Atvô_ par les Égyptiens,
nom local dont les Arabes ont fait celui d'_Idfou_, _Edfou_ ou _Odfou_
que cette ville porte encore de nos jours. Il est en même temps évident
que la scène décrite par Eusèbe, était le sujet d'un des bas-reliefs
qui décoraient le grand temple d'Apollonopolis. Malheureusement ce
tableau symbolique ne se retrouve point, à ma connaissance du moins,
dans le petit nombre de sculptures copiées par les divers voyageurs,
soit dans le grand temple d'Edfou, soit dans le Typhonium placé à une
petite distance de ce magnifique édifice.
[Illustration: 14.7.]
Mais un bas-relief dessiné par la Commission d'Égypte à Edfou même
et sur le mur extérieur du grand temple[198], nous offre l'image du
_Dieu-Lune_ telle qu'Eusèbe la décrit, avec cette seule différence,
que le dieu, au lieu d'être figuré poursuivant l'animal emblème du
mauvais génie, est ici assis sur son trône et recevant les hommages de
l'un des souverains de l'Égypte. Ce roi est un des princes les plus
connus de la famille des Lagides, _Ptolémée Évergète II_, ainsi que
nous l'apprend sa légende royale renfermée dans deux cartouches: _le
seigneur du monde, le dieu Évergète, approuvé de Phtha, image vivante
d'Amon-ra, le fils du soleil Ptolémée toujours-vivant chéri de Phtha,
dieu grand_. Évergète II porte, au-dessus de sa coiffure ordinaire,
_le Pschent_, symbole de la domination sur les régions d'en-haut et
les régions d'en-bas; derrière ce roi est cette légende qui accompagne
toujours les images des grands personnages représentés sur les
monuments de l'Égypte, légende qu'on a cru devoir désigner sous le
nom de _légende sacerdotale_, mais qui ne contient en réalité que des
titres appartenant aux souverains à côté desquels elle est inscrite,
et qui se réduit pour l'ordinaire aux idées suivantes: _le vivant et
bienfaisant dominateur de la région inférieure, comme le soleil pour
toujours_.
La divinité adorée par le roi Lagide, est assise sur un trône placé sur
un socle élevé. Sa tête est _celle d'un épervier_, ce qui a pu la faire
prendre, à la première vue, pour une représentation de _Phré_ ou le
soleil: mais le Disque ou _Amphicyrte_, placé sur la tête de l'oiseau,
est très-clairement combiné avec la _dichotomie_, ou moitié du disque
lunaire; et nous avons vu que ces deux phases ainsi réunies étaient,
en Égypte, l'emblème ordinaire de la _lune_[199]. L'_Uræus_ au milieu
du disque entier, est le symbole de la toute puissance inhérente à ce
personnage, l'un des premiers et des plus anciens dieux de l'Égypte.
Il faut donc reconnaître ici une nouvelle forme propre au _Lunus_
égyptien, appelé indifféremment _Ioh_, _Ooh_ et _Ooh-ensou_.
La légende hiéroglyphique sculptée à côté de ce personnage divin,
ne laisse d'ailleurs aucune sorte de doute à cet égard, quoique
très-incorrectement copiée par la Commission d'Égypte, ce qui provient
sans doute du mauvais état du bas-relief; les sept premiers signes
sont très-reconnaissables et signifient clairement: _ceci est l'image
d'Ooh-ensou dieu_: la gravure publiée dans la Description de l'Égypte,
met _un scorpion_ à la place de _la tige de plante à quatre feuilles_,
qui termine ordinairement ce nom du Dieu-Lune[200]. Le dernier signe
de ce nom divin, le signe déterminatif d'espèce, est ici l'image même
du dieu, tracée de petite proportion avec ses principaux attributs,
comme cela arrive sur les grands monuments à la suite des noms propres
phonétiques des divinités égyptiennes[201].
Le roi Ptolémée Evergète II est représenté, dans ce même bas-relief,
en acte d'offrir un sacrifice au _Dieu-Lune_; et l'animal qu'il
égorge sur l'autel, est le chamois du désert, appelé Oryx (Ὄρυξ) par
les Grecs. Aucune offrande ne pouvait être plus agréable au dieu,
dans les idées égyptiennes du moins, que celle du sang de cet animal
particulièrement consacré à Typhon, le symbole spécial de _l'impureté_
et l'ennemi déclaré de la lune: car, disait-on, aussitôt que cet
astre va paraître sur l'horizon, l'oryx, tournant ses yeux du côté
de cet être divin, jette des cris et le maudit à sa manière, au lieu
de l'accueillir avec joie; bientôt après il creuse la terre avec ses
pattes antérieures, et cache ses yeux dans la poussière pour ne point
voir le lever même de l'astre[202].
[196] Voyez l'explication de notre planche nº 3.
[197] Τὸ δὲ δεύτερον φῶς τῆς Σελήνης, ἐν Ἀπόλλωνος Πόλει καθιέρωται·
ἔστι δὲ τούτου σύμϐολον ἱερακοπρόσωπος ἄνθρωπος, ζιϐύνῃ χειρούμενος
Τυφῶνα ἱπποποτάμῳ εἰκασμένον. Euseb., _Præparat. Evangelic._, _lib._
III, _cap._ XII.
[198] _Descript. de l'Egypte_, A, vol. I, pl. 59, nº 5.
[199] Voyez l'explication de notre planche 14, et la note 6.
[200] Voyez notre planche 14.4, lég. nº 1, et son explication.
[201] _Précis du Système hiéroglyphique_, chap. V, pag. 104 et 105.
[202] Ἀκαθαρσίαν δὲ γράφοντες, ὌΡΥΓΑ ζωγραφοῦσιν· ἐπειδὴ ἐπ' ἀνατολὴν
ἐρχομένης τῆς ΣΕΛΗΝΗΣ, ἀτενίζων εἰς τὴν θεὸν, κραυγὴν ποιεῖται, οὐκ
εὐλογῶν αὐτὴν, οὐδὲ εὐφημῶν· σημεῖον δὲ τούτου ἐναργέστατον. Τοῖς
γὰρ ἐμπροσθίοις αὑτοῦ σκέλεσιν ἀνορύσσων τὴν γῆν, ζωγραφεῖ ἑαυτοῦ
τὰς κόρας, ὡσπερεὶ ἀγανακτῶν καὶ μὴ βουλόμενος ἰδεῖν τὴν τῆς θεοῦ
ἀνατολήν. HORAPOLLON, _Hieroglyph._, livre I, § 49.
[Illustration: 14.8.]
POOH, ou PIIOH HIÉRACOCÉPHALE.
(LE DIEU-LUNE A TÊTE D'ÉPERVIER.)
LES significations très-variées[203] que les Égyptiens attachaient à
_l'Épervier_, employé comme caractère dans leur écriture symbolique,
expliquent assez pourquoi un très-grand nombre de divinités furent
représentées soit _hiéracomorphes_, soit _hiéracocéphales_; et nous
venons de prouver dans l'article précédent que, parmi les dieux figurés
dans les bas-reliefs et les peintures avec une tête d'épervier, il
fallait aussi comprendre le DIEU-LUNE, _Ooh_, _Pooh_, _Ioh_, _Piioh_ ou
_Ooh-ensou_.
C'est sous une forme semblable que cette grande divinité se montre
dans la seconde partie des grands manuscrits funéraires, où il est
très-difficile de la distinguer des images mêmes du dieu _Phré_
(le soleil): mais lorsque ces papyrus sont coloriés, on reconnaît
toujours le Dieu _Pooh_ à son disque peint _en jaune_, tandis que
celui du soleil est de couleur _rouge_. C'est parmi les fragments
d'un superbe manuscrit appartenant au musée royal de Turin, que j'ai
recueilli la belle figure du _Dieu-Lune Hiéracocéphale_, reproduite
sur notre planche 14.8. Sa tête d'épervier est ici surmontée, non de
l'_amphicyrte_ combiné avec la _dichotomie_, mais de l'_amphicyrte_
placé sur le _croissant_. Le corps du dieu dans tout ce qui se rapporte
à la forme humaine, est peint en _rouge_: mais d'un autre côté nous
apprenons d'Eusèbe, que le corps du _Dieu-Lune Hiéracocéphale_ était
quelquefois peint de _couleur blanche_ (λευκὸν δὲ τῇ χρόᾳ τὸ ἄγαλμα),
comme pour montrer que la lune reçoit d'ailleurs que d'elle-même la
lumière dont elle brille[204], et ce fut aussi, selon le témoignage
du même auteur, pour indiquer la source de cette lumière, que les
Égyptiens donnèrent au _Dieu-Lune_ la tête d'un _épervier_, l'oiseau
consacré au _soleil_: voulant exprimer ainsi _que la lune est illuminée
par le soleil, et qu'elle reçoit de lui toute sa force vitale_[205].
Le _Dieu-Lune_ (planche 14.8) est représenté accompagnant _Amon-ra_,
dans les fragments d'un papyrus du musée de Turin; ce manuscrit était
orné, à en juger par celles qui restent, de figures en pied, de
sept pouces de proportion au moins, exécutées avec une très-grande
recherche. C'est dans la même collection, vraiment royale, d'antiquités
égyptiennes, que j'ai aussi reconnu la singulière image du _Dieu-Lune_,
gravée dans la planche 14.9, à laquelle ce texte se rapporte.
Ici le dieu est figuré avec _deux têtes d'épervier_ adaptées à un corps
humain. Le _disque_ entier et le _croissant_ caractérisent l'astre
que représente cette bizarre composition. La divinité, déployant ses
ailes au nombre de quatre, appuie légèrement ses pieds sur les têtes de
deux crocodiles. On a déja vu que ce terrible animal était l'emblème
du _temps_, du _lever_ et du _coucher des astres_; que sous un autre
rapport, il exprimait la _fécondité_. Il était donc, pour ainsi dire,
inévitable de le trouver en contact avec les images du _Dieu-Lune_,
de l'esprit recteur de l'astre qui, selon les Égyptiens, engendrait
et entretenait toutes les choses nécessaires à la conservation de
l'univers[206].
Cette représentation symbolique est sculptée au milieu d'une foule
d'autres, sur la tunique d'une statue qui, comme le fameux torse du
musée Borgia, présente un véritable Panthéon égyptien presque complet.
La légende hiéroglyphique qui l'accompagne, nous apprend que c'est là
l'image du Ⲟⲟϩ-ⲛⲥⲟⲩ ϫⲣ ϥϩⲙ ⲛⲛⲛⲡⲏⲩⲉ, _puissant_ OOH-EN-SOU _qui est dans
les cieux_.
[203] HORAPOLLON, _Hiéroglyph._, livre I, § 6, 7, 8, etc.
[204] _Præparatio evangelica_, _lib._ III, _cap._ XII, _pag._ 116;
édit. de Viger.
[205] Τοῦ δὲ ἱερακείου προσώπου, τὸ ἀφ' Ἡλίου φωτίζεσθαι καὶ πνεῦμα
λαμϐάνειν. Id., ibid.
[206] HORAPOLLON, _Hiéroglyph._, liv. I, § 49.
[Illustration: 14.9.]
OOH, POOH, OHENSOU.
(LE DIEU LUNE.)
LES peuples anciens attribuaient à l'influence des astres en général,
et à celle de _la lune_ en particulier, la cause de tant de phénomènes
physiques, qu'en mettant même à part tout ce qui peut avoir trait à
leur croyance relativement à l'_astrologie judiciaire_ proprement dite,
la plupart des opérations de l'agriculture, et une foule d'usages
civils ou domestiques ne se pratiquaient jadis que lorsqu'on avait
préalablement reconnu dans quelle phase se montrait celle de toutes les
_planètes_ qui, après le soleil, était censée réagir d'une manière plus
puissante et plus active sur le globe terrestre et sur les êtres qui
l'habitaient. Dans l'Égypte surtout, où l'astronomie fit de bonne heure
des progrès remarquables, dans une contrée où cette science, placée à
la tête des connaissances utiles, régla toujours (même à l'époque où
la faiblesse humaine en appréciait bien plus les aberrations que les
données positives) presque tous les mouvements du corps social, le
culte du _Dieu-Lune_ fut nécessairement très-répandu; et si certaines
préfectures de l'Égypte adoraient des divinités spéciales, chaque nome
éleva des autels au dieu _Pooh_, _Ooh_ ou _Ohensou_, le génie qui
présidait au cours de l'astre lunaire.
Cette généralité du culte rendu au Dieu-Lune dans l'ancienne Égypte,
explique le nombre considérable d'images de cette divinité réunies
dans les collections publiques et particulières. Ces figurines sont de
matières diverses. Il en existe en terre émaillée bleue ou verte; en
bois doré, en argent et en bronze: la plupart représentent le _Dieu
Pooh_, tel qu'on le retrouve sur les bas-reliefs des temples, casqué,
enveloppé d'un vêtement étroit, et la tête surmontée du _disque et
du croissant combinés_. Souvent aussi on a placé dans ses mains le
_fouet_, le _sceptre recourbé_ et le _nilomètre_ (voy. pl. 14.10, numéros
1 et 3); mais quelques-unes de ces images, surtout celles de bronze,
offrent souvent des particularités dignes d'être notées.
La statuette gravée sous le nº 3 de notre planche, représente le
_Dieu-Lune à deux faces_, comme le _Janus Bifrons_ des Latins, et la
bélière qui servait à suspendre cet amulette au col du dévot égyptien
est attachée au _disque_ commun aux deux têtes.
Le nº 4 nous montre la même divinité _entièrement nue_, ce que je
n'ai jamais observé sur les stèles, ni parmi les nombreux dessins des
bas-reliefs sculptés sur les temples de l'Égypte.
Enfin le nº 5 se recommande à notre attention, puisque cette figurine
est une nouvelle preuve des rapports intimes qui, dans les mythes
sacrés de l'Égypte, liaient le _Dieu-Lune_ avec le second Hermès ou
_Thoth-Ibiocéphale_. Le dieu _Pooh_, également nu comme la statuette
précitée, porte, au-dessus de son insigne spécial, _le disque et le
croissant de la lune réunis_, une TÊTE d'IBIS, oiseau qui fut l'emblème
vivant de l'_Hermès deux fois grand_, combinée avec la coiffure
symbolique donnée au même dieu Thoth-Ibiocéphale sur les grands
monuments où cet être mythique est particulièrement représenté[207].
La _contraction_ de ces deux divinités en une seule, si l'on peut
s'exprimer ainsi, portait parmi les Égyptiens, ainsi que je l'ai établi
d'après une série de faits puisés aux sources originales, le nom de
OOH-THÔOUT ou AAH-THÔOUT (_Lune-Hermès_) ΣΕΛΗΝΕΡΜΗΣ. (Légende, nº 1.)
La forme hiératique de cette légende (nº 2 de la planche 14.10) est
extraite d'un manuscrit hiératique contenant _les litanies_ du dieu
_Ooh-Thôout_, papyrus que j'ai trouvé parmi ceux de la collection
Drovetti acquise par S. M. le roi de Sardaigne. Chaque ligne de ce
texte curieux commence par ce double nom divin, accompagné soit d'un
titre honorifique particulier à _Ooh-Thôout_, soit de l'indication de
l'une des régions célestes qu'il était censé habiter selon la croyance
égyptienne. J'aurai l'occasion de revenir sur ce curieux manuscrit.
[207] Voyez planche 29.
[Illustration: 14.10.]
THOTH TRISMÉGISTE,
LE PREMIER HERMÈS, HERMÈS TRISMÉGISTE.
LE personnage mythique _à tête d'épervier_, figuré sur cette planche,
remplit, dans les scènes religieuses sculptées sur les grands monuments
de l'Égypte, des fonctions analogues à celles du dieu qu'à sa _tête
d'Ibis_ on n'a pu méconnaître pour l'_Hermès égyptien_, appelé _Thoyth_
ou _Taut_ par les écrivains grecs et latins. Le dieu _Hiéracocéphale_
et le dieu _Ibiocéphale_ sont représentés dans les bas-reliefs des
appartements de granit au palais de Karnac, _instruisant_ un roi
d'Égypte placé au milieu d'eux[208]. Ce roi est _Philippe_, dit
_Aridée_, le successeur d'Alexandre-le-Grand; sa légende royale,
placée au-dessus de sa tête, porte en effet: _Le Roi, chéri d'Amon-ra,
approuvé par le Soleil, fils du Soleil_, PHILIPPE[209]. Dans le même
bas-relief ce prince est d'abord _purifié_ par le dieu _Hiéracocéphale_
et le _dieu Ibiocéphale_[210], qui versent au-dessus de sa tête l'eau
sainte s'échappant de deux vases. La même scène existe au palais de
Medinet Abou[211]; mais le roi purifié est ici un des anciens Pharaons
dont on n'a point copié la légende royale; cette scène est également
reproduite dans les bas-reliefs qui décorent le portique du grand
temple de Philæ[212]. L'eau sortant des vases, qu'épanchent les deux
divinités, est entremêlée des signes symboliques de la _vie divine_
et de la _bienfaisance_. A Esné enfin, les personnages Hiéracocéphale
et Ibiocéphale semblent instruire ou honorer une femme coiffée de la
partie supérieure du _Pschent_[213].
Il est évident, par l'examen des monuments qu'on vient de citer,
que le dieu _à tête d'épervier_ partage toutes les attributions
de l'Hermès égyptien à _tête d'Ibis_; et si l'on considère aussi
que les personnages instruits ou purifiés font toujours face à
l'Hiéracocéphale, il devient certain que cette divinité est supérieure
à l'Hermès _Ibiocéphale_; et cette suprématie, comme cette analogie de
fonctions, s'expliquent bien naturellement par le fait seul que les
Égyptiens reconnaissaient _deux_ Hermès parmi leurs divinités.
Cette distinction importante était positivement exprimée dans l'ouvrage
de Manéthon, écrit par ordre de Ptolémée Philadelphe[214]. Ce
grand-prêtre égyptien y parlait de THOTH LE PREMIER HERMÈS (Θὼθ ὁ πρῶτος
Ἑρμῆς), qui, avant le Cataclysme, avait inscrit sur des stèles, en
hiéroglyphes et en langue sacrée, les principes des connaissances, et
composé ainsi les premiers livres sacrés, qui furent traduits, après
le Cataclysme, en écriture _hiérographique_ (hiératique) et en langue
commune, par le _fils d'Agathodæmon_ (ὁ δεύτερος Ἑρμῆς) LE SECOND
HERMÈS père de Tat. Ce passage de Manéthon confirme donc ce que j'avais
déja déduit des monuments seuls, l'existence de deux Hermès. Cette même
distinction est expressément établie dans les livres _hermétiques_,
qui, malgré les jugements hasardés qu'en ont portés certains critiques
modernes, n'en renferment pas moins une masse de traditions purement
égyptiennes et constamment d'accord avec les monuments.
[Illustration: 15.]
Dans le dialogue sacré d'_Isis et d'Horus_[215], qui contient
l'exposition de tout le système cosmogonique et psychologique des
Égyptiens, le premier Hermès est qualifié de _trois fois grand_ ou
_trois fois très-grand_ (Τρισμέγιστος), de _père et de directeur de
toutes choses_ (Πατὴρ πάντων καὶ καθηγητὴς) et d'_historiographe des
dieux_ (θεῶν ὑπομνηματογράφος). Ces titres donnés au premier Hermès
sont, quelque magnifiques qu'ils puissent paraître, justifiés par
les actions et le rôle que les mythes sacrés lui attribuaient. Ce dieu,
dès l'origine des temps et avant l'organisation du monde physique,
fut le seul des immortels _qui comprit l'essence du Démiurge ou dieu
suprême, et celle des choses célestes_; il déposa ces connaissances
dans des livres qu'il voulut laisser inconnus jusqu'à la création des
ames. C'est ce même dieu qui prépara la matière dont furent formés _les
corps_ de la race humaine; il promit alors de rendre ces nouveaux êtres
fort doux, et de leur inspirer la prudence, la tempérance, l'obéissance
et l'amour de la vérité. Ce furent Osiris et Isis, pendant leur
incarnation terrestre, qui firent connaître aux hommes la partie des
livres d'Hermès Trismégiste, qui devait régler leur vie intellectuelle
et physique. Il résulte enfin de la lecture attentive de ce curieux
dialogue d'Isis et d'Horus, qu'Hermès n'est autre que l'_intelligence
divine_ personnifiée; aussi ce dieu est-il appelé par le dieu suprême
ou le Démiurge: _Ame de mon ame_ (Ὦ ψυχῆς ἐμῆς ψυχή), _Intelligence
sacrée de mon intelligence_ (Νοῦς ἱερὸς ἐμοῦ νοῦ), et porte-t-il le
titre de Πάντα νοῶν, _Intelligens omnia_[216].
Il résulte aussi de la comparaison des monuments et des divers écrits
des anciens, que l'Hermès _Hiéracocéphale_ et l'Hermès _Ibiocéphale_,
ou, en d'autres termes, que le _premier_ et le _second_ Hermès,
n'étaient qu'un seul et même personnage considéré sous deux points de
vue différents: l'un, celui à _tête d'épervier_ (_voyez_ notre planche
15), auquel appartint plus spécialement le titre de _Trismégiste_,
fut l'Hermès Céleste, l'_instituteur des dieux_, l'_intelligence
divine_ personnifiée; l'autre, l'Hermès à _tête d'Ibis_, l'_Hermès
terrestre_, l'_instituteur des hommes_, la raison ou l'intelligence
humaine personnifiée. Ce dernier, comme l'Hermès Psychopompe des Grecs,
exerçait aussi son pouvoir sur les ames humaines descendues dans
l'_Amenti_ ou enfer égyptien.
La légende habituelle du _premier Hermès_ est celle qui accompagne son
image (planche 15, nº 1); son nom propre est formé des deux premiers
caractères qui, dans les textes hiéroglyphiques, représentent tous deux
les articulations grecques Θ ou Τ, et paraissent être l'orthographe
égyptienne du nom Θὼθ, qui, selon Manéthon, fut celui du premier
Hermès. Ce nom phonétique est ordinairement suivi du _segment de
sphère_ et du disque _croisé_, signes déterminatifs de tous les noms
propres des contrées célestes et terrestres. Les six caractères qui
suivent, expriment les titres _dieu grand_, seigneur de la _région
supérieure_. Ailleurs, le nom de ce dieu est écrit _symboliquement_
par _un épervier_, avec ou sans le fléau[217]. Le temple de Dakké, en
Nubie, est dédié, comme le prouvent une foule d'inscriptions grecques,
à Hermès, surnommé Παυτνουφις, mot qui répond au copte PAHITNOUFI,
_Celui dont le cœur est bon_.
M. Gau a dessiné dans cet édifice, dédié aux deux Hermès qui n'étaient
au fond qu'une même divinité, une inscription hiéroglyphique, dans
laquelle est mentionné _le premier Hermès_, dont le nom est exprimé
par le triple épervier, suivi des qualifications _dieu_ TROIS FOIS
GRAND[218], _président du temple de la demeure de_ PSELK (_voyez_ notre
planche 15, légende nº 3). Pselk était une déesse qui avait donné son
nom à la ville de Dakké, appelée en effet _Pselk-is_ ou _Pselc-is_ par
les Grecs et les Romains, et _demeure de Pselk_ par les Égyptiens.
La représentation du _premier Hermès_ ou _Thoth-Trismégiste_, gravée
sur notre planche 15, a été calquée sur une momie appartenant à M.
Thédenat-Duvent.
Cette grande divinité est emblématiquement figurée sur les monuments
égyptiens de tous les âges et de tous les genres, sous la forme d'un
disque peint en _rouge_, décoré d'uræus, ainsi que de deux grandes
ailes déployées, et toujours accompagné de la même légende que le dieu,
comme on peut le voir sur notre planche 15.2, dont l'explication sera
donnée avec celle de la planche 15.3, qui contiendra les formes variées
de cet emblème du premier Hermès.
[208] Descript. de l'Égypte. A. vol. III, pl. 34, Nº 1.
[209] Cette légende est très-incorrecte dans la Description de
l'Égypte. Un dessin très-soigné en a été fait sur les lieux par M.
Huyot, qui a bien voulu me le communiquer. _Voyez_, pour le règne
illusoire de ce prince sur l'Égypte, l'ouvrage de mon frère, _Annales
des Lagides_, tome I, page 241 à 306.
[210] Descript. de l'Égypt. A. vol. III, pl. 34, Nº 1. On a, par
erreur, donné sur cette planche une _tête d'épervier_, au lieu d'une
_tête d'Ibis_, au personnage de gauche, comme le prouve la légende
placée au-dessus de sa tête, et qui est celle d'Hermès _Ibiocéphale_.
[211] _Idem_, A. vol. II, pl. 13, Nº 1.
[212] _Idem_, A. vol. I, pl. 10, Nº 2.
[213] Descript. de l'Égypt. Esné, pl. 80, Nº 2.
[214] _Manetho apud Syncell. Chronograph._, page 40.
[215] _Apud J. Stobœum, Eclogarum Physicarum_ lib. I, cap. 52, pag.
927 et suiv.
[216] _Dialogue d'Isis et d'Horus_, apud Stobœum, loc. cit.
[217] _Voyez_ notre planche, légende Nº 2, et Description de
l'Égypte, A. vol. I, pl. 10, Nº 2.
[218] C'est-à-dire, _Trismégiste_. Le second Hermès à tête d'Ibis ne
porte habituellement dans les inscriptions que le titre de _deux fois
Grand_. (_Voyez_ les légendes inscrites au-dessus de son image dans
les papyrus funéraires.) C'est ce titre du second Hermès que le texte
grec de l'inscription de Rosette exprime (lig. 19), par les mots
μέγας καὶ μέγας, _grand et grand_ (deux fois grand).
[Illustration: 15.2.]
LE DISQUE AILÉ ET L'ÉPERVIER,
EMBLÈMES DE THOTH TRISMÉGISTE, OU LE IER HERMÈS.
Il existe dans le dialogue que Cicéron a écrit sur la Nature des Dieux,
un passage fort remarquable relatif aux personnages divins appelés
_Thoth_ par les Égyptiens, _Hermès_ par les Grecs, et _Mercure_ par
les Latins; passage qui donne une grande idée de l'importance que le
premier Hermès paraît avoir eue dans les mythes sacrés de l'Égypte.
L'orateur romain a connu et confirme d'abord une distinction que
j'ai cherché à établir, celle de deux _Mercure_ ou _Hermès_ chez les
Égyptiens. Il affirme que ce peuple avait deux Mercure bien différents
l'un de l'autre. Le premier était fils _du Nil_ (c'est-à-dire, né du
Démiurge _Ammon-Cnouphis_[219]); et _les Égyptiens_, ajoute-t-il,
_regardaient comme un crime de prononcer son nom_, «(_Mercurius_)
_Nilo natus quem Ægyptii nefas habent nominare_»[220]. Quant au second
Mercure connu en Égypte, poursuit Cicéron, c'est celui qui a tué
Argus et qui, à cause de cela, s'étant réfugié en Égypte, donna des
lois et les lettres à ce pays. Les Égyptiens l'appellent _Thoyth_,
du même nom que le premier mois de leur année[221]. Il est évident,
d'après ce passage, que le premier Hermès ne porta point le nom de
_Thoyth_ (le _Thôout_ des livres coptes), appellation propre au second
Hermès: était-ce celui de _Thôth_ Θὼθ, par lequel Manéthon le désigne
directement? C'est ce que nous ignorons encore: mais, ce qui ne saurait
être douteux, le premier Hermès, dont, suivant Cicéron, il _était
défendu aux Égyptiens de prononcer le nom_, est bien certainement
le même que le dieu nommé par Jamblique, d'après les livres sacrés
de l'Égypte, ΕΙΚΤΟΝ, le premier des dieux célestes (Οὐράνιοι θεοὶ),
intelligence supérieure émanée de l'intelligence première, Knèph,
le grand Démiurge; _Eicton_, dont la divine essence ne pouvait être
dignement adorée que par le silence seul, Ὁ δὴ καὶ διὰ σιγῆς μόνης
θεραπεύεται[222].
Tout concourt ainsi à établir le haut rang qu'occupait le _premier
Hermès_ dans les mythes sacrés de l'Égypte; et si nous ajoutons que
sur les nombreux monuments de cette contrée, l'image de ce dieu
n'est jamais reproduite comme objet d'un culte direct; que sur aucun
de ces innombrables bas-reliefs représentant des souverains ou de
simples particuliers adorant les dieux, le _premier Hermès_, _Thoth
trois fois mégiste_, ou _Eicton_, n'est jamais figuré recevant des
offrandes ou des prières, on ne pourra s'empêcher de reconnaître une
bien remarquable analogie entre le _premier Hermès_ et le _Bramah_ des
Hindous. Ce dieu, le premier membre de la trinité indienne, est, comme
le Thoth des Égyptiens, le père des sciences, le créateur du monde
matériel, l'inventeur des lettres et l'auteur des livres sacrés de
l'Indostan; et, comme ce premier Thoth des Égyptiens, il n'a, dit-on,
aucun culte réglé ni aucun temple particulier: c'est le personnage le
plus éminent du panthéon hindou après le Dieu suprême, et c'est le seul
qui n'ait ni autels ni prêtres. Le temps nous expliquera peut-être un
jour une pareille similitude.
Mais, si le _premier Hermès_ n'avait point en Égypte un culte
journalier et vulgaire, l'emblème de ce dieu occupait les parties les
plus apparentes de tous les édifices sacrés et publics. Cet emblème est
ce globe ailé, tellement reproduit sur les grands édifices et sur les
monuments égyptiens d'une moindre proportion, que tous les voyageurs
en ont parlé, l'ont décrit et ont cherché même à l'expliquer. Mais la
seule opinion fondée que l'on ait énoncée à cet égard, est celle de
l'un des savans contemporains auxquels les études égyptiennes doivent
une direction fructueuse, à M. le docteur Th. Young, qui regarde le
globe ailé comme l'image emblématique de _Cnouphis-Agathodæmon_[223],
dont le _premier Hermès_ n'était en effet qu'une émanation directe, une
véritable personnification.
[Illustration: 15.3.]
La forme la plus détaillée sous laquelle se présente le symbole de
_Thôth trismégiste_, est celle que nous donnons dans notre planche
15.2. Cette riche composition décore les frises de plusieurs
édifices sacrés de l'Égypte, et entre autres celle du grand temple
de Dendéra[224]. Le globe est ordinairement peint en _rouge_, et
quelquefois en _jaune_, les ailes sont surbaissées et peintes de
couleurs variées, mais dont la combinaison n'est point constamment
la même. Deux grands _uræus_, emblèmes de la puissance suprême, sont
suspendus à ce globe et portent les insignes de la victoire. La tête
de ces deux serpents est ornée alternativement des coiffures signes de
la domination sur la _région d'en haut_ et sur la _région d'en bas_.
Enfin, de la partie inférieure du globe, tombe un faisceau composé
de trois séries de triangles engagés par leur sommet les uns dans
les autres. Ces triangles expriment soit la _lumière_ ou bien cette
_rosée_ tombant du ciel, qui, selon Horapollon[225], était le symbole
de la _science_ ou de la _doctrine_, dont nous avons vu que _Thôth
trismégiste_ était le prototype.
Notre planche 15.3 présente d'abord l'emblème du premier Hermès,
tel qu'il est sculpté sur le couronnement de toutes les portes des
temples. Cette composition, qui ne manque point d'une certaine
grace, est d'ailleurs d'un très-bel effet. Les ailes sont étendues
horizontalement, et les _uræus_ flanquent le disque; ce même symbole se
voit aussi retracé à la partie supérieure de bas-reliefs représentant
des scènes religieuses et mythiques[226], ou sur les plafonds des
temples, et des portes des grands édifices[227].
Mais il arrive très souvent que cet emblème est très-simplifié et perd
une grande partie de son volume et de ses décorations; c'est lorsqu'il
est représenté comme protecteur, planant, ainsi que le vautour de
Neyth[228], au-dessus de la tête des rois figurés sur les bas-reliefs.
Le Nº 4 (de la planche 15.3) est au-dessus d'un roi peint à Ombos
sous la forme d'un sphinx; on n'a copié que le dernier cartouche de
sa légende, contenant les seuls titres, _Vivant toujours chéri de
Phtha et d'Isis_[229]. Dans le petit temple du sud à Karnac, l'emblème
de Thoth (Nº 2) surmonte la tête du roi _Ptolémée Évergète II_,
sculpté en bas-relief dans l'intérieur de la chapelle qui contenait
l'image symbolique de la divinité du temple[230]. Le Nº 1, suivi du
titre _seigneur de la région SA_..., est sculpté au-dessus du roi
_Philippe-Aridée_, dans les appartements de granit, à Karnac[231];
enfin, parmi les décorations de la porte du sud à Dendéra, le globe,
Nº 3, se montre au-dessus de la tête d'un roi Lagide ou d'un empereur
romain, dont on n'a point copié la légende, et qu'il est par conséquent
impossible de bien déterminer. Les têtes des deux _Uræus_, dont les
queues s'unissent et se confondent de manière à présenter l'idée d'un
serpent amphisbène, sont décorées des coiffures de la domination sur
les deux grandes régions du monde; au-dessous du disque, et dans
l'espace circonscrit par les corps des Uræus, est la légende du premier
Hermès _Thôth_ ou _Thath_, _Dieu grand_, _Seigneur suprême_. Cette
légende est entièrement semblable à celle qu'on trouve inscrite
à côté des images de _Thoth-Hiéracocéphale_[232]. Elle accompagne
toujours aussi, sur les monuments originaux, les divers emblèmes
gravés sur notre planche 15.3. Cette circonstance seule a suffi pour
nous faire reconnaître ces divers globes ailés ou simplement combinés
avec des _Uræus_, et auxquels est souvent appendu le _signe de la
vie divine_[233], comme les symboles directs du _premier Hermès_,
puisqu'ils portent le _nom_ et les _titres_ du dieu lui-même.
Cette même légende appartient aussi constamment à l'épervier
emblématique, reproduit sur notre planche 15.4. Cet oiseau, dont les
qualités physiques vraies ou supposées paraissent avoir singulièrement
frappé les Égyptiens, fut, comme on a pu le voir, l'emblème vivant
de plusieurs divinités; et les coiffures, les insignes qui décorent
sa tête, souvent même la légende seule qui l'accompagne, peuvent
caractériser le dieu dont il devient le symbole. L'épervier du premier
Hermès, reconnaissable au disque flanqué de deux _Uræus_, qui,
toutefois, ne distingue point toutes ses images, est habituellement
reproduit tel que nous le présente cette planche, dans les décorations
des frises ou des corniches des grands édifices de l'Égypte. Ainsi,
parmi les sculptures de la frise du typhonium de Dendéra, l'épervier
de Thoth trismégiste étend ses ailes et semble couvrir de leur
ombre sacrée la légende hiéroglyphique du plus sage et du plus
justement vénéré des empereurs, _Antonin le pieux_[234]. Chacun
des deux cartouches formant cette légende est sous la protection
de l'épervier de Thoth, qui semble le décorer de l'insigne de la
_victoire_: le premier cartouche renferme le titre impérial ΑΟΤΟΚΡΤΡ
ΚΕΣΑΡΣ pour Αὐτοκράτωρ Καῖσαρ _l'empereur César_, et le second est
occupé par le nom propre ΑΝΤΟΝΙΝϹ pour Ἀντωνεῖνος _Antonin_. Le même
épervier symbolique accompagne, sur la frise du grand temple d'Edfou
(_Apollonopolis magna_), le cartouche prénom du roi _Ptolémée Évergète
II_[235].
La reproduction si multipliée de chacun de ces différents emblèmes
de Thoth, trouve un motif suffisant et une explication bien simple,
dans le fait seul que ce dieu fut considéré par les Égyptiens comme
l'instituteur de leur religion, de leur culte et de leur état social.
Il était naturel que les temples où ils venaient adorer les dieux,
présentassent de toutes parts l'image de celui qui les leur avait fait
connaître; que le symbole, enfin, du premier législateur fût exposé
dans ces vastes palais où l'on rendait la justice, où se réglaient le
sort des familles et les destins de la nation entière.
[219] _Voyez_ l'explication de notre planche 3.3.
[220] CICERO, _De naturâ Deorum_, lib. III, § XXII.
[221] (Mercurius) quem colunt Pheneatæ, qui et Argum dicitur
interemisse ob eamque causam Ægyptum profugisse atque Ægyptiis leges
et litteras tradidisse. Hunc Ægyptii _Thoyth_ appellant; eodemque
nomine anni primus mensis apud eos vocatur. (CIC. loc. cit.)
[222] JAMBLIQUE, _de Mysteriis_, sec. VIII, cap. III.
[223] Encyclopædia Britannica, supplément, vol. IV, part. I, pag. 55
et 56.
[224] Description de l'Égypte, A. vol. IV, pl. 23, Nº 3.
[225] _Hieroglyphica_, lib. I, §. 37.
[226] Description de l'Égypte, A. vol. III, pl. 34, Nº 1.
[227] _Idem._ A. vol. III, pl. 50, Nº 2.
[228] _Voyez_ notre planche 6.5, et son explication.
[229] Description de l'Égypte. A. vol. I, pl. 41, Nº 4.
[230] _Idem._ A. vol. III, pl. 59.
[231] _Idem._ A. vol. III, pl. 34, Nº 1.
[232] _Voyez_ notre planche 15, lég. Nº 1.
[233] _Idem_, pl. 15 B, numéros 1 et 2.
[234] Description de l'Égypte, A. vol. IV, pl. 33, numéros 2 et 4.
[235] _Idem_, A. vol. I, pl. 57, Nº 1.
[Illustration: 15.4.]
PHTAH-STABILITEUR.
ON a pu remarquer dans les images du Dieu _Phtah_, planches 8 et 10,
cette sorte de sceptre divisé en bandes égales, peintes de couleurs
variées, et terminé à sa partie supérieure par quatre corniches
semblables à celles qui surmontent les portes et toutes les parties des
édifices égyptiens. Ce sceptre n'est autre chose que l'objet figuré par
le premier signe de la légende nº 1 (planche 16), dont les Égyptiens
ont déprimé la largeur, et exagéré arbitrairement la longueur (dans les
fig., pl. 8 et 10), pour le placer en forme de sceptre entre les mains
du Dieu _Phtah_.
Cet objet est l'insigne et le symbole habituel de _Phtah_; les
savants ne sont nullement d'accord sur sa nature; selon les uns, cet
objet représente un _autel_; selon d'autres, c'est un _nilomètre_.
La première opinion est détruite par les monuments qui, offrant des
formes d'_autels_ infiniment variées, ne leur donnent jamais celle
du symbole dont il est ici question, et qui se trouve, au contraire,
placé _derrière_ les statues des Dieux auxquels il sert souvent
de soutien[236]. Cet emblême fait l'office de _colonne_ dans les
chapelles qui, sur les peintures des momies, renferment les images des
Dieux[237]; il décore le soubassement des trônes divins, soit seul,
soit alterné avec la _croix ansée_ et le _sceptre à tête de Coucoupha_;
enfin, on le trouve suspendu au cou des Dieux et des animaux
sacrés[238], ce qui ne convient nullement à un _autel_.
L'opinion de ceux qui veulent y voir un Nilomètre, présenterait un peu
plus de probabilité; et l'on pourrait considérer les divisions égales,
différenciées par la couleur, qui couvrent toute la hauteur de cet
objet symbolique, comme l'indication des _coudées_, ou mesures tracées
également sur la colonne centrale du _Mékias_, ou grand Nilomètre de
l'île de Raoudha. Quoi qu'il en soit, la valeur symbolique de cet
objet, auquel nous donnerons provisoirement le nom de _Nilomètre_,
jusqu'à ce que les monuments confirment ou condamnent cette
dénomination, est très-clairement indiquée par le texte hiéroglyphique
de la stèle de Rosette. Là où le texte grec emploie les verbes Διαμένω,
_permaneo_, _perduro_, et Νομίζω, _lege sancio_, dans le sens passif
_lege constituor_, le texte hiéroglyphique porte l'image redoublée
du _Nilomètre_[239], et le texte démotique présente, aux deux points
correspondants, un groupe de signes qui, dans divers autres passages
de l'inscription, répond aux verbes du texte grec, καταστησαμένου,
καταστήσασθαι, μένειν, διατετήρηκεν[240]. Il est incontestable, d'après
tous ces rapprochements, que l'objet, dit le _Nilomètre_, exprime,
quel qu'il soit, dans l'Ecriture sacrée, les idées, _établir_, _rendre
stable_, _stabilité_, _conservation_, _coordination_; or, ces idées
sont essentiellement liées à celle du Dieu _Phtah_, l'organisateur et
l'ordonnateur du monde matériel et de l'état social.
On reconnaît, en effet, dans la Divinité ayant un _Nilomètre_ pour
tête, représentée sur notre planche 16, et calquée sur les dessins
du tombeau royal de Thèbes, découvert par M. Belzoni, la coiffure
emblématique, le sceptre, le fouet, et la tunique blanche que porte
le Dieu _Phtah_ sur des monuments déja cités[241]. Aussi, cette
singulière Divinité est-elle nommée _Phtah-Sokari_ dans la légende
qui l'accompagne sur une momie de la collection de M. Durand. Dans le
bas-relief du tombeau royal, son nom (pl. 16, légende nº 1), formé du
_Nilomètre_ et des signes d'espèce _Dieu_, est symbolique, et doit se
traduire par _Dieu stabiliteur_; ce nom divin est accompagné du titre
_Père des Dieux_, qui est particulier au Dieu _Phtah_, comme nous
l'avons déja dit[242].
[236] Voyez ci-dessus planche 9, et Descript. de l'Égypte, Ant. vol.
II, pl. 73, col. 45 et 46.
[237] _Suprà_, pl. 2.2.
[238] Description de l'Égypte, Ant. vol. II, pl. 75, col. 28 et 29.
--_Idem_, MSS. hiératique, pl. 71.
[239] Inscript. de Rosette, texte grec, lignes 36 et 47, texte
hiéroglyph. lign. 6 et 10.
[240] _Idem_, texte démot. lig. 1, 7, 9, 19; texte grec, lig. 1, 11,
33 et 36.
[241] Voyez ci-dessus, pl. 8, nº 6, et pl. 9.
[242] _Idem_, pl. 13 et son explication. Le dieu est parfois
représenté par un _Nilomètre_, auquel sont adaptés deux bras humains
tenant les insignes de la divinité (voyez la Description de l'Égypte,
Ant. vol. II, pl. 84, nº 5.). Nous verrons dans la suite qu'Osiris
fut aussi figuré, comme _Phtah_, sous la forme d'un Nilomètre; les
légendes seulement distinguent alors ces dieux l'un de l'autre.
[Illustration: 16.]
ATHOR ou HATHOR.
(ATHOR, ATHYR, ATAR, APHRODITE, VÉNUS.)
LES auteurs Grecs ont mentionné parmi les Déesses Égyptiennes une
Divinité sous les noms d'Αθωρ (_Athôr_) et d'Αθυρ (_Athyr_). Jablonski,
entraîné par l'esprit de systême, crut remarquer des rapports frappants
entre Αθωρ et le mot Égyptien EDJORH ou _Adjôrh_, qui signifie la
_Nuit_. Il a voulu conclure de ce hasardeux rapprochement que la Déesse
Égyptienne _Athôr_ était la _Nuit_ et le principe de toutes choses.
Cette Déesse est, en conséquence, placée à la tête de son Panthéon; ce
savant a été conduit à cette détermination par un passage de Damascius,
portant que, _dans les livres Égyptiens, on célébrait, par des hymnes
sacrés, le principe unique de toutes choses, l'obscurité inconnue_
(Σκότος ἄγνωστον), _l'obscurité au-dessus de toute intelligence_
(Σκότος ὑπὲρ πᾶσαν νόησιν)[243]. Mais ce principe _inconnu_ n'est
autre que le grand Être Démiurgique, _Ammon_, dont le nom Égyptien,
comme l'a dit le grand-prêtre Manéthon, signifiait _occulte_, _caché_,
ou _inconnu_[244]; et il n'est nullement question d'_Athôr_ dans le
passage de Damascius.
Cette Déesse n'occupait point un rang aussi élevé dans les mythes
sacrés de l'Égypte. _Athôr_ ou _Athyr_ fut assimilée par les Grecs à
leur _Aphrodite_, la _Vénus_ des Latins; et nous savons, par d'anciens
témoignages très-formels, que les Égyptiens donnèrent le nom de cette
Divinité au troisième mois de leur année[245]; ce mois, dans les
textes _coptes_ ou Égyptiens écrits en lettres grecques, est en effet
appelé ATHOR en dialecte memphitique, et HATHOR en dialecte thébain;
ce qui détruit l'étymologie, et, par conséquent, le systême entier de
Jablonski sur la Déesse _Athôr_.
Il est rare de trouver, dans les auteurs Grecs, le nom de l'_Aphrodite_
Égyptienne, sans qu'il soit parlé en même-temps de _la vache_ qui lui
était consacrée, et qu'on nourrissait comme le symbole vivant de la
Déesse[246]; Plutarque nous apprend aussi que le nom divin _Athyr_ ou
_Athôr_ signifiait, en langue Égyptienne, Οἶκον Ὥρου κόσμιον, _maison
mondaine d'Horus_[247].
Ces deux circonstances nous ont fait aisément reconnaître la
représentation de la Déesse _Athôr_ sur les monuments Égyptiens,
qui nous l'offrent sous des formes très-variées; mais elle porte
toujours un même nom hiéroglyphique, celui qui accompagne son image
dans cette planche, nº 17. C'est le premier caractère de la légende
nº 1. Ce nom est figuré par une MAISON _ou un_ ÉDIFICE _dans lequel
est renfermé un_ ÉPERVIER; et, si nous observons que l'épervier
_sans coiffure particulière_ est l'emblême d'_Horus_, nous verrons
clairement dans ce groupe la transcription figurative-symbolique du
nom même _Athôr_ qui, selon les anciens, signifiait, en effet, _maison
d'Horus_; et Horapollon dit que l'_épervier_ était employé pour écrire
hiéroglyphiquement le nom de l'_Aphrodite_ Égyptienne[248]. De plus, ce
nom hiéroglyphique est celui que porte constamment une _vache sacrée_,
figurée dans presque tous les grands manuscrits funéraires.
La Déesse Athôr a ici les chairs jaunes, couleur propre aux femmes
représentées dans les peintures Égyptiennes; elle tient dans ses mains
des bandelettes, ou plutôt des espèces de lacs, qui, selon Horapollon,
étaient l'emblême de l'_Amour_[249]. Cet attribut convient parfaitement
à la Vénus Égyptienne. La tête d'Athôr est surmontée d'un _épervier
orné d'une coiffure symbolique_, oiseau qui est l'emblême du Dieu époux
de la Déesse, comme on le verra dans la suite.
Athôr était fille du Dieu _Phré_ (le Soleil), ainsi que nous l'apprend
la légende hiéroglyphique nº 1: HATHOR TNÈB MPÉ HNT NNE-NOUTE TSÉ RÈ,
_Hathôr, dame du ciel, rectrice des Dieux, fille du Soleil_. La légende
nº 2 est la forme hiératique du nom _Hathôr_. Une image de la Déesse,
semblable à celle que nous publions, existe sur une momie du Musée
Britannique, provenant de Guillaume Lethieullier.
[243] DAMASCIUS, cité dans le _Pantheon Ægyptiorum_ de Jablonski,
liv. I, chap. I, pag. 19 et 20.
[244] _Suprà_, pl. 1, explication.
[245] ORION, dans l'_l'Etymologic. Magn._ au mot Αθυρ.
[246] ÆLIEN. Hist. des Animaux, liv. XI, chap. 27.--HESYCHIUS, au mot
Αθυρ.--STRABON, liv. XVII.
[247] _De Iside et Osiride._
[248] HORAPOLLON. Hiérogl. liv. I, §. 8.
[249] _Id._ Hierogl. liv. II, §. 26.
[Illustration: 17.]
ATHOR ou HATHOR.
(ATHOR, ATHYR, ATAR, APHRODITE, VÉNUS.)
ON a vu que le nom égyptien de cette Déesse signifiait _demeure_, ou
_habitation d'Horus_, et que, dans les inscriptions hiéroglyphiques, ce
nom divin est exprimé par la _coupe_ ou le plan abrégé d'un _édifice_,
dans lequel est inscrit un _Épervier_, le symbole d'_Horus_; mais les
bas-reliefs et les sculptures de grande proportion nous offrent la
déesse _Athor_, portant sur sa tête, et pour signe distinctif, l'image
parfaite d'un _édifice_ dont il est facile de distinguer la frise, la
corniche et la porte. L'épervier disparaît, soit pour faire place à un
simple _Uræus_, soit à un petit bas-relief représentant l'_Allaitement
d'Horus_, scène parfaitement en rapport avec la signification connue du
nom propre de la Déesse.
L'édifice complet, coiffure symbolique d'_Athor_, l'Aphrodite
égyptienne, est parfois entouré de fleurs de lotus épanouies, ainsi
qu'on peut le voir sur cette planche; une figure semblable est sculptée
sur la grande porte du sud à Karnac: la Déesse est debout, à la
suite de Phtha, son époux. La tête humaine d'_Athor_, surmontée de
l'_édifice_, est reproduite isolément sur une foule de bas-reliefs;
mais elle a des _oreilles de vache_, parce qu'une vache sacrée était
son symbole vivant; la Déesse emprunte même souvent la tête de cet
animal[250].
Il exista en Égypte beaucoup de temples spécialement consacrés à
l'Aphrodite égyptienne; et de ce nombre furent un petit temple, dans
l'île de Philæ; le petit temple d'Ombos; le temple de Contralato; le
temple de l'Ouest au Memnonium; enfin le grand temple de Dendéra,
l'ancienne Tentyris; et tous ces monuments portent, dans leurs
décorations architecturales, les emblêmes d'_Athor_, au culte de
laquelle ils étaient destinés.
Le petit temple de Philæ a été construit sous les rois Lagides, et fut
dédié par Ptolémée-Évergète II, et les deux reines Cléopâtre, sa sœur
et sa femme, à _Aphrodite_, ΑΦΡΟΔΙΤΗΙ, comme porte la dédicace, en
langue grecque. Le temple de l'Ouest, dans la même île, et qui offre
les légendes royales hiéroglyphiques de ce même Évergète, ainsi que
celles de plusieurs empereurs romains, était également consacré à
l'Aphrodite égyptienne; car les chapiteaux de ce temple sont surmontés
de têtes d'_Athor, à oreilles de vache_, et portent _l'édifice
emblématique_[251]. Il en est de même du petit temple d'Ombos, et à
Thèbes, du temple à l'ouest au Memnonium. Les pilastres de ce dernier
monument, formés de la tête d'_Athor_, contiennent, dans l'inscription
hiéroglyphique dont ils sont ornés, la légende de Ptolémée-Évergète II,
et le nom même d'_Athor_[252].
Mais c'est principalement dans les magnifiques ruines de Dendéra, que
les emblêmes et les images d'_Athor_ se montrent avec une extrême
profusion; Strabon nous dit que le grand temple de cette ville était
dédié à l'_Aphrodite_ égyptienne; et la dédicace, en langue grecque,
inscrite sur le listel de la corniche du Pronaos, atteste aussi que
cette portion de l'édifice avait été également consacrée à la même
Divinité: ΑΦΡΟΔΙΤΗΙ ΘΕΑΙ ΜΕΓΙϹΤΗΙ, _A Aphrodite, Déesse Très-Grande_,
par les habitants du Nome et de sa Métropole, sous le règne de Tibère,
le 21 d'_Athyr_, mois qui portait précisément, en égyptien, le nom même
de la déesse.
Les vingt-quatre chapiteaux du portique sont formés, comme ceux de
toutes les colonnes du temple, par quatre énormes _têtes d'Athor_. Cet
emblême occupe le milieu de la porte du nord et le centre de la frise
du Pronaos. A droite et à gauche de cette tête symbolique, sont les
images, en pied, d'_Athor_ et de son époux _Phtah-Socari_, adorées par
soixante-deux personnages qui occupent sans interruption le reste de la
frise de la façade[253], et portent, pour la plupart, d'une main, la
tête emblématique d'_Athor_, et, de l'autre, l'hiéroglyphe recourbé,
première lettre du mot _Socari_, surnom de _Phtah_. Une tête colossale
d'_Athor_ occupe encore le centre de la partie postérieure du temple:
enfin les décorations des frises et des corniches de cette vaste
construction, présentent de tout côté la tête d'_Athor à oreilles de
vache, et surmontée de l'édifice emblématique_.
On a pris jusqu'ici les images de _Néphthys_, déesse sœur d'Isis et
d'Athor, pour Athor même ou la Vénus égyptienne; mais les monuments,
qui seuls font autorité dans cette matière, distinguent spécialement
ces deux divinités, et ne permettent point de les prendre l'une pour
l'autre.
[250] Voyez l'explication de notre planche 17.4, et la planche 17.2,
nº 3.
[251] Descript. de l'Égypte, Ant. I, pl. 21.
[252] _Idem_, pl. 36.
[253] _Idem_, Ant. IV, pl. 15.
[Illustration: 17.2.]
HATHÔR ou ATHÔR.
(ATAR, ATHYR, APHRODITE, VÉNUS.)
L'UNE des formes les plus habituelles d'_Athôr_, dans les peintures et
bas-reliefs d'ancien style égyptien, est celle que reproduit la planche
ci-jointe. Cette figure est tirée d'une grande scène sculptée et peinte
dans le tombeau du Pharaon Ousereï-Akenchérès Ier, douzième roi de la
XVIIIe dynastie diospolitaine, monument magnifique découvert à Thèbes
par le célèbre Belzoni. Ce tableau, gravé sur l'épaisseur d'une des
portes de ce vaste hypogée, représente, de proportion naturelle, la
déesse Athôr accueillant avec affection le monarque défunt qui, sur
plusieurs autres points de la catacombe, présente diverses offrandes à
cette divinité, et en reçoit, en retour, le signe de la _vie céleste_.
Dans ces diverses sculptures, la tête de la déesse est surmontée d'un
disque de couleur rouge, soutenu par deux cornes de vache peintes en
noir. Un _uræus_, ou serpent royal, est suspendu au disque. Mais ces
emblèmes n'appartenaient point spécialement à ATHÔR; on les reconnaît
aussi sur la tête d'ISIS, de SELK, ils sont même placés quelquefois
au-dessus de la coiffure de la _grande mère divine_ NEITH: d'où il
semble résulter que, comme le vautour, le disque et les cornes de vache
sont des insignes exprimant une qualité générale, une attribution
commune à plusieurs déesses égyptiennes à la fois. On s'exposerait
donc à de graves erreurs, en considérant certains attributs comme trop
exclusivement propres à certaines divinités. Aussi est-il arrivé qu'on
a souvent donné, sans raison, le nom d'_Isis_ à des images de toute
autre déesse, ou de reines mortelles empruntant les coiffures divines,
par cela seul qu'on retrouvait, parmi leurs ornements, le disque
soutenu sur deux cornes de vache. La légende hiéroglyphique inscrite à
côté de ces images, peut seule, en cette occasion, donner une pleine
certitude sur le personnage figuré. L'inscription qui accompagne la
déesse gravée sur notre planche 17.3, ne permet point de douter que
ce ne soit là une véritable représentation de la fille du soleil, de
l'épouse de Phtha: elle porte en effet HATHÔR RECTRICE DE LA RÉGION
SUPÉRIEURE DU MONDE[254].
Un diadème ceint le front de cette divinité, dont les cheveux nattés
sont contenus par une bandelette de couleur rouge; de riches _uræus_
sont suspendus à ses oreilles; et au collier, orné d'émaux, tient
un appendice qui retombe derrière les épaules de la déesse; sur
cet ornement, terminé par une fleur épanouie, est inscrit, dans le
bas-relief original, le prénom royal du Pharaon _Ousirei_, suivi du
titre ϩⲁⲑⲱⲣⲙⲁⲓ, _chéri d'Athôr_. Deux bretelles émaillées soutiennent
la tunique de couleur gris de perle, de forme ordinaire, mais dont les
ornements présentent une particularité très curieuse. Les losanges
dont elle est coupée dans l'original figurent, selon toute apparence,
un de ces filets en émaux variés, qui recouvrent les tuniques des
déesses et des reines dans les scènes peintes ou sculptées en grand.
L'intérieur de chaque losange renferme un petit groupe de signes
hiéroglyphiques; et chaque _ligne horizontale_ de losanges contient un
même groupe de caractères. Mais si l'on interprète ces mêmes losanges
en les lisant perpendiculairement, ils renferment, d'après un dessin
malheureusement peu soigné dans les détails, et placé dans l'Atlas du
voyage de Belzoni[255], les louanges du Pharaon, louanges que la déesse
_Athyr_ est censée prononcer en l'accueillant dans la région divine.
Cette singulière inscription se divise en deux parties, et renferme les
idées suivantes: «_Dieu bienfaisant_ RÈ-SATÉ-MÉ (prénom du roi), _nous
t'avons donné la domination et une vie heureuse et éternelle, toi, fils
du soleil et des Dieux_, OUSIREI, _serviteur de Phtha, vivificateur
pour toujours_.»
«_Dieu bienfaisant_ RÉ-SATÉ-MÉ, _nous t'avons donné la domination
sur les années des panégyries, toi, fils du soleil, chéri des Dieux
seigneurs, serviteur de Phtha, vivificateur comme le soleil éternel,
Dieu bienfaisant, chéri du maître du monde pour toujours_.»
Nous ne savons encore comment caractériser l'espèce d'ornement attaché
au collier que la déesse tient de sa main droite et semble montrer au
Pharaon: un ornement semblable est fixé au cou du dieu Lune[256].
[254] _Voyages, Recherches et Découvertes de G. Belzoni_; atlas,
pl. 18.
[255] _Idem._
[256] Voyez notre planche 14.4.
[Illustration: 17.3.]
HATHOR-PTÉROPHORE.
(APHRODITE, VÉNUS.)
LA planche 17.4 ci-jointe complétera la série des principales formes
de la Vénus égyptienne, que l'on se proposait de faire connaître dans
ce recueil mythologique. Les deux longues plumes surmontant la tête de
la _déesse_, et placées au-dessus de la coiffure, formée du vautour,
commune à toutes les _déesses mères_, distinguent spécialement _Hathor_
de toutes les autres grandes divinités-mères dans les différentes
_triades_ égyptiennes. Cette image a été copiée, ainsi que tous ses
détails de couleur, dans le grand temple d'Isis, à Philæ[257], et je
l'ai retrouvée sur les édifices sacrés de l'Égypte et de la Nubie
appartenant à toutes les époques.
La déesse _Hathor_ tenait en effet un rang si distingué dans la
théogonie égyptienne, qu'un grand nombre de nomes lui rendaient un
culte particulier et l'adoraient sous la forme que nous venons de
décrire.
Le petit temple hypèthre, élevé dans l'île de Philæ par le pharaon
Nectanèbe en l'honneur d'Isis, était aussi consacré à _Hathor_. La
grande galerie qui joint ce petit édifice au grand temple d'Isis, nous
montre _Hathor-Stérophore_ adorée par l'empereur Auguste, et l'empereur
Tibère faisant des libations devant trois images de la même déesse,
surnommée _Dame de la maison d'Enfantement_, _grande Dame de l'île de
Sénem_ et _Dame de la maison des Offrandes_.
Cette déesse fut principalement honorée dans les nomes _Ombite_,
_Apollonopolite_ et _Tentyrite_.
Dans l'île de _Béghèh_, voisine de Philæ, et nommée _Sénem_ par les
anciens Égyptiens, existait un temple consacré à _Hathor_, compagne de
Chnouphis, le dieu de la première cataracte. Le grand temple d'_Ombos_
était dédié en premier lieu à une triade composée du dieu _Sévék-Ra_
(le père), d'_Hathor_ (la mère) et de _Chons-Har-Schiai-hêt_[258] (le
fils).
A _Edfou_ (Apollonopolis magna) on adorait la triade formée du dieu
_Hath_, de la déesse _Hathor_ et de leur fils _Har-Sont-Tho_[259]. A
Tentyris, enfin, on reconnaissait pour membres de la triade qui domine
dans le grand temple, particulièrement dédié à _Hathor_ (ce que
démontrent toutes les décorations architecturales), le dieu _Har-Hath_,
comme père, _Hathor_, comme mère, et leur fils, le jeune dieu _Ohi_.
Considérée ainsi comme déesse-mère dans ces diverses préfectures,
Hathor devait naturellement être confondue avec les _deux grandes
génératrices des dieux_, la déesse _Mouth_ et la déesse _Natphé_.
Les preuves de cette double assimilation existent dans des tableaux
religieux du grand temple d'Ombos et du petit temple d'Ibsamboul en
Nubie.
Il y a plus, dans les temples de l'Égypte où Hathor ne joue point
le rôle de mère, ou de seconde personne de la triade, cette déesse
s'y trouve tout au moins honorée comme _nourrice_ du jeune dieu, le
fils de la triade locale. A Hermonthis, _Hathor nourrice_ présente
le jeune _Harphré_ à son père _Month_ ou _Manthon_. A Philæ, c'est
aussi la déesse Hathor qui préside à l'éducation d'Horus, fils
d'Isis et d'Osiris, le nourrit de son lait, et reçoit, dans les
légendes hiéroglyphiques du bas-relief, les titres de _Très-aimable_,
NOURRICE-ÉPOUSE, _remplissant le ciel et le monde terrestre de ses
bienfaits ou de ses beautés_[260].
La flatterie, en Égypte comme ailleurs, compara constamment les reines
et les princesses du sang royal à la déesse de la beauté, à _Hathor_,
la Vénus égyptienne. Mais parmi toutes les formes de la déesse, on
choisit de préférence celle que présente la planche ci-jointe, pour
l'approprier à la représentation habituelle des épouses ou des filles
chéries des pharaons ou des rois de la dynastie grecque: chaque grand
édifice de l'Égypte en offre de nombreuses preuves, et le Musée
royal du Louvre possède des statuettes, soit en bois peint, soit en
bronze, incrustées en argent ou en or, et représentant, par exemple,
la reine _Ahmosis_, _Nofré-Atari_, femme d'Aménophis Ier, chef de la
XVIIIe dynastie, la reine, épouse du pharaon _Takellothis_ de la XXIIe
dynastie, et la reine _Cléopâtre-Cocce_, femme d'Évergète II, et mère
de Soter II et d'Alexandre Ier. Ces princesses portent la coiffure
formée du vautour et surmontée des insignes d'_Hathor_, le disque, les
cornes et les deux longues plumes.
[257] Dans l'intérieur du pronaos, sur le mur de la cella.
[258] C'est-à-dire _Chons l'Horus qui dilate le cœur_.
[259] C'est-à-dire l'_Horus soutien du monde terrestre_.
[260] Philæ, temple d'Hathor, côté gauche intérieur du pronaos.
[Illustration: 17.4.]
THUOÈRI, TOERI.
(THOUERIS.)
LA déesse égyptienne figurée sur notre planche 17.5 présente
l'étrange assemblage d'une belle tête de femme placée sur le corps
d'un hippopotame; le front est orné de l'_uræus_ royal. Cet insigne
de la souveraine puissance se rattache à une coiffure, fixée par un
diadême et terminée par une chevelure factice, disposée par étages et
peinte en bleu céleste pour indiquer que cet ornement est formé d'une
réunion de grains, d'émail coloré. La déesse tient en main l'emblême
de la vie divine, et une tunique d'étoffe légère et transparente voile
imparfaitement le corps du monstrueux quadrupède qui jadis habitait la
partie inférieure du cours du Nil.
J'ai recueilli cette singulière personnification parmi les sculptures
qui décorent l'une des chapelles creusées dans le roc, entre Edfou et
Ombos, au point le plus resserré de la vallée, localité connue sous le
nom de _Sebel-Selséléh_, l'ancienne _Silsilis_. L'un des bas-reliefs
de l'élégante chapelle, creusée sous le règne du pharaon _Ménéphtah_
IIe, fils et successeur de _Rhamsès le Grand_, représente la reine
_Isénofris_, l'épouse de ce roi, revêtue des insignes de la Vénus
égyptienne, agitant deux sistres devant un autel chargé de pains sacrés
et de riches bouquets de fleurs. Les adorations de cette princesse
s'adressent à la divinité que nous venons de décrire et à la suite
de laquelle marchent le dieu THOTH-LUNUS, le _seigneur de Schmoun_
(Hermopolis magna), _le secrétaire de justice des dieux grands_, tenant
un rouleau de papyrus, et la déesse NATPHÉ, _la grande génératrice
des dieux_. Un bas-relief tout à fait semblable à celui que nous
venons d'analyser décore également la chapelle voisine, sculptée dans
le rocher sous le règne de _Rhamsès II_e. Dans ces deux tableaux, la
déesse à corps d'hippopotame porte le nom de ⲧⲉⲱⲏⲣⲓ ou ⲧⲉⲱⲩⲏⲣⲓ (légende
nº 1), _Téöeri_, _Téouéri_ et ⲑⲟⲩⲏⲣⲓ, _Thoueri_ par contraction, et
reçoit le titre de ϩⲣⲁⲓϩⲏⲧ ⲡⲙⲟⲟⲩ ⲟⲩⲁⲁⲃ, _celle qui préside à l'eau
pure_; mais comme ce titre appartient également aux deux divinités
parèdres, on doit peut-être, au lieu de trouver dans ce titre une
désignation formelle d'une attribution particulière à la déesse, n'y
voir qu'une qualification locale, en considérant les mots ⲡⲙⲟⲟⲩ ⲟⲩⲁⲁⲃ,
PMOOU-OUAAB (_l'eau pure, l'eau sainte_), comme le nom-propre égyptien
de l'étroit défilé où s'amoncellent les eaux du fleuve pour se faire
jour à travers les montagnes de grès qui semblent s'opposer à son
passage.
Le nom de _Thouéri_ se retrouve dans les écrits des auteurs grecs comme
étant celui d'une divinité égyptienne. On lit dans le Traité d'Isis
et d'Osiris que, parmi les partisans de Typhon, qui, abandonnant leur
chef, se réunirent au dieu Horus, on comptait THOUERIS, ΘΟΥΗΡΙΣ[261],
_concubine de Typhon_, ἡ παλλακὴ τοῦ Τυφῶνος. La parfaite ressemblance
des noms ne laisse aucune espèce de doute sur l'identité de la déesse
représentée dans les bas-reliefs égyptiens sous la forme d'une femme
à corps d'_hippopotame_, animal essentiellement _typhonien_, et cette
concubine de Typhon, mentionnée par Plutarque. Le même auteur rapporte
aussi une tradition égyptienne, d'après laquelle Horus tua et mit en
pièces un serpent qui poursuivait _Thouéri_, lorsque cette déesse eut
abjuré la cause de Typhon[262]. Ce serpent était Typhon lui-même,
puisque les sculptures égyptiennes nous montrent d'habitude ce dieu
malfaisant sous la forme d'un reptile gigantesque constamment nommé
APOP ou APOPH, l'_Apophis_ des auteurs grecs.
Jablonski, présumant un peu trop de ses connaissances en langue copte,
crut pouvoir, en l'absence de tout autre document sur la déesse
_Thouéris_, arriver à connaître les attributions de ce personnage
mythique en analysant étymologiquement son nom propre. Il s'imagina
donc que Θούηρις n'était qu'une simple transcription du mot égyptien
ⲑⲟⲩⲣⲏⲥ, _Thouris_, employé dans les livres coptes pour désigner le
_vent du midi_, et que cette divinité représentait symboliquement
ce vent brûlant qui, connu sous le nom de _Khamsin_, soulève des
tourbillons de poussière, obscurcit la lumière du jour et dessèche le
sol de l'Égypte.
Mais cette hypothèse, qui ne repose sur aucun fait démontré, se trouve
démentie par les monuments égyptiens eux-mêmes. On voit en effet que,
dans le nom de Θούηρις, la finale σ n'est qu'une désinence purement
grecque, et nous démontrerons dans l'explication de quelques planches
subséquentes, que la THOUÊRI des Égyptiens n'était qu'une forme
secondaire de la déesse _Natphé_, et n'avait aucune espèce de rapport
avec les vents méridionaux.
[261] Ὅτι πολλῶν μετατιθεμένων ἀεὶ πρὸς τὸν Ὧρον, καὶ ἡ παλλακὴ τοῦ
τυφῶνος. De Iside et Osiride.
[262] Ὄφις δέ τις ἐπιδιώκων αὐτὴν ὑπὸ τῶν περὶ τὸν Ὧρον κατεκόπη.
Idem, ibidem.
[Illustration: 17.5.]
HATHOR.
(ATHOR, ATHYR, APHRODITE, VÉNUS.)
ON a déjà vu les Dieux _Ammon-Cnouphis_, _Nèith_ et _Phtha_ se
montrer tour-à-tour, sur les monuments, avec une tête humaine ou avec
celle des divers animaux qui leur étaient consacrés. Cette alliance
de différentes parties de quadrupèdes, d'oiseaux, d'insectes ou de
reptiles, avec un corps humain, fut tout-à-fait dans l'esprit des
anciennes nations orientales; et les temples de l'Égypte, de l'Inde et
de l'Éthiopie nous offrent une foule d'exemples de ces compositions
bizarres et monstrueuses que repoussa constamment le goût plus épuré
des Grecs.
Mais les Égyptiens qui cultivèrent les arts du dessin dans le seul but
de les appliquer à l'expression de la pensée, et dont les peintures,
les statues et les bas-reliefs n'étaient, en quelque sorte, que des
_caractères_ ou des _phrases_ de la _grande écriture monumentale_,
trouvèrent convenable, lorsqu'ils traçaient l'image d'un Dieu,
d'exprimer d'un seul trait sa qualité principale ou son attribution
particulière, en métamorphosant la tête humaine, commune à toutes les
divinités, en la tête de l'animal symbole de la qualité divine qu'on
adorait dans chaque personnage mythique. Les Grecs se contentèrent
de représenter ces animaux symboliques, placés aux pieds des Dieux
auxquels ils furent consacrés.
Notre planche 18[263] nous offre _Hathôr_, _la Vénus Égyptienne_,
ayant pour tête celle d'une _Vache_; la légende hiéroglyphique (nº 1):
_Hathôr, dame du Ciel, fille du Soleil_, qui est constamment placée à
côté de cette singulière image, ne permet aucun doute à cet égard.
Cette représentation d'_Hathôr_ est souvent reproduite sur les
monuments d'ancien style égyptien. Elle existe, par exemple, semblable
à celle que nous publions ici, sur un grand bas-relief qui appartient à
M. Prunelle de Lierre, et dont je dois un dessin très-exact à l'amitié
de M. Artaud, conservateur du Musée de Lyon. La Vénus Égyptienne à
tête de Vache, est aussi sculptée à la suite de _Phtha_, son époux, sur
un sarcophage de granit, dont la commission d'Égypte a donné la gravure
très-détaillée[264]. On la retrouve enfin sur un monument fort-curieux,
envoyé tout récemment, de Memphis, à M. Saulnier qui l'a cédé à M.
Durand. C'est une sorte de buste de grandeur naturelle, représentant un
individu très-jeune; sur son front est sculptée une image de _Phtha_,
le Dieu principal de Memphis; sur sa poitrine, celle d'Osiris, adorée
par deux personnages, le défunt et sa sœur; des deux côtés de la figure
d'Osiris sont rangées toutes les divinités particulièrement adorées à
Memphis, et parmi lesquelles on distingue, en première ligne, _Phtha_,
_Hathôr à tête de Vache_, et le Bœuf _Apis_, accompagnés de leurs noms
et de leurs titres en caractères hiéroglyphiques. Ce monument est d'un
très-beau travail.
Il est aisé de voir aussi que toutes ces statuettes égyptiennes de
bronze, ou de toute autre matière, qui figurent une déesse à _tête de
Vache_, sont des images de la Vénus Égyptienne, d'_Hathôr_, et non
pas celles d'_Isis_, déesse avec laquelle les Grecs paraissent avoir
souvent confondu l'épouse de _Phtha_.
L'Hephaistus ou le Vulcain Égyptien, _Phtha_, étant _le père de tous
les Dieux_[265], la déesse Hathôr, sa compagne fidèle, dut passer sinon
pour leur mère, du moins pour leur nourrice. On connaît, en effet,
plusieurs statues d'Hathôr, présentant son sein à différens Dieux
placés sur ses genoux, toujours sous la forme d'un enfant. Il est
probable que la _Vache_ a été consacrée à cette déesse pour rappeler
qu'elle a allaité la plupart des Dieux du second et du troisième ordre,
fils ou petit-fils de Phtha.
[263] Indiquée, par erreur, sous le nº 17.4 dans le texte explicatif
de la pl. 17.2.
[264] Description de l'Égypte, Antiq. vol. V, _Memphis_.
[265] _Voyez_ l'Explication de notre planche 13.
[Illustration: 18.]
EMBLÊMES D'HATHOR,
(LA VÉNUS ÉGYPTIENNE.)
CETTE planche est un calque fidèle, mais un peu réduit, du registre
supérieur d'une stèle d'adoration peinte, qui, provenant de la
collection Drovetti, fait aujourd'hui partie du Musée royal égyptien
de Turin. On y trouve réunis les principaux symboles de l'une des plus
grandes divinités de l'Égypte, _Hathôr_, que les Grecs assimilaient
à leur Aphrodite. Quatre colonnes d'hiéroglyphes, peints en bleu,
avertissent que les trois figures emblématiques se rapportent à ϩⲁⲑⲱⲣ
ⲧⲛⲉⲃ ⲱⲧⲫ ⲃⲁⲗ (ⲛ) ⲣⲏ ⲉⲥϩⲙ ⲡⲉϥⲱⲧⲛ ⲧⲛⲉⲃ ⲡⲉⲧⲡⲉ ϩⲛⲧ (ⲛ) ⲛⲉⲛⲟⲩⲧⲉ ⲛⲓⲃⲓ: Hathôr
surnommée NEVÔTHPH (dame des offrandes), _œil du soleil, résidant dans
son disque, dame du ciel, rectrice de tous les dieux_.
Le premier de ces emblêmes, celui que l'on trouve reproduit sur des
monuments de tout genre, est la tête de face, peinte en jaune et
dont les oreilles sont celles d'une vache. Ce dernier trait rappelle
directement les images de la déesse représentée avec une tête de
vache[266], ainsi que la vache sacrée son image vivante dans certains
temples de l'Égypte. Sous cette forme _Hathôr_ nous paraît avoir été
un symbole de la _terre cultivée et fertile_, ce que semble concourir
à prouver en même temps, le nom même de la déesse, HATHÔR, _la demeure
mondaine d'Horus_[267], nom auquel font également allusion et le
_modius_ rouge et l'_édifice_ qui surmontent cette tête emblématique.
La forme presque triangulaire de la face dénote dans l'artiste
l'intention de se rapprocher le plus possible du galbe d'une tête de
vache.
Le second emblême représenté sur la stèle de Turin, posé, comme le
premier, sur un piédestal, est une tête de femme à oreilles humaines,
coiffée du vautour, et le front orné de l'uræus royal. Le _modius_
peint, symbole de l'abondance, est placé au-dessus du vautour qui
rappelle la fécondité maternelle. C'est encore ici une des têtes de
la déesse Hathôr et cette même coiffure avec tous ses insignes est
celle que prennent de préférence, par allusion à la déesse, la plupart
des reines égyptiennes figurées sur les grands monuments. L'ornement
peint en jaune et qui se termine par un disque aplati orné de fleurons,
est un contre-poids ou agrafe de collier, lequel retombait entre les
deux épaules comme on peut le voir sur la planche numérotée 17.3; elle
représente la déesse Hathôr tenant aussi dans ses mains l'autre espèce
de collier peint en verd et figuré au bas du piédestal qui soutient la
seconde tête emblématique.
Ces objets de parure démontrent en même temps que, dans les idées
égyptiennes, la déesse Hathôr présidait à la beauté et à la toilette
ainsi que l'Aphrodite grecque et la Vénus des Romains; et c'est ici
le lieu de remarquer, en effet, que la plupart des colliers de femmes
trouvés dans les tombeaux égyptiens, consistent en de très-petits
amulettes de terre émaillée, d'émail pur, de porcelaine, de cornaline
ou d'autres pierres dures, représentant d'un côté des animaux
différents ou des fleurs en relief, et presque toujours de l'autre,
la tête symbolique de la déesse _Hathôr_, gravée en creux et entourée
d'uræus ou de feuillages diversifiés.
Les emblêmes de la déesse représentés sur la stèle que nous publions
ici, sont très-multipliés dans les temples spécialement consacrés à
Hathôr, tels que le grand temple de Dendéra, celui de Philæ, et les
petits temples d'Ombos et du sud au Memnonium.
C'est la première de ces têtes symboliques qui forme les chapiteaux
des colonnes de tous ces édifices et des pilastres du temple du
Memnonium[268], et les chapiteaux du petit appartement construit sur
la plate-forme du grand temple de Dendéra et dans lequel existait le
zodiaque circulaire[269]. On la retrouve enfin dans les décorations
des portes, des corniches, des entre-colonnements, et sur une foule
de bas-reliefs: tantôt surmontée du disque et des cornes de vache,
comme déesse nourricière, tantôt flanquée d'uræus ornés des coiffures
qui expriment la domination sur les régions d'en haut et les régions
d'en bas[270]; et presque habituellement cette tête pose sur le
caractère symbolique exprimant l'idée or et splendeur; ce qui rappelle
involontairement l'idée de la χρυσῆς Ἀφροδίτης (_Veneris aureæ_)
d'Homère.
[266] Voyez la planche nº 18.
[267] Voyez l'explication de la planche 17.
[268] Description de l'Égypte, A., vol. II, pl. 34, numéros 7 et 8.
[269] Description de l'Égypte, A., vol. IV, pl. 11, numéros 1 et 2.
[270] Description de l'Égypte, A., vol. II, pl. 34; vol. IV, pl. 13,
numéros 1 et 3; pl. 15, pl. 17; pl. 22, nº 1; pl. 25, numéros 1 et 2,
etc., etc.
[Illustration: 18.2.]
SATÉ ou SATI.
(SATIS, L'HÉRA OU LA JUNON ÉGYPTIENNE.)
LES bas-reliefs sculptés sur les édifices religieux de l'Égypte nous
offrent assez fréquemment la représentation d'une déesse caractérisée
surtout par sa coiffure formée de la portion supérieure du _pschent_,
flanquée de deux cornes. Cette divinité, dont le nom hiéroglyphique
est formé de quatre caractères (voir pl. 19 (B)) répondant aux
lettres coptes ⲥⲧⲏ, qui pouvaient se prononcer SATÉ ou SATI, est
figurée sur un grand nombre de bas-reliefs, et presque toujours à la
suite du dieu _Ammon-Chnouphis_, avec lequel Sati paraît s'être trouvée
dans des rapports mythiques très-intimes.
Cet aperçu, déduit de la seule inspection des monuments, devient
un point de fait démontré par une inscription grecque du temps de
Ptolémée-Évergète II, gravée sur un autel découvert par M. Ruppel, à
Sehhélé, île située entre Philæ et Éléphantine[271]. On y lit en effet
que l'une des divinités locales, assimilée par les Grecs à leur _Héra_
(la Junon des Latins), porta, en langue égyptienne, le nom de ΣΑΤΙΣ,
_Satis_, ou plutôt ΣΑΤΙ, _Sati_, en faisant abstraction de la finale
grecque. Dans cette même inscription, _Héra-Satis_ ou _Junon-Satis_,
est nommée, immédiatement après, _Ammon-Chnoubis_. D'autre part, une
inscription latine a été copiée dans les carrières de Syène, par
l'infatigable Belzoni[272], sur un autel dédié à JUPITER-CHNOUBIS et à
JUNON-REINE, _protecteurs de ces montagnes_; il est donc certain que la
divinité figurée sur notre planche nº 19, est la déesse SATI, la _Junon
Égyptienne_, la compagne d'Ammon-Chnouphis, le Jupiter Égyptien.
Que _Sati_ ou _Saté_ fût dans les mythes sacrés de l'Égypte l'épouse de
ce grand dieu, ou qu'elle en fût seulement une parèdre, c'est ce que
les textes hiéroglyphiques connus jusqu'à ce jour ne nous ont point
encore appris. Quoi qu'il en soit, elle partage les honneurs rendus à
Ammon-Chnouphis, et nous citerons d'abord une belle stèle rapportée
de Thèbes par lord Belmore[273], et un bas-relief sculpté sous le
portique du grand temple de Philæ, et représentant Ptolémée-Évergète
II offrant l'encens à _Chnouphis_ et à la déesse _Saté_, assise à
côté du dieu[274]. Dans un temple beaucoup plus ancien, celui du dieu
Chnouphis, à Éléphantine, monument du règne d'Aménophis II, de la
dix-huitième dynastie, on voit _Saté_[275] qui présente elle-même le
Pharaon à Ammon-Chnouphis; plus loin la déesse reçoit, à la suite du
même dieu, les offrandes du monarque[276].
Le culte de _Saté_ exista donc en Égypte du temps des Grecs, comme sous
les rois de race égyptienne: c'était une des plus anciennes divinités
du pays.
L'image de cette déesse (pl. 19) est extraite de la _Description de
l'Egypte_[277]. Les chairs sont peintes en rouge, contre l'habitude
des Égyptiens, qui n'attribuent ordinairement cette couleur qu'aux
divinités mâles. Mais la stèle coloriée de lord Belmore donne aux
chairs de la déesse cette même teinte rouge, et cette concordance
prouve, dans cette occasion, en faveur de l'exactitude du dessin
publié dans la _Description de l'Egypte_. _Saté_ tient dans ses mains
l'emblème de la _vie_, et le sceptre terminé par une _fleur de lotus_,
commun à toutes les déesses. Les ailes de vautour que les Égyptiens
attribuèrent aux _déesses mères_[278] du premier, du second et du
troisième ordre, sont reployées et enveloppent sous leurs replis les
cuisses et les jambes de _Saté_.
[271] _Recherches pour servir à l'histoire de l'Egypte_, etc., par M.
LETRONNE, pages 341 et 480.
[272] _Idem_, page 361.
[273] Ce monument colorié représente huit magistrats qualifiés
d'_auditeurs dans le prétoire de justice_, adressant leurs
supplications à quatre divinités, _Phtha_, _Chnouphis-Chnoumis_,
_Saté_ et _Anouké_.
[274] _Description de l'Egypte_, Antiquités, vol. I, pl. 16, nº 1.
[275] _Idem_, pl. 37, nº 2.
[276] _Idem_, pl. 37, nº 1.
[277] _Idem_, pl. 16, nº 1.
[278] Voir l'explication de notre planche 6.5.
[Illustration: 19.]
SATE OU SATI.
(SATÈS, SATIS, L'HÉRA OU JUNON ÉGYPTIENNE.)
LE nom égyptien de cette déesse est écrit de deux manières différentes
dans les textes hiéroglyphiques. L'orthographe que présente la planche
19 est la moins fréquente. Ce nom, formé des trois éléments phonétiques
ⲥⲧⲏ ou ⲥⲧⲉ, est suivi de l'_uræus_ ou aspic, déterminatif habituel des
noms propres de déesses, et le titre ⲧⲛⲉⲃⲡⲉ ou ⲧⲛⲉⲃ ⲛⲧⲡⲉ, _dame du
ciel_, complète la légende.
Ce nom, que l'on retrouve aussi sur les grands monuments de l'Égypte,
est extrait d'un bas-relief découvert à Thèbes par le comte de Belmore.
Cette pièce de sculpture offre un grand intérêt par le rang et la
réunion des personnages qui y sont figurés. On y distingue deux scènes
principales: celle de gauche représente le cinquième roi de la XVIIIe
dynastie, le Pharaon Thouthmosis IIIe (Mœris), la tête ornée du casque
royal, faisant l'offrande d'une image de la Vérité et de la Justice, 1º
au dieu AMON-RA à tête humaine[279], qualifié de _seigneur des trois
zones du monde_, et _de résidant au milieu des régions de Oph_ (Thèbes
et son nome); 2º à THERMOUTHIS, ou la _grande mère_ (Néith)[280], _dame
de la région d'Ascherro_; 3º au dieu KHONS ou HHONSOU[281], _seigneur
du ciel_; 4º à la déesse HATHÔR[282], la Vénus égyptienne, assise à
côté du dieu _Khons_, et le tenant dans ses bras. La partie droite de
la stèle présente un nombre égal de personnages disposés d'une manière
analogue; mais c'est ici l'un des ancêtres du roi Mœris, le Pharaon
_Aménôthph_ (Aménophis), le chef de la XVIIIe dynastie, qui, la tête
ceinte du diadême et décorée de l'uræus des rois, fait l'offrande
du vin au dieu suprême AMON-RA à tête de bélier[283], _seigneur de
l'Oph méridionale_, et au dieu CHNOUPHIS[284], à côté duquel est
assise la Junon égyptienne SATÉ[285]; immédiatement après vient la
déesse _Anouké_[286], qui, comme _Saté_, fut aussi, en effet, une des
divinités parèdres de _Chnouphis_, d'après l'inscription grecque des
cataractes. L'intention bien évidente du sculpteur a été d'établir,
entre ces deux séries de personnages, une sorte de parallélisme fondé
sur l'identité de rang et les rapports de fonctions entre ces êtres
divins. Ainsi les deux séries s'ouvrent par les deux principales formes
d'_Amon-Ra_, le père des dieux: sa première émanation, _Chnoubis_,
correspond au dieu _Khons_, qui est également qualifié de _premier-né
d'Amon-Ra_, dans les textes hiéroglyphiques[287]; _Thermouthis_, la
compagne d'Amon-Ra, ou la mère des dieux, a pour correspondant la
déesse SATÉ, la _Juno-Regina_ des Égyptiens; enfin la déesse _Hathôr_ a
pour pendant la déesse _Anouké_. Il n'est point douteux (et de nouveaux
faits viendront le démontrer dans la suite de cet ouvrage) que ces
deux séries de divinités sont identiques, c'est-à-dire, que le tableau
entier se rapporte seulement à quatre divinités, présentées chacune
sous deux points de vue divers et sous deux attributions différentes.
La déesse SATÉ ne doit donc être considérée que comme l'une des formes
de _Thermouthis_ ou _Néith_, ce qui justifie pleinement l'assimilation
que les Grecs firent de la _Saté_ égyptienne avec leur _Héra_ et leur
_Junon_, épouse et compagne de _Zeus_ ou _Jupiter_.
On donne, dans la planche 19.2, une nouvelle image[288] de _Saté_: sa
coiffure est peinte en blanc, ses chairs sont jaunes, et une tunique
verte remplace les ailes du vautour (pl. 19). Le nom hiéroglyphique
diffère aussi, quant à la forme de ses éléments, du nom gravé sur la
planche précédente; le premier signe est composé d'une _flèche_ croisée
sur un _javelot_ ou _trait_, armé d'un fer en forme de carreau; or,
dans la langue égyptienne, la _flèche_, les armes à _trait_ de tout
genre, portent le nom de ⲥⲁϯ, _Sati_, ou ⲥⲁⲧⲉ, _Saté_[289]. On pourrait
donc regarder ce nom comme formé d'abord d'un caractère _figuratif_;
mais la présence des caractères phonétiques ⲧ et ⲉ à la suite du
premier caractère, prouve que ce signe ne compte ici que pour le ⲥ
seul, d'après le principe de l'écriture phonétique égyptienne, qui
représente une lettre quelconque par l'image d'un objet dont le nom, en
langue parlée, a cette même lettre pour initiale.
Le nom égyptien de la déesse ⲥⲁⲧⲉ, _Saté_, ou ⲥⲁϯ, _Sati_, dérive de la
racine ⲥⲱⲧ ou ⲥⲁⲧ, _projicere_, _spargere_, jeter, lancer, _répandre_;
et nous ajouterons que le mot _Sati_ ou _Saté_, nom divin, pl. 19.2, 1
et 2, étant privé des caractères d'espèce, _uræus_ et _femme_, qui en
font un nom propre de déesse, exprime, dans les textes hiéroglyphiques,
l'idée _rayon_ (radius), lorsqu'il s'agit du soleil ou de la lumière;
les flèches d'Apollon-Soleil trouvent donc aussi leur origine dans
les monuments de la vieille Égypte, comme tant d'autres emblèmes des
divinités grecques.
[279] Voir notre planche 1.
[280] Voir notre planche 6.
[281] Voir notre planche 14.4
[282] Voir notre planche 17.3.
[283] Voir notre planche 2.
[284] Voir notre planche 3.
[285] Voir notre planche 19.2, sujet de cet article.
[286] Voir notre planche 20.
[287] Musée royal du Louvre, salle des Dieux, statuette en bronze,
numérotée A, 137.
[288] Extraite d'un monument du Musée royal de Turin, décrit dans
l'explication de la planche nº 20.3.
[289] ⲥⲁⲧⲉ ou ⲥⲁϯ, _Mucro_, _Cuspis_, _Telum_, _Sagitta_. Voir le
Dictionnaire de Lacroze, et la _Scala magna_, page 116.
[Illustration: 19.2.]
ANOUKÉ ou ANOUKI.
(ANUCIS, ANUCÈS, ISTIA, ESTIA, VESTA.)
LES savants qui jusques ici se sont occupés de la mythologie des
Égyptiens, ont cru que ce peuple ne connut jamais de divinité dont les
fonctions eussent quelque analogie avec l'_Estia_ des Grecs, la _Vesta_
des Romains. Ils appuyaient leur opinion sur l'autorité d'Hérodote,
qui a dit en effet que les noms de _Héra_ et d'_Istia_ furent inconnus
aux Égyptiens[290]. Mais le père de l'histoire ne parle que des
_noms_ seulement, sans prétendre, ni même insinuer, que les Égyptiens
n'adorassent point de déesse dont les attributions eussent certains
rapports avec celles de _Héra_ et d'_Istia_ de l'Olympe grec.
L'existence, dans l'ancienne religion égyptienne, d'une déesse que les
Grecs postérieurs à Hérodote assimilèrent, à tort ou à raison, à leur
_Estia_, est d'abord prouvée par le témoignage formel de Diodore de
Sicile[291], qui nomme _Estia_ parmi les divinités de l'Égypte.
L'importante inscription grecque découverte aux cataractes lève
d'ailleurs toute incertitude à cet égard; car ce texte curieux nous
apprend non-seulement que la déesse _Estia_ était adorée dans le temple
égyptien de l'île sainte de Sétès, mais il nous fait encore connaître
le nom égyptien de cette déesse: la dédicace porte en effet ΑΝΟΥΚΕΙ
ΤΗΙ ΚΑΙ ΕΣΤΙΑΙ, A ANOUKIS _qui est aussi_ ESTIA. Cette précieuse
synonymie a suffi pour nous conduire à distinguer, sur les monuments
d'ancien style égyptien, les images de la déesse _Anouké_ ou _Anouki_,
personnage mythique dans lequel les Grecs du temps d'Evergète IIe
croyaient retrouver _Estia_, l'une de leurs divinités nationales.
Dans l'inscription des cataractes, _Anouké_ est immédiatement nommée
après _Ammon-Chnouphis_ et après _Saté_, le Jupiter et la Junon des
Égyptiens; Osiris, Cronos, Hermès, ne sont mentionnés qu'après elle, et
cela seul prouve le haut rang d'_Anouké_ dans le Panthéon égyptien.
Ce rang distingué est démontré par les monuments originaux: deux
bas-reliefs déja cités, rapportés de Thèbes par le comte de Belmore, et
qui offrent la représentation des divinités de la famille d'Amon-Ra,
nous montrent, conformément à l'inscription des cataractes, et _dans
le_ _même ordre_, le dieu CHNOUPHIS, la déesse SATÉ et la déesse
ANOUKÉ[292].
Cette dernière est reconnaissable à son nom d'abord, et en second lieu
à son costume particulier.
Son nom hiéroglyphique, composé de trois caractères phonétiques[293]
le _bras étendu_ ⲁ, la _ligne brisée_ ⲛ, et le _segment de cercle_ ⲕ,
se lit ⲁⲛⲕ (_Anouké_, _Anouki_), et il est suivi de la marque du genre
féminin ⲧ, et de l'_Uræus_, signe déterminatif des noms propres de
déesses. La planche 20 porte un second nom symbolique, ou plutôt un
_titre_ de la déesse, encore inconnu.
La même planche nous montre ANOUKÉ[294] sous la figure d'une femme
assise sur un trône; sa coiffure, ceinte d'un diadème auquel est
attaché l'Uræus, insigne du pouvoir souverain, est surmontée de plumes
ou feuilles de couleurs variées, que l'on pourrait prendre pour une
fleur de lotus épanouie et engagée dans la coiffure, si sur d'autres
monuments ces feuilles ou plumes n'étaient plus allongées, plus
nombreuses, et n'affectaient la forme du beau chapiteau égyptien,
composé de _feuilles de palmier_[295].
L'image de cette déesse n'est point rare sur les grands édifices de
l'Égypte: nous citerons particulièrement deux grands tableaux sculptés
dans le temple d'_Ammon-Cnouphis_ à Éléphantine, construction du règne
du Pharaon Aménophis, huitième roi de la dix-huitième dynastie, qui
régna vers l'an 1687 avant Jésus-Christ, comme une preuve de l'antique
existence du culte d'_Anouké_ avant la venue des Grecs en Égypte. Dans
l'un de ces tableaux, _Anouké_ est encore à la suite d'_Ammon Cnouphis_
et de _Saté_[296]; dans l'autre, le Pharaon Aménophis fait hommage
d'une corbeille de fleurs à la déesse, qui, plus loin, accueille ce
monarque, lève sur lui l'une de ses mains en signe de protection, et
lui présente de l'autre l'emblème de la vie et le signe des panégyries
ou des périodes d'années, comme pour lui promettre un règne long et
heureux[297].
[290] Livre II, § 50.
[291] Livre I, § 13.
[292] Ces monuments sont une _stèle_ et un _bas-relief_ déja décrits
dans l'explication de nos planches 19 et 19.2.
[293] Voir ce nom noté A dans notre pl. 19, où il a été mis par
erreur, et pl. 20.3.
[294] Tirée de la stèle du comte de Belmore.
[295] _Description de l'Egypte_, _Esné_ et _Edfou_, A, vol. I.
[296] _Idem_, A, vol. I, pl. 37, nº 1.
[297] _Idem, ibidem_.
[Illustration: 20.]
TPE, TPHÉ, ou TIPHÉ.
(URANIE, LA DÉESSE CIEL.)
LES grands monuments de la Thébaïde nous offrent de nombreuses
représentations de l'Uranie égyptienne; et ces sculptures de
très-grande proportion ne permettent point de méconnaître, dans
la position habituelle du corps de cet être mythique, _le Ciel_
même personnifié; la Déesse, toujours reconnaissable à sa coiffure
particulière, formée de plumes ou de feuilles, est figurée sous la
forme d'une femme dont le corps, placé horizontalement et allongé hors
de toute proportion, embrasse un très-grand espace, circonscrit par les
bras et les jambes qui retombent perpendiculairement.
Les deux côtés du Zodiaque d'Esné[298] sont cernés par deux de ces
images symboliques de _Tpé_ (le ciel); elle environne les signes
astronomiques sculptés au plafond d'Hermonthis[299]. Un des bas-reliefs
qui ornent le plafond du portique du grand temple, à Philæ, contient
deux images de _Tpé_, superposées et inscrites l'une dans l'autre[300].
Un des plafonds du petit appartement qui renfermait le Zodiaque
circulaire de Dendéra, présente trois figures de _Tpé_, pareillement
inscrites les unes dans les autres; les Égyptiens exprimèrent ainsi,
symboliquement, les différents _cieux_, les diverses régions célestes
admises par leur cosmogonie. Enfin, les Signes, les Constellations et
les Décans, figurés sur les deux parties du Zodiaque rectangulaire de
Dendéra, sont encore compris entre les bras et les jambes de _Tpé_, qui
porte ici la coiffure ordinaire des femmes; mais vers les mains et les
pieds de ces images de la Déesse, est sculpté le signe hiéroglyphique
(pl. 20.4, nº 1) qui, partout exprimant l'idée _Ciel_ (_Tpé_), est
ici le nom même de la Déesse.
Ce signe de l'idée _Ciel_ est très-fréquemment employé dans tous les
textes en écriture sacrée; il est constamment peint en _bleu_, couleur
de la voûte céleste (pl. 20.4, numéros 1 et 2), et se montre même souvent
_parsemé d'étoiles_ (numéros 3 et 4); c'est un signe figuratif: les
Égyptiens comparaient le ciel au _plafond_ d'un édifice, et ceux de la
plupart des temples sont en effet peints en bleu et parsemés d'étoiles.
Il est à remarquer aussi que le corps de la déesse _Tpé_ (le Ciel
personnifié), tel qu'on l'observe dans les sculptures astronomiques,
est disposé de manière à rappeler la forme générale de cet hiéroglyphe;
l'imitation est plus visible encore à l'égard du signe _hiératique_ de
l'idée _Ciel_ (pl. 20.4, nº 5).
Des monuments beaucoup plus anciens que ceux que nous venons de citer,
nous offrent _Tpé_ sous la forme nº III. Cette Déesse embrasse les
tableaux astronomiques sculptés au plafond de l'un des tombeaux des
anciens rois à Thèbes; la Déesse est nue; le corps entier est de
couleur _bleue_; cinq disques sont dispersés sur son torse: ce sont
cinq _Planètes_; un sixième disque (_la Lune_), est placé vers la
bouche, et un Scarabée tenant un septième disque (_le Soleil_), est
figuré vers les parties sexuelles. Le Ciel, ou plutôt _Tpé_ (_la Ciel_,
comme disaient les Égyptiens), était une essence spécialement femelle,
et qui ne produisait que par la force génératrice du Soleil, dont
l'essence mâle est exprimée par le Scarabée.
Les images de l'_Uranie_ égyptienne, à Philæ et à Hermonthis, portent
aussi l'indication des _Planètes_; sur un bas-relief de Dendéra,
dessiné par M. le baron Denon[301], _sept_ zones comprises entre les
pieds et les bras de la Déesse, renferment des _disques placés sur des
barques_, emblêmes connus des astres qui ont un mouvement régulier et
visible.
[298] Description de l'Égypte, Antiq. vol. I, pl. 79.
[299] _Idem_, vol. I, pl. 96, nº 2.
[300] _Idem_, pl. X, nº 1.
[301] Voyage dans la haute et la basse Égypte, pl. 129, nº 4.
[Illustration: 20.2.]
ANOUKÉ ou ANOUKI.
(ANUCÈS, ANUCIS, ISTIA, ESTIA, VESTA.)
ON trouve aussi, sur les grands édifices construits par les Égyptiens
sous la domination des Grecs et des Romains, la représentation de la
déesse _Anouké_. On la voit sur l'une des faces latérales du portique
d'Esné[302], assise toujours à la suite d'_Ammon-Chnouphis_, le dieu
éponyme du temple, et recevant les offrandes d'un empereur romain
dont la légende n'a point été copiée. A Déboud, en Nubie, on a figuré
_Anouké_ tenant dans ses mains le sceptre à fleur de _lotus_ et le
signe de la _vie_ divine[303]. Enfin un bas-relief de Dendéra, dessiné
par l'aimable et ingénieux baron Denon qui, le premier, fit bien
connaître à l'Europe savante les merveilles de la Thébaïde, offre aussi
une image de cette déesse tenant le signe de la _vie_[304].
Mais le monument le plus curieux du culte d'_Anouké_, que l'on puisse
citer jusqu'à ce jour, est, sans contredit, un petit temple en bois
sculpté et peint, faisant partie du Musée royal égyptien de Turin.
Cet édifice, placé sur un traîneau, est précédé d'un petit portique
soutenu par deux colonnes dont les chapiteaux portent une double tête
de femme, celle même de la déesse _Anouké_, qui se distingue de la tête
d'_Hathôr_, employée également dans les décorations architecturales,
par des oreilles humaines, au lieu d'oreilles de vache. Sur le fût des
deux colonnes on a gravé deux inscriptions hiéroglyphiques; celle de
droite contient une invocation au dieu CHNOUMIS ou _Chnouphis, seigneur
du ciel, gardien de la contrée orientale, seigneur aux mille noms_
(polyonymos), _modérateur du monde_, etc., _pour qu'il accorde tous les
biens purs_ à un _auditeur de justice_, dont le nom n'est pas conservé.
La légende de gauche est une prière adressée à la _déesse Anouké_,
qualifiée de _dame de la contrée orientale, dame du ciel, rectrice de
tous les dieux, œil du soleil_, etc.
Ce naos ou petite chapelle, de la forme d'un carré long, était
évidemment dédié à la Vesta égyptienne, _Anouké_, puisque quatre
inscriptions, dont deux sont composées chacune de quatre colonnes de
caractères, et deux d'une seule colonne verticale, ont été gravées sur
les deux montants et sur les battants de la porte, encore parfaitement
conservés, et que ces légendes ne contiennent toutes que le nom et les
titres de la déesse _Anouké_, déja inscrits sur l'une des colonnes du
portique: c'est ce que démontre encore mieux la description des scènes
sculptées et peintes sur deux des faces extérieures de cette petite
chapelle.
On remarque sur la face latérale gauche le dieu _Chnouphis_ et les
déesses _Saté_ et _Anouké_, assis sur des trônes, recevant les
adorations d'un _auditeur de justice_ nommé _Kasi_, lequel est
accompagné de son père, de sa mère et de quatre de ses frères ou
sœurs, comme l'indiquent des légendes particulières: ces personnages
portent en main diverses offrandes et des bouquets de lotus. Ce
tableau offre donc en premier lieu la _Vesta égyptienne_, associée
aux deux grandes divinités _Chnouphis_ et _Saté_, dont elle est, pour
ainsi dire, inséparable, et auxquelles il est probable que les mythes
sacrés attribuaient sa naissance; mais la face latérale droite de la
chapelle nous montre _Anouké-Vesta_ adorée séparément et avec tous les
caractères distinctifs de la divinité principale de ce petit édifice.
Assise sur un trône[305], dans un naos dont la corniche est surmontée
d'une rangée d'_uræus_, la déesse tient dans ses mains le sceptre et
l'emblème de la vie; devant elle sont un autel, un vase à libation
et une fleur de lotus. Le naos est porté sur une bari ou barque
sacrée, à deux gouvernails décorés de têtes d'épervier, emblèmes de la
Providence, et dont la poupe et la proue ont été ornées de deux têtes
de _déesse mère_ avec des colliers. Vers la proue de la bari, décorée
de l'œil droit, emblème _du soleil_, et en face d'_Anouké_, s'élève
un riche bouquet de lotus; à côté sont placées d'autres offrandes. La
bari sacrée est censée flotter sur le fleuve saint, duquel dérive un
canal portant une autre barque thalamége, conduite par quatre rameurs;
enfin, à la jonction du canal et du Nil, un personnage, probablement
l'auditeur de justice _Kasi_, auquel appartenait la chapelle, égorge
une victime sur un autel; un de ses frères épanche l'eau d'un grand
vase placé sur une sellette; plus bas sont Kasi et toute sa famille,
figurés en pied et de plus forte proportion.
Le seul fait que la déesse _Anouké_ est représentée assise dans un
naos porté sur une _bari_ ou barque sacrée, suffirait d'ailleurs pour
établir que cette petite chapelle lui était plus spécialement dédiée
qu'aux autres divinités dont ce petit édifice en bois peint présente
aussi les images.
[302] _Description de l'Egypte_, A, vol. I, pl. 47, le second tableau
de la deuxième rangée.
[303] _Monuments de la Nubie_, par M. Gau, pl. 6; _idem_, pl. 13,
nº. 9.
[304] Atlas du _Voyage dans la haute et basse Egypte_; Dendéra.
[305] Voir la planche 20.3.
[Illustration: 20.3.]
TPÉ, TPHÉ, ou TIPHÉ.
(URANIE, LA DÉESSE CIEL.)
LE systême mythologique des Égyptiens, quoique comprenant un nombre
fort considérable de personnages susceptibles, pour la plupart, de
revêtir plusieurs formes très-différentes, fut si bien ordonné, et la
classification des Dieux y est tellement fixe et invariable, que le
petit nombre de monuments originaux renfermés dans les collections
publiques et particulières, étudiés avec soin, suffit pour conduire
à des résultats certains; et leur comparaison, faite sans préjugé
systématique, mène à des distinctions successives, par lesquelles on
reconnaît toutes les différentes formes, le rang, le degré d'importance
et les fonctions de chaque divinité égyptienne. Ce qu'un monument
présente de vague et d'obscur est pleinement éclairci par un autre.
S'il pouvait, par exemple, rester quelques doutes sur l'expression
emblématique de la Déesse figurée sur nos planches précédentes (20.2
et 20.3), ils seraient entièrement levés par un simple coup d'œil sur
notre planche 20.4.
Cette curieuse représentation de la Déesse _Tpé_, ou le Ciel
personnifié, existe parmi les peintures d'un beau manuscrit
hiéroglyphique, rapporté d'Égypte par M. Thédenat, et acquis par le
Cabinet du Roi.
Le corps de la Déesse est disposé comme dans tous les bas-reliefs
astronomiques; mais il est, de plus, entièrement couvert d'étoiles;
sa coiffure n'a rien de particulier, et sa face est peinte en jaune,
couleur affectée aux femmes dans les peintures égyptiennes; la
disposition générale du corps se rapproche bien mieux ici, que sur les
bas-reliefs astronomiques, de cette forme sémi-circulaire que l'erreur
de nos sens nous fait attribuer à ce que nous nommons la _voûte
céleste_.
Deux barques symboliques parcourent le Ciel, figuré par le corps étoilé
de la Déesse; l'une, placée sur les parties inférieures de ce corps,
_monte_, en se dirigeant des pieds vers la tête, comme l'indique le
sens dans lequel est tournée la face du personnage principal, assis
dans la barque, ou _Bari_ sacrée. A sa tête d'_Epervier, surmontée du
disque, ornée de l'Uræus_, on ne peut méconnaître ici le Dieu PHRÉ,
_le Soleil_ personnifié[306], et placé sur la barque, emblême habituel
du mouvement des astres. Cette grande Divinité, qui tient sur ses
genoux le signe de la vie divine, est assistée par deux personnages
mythiques, Divinités _Parèdres_, dont il sera question ailleurs.
_Phré_, (le Soleil), paraît une seconde fois, dans sa barque sacrée;
mais à la partie opposée du Ciel: ici la barque _descend_, comme
l'indique la direction de la proue, et la face du Dieu tournée vers le
bas.
Il est de toute évidence que ces deux barques expriment,
symboliquement, la course du Soleil dans la vaste étendue des cieux;
l'une, celle qui monte, désigne le Soleil à l'orient, et versant dans
l'espace, des torrents de lumière, indiquée par les points de couleur
rouge qui environnent la barque et le Ciel; l'autre, celle qui descend,
nous montre cet astre quittant l'horizon, à l'instant où la lumière
disparaît entièrement. Il n'est point inutile de remarquer, enfin,
que le disque du soleil levant est peint de couleur d'or, tandis qu'à
l'occident il est d'un rouge foncé.
Dans le manuscrit original, cette image, si bien caractérisée, de la
Déesse _Tpé_, le Ciel, ou l'Uranie égyptienne, enveloppe une scène
symbolique, que nous ferons connaître lorsque nous traiterons des
divers personnages qui la composent.
[306] Voyez l'explication de la planche nº 24.
[Illustration: 20.4.]
SOVK, PETBE, PÉTENSÉTE.
(SUCHUS, CRONOS, SATURNE.)
PLUSIEURS mythographes, à l'exemple de Jablonski[307], ont avancé
formellement que les Égyptiens n'adoraient aucune Divinité dont les
attributions fussent analogues à celles du Dieu Grec _Cronos_, le
_Saturne_ des Latins. Mais l'existence d'un tel personnage dans le
culte Égyptien est attestée par les témoignages les plus respectables
de l'antiquité classique.
La vieille chronique, fragment précieux qui nous a conservé, en langue
Grecque, le systême chronologique de l'Égypte, nomme parmi les Dynastes
divins qui régnèrent avant les hommes, le Dieu _Cronos_[308]; Manéthon,
prêtre Égyptien, écrivant l'histoire de sa patrie, place également un
Dieu, qu'il appelle Κρόνος, à la manière grecque, parmi les Dynastes,
et immédiatement avant Osiris[309]; Diodore de Sicile donne aussi
_Cronos_ pour une des principales Divinités de l'Égypte; il ajoute de
plus que ce Dieu régna aussi dans cette contrée, et qu'ayant épousé la
Déesse Rhéa, il fut, selon une certaine tradition, père d'Osiris et
d'Isis[310]; cette dernière opinion est partagée par Plutarque[311];
enfin des médailles gréco-romaines des nomes de l'Égypte, offrent
comme l'image d'une Divinité locale, celle du _Cronos_ des Grecs, le
_Saturne_ des Latins, tenant sur sa main, selon la pratique employée
dans la plupart de ces médailles de nomes, l'animal symbole vivant du
Dieu Égyptien assimilé à la Divinité Grecque, et cet animal est un
_crocodile_.
Une indication aussi précieuse a suffi pour nous faire retrouver la
représentation du Saturne Égyptien dans les sculptures sacrées[312];
ce Dieu à tête de crocodile, et dont nous donnerons l'image et la
description à la planche nº 22, porte un nom phonétique, qui se lit
CBK ou CVK, _Sevk_, _Sovk_ ou _Sovg_, et ce nom a été connu des
anciens Grecs[313]. On retrouve ce même nom divin à côté du personnage
de forme toute humaine, reproduit sur notre planche nº 21. C'est là
incontestablement la forme la plus simple du _Cronos_ Égyptien.
La coiffure du Dieu est surmontée de cornes de bouc souvent flanquées
de deux uræus, comme celles de ce Dieu à tête de crocodile[314], parce
qu'on supposait que cette Divinité avait régné sur l'Égypte. Dans
l'ordre des Dynastes, _Sovk_ était le dernier des douze Dieux, c'est
pour cela qu'on lui donnait, parmi les Égyptiens, l'épithète Νεώτατος
θεὸς, _le plus jeune des Dieux_[315]. Les cornes supportent deux
grandes plumes ou feuilles de couleurs variées, et un disque, à cause
de la planète de Saturne.
Les sculptures des temples nous montrent _Sovk_ accueillant divers
souverains de l'Égypte; ce Dieu donne le signe de la vie divine au
Pharaon Aménophis II, dans un des bas-reliefs du temple de Chnouphis, à
Éléphantine[316].
_Sovk_, comme toutes les Divinités Égyptiennes, reçut des noms et des
surnoms différents. Il est appelé ΠΕΤΒΕ, _Petbé_, dans un manuscrit
copte-thébain[317]; l'inscription Grecque des cataractes le surnomme
ΠΕΤΕΝΣΗΤΗΣ, mot qui, transcrit en lettres coptes, ΠΕΤΗΕΝΣÈΤÉ,
_Pethensété_, signifie, _celui qui réside dans Sété_; l'inscription
établit en même temps que _Sété_ est le nom Égyptien de l'île où ce
monument a été découvert par M. Rüppel.
[307] _Pantheon Ægyptorum_, lib. I, cap. I, pag. 140 et 141.
[308] Voyez Georg. le Syncelle chronograp. pag. 40.
[309] MANETHO apud Euseb. Chronic. pag. 7.
[310] Bibliothec. lib. I, pag. 12.
[311] De Iside et Osiride.
[312] Voyez l'explication de notre pl. XXII.
[313] Voyez l'explication de notre planche 22.
[314] _Idem._
[315] DIODORE de Sicile, Biblioth. liv. I, pag. 24.
[316] Description de l'Égypte Antiq. vol. I, pl. 36, nº 3.
[317] Catalog. MM. Coptic. Mus. Borg. pag. 457.
[Illustration: 21.]
SOVK.
(SUCHUS, CRONOS, SATURNE.)
LE dieu _Sovk_, qui, dans la planche nº 21, est totalement de forme
humaine, se montre ici avec la tête de l'animal qui lui était
spécialement consacré; c'est celle d'un crocodile, amphibie redoutable,
qui peuple le grand fleuve auquel l'Égypte doit sa prospérité, et
presque son existence. Les médailles grecques de l'Égypte, prouvent, en
effet, que le crocodile fut l'emblême du Cronos Égyptien; une médaille
d'Antonin, frappée à Alexandrie, montre, à son revers, le dieu grec
Cronos, la tête surmontée d'un disque, en sa qualité de planète, la
harpè dans la main gauche, et un _crocodile_ sur la main droite. C'est
ainsi que sur les médailles grecques des nomes d'Apollonopolis, de
Thèbes, de Tentyra, d'Hermopolis, de Mendès, etc., les dieux Égyptiens
répondant à Apollon, Zeus, Aphrodite, Hermès et Pan, se montrent au
revers de ces médailles, costumés à la grecque, mais tenant aussi sur
leurs mains un épervier mithré, un bélier, un épervier, un ibis et un
bouc, animaux que les Égyptiens avaient consacrés à ces divinités, qui,
presque toutes, en empruntent la tête sur les monuments du premier
style.
Le crocodile fut choisi de préférence à tout autre animal, pour devenir
le symbole de _Souk_, le Cronos ou Saturne Égyptien, le dieu du temps,
parce que, selon la doctrine sacerdotale, cet amphibie est l'emblême
_du temps_[318]. Dans le systême hiéroglyphique, diverses parties
isolées du crocodile, expriment, de plus, des phénomènes célestes, qui
tous ont servi de base aux divisions du temps. Les _deux yeux_ de cet
animal signifient le _lever_ du Soleil ou d'un astre (Ἀνατολὴ); le
crocodile _recourbé_ désignait _le coucher_ (Δύσις), et _sa queue_,
les ténèbres, l'obscurité de la nuit (Σκότος)[319]. Les écrivains
Grecs nous font connaître les villes de l'Égypte dans lesquelles le
crocodile, ou plutôt le dieu dont cet animal fut l'emblême spécial,
était principalement adoré; ce furent surtout Ombos, Coptos, et Arsinoé
qui, avant le règne des Lagides, portait parmi les Grecs le nom de
Crocodilopolis.
Les bas-reliefs du grand temple d'Ombos offrent, en effet, l'image du
dieu à tête de crocodile, accompagné de son nom hiéroglyphique Ⲥⲃⲕ
ou Ⲥⲃϭ _sovk_, _Sovg_, reproduite un très-grand nombre de fois, et
occupant le premier rang dans une moitié du temple qui a été construit
par les Égyptiens, en l'honneur des dieux SOVK et Aroëris, sous le
règne de Ptolémée Philométor et de Ptolémée Évergète II son frère, dont
les légendes royales couvrent toutes les parties de ce superbe édifice.
Les médailles du nome Ombite, portent à leur revers un _crocodile
ayant la queue recourbée_, absolument semblable à celui qui, sur les
bas-reliefs Égyptiens, termine le nom hiéroglyphique du dieu SOVK[320],
ou qui seul tient la place de ce nom lui-même, comme caractère
figuratif.
Les médailles de _Crocodilopolis_ ou _Arsinoé_, portent à leur revers
soit un crocodile semblable, soit, comme les médailles de Coptos,
l'image même de Cronos. Dans les temps antiques, on nourrissait
dans le lac voisin d'Arsinoé, un crocodile qui, à l'époque même de
Strabon, vivait des offrandes, en vin et en mets de différente nature,
apportées par les dévots, et que les prêtres mettaient dans la gueule
de l'amphibie apprivoisé. Ce savant géographe nous apprend aussi que
ce crocodile sacré s'appelait Σουχος (Souchos), ce qui est le nom
même du dieu SOVK, dont il était l'emblême; c'est ainsi que le bœuf
sacré de Memphis et le bouc de Mendès, se nommaient Apis et Mendès,
comme les dieux dont ils étaient les symboles; c'est encore ainsi
que sur les bas-reliefs Égyptiens, les images des animaux sacrés,
le bélier, l'ibis, le schacal, le crocodile, etc., portent les noms
hiéroglyphiques _Amon_, _Thouth_, _Anébo_ et _Sovk_, qui sont ceux des
dieux mêmes qu'ils représentent symboliquement.
[318] CLÉMENT d'Alexandrie, Stromat., liv. V, page 566.
[319] HORAPOLLON, liv. I, hierogl. 68, 69 et 70.
[320] Voyez la planche au signe (3).
[Illustration: 22.]
BOUTO,
LETÔ, LATONE, NYX, LES TÉNÈBRES PREMIÈRES.
ON remarque, parmi les innombrables images de personnages mythiques,
sculptées sur les grands édifices de l'Egypte, celles d'une Déesse
dont la carnation est presque constamment verte: mais l'attribut
particulier qui la distingue de _Néith_, d'_Athyr_, de _Selk_,
d'_Isis_, et de toutes les autres divinités femelles des trois ordres,
est la partie inférieure de la coiffure _Pschent_ ornée du lituus, qui
couvre toujours sa tête. Son nom, en écriture sacrée, est composé d'un
caractère symbolique présentant à l'œil la forme de deux arcs réunis et
liés par leur partie convexe; ces armes, quelquefois accompagnées de
_deux flèches croisées_, sont suivies des signes caractéristiques du
genre féminin.
En étudiant avec soin les légendes hiéroglyphiques tracées à côté de
ces images, j'ai reconnu qu'elles se rapportaient, sans aucun doute,
à deux personnages mythiques bien distincts, puisque on lit dans les
unes les titres: _Grande Mère_ GÉNÉRATRICE DU SOLEIL[321], ou bien
MÈRE DU SOLEIL[322]; et dans les autres, ceux de _Grande Déesse Mère_,
FILLE DU SOLEIL. Il est évident que, dans la théogonie égyptienne, il
exista deux Déesses qui eurent les mêmes attributs et presque le même
nom: mais l'une, considérée comme mère du dieu _Phrè_ ou du _Soleil_
père de tous les Dieux du second ordre et aïeul de tous ceux du
troisième, appartenait incontestablement à la classe des plus anciens
Dieux qui, au nombre de huit, formaient le premier et le plus haut
degré de la hiérarchie céleste; l'autre Déesse, en sa qualité de fille
du Soleil, était nécessairement rangée parmi les divinités du second
ou du troisième ordre. Il est démontré en effet, par la comparaison
des textes égyptiens en écriture sacrée, que l'ordre généalogique des
divinités, fixe pour l'ordinaire le rang de chacune d'elles.
Les titres honorifiques portés par la Déesse figurée sur notre planche
23, ne permettent point de douter que ce personnage ne jouât un rôle
important dans les mythes sacrés de l'Egypte. _La mère du Soleil_ ou du
Dieu _Phrè_, devait nécessairement appartenir à la première classe des
Dieux; et si l'on recueille les documents que les anciens auteurs nous
ont transmis sur la Déesse égyptienne _Bouto_, il deviendra évident que
cette même planche nous en offre l'image.
En effet, Hérodote nous apprend que _Bouto_ fut une des _plus anciennes
divinités_ de l'Egypte, et qu'on la comptait au _nombre des Dieux du
premier ordre_ (_note 3_). Les Grecs qui, en donnant aux divinités
égyptiennes des noms tirés de leur propre mythologie, suivirent des
règles constantes fondées sur une ancienne communication entre les deux
peuples, assimilent constamment à leur Déesse _Létô_ (la _Latone_ des
Romains), celle que l'on appelait _Bouto_ parmi les Égyptiens[323];
comme cette dernière, la _Létô_ des Grecs passait pour être la mère
_du Soleil_ (Apollon). Enfin l'identité de ces deux personnages sera
complètement prouvée, si nous recherchons l'expression symbolique que
chacun des deux peuples rattachait à ces Déesses. Selon les Grecs qui,
en cela comme dans les attributions données à la plupart de leurs
Dieux, se sont conformés aux vieilles traditions égyptiennes, _Létô_
était le symbole de _la Nuit_, ou plus directement, des _ténèbres
primordiales_ qui enveloppaient le monde[324]: c'est sous un pareil
point de vue que les Egyptiens considérèrent _Bouto_, ainsi que le
prouve incontestablement le choix seul de l'animal qui devint son
symbole vivant. La _Mygale_, ou _Musaraigne_, fut l'emblême de la
Latone égyptienne, et les corps embaumés de ces animaux sacrés étaient
déposés dans les sépulcres de la ville éponyme de Bouto[325]. On a
cherché, dans les temps anciens, à expliquer cette consécration, en
disant que la Déesse s'était métamorphosée en mygale pour échapper
à la rage de Typhon[326]; mais cette idée-là est purement grecque,
et Plutarque nous a conservé à cet égard la véritable tradition
égyptienne. «_La Mygale_, dit-il, _a reçu des honneurs divins parmi les
Égyptiens, parce que cet animal est aveugle_, et que les TÉNÈBRES _sont
plus anciennes que la_ LUMIÈRE»[327]. La _Mygale_, et par conséquent la
Déesse _Bouto_, furent donc le symbole de l'_antique nuit, des ténèbres
primordiales_ antérieures à la lumière.
Ces divers textes d'anciens auteurs, et presque tous ceux que nous
aurons l'occasion de rapporter dans l'explication des planches
relatives à la Déesse _Bouto_, ont été rapprochés par Jablonski qui les
cite dans son _Panthéon_[328]. Mais ce savant mythographe, sacrifiant
à son système favori qui fut de ne voir, dans la plupart des Déesses
égyptiennes, que les emblèmes des diverses phases de la Lune, a
récusé, sans raison, les témoignages de l'antiquité, et prononçant
arbitrairement que le passage de Plutarque sur la _Mygale_ n'était
point conforme à la doctrine des Egyptiens, a prétendu reconnaître
dans _Bouto_, non _la Nuit_ personnifiée, ce qu'elle était réellement,
mais une simple allégorie de la _Pleine-Lune_[329]. On peut voir
dans l'explication de nos planches 14, 14.2, et 14.3, que _la Lune_,
divinité _mâle_ chez les Égyptiens, ne put avoir que des rapports
très-éloignés avec la série entière des Déesses égyptiennes.
[321] Voyez notre planche 23, lég. nº. 1.
[322] Statue gravée dans le Tome VII du musée Pio-Clémentin. (Pl. A
des Preuves.)
[323] HÉRODOTE, liv. II, §. CLVI.
[324] PHURNUTUS, _de Natura Deorum_, cap. II.--PLUTARQUE, _de festo
Dedal. apud platœenses_.
[325] HÉRODOTE, liv. II. §. LXVII.
[326] ANTONINUS LIBERALIS, fab. 28.
[327] PLUTARQUE, Sympos., lib. IV, quæst. V.
[328] Lib. III, cap. IV.
[329] _Idem._ §. 8. 13.
[Illustration: 23.]
BOUTO,
NOURRICE DES DIEUX.
CETTE déesse, l'emblême de l'antique _Nuit_ ou des ténèbres primitives,
source féconde d'où sortirent une foule d'êtres vivants, fut considérée
par les Egyptiens ainsi que dans la cosmogonie des Grecs et de la
plupart des peuples orientaux, comme cette obscurité première qui,
enveloppant le monde avant que la main toute puissante du Démiurge
eût créé la lumière et ordonné l'univers, renfermait dans son sein
les germes de tous les êtres à venir. Aussi, les vers des orphiques,
vénérables débris de la plus ancienne théologie des Grecs, et qui
contiennent des doctrines conformes, sur presque tous les points, à
celles des Egyptiens[330], donnent-ils à la déesse _Nyx_ (_la Nuit_
primitive), les titres de Πρεσϐυγένεθλ' ἀρχὴ πάντων, _première née_,
_commencement de tout_, Οἰκε θεῶν, _habitation des Dieux_, et celui
de Θεῶν γενέτειρα, _génératrice des Dieux_, titres qui répondent
exactement aux qualifications _grande Déesse mère des Dieux_, et
_génératrice des Dieux Grands_, données à _Bouto_ dans les légendes
hiéroglyphiques gravées sur la tunique d'une statue qui tient dans
ses mains une image de divinité placée dans un petit _Naos_[331]. Un
monument semblable, mais de basalte vert, et seulement d'un pied de
hauteur, a jadis existé dans la collection de feu l'abbé de Tersan; il
représente, d'après l'inscription hiéroglyphique sculptée sur le dos du
personnage, Aménoftèp fils d'_Horus_ et de _Tsenisis_, et petit-fils du
roi _Psammitichus_ second, tenant aussi un petit _naos_ dans lequel la
déesse _Bouto_ est figurée en plein relief. Tous les individus nommés
dans cette inscription, prennent le titre de _chéri de Bouto_, divinité
qui paraît avoir été la protectrice des Pharaons de la XXVIe dynastie
égyptienne.
On donnait avec raison le surnom de MÈRE DES DIEUX à la déesse _Bouto_,
puisque, unie au dieu _Phtha_, elle avait enfanté _Phrè_ ou le
_Soleil_, desquels naquirent ensuite tous les autres Dieux. _Hélios_
ou le _Dieu-Soleil_ des Grecs, passait aussi pour fils de la déesse
_Nyx_[332] (la Nuit).
Le culte de la déesse _Bouto_, divinité du premier ordre, et l'une des
émanations directes d'Amon-ra, fut très répandu en Egypte. Plusieurs
villes lui furent consacrées, et portèrent même son nom, si nous en
croyons les Grecs; Hérodote[333] parle, d'une manière très-détaillée,
de la ville de _Bouto_ située en basse Egypte vers l'embouchure de la
Branche sébénnytique; le temple de la Déesse était orné de portiques
d'une vaste étendue, et renfermait cette fameuse chapelle monolithe
qui avait plus de cinquante pieds dans tous les sens. Il paraît même
que le bras du Nil qui se jetait dans la mer à une petite distance
de cette ville, avait reçu le surnom de Branche _thermoutiaque_ en
l'honneur de la Déesse; car le mot que les Grecs ont écrit Θέρμουθις,
Τερμουτὶς, Θερμουτὶς et Θερμοὺτ, nous paraît être la transcription
exacte d'un titre porté par les grandes déesses de l'Egypte, et surtout
par _Bouto_, titre écrit ϫⲣⲙⲟⲩⲧ, _Tjermout_ ou _Djermout_ dans les
textes hiéroglyphiques, et signifiant _grande_ ou _puissante mère_. Une
seconde ville du même nom, située au nord de Memphis et sur la rive
occidentale du Nil, adorait spécialement la mère des Dieux _Bouto_,
circonstance qui fit donner à ce lieu, par les Grecs, le nom de
_Létopolis, la ville de Léto_ ou _Latone_.
_Bouto_ passait aussi, dans la croyance des Egyptiens, pour la nourrice
de certains Dieux. On disait qu'Isis avait confié à cette divinité ses
deux enfants _Horus_ et _Bubastis_; et ce précieux dépôt fut caché dans
l'île de _Chemmis_ située dans le lac voisin de la ville de Bouto,
île que la Déesse rendit flottante pour dérober les deux jumeaux aux
poursuites et aux recherches de Typhon.
La singulière image de _Bouto_, reproduite sur notre planche 23.2,
est tirée du fameux torse Borgia, sur lequel sont représentées la
plupart des divinités égyptiennes; un sujet semblable est figuré sur
un scarabée de la riche collection de M. Durand, ainsi que sur une
petite statue qui appartient à M. Julliot[334]; la Déesse caractérisée
par la portion inférieure du _Pschent_, qui couvre sa tête, donne son
sein à _deux crocodiles_ qu'elle semble allaiter avec tendresse. Cette
scène fait-elle allusion à l'enfance d'_Horus_ et de _Bubastis_, élevés
secrètement sur les eaux du lac sacré; ou bien se rapporte-t-elle à
l'éducation de quelques autres divinités? c'est ce qu'il est impossible
de décider entièrement dans l'état actuel de nos connaissances sur les
mythes sacrés de l'Egypte.
[330] HÉRODOTE, liv. II, §. LXXXI.
[331] Voyez le musée Pio-Clémentin, tome VII. Pl. A des Preuves.
[332] Ὅν αἰόλα Νὺξ..... Τίκτει. Ἅλιον Ἅλιον αἰτῶ. SOPHOCLE, trachin.
v. 93 et suiv.
[333] Livre II, §. CLV et CLVI.
[334] Delaulnaye, _Histoire des Religions_.
[Illustration: 23.2.]
AHA, AHI, AHÉ ou ÉHÉ,
LA VACHE DIVINE.
LE taureau, le bœuf et la vache, qui vivent dans des climats si
opposés, jouent aussi un grand rôle dans le systême cosmogonique et
les croyances religieuses de nations qui sont d'origines différentes;
l'Europe, l'Afrique et l'Asie, ont également compris ces animaux dans
leurs rites, leurs symboles et leurs allégories; et les voyageurs
racontent qu'on montre encore au Japon, dans une pagode célèbre,
un taureau d'or massif placé sur un autel: son cou est orné d'un
collier précieux, et il frappe de ses cornes un œuf flottant sur la
surface des eaux. Les docteurs du pays expliquent très-bien cette
action: cet œuf, au temps du chaos, contenait le monde et flottait
sur les eaux; il se fixa sur une matière solide venue du fond de la
mer à sa surface par l'attraction de la lune; et un taureau, dont ces
docteurs ne disent pas l'histoire, fit sortir le monde de cet œuf en
le frappant avec ses cornes: en même temps il anima l'homme par son
souffle. Tous les mythographes ont aussi parlé, bien ou mal, du taureau
et de la vache figurés sur les monuments religieux des Égyptiens.
Nous aurons bientôt l'occasion de montrer le taureau dans une scène
symbolique très-intéressante pour l'explication de quelques traditions
grecques; nous nous occuperons d'abord de la _vache divine_ qui se voit
fréquemment dans les monuments de l'ancienne Égypte.
La dernière grande division des _Rituels funéraires égyptiens_, qui
contient les oraisons et les supplications adressées au nom du défunt
aux plus grandes divinités du pays, à celles qui tenaient le rang
suprême dans les régions célestes, présente presque toujours, parmi les
peintures qui la décorent, l'image d'une _vache_ décorée d'ornements
assez variés, mais dont la tête est constamment surmontée d'un disque
peint en _rouge_, et flanquée de deux grandes _feuilles_ ou _plumes_ de
couleurs variées. Le col de cet animal est orné d'un collier, auquel
est suspendu tantôt l'_emblème de la vie divine_ (la croix ansée),
tantôt la _tête de femme à oreilles de vache_, symbole de la _Vénus
égyptienne_[335]. Le corps de la vache est _blanc_ ou bien peint en
_jaune_ clair, et la housse qui parfois le recouvre est ordinairement
rouge.
Le nom hiéroglyphique de cette génisse sacrée se présente sous
plusieurs formes différentes, mais exprimant toutes les mêmes _sons_
d'une manière plus ou moins complète. La forme la plus ordinaire
(légende nº 2), peut se transcrire en lettres coptes ⲁϩⲁ, ⲁϩⲉ, ⲁϩⲓ,
ou bien ⲉϩⲉ, ⲉϩⲓ. La légende nº 3 ne diffère de la précédente que
par l'emploi d'un caractère homophone, la _feuille_ à la place de
l'_oiseau_, et la légende nº 4 n'en est qu'une abréviation terminée
par le caractère ⲧ, signe du _genre féminin_, exprimé dans les autres
noms hiéroglyphiques par ⲧ et ⲥ, marques constantes de ce genre dans la
langue égyptienne parlée. Dans quelques textes, au lieu du nom propre
même, on lit la simple qualification LA GRANDE VACHE-REINE ou _déesse_
(légende nº 5).
L'importance du rôle que jouait dans la mythologie égyptienne cette
génisse considérée non comme un simple animal sacré nourri dans un
temple, mais comme forme symbolique propre à un être divin, est
suffisamment dénotée par la légende nº 1 qui accompagne souvent son
image dans les papyrus hiéroglyphiques: AHÉ (vache) _la grande_,
GÉNÉRATRICE DU DIEU SOLEIL.
[Illustration: 23.3.]
Ainsi le dieu _Phré_ ou le dieu soleil (_Hélios_) qui, dans la
théogonie égyptienne, fut considéré comme le père de tous les dieux de
la seconde ou de la troisième classe, devait la naissance à la vache
_Ahé_; cet être mythique fut donc aussi une des principales divinités,
l'une des _plus anciennes_ et par suite des plus vénérées, puisque,
dans l'olympe égyptien, l'ordre seul de la naissance réglait toujours
le rang et l'importance de chaque divinité.
L'extrême incertitude des signes de voyelles, dans la partie
phonétique de tous les textes hiéroglyphiques, ne nous permet point
encore de décider si le nom de la grande vache sacrée, lu ⲁϩⲉ (AHÉ)
ou ⲁϩⲓ (AHI), doit être rapporté au mot égyptien ⲁϩⲉ ou ⲁϩⲓ, LA VIE,
_vita_, l'AME (_anima_), ou bien aux mots ⲁϩⲏ[336] ou ⲉϩⲉ (AHI, ÉHÉ)
qui, dans différents dialectes de la langue égyptienne, signifient
_bœuf_ et _vache_. J'avoue, toutefois, que la présence habituelle de
l'image d'une _vache_ à la suite de ce nom propre _phonétique_, me
porte à préférer le second rapprochement au premier, et à ne voir, dans
le groupe hiéroglyphique phonétique, que les sons de la langue parlée
répondant au caractère _figuratif_ VACHE qui les suit immédiatement. Je
pourrais citer un très-grand nombre de groupes phonétiques accompagnés
ainsi d'un caractère figuratif représentant au propre l'objet exprimé
par les signes de _son_.
On a déja dit (explication des planches 23 et 23.2) que, selon
la doctrine égyptienne telle que les monuments eux-mêmes nous la
présentent, le dieu _Phré_, ou le soleil, était regardé comme le
premier né de la déesse _Bouto_, ou _la nuit primordiale_ personnifiée.
La vache divine AHÉ étant aussi produite comme mère du même dieu par
des autorités semblables, il est tout naturel de penser que cette
vache ne fut qu'une des formes symboliques données à la déesse _Bouto_
considérée dans certaines attributions particulières. C'est ce que
confirme pleinement le tableau emblématique gravé sur notre planche 23.4,
que je trouve sculpté, au milieu d'une foule d'autres également
importants, sur le fameux torse égyptien qui fit jadis partie de la
belle collection du cardinal Borgia.
La vache divine est debout sur un énorme _uræus_ ou aspic, dont la
tête est celle d'un _lion_ surmontée du _disque_ solaire; l'_uræus_
est ailé, et sa queue se termine par une _tête de bélier_. Au col de
la vache est suspendu l'_emblème de la vie divine_, et on a figuré
vers ses pieds antérieurs l'_œil_ sacré, symbole du soleil. Le bélier,
emblème d'_Amon-Ra_, comme le prouve sa coiffure décorée des deux
longues plumes du dieu, est accroupi et repose sur le dos de la vache
AHÉ.
Il serait difficile, sans risquer de tomber dans de très-graves
erreurs, de vouloir pénétrer, d'après l'état actuel de nos
connaissances sur les mythes sacrés des égyptiens, dans le sens
intime du tableau symbolique figuré sur le torse du musée Borgia.
Contentons-nous d'y reconnaître avec certitude la mère du soleil
mise en contact avec le démiurge _Amon-Ra_, le père des dieux et la
source première de toute génération céleste et terrestre. La légende
en caractères hiéroglyphiques, qui accompagne et explique en quelque
sorte cette bizarre composition, établit clairement ce que de simples
considérations tirées de faits reconnus nous portaient à supposer
déja, savoir: que AHÉ, ou la vache divine, n'est qu'une des formes
emblématiques de la déesse _Bouto_, la Latone égyptienne. L'inscription
de ce tableau porte en effet (planche 23.4, légende nº 1): _Bouto-Ahé
génératrice du soleil_, ou si l'on veut _Bouto vache génératrice du
soleil_. Les mots ⲁϩⲉ, et ⲙⲁⲥ (_génératrice_), sont écrits en abrégé
dans le texte original.
[335] Voyez planches 17.2, 17.3, et leur explication.
[336] ISAIE, I, 3; texte baschmourique.
[Illustration: 23.4.]
RÉ, RI, PRÉ, PHRÉ, ou PHRI.
(HÉLIOS, LE SOLEIL.)
LE Dieu suprême _Ammon-Cnouphis_, et son fils, le Dieu _Phtha_, ou
_Phtah_, occupaient les deux premiers rangs parmi les personnages
mythiques de la théologie égyptienne; car _Nèith_, émanation d'Ammon,
ne formait, au fond, qu'un seul Être avec le Premier Principe qui
l'avait manifestée. _Ammon_ et _Phtah_ régnaient dans le monde
intellectuel, dans le monde supérieur; un Être, moins ancien que les
deux autres, gouvernait l'univers matériel, le monde physique: c'était
PHRÉ, ou le _Dieu-Soleil_.
Cet Être divin, l'Œil du Monde et l'Ame de la Nature[337], était fils
de _Phtha_[338], l'Intelligence active qui organisa l'Univers; _Phré_
régna après son père: c'est le second des Dynastes de l'Égypte.
Les représentations de _Phré_ sont très-multipliées dans les sculptures
des grands monuments. Il s'y montre sous une forme humaine; mais avec
une tête d'_Épervier, surmontée d'un disque, habituellement peint
de couleur rouge_; c'est l'image du disque solaire. Les Égyptiens
donnaient à ce Dieu une tête d'_Épervier_ «Parce que cet animal est
fécond et de longue vie; il semble, plutôt que tout autre volatile,
devoir être l'emblême du _Soleil_; car, doué, par la Nature, d'une
puissance particulière et occulte, il tient ses yeux fixés sur les
rayons de cet astre; c'est pour cela que le _Soleil_; considéré comme
le Seigneur de la Vision, est ordinairement représenté _Hiéracomorphe_
(sous une forme d'Epervier)»[339].
Cette planche nous offre, en effet, le Dieu avec une tête d'_Épervier_;
le _disque_ placé sur sa tête est entouré par le corps du Serpent
_Uræus_, emblême de la puissance suprême, et qui rappelle le règne du
Dieu avant les Dynasties humaines. Cette belle image de _Phrè_ est
tirée d'un des bas-reliefs du tombeau royal découvert, à Thèbes, par M.
Belzoni.
Les deux premiers signes de la légende nº 1, sont _phonétiques_,
et forment la syllabe PH (_Rè_), qui est le nom du Soleil, et du
Dieu, lui-même, en langue égyptienne. Le groupe suivant, dans lequel
domine l'_Épervier, ayant la tête surmontée du disque_, est le nom
_symbolique_ du Dieu, dont les deux signes précédents indiquent la
prononciation; les quatre derniers caractères répondent aux mots
égyptiens, NOUTE NAAF NEB MPÈ, _Dieu-Grand_, _Seigneur du Ciel_,
titres ordinaires de cette Divinité. Les groupes hiéroglyphiques 2 et
3, sont des variantes figuratives des mêmes noms divins, et répondent
aux mots RÈ NOUTE, _le Dieu Rè_; le nº 4 n'en diffère que par la forme
symbolique du signe final _Dieu_; les variantes 5 et 6, montrent le
disque du Soleil, décoré de l'_Uræus_, comme celui qui surmonte la tête
du Dieu. On a placé, sous le nº 7, les formes hiératiques de ce nom
divin, qu'on trouve fréquemment tracé en lettres grecques, et écrit
ΦΡΗ ou ΦΡΙ, sur les pierres gravées gnostiques ou basilidiennes. ΦΡΗ
n'est que le mot égyptien ΡΗ (_Rè_ ou _Ri_), précédé de l'article du
genre masculin Φ (_Ph_). On disait ΦΡΗ, _Phrè_ ou _Phri_, en dialecte
memphitique, et ΠΡΗ, _Prè_ ou _Pri_ en dialecte thébain.
Comme le Dieu _Phtah_, son père, le Dieu _Phrè_ était le protecteur
spécial des souverains de l'Égypte, que l'on considérait comme membres
de la famille de cette Divinité: aussi les Pharaons, les Lagides, et
les Empereurs romains, portent-ils constamment, dans leurs légendes
hiéroglyphiques, les titres fastueux: _Fils du Soleil, Né du Soleil,
Fils préféré du Soleil, Approuvé par le Soleil, Roi, comme le Soleil,
des régions inférieures et supérieures._
[337] IAMBLICH., _de Mysteriis_.
[338] MANETHON, cité par Georges le Syncelle, _Chronograph._.
[339] HORAPOLLON, _Hieroglyph._ liv. I, §. 6.
[Illustration: 24.]
L'ÉPERVIER,
EMBLÊME VIVANT DE PHRÉ (LE SOLEIL).
PARMI les images d'animaux sacrés, figurées sur les monuments égyptiens
de toutes les époques, celles de l'_Épervier_ sont, sans aucun doute,
les plus multipliées; et cela vient de ce que cet oiseau fut à la fois
l'emblème de plusieurs divinités différentes. Aussi le trouve-t-on
représenté au revers des médailles de neuf des Nomes de l'Égypte,
soit seul, soit placé sur la main d'un grand nombre de personnages
mythiques dont les attributions furent cependant bien distinctes. Mais
alors l'épervier porte toujours des insignes particulières, lesquelles
caractérisent, d'une manière très-précise, chacune des divinités dont
il devient successivement le symbole.
Selon les préjugés populaires, cet oiseau affectionnait
particulièrement l'Égypte, et si nous écoutons Ælien, «les Égyptiens
choisissaient deux éperviers pour les envoyer observer les îles
désertes de la Libye; les Libyens célébraient ce voyage par une
fête, et les deux oiseaux se fixaient dans celle des îles qui leur
paraissait la plus convenable; là, ils faisaient leurs petits en
sûreté, chassaient aux moineaux et aux colombes; enfin, lorsque leurs
petits étaient assez forts pour voler, ils les reconduisaient en Égypte
comme dans leur véritable patrie[340].» On savait aussi que cet oiseau
est susceptible de s'attacher par les bienfaits; les Égyptiens les
captivaient par la douceur des mets; ainsi apprivoisés, les éperviers
devenaient très-familiers et ne faisaient jamais de mal à ceux qui leur
avaient prodigué de si bons traitements[341]. Ils rendaient d'ailleurs,
disait-on, de véritables services à l'homme en détruisant les cérastes,
les scorpions et autres petites bêtes venimeuses[342].
C'est à cause de ces bienfaits envers la terre d'Égypte qu'il purgeait
du reptile le plus dangereux, et parce que l'on citait la _fécondité_
et la _longévité_ de cet oiseau, qu'il devint d'abord pour les
Égyptiens le signe symbolique de l'idée _Dieu_[343]. Mais supposant
aussi que l'épervier était d'une _nature ignée_, comme le soleil,
et très-_destructeur_, comme ce même Dieu à la colère duquel ils
attribuaient les maladies pestilentielles[344]; persuadés enfin que
seul d'entre les êtres vivants, l'épervier avait la faculté de fixer
ses yeux sur le disque éblouissant du soleil[345], ils le consacrèrent
d'abord à cette grande divinité qu'ils représentaient emblématiquement
sous la forme même d'un _épervier_[345].
Cet oiseau de proie fut ainsi introduit dans les sanctuaires de
l'Égypte, comme une image vivante du dieu _Phrè_ ou le soleil
personnifié. Sa représentation est reproduite dans des poses
très-variées, soit sur les bas-reliefs qui décorent les grands édifices
de l'Égypte, soit dans les peintures des catacombes et des cercueils
de tous les âges. Mais partout l'_épervier, emblème de Phrè_, est
spécialement caractérisé par une image du _disque solaire_ placé sur
sa tête, ainsi qu'on le voit dans notre planche 24.2, extraite des
riches peintures qui couvrent l'enveloppe intérieure d'une momie du
cabinet de M. Durand.
C'est ce _disque souvent orné de l'uræus_, qui distingue l'_épervier_
symbole du soleil, roi du monde physique, des divers éperviers sacrés,
emblêmes de la déesse Hathôr et des dieux _Phtah-Sokari_, _Mandoulis_,
_Aroéris_, _Horus_, etc., etc. On doit remarquer aussi que l'_épervier,
la tête surmontée du disque_, forme, dans l'écriture hiéroglyphique, le
nom symbolique _du soleil_.
Les légendes gravées sur notre planche 24.2, sous les numéros 1, 2, 3
et 4, sont communes au dieu _Phrè_ et à l'_épervier_ son emblème:
la première, le _soleil-dieu_, est symbolico-figurative; la seconde
est purement symbolique, le _soleil_; la troisième est formée du nom
phonétique du soleil RÈ, suivi du nom symbolique; la quatrième est la
forme hiératique des légendes hiéroglyphiques 1 et 2.
Ceux d'entre les Égyptiens qui avaient une dévotion particulière pour
le dieu Phrè, nourrissaient avec soin des éperviers; aussi a-t-on
découvert assez fréquemment dans les catacombes de l'Égypte, des momies
de ces oiseaux préparées avec une certaine recherche.
[340] ÆLIAN. de Naturâ animal. lib. II, cap. 43.
[341] _Idem._ lib. IV, cap. 44.
[342] EUSEB. Præpar. Evangel. lib. II, §. 1.
[343] CLÉMENT d'Alexandrie, Strom. liv. V, pag. 566 _d_.--HORAPOLLON,
hiéroglyph. liv. I, §. 6.
[344] _Idem._ Strom. liv. V, pag. 567.
[345] HORAPOLLON, hiérog. liv. I, §. 6.
[Illustration: 24.2.]
LE SPHINX DU DIEU PHRE,
OU DU SOLEIL.
QUOIQUE PHRÉ, ou le Dieu-soleil, reçût de l'Égypte entière un culte
très-solennel, et que peu de grandes divinités aient été l'objet de
tant d'hommages, ses représentations au propre offrent, en général,
peu de variétés soit dans l'ensemble, soit dans les détails des
attributs; tandis que certains Dieux et quelques Déesses d'un rang
très-inférieur à celui du premier né de Phtha, se montrent, sur les
monuments, sous des formes très-différentes, soit qu'ils empruntent
la tête de divers animaux, soit par le changement des emblêmes et
des décorations qui servent à les distinguer dans telle ou telle de
leurs attributions divines. Mais si les images du Dieu _Phré_ sont
presque toujours semblables, il existe une très-grande variété dans les
symboles consacrés à rappeler l'idée de cet être bienfaisant, de ce roi
conservateur du monde physique.
Parmi ces emblêmes, dont il a paru indispensable de comprendre la
série entière dans ce recueil, l'animal fantastique gravé sur cette
planche n'est pas un des moins importants; et quoique jusqu'ici on ait
voulu regarder le _Sphinx_ comme un emblême exclusif des mystères du
débordement, de la terre d'Égypte, ou de tout autre phénomène céleste
ou terrestre, il est indubitable que le Sphinx est, dans certaines
occasions, un symbole du soleil ou du Dieu _Phré_, sur les monuments
d'ancien style égyptien. La légende hiéroglyphique, peinte à côté de
celui que nous publions aujourd'hui, contient textuellement, en effet,
l'expression des idées RÉ (le soleil) DIEU GRAND SEIGNEUR DU CIEL:
c'est le texte même d'une formule inscrite sur l'obélisque transporté
jadis d'Égypte à Rome pour être érigé dans le grand cirque, formule
qu'Hermapion a rendue très-littéralement par les mots Ἥλιος θεὸς μέγας
δεσπότης οὐρανοῦ[346].
Ce sphinx, tiré d'une magnifique momie de la collection égyptienne de
S. M. le roi de Sardaigne, existe sur le premier cercueil, au milieu
de peintures d'autant plus curieuses, que plusieurs présentent, contre
l'ordinaire des monuments de ce genre, un véritable intérêt historique.
Le défunt, qui tenait un rang distingué dans l'ordre sacerdotal
puisqu'il était voué au culte des souverains de la XVIIIe dynastie
égyptienne, est représenté à genoux devant un autel chargé de pains
sacrés et de fleurs de lotus. Auprès des offrandes et sur un piédestal
richement décoré, repose le sphinx symbolique du soleil: la tête
humaine barbue et le corps du lion, sont de couleur verte; une housse
couvre son dos, et un grand _uræus_ ailé s'élève en grands replis
au-dessus de la croupe de l'animal fantastique, et exprime la puissance
royale dont le Dieu Phré, considéré comme le père des rois, était en
quelque sorte la source et le prototype. Une petite image de la Déesse
_Saté_ (la Junon égyptienne), assise entre les pattes antérieures du
sphinx, paraît se rapporter à la même idée.
Le sphinx, qui est ici un emblême du Dieu _Phré_, n'a jamais indiqué,
comme c'est l'opinion commune, la présence de cet astre dans les
signes du Lion et de la Vierge; cette explication était d'autant moins
fondée, que la tête humaine de la plus grande partie des sphinx de
travail véritablement égyptien, est une tête mâle, caractérisée par
la barbe, ce qu'on ne saurait rapporter à l'astérisme de la Vierge.
Le seul passage des écrivains classiques, relatif à cet animal
fantastique, et qui soit en harmonie parfaite avec les faits démontrés
par les monuments, se trouve dans Clément d'Alexandrie, Ve livre des
Stromates, où on lit[347] que _le sphinx_, chez les Égyptiens, _fut le
symbole de la force unie à la prudence ou à la sagesse_: la première
de ces qualités était exprimée par le corps entier du Lion τὸ σῶμα πᾶν
λέοντος, et la seconde par _la face d'homme_, τὸ πρόσωπον ἀνθρώπου,
unie au corps de l'animal.
Le sphinx étant ainsi, dans les anaglyphes, le signe de deux qualités
essentiellement propres à toutes les essences divines et aux êtres
mortels les plus favorisés des Dieux, devint, par cela même, un emblême
commun à la plupart des divinités du premier et du second ordre, et
aux souverains de l'Égypte. J'ai reconnu, en effet, sur les monuments,
un grand nombre de Dieux et de Déesses, de Pharaons, de Lagides et
d'Empereurs, représentés sous la forme même d'un sphinx; ce qui exclut
toutes les interprétations tirées de l'Astronomie ou des phénomènes
naturels, qu'on a voulu donner de cet emblême.
On distingue les sphinx, images symboliques des différentes divinités,
par les insignes caractéristiques de chacune d'elles, placées sur
la tête du monstre. Le disque solaire peint en rouge ou en vert,
surmonte la coiffure du sphinx emblême du Dieu _Phré_, et rappelait
aux Égyptiens la force et la sagesse de l'être céleste qui, dans leur
système cosmologique, régissait et gouvernait l'univers matériel.
[346] HERMAPION, _voy._ Ammien-Marcellin, liv. XVII, ch. IV.
[347] Ἀλκῆς τε αὖ μετὰ συνέσεως ἡ σφίγξ. Τὸ μὲν σῶμα πᾶν λέοντος, τὸ
πρόσωπον δὲ ἀνθρώπου ἔχουσα. _Strom._, lib. V, p. 671; édit. d'Oxfort.
[Illustration: 24.3.]
DJOM, DJEM, ou GOM,
(L'HERCULE ÉGYPTIEN.)
LES Grecs connurent trois personnages mythiques du nom d'Hercule; le
plus moderne vécut peu de temps avant la guerre de Troie: c'était
le fils d'Alcmène et le petit-fils d'Alcée[348]; le second était
l'_Hercule Crétois_[349]; et le plus ancien de tous fut l'_Hercule
Égyptien_, dont les travaux et les exploits ont été attribués par les
Grecs à leur héros national, né à Thèbes de Béotie[350]. Hérodote, qui
convient n'avoir jamais entendu parler dans aucun endroit de l'Égypte
de cet Hercule si connu des Grecs[351], nous a transmis de précieux
détails sur l'Hercule Égyptien.
«Hercule, dit-il, est un Dieu très-ancien chez les Égyptiens, et,
comme ils l'assurent eux-mêmes, il est du nombre de ces douze Dieux
qui sont nés des _huit_ premiers Dieux, 17000 ans avant le règne
d'Amasis[352].» Diodore de Sicile est d'accord, à cet égard, avec le
père de l'histoire, lorsqu'il avance que l'Hercule Égyptien parut,
dès le premier établissement de la race humaine sur la terre, époque
depuis laquelle les Égyptiens, assure-t-il, comptaient bien plus de
10000 ans[353]. Ce Dieu rendit la terre habitable, en la délivrant
des animaux féroces[354]. Ainsi, l'Hercule Égyptien était un Dieu de
la seconde classe qui se composait de douze Divinités émanées des
huit Grands Dieux de la première, parmi lesquels _Ammon-Chnouphis_,
_Nèith_, _Phtah_, _Mendès_ et _Phré_, occupaient les principaux rangs.
Il paraît, comme on le verra dans la suite, que les Dieux de la seconde
classe ne furent, pour la plupart, que des _Parèdres_ de ceux de la
première que nous venons de nommer.
Le culte d'Hercule était très-répandu en Égypte, et remontait aussi,
selon Macrobe, à l'antiquité la plus reculée; ce personnage mythique
était considéré comme l'emblême de la _Force Divine_, _Virtus Deorum_;
et on lui attribuait, ainsi qu'on le fit en Grèce, la défaite des
Géants ennemis des Dieux[355]. Nous apprenons enfin par Plutarque, dans
son Traité d'_Isis et d'Osiris_, que les Égyptiens croyaient que leur
Hercule _habitait le disque solaire, et qu'il faisait avec cet astre le
tour de l'univers_.
Cette dernière indication nous a fait reconnaître, dans les peintures
des manuscrits et dans les bas-reliefs des temples, les formes variées
que les Égyptiens donnèrent à leur _Hercule_. Ce Dieu est figuré sous
une apparence toute humaine, et porte ordinairement sur sa tête,
ou dans sa main, une longue _feuille_ ou _plume_, dont la partie
supérieure est arrondie et recourbée. Ses chairs sont constamment
_rouges_, et l'_Hercule-Égyptien_, comme l'a dit Plutarque, accompagne,
en effet, presque toujours le Dieu _Phré_ (le Soleil), lorsque cette
grande Divinité est suivie, sur les monuments, par ses divers Parèdres.
Dans un des bas-reliefs moulés dans la grande salle du tombeau royal
découvert à Thèbes par M. Belzoni, l'_Hercule-Égyptien_, tel que nous
venons de le décrire, est placé dans la _barque du Soleil_, à côté
du disque lui-même. Dans la seconde partie du Rituel funéraire, dont
les papyrus, trouvés sur les momies, sont des copies plus ou moins
complètes, l'Hercule-Égyptien accompagne encore le _Dieu-Soleil_[356].
Il en est ainsi dans une foule d'autres peintures ou sculptures.
L'Hercule Égyptien gravé sur notre planche 25, a été copié à
_Biban-el-Molouk_, par la Commission d'Égypte, dans le cinquième
tombeau royal de l'est[357]; la légende hiéroglyphique tracée à côté
de ce personnage, renferme son nom propre et sa filiation (numéros
1 et 2). Le nom propre est composé ici, comme partout ailleurs, de
deux caractères, 1º d'une _plume_ ou _feuille_, semblable à celle
que le dieu porte sur sa tête; la valeur phonétique de ce signe nous
est encore inconnue; 2º de l'oiseau que nous appelons provisoirement
_la caille_, et qui, dans toutes les légendes hiéroglyphiques,
exprimant indifféremment les lettres O, OU et V, a pour _homophone_,
le _lituus_ (lég. nº 3). La filiation est indiquée par _l'oie_, _la
ligne perpendiculaire_, et _le disque solaire_ suivi de la _ligne
perpendiculaire_, ce qui donne _Sché_ ou _Sé-Ré_, ou bien, _Si-Ri_,
c'est-à-dire, _Fils du Soleil_: l'Hercule Égyptien est ordinairement
qualifié de _Dieu grand_, _Fils du Soleil_, _Seigneur Suprême_ (voyez
la pl. nº 25.2).
[348] DIODORE de Sicile, _Biblioth. Histor._ lib, III, p. 208, C.
[349] IDEM, _ibidem_.
[350] _Idem_, p. 207, C, et 208; et lib. I, p. 21.
[351] HÉRODOTE, lib. II, §. XLIII et CXLV.
[352] IDEM, _ibidem_.
[353] DIODORE de Sicile, _Biblioth. Histor._ lib. I, p. 21, D.
[354] _Idem_, p. 21, A.
[355] MACROB. _Saturn._ lib. I, cap. 20.
[356] Description de l'Égypte, Antiq. vol. II, pl. 7, col. 81 à 79.
[357] _Idem_, Antiq. vol. II, pl. 91, nº 2.
[Illustration: 25.]
DJOM, DJEM OU GOM,
(SEM, CHÔN, L'HERCULE ÉGYPTIEN.)
LA valeur phonétique de la sorte de _plume_, ou _feuille_ arrondie à
sa partie supérieure, qui est le premier signe du nom hiéroglyphique
du personnage que nous considérons comme l'_Hercule égyptien_, étant
encore inconnue, il devient très-difficile de décider, parmi les
diverses transcriptions du nom égyptien de ce dieu données par les
auteurs classiques, laquelle est la plus exacte, et celle qu'il
conviendrait d'adopter définitivement: selon les uns, le nom d'Hercule,
en langue égyptienne, était _Chôn_ (ΧΩΝ)[358]; selon d'autres, ce fut
_Gignôn_ ou _Gigôn_; ΓΙΓΝΩΝ, οἱ δὲ ΓΙΓΩΝ[359]; enfin, d'après l'extrait
du Canon des rois thébains par Ératosthène, il semblerait que ce même
nom était ΣΕΜ, puisque, dans ce texte important, on interprète le
nom du pharaon Σεμφρουκρατης par HERCULE HARPOCRATE. Jablonski[360]
a pensé que les noms Χων et Σεμ n'étaient que des altérations du mot
égyptien ϫⲱⲙ (Djôm ou Gôm) qui, dans les composés, prend aussi en effet
la forme de ϫⲉⲙ (Djem) et exprime les idées _force_ et _puissance_.
Ce rapprochement présente tous les caractères de la probabilité: nous
n'en adopterons toutefois les conséquences que provisoirement. Le nom
de l'Hercule égyptien se terminant par une voyelle ou une diphtongue
dans l'écriture sacrée, et paraissant peindre plutôt les sons _sou_,
_soou_ ou _gaôu_, que _djom_ ou _djem_, le hasard peut, d'un instant
à l'autre, décider cette question, en nous fournissant le moyen de
déterminer la véritable valeur alphabétique du premier hiéroglyphe de
ce nom divin.
Il est possible aussi que ce dieu eût, comme une foule d'autres,
plusieurs noms différents, de la même manière qu'on le représentait
sous des formes et avec des attributs très-variés. La planche ci jointe
nous montre l'Hercule égyptien sous des apparences toutes nouvelles:
ses chairs sont de couleur _verte_ comme celles du dieu _Phtha_, son
aïeul; une ample tunique, coupée de bandes horizontales de diverses
couleurs, le couvre jusqu'au bas des jambes, et deux longues _plumes_
bleues s'élèvent au-dessus de sa coiffure. L'original de cette figure,
dont je dois une copie à l'amitié de M. Huyot, est sculpté de fortes
proportions sur un des piliers de la première salle de la grande
excavation d'Ibsamboul, le plus majestueux monument de la Nubie, et
dont l'exécution est due au règne fameux du Pharaon _Ramsès_, plus
connu sous le nom de _Sésostris_. Le conquérant y est représenté
faisant une riche offrande à l'Hercule égyptien, accompagné ici, comme
partout ailleurs, par une déesse qui, comme lui, reconnaît le dieu
_Phré_ pour son père.
On retrouve l'image de ce même dieu, 1º sous un costume absolument
semblable, si ce n'est que les plumes qui surmontent sa coiffure sont
plus nombreuses, dans un bas-relief des piliers du tombeau royal
découvert à Thèbes par Belzoni: Hercule présente l'emblème de la vie
céleste au Pharaon _Ousirei-Akenchérès_, par les ordres duquel ce vaste
hypogée fut creusé à grands frais;
2º Parmi les caractères hiéroglyphiques inscrits sur les quatre faces
du petit obélisque existant au musée britannique, monument qui paraît
avoir été érigé par un Pharaon de la XXe dynastie: le nom de ce roi est
toujours précédé du titre _chéri d'Hercule_, exprimé par le caractère
figuratif de ce dieu assis et la tête ornée d'un large faisceau de
plumes;
3º Enfin dans une stèle funéraire du musée de Turin. La scène
principale de ce bas-relief représente le défunt _Satéroui_, fils de
_Tathé_, adorant Osiris, président de la région inférieure: ce juge
suprême des morts est debout entre l'Hercule égyptien, dont la longue
tunique est quadrillée en forme de damier, et la déesse sa sœur, qui
présentent à l'époux d'Isis une chaîne formée des emblèmes réunis de la
_vie céleste_, de la _stabilité_ et du _bonheur_, la croix ansée, le
nilomètre et le sceptre à tête de coucoupha.
[358] _Etymologicum magnum._
[359] HESYCHII _Lexicon_.
[360] _Pantheon Ægyptiorum_, lib. II, III, p. 188.
[Illustration: 25.2.]
ATMOU, OTMOU, TMOU.
(HÉRON.)
MALGRÉ les profondes recherches et la vaste érudition de P. E.
Jablonsky, le siècle dernier ne put se former une idée claire du
système religieux de l'ancienne Égypte. Ce savant avait pris pour
guides les écrivains grecs et latins qui parlaient, occasionnellement,
des mythes sacrés et des croyances jadis en vigueur dans les
sanctuaires de Thèbes et de Memphis. Il crut possible, avec le seul
secours des notions rares, partielles, et isolées les unes des autres,
que fournissent ces auteurs, de recomposer un tableau complet de la
théogonie égyptienne. Mais sans noter ici les erreurs commises, soit
dans le rang assigné à certaines divinités, soit dans leur ordre
généalogique, ou même en déterminant leurs attributions spéciales, nous
remarquerons surtout que les monuments égyptiens font connaître une
foule de personnages mythologiques et présentent une nombreuse série de
noms divins dont on chercherait vainement la trace dans les écrivains
classiques: cette observation s'applique très-particulièrement au dieu
représenté sur les planches 26, 26.2, 26.3 et 26.4 de ce recueil.
Que ce personnage ait occupé un rang distingué dans le Panthéon de
l'ancienne Égypte, et qu'il ait appartenu à l'une des plus hautes
classes de divinités, ce sont là des faits mis hors de toute discussion
par la fréquence des images de ce dieu sur les monuments des divers
ordres, et par celle des invocations qui lui sont adressées dans
le grand _Rituel des morts_ ou _livre de la manifestation à la
lumière_[361], ainsi que dans les tableaux et les stèles d'adoration.
Le nom de ce dieu a été diversement orthographié dans les manuscrits
hiéroglyphiques et hiératiques, comme dans les inscriptions gravées
sur les temples et les monuments funéraires. On a recueilli toutes ses
variations pl. 26.2 (numéros 1, 2, 3 et 4), et pl. 26.4 (numéros 3,
4, 5, 6 et 7). La forme la plus simple (pl. 26.4, numéros 6 et 7) se
trouve constamment reproduite dans tous les textes hiératiques, sans
aucune modification, telle qu'on la donne ici pl. 26.2, nº 4. Réduit
ainsi à ses véritables éléments, ce nom, composé des signes phonétiques
ⲁ ou ⲟ, ⲧ et ⲙ, suivis parfois du signe de la voyelle ⲟⲩ[362], se
prononçait ⲁⲧⲙⲟⲩ ou bien ⲟⲧⲙⲟⲩ, et par abréviation ⲧⲙⲟⲩ; car le
signe initial, la _feuille de roseau_ ⲁ ou ⲟ, se trouve fréquemment
omis dans les légendes hiéroglyphiques[363]. La forme hiératique de
ce nom divin n'offrant jamais de caractère équivalent au caractère
figurant un _traîneau_, qu'on remarque assez habituellement dans le
même nom écrit en signes hiéroglyphiques, établit suffisamment que
ce caractère n'est qu'un simple _déterminatif_ du sens même de ce
nom, sans entrer pour rien dans sa prononciation. Quant au signe qui
termine le groupe phonétique ⲁⲧⲙ (pl. 26.4, nº 7), c'est encore un
signe _déterminatif_ du nom entier, et il appartient à la classe des
caractères _figuratifs_, car il reproduit l'image même du dieu dont il
accompagne le nom.
ⲁⲧⲙⲟⲩ est en effet habituellement représenté sous une forme tout
humaine: ses chairs sont peintes de couleur _rouge_ ou de couleur
_verte_ (pl. 26.2). Le dieu, assis sur un trône et tenant dans ses mains
les insignes de la vie et de la bienfaisance divine, porte sur sa tête
la grande coiffure royale, le _pschent_, symbole de la domination sur
les régions supérieures et inférieures: cette coiffure dénote à elle
seule l'étendue des attributions du dieu, et ne permet point de le
ranger parmi les divinités d'un rang ordinaire; aussi le trouve-t-on
toujours, dans les peintures ou les bas-reliefs représentant des scènes
mystiques, associé à des divinités d'un ordre très-relevé.
[Illustration: 26.]
Un tableau funéraire, peint sur bois[364], nous montre le dieu _Atmou_
ayant en main les emblèmes combinés de la bienfaisance, de la vie et de
la stabilité, marchant immédiatement après le dieu _Phré_, et suivi du
dieu Thoré, d'Osiris, d'Horus, ainsi que des deux divines sœurs Isis et
Néphtys. _Atmou_ conserve ce même rang dans la prière tracée au-dessous
de ces images, prière dans laquelle chacune de ces six divinités est
successivement invoquée. Une autre scène symbolique, peinte dans la
troisième partie de tous les exemplaires complets du _Rituel des
morts_, prouve aussi, non-seulement qu'_Atmou_ tenait, dans le système
_théogonique_ égyptien, un rang supérieur à celui d'Osiris et des
dieux de la troisième classe, mais encore que des divinités de la
seconde, telles que _Sôou_ et sa sœur _Tafné_, Sèv et sa sœur _Netphé_,
ne marchaient qu'après lui dans la hiérarchie céleste. Il s'agit de
la vignette de l'un des chapitres du _Rituel des morts_, intitulé
_Adoration au dieu Phré_ (le soleil), _se mouvant dans sa bari_; on y
a représenté[365] le soleil, sous la forme de l'épervier sacré, dans
un _disque_ porté sur le vaisseau, et assisté de neuf divinités, dont
la première est Atmou, après lequel sont assis les dieux et déesses
de la seconde et de la troisième classe, que nous venons de citer. Le
texte explicatif de cette scène symbolique, transcrit sur notre planche
26.4, nº 2, porte en effet: _Ceci est l'image de l'épervier divin
dans la bari; la couronne des régions supérieures est sur sa tête; il
est honoré par_ ATMOU, SÔOU, TAFNÉ, SÈB, NETPHÉ, OSIRIS, HORUS, ISIS
et NÉPHTYS. L'étude des monuments égyptiens nous a d'ailleurs appris
que, dans toute peinture ou tout bas-relief, l'ordre dans lequel les
divinités sont placées indique invariablement le rang et l'importance
relative de chacune d'elles.
Il faut donc, d'après les faits précédemment exposés, considérer
_Atmou_ comme le chef des dieux de la seconde classe, et le placer
immédiatement après le dieu _Phré_, le dernier des dieux de la
première, dans le système théogonique égyptien, divinité avec laquelle
_Atmou_ se montre partout dans une liaison fort intime sous le rapport
des attributions et des emblèmes; ses titres les plus ordinaires: _Dieu
grand_[366], _seigneur du monde matériel_[367]; _dieu grand, seigneur
du ciel_[368], l'assimilent en général aux êtres mythiques les plus
importants, mais au dieu PHRÉ ou le SOLEIL en particulier.
Il y a plus, un grand nombre de monuments démontrent l'identité de
_Phré_ et d'_Atmou_, ou, en d'autres termes, établissent clairement
qu'_Atmou_ n'est qu'une des nombreuses formes du dieu _Phré_ qui,
lui-même, n'était qu'une forme sensible d'_Amon-Ra_.
Notre planche 26, calquée sur une magnifique momie du Musée de Turin,
nous offre ces deux divinités réunies en une seule, comme ne permet
point d'en douter la légende hiéroglyphique ⲣⲏ-ⲧⲙⲟⲩ ⲛⲟⲩⲧⲉ ⲛⲏⲃ-ⲧⲟ, _le
dieu_ RÉ-TMOU, _seigneur du monde matériel_, inscrite au-dessus de
ce personnage, dont la tête est celle de l'oiseau sacré du soleil,
l'_épervier_, unie à un corps humain, et dont les chairs sont de
couleur verte, teinte souvent affectée au corps entier du dieu Atmou,
lorsqu'on le représente sous une forme tout humaine[369]. Le _fouet_
placé dans la main droite du dieu, et le _pedum_ ou sceptre à crochet,
qu'il tient de la gauche, expriment assez clairement les attributions
incitatrices et modératrices de cette double divinité. La fille aînée
du dieu _Phré_, la déesse _Vérité_ ou _Justice_ (_Thmei_), caractérisée
par la plume d'autruche fixée à sa coiffure au moyen d'un riche
diadème, obombre le dieu de ses ailes étendues, et rappelle l'idée
des _chérubins_ qui figuraient également avec leurs ailes éployées
parmi les décorations de l'Arche d'alliance et celles du sanctuaire des
enfants d'Israël.
Un nombre très-considérable de tableaux peints sur bois, ou de stèles
d'adoration sculptées et de diverses matières, établissent cette
combinaison de _Phré_ et d'_Atmou_[370] en un seul être mystique, et
sous le nom composé de PHRÉ-ATMOU, c'est-à-dire le _Soleil-Atmou_. Mais
cette image sacrée reçoit quelques modifications, suivant que l'artiste
a voulu indiquer dans cette forme complexe la prédominance de l'un
ou de l'autre des éléments qui la constituent. Si l'acte d'adoration
est plus particulièrement adressé à la forme de _Phré_ qu'à celle
d'_Atmou_, on représente le dieu avec une tête d'épervier surmontée
du disque, debout et _en mouvement_, les jambes séparées[371], et
couvert du court vêtement égyptien appelé _schenti_. Dans le cas
contraire[372], d'étroites bandelettes enveloppent le corps entier du
dieu, et lui donnent l'apparence d'une _momie à tête d'épervier_ ornée
du disque solaire. C'est là en quelque sorte la _momie du dieu Phré_
lui-même. (Voir notre planche 26.3, calquée d'après un tableau peint
sur bois, du Musée de Turin.)
Cette circonstance très-remarquable nous conduit directement à conclure
que le dieu _Atmou_, considéré sous le rapport cosmologique, n'est
autre chose qu'un symbole du _soleil mourant_, l'image mystique de
l'astre du jour arrivé à la limite occidentale de l'horizon, et entrant
dans l'_hémisphère inférieur._ On sait que les idées _occident_,
_nuit_, _mort_ et _enfer_, furent toujours en Égypte, comme en beaucoup
d'autres contrées, dans une étroite connexion, et même presque
identiques.
[Illustration: 26.2.]
L'autorité des monuments confirme pleinement cette conclusion. Il
existe dans les Musées égyptiens de l'Europe, et en particulier dans
ceux de Paris et de Turin, plusieurs tableaux, peints sur bois,
contenant des actes d'adoration aux deux formes du soleil _Phré_ et
_Atmou_. Ces tableaux présentent une disposition toute particulière; le
haut en est occupé par le _disque ailé orné d'uræus_[373], l'emblème
du premier Hermès ou la lumière primitive; la partie inférieure
contient une prière, plus ou moins étendue, adressée aux dieux _Phré_
et _Atmou_, qui sont représentés séparément dans le milieu du tableau,
debout, _adossés_, et recevant l'un et l'autre les offrandes de
l'adorateur, dont l'image est figurée deux fois à cet effet. _Phré_
tient _toujours_ la DROITE du tableau, la GAUCHE étant _toujours_
réservée à ATMOU. Or les mots _droite_ et ORIENT, _gauche_ et
OCCIDENT, sont synonymes dans l'écriture sacrée égyptienne; _Phré_ est
donc le soleil à l'Orient ou dans l'hémisphère supérieur, et _Atmou_
le soleil à l'Occident ou dans l'hémisphère inférieur. Aussi parmi les
peintures d'un cercueil de momie[374], représentant, à la droite et à
la gauche, des cynocéphales adorant les emblèmes de Phré et d'Atmou,
lit-on à la DROITE la formule: _Adoration au dieu soleil dominant dans
la station_ ORIENTALE _du ciel; tous les humains tiennent la vie de
sa lumière_[375]; et à GAUCHE: _Adoration au dieu soleil possesseur
des biens dans la station_ OCCIDENTALE _du ciel_[376], _possesseur
des biens dans la contrée de Onkh_ (c'est-à-dire de la vie). Les
titres donnés à ces deux divinités dans les tableaux d'adoration,
sont absolument les mêmes sur un monument de ce genre existant au
Musée royal du Louvre[377]. Le suppliant, un prêtre d'Amon-Ra roi des
dieux, donne, par exemple, au dieu Phré les titres de _dieu sauveur,
dominant dans la station orientale du ciel, grand esprit_, etc.; et
au dieu _Atmou_, ceux de _dieu sauveur, soleil Atmou, possesseur des
biens dans la contrée de la vie_; et ce dernier dieu y reçoit enfin la
qualification bien remarquable de _lion de la nuit_[378] ou _gardien
vigilant de la nuit_, si on veut prendre le lion dans un sens tropique.
Les deux points extrêmes de la course apparente du soleil, de l'Orient
à l'Occident, se trouvent ainsi symbolisés sous les noms de _Phré_ et
d'_Atmou_; considérés métaphysiquement, l'un préside à l'hémisphère
supérieur de l'univers toujours lumineux, habité par des essences
éternelles; et l'autre est censé parcourir et gouverner l'hémisphère
inférieur, siége des ténèbres, et qu'habitent des êtres soumis à une
vie mortelle. Phré domine sur l'Orient, et Atmou sur l'Occident: au
premier se rapporte l'_œil droit_ symbolique, et au second l'_œil
gauche_: de là vient aussi que, dans le Rituel funéraire, dont un des
chapitres contient la consécration de chacun des membres du corps
humain à l'une des divinités de l'Égypte, le défunt dit: _Ma tempe_
DROITE _appartient à l'esprit du soleil dans le jour_, et _ma tempe_
GAUCHE _à l'esprit d'Atmou dans la nuit_[379]; enfin dans les _litanies
d'Osiris_ et des autres dieux, lesquelles font partie du grand Rituel
funéraire, le dieu _Phré-Atmou_ est appelé _le germe des autres grands
dieux_, ou _le germe mâle des autres dieux grands_[380]: une telle
qualification dénote à elle seule l'importance de ce double personnage
mythique.
On rencontre souvent parmi les objets tirés des catacombes de l'Égypte,
de petites _pyramides_ en pierre calcaire ou en granit, dont les quatre
faces, chargées de sculptures, reproduisent toujours, à très-peu de
chose près, les mêmes scènes; toutes sont évidemment relatives au
soleil et à son culte: l'une des faces offre l'image en pied du dieu
PHRÉ _hiéracocéphale_ ou celle de son _épervier_ symbolique portant le
_disque_ au-dessus de sa tête; sur la suivante est le dieu ATMOU, sous
forme humaine, coiffé du pschent; la troisième représente le _scarabée
à ailes arrondies éployées_, symbole constant du dieu _Thoré_; et sur
la quatrième face se voit l'image de l'adorateur, souvent accompagné
de plusieurs membres de sa famille, élevant ses bras suppliants vers
la face sur laquelle est sculptée l'image de _Phré_, circonstance
démontrant que celle-ci est bien la face initiale du monument,
celle qui présente en effet la forme _première_ du dieu soleil. Ces
pyramides réunissent ainsi, dans une même adoration, toutes les formes
symboliques du soleil; savoir, _Phré_, _Atmou_ et _Thoré_; ce dernier,
considéré cosmologiquement, n'est encore qu'une forme du même dieu:
la plupart des tableaux et des stèles d'adoration au soleil ajoutent
constamment en effet le nom de _Thoré_ à ceux de _Phré_ et d'_Atmou_.
[Illustration: 26.3.]
La seconde forme divine du soleil, _Atmou_, en sa qualité de recteur
des régions inférieures, était supposé exercer une influence directe
sur la terre et ses habitants. Les rois lui payaient en particulier un
tribut constant d'adorations et d'hommages, et les grands monuments
témoignent de ces actes de piété des Pharaons par les titres mêmes
que prennent ces princes dans les inscriptions qui les décorent. Sur
l'obélisque occidental de Louqsor, le pharaon Ramsès II est qualifié
de _roi deux fois aimable, comme Atmou_. Le titre _chéri d'Atmou_ a
été donné à Ramsès-Sésostris, dans l'inscription qui décore la face
occidentale du magnifique obélisque de la porte du Peuple à Rome;
sur l'obélisque du Panthéon, le pharaon Apriès ou Ouaphré est traité
de _bien aimé d'Atmou dieu grand qui réside dans la contrée de la
vie_; l'obélisque de Saint-Jean de Latran, celui de Florence et celui
de Monte-Citorio, honorent d'un titre analogue les anciens rois
_Mandouei_, _Ramsès-Sésostris_ et _Psammétichus Ier_. Le pouvoir
royal fut mis sous la protection immédiate d'_Atmou_, qui accordait un
long règne aux souverains qu'il voulait favoriser: c'est ce que l'on
peut induire naturellement des titres de _chef des attributions royales
comme Atmou_, et de _roi possesseur des années comme Atmou_, que prend
_Ramsès-Sésostris_ sur deux monuments très-remarquables[381]; une
même induction doit résulter encore mieux du titre royal _modérateur
des modérateurs engendrés d'Atmou_, donné à _Ramsès II_ sur l'un des
obélisques de Louqsor. On en doit conclure que les rois eux-mêmes
furent mystiquement regardés comme des enfants d'_Atmou_, dont ils
étaient les représentants sur la terre. Cela explique enfin la
qualité de _fils d'Atmou_[382] dont se pare Ramsès-le-Grand dans les
inscriptions des obélisques du Panthéon, de Florence, et de Tanis: sur
ce dernier monument, dont le dessin m'a été communiqué par M. Pacho,
le courageux explorateur de la Cyrénaïque, on traite le conquérant
égyptien d'_Aroéris puissant_, _fils d'Atmou_, _roi seigneur du monde_,
etc., _Ramsès_, etc.; et cette formule répond mot pour mot à l'une des
formules initiales jadis sculptées sur un obélisque érigé par le même
roi _Ramsès_, et dont Hermapion[383] a donné une traduction fidèle en
ces termes: Απολλων κρατερος ΥΙΟΣ ΗΡΩΝΟΣ Βασιλευς οικουμενης ΡΑΜΕΣΣΗΣ,
_le puissant Apollon_, _fils de Héron_, _le roi du monde_, _Ramessès_,
etc. Cette traduction grecque a d'autant plus d'importance pour nous,
qu'elle prouve (et c'est le seul témoignage à citer à ce sujet) que
le dieu égyptien _Atmou_ ne fut point tout-à-fait inconnu aux Grecs:
on voit en effet par le texte précité qu'ils l'appelaient ΗΡΩΝ,
_Héron_, nom qui n'a aucun rapport réel de son avec l'égyptien _Atmou_,
mais auquel il serait tout aussi difficile d'attribuer une origine
purement grecque: n'est-ce là que la transcription d'un nom ou d'un
surnom égyptien d'_Atmou_, que l'on retrouvera peut-être dans quelque
texte hiéroglyphique? c'est ce que nous n'oserons décider. Notre seul
but, tout en notant cette synonymie, n'a été que de faire connaître
l'influence directe que le dieu Atmou était censé exercer sur la terre
et sur les rois qui la gouvernaient, d'après les idées égyptiennes.
Ce même dieu régissait encore l'une des plus importantes portions
de l'hémisphère inférieur, l'_Amenthès_ ou l'enfer égyptien, et
les monuments qui lèvent toute espèce de doute sur cette nouvelle
attribution d'Atmou, abondent dans les musées royaux de l'Europe,
ainsi que dans les collections particulières. Nous citerons seulement
ici un tableau, peint sur bois, appartenant au Musée royal du Louvre,
et représentant le dieu _Thoth-Psychopompe_, conduisant l'ame d'une
femme au pied du trône d'_Atmou_. Le dieu, assis, est coiffé de
la moitié inférieure du pschent, et son corps paraît enveloppé de
bandelettes comme celui d'une momie ordinaire[384]. Ajoutons qu'on
a dessiné à l'entrée du cinquième tombeau royal à l'ouest dans la
vallée de Biban-el-Molouk, à Thèbes[385], un bas-relief présentant
une scène d'un haut intérêt, dont nous traiterons plus en détail dans
la suite: il suffit de dire ici qu'on y voit le dieu _Atmou_ exerçant
les fonctions de juge suprême des ames dans l'Amenti, et décidant de
leurs futures transmigrations. On trouvera d'ailleurs dans le _Rituel
funéraire_ des preuves multipliées et irréfragables de l'influence
directe que cette divinité était supposée exercer sur les ames des
morts. Les défunts le traitent habituellement de _père_[386] dans les
invocations qu'ils lui adressent, et le dieu lui-même prend le titre de
père des personnages défunts, dans les légendes qui décorent certaines
momies. On lit, par exemple, à côté d'une image d'Atmou peinte, ainsi
que celles de plusieurs autres divinités, sur le cercueil d'une momie
de femme du Musée royal: _Voici ce que dit le dieu Atmou, seigneur du
monde matériel_, etc., _à Ouaranès, fille de Pachopsch_: _Je suis venu
te visiter_, MOI QUI SUIS TON PÈRE[387]. Les autres dieux ou déesses
peints sur ce même cercueil adressent des paroles analogues à la
défunte, en se déclarant être la _mère_, le _fils_ ou les _frères_ de
cette même défunte.
Ainsi les mythes égyptiens symbolisèrent dans le personnage d'_Atmou_
le soleil à l'Occident, le soleil dans l'hémisphère inférieur,
régissant en même temps les choses terrestres, et réglant le sort des
ames dans les demeures infernales.
[361] Voir la partie de ce livre sacré hiéroglyphique gravée dans la
_Description de l'Egypte_, A, vol. II, pl. 72, colonnes 21, 103, 34;
pl. 73, col. 81; pl. 74, col. 33; pl. 75, col. 110, 100, 125, 97, 94.
[362] Voir la légende du dieu sur notre planche 26 et pl. 26.2, nº 4.
[363] Pl. 26.2, numéros 1, 2, 3; pl. 26.4, numéros 3, 4 et 5.
[364] Appartenant au Musée de Turin.
[365] Voir notre planche 26.4, nº 1.
[366] _Idem_, nº 8.
[367] _Idem_, nº 10.
[368] _Idem_, nº 6.
[369] Voir notre planche 26.2.
[370] Voir les variantes d'orthographe de ce nom, pl. 26.2, nº 5.
[371] Tableaux peints des Musées du Vatican, de Turin et de Paris.
[372] Tableaux des Musées de Paris, de Lyon et de Turin.
[373] Voir nos planches 15.3 et 15.4, ainsi que leur explication.
[374] Numéroté O, 7, dans ma _Notice descriptive des Monuments
égyptiens du Musée Charles X_.
[375] Ce texte est gravé sur notre planche 26.4, nº 13.
[376] _Idem._, pl. 26.4, nº 14.
[377] Nº A, 310 de ma _Notice descriptive des Monuments égyptiens du
Musée Charles X_.
[378] Pl. 26.4, nº 15.
[379] Manuscrit hiératique du Musée royal, pl. 26.4, numéros 16 et 17.
[380] Rituels funéraires hiératiques et hiéroglyphiques des Musées de
Paris et de Turin.
[381] Sur les obélisques de Louqsor et la statue de Sésostris du
Musée royal de Turin.
[382] Planche 26.4, nº 18.
[383] Dans AMMIEN MARCELLIN, _Rerum gestarum_, lib. XVII, cap. 4.
[384] Tableau numéroté A, 309, dans la _Notice des Monuments
égyptiens du Musée Charles X_.
[385] _Description de l'Egypte_, A, vol. II, pl. 83, nº 1.
[386] Voir le Rituel funéraire gravé dans la _Description de
l'Egypte_, A, vol. II, pl. 74, col. 34, etc., etc.
[387] Momie notée O, 7, dans la _Notice du Musée Charles X_.
[Illustration: 26.4.]
MANDOU, MANDOU-RÉ, MANDOU-RI.
(MANDOULIS.)
L'UTILITÉ des _inscriptions grecques_ recueillies avec tant de soin et
de persévérance par les voyageurs Belzoni, Burckhardt, Cailliaud et
Gau parmi les ruines de l'Égypte, ne se borne point à l'accroissement
de nos connaissances sur l'administration politique et sur l'état
civil des habitants de ce pays, durant la domination grecque et
romaine. Elles fournissent quelquefois aussi des notions d'autant
plus précieuses sur la religion et le culte national des Égyptiens,
qu'elles viennent confirmer, en s'accordant avec eux, les résultats du
même ordre antérieurement déduits de l'étude d'inscriptions _conçues
en anciens caractères égyptiens_. L'explication de notre planche nº 7
a déja prouvé la vérité de cette assertion: celle de notre planche 27
donnera un nouvel exemple des ressources qu'on peut trouver dans ce
rapprochement.
D'après une inscription grecque copiée par un voyageur anglais, M.
Bailie[388], sur un des temples de Calabsché (l'ancienne _Talmis_)
en Nubie, cet édifice fut principalement consacré au culte d'un dieu
égyptien nommé ΜΑΝΔΟΥΛΙΣ _Mandoulis_; et un grand nombre d'_actes
d'adoration_, Προσκυνήματα, écrits en langue grecque et tracés sur les
murailles ou dans le voisinage du même temple, témoignent aussi que la
divinité locale était ΜΑΝΔΟΥΛΙΣ, personnage mythique auquel on donne
constamment le titre de ΚΥΡΙΟΣ, _Seigneur_, et celui de ΘΕΟΣ ΜΕΓΙΣΤΟΣ,
_Dieu très-grand_[389]. Mais rien, dans aucune de ces inscriptions, ne
peut nous faire connaître les formes ni les attributs que les Égyptiens
donnèrent au dieu particulièrement adoré dans le bourg sacré de
Talmis. Notre curiosité eût été, à cet égard, promptement satisfaite,
si quelque voyageur eût dessiné avec soin la série des bas-reliefs
existants dans ce temple de Nubie: on eût bientôt reconnu le dieu
principal du temple, au rang distingué qu'il doit nécessairement tenir
parmi les personnages divins sculptés sur les parois de l'édifice. Mais
il en est des temples de Calabsché, comme de toutes les constructions
antiques de l'Égypte et de la Nubie; nous ne possédons malheureusement
que des copies isolées de quelques-uns des nombreux bas-reliefs qui
les décorent. Il a donc fallu recourir à d'autres moyens pour connaître
les formes sous lesquelles les Égyptiens représentèrent leur Dieu
_Mandoulis_ ou plutôt _Mandouli_, le Σ final de ce nom n'étant qu'une
terminaison purement grecque. C'est par la lecture seule des légendes
hiéroglyphiques inscrites à côté d'images de divinités, soit sur des
monuments originaux, soit sur quelques dessins de bas-reliefs inédits
ou déja publiés, que je suis parvenu à reconnaître le Dieu _Mandouli_,
parmi la foule de Dieux que présentent les sculptures égyptiennes.
Je remarquai d'abord qu'une divinité mâle, et qui paraît avoir joué un
rôle important dans le Panthéon égyptien, reçoit, dans les légendes
hiéroglyphiques, le nom de _Mand_ Uⲛⲧ[390]. Ce même nom propre de Dieu
se lit avec l'addition de sa voyelle finale Uⲛⲧⲟⲩ[391], _Mandou_, sur
plusieurs stèles ou bas-reliefs du musée royal égyptien de Turin, de
la collection de M. Durand ou du cabinet du Roi à Paris. La valeur
phonétique des éléments qui composent ces noms, étant reconnue
d'ailleurs et ne permettant aucun doute sur l'exactitude de leur
lecture, il devint certain, pour moi du moins, que le Dieu appelé
_Mand_, ou plutôt _Mandou_, dans les textes hiéroglyphiques, était
aussi le Dieu principal du temple de Talmis, nommé ΜΑΝΔΟΥΛΙ _Mandouli_
dans les inscriptions grecques, lorsque surtout j'eus retrouvé ce nom
divin plus habituellement écrit Ⲙⲛⲧⲣⲏ[392], _Mandou-Ri_ ou _Mandou-Li_
(MANDOU-SOLEIL), suivant la prononciation particulière de ce nom, dans
les différents dialectes de la langue égyptienne.
Ce nom sacré se lit constamment inscrit à côté d'un Dieu à _tête
d'épervier_, ornée du _disque solaire_, surmontée _de deux longues
plumes_. Ainsi le Dieu _Mandou-Ri_ ou _Mandou-Li_ réunissait en lui
les caractères ou du moins les principaux insignes des deux grandes
divinités de l'Égypte _Amon-Ré_ (_Amon-Soleil_), et _Phré_ ou _Phri_
(_le Dieu Soleil_). Les images de _Mandou-Li_ sont fréquemment
reproduites dans les temples de l'Égypte, de la Nubie et de l'Éthiopie;
celle qui est gravée sur notre planche 27, est tirée d'une stèle du
musée royal de Turin.
[388] Cité par M. Niebuhr, _Inscriptiones Nubienses_.
[389] Voyez Gau, _Monuments de la Nubie; Inscriptions; Calabsché_;
pl. II, nº 4; pl. III, numéros 7, 9, 10, 14, 15, 16, 17; pl. IV,
numéros 20, 22, 23, et 29.
[390] Voyez, entre autres monuments, une momie de la collection de
M. Cailliaud.
[391] Légende nº 1 de notre planche; le dernier caractère est le
_signe d'Espèce_, DIEU.
[392] Légendes numéros 2, 3 et 4, de notre planche: le nº 5 est la
forme _hiératique_ de la légende nº 1; voyez aussi _Description de
l'Egypte_, Ant.; vol. III, pl. 34; idem, pl. 31; et le Voyage de M.
Cailliaud à _Méroé_, _Barkal_, etc.; pl. LXXI.
[Illustration: 27.]
SÈB ou SEV.
(CRONOS, SATURNE.)
NOUS avons déja fait connaître les formes variées du dieu _Sovk_,
_Sévék_, _Sébék_, _Sékeb_, qu'honoraient spécialement les habitants
du nome Ombite, ainsi que les relations marquées de ce personnage
mythique avec _le temps_ en général et le cours du soleil en
particulier: _Sévék_, identifié avec cet astre sous un certain point
de vue, appartenait à la classe des _dieux célestes_: c'était la forme
primordiale du _Saturne_ égyptien qui, par son incarnation sur la
terre, revêtant des formes matérielles, devint une des divinités de la
troisième classe, celle des _dieux terrestres_ (ἐπιγείους) issus des
dieux célestes. Le Saturne égyptien, dieu incarné, l'un des dynastes
qui, disait-on, avait régné sur l'Égypte dans les temps primitifs et
avait laissé le trône à ses enfants _Osiris_ et _Isis_, prenait le nom
de _Sév_, _Siv_ ou _Sèv_, et celui de _Kèb_ ou _Kév_ (lég. nº 6); ce
qui, dans les monuments originaux, distingue habituellement la forme
terrestre ou secondaire de la forme céleste ou primordiale adorée sous
les noms de _Sévék_ et _Sékeb_. Les légendes hiéroglyphiques sculptées
à côté des images de _Sévék_ dans le grand temple d'Ombos, constatent
fréquemment du reste l'identité d'essence de ces deux formes divines.
L'orthographe du nom propre du Saturne terrestre varie d'un monument
à l'autre, et souvent aussi dans une même inscription. Ce nom étant
phonétique, se compose de l'_œuf_ et de la _jambe_ (lég. nº 2), ou de
l'_oie_ et de _la jambe_ (lég. nº 3), ce qui donne les éléments ⲥⲃ,
ⲥⲩ, ⲥⲟⲩ. D'un autre côté on l'exprimait symboliquement par l'image
d'une _étoile_ suivie du déterminatif figuratif (lég. nº 4) ou
symbolique (lég. nº 5) des noms propres de divinités. Le rapprochement
de ces deux noms nous conduit naturellement à la prononciation du nom
phonétique: si l'on considère en effet que l'_étoile_, ⲥⲓⲟⲩ, _siou_ en
langue égyptienne, fut l'emblême spécial du _temps_[393], et que le
mot _temps_, dans cette même langue, ⲥⲏⲩ, _sèv_ ou _siv_ en dialecte
thébain et ⲥⲏⲟⲩ, _séou_ ou _siou_ en dialecte memphitique, offre avec
le mot ⲥⲓⲟⲩ, (_siou_) _étoile_, une grande analogie d'orthographe et de
prononciation, on comprendra d'autant mieux la présence de l'_étoile_
dans le nom symbolique du Saturne égyptien, et nous reconnaîtrons
l'ancienne orthographe du mot ⲥⲏⲩ, _sév_ ou _siv_, LE TEMPS, dans
les légendes hiéroglyphiques phonétiques (numéros 2 et 3); _seb_, _sév_
ou _siv_, nom ordinaire du _Cronos_ ou _Saturne_ des mythes sacrés de
l'Égypte.
Le dieu _Sév_, tel que le présente notre planche 27.2, fut souvent
reproduit sur les monuments de sculpture égyptienne: la tête du dieu
est couverte du diadème _Toscher_ emblême de sa domination sur la
région inférieure ou le monde matériel, qui se combine en même temps
avec la coiffure _Otf_, commune à plusieurs autres divinités. Un
bas-relief du temple de Philæ[394] représente le Saturne égyptien
ainsi caractérisé, recevant avec son épouse _Natphé_ l'encens que
leur présente Ptolémée Philométor; dans un autre tableau du temple de
_Kalabsché_, SÉV portant ces deux coiffures combinées au-dessus du
_klaft_ ou coiffure ordinaire des Égyptiens, a été figuré assis avec
_Natphé_ et le jeune dieu _Manrouli_ leur arrière-petit-fils. Enfin un
sarcophage de pierre calcaire appartenant au Musée du Louvre et couvert
de riches et nombreuses décorations sculptées avec soin, nous montre
le dieu _Sév_ debout, levant sa main droite en signe de protection,
et tenant dans sa main gauche une grande _faux_ droite, sorte d'arme
ou d'instrument qui, rappelant la _harpé_ du Cronos des Grecs, et la
_faux_ du Saturne italiote, fournit une nouvelle preuve des nombreux
emprunts faits par les peuples de l'Occident aux mythes sacrés et aux
formes du culte des anciens Égyptiens.
La légende (nº 1) qui accompagne le dieu, ⲥⲃ ⲡⲧϥⲉ ⲛⲛⲧⲣ, signifie SÉV
_le père des dieux_; mais ce titre ne doit s'entendre que d'une manière
restreinte, comme nous l'établirons dans un autre article relatif à ce
même personnage mythique.
[393] Ἀστὴρ παρ' Αἰγυπτίοις γραφόμενος... σημαίνει ΧΡΟΝΟΝ.
Horapollon, liv. II, § 1.
[394] Bas-relief décorant le fût de la huitième colonne de l'édifice
de droite après le grand pylône.
[Illustration: 27.2.]
SEVEN, SAOVEN ou SOVAN.
(ILITHYA, JUNON-LUCINE.)
PARMI les plus anciennes divinités adorées par les Égyptiens, Diodore
de Sicile nous fait connaître une déesse qu'il désigne sous le nom
purement grec d'Εἰλειθυία[395]: c'est le personnage mythologique nommé
_Lucine_ ou _Junon-Lucine_ par les Romains. Quelle que soit la défiance
avec laquelle nous devions adopter les _assimilations_ multipliées
que les Grecs ont faites de leurs divinités nationales avec celles
qu'on adorait en Égypte, et qu'ils ont presque toujours désignées
par des noms grecs, il ne faut cependant pas négliger de recueillir
leurs assertions, parce qu'elles peuvent nous aider à faire des
distinctions importantes, et surtout à établir une sorte d'ordre et de
classification dans le nombre si considérable d'êtres mythiques dont
les monuments égyptiens nous offrent les images.
L'existence d'une cité égyptienne nommée ΕΙΛΗΘΥΙΑ ΠΟΛΙΣ[396], _ville
d'Ilithya_, par toute l'antiquité grecque, et _Lucinæ oppidum_[397] par
les écrivains latins, prouve d'ailleurs que les Égyptiens rendaient un
culte spécial à une divinité dont les attributions eurent des rapports
assez marqués avec celles des déesses Ilithya et Lucine qui, chez les
Grecs et les Romains, présidaient aux travaux de l'enfantement. Cette
ville était située dans la Haute-Égypte, au midi de Thèbes.
Si nous en croyons Plutarque qui s'étaye de l'autorité de
Manéthon[398], c'est dans ce lieu même que l'on immolait, sans doute en
l'honneur de la déesse, les hommes dits _Typhoniens_ (Τυφωνίους), et
que leurs cendres étaient jetées au vent; mais il me semble probable
que le philosophe de Chéronée transporte par erreur à _Ilithya_ la
scène de ces sacrifices barbares que, selon Manéthon[399], le Pharaon
Amôsis (celui qui chassa les pasteurs ou _Hyk-Schôs_ de l'Égypte)
trouva établis dans la ville d'_Héliopolis_, sacrifices qu'il abolit
formellement par une loi. Des pratiques aussi atroces n'entraient
nullement, en effet, dans le génie naturel de la nation égyptienne.
Hérodote s'explique, du reste, assez formellement contre l'existence
des sacrifices humains dans l'ancienne Égypte[400].
Un passage très-important d'Eusèbe de Césarée, relatif à la même
ville, nous conduit naturellement à déterminer sous quelles formes
les Égyptiens représentèrent celle de leurs déesses, que les Grecs
assimilèrent à leur _Ilithya_. Cet auteur, auquel nous devons déja
de si utiles renseignements, affirme que, dans la ville égyptienne
d'_Ilithya_, la principale divinité fut adorée sous la _forme d'un
vautour femelle volant_, dont le plumage était formé de pierres
précieuses[401].
Les nombreux témoignages rapportés dans l'explication de plusieurs de
nos planches précédentes[402], ont suffisamment établi que le _vautour_
fut, dans la partie symbolique de l'écriture égyptienne sacrée, le
symbole de la _maternité_: et le fait seul que la déesse éponyme de
la ville d'_Ilithya_ était emblématiquement représentée par ce même
oiseau, justifie en quelque sorte le nom que les Grecs ont donné à
cette divinité qui, comme leur propre Ilithya, présida sans doute aux
enfantements et fut la divinité protectrice de la _maternité_. Nous
avons vu également que le vautour était spécialement consacré à la
_mère divine_, NEITH, qui fut à la fois et la _Minerve_ et la _Junon_
égyptienne[403]; et il devient évident que la déesse égyptienne adorée
à _Ilithya_, ne put être qu'une des formes ou des modifications de
NEITH. C'est ainsi que la _Lucine_ des Romains était la même que Junon
(IVNO LVCINA). Cela explique aussi pourquoi l'_Ilithya_ égyptienne a
pu être désignée, par quelques auteurs, sous le nom également grec de
_Héra_ (Junon)[404].
[Illustration: 28.]
On apprend, en effet, par les monuments de style égyptien, que le
_vautour_ fut consacré à deux _déesses_ qui, au premier examen,
peuvent paraître deux divinités différentes; mais l'échange fréquent
de leurs noms, soit phonétiques, soit symboliques, ainsi que la
communauté de leur emblême, prouvent assez que ces deux divinités sont
identiques, et que leurs formes et attributs se concentrent en un seul
et même personnage mythique.
L'une est _Neith_, la première émanation d'_Amon-Ra_, la _mère divine_
ou la _mère céleste_, dont la coiffure _pschent_ est l'insigne
habituel; l'autre divinité qui, comme _Neith_, porte le titre de _mère
divine_, se distingue ordinairement par la _seule partie supérieure du
pschent flanquée de deux feuilles_ de couleurs variées. Cet emblême est
placé sur la tête de cette déesse, que recouvre déja le vautour symbole
de la maternité. (Voyez planche 28.)
Lorsque les noms et titres de _Neith_ n'accompagnent point l'image de
cette seconde déesse, une des modifications de forme de la première, sa
légende contient un nom propre particulier composé des trois éléments
phonétiques, la _plante_ S, la _jambe humaine_ B, OU ou V, et le _vase_
N; mais ces signes de son se montrent quelquefois groupés de manière
à ce que leur ordre ne paraît pas constamment le même. Souvent aussi
l'insertion du signe de genre ⲧ (_le segment de sphère_), se plaçant
au milieu ou à la fin du groupe phonétique, vient en augmenter la
confusion apparente: ce qui semble produire les mots ⲥⲃⲛ(ⲧ), ⲥⲛ(ⲧ)ⲃ,
ⲥⲛⲃ(ⲧ), etc. (lég., numéros 1, 2 et 3.) Toutes ces variations d'ordre
dans les éléments, inhérentes à la nature même de l'écriture
hiéroglyphique, proviennent de ce que les scribes cherchaient souvent
à grouper d'une manière plus agréable pour l'œil, les signes destinés
à exprimer un même _mot_ ou une même idée. Mais partout où le nom de
la déesse est tracé horizontalement ou perpendiculairement et un signe
après l'autre, l'ordre des éléments est invariable, la _plante_ est
le premier signe, la _jambe humaine_ le second, et le _petit vase_ le
troisième: le signe de genre le suit immédiatement. Nous connaissons
donc ainsi l'ordre véritable des éléments phonétiques dont se forme le
nom propre de l'_Ilithya_ égyptienne, qui pouvait se prononcer _Seven_,
_Saouen_, ou _Souan_.
Les représentations de cette déesse à face humaine et telle que l'offre
notre planche 28, sont assez multipliées sur les grands monuments de
l'Égypte et de la Nubie. L'_Ilithya_ égyptienne se montre dans les
bas-reliefs du temple isolé de Calabsché, instruisant avec _Bouto_,
qui est la _nourrice_ des dieux, un des souverains de l'Égypte[405].
Elle est adorée, soit par un empereur, soit par un roi lagide, sur
la face latérale du temple de Dandour[406], et dans le voisinage
encore de la _nourrice_ des dieux. On la retrouve parmi les divinités
figurées sur la face latérale de l'est du grand temple d'Athyr (Vénus),
à Dendera[407]; enfin, la Commission d'Égypte a copié sur le même
monument une magnifique image de _Souan_ (Ilithya), coiffée du vautour
surmonté de la coiffure spéciale de la déesse, et un second _vautour_,
figuré sur la tunique, enveloppe le corps de cette divinité sous ses
ailes plusieurs fois repliées[408].
[Illustration: 28.2.]
Le plus curieux des bas-reliefs gravés dans la _Description de
l'Égypte_, sous le rapport mythologique, est sans contredit l'un de
ceux que les savants français ont dessiné à Hermonthis (Erment)[409].
Il est à regretter qu'ici, comme en beaucoup d'autres occasions,
le temps n'ait point permis de copier les légendes hiéroglyphiques
inscrites à côté des personnages mis en action dans cet important
bas-relief; mais le sujet en est assez clair par lui-même, et le tracé
exact des _personnages_ seuls suffit à la discussion actuelle. Ce
tableau représente une femme dans les douleurs de l'enfantement, et
à l'instant même où le nouveau-né sort du sein de sa mère; d'autres
femmes prodiguent les soins les plus attentifs à la gisante qui ne
peut être qu'une _déesse_, puisque des _divinités_ semblent compatir
à ses douleurs. Je n'ose décider encore si cette scène est relative
à la déesse _Netphé_ (la _Rhéa_ des Grecs), donnant le jour, pendant
la durée des Épagomènes, à ses cinq enfants Osiris, Isis, Aroéris,
Nephthys et Typhon; mais il est visible que l'accouchée est assistée
dans ses souffrances par _Amon-Ra_ lui-même le père de tous les dieux,
suivi, comme cela devait être naturellement, par la déesse _Souan_,
l'Ilithya égyptienne, _la protectrice des mères en travail_. De plus,
le scarabée, emblême de la _génération_ et de la _paternité_, ainsi
que les _vautours_ de la déesse _Ilithya_, emblêmes de la _maternité_,
voltigent au-dessus de la tête de la mère souffrante. Il était
difficile de rencontrer un monument où les attributions de la déesse
_Souan_ fussent plus clairement caractérisées.
Cette divinité qui, dans les hymnes orphiques, est qualifiée des
titres de Θηλειῶν σώτειρα, Μόνη φιλόπαις, Ὠκυλόχεια, _Libératrice des
Femmes_, _Amie des enfants_, _Accélératrice de l'accouchement_, et de
Δαίμων πολυώνυμε, _Génie à plusieurs noms_, se montre sur les monuments
égyptiens sous des apparences souvent très-variées. Mais le nom de
_Souan_, tracé en hiéroglyphes phonétiques à côté de ses images souvent
monstrueuses, ne permet point de douter que ce ne soient là des formes
symboliques sous lesquelles l'ancienne Égypte adorait aussi cette
grande déesse.
On trouvera sur notre planche 28.3. (cette figure est tirée d'un
cercueil de la collection de M. Thedenat) l'_Ilithya_ égyptienne
représentée, non avec une tête humaine comme sur la planche précédente,
mais avec celle de son oiseau sacré, le _vautour_, signe perpétuel des
idées _mère_ et _maternité_ dans les textes hiéroglyphiques et dans les
anaglyphes ou bas-reliefs emblématiques. Les chairs de la déesse sont
toujours _vertes_, et sa coiffure est ornée d'un diadême ou de longues
bandelettes. Ainsi, cette divinité emprunte la tête de l'animal sous
la forme duquel elle reçut un culte particulier dans le nome de la
Thébaïde qui lui fut spécialement consacré, et dont la ville capitale
porte chez les Anciens le nom même de la déesse. Il eût été important
de vérifier si les bas-reliefs dont est décoré le temple existant
encore dans les ruines d'_El-Kab_ (la ville d'_Ilithya_), montrent
aussi cette divinité _Gypocéphale_; mais ni la Commission d'Égypte,
ni les autres voyageurs n'ont dessiné jusqu'ici aucun de ces tableaux
religieux: leur attention a toujours été absorbée par les peintures des
grottes voisines.
Jablonski, toujours préoccupé de son système de ne voir dans les dieux
de l'Égypte que des emblèmes des divers phénomènes astronomiques, a
cru que l'_Ilithya_ égyptienne ne fut point une divinité distincte
de _Bubastis_[410]. Mais il n'a pas assez remarqué sans doute que
Diodore de Sicile nomme _Ilithya_ parmi les _plus anciens_ personnages
mythiques adorés en Égypte, ΑΡΧΑΙΟΙ ΘΕΟΙ[411], expression qui, dans
Diodore, indique, comme dans le texte d'Hérodote, les premiers nés
d'entre les dieux égyptiens, et ceux qui occupaient le rang le plus
élevé dans la hiérarchie céleste. Une telle qualification ne saurait
convenir à _Bubastis_, fille d'Osiris et d'Isis dieux de la _troisième_
classe, et petite-fille de _Cronos_ que les Égyptiens appelèrent _le
plus jeune des dieux_ de la _seconde_ classe. _Ilithya_, l'une des
formes de _Neith_, appartient donc évidemment à un ordre plus relevé.
Mais sans devoir être identifiée pour cela avec Bubastis, l'_Artémis
Égyptienne_ SOUAN (ou l'_Ilithya Égyptienne_) put avoir certaines
attributions communes avec cette déesse de la troisième classe.
C'est ce qui résulte à la fois et des Hymnes orphiques dans lesquels
_Ilithya_ est aussi nommée Ἄρτεμις Εἰλείθυια[412], et des monuments
originaux. Une statue en granit noir appartenant au Musée de Turin,
m'a offert, en effet, la singulière image de l'Ilithya égyptienne
reproduite sur notre planche 28.2. Cette figure, gravée en creux sur la
tunique de la statue, et au milieu d'une foule d'autres représentant la
plupart des divinités de l'Égypte, est accompagnée de son nom propre
hiéroglyphique SOUAN (pl. 28, lég. 1). La déesse, encore à tête de
_vautour_, tient dans sa main droite un _arc et une flèche_, armes
ordinaires de l'_Artémis_ des Grecs, la protectrice des chasseurs. Sans
conclure de ce fait que l'_Ilithya_ égyptienne présidait aux plaisirs
de la chasse comme l'Artémis grecque et la Diane latine, nous devons
conclure qu'il exista entre les mythes sacrés des Égyptiens et ceux
des Grecs, des rapports beaucoup plus intimes que les apparences ne
semblent le promettre.
[395] DIODORE DE SICILE, liv. I, § 12.
[396] Voyez mon _Égypte sous les Pharaons_, t. I, p. 179.
[397] _Idem._
[398] PLUTARQUE, _Traité d'Isis et d'Osiris_.
[399] PORPHYRE, _De Abstinentiâ_, lib. II.
[400] HÉRODOTE, liv. II, § XLV.
[401] Ἡ δὲ τῆς Εἰληθυίας πόλις τὸ τρίτον φῶς θεραπεύει· τὸ δὲ ξόανον
τετύπωται εἰς γῦπα πετόμενον, ἧς τὸ πτέρωμα ἐκ σπουδαίων συνέστηκε
λίθων. _Præparat. Evangelic._, lib. III, cap. XII.
[402] Planches 6, 6.5, et leur explication.
[403] _Idem._
[404] IABLONSKI, _Pantheon Ægyptiorum_, lib. III, cap. III, § 7.
[405] GAU, _Monuments de la Nubie_, pl. 22.
[406] _Idem_, pl. 25.
[407] _Description de l'Egypte_, A, vol. IV, pl. 17.
[408] _Idem_, pl. 27, nº 3.
[409] _Idem_, A, vol. I, pl. 96.
[410] _Pantheon Ægyptiorum_, lib. III, cap. III, § 7.
[411] DIODORE, liv. I, § 12.
[412] ORPHICA, ed. Hermann, hymne IIe, vers 12e.
[Illustration: 28.3.]
THÔOUT, THOTH DEUX FOIS GRAND,
LE SECOND HERMÈS.
LE premier _Thoth_, _Hermès trismégiste_[413], l'_Hermès céleste_ ou
l'intelligence divine personnifiée, le seul des êtres divins qui, dès
l'origine des choses, comprit l'essence du Dieu suprême, avait, selon
les mythes sacrés de l'Égypte, consigné ces hautes connaissances dans
des livres qui restèrent inconnus jusqu'à ce que le _Démiurge_ eût créé
les ames, et par suite l'univers matériel ainsi que la race humaine.
Le premier Hermès avait écrit ces livres _en langue et en écriture
divines_ ou sacrées[414]; mais après le _Cataclysme_, lorsque le monde
physique fut réorganisé et reçut une nouvelle existence, le créateur
prenant pitié des hommes qui vivaient sans règle et sans lois, voulut,
en leur donnant l'intelligence et une direction salutaire, leur tracer
la voie qui devait les ramener dans son sein dont ils étaient émanés.
Ce fut alors que se manifestèrent sur la terre Isis et Osiris, dont
la mission spéciale fut de civiliser l'espèce humaine. Ces deux époux
avaient pour associé et pour conseiller fidèle, _Thoth_, nommé aussi
_Thoyth_ par les Grecs, le _second Hermès_, qui n'était toutefois
qu'une incarnation du premier, ou l'_Hermès céleste_ manifesté sur la
terre.
Tout ce que tentèrent Isis et Osiris pour tirer les humains de l'état
sauvage, fut ou suggéré ou approuvé par _Thoth_, et c'est à ce second
Hermès que les Égyptiens se croyaient redevables de toutes leurs
institutions sociales. Ce dieu passait pour fils d'Agathodæmon[415].
Les hommes étaient encore réduits, comme les animaux, à ne manifester
leurs sensations que par des cris confus et sans liaison; Thoth
leur apprit une _langue articulée_, et imposant des noms à tous les
objets[416], il donna à chaque individu le moyen de communiquer
ses pensées et de s'approprier celles des autres. Il fit plus: il
enseigna à les fixer d'une manière durable, en inventant l'art
inappréciable de l'_écriture_; il organisa l'état social, établit la
_religion_, et régla les cérémonies du culte; il fit connaître aux
hommes l'_astronomie_ et la science des _nombres_, la _géométrie_,
l'usage des _poids_, des _mesures_ et de la _monnaie_. Non content de
satisfaire à tous les besoins de la société humaine par ces importantes
et utiles créations, le second Hermès s'occupa aussi de tout ce qui
pouvait contribuer à embellir la vie: il inventa la _musique_, fabriqua
la _lyre_, à laquelle il ne donna que trois cordes, et institua les
_exercices gymnastiques_. C'est ce même dieu enfin, qui fit connaître
aux hommes l'architecture, la sculpture, la peinture et tous les arts
utiles[417].
La _langue_ et l'_écriture_ inventées par Thoth et communiquées aux
hommes par cette divinité bienfaisante, différaient de la langue et de
l'écriture des dieux, dont s'était servi le premier Hermès pour rédiger
ses livres. L'écriture employée par le second Hermès est appelée
_hiérographique_ par Manéthon[418], parce qu'elle servit d'abord à
écrire les _livres sacrés_, dont ce dieu confia la garde à la caste
sacerdotale qui lui devait, dit-on, son organisation et toutes les
connaissances dont elle fut la dépositaire et la dispensatrice. Il
paraît même que cet instituteur des hommes réserva pour cette caste
seule un certain ordre de notions, entre autres, celle de la véritable
longueur de l'année, 365 jours un quart, et de la période de quatre
années dont la dernière était bissextile[419]. Les prêtres égyptiens
reconnaissaient ce dieu pour l'auteur des _livres sacrés_ que chacun
d'eux devait posséder à fond, en totalité ou en partie, selon l'ordre
de ses fonctions et son rang dans la hiérarchie. Ces livres de Thoth,
au nombre de _quarante-deux_, renfermaient toutes les règles, tous les
préceptes, et tous les documents relatifs à la religion, au culte, au
gouvernement, à la cosmographie, à la géographie, à tous les arts et
à toutes les sciences; en un mot, ces livres sacrés, dont les titres
nous ont été conservés[420], formaient une véritable _Encyclopédie
égyptienne_.
Les Égyptiens, qui considéraient le second Hermès comme un _dieu
manifesté_, et nullement comme un _roi terrestre divinisé_, ainsi
que le prétend Athénagore[421], représentèrent habituellement cet
instituteur divin de leur civilisation, sous une forme humaine,
mais avec une tête d'_Ibis_, ainsi qu'on le voit figuré sur notre
planche, Nº 29. La tête de l'oiseau, couverte de la coiffure
égyptienne ordinaire et peinte en bleu, est surmontée des cornes
de bouc, communes à la plupart des dieux protecteurs, et soutenant
des Uræus, un disque et d'autres emblèmes qui varient suivant les
différents points de vue sous lesquels on considérait le second
Hermès. La légende Nº 1 signifie _Thôout_ ou _Thouti_, _seigneur
des divines écritures_ ou des _écritures sacrées_, dont ce dieu fut
l'inventeur; la seconde légende exprime les idées _Thôout_, _grand et
grand_ (deux fois grand)[422], _seigneur des huit régions_. Le titre
_deux fois grand_, presque toujours inscrit à côté des images du
second Hermès, _Thoth-ibiocéphale_, le distingue du premier Hermès,
_Thoth-hiéracocéphale_, surnommé _Trismégiste_ (trois fois très-grand).
[413] Voyez les planches 15, 15.2, 15.3, et leur explication.
[414] MANÉTHON, Chronogr. du Syncelle, page 40.
[415] _Idem, ibidem._
[416] Diodore de Sicile, liv. I, page 14.
[417] Platon, _Philebus_.--Plutarque, _Symposiaques_, Quest.
3.--Diodore de Sicile, _Histor._ liv. I, pages 14 et 15, etc., etc.
[418] MANÉTHON, _Chronogr._ du Syncelle, page 40.
[419] STRABON, liv. XVII.
[420] CLÉMENT d'Alexandrie, _Stromat._, lib. VI, cap. 4.
[421] _Legatio pro christian._, pag. 32.
[422] Transcription hiéroglyphique du titre μέγας καὶ μέγας que le
texte grec de l'inscription de Rosette (ligne 19) donne à ce Dieu.
[Illustration: 29.]
THOTH DEUX FOIS GRAND,
LE SECOND HERMÈS, EN RAPPORT AVEC LA LUNE.
IL paraîtrait, d'après le passage précité de Manéthon[423], que les
deux Hermès portaient en langue égyptienne le nom de Θωθ _Thôth_,
que les Grecs ont diversement écrit Θεῦθ et Θωὺθ. Cette dernière
orthographe se rapproche évidemment plus que toute autre, de la
manière dont les Égyptiens prononçaient ce mot, que nous trouvons en
effet dans les livres coptes, sous la forme de ΘΩΟΥΘ _Thôout_, comme
étant le nom du premier mois de l'année égyptienne, mois éponyme de
ce même dieu, ainsi que nous l'ont appris les anciens[424]. Si l'on
adoptait la manière dont il est écrit dans les fragments de Manéthon,
le nom Θωθ appartiendrait à la racine égyptienne Θωτ, Θωθ (ou Τωτ en
dialecte thébain), qui signifie _mêler_, _tempérer par un mélange_;
et l'appellation _Thôth_, _miscens_, _temperans_, se rapporterait
très-bien au premier Hermès qui, chargé de former les corps où devaient
être renfermées les ames coupables, rendit la matière (Ὕλη), d'abord
sèche et aride, susceptible de prendre les formes qu'il voulait lui
donner, en la _mêlant_ avec l'_eau_ (κατὰ μίξιν ὕδατι)[425]. Mais le
nom Thôout se rapporte sans aucun doute à la racine égyptienne ΘΩΟΥΤ et
ΘΟΥΩΤ, qui signifie _congregare_, _in unum colligere_, et d'où dérivent
ΘΩΟΥΤΙ et ΘΩΟΥΤΣ, mots qui exprimaient les _colléges de prêtres_, les
_réunions religieuses_ appelées _panégyries_ par les Grecs. Les deux
_Thôout_ ou Hermès _rassemblaient_ en effet dans eux-mêmes toutes les
sciences divines et humaines, et leur nom s'explique bien naturellement
encore par cet usage constant des prêtres égyptiens, d'attribuer
religieusement à _Thoth_ seul les découvertes scientifiques faites par
tous les individus de la caste sacerdotale. Cette caste réunissait
aussi dans son sein tous les genres de connaissances, et regardait à
la fois Thoth et comme son instituteur, et comme sa propre image ou
_personnification_ dans les mythes sacrés.
L'ibis, oiseau dont les figures du second Hermès empruntent la
tête, était consacré à ce dieu, parce qu'il fut, dans l'écriture
hiéroglyphique, le signe symbolique de l'idée _cœur_ (Καρδία)[426]. Les
Égyptiens trouvaient, dit-on, une foule de similitudes entre l'_ibis_
et le _cœur_, exprimé en langue égyptienne par la syllabe HÈT, mot
qui se prenait dans la double acception de _cœur_ et d'_intelligence_
ou _intellect_[427]; l'ibis, symbole du _cœur_ et signe du mot _Hèt_,
devait donc devenir l'emblème de Thoth que l'on considérait comme
l'_arbitre souverain du cœur et de l'intelligence humaine_, Πάσης
καρδίας καὶ λογισμοῦ δεσπότης. (_Voy._ la note 4, ci-dessus.)
Ce n'est point sur la terre seule et sur les hommes policés par ses
bienfaits, que _Thoth-deux-fois-grand_, ou le second Hermès, exerçait
directement son influence; les Égyptiens crurent aussi qu'après avoir
civilisé notre planète, _Thoth_ avait établi sa demeure dans le globe
lunaire, et qu'il suivait cet astre dans toutes ses révolutions[428].
Ce dieu paraît, d'après les monuments, avoir été considéré comme
ayant des rapports très-intimes avec le _dieu-lune_, et avec l'astre
de ce nom. Les monuments égyptiens nous montrent en effet, et
assez fréquemment, _Thôth-ibiocéphale_ soutenant dans ses mains le
_disque lunaire_, et occupant le haut d'un escalier mystique formé
de _quatorze_ degrés, sur chacun desquels est placée une divinité
de seconde ou de troisième classe, qui semble monter vers le second
Hermès[429]. Plus souvent encore, la tête d'_ibis_ de ce dieu est
surmontée du _croissant_ et du _disque lunaires_, comme on peut le voir
sur cette planche 29.2, dessinée, ainsi que la précédente, d'après
des momies peintes du cabinet du Roi et des riches collections de MM.
Durand et Cailliaud. Des figurines de terre émaillée offrent assez
fréquemment le Thoth ibiocéphale, portant dans ses mains l'_œil_ qui
fut un des symboles de la _lune_ aussi bien que du _soleil_. Enfin,
les rapports de Thoth avec la lune sont, outre cela, indiqués par les
mythes sacrés, d'après lesquels, par exemple, le dieu des sciences
jouant aux dés avec le _dieu-lune_, lui gagna la 70e partie de ses
illuminations, et en forma, en les mettant ensemble, cinq jours qu'il
ajouta aux 360 de l'année. Ces jours, nommés _épagomènes_, étaient
fêtés et solennisés par les Égyptiens, à cause des divinités qui
avaient pris naissance pendant leur durée[428]. L'oiseau de
_Thôth_, l'ibis, était également consacré à la _lune_[430], parce
qu'une partie de son plumage était obscure et de couleur noire, et
l'autre brillante et de couleur blanche[431], ce qui faisait allusion
au disque lunaire, tantôt éclatant de lumière, et tantôt plus ou moins
plongé dans l'obscurité.
[423] MANETHO apud Syncell. _Chronograph._, pag. 40.
[424] CICERO, _De Naturâ Deorum_, lib. III, § XXII.
[425] Dialogue d'Isis et d'Horus. Voy. Joh. Stobæi _Eclog._, lib. I.
cap. II, pag. 948.
[426] HORAPOLLON, _Hiéroglyph._, lib. I, § 36.
[427] Voyez mon _Précis du Système hiéroglyphique_, chap. IX, § VII,
pag. 288 et suiv.
[428] PLUTARQUE, _de Iside et Osiride_.
[429] _Description de l'Egypte_, planches relatives aux antiquités
d'_Edfou_ et de _Dendéra_.
[430] ÆLIEN, _De naturâ animalium_, lib. II, cap. XXXVIII.
[431] CLÉMENT d'Alexandrie, _Stromat._, lib. V, pag. 567.
[Illustration: 29.2.]
THOTH DEUX FOIS GRAND,
PRÉSIDANT A LA RÉGION INFÉRIEURE.
IL en était du _Thoth_ des Égyptiens, comme de l'_Hermès_ des Grecs:
ce fut l'être mythique auquel on attribua les fonctions les plus
nombreuses et souvent même les plus opposées. Nous avons vu, en effet,
le _Thoth_ céleste, le seul des dieux émanés du Démiurge, et qui
porte le surnom de _trois fois grand_, associé d'abord à l'œuvre de
la création de l'univers et renfermant en lui-même toute la science
des choses divines. Ce prototype de toute intelligence s'incarne
ensuite pour civiliser l'espèce humaine, et se lie ainsi à un corps
matériel. Lorsque les habitants de la terre, éclairés par ses leçons,
connaissent et pratiquent la vertu, et sont soumis à une organisation
sociale régulière, imitation imparfaite de l'ordre qui règne dans les
régions célestes, Thoth se retire dans la lune pour se consacrer à
l'accomplissement de nouveaux devoirs. Le génie qui présidait à cet
astre, le dieu _Pooh_ (ou _Lunus_), était considéré par les anciens
Égyptiens comme le directeur perpétuel, comme le roi des ames qui,
ayant quitté des corps matériels, erraient ballottées par les vents
dans le vague des airs, jusqu'à ce qu'elles fussent appelées à animer
de nouveaux corps, pour subir de nouvelles épreuves, expier leurs
fautes passées, et sortir de la zône de _l'air terrestre et agité_,
pour passer dans la troisième zône de l'univers où régnait un _air
pur et léger_. C'était dans ces deux zônes, ou divisions du monde,
partagées en _vingt-quatre régions_ ou _contrées_ (χώρας) situées
entre la terre et la lune, que le dieu _Lunus_ exerçait directement
son influence: il avait pour conseiller le dieu _Thoth_, qui présidait
plus spécialement à la _seconde zône_ ou division du monde, celle
de _l'air agité_, qui se divisait en _huit régions_ immédiatement
situées au-dessus des quatre _régions_ de la TERRE[432]. Cette _zône_
de Thoth dépendait de l'empire lunaire, qui comprenait aussi une zône
supérieure, _celle de l'air pur_, subdivisée en seize autres régions.
Il est donc de toute évidence que le titre SEIGNEUR DES HUIT RÉGIONS,
qui accompagne constamment les images de _Thoth Ibiocéphale_ dans
les bas-reliefs et dans les peintures égyptiennes[433], se rapporte
à cette direction des _huit régions_ de la seconde zone du monde,
habitée passagèrement par les ames des morts. Cela expliquerait
encore pourquoi le nombre _huit_ est particulièrement consacré à
_Thoth_; et il n'est point hors de vraisemblance que la grande ville
d'Hermès dans l'Heptanomide, qui porta le nom de _Schmoun_[434],
c'est-à-dire, _huit_, nom transcrit par les Arabes sous la forme du
duel _Aschmounaïn_, a été ainsi appelée par allusion aux huit _régions_
des ames, auxquelles présidait le dieu éponyme de cette grande cité.
Quoi qu'il en soit, on attribua au second Hermès égyptien, Thoth
Ibiocéphale, comme à l'Hermès des Grecs, la direction des ames que la
mort séparait des corps terrestres. Aussi ce dieu est-il figuré dans
les peintures des momies, tenant dans ses mains l'emblême de la partie
_inférieure du monde_, qui comprenait dans ses limites une portion
du ciel et l'_Amenti_, lieu où les ames étaient jugées par Osiris.
Le nom écrit de la _partie inférieure_ de l'univers se compose, dans
les textes hiéroglyphiques, d'une _plume_, du _segment de sphère_ lié
au signe recourbé qui exprime l'articulation S. C'est ce même nom,
dans lequel il me semble reconnaître les éléments graphiques du mot
égyptien _PESÈT_ qui signifie _partie inférieure_, que tient dans sa
main le dieu Thoth figuré sur notre planche 29.3. Il faut observer
seulement qu'une portion du _signe recourbé_ a été prolongée outre
mesure pour donner à ce _groupe de lettres_ l'apparence d'un _sceptre_
dans les mains du dieu, qui tient aussi une bandelette: les exemples
d'images d'objets dénaturés ainsi dans leur forme, pour s'accommoder à
l'effet général d'une composition, sont fort communs sur les monuments
égyptiens[435]: dans les textes courants, le groupe hiéroglyphique
exprimant la _partie inférieure_ du ciel et du monde en général,
prend la forme indiquée dans la pl. 29.3, sous le nº 2, accrue de
trois signes déterminatifs; et on le retrouve sculpté sous la forme
nº 3, hors du disque renfermant le zodiaque circulaire de Dendérah,
au-dessous du scorpion et entre les figures de femme et d'homme à
tête d'épervier, qui soutiennent cette portion du disque. Au point
diamétralement opposé, se trouve le nom de la _partie supérieure_ du
ciel et du monde. La ligne dont ces deux groupes sont les deux points
extrêmes, passe par les pieds postérieurs du _taureau_ et par la tête
du _scorpion_.
[432] _Liber sacer_ ou _Dialogue d'Isis et d'Horus_; Ioh. Stobæi
Eclog.; lib. I, cap. 52, pag. 1077 et seq.
[433] Voyez planches 29, lég. nº 1; et 29.2., lég. nº 1.--Caylus,
tome VI, pl. _a_, nº 2 et 3.--Grand Mss. hiérogl., _Description de
l'Egypte_, pl. 72; _Scène du Jugement_, lég. du Dieu; et toutes les
légendes de _Thoth Ibiocéphale_ sur les cercueils de momies.
[434] Voyez mon _Egypte sous les Pharaons_, tome I, pages 290 et 291.
[435] Voyez nos planches nº 9, 20.2, et 20.4.
[Illustration: 29.3.]
THOTH PSYCHOPOMPE,
LE SECOND HERMÈS DANS L'AMENTÉ.
LE Thoth égyptien Ibiocéphale, compagnon fidèle d'Osiris tant que ce
dieu resta dans le monde pour adoucir les mœurs des hommes, n'abandonna
point ce dieu lorsque, ayant terminé sa mission sur la terre, il
alla établir son tribunal et sa demeure dans l'Amenté (l'enfer des
Égyptiens), lieu où se réunissaient les ames pour rendre compte de leur
conduite, et d'après le résultat de cet examen, être réparties dans
les diverses _régions_ célestes, ou rentrer dans des corps matériels
en expiation de leurs fautes. _Thoth_ fut, après Osiris, le premier
personnage de ce lieu terrible, où les destinées des ames étaient
réglées à chacune de leurs transmigrations sous forme humaine. Les
peintures qui décorent les manuscrits funéraires, les cercueils et
enveloppes des momies, et les bas-reliefs des catacombes de l'Égypte,
ne permettent aucun doute à cet égard; tout nous montre le dieu Thoth
remplissant auprès des ames, diverses fonctions qui l'assimilent
complètement à l'_Hermès Psychopompe_ des Grecs.
Le dieu à tête d'Ibis est en effet représenté dans les scènes mythiques
peintes sur les enveloppes des momies et relatives au jugement de
l'ame, conduisant par la main le défunt ou plutôt son ame figurée sous
les apparences du corps qu'elle vient de quitter, devant la balance
infernale, ou aux pieds du trône d'Osiris dominateur de l'Amenté.
J'ai reconnu cette scène sur plusieurs momies, sur deux entre autres,
dont l'une appartient au cabinet du Roi, et l'autre à la précieuse
collection de M. Durand.
Souvent aussi le dieu Thoth semble instruire les ames et les préparer
à l'effrayante épreuve qu'elles ont à subir, leurs actions allant
être pesées dans l'équitable balance de l'_Amenté_. Ce sujet est
figuré en grand sur un des bas-reliefs du tombeau royal du Pharaon
_Phtah-ousireï-mèn_, découvert à Thèbes par le célèbre voyageur
Belzoni dont la perte récente, au moment même où il allait décider le
plus important des problèmes relatifs à la géographie de l'Afrique
intérieure, sera à jamais regrettable et vivement sentie par tous ceux
qui accordent une estime bien méritée au courage réfléchi qui se
dévoue généreusement au progrès de la science.
La plus grande partie des grandes scènes peintes, placées au
commencement ou à la fin des manuscrits funéraires soit en écriture
hiéroglyphique, soit en écriture hiératique, et qui représentent
la _Psychostasie_ et le jugement des ames par Osiris, nous offrent
le second _Thoth_ debout devant le trône du juge suprême, et dans
l'attitude qu'on lui voit sur notre planche 29.4. La tête du dieu est
celle d'un Ibis, ordinairement peinte en _noir_, d'où l'on pourrait
inférer peut-être que l'_Ibis blanc_ était plus spécialement consacré à
Thoth considéré dans ses attributions relatives aux globes de la lune
et de la terre, et l'_Ibis noir_ à ce même dieu réglant le sort des
ames dans l'Amenté, l'enfer ou la région ténébreuse. La tête d'oiseau
qui remplace la tête humaine de _Thoth_, est couverte de la coiffure
égyptienne ordinaire, et n'est surmontée d'aucun symbole particulier:
le dieu tient dans sa main gauche une tablette rectangulaire pareille à
celles qu'on a découvertes depuis peu dans les catacombes égyptiennes,
et qui, portant vers leur partie supérieure deux cavités destinées
à recevoir des pains de couleur noire et rouge, et sur leur milieu,
des rainures pour des pinceaux, ont été facilement reconnues pour
un ustensile de peintre ou d'écrivain. On a donné à ces tablettes,
qui portent presque toutes des légendes hiéroglyphiques, le nom de
_palette_: Thoth est figuré traçant avec un _roseau_ ou un _pinceau_
qu'il tient dans sa main droite, des caractères sur la _tablette_
qui, combinée avec le _pinceau_ et un _petit vase_ renfermant soit
de l'encre, soit de l'eau pour délayer les couleurs, forme le
groupe hiéroglyphique tropique[436] exprimant les idées _Écrire_ et
_Écriture_, idées dont les mots _Shai_, _Sah_, ou bien _Skhai_ et
_Sakh_ étaient les signes dans la langue orale.
Ainsi c'est la science divine personnifiée qui perscrutait la vie
passée des ames et présentait le résultat écrit de cet examen au dieu
bienfaisant par excellence, Osiris, dont la bouche sainte prononçait
la sentence. J'ai reconnu dans les peintures des manuscrits les plus
soignés, que le caractère inscrit par Thoth sur la tablette, était le
signe recourbé[437], l'une des formes de la consonne S dans l'écriture
hiéroglyphique. Comme on ne pourrait présenter que des conjectures
sur le sens de cette lettre initiale, j'ai cru devoir me borner à
reconnaître le fait seulement.
[436] Voyez sur nos planches 29 et suivantes le dernier caractère de
la légende nº 1.
[437] Voyez le premier signe du nom du dieu _Sovk_, pl. 21, lég. nº 1.
[Illustration: 29.4.]
L'IBIS,
EMBLÊME VIVANT DE THOTH LE SECOND HERMÈS.
L'INSTITUTEUR des sciences et des arts, le Dieu qui civilisa l'espèce
humaine, avait pour emblème l'_Ibis_, oiseau dont les archéologues
et les naturalistes modernes ont eu beaucoup de peine à reconnaître
le genre et l'espèce, puisqu'on le confondit d'abord avec le _Héron_
et la _Cigogne_, malgré le nombre immense de ses images gravées sur
les monuments égyptiens existants en Europe. Bruce et les savants de
l'expédition française en Égypte ont, depuis, retrouvé ce même oiseau
vivant, en Éthiopie comme en Égypte. M. Cuvier lui a conservé le nom
d'_Ibis_, et l'a rangé dans le genre _Numenius_.
Les Égyptiens connurent deux espèces d'Ibis qui, toutes deux, jouaient
un rôle important dans les mythes sacrés. La première, l'_Ibis blanc_,
connu en Éthiopie sous le nom d'_Abou-Hannès_, et en Égypte sous celui
d'_Abou-Mengel_, a une partie de la tête et toute la gorge dénuées
de grandes plumes; son plumage est blanc, à l'exception de la tête,
du cou, de l'extrémité des ailes et de la queue, qui sont de couleur
noire. Celui de la seconde espèce, l'_Ibis noir_ appelé _Hareiz_ par
les habitants actuels de l'Égypte, est d'un noir à reflets très-riches,
verts et violets; le dessous du corps est d'un noir cendré qui devient
marron foncé dans les vieux individus[438]. L'_Ibis blanc_ était
consacré à Thoth ainsi qu'à _la Lune_[439], astre dont ce Dieu paraît
avoir été considéré comme le régulateur: car, suivant le dire des
Égyptiens, cet oiseau s'occupe de ses œufs pendant toute la durée de la
croissance et de la décroissance de la lune. Il accommodait son régime
d'après ses phases; on ajoutait même que ses intestins se resserraient
toujours au déclin de l'astre, et reprenaient toutes leurs dimensions
lorsque la lune reparaissait brillante de toute sa lumière[440].
Comme le Dieu _Thoth_, l'Ibis affectionnait particulièrement
l'_Égypte_; il habitait de préférence cette contrée, la plus humide
de toutes, de la même manière que Thoth avait fixé sa demeure dans
la lune, la plus humide des planètes, suivant les Égyptiens. Selon
Ælien, si quelqu'un emportait de force ou par surprise un Ibis hors
de l'Égypte, cet oiseau se laissait mourir de faim, et se vengeait
ainsi de ses ravisseurs, en leur montrant l'inutilité de leurs efforts
pour l'éloigner du pays qu'il aime exclusivement. Du reste, l'Ibis
représentait convenablement le plus sage et le plus savant des Dieux,
s'il est vrai, comme le disaient les Égyptiens, que les Ibis marchent
d'une manière grave et posée, comme une jeune vierge, ne cheminant que
pas à pas[441].
C'est principalement la première espèce d'_Ibis_, l'_Ibis blanc_, qui
fut vénérée et nourrie avec soin par l'Égypte entière: c'est celle,
du moins, dont l'image est la plus fréquente dans les peintures et
les sculptures de style égyptien. Presque toutes les momies d'Ibis,
ouvertes et observées avec soin, ne présentent que l'espèce blanche;
d'où il résulte que l'_Ibis blanc_ était l'oiseau favori de Thoth, son
symbole et celui de la lune sur la terre. Le Dieu et l'oiseau étaient
tellement identifiés dans les idées égyptiennes, qu'on attribuait
le principe de la connaissance des nombres et des mesures à l'Ibis
même[442], et que son pas était devenu un étalon métrique.
Les récits populaires attribuaient surtout à l'_Ibis noir_ la
destruction des serpents ailés. Ces serpents venaient de l'Arabie;
les Ibis noirs se postaient, dit-on, sur les frontières de l'Égypte,
combattaient ces redoutables ennemis, et les empêchaient de pénétrer
dans l'intérieur du pays[443]. Hérodote prétend avoir vu des amas
immenses d'os et d'arêtes de ces serpents détruits par les _Ibis
noirs_[444]. L'antiquité entière a reproduit cette assertion d'après
le père de l'histoire; mais les connaissances positives que la science
moderne possède de la constitution et des habitudes des deux espèces
d'Ibis, ne permettent d'attacher aucune confiance à cette opinion sur
l'oiseau consacré à Thoth, considéré comme le sauveur de l'Égypte
parce qu'il détruisait de dangereux reptiles, les sauterelles, les
chenilles, et éloignait les maladies contagieuses[445]. On disait
aussi que l'_Ibis blanc_ rendait un service semblable à l'autre
extrémité de l'Égypte vers l'Éthiopie, en empêchant les serpents des
pays méridionaux d'entrer sur la terre sacrée. Ainsi, dans la croyance
vulgaire, l'Égypte était défendue contre les reptiles venimeux par les
deux espèces d'Ibis; les Ibis _noirs_ défendaient les frontières vers
le nord, et les Ibis _blancs_ les frontières du sud.
L'Ibis blanc fut nourri dans les temples et dans les maisons
particulières, comme l'image vivante de Thoth sur la terre: lorsque ces
animaux mouraient, on déposait leurs corps, embaumés avec soin, dans
des catacombes, soit à _Hermopolis magna_, dont les médailles portent
la figure de cet oiseau[446], soit dans d'autres lieux de l'Égypte et
surtout dans le voisinage de Memphis, où existe encore une incroyable
quantité de momies de cette espèce d'oiseau, puisqu'on les y a comptées
par milliers.
[438] HÉRODOTE, liv. II, § LXXVI. SAVIGNY, _Histoire naturelle et
mythologique de l'Ibis_, pag. 19 et suiv., 36 et suiv.
[439] CLÉMENT d'Alexandrie, _Strom._, lib. V. ÆLIEN, _De Naturâ
Animal._, lib. II, cap. XXXVIII.
[440] ÆLIEN, _De Natur. Animal._, _lib._ II, _cap._ XXXV et XXXVIII;
_lib._ X, _cap._ XXIX.
[441] _Idem_, _lib._ II, _cap._ XXXVIII.
[442] CLÉMENT d'Alexandrie, _Stromat._, _lib._ V.
[443] ÆLIEN, _De Natur. Animal._, _lib._ II, _cap._ XXXVIII.
[444] Livre II, § LXXVI.
[445] CICÉRON, _De Natur. Deor._, lib. I, XXXVI. EUSÈBE, _Præp.
Evangel._, _lib._ II, § 1, p. 49.
[446] TOCHON, _Recherches sur les Médailles de Nomes_, pag. 114 et
116.
[Illustration: 29.5.]
LE CYNOCÉPHALE,
EMBLÊME VIVANT DE THOTH.
L'UN des emblêmes les plus connus du dieu _Thoth_ ou le second Hermès,
fut une grande espèce de singe que la ressemblance de sa tête avec
celle d'un chien, fit nommer _Cynocéphale_, Κυνοκέφαλος, par les Grecs
qui, peut-être en cette occasion, traduisirent tout simplement le
nom Égyptien de cet animal. Le Cynocéphale fut consacré à _Thoth_,
l'Hermès Égyptien, l'inventeur des lettres, parce que, disait-on, une
certaine classe de ces animaux connaissait réellement l'usage des
lettres[447]. Cette croyance absurde semble s'être conservée fort
long-temps en Égypte, puisqu'on lit dans un manuscrit copte-thébain du
Musée Borgia[448], contenant le récit des actes de saint Barthélemy,
que ce prédicateur de la foi quitta la religion des ichthyophages
pour se rendre dans le pays des Parthes, accompagné de Christianus
_homme-cynocéphale_ (ⲣⲱⲙⲉ ⲛϩⲟⲛⲟⲩϩⲟⲟⲣ).
Aussitôt qu'un Cynocéphale était introduit dans un temple de l'Égypte,
un prêtre, dit Horapollon[447], lui présentait une _tablette_, un
_roseau_ et de _l'encre_, pour éprouver s'il était réellement de la
race de ces Cynocéphales qui connaissaient l'art de l'écriture. Quelque
ridicule que soit cette assertion d'Horapollon, il n'en reste pas moins
prouvé que tel était en effet le préjugé vulgaire, car les monuments
offrent des représentations parfaitement analogues. On trouve, par
exemple, parmi les sculptures qui décorent le grand temple d'Edfou,
un bas-relief dessiné par la Commission d'Égypte, et représentant un
Cynocéphale assis dans l'acte de tracer des caractères sur une tablette
à l'aide d'un roseau. On crut trouver outre cela, dans ce même animal,
des rapports marqués avec les individus composant la caste sacerdotale,
puisque, comme ceux-ci, il était _circoncis_, et s'abstenait surtout
de _manger du poisson_[449]. Cette espèce de singe dut ainsi
nécessairement devenir l'emblême vivant de _Thoth_, l'instituteur et le
prototype de la caste sacerdotale.
Ce Dieu, créateur des sciences et des arts, est très-souvent figuré
sous la forme même d'un _Cynocéphale_ dans les bas-reliefs symboliques
et les peintures des rituels funéraires; notre planche 29.6, calquée
sur un des plus beaux manuscrits hiéroglyphiques du cabinet du Roi,
offre un exemple curieux de cette particularité; la seconde scène
peinte de ce rouleau, présente l'image de la défunte à laquelle se
rapporte le manuscrit, en acte d'adoration, auprès d'un autel chargé
d'offrandes, _devant_ un Cynocéphale. L'animal sacré est assis sur
une sorte de _piédestal_ couvert d'un tapis et placé sur un traîneau;
il tient dans sa main gauche une palette d'écrivain sur laquelle sont
attachés des pinceaux ou des roseaux, et absolument semblable à ces
palettes, soit en bois, soit en pierre, qu'on a récemment découvertes
dans les catacombes de l'Egypte; et la main droite du Cynocéphale est
élevée vers la défunte en signe de protection.
Les inscriptions hiéroglyphiques tracées au-dessus des deux personnages
qui composent cette scène remarquable, ne laissent aucun doute sur le
sens que nous devons y attacher: On lit près de la tête de la défunte:
_Acte d'adoration fait par l'Osirienne dame dévouée à Amon-ra Roi des
Dieux_, TENTAMON; et vers la tête du Cynocéphale: THOTH _Seigneur
des divines écritures_. Il est évident que l'Egyptienne _Tentamon_
supplie le dieu _Thoth_, manifesté sous la forme même de son animal
sacré, de lui être favorable dans la terrible épreuve qu'elle va subir,
l'examen de ses bonnes et mauvaises actions sur la terre, pesées
dans l'équitable balance de l'Aménti: cette épreuve est, en effet,
représentée dans la scène qui suit immédiatement celle que nous venons
de décrire.
Les figures du Cynocéphale, en terre émaillée, en pierre ou en bronze,
sont très-communes, le culte du Dieu dont il était l'emblême étant
très-répandu dans toutes les préfectures de l'Egypte.
[447] HORAPOLLON, liv. I, hiérogl. 14.
[448] ZOEGA, _Catalog. Manuscript. Musæi Borgiani_, pag. 235.
[449] HORAPOLLON, liv. I, hiérogl. 14, pag. 28 et 30.
[Illustration: 29.6.]
THOTH,
LE SECOND HERMÈS IDENTIFIÉ AVEC LA LUNE.
ON a vu dans la planche 14.5, représentant la Barque ou BARI symbolique
du Dieu Pooh, que le _disque_ et le _croissant_ lunaires sont produits
comme les emblèmes spéciaux d'une divinité portant à la fois le nom
de _Ooh_ ou _Ioh_ et celui de _Thôout_ ou _Thôouti_: les titres _Dieu
grand_, _Seigneur du ciel_ et _Roi des Dieux_, qui accompagnent cette
double appellation, prouvent incontestablement qu'elle se rapporte à un
seul personnage mythique; et nous devons conclure de ce fait que, dans
leurs spéculations théologiques, les prêtres égyptiens identifiaient,
sous certains rapports, le _Dieu-Lune_ avec le _second Hermès_, _Thoth
Ibiocéphale_. Une belle stèle du musée royal égyptien de S. M. le Roi
de Sardaigne, démontre encore mieux ce que nous venons d'avancer.
Ce monument[450] dont la partie supérieure est fidellement rendue
sur notre planche 29.7, n'est qu'une espèce de grand Προσκύνημα ou
_acte d'adoration_ de trois individus d'une même famille, représentés
à genoux au-dessous d'un texte hiéroglyphique, de dix colonnes,
contenant la prière adressée au Dieu qui était l'objet de leur culte.
Le principal personnage est un Égyptien dont le nom propre, exprimé
symboliquement, signifie _bonne année_; il est suivi de sa sœur _Thani_
ou _Thoni_, prosternée comme lui; devant eux est une très-jeune fille
nommée _Djernil_, debout et élevant les bras en signe d'adoration, à
l'imitation de son oncle et de sa mère.
Le haut de la stèle est occupé par une grande barque placée, non sur
l'image conventionnelle de _l'eau_, comme les barques des habitants
de la terre, mais sur le signe hiéroglyphique du _ciel_, tracé de
très-grande proportion[451]. Les Égyptiens, qui ne considéraient la
sculpture et la peinture que comme une sorte d'_écriture_ plus riche
et plus monumentale que celle dont ils se servaient pour les usages
communs, voulaient exprimer, ainsi, que les êtres divins se mouvaient
dans la vaste étendue des cieux. Le Dieu, assis au milieu de la
barque, est caractérisé par une tête d'_Ibis_, couverte de la coiffure
ordinaire, mais surmontée du _disque et du croissant de la lune_: la
légende qui l'accompagne, Ⲟⲟϩ ou Ⲓⲟϩⲑⲱⲟⲩⲧ, _Ooh-Thôout_, n'est que le
nom du _Dieu-Lune_, réuni à celui du _second Hermès_; tout comme le
simulacre que ce double nom désigne, est formé des images combinées
de _la Lune_ et du _second Hermès_. _L'identification_ de ces deux
personnages mythiques ne peut donc plus être douteuse.
Un cynocéphale, animal également consacré à l'une et à l'autre de
ces divinités, présente au Dieu OOH-THÔOUT (_Lunus-Hermès_) l'œil,
symbole spécial des deux corps célestes qui répandent la lumière sur
la terre; ce même œil est figuré vers la proue de la barque divine
dont l'extrémité, richement décorée, porte _un disque_ pour désigner,
selon toute apparence, que cette _Bari_ est celle d'une _planète_.
Nous ajouterons, à ce sujet, que la consécration d'une des planètes
à _Hermès_ (Mercure) chez les peuples anciens, n'avait point lieu
chez les Égyptiens; ils purent donc sans inconvénient assimiler leur
Hermès avec la Lune, car il est certain qu'ils consacrèrent à leur Dieu
_Aroeri_ (Apollon)[452] la planète nommée _Hermès_ et _Mercure_ par les
Grecs et par les Romains.
La poupe de la Bari sacrée du Dieu _Lunus-Hermès_, est recourbée
d'une manière très-remarquable, circonstance qu'on a pu également
observer dans l'une des barques du _Dieu_-Lune[453]. Cette appendice
si extraordinaire me paraît représenter _une queue de crocodile_,
animal essentiellement lié aux mythes du Dieu-Soleil et du Dieu-Lune.
Enfin cette queue qui est recourbée nous rappelle encore ce passage
d'Horapollon[454] Σκότος δὲ λέγοντες, κροκοδείλου οὐρὰν ζωγραφοῦσιν:
pour représenter _l'obscurité_, _les Égyptiens peignent_ LA QUEUE
D'UN CROCODILE. Ce rapprochement nous conduit à conclure que, par
_Ooh-Thôout_, les Égyptiens pouvaient entendre le Dieu qui présidait
à la lune en conjonction, c'est-à-dire à la phase où cet astre cesse
d'être apparent sur l'horizon. On peut supposer que _Ooh_ (la lune)
restait alors dans la partie inférieure et ténébreuse du ciel, que nous
avons vue être en effet du domaine de _Thôout_, le second Hermès[455].
[450] De pierre calcaire blanche, très-fine, et d'un excellent
travail; hauteur, 1 pied 5 pouces; largeur, 1 pied.
[451] Voyez les variantes de ce caractère hiéroglyphique, dans notre
planche 20.4, numéros 1, 2, 3, 4.
[452] PÉTAU, _Uranologium_, p. 136.
[453] Voyez notre planche nº 14.2.
[454] _Hiéroglyphiques_, liv. I, § 70; édit. de Paw.
[455] Voyez notre planche 29.2.
[Illustration: 29.7.]
NATPHÉ ou NETPHÉ.
(RHÉA.)
ON a déja remarqué[456] qu'il exista en réalité, entre les mythes
sacrés des Égyptiens et ceux des Grecs, des rapports beaucoup plus
suivis que ne semblerait l'indiquer la diversité d'origine de langue
ou de gouvernement des deux peuples, et surtout le peu d'analogie
des formes choisies pour représenter chacun de leurs personnages
mythiques. Cependant, si l'on a égard aux différences de temps, de
races et de lieux, on s'apercevra bientôt que certaines parties de
la mythologie des Grecs ne sont, et de l'aveu des Grecs eux-mêmes,
que des mythes égyptiens plus ou moins complets, mais reproduits avec
les modifications nécessaires pour les lier naturellement au système
national des Hellènes; de là vient que les anciens auteurs grecs, à
partir d'Hérodote même, lorsqu'ils ont voulu parler des divinités de
l'Égypte, se sont servis indifféremment et avec une assurance bien
fondée du nom grec de la divinité correspondante dans les mythes grecs,
au lieu d'employer le nom égyptien lui-même. Diodore seul nous avait
parlé d'une _Estia_ ou _Vesta_ égyptienne; Jablonski, s'étant flatté
de retrouver l'ensemble du système religieux de l'Égypte dans le peu
que les auteurs anciens ont laissé échapper sur cette matière, et
s'imaginant expliquer tous les personnages mythiques par les divers
états du soleil et de la lune, nia l'existence d'une divinité analogue
à l'_Estia_ des Grecs dans les mythes égyptiens, et ne reconnut pour
divinités vraiment égyptiennes que celles dont les Grecs avaient
mentionné les noms égyptiens[457]. C'est en partant de ce principe,
absolument faux, que ce savant a refusé d'admettre dans son Panthéon
deux divinités égyptiennes assimilées par les Grecs à leurs _Cronos_ et
_Rhéa_, le _Saturne_ et la _Rhéa_ des Romains. Mais c'est à tort, et
bien gratuitement, que Jablonski accuse les Grecs d'avoir donné, sans
règle et sans motif, les noms propres de leurs divinités à celles des
Égyptiens, et de ne suivre en cela que leur caprice ou leur convenance
particulière; enfin les auteurs et les monuments démontrent combien
cet érudit était dans l'erreur, lorsqu'il affirme trop positivement
que, quant à _Rhéa_, sœur et femme de _Saturne_, elle fut tout-à-fait
inconnue aux Égyptiens[458], et que tout ce que les anciens ont dit
d'une _Rhéa_ égyptienne doit s'entendre de la déesse _Athôr_[459].
Diodore de Sicile, que Jablonski cite cependant sans accorder à ce
témoignage tout le poids qu'il mérite, nous apprend, dans son livre
premier, où il expose rapidement le système religieux des Égyptiens,
que parmi les _dieux terrestres_ (Ἐπιγείους), _nés des dieux célestes_
(τῶν ἐν Οὐρανῷ θεῶν), et venus après eux, ils comptaient Κρόνος et
Ῥέα, c'est-à-dire _Saturne_ et _Rhéa_[460]. Ces deux personnages, qui
étaient frère et sœur, succédèrent à _Hélios_ (Phré) ou à _Héphæstus_
(Phtha), et méritèrent l'immortalité et des autels par leurs bienfaits
envers l'espèce humaine. Ce récit de l'historien sicilien, quoique
empreint d'une teinte marquée d'Évhémérisme, conserve cependant une
physionomie tout égyptienne, puisqu'il renferme clairement exprimées
les deux divisions fondamentales établies parmi les divinités
égyptiennes, dont les unes étaient purement _célestes_ (ce sont les
deux premières classes d'Hérodote), et les autres se trouvaient dans
des rapports plus intimes avec l'homme, puisque, suivant les traditions
sacerdotales, ces divinités s'étaient autrefois incarnées sur la terre,
et s'étaient manifestées ainsi aux yeux des mortels. Les premières
entre les divinités de cet ordre de dieux _terrestres_ ou _mondains_,
furent _Cronos_, et _Rhéa_, laquelle, selon Diodore de Sicile,
Plutarque et Synésius, donna naissance à _Osiris_ ainsi qu'à _Isis_.
Cette seule circonstance a suffi pour nous faire retrouver avec
certitude le nom et les images de la _Rhéa_ égyptienne sur les
monuments originaux: la forme la plus simple de cette déesse est celle
que nous reproduisons sur notre planche 30, d'après une petite stèle
du Musée de Turin; la légende qui l'accompagne contient d'abord le nom
propre de la déesse, qui se lit sans difficulté ⲛⲧⲡⲉ ou ⲛⲧⲫⲉ, _Netpé_,
_Netphé_ ou _Natphé_: ce nom est suivi d'un titre tout particulier à
cette divinité, celui de ⲙⲁⲥⲛⲛⲉⲛⲟⲩⲧⲉ ⲧⲛⲉⲃⲡⲉ, GÉNÉRATRICE DES DIEUX,
_dame du ciel_. Les chairs de _Netphé_ sont de couleur verte; le
_vautour_ qui décore le devant de la coiffure, le _modius_ qui la
surmonte, et les _cornes de vache_, présentent cette divinité sous
l'attribution de _mère et nourrice divine_. Le _disque rouge_ indique
ici, comme ailleurs, que _Netphé_ ou la _Rhéa_ égyptienne appartient
à la famille de _Phré_ (le dieu-soleil), comme toutes les divinités
égyptiennes du second et du troisième ordre.
[456] Voyez l'explication de la planche 28.2.
[457] JABLONSKI, _Pantheon Ægyptiorum_, liv. II, chap. I, pag. 140 et
141.
[458] _Quod vero ad_ RHEAM _attinet, quam_ SATURNO _et sororem et
conjugem Græci adjungunt, ea Theologis Ægyptiorum_, omnino incognita
fuit. _Idem_, _ibidem_, page 141.
[459] _Idem, ibidem._
[460] _Bibliothec. histor._, livre Ier, page 12.
[Illustration: 30.]
API OU HAPI.
(APIS, TAUREAU CONSACRÉ A LA LUNE.)
IL serait fastidieux d'énumérer ici tous les documents que l'antiquité
classique nous a transmis relativement à l'animal sacré si connu
sous le nom vulgaire de _Bœuf Apis_[461]: on doit conclure de ces
rapports circonstanciés, que le culte de ce taureau était populaire
en Égypte, et presque général dans tous les nomes dès l'époque de la
domination des Grecs, et surtout sous le gouvernement des empereurs,
dont plusieurs, et des plus célèbres, crurent de leur politique de
payer un tribut d'hommages publics à ce représentant de l'une des plus
grandes divinités d'un pays si nécessaire à la prospérité de l'empire.
Mais il est douteux que, dans les temps antérieurs, sous les rois
de race pharaonique, lorsque les lois purement égyptiennes étaient
en vigueur, on montrât pour Apis une vénération si marquée partout
ailleurs que dans le nome où les livres sacrés avaient irrévocablement
fixé la demeure et la sépulture de cet animal symbolique. Chacune des
trente-six préfectures de l'Égypte primitive reconnaissait pour emblème
de sa divinité protectrice un animal particulier, volatile, quadrupède,
reptile ou poisson; et cette sorte de religion locale a été désignée
par les Grecs sous le nom de Θρησκεία[462]. Une telle institution,
calculée dans un intérêt qu'il ne nous est point encore donné de juger
en définitive, avait jeté de si profondes racines, que les médailles
des nomes de l'Égypte frappées sous l'empire de Trajan, d'Hadrien et
d'Antonin, portent, presque toutes, d'un côté l'effigie de l'empereur
régnant, et de l'autre l'_animal sacré_ particulier au nome[463], ou
le dieu principal tenant sur sa main ce même animal, son symbole[464].
Plusieurs villes de l'Égypte rendaient un culte particulier au taureau
ou plutôt aux divinités dont ce vigoureux quadrupède fut l'emblème
spécial; mais ces animaux différaient entre eux, soit de couleur,
soit par quelques qualités ou marques particulières: le taureau
_Onouphis_, nourri à Hermonthis ou dans quelque autre cité de la
Thébaïde, en l'honneur du premier des dieux, Ammon, fut de couleur
noire, d'une taille remarquable, et ses poils étaient, dit-on, dirigés
à contre-sens; _Mnévis_, autre taureau nourri à Héliopolis comme
emblème du soleil, est représenté de couleur claire sur les monuments
originaux; mais le taureau _Apis_ se distinguait de tous les autres
taureaux sacrés de l'Égypte, non-seulement par son pelage, mais encore
par des signes propres à lui seul et dont les auteurs grecs et latins
parlent avec détail.
Quant à la couleur d'Apis, les monuments égyptiens originaux, sur
lesquels son image est représentée, le représentent toujours noir ou
bien mi-partie de noir et de blanc. Notre planche 31 le reproduit
fidèlement tel qu'il est figuré à côté du taureau _Mnévis_[465], (que
certains mythes populaires regardaient comme le _père_ d'Apis), parmi
les peintures d'un riche cercueil de momie du Musée royal égyptien de
Turin. Un collier et une housse rouge à points bleu-céleste décorent
l'animal sacré, dont le corps est entièrement _noir_. Le fouet, placé
au-dessus de sa croupe, est l'emblème du pouvoir incitateur du dieu
que l'animal rappelle, symboliquement, à l'adoration des hommes, et le
serpent _Uræus_, coiffé de la portion supérieure du pschent, indique
la domination de cette divinité sur les régions d'en haut. Entre les
cornes du taureau s'élève un disque de couleur jaune; c'est celui de
l'astre dont Apis était l'image sur la terre. Les deux plumes bleues
qui surmontent le disque, emblèmes connus de _justice_ et de _vérité_,
ont un rapport direct à certaines fonctions funéraires que les
Égyptiens attribuaient au taureau Apis, et dont il sera bientôt parlé
dans l'un des articles suivants relatifs au même animal sacré.
[461] Voir JABLONSKI, _Pantheon Ægyptiorum_, livre IV, chap. II, qui
a réuni la plus grande partie des passages relatifs à Apis, tirés des
auteurs grecs et latins.
[462] CLÉMENT D'ALEXANDRIE, _Admonitio ad Gentes_, pag. 26, D.
[463] _Recherches sur les médailles des nomes_, par TOCHON, pages 54,
60, 73, 91, 100, 111, 117, 129, etc.
[464] _Idem_, pages 55, 56, 57, 63, 69, etc.
[465] Voir notre planche nº 32 et son explication.
[Illustration: 31.]
MNÉVIS.
(TAUREAU CONSACRÉ AU DIEU PHRÉ.)
D'IMPORTANTS et nombreux témoignages, épars dans les écrits des auteurs
grecs et latins, établissent qu'à Héliopolis, ville de l'Égypte
inférieure, voisine du sommet du Delta, et connue dans l'antiquité
par son docte collége de prêtres, on nourrissait religieusement, en
l'honneur du dieu éponyme de la cité, un taureau nommé _Mnévis_,
ΜΝΕΥΙΣ[466]. L'inscription de Rosette en citant, comme l'un des motifs
du décret qui décerne de grands honneurs au roi Ptolémée Épiphane, les
dons offerts à _Mnévis_[467] par la pieuse libéralité de ce prince,
prouve l'extrême vénération que l'on portait à cet animal symbolique.
Il n'est point douteux que, comme le taureau sacré de Memphis, celui
d'Héliopolis fût logé dans un édifice somptueux, qui était à la fois
la demeure et le temple de cette image vivante du dieu de la lumière,
auquel les habitants du nome héliopolite rendaient un culte si assidu.
C'est à ces faits seulement que se bornent en général les documents
fournis par les classiques anciens sur le taureau sacré _Mnévis_.
D'après un passage de Porphyre, cité par Eusèbe[468], cet animal,
qui surpassait en grosseur tous ceux de son espèce, était de couleur
_noire_, circonstance également notée par l'auteur du traité d'Isis
et d'Osiris; Porphyre prétend que cette couleur faisait allusion à la
chaleur du soleil, dont l'effet est de noircir la peau des hommes qui y
sont habituellement exposés, et il ajoute: _Testiculos habet_ (Mnevis)
_prægrandes quod rei venereæ cupiditas vî caloris excitetur, ipsaque
adeo sol naturam inseminare dicatur_. Les monuments égyptiens seuls
peuvent décider jusqu'à quel point nous devons avoir confiance dans les
détails que donne Porphyre sur le taureau _Mnévis_. Malheureusement il
ne reste rien des temples qui ornaient jadis la ville d'Héliopolis, et
l'on ne peut plus chercher parmi leurs bas-reliefs l'image de l'animal
sacré, qu'il serait si intéressant de retrouver sur les lieux mêmes où
il fut particulièrement honoré. Pignorius était tenté de reconnaître
_Mnévis_ dans l'un des taureaux représentés sur la table isiaque[469];
mais ce monument n'est qu'un ouvrage d'imitation et d'une époque peu
reculée; rien d'ailleurs n'autorisait encore ce savant à donner le nom
de _Mnévis_ à l'image d'un taureau qui ne réunit évidemment aucun des
caractères indiqués par Porphyre.
L'unique monument original et d'ancien style égyptien sur lequel nous
ayons reconnu une représentation authentique de _Mnévis_, existe
dans le Musée royal égyptien de Turin: sur le couvercle du cercueil
extérieur de la momie d'un prêtre nommé Schébamon, sont peints deux
taureaux; l'un, entièrement de couleur _noire_, est accompagné d'une
légende hiéroglyphique qui se lit: _le dieu Api_ ou _Apévé_; c'est
_Apis_ ou _Epaphus_, l'animal sacré de Memphis; l'autre taureau (voir
notre planche nº 31) est, au contraire, de couleur _jaune clair_, et
son nom propre se lit sans difficulté: _le dieu MNÉ_; c'est évidemment
l'orthographe égyptienne du nom que les Grecs ont écrit ΜΝΕ-ΥΙΣ, et
les Latins MNE-VIS. Cet animal sacré porte entre ses cornes le disque
du soleil qu'il représentait sur la terre; à son cou est attaché un
riche collier, dont le fermoir retombe sur sa croupe; son dos est
couvert d'une housse à fond rouge, surmontée du _fouet_, symbole de
l'_incitation_; devant le taureau sacré on a figuré l'uræus, emblème de
la _domination sur les régions supérieures_.
Cette curieuse peinture, reproduite dans notre planche 31, légitime
la conjecture de Pignorius, et nous donne en même temps le droit de
croire que Porphyre a, par erreur, attribué à _Mnévis_ les caractères
particuliers à l'un des autres taureaux sacrés de l'Égypte, _Onouphis_
ou _Pacis_, selon toute apparence.
[466] DIODORE DE SICILE, liv. Ier, pag. 79, édit. de
Rhodoman.--STRABON, liv. XVI, pag. 553, édit. de Is.
Casaubon.--MACROBE, _Saturnales_, liv. Ier, § 21.--ÆLIEN, _Histoire
des Animaux_, liv. XI, chap. 10.--PLUTARQUE, _Traité d'Isis et
d'Osiris_.
[467] τῳ τε Απει και τῳ ΜΝΕΥΕΙ πολλα ἐδωρησατο, ligne 31.
[468] _Préparation évangélique_, liv. III, chap. 13.
[469] _Mensa Isiaca._
[Illustration: 32.]
HAROERI.
(AROUERIS, AROERIS, APOLLON.)
PARMI les dieux égyptiens de la troisième classe, formes ou
transformations divines mises en contact avec le monde physique et
descendues jusqu'à la nature humaine par la voie de l'incarnation,
l'antiquité classique a nommé _Aroueris_ ΑΡΟΥΗΡΙΣ[470], personnage
mythique identifié avec l'Apollon des Grecs[471]. A ce témoignage
positif se joint encore l'autorité imposante d'un monument public du
premier ordre, le grand temple d'Ombos, en Thébaïde, dans lequel on lit
une inscription dédicatoire en langue grecque, gravée en creux[472]
sur le listel de la corniche d'une porte qui donne entrée dans une
des salles intérieures du temple. On y lit que les fantassins, les
cavaliers, et autres personnes stationnées dans le nome Ombite, ont
dédié ce secos _à Aröeris Apollon dieu grand_, ΑΡΩΗΡΕΙ ΘΕΩΙ ΜΕΓΑΛΩΙ
ΑΠΟΛΛΩΝΙ, pour la conservation du roi _Ptolémée_ et de la reine
_Cléopâtre_ sa sœur, dieux philométors[473].
Une seconde inscription sculptée sur le propylon (encore debout au
milieu des ruines de _Kous_ dans le voisinage de Thèbes) offre la
dédicace que la reine Cléopâtre et le roi Ptolémée, dieux grands,
_Philométors-soters_, firent de ce beau monument à _Aröeris dieu très
grand_, ΑΡΩΗΡΕΙ ΘΕΩΙ ΜΕΓΙϹΤΩΙ[474]. Mais ici le nom du dieu égyptien
n'est point accompagné de celui d'_Apollon_, auquel l'assimilèrent les
Grecs d'Égypte; toutefois l'identité voulue de ces deux personnages
reste néanmoins prouvée par le lieu même où se trouve cette seconde
inscription, _Kous_ que les Grecs nommaient en effet _la ville
d'Apollon_, la petite _Apollonopolis_.
Muni de renseignements aussi positifs sur les noms de la divinité
égyptienne à laquelle furent consacrés une partie du grand temple
d'Ombos et le propylon de Kous, il me devint facile de distinguer
dans les inscriptions et les nombreux bas-reliefs qui décorent
ces deux édifices, soit le nom égyptien du dieu, soit les formes
conventionnelles sous lesquelles il fut représenté. La planche
ci-jointe nous montre le dieu _Aröeris_ tel qu'il est figuré dans la
plus grande partie de ces tableaux d'adoration.
Le corps humain de cette divinité, debout ou assise sur un trône, est
peint ordinairement de couleur bleue; sa tête, celle d'un _épervier_,
porte la coiffure _pschent_, ⲡⲥϣⲛⲧ, symbole du pouvoir qu'exerce
Aröeris dans les régions supérieure et inférieure. Il tient dans ses
mains les insignes ordinaires des dieux.
Quant au nom égyptien de ce personnage, les mots ΑΡΟΥΗΡΙΣ ou ΑΡΩΗΡΙΣ,
abstraction faite de la finale toute grecque, en reproduisent
très-fidèlement l'orthographe égyptienne. Le nom hiéroglyphique du dieu
est tantôt symbolico-phonétique, tantôt symbolico-_figuratif_. Dans
le premier cas (lég. numéros 1 et 2), il se compose du nom symbolique
d'_Horus_, (l'épervier accompagné d'une note verticale), ϩⲱⲣ, HOR, qui
se prononçait ϩⲁⲣ, HAR, dans les composés, et du groupe phonétique
ⲱⲏⲣⲓ formé de l'_hirondelle_ et de la _bouche_[475], ce qui produit le
nom entier ϩⲁⲣⲱⲏⲣⲓ, HAROÉRI; dans le second cas (lég. numéros 3 et 4)
l'épervier symbolique est suivi d'un caractère représentant un homme
debout, vêtu d'une tunique longue ou courte et tenant dans sa main un
long sceptre pur, emblême de sa suprématie: ce caractère s'échange
constamment avec le phonétique ⲱⲏⲣⲓ dans tous les textes sacrés: l'un
est l'équivalent _figuratif_ de l'autre. Le mot ⲱⲏⲣⲓ signifie en effet
_aîné, le plus âgé_, et par suite _principal_ et _chef_ (_senior_)
dans toutes les inscriptions hiéroglyphiques; ϩⲁⲣⲱⲏⲣⲓ signifiait donc
_Horus l'aîné_ en langue égyptienne. La valeur de ce nom serait enfin
démontrée au besoin par l'assertion formelle de l'auteur du Traité
d'Isis et d'Osiris, selon lequel le dieu que les Grecs nommaient
_Apollon_ était appelé l'_aîné Horus_, ΠΡΕΣΒΥΤΕΡΟΝ ΩΡΟΝ, par les
Égyptiens.
[Illustration: 33.]
Cette dénomination établissait donc des rapports directs entre
_Haröeri_ et _Hôr_ ou _Harsiési_, c'est-à-dire _Horus fils d'Isis
et d'Osiris_; l'un était _Horus l'aîné, l'autre Horus le jeune_;
aussi les Grecs ont-ils d'habitude confondu ces deux divinités l'une
avec l'autre. Ils ne les distinguent que très-rarement, et cependant
_Haröeri_ occupait un rang supérieur à celui d'_Horus_ car, selon les
mythes sacrés, il était né avant ce dernier, quelque tradition que l'on
veuille adopter d'ailleurs relativement au dieu et à la déesse dont il
fut engendré.
D'après un certain récit _Haröeri_ serait un frère d'_Horus_, né du
même père et de la même mère: «_Isis et Osiris_, racontait-on, _étant
amoureux l'un de l'autre devant qu'ils fussent sortis du ventre de
Rhéa, couchèrent ensemble à cachettes, et disent aucuns qu'Aroueris
naquit de ces amourettes-là_[476]».
Une autre tradition voulait qu'Aröeris fût _le fils du Soleil et de
Rhéa_[477].
Enfin, selon Diodore de Sicile, l'Apollon égyptien naquit du dieu
Cronos (Saturne) et de la déesse _Rhéa_[478].
C'est la dernière de ces trois généalogies que les monuments égyptiens
originaux confirment de la manière la plus précise. On lit plusieurs
fois en effet, à côté d'images en pied du dieu Haröeri, dans le
grand temple d'Ombos, la légende suivante (lég. nº 5), dont voici la
transcription en caractères coptes: ϩⲁⲣⲱⲏⲣⲓ ⲡⲛⲏⲃ (ⲛ) ⲥⲁⲣⲏⲥ ⲡⲥⲓ (ⲛ) ⲥⲃ
ⲙⲓⲥⲉ ⲛⲛⲧⲫⲉ ⲡⲛⲧⲣ ⲛⲁⲁ: _Haröeri le seigneur de la région du Midi_ FILS DE
SÈV (Saturne) NÉ DE NATPHÉ (Rhéa), _dieu grand_[479].
Ainsi à Ombos le dieu Haröeri était considéré comme frère d'_Osiris_
et d'_Isis_. Sa mère Natphé le mit au monde le second jour épagomène,
c'est-à-dire dans le deuxième des jours complémentaires ajoutés à
l'année de 360 jours. Cette tradition qui d'abord nous a été conservée
par Diodore de Sicile et par l'auteur du Traité d'Isis et d'Osiris, se
trouve constatée par une série de tableaux que j'ai découverte dans les
restes du petit temple d'Ombos: chacun de ces tableaux est relatif à
l'un des jours épagomènes, et le _second_ représente le dieu _Haröeri_
en pied avec la légende (nº 6), dont voici la transcription copte:
ⲡⲧⲓⲟⲩ ϩⲟⲟⲩ ⲉⲩⲛⲧⲡⲉ ⲧⲉⲣⲟⲙⲡⲉ (ϭⲓⲛ) ⲙⲓⲥⲉ ⲛ ϩⲁⲣⲱⲏⲣⲓ. _Les cinq jours en
sus de l'année: naissance d'Haröeri._
La généalogie et le rang théogonique du dieu étant ainsi bien
déterminés par les monuments originaux, il reste à connaître ses
attributions particulières et les fonctions que lui attribuaient
les mythes sacrés dans le cercle du monde intellectuel ou du monde
physique. Ce sera le sujet d'un second article. Nous ne produirons ici,
parmi les titres donnés à ce dieu dans les inscriptions monumentales de
l'Égypte, que ceux-là seuls qui se rapportent à des fonctions d'Haröeri
communes à quelques autres divinités.
Outre les titres de _dieu grand_, de _seigneur du ciel_ et celui de
_dominateur de la région supérieure et inférieure_, symbolisé par le
_pschent_ sa coiffure ordinaire, _Haröeri_ reçoit habituellement le
titre de _seigneur d'Ombos_, ⲡⲛⲏⲃ ⲛ ⲛⲃⲓ (lég. nº 7), parce qu'il était
principalement adoré dans cette capitale de nome. La longue inscription
qui décore toute la partie droite de la frise extérieure du pronaos,
d'accord avec l'inscription grecque gravée sur une porte intérieure du
grand temple d'Ombos, prouve en effet que toute la partie gauche[480]
de ce grand édifice était dédiée à la divinité d'Aröeris, tandis que
tout le côté droit du temple fut consacré au culte de Sévek ou Sèb
(Saturne), le père d'Aröeris selon le récit mythique adopté dans le
nome ombite.
Les colonnes du pronaos de ce même temple nous montrent, parmi les
sculptures qui couvrent leur fût, une forme symbolique du dieu
_Haröeri_ d'autant plus remarquable, qu'elle nous dévoile l'origine
toute égyptienne de l'animal fantastique consacré par les Grecs à leur
Apollon, _le griffon_, monstre formé de la réunion d'une tête d'oiseau
de proie au corps d'un lion. Les Égyptiens représentaient aussi le dieu
Haröeri sous les apparences d'_un lion à tête d'épervier_, surmontée de
la coiffure pschent[481] avec la légende ϩⲁⲣⲱⲏⲣⲓ ⲱⲏⲣⲓ ⲙⲟⲩⲓ, _Haröeri
principal lion_ ou _lion chef_. On fera connaître dans un article
subséquent le sens de cette forme symbolique et toutes ses variations.
[470] Plutarque, _de Iside et Osiride_.
[471] ΑΡΟΥΗΡΙΝ... Ἀπόλλωνα δὲ ὑπὸ Ἑλλήνων, idem, ibid.
[472] Je me suis assuré, pendant mon séjour aux ruines d'Ombos
en 1829, que le champ du listel, sur lequel on a gravé cette
inscription, était jadis doré, et que toutes les lettres furent
remplies d'une couleur rouge éclatante.
[473] Voir _les Recherches pour servir à l'histoire de l'Egypte
pendant la domination des Grecs et des Romains_, par M. Letronne,
page 76 et suivantes.
[474] Dans l'ouvrage précité M. Letronne lit: Ἡλίωι θεῶι, μεγίστωι,
au lieu d'Ἀρωήρει θεῶι μεγίστωι que porte réellement l'inscription
originale; mais mon savant ami a été induit en erreur par la copie
fautive de cette inscription fournie par MM. Jomard et Chabrol, qui
n'ont point indiqué, comme l'a fait M. Hamilton, une fracture opérée
sur une portion des lettres formant le nom ΑΡΩΗΡΕΙ. En examinant
moi-même avec attention le monument original, en novembre 1829, j'ai
parfaitement distingué les lettres ΩΗΡΕΙ encore très-reconnaissables,
ce qui exclut sans réplique la leçon ΗΛΙΩΙ que donnent à tort les
deux membres de la commission d'Égypte.
[475] ⲱⲣ prononcé ⲱⲏⲣⲓ en suppléant les voyelles, comme le prouve
l'orthographe hiéroglyphique et hiératique des noms propres
égyptiens, que les Grecs ont transcrit πωηρις, οσορωηρις, Σενποηρις,
πετεαρωηρις, etc., etc.
[476] _Traité d'Isis et d'Osiris_, traduction d'Amyot, § XIII.
[477] Idem, Ibidem.
[478] Livre Ier.
[479] Bas-relief au fond du pronaos à droite, etc.
[480] A partir du fond du sanctuaire.
[481] Voir notre planche 33.2, sujet dessiné à Ombos.
[Illustration: 33.2.]
TÉSONÉNOUFÉ, TÉSONÉNOFRÉ.
NUL signe particulier ne distingue la déesse figurée dans notre planche
34, des nombreuses déesses égyptiennes auxquelles conviennent également
le _disque solaire_, distinction ordinaire des Héliades, _les cornes de
vache_, symbole de la nutrition ou de la qualité de déesse Nourrice,
_le modius_, symbole de l'Abondance, qui surmontent la coiffure formée
d'un _vautour_ les ailes éployées, constant emblème de la _maternité_.
La légende hiéroglyphique seule peut, en nous donnant son nom propre,
faire distinguer cette déesse de _Mouth_, d'_Hathor_, d'_Isis_, de
_Ritho_, de _Natphé_ et de toutes les _autres déesses_ mères en général.
Le nom entier de la divinité dont cette planche reproduit l'image se
lit (lég. nº 4)ⲧⲉⲥⲱⲛⲉ ⲛⲟϥⲣ[482], _Tésoné-nofré_ ou _Tésonénoufé_; et
ce nom signifie textuellement _la sœur-bonne, la bonne-sœur_. Les
légendes numéros 1, 2 et 3 en offrent les différentes variantes et toutes
les abréviations.
_Tésonénofré_ fut, selon les mythes sacrés, l'épouse et la compagne
fidèle du dieu _Haröeri_, l'_Apollon_ égyptien; et le nom même
de _Bonne-sœur_ que portait la déesse dut, sans aucun doute, la
faire assimiler par les Grecs à leur Artémis, Diane, qui secourut
efficacement sa mère, Latone, lorsque celle-ci accoucha de son frère
Apollon. Diverses légendes de _Tésonénofré_ prouvent en effet que, dans
l'opinion même des Égyptiens, cette déesse ne fut qu'une modification
de _Tafné_, l'une des formes de _Bubastis_, la Diane ou Artémis
égyptienne.
Toutefois dans les traditions _du nome Ombite_, l'un des siéges
principaux du culte d'_Haröeri_, son épouse, _Tsonénofré_, n'était
point sa sœur de père, puisque le dieu y était donné comme fils de
_Sév_ (_Cronos_ ou _Saturne_), tandis qu'on y traitait la déesse de
_fille du dieu Phré_ ou _fille du soleil_. Cette filiation résulte de
la légende nº 1 copiée dans le grand temple d'Ombos à côté de l'image
même de la déesse: ⲧⲉⲥⲱⲛⲉ ⲛⲟϥⲣ ⲛⲉⲃ ⲛⲃⲓ ⲧⲥⲓ ⲙⲡⲣⲏ ⲛⲉⲃ ⲛⲧⲡⲉ ϩⲟⲛⲧ ⲛⲛⲉⲛⲧⲣ
ⲛⲓⲃⲓ, TÉSONÉNOFRÉ _dame d'Ombos_, FILLE DU SOLEIL, _dame du ciel,
rectrice de tous les dieux_. La même descendance a été exprimée dans la
légende nº 5.
Cette fille du soleil faisait partie de la seconde des deux triades
divines adorées dans le nome Ombite et qui se composait d'_Haröeri_
(le père), _Tésonénofré_ (la mère) et _Pnébtho_ (leur fils). Plusieurs
tableaux sculptés sur le fût des colonnes ou sur les parois intérieures
du grand temple représentent les trois membres de cette triade réunis,
recevant les offrandes de Ptolémée Philométor et de Cléopâtre sa femme.
Ailleurs la déesse accompagne son époux Haröeri ou partage avec son
fils _Pnébtho_ les adorations de Ptolémée Évergète II, ou celles de
Cléopâtre Cocce et de Ptolémée Soter II.
Outre les qualifications de _dame du ciel_, _d'œil du soleil_ et de
_dame d'Ombos_, qui appartenaient à _Tsonénofré_ comme fille du dieu
_Phré_ (le soleil), et comme l'une des divinités spéciales de la ville
d'Ombos, nous avons remarqué les titres suivants relatifs aux charmes
et à la beauté de la déesse: ⲡⲉⲥϩⲟⲛⲟϥⲣ, _déesse au beau visage_, ϩⲁⲁⲕ
ⲛⲉⲛⲧⲣ ⲛⲙⲉⲓⲟ ⲛⲉⲥⲛⲟϥⲣ, _celle qui réjouit les dieux par la vue de ses
beautés_[483].
[482] Le groupe hiéroglyphique phonétique formé du _téorbe_,
du _céraste_ et de la _bouche_, ⲛϥⲣ, répond dans tous les
textes hiéroglyphiques aux deux adjectifs coptes ⲛⲟϥⲣⲉ et ⲛⲟⲩϥⲉ
indistinctement.
[483] Ces titres sont sculptés à la suite du nom propre de la déesse
dans les inscriptions des bas-reliefs de la seconde salle du temple
d'Ombos.
[Illustration: 34.]
*** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 74228 ***
Panthéon égyptien
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Cet ouvrage est incomplet du fait de la mort prématurée de
Champollion. Il devait contenir initialement environ 450 pages et
200 planches, (chiffres donnés dans _Les conditions de la
souscription_). Seulement 90 planches ont été réalisées.
Elles ont été renumérotées.
Léon Jean Joseph Dubois signale dans une note manuscrite, au début de
l'exemplaire de Gallica:
«Il est arrivé plusieurs fois qu'une planche et le texte qui contient
son explication, portent des...
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— End of Panthéon égyptien —
Book Information
- Title
- Panthéon égyptien
- Author(s)
- Champollion, Jean-François
- Language
- French
- Type
- Text
- Release Date
- August 11, 2024
- Word Count
- 69,414 words
- Library of Congress Classification
- BL
- Bookshelves
- Browsing: Archaeology, Browsing: History - Ancient
- Rights
- Public domain in the USA.
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