*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 74499 ***
GHÂT
ET
=LES TOUAREG DE L’AÏR=
OUVRAGES DU MÊME AUTEUR
* * * * *
_Le Sahara_ (Paris, Hachette, 1893, in-8o) 10 fr.
_Pourquoi Flatters et ses compagnons sont morts_ (Paris, Challamel,
1896, brochure in-8o) 1 fr.
* * * * *
Lyon. — Imp. PITRAT AINÉ, A. Rey Successeur, 4, rue Gentil. — 17697
LE
DERNIER RAPPORT D’UN EUROPÉEN
SUR GHÂT
ET
=LES TOUAREG DE L’AÏR=
=(JOURNAL DE VOYAGE D’ERWIN DE BARY, 1876-1877)=
TRADUIT ET ANNOTÉ
PAR
HENRI SCHIRMER
Professeur de Géographie à l’Université de Lyon.
[Décoration]
PARIS
LIBRAIRIE FISCHBACHER
(Société anonyme)
33, RUE DE SEINE, 33
* * * * *
1898
=NOTE DU TRADUCTEUR=
* * * * *
C’est un nom peu connu en France que celui d’Erwin de Bary. Sa
dépouille repose ignorée dans un coin de l’oasis de Ghât, et
l’on ne songe guère à lire, dans la revue étrangère où il a
été imprimé jadis, son journal de route, seule trace qui reste
de son activité évanouie. Cependant son œuvre inachevée mérite
mieux que cet oubli.
L’Aïr, où il a pénétré, est une des contrées les plus
curieuses et les moins connues du globe. Ses montagnes, son climat
sont encore un problème pour le géographe. Pour le naturaliste,
c’est un de ces pays d’élection où ont pu survivre quelques
échantillons de flore et de faune, témoins d’une époque
antérieure et d’un climat disparu. L’historien y cherche la
trace d’une civilisation nègre très ancienne, et celle des
relations qui unirent peut-être l’Egypte antique au coude du
Niger. Le commerçant y voit la station la plus importante de la
route la plus facile qui traverse le Sahara.
Or, ce pays n’a été que deux fois l’objet d’une exploration
européenne. Les résultats de la première, celle de Barth et
Richardson (1850), sont universellement connus. La seconde (1876)
est celle dont nous publions la traduction aujourd’hui.
On ne trouvera pas chez Erwin de Bary cette profonde érudition
d’orientaliste, ni cette faculté d’investigation merveilleuse,
qui ont rendu presque inimitable son immortel prédécesseur. Mais il
a noté avec une conscience rare tout ce qui lui semblait de nature à
intéresser un explorateur, et même en pays déjà parcouru, comme à
Ghât par exemple, il a su observer bien des faits nouveaux. De plus,
on est assuré de trouver en lui un observateur sincère. Aucune
préoccupation politique ou commerciale n’a influé sur son
jugement. Son rêve a été celui d’un naturaliste : étudier
les parties inconnues du Sahara méridional. Erwin de Bary fut un
des derniers adeptes de cette école d’explorateurs du milieu
du siècle, qui ont eu pour seule ambition le développement des
connaissances humaines.
Aujourd’hui que cette région est en quelque sorte réservée
par traité à l’exploration scientifique française, il nous a
donc paru utile de mettre à la portée du lecteur français cette
dernière relation d’un témoin oculaire. Elle comprend deux
parties d’origine différente :
1o Un rapport, rédigé à Ghât par le voyageur, au retour de son
voyage dans le Tasili jusqu’à l’Oued-Mihero, et publié en 1878
dans la _Zeitschrift_ de la Société de géographie de Berlin ;
nous en donnons la traduction, en y ajoutant quelques pages qui nous
ont semblé dignes d’être reproduites, et que nous empruntons au
carnet de route in-extenso ;
2o A partir du 1er novembre 1876, ce journal de route lui-même[1],
écrit au jour le jour, et que le voyageur n’a pas eu le temps
de revoir. Il eût été facile de faire le travail dont il se fût
certainement acquitté lui-même, c’est-à-dire de mettre un peu
d’ordre dans ces notes prises sur le moment. Nous avons dû nous
incliner devant la nécessité supérieure de ne pas introduire dans
ce récit un mot qui n’ait pas été écrit par le voyageur. Nous
avons seulement élagué quelques détails purement personnels et
des redites qui auraient rendu la lecture fastidieuse, et nous avons
tâché de suppléer par un index des noms géographiques au manque
d’ordonnance des matières.
Nous n’avons pas eu à nous occuper de la construction de
l’itinéraire, déjà porté sur les feuilles 12 et 19 de
l’excellente carte d’Afrique au 1/2.000.000, dressée sous la
direction du commandant de Lannoy de Bissy. Quant aux indications
de température, pression barométrique, etc., éparses dans le
journal de route, on les trouvera réunies à la fin de ce volume,
sous forme de registre météorologique, à côté de deux notes
rédigées par le voyageur lui-même sur la géologie du Sahara
central et sur la végétation de l’Aïr.
H. SCHIRMER.
* * * * *
=NOTICE BIOGRAPHIQUE=
* * * * *
Erwin de Bary est issu d’une famille très ancienne, dont on
retrouve le nom parmi la chevalerie qui suivit Philippe-Auguste à
la troisième croisade, et dont la patrie d’origine est la vieille
cité franque de Tournay. Vers 1675, après que Tournay eut cessé
de faire partie du royaume de France, cette famille, qui avait
embrassé la Réforme, dut émigrer pour fuir les persécutions
de l’Inquisition espagnole, et s’établit successivement à
Francfort, à Amsterdam et enfin en Bavière[2], où Erwin de Bary
naquit en 1846. Il étudia d’abord les sciences naturelles aux
Universités de Leipzig et de Zurich, puis à Munich où il acquit
en 1869 le diplôme de docteur en médecine. En même temps, déjà
docile à sa vocation africaine, il se pénétrait de Barth et de
Duveyrier, et apprenait l’arabe et le dialecte des Touareg du
Nord. En 1873, toujours hanté par son rêve, il alla s’établir
médecin à Malte, pour être plus à portée de l’Afrique et
se familiariser davantage avec les usages de la Tripolitaine et du
Fezzan. Il fit à cet effet, en 1875, une excursion préparatoire dans
les monts du Ghourian[3]. Un an plus tard, il partait définitivement
de Tripoli pour Ghât, avec la caravane d’un marchand tripolitain.
Lui-même se faisait passer pour un médecin turc et arriva sans
encombre, le 10 octobre 1876, dans la célèbre cité saharienne.
On verra par son journal de route à quelles difficultés il se heurta
par la suite. Obligé de renoncer à son projet d’exploration
du Hoggar, arrêté successivement, dans sa marche audacieuse,
sur le plateau de Tasili et dans l’Aïr, il rentrait à Ghât,
le 3 octobre 1877, ayant essuyé de grandes fatigues, mais plein
d’espoir. « Dans quinze à vingt jours, écrivait-il le même soir,
je compte retourner dans l’Aïr. Ma santé est excellente. »
Moins de vingt-quatre heures après il était mort. Il avait
achevé gaîment sa soirée chez le Kaïmakam, à causer avec
ses connaissances. A six heures du matin, son serviteur voulut le
réveiller, mais il ne put y parvenir, bien qu’il le secouât
de toutes ses forces. « Sa respiration, dit un rapport officiel,
était celle d’un homme profondément endormi. » Lorsqu’on
revint le voir vers dix heures, il était déjà raide et froid.
Cette fin étrange était-elle la suite de ses privations et de ses
fatigues ? ou n’a-t-il pas plutôt succombé à l’absorption
d’un narcotique, d’un de ces poisons que les notables de Ghât,
à ce qu’il rapporte lui-même, avaient coutume de faire venir de
Tunis ? Dans son inexpérience, l’infortuné voyageur avait excité
plus d’un soupçon, commis plus d’une maladresse. Faut-il croire
à un acte de fanatisme, ou encore à un ressentiment personnel,
longuement dissimulé, et qui se serait traduit par un crime le
jour où, contre toute attente, de Bary revint sain et sauf de
l’Aïr ? C’est une de ces sinistres énigmes dont le Sahara
garde le secret.
* * * * *
GHÂT
ET
=LES TOUAREG DE L’AÏR=
* * * * *
CHAPITRE PREMIER
=LA VILLE DE GHÂT=
Ghât, vue du dehors, a un air de forteresse. C’est à peine si
quelques petites portes interrompent l’uniformité de la longue
muraille de terre brune, qui fait à la cité une ceinture dentelée
de créneaux. Le drapeau turc flottait sur le point culminant de la
ville. Des hommes de haute stature, drapés dans de longs vêtements
blancs, entraient et sortaient par ces petites portes, sous lesquelles
ils étaient obligés de se courber profondément ; çà et là on
apercevait l’uniforme d’un soldat turc. Ce calme et ce silence
avaient quelque chose d’étrange pour moi qui étais habitué
à trouver aux abords des villes l’encombrement et la rumeur de
la foule et des chariots. Ici il n’y a point de voitures et même
point de rues ; rien que d’étroites ruelles où le sable abonde et
étouffe jusqu’au bruit des pas. Toutes les portes sont gardées par
des soldats, qui se font livrer les armes de ceux qui entrent et les
leur restituent à la sortie. Dans la ville, beaucoup d’habitants
me saluèrent, en exprimant leur satisfaction de voir arriver un
médecin ; ils croyaient que j’allais rester désormais ici. Une
ruelle escarpée nous mena aux ruines d’un ancien château qui
occupait jadis le sommet de la colline, aujourd’hui complètement
envahie par les maisons ; tout à côté est celle de Hadj Mustapha,
où j’ai élu provisoirement domicile.
L’architecture des maisons est remarquablement primitive. Presque
toujours on pénètre par le vestibule (_skifa_) dans une cour
carrée donnant accès à trois chambres ou magasins qui occupent
chacun un côté du bâtiment. Il n’y a point de second étage, ni
de fenêtres : la lumière pénètre par la porte et par de petits
trous pratiqués _ad libitum_ dans la muraille en terre. Nulle
part on ne trouve de clous plantés dans les murs, car l’argile
s’effrite trop facilement ; on se sert de longs piquets de bois,
qui sont d’un bien meilleur usage. Les portes sont également sans
ferrures : elles sont faites de planches de palmier réunies par des
lanières de cuir. Voilà comment sont toutes les maisons de Ghât ;
celle du kaïmakam même ne se distingue pas des autres.
Ici, il n’est pas d’usage de laisser se reposer les arrivants ;
la maison se remplit aussitôt de visiteurs qui, toute la journée,
ne font qu’entrer et sortir. Chacun cherche à se renseigner
autant que possible sur la situation de l’étranger, pour supputer
la valeur des présents qu’il se laissera extorquer ; chacun se
recommande à lui et vante sa propre influence et son autorité,
beaucoup demandent déjà un cadeau provisoire en attendant.
Parmi tous ces hommes voilés, je retrouve avec plaisir deux vieilles
connaissances : le _hadj_ Mohammed Dedekora, que j’ai connu à
Tripoli lors de son voyage à la Mecque, et un jeune marchand de
Tounine[4], que j’avais soigné à Tripoli et qui m’en a gardé un
souvenir reconnaissant. Ce sont eux qui m’ont aidé à reconnaître
dans la foule des Touareg qui m’entourent les personnages qui sont
d’importance pour moi.
Le kaïmakam de Ghât, Es-Safi, m’a fait le meilleur accueil. Il
m’a reçu avec ces mots : « Cette ville appartient au Sultan,
tu es ici tout autant en sûreté que dans toute autre ville des
Osmanli ; les Touareg n’ont aucun droit à l’intérieur des
murs ; si l’un d’eux venait à t’obséder de ses réclamations,
tu n’aurais qu’à m’en instruire, et je te ferais avoir la
paix. » Es-Safi est un homme aussi intelligent qu’énergique et
qui sait admirablement comment traiter les Touareg. C’est le fils
de ce Hadj-el-Amin qui, nous le savons par Duveyrier[5], avait fait
tous ses efforts pour décider les Turcs à l’annexion de Ghât. Ce
qui n’avait pas réussi au père a profité maintenant au fils.
Une garnison d’environ deux cents hommes occupe la ville et donne
au _kaïmakam_ une autorité et un prestige qui s’étendent
au loin[6]. Sur l’esplanade, entre la mosquée et la caserne,
stationne un canon en acier, se chargeant par la culasse, avec
l’inscription : _Carlsruhe, 1872_. Ce canon tonne aux solennités
religieuses et autres fêtes, et le bruit qu’il fait remplit
les Touareg d’admiration. Ils se figurent qu’en cas de guerre
l’effet de cette unique pièce serait énorme, de sorte que
l’effet moral est considérable pendant la paix.
Les habitants de Ghât et les marchands étrangers sont naturellement
enchantés de l’occupation de la ville. Auparavant, ils étaient
entièrement à la merci des caprices des Touareg et n’étaient
sûrs ni de leur fortune ni de leur vie. Il fallait contenter
les cheikhs des différentes tribus, avant de se risquer sur leur
territoire, et ces rançons atteignaient un chiffre considérable,
car il suffisait d’un mécontent pour rendre problématique la
sécurité si chèrement acquise. Dans la ville même, les Touareg
se conduisaient comme en pays conquis. Si à leur appel une porte
ne s’ouvrait pas assez vite, ils la brisaient, et les habitants
pouvaient s’estimer heureux s’ils échappaient aux coups. Le
Targui prenait sans façon les objets qu’il trouvait à son gré,
et malheur à qui voulait protester ! C’est ainsi que les choses
se passaient autrefois[7]. Comme tout a changé depuis !
Avant d’entrer dans la ville, le Targui est forcé de déposer ses
armes, et on ne les lui rend qu’à la sortie[8]. C’est en vain
qu’il veut se faire nourrir aux dépens d’autrui ; rarement une
porte s’ouvre devant lui, et s’il se laisse aller à son penchant
à la violence, le kadi le condamne sans merci à la peine de la
prison, qui est pour lui un châtiment intolérable. Affamé et mal
vêtu, il erre dans les rues, maudissant intérieurement les Turcs,
qui ont introduit ici des lois étrangères. La situation des chefs
est naturellement meilleure, car s’ils n’ont pas d’autorité
dans l’intérieur de la ville, ils n’en restent pas moins les
seuls maîtres du désert, et ils continuent à imposer les caravanes
qui paient pour passer sans encombre.
Pour éviter les querelles, les cheikhs se sont partagé, une fois
pour toutes, les droits de protection qui se transmettent comme un
héritage. C’est ainsi que chaque marchand de Ghadamès compte
parmi les Azdjer un ou plusieurs patrons à qui il paie chaque fois 7
thalers[9], sans compter 2 _rial_ par charge de chameau. Voilà ce que
le marchand est tenu de donner suivant la coutume ; mais ce n’est
pas tout. S’il veut vivre en bons termes avec les chefs touareg,
il lui faut faire des cadeaux dont la valeur, s’il est riche,
dépassera de beaucoup les taxes régulières. On conçoit que les
Touareg attachent le plus grand prix à cette source de revenus, et
que chacun défende sa part avec une inquiétude jalouse. C’est
la question de savoir par qui serait protégé un riche marchand
de Ghadamès qui a été cause de la longue guerre allumée,
aujourd’hui encore, entre les Hoggar et les Azdjer.
Chose curieuse, un Ghadamésien qui va au Soudan, par Ghât n’a
point de taxe à payer[10] ; mais il donne 40 _rial_ au retour. Les
Tébous de Djiouaï et d’Aguelal paient à Ikhenoukhen seul une
somme de 2 _rial_ par tête d’esclave ou par charge de chameau. Les
Kel-Ouï sont exempts de toute taxe[11].
L’administration turque n’a pas touché à cet état de choses,
et ne percevra ni impôt, ni douane pendant les deux premières
années de l’occupation ; mais, plus tard, la situation changera
sans doute au détriment des Touareg, qui perdront peu à peu leur
indépendance[12]. Et pourtant — on s’en aperçoit à bien des
symptômes — les seigneurs du désert trouvent déjà intolérable
la domination très atténuée qu’on leur impose aujourd’hui. Il
est vrai que Ikhenoukhen a reçu le burnous d’investiture, et
qu’il attend tous les jours l’arrivée du firman de Stamboul ;
mais les autres chefs des Azdjer ne se tiennent pas pour liés par
la démarche de leur émir, et ne manquent pas de protester —
souvent de la façon la plus irrespectueuse — chaque fois qu’on
leur parle de la souveraineté du Sultan.
Si les Turcs essayent de gouverner davantage et surtout s’ils
exigent des tribus touareg le payement d’une taxe quelconque,
on peut être assuré qu’il y aura des conflits. Les Touareg
n’appellent-ils pas leurs voisins du Fezzan de façon méprisante :
« Les gens qui payent l’impôt. »
L’annexion de Ghât est due en première ligne au cheikh
Hadj-el-Amin et à sa famille, qui tenait à s’assurer le
gouvernement de la ville, et en second lieu aux efforts de tous les
négociants étrangers, qui avaient à se plaindre des exactions
des Touareg. Ikhenoukhen ne s’est joint à leurs instances qu’au
moment du plus grand péril, alors que les Hoggar lui avaient infligé
les pertes les plus sensibles et qu’il n’avait que le choix de
se soumettre à eux, ou d’appeler les Turcs à son secours. Il
opta pour le dernier parti. Mais les tribus n’ont aucune sympathie
pour les Turcs et regardent Ahitaghel, l’émir hoggar, comme le
futur chef des Touareg[13], tandis qu’Ikhenoukhen a perdu tout
son prestige.
Mon arrivée à Ghât a donné lieu chez les Touareg à un débat
très vif : il s’agissait de savoir qui avait droit à mes
présents. Après de longues discussions, il a été convenu que
l’héritier de Hatita, le protecteur de l’expédition anglaise
de Richardson, était seul qualifié pour les recevoir. D’après
la coutume targuie, c’est le fils aîné de la sœur aînée qui
hérite, et c’est ainsi qu’Othman, un chef des Imanghasaten,
est devenu mon protecteur.
La persistance des hostilités entre les deux grandes fractions
des Touareg du Nord ne me permettait pas de songer à l’objet
principal de mon voyage, c’est-à-dire à l’exploration du
massif de l’Ahaggar. Je voulus au moins tenter de pénétrer
jusqu’au fameux lac Mihero, pour y vérifier la présence des
crocodiles. Lorsque je fis part de ce projet à mes nouveaux amis,
ils furent d’avis que je ne pourrais me risquer aussi loin en
pays ennemi qu’à la faveur d’un _rhezou_ opérant dans le même
sens. Othman se déclara prêt à me guider. Comme on avait déjà
convoqué les guerriers pour une nouvelle incursion en pays hoggar,
je dus faire mes préparatifs sans retard. Le lieu de rassemblement
des Touareg Azdjer était Dider ; et les tribus s’y rendaient de
toutes parts, de sorte que je pouvais traverser le pays sans grand
danger. Mon départ eut lieu si vite, que je dus laisser à Ghât
mes lettres et mon rapport inachevés.
Nous laissons là un instant le rapport du voyageur qui continue
au chapitre suivant par le récit de son voyage au Tasili, et nous
extrayons du journal de route _in extenso_ les notes suivantes,
relatives à ces premiers jours de résidence à Ghât.
_10 octobre._ — Nombreuses visites de Touareg. Mohammed Dedekora
me dit que la famille des Imanan[14] ne compte plus que deux hommes
et sept femmes ; les autres ont été tués dans la dernière que
relie qu’ils ont eue avec les Oraghen. Les Imanan habitaient ici
avant la venue des autres Touareg, mais durent peu à peu subir la
loi du plus fort.
Les Touareg n’ont qu’une femme et pas de concubines esclaves. Les
plus belles sont les femmes des Imanan.
_11 octobre._ — Dedekora me donne des détails sur
l’assassinat de Dournaux-Dupéré. Il fut tué sur la route
de Ghât entre El-Mouilah et Timassinine[15]. Les quatre
Ifoghas qui accompagnaient les Français en qualité de guides
avaient prémédité l’assassinat. Quatre autres Ifoghas[16]
attendaient sur la hamâda sous une tente ; lorsque les voyageurs
s’approchèrent, le négociant Joubert voulut prendre son fusil,
mais ses compagnons ifoghas le rassurèrent en lui disant que
c’étaient des gens d’Ikhenoukhen. M. Joubert fut immédiatement
massacré. Dournaux-Dupéré voulut fuir, mais il fut immédiatement
rejoint et tué, car il n’avait pas d’armes. Parmi les meurtriers
qui avaient attendu sous la tente, on dit qu’il y avait un
Khamta. Les Français savaient que les Ifoghas étaient en mauvais
termes avec Ikhenoukhen. L’on me dit même que, s’ils étaient
venus avec Khetama, on les aurait sans doute tués de même[17].
Lorsqu’un Targui fait un serment et veut tenir sa parole, il porte
trois fois sa main droite à son front. Tous les Touareg ont cette
coutume qui s’appelle _timmi_. Cette cérémonie est nécessaire
lorsqu’ils donnent l’_aman_, sans quoi l’on ne peut se fier
à leur parole.
Le jeune fils du cheik Eg-Bekr vient me rendre visite et veut à toute
force que je lui donne un burnous de drap. Il crie et tempête parce
que je l’éconduis. Son père est l’assassin de Mlle Tinné[18].
Mon ami de Tounine me dit que les Azdjer comptent environ trois cents
guerriers, et les Hoggar mille[19], autrefois c’était les Azdjer
qui étaient le plus nombreux.
_12 octobre._ — Je vais avec Hassan à Tounine, qui est situé au
nord de la ville. C’est un village à part, dont les habitants sont
en relations d’amitié avec les Hoggar. C’est pourquoi un garçon
de Tounine ne peut se risquer à Ghât : il serait battu par la
jeunesse de cette ville. Par contre, les chérifs de Tounine jouissent
d’une grande autorité. Ils sont originaires de Touât[20].
J’ai vu dans le jardin de palmiers un oranger et un citronnier que
le cheikh a rapportés de Tripoli, il y a trois ans. L’un de ces
arbres a péri, mais l’autre est devenu très haut et se trouve
en ce moment tout chargé d’oranges jaunissantes. Les figuiers
portent également des fruits, mais sont petits encore[21]. Je note
une quantité de grenades ; elles sont blanches au lieu d’être
rouges. On cultive la vigne sur des claies, à la hauteur d’environ
3 pieds au-dessus du sol. Le _brambach_ pousse tout seul et a ici
des feuilles énormes[22].
On trouve des _Melania teberodata_[23] en grand nombre dans une
source de Tounine et dans les canaux d’irrigation. La plupart des
individus sont de petite taille.
Au retour j’aperçois de loin les huttes d’Ikhenoukhen ;
lui-même est assis devant l’une d’elles. Il a maintenant cent
deux ans[24]. Son légitime successeur est Kelala, mais celui-ci est
de caractère faible, presque un marabout ; aussi est-ce Eg-Bekr qui a
le plus d’influence[25]. On sait que les Arabes de l’Oued Châti
et les Azdjer ont battu les Hoggar près du mont Tifedest. Malgré
cette défaite, les Hoggar sont encore en possession de la majeure
partie du butin, et c’est pour cela qu’Ikhenoukhen ne veut pas
entendre parler de paix, car il a perdu presque tous ses troupeaux
et, qui plus est, deux de ses fils.
Le _kaïmakam_ a entendu parler de mon excursion à Tounine et me
fait dire aussitôt de ne pas aller hors des murs de la ville sans
un soldat d’escorte, car on ne peut se fier aux Touareg. Je dois
lui dire où je veux aller, et il me donnera toujours un homme pour
m’accompagner.
Les Touareg qui sont le plus purs de race sont les Aouélimiden ;
ce sont aussi les plus nombreux[26]. Leurs tribus se font en ce
moment la guerre.
Le _kaïmakam_ me montre une tige de crinoïde[27] qu’on a trouvée
aux environs de Ghât. On me dit que le mont Oudân[28] renferme de
l’or, mais que les chrétiens seuls sauraient l’y chercher.
Othman, neveu de Hatita, vient me rendre visite, en compagnie
d’Eg-Bekr. Le premier me réclame cent thalers, et son compagnon
cinquante. Comme je me récrie et leur demande pourquoi je dois payer
une somme aussi forte, Osman répond que je n’ai pas à payer pour
mes marchandises, mais pour ma tête. Je chassai l’insolent et
lui déclarai que Ghât n’était plus son pays, mais appartenait
au sultan, ce qui le mit fort en colère.
Lorsqu’un Targui parle du sultan, il met un peu de sable sur le
creux de sa main et souffle dessus en manière de dérision.
_13 octobre._ — Visite de mon ami Hassan de Tounine. Il a la
fièvre, et je lui donne de la quinine. En général, il y a beaucoup
de fièvres dans cette région[29].
Eg-Bekr[30] est du parti d’Ikhenoukhen, dont il a épousé une
fille. Si ce dernier meurt, Kelala deviendra émir de droit, mais il
est d’humeur trop douce pour avoir de l’influence ; par contre,
Eg-Bekr est redouté de tous pour sa violence, et c’est lui qui
a par suite le plus d’autorité.
A midi je suis allé pour la première fois à la mosquée, qui est
bâtie en terre, basse et sale à l’intérieur ; elle était bondée
de fidèles. On m’a regardé, mais sans rien dire. Sammit[31],
qui voulait m’accompagner, a disparu au dernier moment.
_17 octobre._ — D’après les renseignements fournis par mon ami
Dedekora on trouve à Ghât les quatre tribus suivantes[32] :
1o Les Ihadjenen, comprenant trois fractions ;
_a)_ Les Aït Tedjenen Hana, nombreux ;
_b)_ Les Aït el Mokhtar, peu nombreux ; c’est la tribu de Safi ;
_c)_ Les Aït Hamouden.
Tous ces Ihadjenen descendent des Tinylkoum.
2o Les Kel Rhapsa[33], eux aussi, sont de race Tinylkoum, mais ne font
pas partie des Ihadjenen. A une époque reculée, avant que ces tribus
ne vinssent à Ghât, cette ville était occupée par les Imekamesan
et les Kel-telek, dont on trouve encore aujourd’hui quelques
descendants dans la ville. Les quatre tribus sus-nommées vinrent à
Ghât après l’époque du prophète, et y trouvèrent les Imekamesan
et les Kel-telek. Les Imekamesan avaient été établis auparavant
à Halelberess, tout près de la ville, et les Kel-telek à Angaïan,
également dans le voisinage, où ils avaient une forteresse.
_15 octobre._ — Voilà trois jours que nous avons du _guebli_,
le ciel est tout gris et on dirait que tout le pays est dans le
brouillard. On me dit qu’à Ghât il en est souvent ainsi. Tout
le monde se sent malade ; on se plaint de lassitude de tous les
membres ; bien des gens ont de la conjonctivite. A midi grande
tempête de sable ; tout est enveloppé d’une brume grise ;
de ma petite terrasse on ne voit même plus les maisons voisines,
et la poussière affecte douloureusement les yeux.
— L’oncle de Hassan de Tounine me dit qu’il y a sur le mont
Oudân une espèce d’arbres au bois dur comme du fer, et qu’on
ne trouve pas ailleurs, même pas au Soudan.
Cet après-midi je reçois la visite de Mohammed Tini, le jeune,
qui me demande des remèdes. Tini a des esclaves pour commis à
Tombouctou, à Kano, à Kouka et dans l’Adamaoua. Il dit que, si
je pouvais aller chez les Hoggar, ce serait le plus court chemin pour
aller à Tombouctou. Une autre route va droit à l’ouest, mais les
pillards Aouélimiden la rendent très dangereuse. La route la plus
sûre est toujours celle du Soudan, mais c’est aussi la plus longue.
_16 octobre._ — J’apprends aujourd’hui qu’une grande caravane
est venue d’Algérie à Ghadamès ; il s’y trouve trois Français
qui ont un serviteur musulman ; ils veulent aller au Hoggar, et
emportent beaucoup de marchandises[34].
Eg-Bekr et Hadj-ech-Cheikh sont une seule et même personne[35].
Aujourd’hui Safi m’a fait venir, et j’ai trouvé chez lui Hadj
Mustapha Sammit, Othman et trois autres Touareg. Safi m’a déclaré
d’un ton quelque peu solennel que les Touareg s’étaient accordés
à reconnaître qu’Othman est celui qui a le plus de droits
sur moi[36], je dois donc lui donner autant que ce que donnent les
Ghadamésiens ; comme il ne veut pas de burnous, Sammit est d’avis
que je dois donner 10 thalers. Othman se déclare prêt à partir
demain avec moi pour l’oued Mihero ; mais je veux voir d’abord
s’il ne se produit pas d’autres prétentions, afin qu’on ne
me suscite pas de difficultés en route. Othman a la physionomie
d’un coquin ; ses yeux obliques et luisants me font songer à
un Japonais. Il paraît que son frère est tout le contraire : un
homme éminent sous tous les rapports ; mais les Hoggar l’ont si
grièvement blessé, qu’il ne se rétablira jamais. J’espère
partir d’ici avant que les Français n’arrivent, pour éviter
des commentaires qui leur nuiraient à eux comme à moi.
Dedekora me déclare que j’ai maintenant tous les droits
d’un Musulman ; nul n’oserait, dit-il, vérifier si je suis
circoncis ou non[37] ; c’est là, selon lui, chose tout à
fait secondaire. J’ai rendu visite à Mohammed Dedekora dans sa
maison. Il possède Ibn-Khaldoun, Bokhari[38] et beaucoup d’autres
livres.
J’ai vu quelques Tibbous qui attendent le moment de se joindre à
une razzia ; j’espère qu’elle n’aura pas lieu. Ces gens sont
laids, noirs[39], ont la bouche grande et une taille moins élevée
que les Touareg.
_17 octobre._ — Cet après-midi je reçois la visite d’Othman et
d’Oufenaït[40]. Ce dernier me réclame également l’_aada_[41],
et Othman me dit de lui donner quelque chose, puisqu’il est aussi
un cheikh ; mais comme Safi m’a dit expressément que je ne dois
l’argent qu’à l’un des deux, je réponds négativement,
ce qui donne lieu à une désagréable querelle entre les deux
chefs, à laquelle je mets fin en les priant de venir avec moi chez
le kaïmakam. Nous le trouvâmes dans la rue, assis avec beaucoup
d’amis, parmi lesquels Sammit, et qui s’écartèrent dès qu’ils
nous virent approcher. J’allai droit à lui et lui expliquai la
chose ; sur quoi il me tranquillisa en m’assurant que je ne devais
rien à personne, sauf à Othman. Peu à peu les autres chefs se
rapprochèrent, mais sans faire aucune allusion à notre affaire.
Au retour, je rendis visite au vieux Ikhenoukhen. Une jeune fille ou
une femme était assise, voilée, à côté de lui. Il parla beaucoup
des Français et dit que la Prusse et la Russie faisaient cause
commune contre la France ; que les Allemands étaient toujours en
relations avec les Russes et étaient aussi les ennemis du Sultan. Je
protestai du contraire, mais il ne me crut pas, et continua à
sourire d’une façon quelque peu enfantine[42].
_18 octobre._ — Ce matin, je vois de ma terrasse les Touareg assis
devant leurs paillottes, dans la plaine, au sud de la ville, leurs
longues lances fichées dans le sable devant eux. Souvent aussi ils
campent sur les nombreuses dunes qui s’étendent à l’est de
Ghât. De grands troupeaux de petites chèvres vont au pâturage,
sous la conduite d’un esclave. Les femmes vont aux sources — il
y en a un grand nombre dans le voisinage — et cherchent de l’eau
dans de grandes cruches rondes ; d’autres esclaves poussent des
ânes chargés de fumier pour les jardins. Le ciel, comme notre ciel
d’été, n’est pas entièrement sans nuages.
Aujourd’hui, Othman est venu chez moi encaisser 7 thalers (= 11
rial 1/2), montant du droit de passage acquitté par toute personne
venant de Tripoli ; ceux qui viendraient d’Algérie paieraient
à Ikhenoukhen. J’ai payé le même droit que les Ghadamésiens,
et je le dois à Safi, auprès de qui j’ai insisté pour être
traité comme les autres Musulmans.
Cet après-midi, j’ai fait le tour de la ville avec un sous-officier
turc et visité le mont Kokoumen, qui domine la ville de son versant
sud. J’ai trouvé de nombreux petits tumuli de pierres brutes, avec
un revêtement intérieur de gros blocs et une grande dalle recouvrant
le tout. La plupart avaient été ouverts par les chercheurs de
trésors, et les ossements avaient été dispersés. On raconte que le
Kokoumen a été habité avant la fondation de Ghât. Ces tumuli ont
de 5 à 6 pieds de diamètre et environ 4 pieds de hauteur. Toute
cette montagne est presque entièrement nue ; seule, la plante
desséchée qu’on appelle _el hîchen_[43] se voit partout.
_20 octobre._ — Ce soir, je suis appelé chez Eg-Bekr, qui
est atteint de fièvre typhoïde. Sa repoussante physionomie
est défigurée par le délire et la maladie. Je me garde de lui
administrer un remède, car s’il mourait, on ne manquerait pas
dire que je l’ai empoisonné. Il est curieux de voir disparaître
l’un après l’autre tous ceux qui ont pris part au meurtre de
Mlle Tinné.
_21 octobre._ — Othman est venu et m’a promis de faire
l’impossible pour me contenter pendant le voyage, seulement, je
dois lui donner d’avance les 3 thalers destinés au domestique qui
nous accompagnera. Je l’ai laissé mendier longtemps, et c’est
seulement ce soir, après lui avoir fait jurer de ne plus rien me
demander à l’avenir, que je lui donne cet argent, à sa grande
joie. Cet homme qui, au début me semblait si brutal, est devenu
tout à fait maniable, et je ne doute pas qu’il ne se conduise
bien en route.
CHAPITRE II
=VOYAGE AU TASILI ET A L’OUED MIHERO=
Le matin du 12 octobre, Othman vint visiter mon bagage et
mes outres. Nous laissâmes de côté tout ce qui n’était
pas absolument indispensable ; par contre, nous emportions
force munitions, et de quoi nourrir trois personnes pendant un
mois. J’attendais, déjà équipé, le moment de partir devant
la porte Sud de la ville, lorsqu’un messager du _kaïmakam_ vint
me demander au nom de son maître de déclarer par écrit que je
quittais Ghât de mon gré et que je n’avais eu aucun sujet de
plainte pendant mon séjour.
Cette demande, faite à ce moment, me rendit perplexe, car enfin
on semblait vouloir se mettre à couvert, en prévision du cas
où il m’arriverait malheur. Je retournai donc en ville et dis
franchement mon impression au gouverneur. Mais celui-ci m’affirma
de la façon la plus formelle que je pouvais me fier à mon compagnon,
et qu’on demandait cette déclaration écrite à tous les voyageurs
sans exception, pour prouver au pacha de Tripoli qu’ils étaient
satisfaits de l’administration. Un des assistants fit la remarque
caractéristique, qu’on n’était jamais sûr de rien, lorsqu’on
allait chez les Imrhad[44].
Comme j’ai pu m’en assurer, ces Imrhad ont la plus mauvaise
réputation, aussi bien chez les Aouélimiden et chez les Azdjer
que chez les Hoggar. La cause en est sans doute leur éloignement
habituel des centres de population sédentaire, et leur état de
misère relative, d’ignorance et de sauvagerie[45], tandis que les
nobles (Imocharh) acquièrent un certain degré de culture par leurs
séjours dans les villes telles que Ghât, In-Salah ou Ghadamès,
où ils entrent en contact avec beaucoup d’étrangers.
Je finis par donner l’attestation demandée et je retournai
trouver Othman. Celui-ci avait des discussions interminables avec
ses compatriotes, les uns ne voulaient pas me laisser voir leur
pays, les autres réclamaient des présents pour eux-mêmes. A 9
heures et demie, enfin, nous avions écarté ce dernier obstacle,
et nous prîmes la direction du Nord.
Nous traversâmes d’abord la plaine d’Etakhès, dont le sol
d’argile desséché est croisé d’un réseau de fissures, où
la forme du pentagone est répétée à l’infini. A 11 heures
nous étions arrivés dans l’ouadi Rhallé, qui ne se distingue
des environs que par une bande de végétation plus riche ; dans
l’Est s’étendait une rangée de collines plates, restes d’une
hamada que l’érosion continuée sans trêve a fini par découper
en tables isolées. A gauche nous avions le bord du Tasili, plateau
médiocrement élevé, dont les roches noires s’étendaient à
l’infini jusqu’à l’horizon de l’Ouest. Nous fîmes halte dans
l’oued Tanesso, un peu à l’écart de notre route, car les Touareg
évitent de camper sur les grands chemins, et cherchent toujours un
coin retiré, de façon que les gens non prévenus passent sans les
apercevoir. L’oued Tanesso est une branche de l’oued Ouererat.
Lorsque vint la nuit, mes Touareg apprêtèrent leur lit de la
façon suivante. Chacun se creusa avec ses mains un trou ovale dans
le sable, en ayant soin d’enlever toutes les pierres ; puis il
plaça la selle de son mehari à un des bouts de l’excavation,
et y appuya son grand bouclier de cuir, pour être à l’abri du
vent. Il planta sa lance à côté de lui dans le sable ; son sabre
également à portée de sa main. Puis, roulé dans sa couverture,
il s’endormit dans son lit de sable, après s’être assuré
d’un regard de la direction que prenaient les chameaux en train de
pâturer. Comme j’avais laissé ma tente à Ghât pour simplifier
mon bagage, il ne me restait qu’à les imiter. Et c’est ainsi
que nous passâmes toutes nos nuits à la belle étoile.
Le matin du 23 octobre nous aperçûmes dans le Nord le cône du mont
Telout, qui ressemble à un volcan à s’y méprendre, mais qui
est également un massif de grès. Après avoir croisé l’ouadi
Ouererat, couvert de gommiers, nous montâmes sur le plateau de
gauche, et nous nous mîmes en devoir de traverser ce désert de
pierre, où l’on ne trouve ni une broussaille, ni un brin d’herbe,
ni même une dune, mais seulement le roc nu à perte de vue.
A 1 heure, nous descendîmes faire de l’eau dans l’oued Ahanaret,
où une forêt de tamarix mène à la source d’Ihanaren. Celle-ci
est cachée au milieu des dunes ; une forêt de joncs couvre le
monticule de sable d’où sort le précieux liquide. Un esclave
des Touareg demeure ici en permanence, pour aider les voyageurs à
remplir leurs outres et à abreuver leurs chameaux. Il a embelli
sa demeure solitaire avec des palmiers et a même planté quelques
vignes. Un petit potager lui fournit des oignons et des melons.
A 4 heures nous débouchions dans la verte plaine de Titersin, au
pied du mont Telout. Nous y trouvâmes un campement d’_Imrhad_,
qui se rendaient à Dider, le lieu de concentration du _rhezi_. Un
corbeau, que j’avais tué en route sur l’invitation d’un de mes
compagnons, fut jeté au feu avec toutes ses plumes, et lorsqu’il
fut carbonisé à l’extérieur, dévoré par ces _Imrhad_ avec
grand appétit. Les nobles _Imocharh_ s’en amusèrent et me dirent
que tout était bon aux Imrhad, poisson, oiseau ou reptile[46].
La société se composait d’hommes des tribus les plus diverses ;
même les Imetrilalen du Fezzan étaient représentés. Des guerriers
simulèrent un combat avec une vivacité qui ne laissait rien
à désirer. Poussant des cris stridents, et frappant leur grand
bouclier de cuir contre leur genou, les adversaires s’abordaient
et s’escrimaient à grands coups d’épée jusqu’à ce que
l’un des deux se découvrît, faute qui était saluée par de
grands éclats de rire. La conversation se prolongea bien avant dans
la nuit ; elle avait un thème inépuisable : le butin que chacun
comptait faire dans cette razzia.
Une pluie battante vint désagréablement nous surprendre dans
notre sommeil. Titersin est le bassin où aboutissent une quantité
d’ouadis, et par conséquent un des pâturages les plus fertiles du
pays Touareg. La végétation se compose surtout d’_Arthratherum
pungens_, et d’une composée encore indéterminée, à fleurs
jaunes, que les Touareg appellent _tanedfert_.
Le matin du 24 octobre, nous nous séparâmes des Imrhad, pour
reprendre la direction de la montagne. J’aperçus à gauche
du chemin, sur une colline, plusieurs restes de tombeaux. A
l’intérieur, subsistaient encore deux chambres carrées, bâties
avec des dalles de pierre, et qui avaient évidemment contenu des
cadavres accroupis, car les dimensions de ces chambres excluaient
toute autre supposition.
Les Touareg appellent ces ruines _Ed-debbeni_ et en connaissent
bien la signification, car en cherchant des trésors, ils y ont
toujours trouvé des squelettes, et souvent même des anneaux et
des poteries. Malheureusement, je n’ai pu examiner aucune de ces
trouvailles. Les tombeaux abondent dans toute la région de Ghât,
et en particulier à Tadrart. Les Touareg racontent qu’ils ont
pratiqué ce mode de sépulture jusqu’à l’époque de leur
conversion à l’Islam.
Nous nous arrêtons dans l’oued Taherhaït, qui égale en fertilité
la plaine de Titersin. J’y ai trouvé des _Zilla macroptera_[47]
en fleurs. A 5 heures, nous établissons notre camp à Tihobar,
au bord d’une source et à l’ombre des palmiers et des tamarix.
La pluie est tombée toute la nuit. Nous continuons notre route à
travers un dédale de dunes basses, où les tamarix et le _guetaf_[48]
croissent à merveille. Nous passons plusieurs fois devant des rocs
qui ressemblent à des champignons, tant ils sont amincis à leur
base. J’ai trouvé trois de ces tables de pierre, qui étaient
presque contiguës : elles portaient des marques d’érosion
identiques. Il est visible qu’en cet endroit les eaux se sont jadis
frayé violemment un passage entre les rocs, dont elles ont évidé
la base. Aujourd’hui, toute trace de lit de rivière a disparu.
Un défilé étroit, ouvert entre les blocs de grès amoncelés,
nous mène dans l’oued Imakkas qui va à l’oued Tihobar. Des
bandes de perdrix (_ganga_) se lèvent devant nous. Le pays devient
toujours plus aride, et nous finissons par nous trouver sur la hamada,
n’ayant plus que le grès sombre autour de nous. Sur ce plateau,
où ne croît pas un brin d’herbe, la rose de Jéricho se trouve en
telle quantité qu’elle couvre littéralement le sol. Ses rameaux
bruns et desséchés, contractés en boule, se distinguent à peine
de la roche, et le paysage n’en paraît que plus morne.
Beaucoup de tumuli sont disséminés sur cette surface, et l’on
s’étonne de les trouver en aussi grand nombre dans la partie
aujourd’hui la plus déserte du Sahara.
Nous rencontrons quelques Touareg, qui, comme les précédents,
vont à Dider. Ils descendent de leurs hauts méharis,
plantent devant eux leurs lances dans le sol, et commencent la
conversation. Lorsqu’Othman leur raconte que nous allons à
Mihero, et que je veux uniquement y voir les crocodiles, ils rient
aux éclats ; quelques-uns s’imaginent que ce n’est là qu’un
prétexte, et ils sont persuadés que mon guide Othman a reçu de
moi une grosse somme, pour m’accompagner aussi loin. On remarque
bientôt ma provision de dattes, et chacun veut en avoir ; j’ai
peur de manquer de vivres. Déjà les _Imrhad_ de Titersin se sont
régalés à mes dépens ; que sera-ce dans l’avenir ? Enfin, à
4 heures, ces affamés reprennent leurs montures et disparaissent
bientôt dans le lointain.
La pluie qui tombe à torrents nous force, à 5 heures, à chercher
un abri dans les rochers de Tintorha, où nous trouvons une troupe
nombreuse, qui s’est également réfugiée ici. On fait du feu
sous une roche qui surplombe, et chacun s’arrange pour passer
commodément la nuit. Les Touareg mettent un soin particulier à
préserver de l’humidité leurs grands boucliers de cuir[49],
car ils se déforment en séchant après la pluie et ne reprennent
jamais leur forme primitive. Le Targui s’abrite derrière ce
bouclier, depuis la tête jusqu’aux genoux, contre les coups de
son adversaire ; mais c’est une cuirasse inefficace contre les
fusils, et j’ai vu plus d’un de ces boucliers troués par les
balles qui avaient tué son premier possesseur dans l’Ahaggar.
J’ai passé la journée du 26 à Tintorha, pendant qu’Othman
allait voir des chameaux à lui qu’il a quelque part par ici au
pâturage. Je suis donc resté avec les Touareg, qui attendaient
des amis pour aller tous ensemble à Dider.
Plusieurs ont utilisé ce temps de repos pour renouveler leur
coiffure, de sorte que j’ai eu une bonne occasion d’observer
leur manière de faire. Ils rasèrent complètement le côté gauche
de la tête, en laissant subsister au milieu du crâne une bande de
cheveux qui allait du front jusqu’à la nuque, et, sur le côté
droit, par-dessus et derrière l’oreille, une autre bande chevelue
qui allait rejoindre la première. Les cheveux du sommet de la tête
furent soigneusement séparés et redressés, de façon à former une
crête d’environ 10 centimètres de hauteur ; après quoi chacun
se mit à rouler autour de sa tête le turban de cotonnade bleue,
dont un des plis passe sous le menton pour protéger la bouche et
le nez, tandis qu’un autre est rabattu sur les yeux. De cette
façon le Targui peut se voiler complètement la figure, si bien
qu’on n’aperçoit même pas ses yeux ; il n’en voit pas moins
suffisamment à travers ce léger tissu. Ce masque et la crête de
cheveux qui s’élève au sommet de la tête donnent au Targui un
air sauvage et sinistre[50].
_27 octobre._ — Nous reprîmes notre marche. L’oued Inessan, que
nous atteignîmes vers midi, diffère complètement des oueds que nous
avions traversés jusqu’ici : son lit se trouve enserré entre les
parois verticales d’une gorge profonde. Peu de plantes y ont trouvé
de quoi subsister. Quelques arbrisseaux (_Rhus dioïca_, en targui
_tehonak_) avaient pris racine dans les fentes de rocher. Le côté
gauche de la gorge était encombré de sable presque jusqu’au niveau
du plateau, tandis que l’autre en était entièrement débarrassé :
exemple remarquable d’un transport opéré par le vent.
Ces parois de roc m’ont permis de reconnaître ici l’épaisseur
des couches de grès : elle est de 40 pieds. En dessous, au fond de
la vallée, on rencontre du calcaire.
Nous remontâmes l’oued pour regagner le plateau, où la pluie
qui recommençait nous força à faire halte près d’une hutte
d’_Imrhad_, là où le petit oued Tifergasin débouche dans la
plaine du même nom. Vers le soir une bande de nobles Touareg
vint apporter à Othman une nouvelle inattendue : à la suite
d’une lettre arrivée de Mourzouk, la razzia projetée était
contremandée. En même temps, Ikhenoukhen nous faisait dire qu’il
n’était pas prudent de nous avancer jusqu’à Mihero où nous
pouvions rencontrer des Hoggar, et qu’il valait mieux remettre
cette excursion à des temps meilleurs. Là-dessus, Othman déclara
notre voyage terminé et voulut se préparer au retour. Mais moi
qui me voyais si près du but, et dont toutes les espérances
se trouvaient détruites, je ne pouvais me faire à l’idée de
revenir en arrière sans avoir rien accompli. J’essayai de séduire
Othman par de nouvelles promesses, je lui représentai quelle honte
ce serait pour lui si l’on savait à Ghât qu’il s’en était
retourné à moitié chemin, sans me faire voir ce lac Mihero pour
lequel j’étais venu de si loin. Vains efforts : les Touareg, qui
avaient déjà trouvé déraisonnable de se donner tant de peine pour
aller voir le lac, dirent qu’Othman serait fou de risquer sa vie
pour un pareil caprice, et jurèrent que nous tomberions entre les
mains des Hoggar. Othman était du même avis et me représentait les
Hoggar comme les plus cruels et les plus sanguinaires des hommes ;
en même temps, il m’expliquait que l’oued Mihero n’avait
absolument rien de remarquable, qu’il ressemblait à tous les
autres, et qu’il se chargeait de m’en faire voir de bien plus
jolis ! Bref, Mihero était devenu tout à coup le plus affreux
endroit de la terre, et le moindre oued valait mieux que cela !
Las de discuter, je me bornai à lui répondre : « C’est bien,
puisque tu as peur des Hoggar, je vais retourner à Ghât et me
chercher un guide plus courageux que toi ! » J’avais touché le
point sensible. Comme si un serpent l’avait piqué, mon Targui
bondit de terre, ficha sa lance dans le sol et jura qu’il était
prêt à mourir avec moi, qu’il n’avait pas eu peur pour
lui-même, mais que, voyant le péril, il avait craint seulement
d’être accusé ensuite de ma mort ! A partir de ce moment, je
n’eus plus à dépenser une parole ; l’amour-propre avait vaincu.
La difficulté était de trouver un compagnon, car il était
nécessaire d’avoir un Targui pour éclaireur, tandis que l’autre
resterait à mes côtés. Nous eûmes la chance de trouver — contre
bonne récompense — un homme connu pour être un bon guerrier et
un excellent guide dans ces parages. Chose curieuse, il était de
la tribu des Tedjéhé-Mellen, c’est-à-dire Hoggar ; cependant
Amma — c’était son nom — haïssait ses anciens compatriotes
aussi profondément que s’il avait été Azdjer.
Amma était petit, trapu, très vigoureux et d’une incroyable
endurance. Sa physionomie respirait bien la brutalité et la cruauté
qu’on attribue généralement aux Hoggar ; et, en songeant qu’il
avait horreur de ses compatriotes, je me demandais ce que devaient
être ceux-ci ! Mais je dois dire qu’il me fut grandement
utile. Personne n’avait l’œil plus perçant, l’oreille
plus fine ; personne ne savait mieux reconnaître une trace, et,
même sur la hamada pierreuse, il ne s’y trompait jamais. Rien
ne lui échappait ; je dirais presque qu’il restait en alerte
jusque dans son sommeil. Il ne cessa d’avoir pour moi beaucoup de
prévenances ; cependant je ne pouvais m’empêcher d’éprouver
envers lui une aversion insurmontable à cause de la brutalité
inouïe avec laquelle il traitait les chameaux.
Lorsque nous levâmes notre camp, le 28 octobre, la nouvelle du
contre-ordre donné à la razzia avait déjà terrifié les Imrhad,
et de longues files de chameaux sillonnaient la haute plaine pour
aller se mettre en sûreté à Ghât. Tout le monde quittait le pays
ouvert pour se replier vers cette ville ou le Fezzan. Devant nous
on avait fait le vide, et Othman me disait : « Si tu vois un homme,
tire sans hésiter, ce ne peut être qu’un Hoggar. »
Nous fîmes halte dans une petite gorge, au pied du mont Ikohaouen. On
désigne sous ce nom plusieurs croupes d’égale hauteur, allongées
d’est en ouest, et formées de ce grès aux assises horizontales,
dans lequel l’érosion découpe les murailles, les obélisques, les
tours et autres escarpements ruiniformes que j’ai déjà signalés.
Ces croupes marquent le commencement d’une région de montagnes
tabulaires qui, autant que j’ai pu en juger, gardent partout le
même aspect. Les grès qui s’étendent sans interruption depuis
le bord méridional de la Hamada-el-Homra jusqu’ici s’étagent
ici encore en couches d’une horizontalité parfaite de la base au
sommet des montagnes.
Il en résulte pour le paysage une grande monotonie. Si loin qu’on
pénètre dans le massif, on rencontre toujours les mêmes formes ;
les crêtes et les sommets sont tous au même niveau ; tous les
profils montrent les mêmes gradins en escaliers, correspondant aux
différentes couches, toutes les vallées sont creusées de même dans
les longues terrasses d’éboulis qui forment, en quelque sorte,
le degré inférieur de la montagne. Couvertes de pierres noires
et entièrement dépourvues de plantes, ces terrasses ont tout à
fait le caractère de _hamâda_ et contrastent avec la végétation
des oueds sableux situés en contre-bas. C’est seulement au point
de rencontre de deux oueds, que les vallées s’élargissent aux
dépens des terrasses d’éboulis et forment un semblant de plaine.
Le lendemain matin, à 9 heures, nous quittâmes notre retraite,
après que mes compagnons eurent refroidi avec de l’eau les cendres
de notre campement, de peur qu’un Hoggar les trouvant chaudes ne
devinât notre présence dans ces parages. Nous marchâmes vers
le mont Adamoulet ; à gauche, le plateau de Tasili prolongeait
au loin sa surface sombre et brillante, sans un point de repère
sur lequel on pût reposer sa vue. A droite, nous avions les pentes
entièrement nues de l’Ikohaouen. Nous découvrions maintenant la
longue muraille du mont Ouaderous.
Nous fîmes halte pour réparer la crosse brisée de mon fusil. Othman
procéda de la manière suivante : il prit un morceau de peau sèche,
provenant d’un pied de chameau, et le mit à tremper dans une
de nos outres. Lorsque la peau fut convenablement ramollie, elle
fut nouée avec des tendons autour de la crosse, puis recouverte
entièrement de ficelle. Dès qu’elle eut de nouveau séché au
soleil, je pus manier de nouveau mon fusil redevenu rigide comme
devant. Si bien que j’ai préféré dans la suite conserver cette
ligature, plutôt que de confier mon fusil à un forgeron. Je dois
faire remarquer encore que l’eau dans laquelle la vieille peau
avait macéré ne nous fut pas moins servie en guise de boisson.
Nous reprîmes la marche à 4 heures et arrivâmes bientôt à la
falaise à pic de l’ouadi Ireren, qui s’allonge vers le nord,
entre l’Adamoulet et l’Ikohaouen. Les parois verticales de cet
ouadi sont un sérieux obstacle pour les chameaux des Touareg, qui
l’évitent volontiers. Nous suivîmes la rive droite pour chercher
une sente praticable, et bien que nous eussions soin de mener nos
chameaux par la bride et de guider, pour ainsi dire, chacun de leurs
pas, ils tombèrent plus d’une fois dans les éboulis. J’eus
ainsi à déplorer la perte de mon baromètre anéroïde, de sorte
qu’il est devenu impossible de contrôler les observations que
j’avais faites jusqu’ici.
L’ouadi Ireren — appelé aussi Erinerine — est une des vallées
les plus vertes de cette région. Une forêt de _tehak_ (_Salvadora
Persica_) de lauriers roses[51] et de tamarix la couvre sur une
longue distance, et la gorge est creusée à une telle profondeur,
au-dessous du niveau de la hamada, que les rayons du soleil sont
arrêtés la plupart du temps par ses hautes parois, et que la
température y est sensiblement plus fraîche. Othman se dépêcha
de sortir de ce petit paradis terrestre, car le moindre cri de nos
chameaux y éveillait un écho formidable, qui pouvait trahir notre
présence. Nous allâmes donc camper dans une vallée latérale,
qu’on appelle l’oued Adamouline.
Le lendemain, nous revînmes dans l’oued principal, dont nous
dûmes escalader la rive gauche, avec autant de difficultés que
nous en avions eu à descendre.
Arrivés sur le plateau, au pied du mont Adamoulet, nous vîmes tout
à coup des formes humaines émerger d’une gorge voisine. Avant
que je m’en fusse aperçu, mes deux compagnons m’avaient quitté
et s’étaient portés au galop, la lance levée, au-devant de ces
inconnus. Mais cette pantomime guerrière fit place presque aussitôt
à une conversation paisible, car mes Touareg avaient reconnu des
gens de leurs tribus. C’étaient trois hommes qui apportaient des
dattes de l’oued Tedjoudjelt et qui apprirent seulement que la
razzia était contremandée et que tous les Azdjer se repliaient sur
Ghât. Ils se dépêchèrent de continuer leur route, louant Allah
de ce que cette fois ils n’avaient pas rencontré de Hoggar.
Nous franchîmes encore une gorge tributaire de l’oued Ouadersine,
et après avoir contourné par le sud le mont Ouadersine[52], nous
descendîmes le long de l’oued Igargar-Mellen, qui tient son nom
des dunes de sable clair qu’on trouve près de son origine. Ces
dunes sont adossées au côté sud d’une haute muraille est-ouest,
qui fait partie du mont Ouadersine, et la présence de ces amas de
sable fin étonne, au milieu d’un plateau qui en est totalement
dépourvu. Il ne peut être question ici de désagrégation sur
place, puisque tout le pays se compose des mêmes grès, et se trouve
évidemment soumis aux mêmes actions érosives. Il faut admettre que
le vent du nord, balayant la falaise, a laissé le sable s’amonceler
derrière elle, de même qu’il dépose une traînée de sable
derrière chaque colline ou chaque broussaille qui lui fait obstacle.
Nous trouvâmes un puits dans l’oued Igargar-Mellen, au pied du
mont Errouine ; il ne contenait pas d’eau, ce qui arrive rarement,
paraît-il.
_31 octobre._ — Nous reprîmes notre route, en descendant l’oued
vers l’aval[53]. Un grand nombre de tamarix, de gommiers et de
hautes broussailles couvraient le lit sablonneux de la rivière,
qui compte parmi les plus fertiles de la montagne.
Je remarquai ici, pour la première fois, un arbuste élevé, qui me
rappela les casuarinas. Ses branches minces et dénuées de feuilles,
toutes verticales, formaient un fourré épais, dans lequel se cachait
le tronc vigoureux et presque d’une seule venue. D’innombrables
petites fleurs, uniformément réparties sur toute la plante,
couvraient les branches, et une capsule desséchée me montra de
nombreuses graines surmontées d’une aigrette soyeuse.
Le nom tamachek de cette plante est _ana_[54]. Je ne l’ai
rencontrée que rarement, au cours de ce voyage.
A 8 heures, nous prîmes la direction du nord, en suivant toujours
l’oued Tafelamine, encaissé à cet endroit entre de hautes cimes
qui portent le même nom. L’oued Nasaret est un affluent de gauche
de l’oued Tafelamine, et non de droite, comme l’indique la carte
de Duveyrier. En rectifiant cette petite erreur, je tiens à déclarer
que cette carte m’a été excessivement utile, et qu’en général
le livre de Duveyrier a été mon meilleur guide dans ce pays.
Pendant que nous cheminions le long de l’ouadi, je vis, près
de la crête d’une paroi de roc à droite, une traînée noire,
qui se prolongeait parallèlement aux couches horizontales de la
montagne. On me dit que c’était une plante nommé _telokat_[55],
qui ne se rencontre qu’à des endroits inaccessibles.
A 11 heures, nous étions en face de la haute montagne
d’Aloumtaghil, qui force l’oued Tafelamine à faire un coude
dans l’est. Nous quittâmes alors l’oued, et, remontant le lit
d’un torrent dans la direction de l’ouest, nous gagnâmes l’oued
Mihero. L’oued Tafelamine et l’oued Mihero se réunissent en aval,
un peu au nord du mont Aloumtaghil.
Dès que nous eûmes franchi la muraille rocheuse qui les sépare,
nous entrâmes dans un véritable fourré de tamarix et de
_tehak_. L’oued Ireren lui-même ne s’était pas montré aussi
touffu. Une liane nommée _arenkad_[56], aux feuilles en forme de
cœur, enveloppait les plus hauts tamarix et déroulait ses longues
spirales, du sommet de leurs branches ; elle formait un véritable
réseau, qui transformait certains bouquets d’arbres en un fourré
impénétrable.
Nous n’avancions qu’avec difficulté. Bien que nous fussions
haut perchés sur nos montures, à chaque instant les branches des
tamarix nous fouettaient la figure, et les têtes inclinées des
roseaux nous dominaient encore[57].
Les chameaux finirent par renoncer à se frayer passage, et nous
dûmes marcher dans le lit même de l’oued, rempli d’un sable fin,
où nos bêtes enfonçaient profondément à chaque pas. Les reflets
éblouissants de cette bande de sable imitent à s’y méprendre
ceux d’une eau courante. Et l’illusion est entretenue par les
hautes touffes d’herbe qui pendent le long des rives surplombantes,
et par les roseaux qui bordent le lit des deux parts.
A 2 heures, nous fîmes halte au milieu de l’ouadi,
devant un bouquet de roseaux, et Othman me dit : Voici le
_sebarbarh_. J’entendais distinctement un clapotement liquide,
et lorsqu’à l’aide de mes deux Touaregs, j’eus traversé le
fourré à grand’peine, je me vis en face d’un petit bassin de
4 à 5 pieds de diamètre, à la surface duquel paraissaient sans
cesse des bulles d’air : de là ce clapotement que les Touareg
ont voulu exprimer par le nom de _sebarbarh_. La profondeur de ce
bassin était d’environ 5 pieds près du bord.
L’eau en est assez insipide, à peine salée ; elle n’a aucune
odeur. Les Touareg comparent naturellement ce bouillonnement à
l’ébullition de l’eau sur le feu, et prétendent que la source
est bouillante. Elle avait en réalité 37°5 centigrades, alors que
le thermomètre à l’air en marquait 30. On dit qu’après de
fortes pluies la source déborde et entraîne alors du sable avec
elle. On voit, en effet, aux alentours, un dépôt blanchâtre qui
provient de ces inondations.
Un second bassin était situé à quelques mètres de là, près
de la rive gauche de l’oued. Ici encore, on entendait les
bouillonnements de l’eau au milieu des roseaux, et même des
coassements de grenouilles ; seulement le sol marécageux était si
peu consistant que je dus renoncer à pénétrer plus avant.
Il paraît qu’il existe encore plusieurs sources analogues,
mais quelques-unes sont ensablées et suintent à peine, tandis que
d’autres se cachent dans des fourrés impénétrables. On me dit
qu’il existe en amont une source froide nommée _Inholar_.
Nous ne nous étions arrêtés que juste le temps nécessaire,
et nous continuâmes à remonter la rivière. Je remarquai un mur
de 15 de pieds de long, bâti en pierres brutes, sans mortier, qui
semblait avoir formé une enceinte oblongue. Les Touareg me dirent
que les _Jabbaren_ l’avaient bâti pour y dormir. Tout à côté
est la source dite des Imanghasaten, qui jaillit d’une terrasse
basse formée d’un grès différent. L’eau suinte également en
un point situé au bas de cette terrasse. La source supérieure a
des bulles de gaz ; l’eau en est sensiblement salée.
Des gazelles vinrent à passer ; je tirai sur l’une d’elles qui
tomba, mais se releva presque aussitôt. Othman, la lance levée,
la poursuivit sans pouvoir l’atteindre. Je continuais mon chemin,
lorsqu’à ma grande surprise j’aperçus un troupeau de chèvres
qui, dans leur effroi, se pressèrent les unes contre les autres
et firent front contre moi. Aucun berger n’était visible, bien
que deux sacs de dattes fussent suspendus tout près de là à une
branche d’acacia.
Othman devina de suite que mon coup de fusil avait effrayé ces
gens qui ne pouvaient évidemment attendre que des Hoggar. C’est
pourquoi il se mit à agiter son burnous blanc au bout de sa lance,
en criant aussi fort que possible : _el afia ! el afia[58] !_ Mais
il n’obtint aucun résultat : personne ne se montra. Le roc ne
conservait aucune trace de pas. Je m’étais réjoui de manger
de la viande fraîche, dont j’étais privé depuis longtemps, et
j’espérais pouvoir acheter une chèvre ; nous fîmes donc halte
dans un petit ouadi, non loin de la source, et nous attendîmes avec
impatience le retour du berger fugitif.
Enfin j’aperçus, à l’aide de ma longue-vue, un homme qui
guettait derrière une roche, tout au haut de la montagne. Il ne
descendit pas, malgré nos appels : évidemment les Hoggar ont
la réputation de ne pas tenir leur parole ; seulement sa femme
apparut tout à coup en parlementaire dans une direction tout
opposée[59]. Immédiatement, Othman abaissa son voile sur sa figure,
tandis que la femme, se cachant à demi le visage d’un pan de
son vêtement, s’asseyait sur une pierre. Othman s’accroupit à
terre à quelque distance, et ce fut ainsi, en détournant la tête,
qu’ils commencèrent de loin la conversation. Il en résulta
que le berger, au bruit de mon coup de fusil, et à la vue d’un
cavalier voilé qui galopait la lance levée, n’avait pas douté
de l’arrivée des Hoggar, et avait cherché son salut dans la
fuite. Lorsque l’homme vit, du haut de son observatoire, que sa
femme nous quittait, il descendit lentement par un grand détour et
vint nous saluer.
Aucun de mes Touareg n’eut l’idée de se moquer de sa frayeur,
et, bien que ce ne fût pas un noble, on garda toujours vis-à-vis
de lui une certaine réserve. Plus tard, je demandai à Othman si,
en cas d’absence du berger, il ne se serait pas cru le droit de
tuer une chèvre, quitte à indemniser à Ghât le propriétaire du
troupeau : « Personne n’oserait, répondit-il, car aucune femme
ne voudrait plus nous regarder ! »
Le soir, le fils du berger nous apporta une calebasse remplie de
viande pilée, mais comme on y avait ajouté du lait aigre, je ne
pus y toucher.
Nous partîmes le lendemain, 1er novembre, de bonne heure, pour
remonter la rive gauche de l’oued dans la direction du sud. Une
blanche traînée de dunes était adossée à gauche, au flanc
d’une montagne. A 9 heures nous arrivâmes à un monticule couvert
de roseaux et entouré de restes de murs, au milieu desquels se
trouvait un bassin rempli d’eau. Cette source porte le nom de
Djogog. Les murs étaient faits de gros cailloux cimentés avec de
l’argile, et avaient d’un à deux pieds d’épaisseur. Le tout
avait la forme d’un carré d’environ dix pas de côté. Dans le
voisinage se trouvent des enceintes modernes de pierres sèches que
les bergers ont élevées pour parquer leurs troupeaux, et qu’un
étranger prendrait aisément pour des ruines.
Le pays devenait plus plat, les montagnes s’écartaient les unes
des autres, et à droite, à côté du mont Nasaret, nous apercevions
la hamada. Nous traversâmes alors l’oued Mihero, élargi à cet
endroit par le confluent de plusieurs rivières, et nous suivîmes
la rive droite. Partout on voyait les traces irrécusables d’une
ancienne crue : des touffes d’herbes accrochées aux buissons ou
des débris de bois et de branches déposés le long des rives. On
me disait que les crocodiles descendent quelquefois jusqu’ici.
A midi, nous découvrîmes pour la première fois de l’eau dans le
lit de la rivière[60]. Nous avancions avec précaution pour ne pas
effaroucher les sauriens, qui, au dire de mes compagnons, éventent
l’homme avec une finesse d’odorat remarquable. Nous fîmes halte
au milieu de l’oued, en plein fourré, car Othman regardait avec
inquiétude du côté du plateau, où il soupçonnait la présence
des Hoggar.
Nous allâmes à pied jusqu’au bas de la berge, à un endroit
où le lit rocheux de l’ouadi conservait quelques grandes
flaques d’eau. Je vis en effet tout autour de ces mares des
traces nombreuses de pattes de crocodiles : elles étaient si
nettement imprimées dans la vase, qu’on reconnaissait même
les écailles dont la partie interne est revêtue. La patte de
devant laisse une empreinte qui a presque la forme d’une étoile,
tandis que celle de la patte postérieure ressemble assez à celle
d’un pied d’enfant. Les trois orteils du côté externe n’ont
pas laissé d’empreinte de griffes[61]. Au pied de la berge en
surplomb s’ouvraient des galeries nombreuses où les monstres
ont l’habitude de faire la sieste. Mais c’est en vain que les
Touareg essayèrent de les chasser de leurs retraites à l’aide de
longues perches. Je remontai plus haut jusqu’à une deuxième et
à une troisième mare ; partout on trouvait des traces fraîches,
mais les animaux restaient invisibles.
Il paraît qu’on trouve en amont des _rhédir_ bien plus
considérables, où se tiennent les plus grands crocodiles (les
traces que j’ai vues sont celles d’animaux de 5 à 6 pieds).
Je fis l’impossible pour décider mes compagnons à avancer encore,
pour arriver à en voir au moins un ; mais la crainte des Hoggar
fut la plus forte, et les deux Touareg me pressaient de retourner
en arrière. Ils ne voulurent même pas camper où nous étions,
et cherchèrent un endroit plus caché, où les gens de la hamada
ne pourraient pas nous apercevoir.
Bien que je n’aie donc pas réussi à voir un crocodile de mes yeux,
leur présence dans la partie supérieure de l’oued Mihero ne peut
faire de doute. _Il n’y a pas de lac Mihero_, car même ces mares
plus considérables de l’amont, auxquelles les Touareg donnent
le nom de _bahar_, ne sont pas autre chose que des creux du lit de
la rivière, qui conservent toujours un peu d’eau. Les Touareg
assurent formellement que l’oued ne s’élargit pas en bassin
lacustre, et que l’eau est ainsi répartie le long de son parcours.
Les crocodiles se nourrissent des nombreux poissons que j’ai
vus nager dans les mares. Après une longue pluie, les mares sont
remplacées par un courant d’eau vive, qui amène les crocodiles
à descendre en aval ; dès que les eaux baissent, ils se réfugient
dans les cuvettes les plus profondes. On dit qu’il n’y a plus
de crocodiles en amont d’Ahérer.
Le voyageur qui pourrait séjourner pendant quelque temps dans
l’oued Mihero y trouverait certainement une faune et une flore
bien plus riches que celle qu’on a coutume d’observer dans
cette région[62].
_2 novembre._ — Nous quittons la verte rivière et nous reprenons
la direction de l’est, ayant à gauche une ligne continue de
montagnes, à droite la hamada et quelques collines. Nous suivons
la rive droite de l’oued Nasaret, qui vient du flanc nord de la
montagne du même nom. Nous faisons halte dans l’oued Tesorar,
affluent de l’oued Tafelamine.
_3 nov._ — Nous croisons l’oued Igargar-Mellen, au point où
il se détourne vers le nord. Peu après nous descendons dans
une gorge profonde — une ramification de ce même oued — où
nous sommes étonnés de trouver autant de verdure : toutes ces
vallées encaissées sont infiniment plus fertiles que les couloirs
superficiels toujours exposés au vent[63].
Ici l’_amateltel_[64] tapisse les parois de roc, et des bouquets de
lauriers-roses tout couverts de fleurs alternent avec des _telokat_
à baies comestibles (_syconium_), que je vois pour la première
fois. Si l’on considère que je n’ai pu observer qu’en passant
les plantes qui se trouvaient sur mon chemin, et que je n’en ai pas
moins rencontré tant d’espèces nouvelles, quelles découvertes
n’est-on pas en droit d’attendre de l’exploration méthodique
de ce massif central du Sahara ! Puisse-t-il être bientôt possible
de parcourir ces vallées en toute sécurité ! Mais en ce moment
il nous faut passer en toute hâte, car l’ennemi peut paraître
à tout moment.
Nous franchissons successivement l’oued Tafelamine, deux branches
de l’oued Tasouni et enfin l’oued Tehennet, qui aboutit à
l’oued-Ireren. Nous venions de descendre au fond de ce dernier,
lorsque nous fûmes surpris par un violent orage, qui nous força à
chercher un refuge sous une roche surplombante. Mouillés jusqu’aux
os, sans feu, sans autre nourriture que des dattes, nous passâmes
une triste nuit sous notre toit de pierre. Othman, qui connaissait
bien le danger de ces averses, craignait qu’une crue subite ne
vînt emporter nos chameaux et tout le reste. La pluie ne cessa
qu’au matin.
A six heures du matin, nous escaladons péniblement la paroi de roc,
et, bien que les Touareg se soient eux-mêmes chargés de tous les
bagages, nos malheureux chameaux tombent plusieurs fois. On ne saurait
croire ce dont ces bêtes sont capables dans la montagne ; un mulet
en ferait à peine davantage. Enfin arrivés en haut, nous leur
rendons leurs charges, et les braves animaux fatigués reprennent
la marche avec lenteur. Encore quelques passages difficiles —
nous croisons l’ouadi Azet — et nous prenons une demi-heure de
repos ; nous n’avons plus d’obstacles à franchir. Devant nous,
la Hamada déroule de nouveau sa surface monotone à l’infini.
A 4 heures, nous faisons halte dans l’oued Edjef-n-amouni dont
le vaste lit est couvert de tamarix magnifiques ; ces arbres y
réussissent mieux qu’ailleurs, et les Touareg viennent se fournir
ici de bois de lances.
_5 nov._ — Nous quittons l’oued, où nous avons rencontré
quelques Imrhad, qui veulent mener leurs troupeaux de chèvres dans
le voisinage de Ghât.
Nous continuons à traverser le morne Tasili, à peine accidenté par
quelques légères dépressions et quelques broussailles. C’est
ici que le Targui se sent à l’aise. Son œil de lynx découvre
l’ennemi à des distances prodigieuses, et, si la lutte est
inégale, sa rapide monture l’emporte comme le vent à travers les
hamadas pierreuses. Othman m’assure qu’il oserait se risquer au
cœur du pays ennemi, car il sait bien qu’aucun mehari ne gagnerait
de vitesse la bête qu’il monte en ce moment. Tandis que la lenteur
de mon chameau me serait fatale ; mes compagnons pourraient rapidement
se mettre hors de péril, mais moi je suis en quelque sorte cloué
au sol ; c’est pourquoi, me dit Othman, son bon mehari lui serait
inutile, car jamais il ne m’abandonnerait pour fuir. Heureusement
que je n’ai pas eu à faire l’expérience de sa fidélité !
Le vaste horizon ne nous révèle rien de suspect, et c’est en
chantant que mes Touareg cheminent sur la hamada. Ce sont surtout
des chants de guerre, la plupart pleins de mélodie. Othman se met
à chanter dès qu’il a l’espace devant lui ; dans la montagne,
au contraire, il marche silencieux, tout yeux et tout oreilles,
et évite de faire le moindre bruit.
Nous arrivâmes à Tintorha au soir. Depuis quelques jours, mes forces
déclinaient visiblement, car les continuelles visites des Touareg
au début de notre voyage avaient bien vite réduit nos provisions
à quelques dattes et un peu de biscuit, nourriture absolument
insuffisante à la longue. Mouillé jusqu’aux os à diverses
reprises, sans que nous eussions pu nous sécher en allumant du feu,
j’étais devenu si faible, que mes Touareg étaient obligés de me
hisser sur mon chameau. A Tintorha, ma fatigue devint telle, que je
restai plusieurs jours étendu entre des roches qui m’abritaient
contre le vent froid de la nuit.
Par bonheur, des parents d’Othman campaient ici, et ils me
soignèrent de leur mieux. Ils m’avaient décidé à boire du lait
de chamelle, ce qui n’avait fait qu’aggraver mon état. Sur ma
demande, ils me firent alors un fort bouillon de viande de chèvre,
qui donna de suite les meilleurs résultats. A partir de ce moment,
ces braves gens ne se lassèrent pas de m’en fournir. Il me
suffisait d’un signe pour les faire accourir, et même la nuit,
l’un d’eux se mettait toujours à mon service. Je me rappellerai
toujours avec une profonde gratitude les bons soins que j’ai reçus
de ces pauvres[65] Touareg.
Le 9 novembre, j’étais redevenu assez fort pour remonter sur mon
chameau. Amma nous avait quittés, car il avait sa famille dans le
voisinage ; mais nous avions pour compagnon un frère d’Oufenaït,
cheikh des Imanghasaten. Le 10, à la source d’Ihanaren, nous
apprîmes par un Targui qu’Ikhenoukhen avait encore changé
d’avis, et que la razzia devait avoir lieu. Othman reçut cette
nouvelle avec enthousiasme, et n’avait plus qu’une idée : aller
à Ghât pour prendre part à l’expédition avec ses amis. De mon
côté, j’avais hâte de retrouver ma bonne maison de Ghât et
une nourriture plus substantielle ; nous tombâmes donc d’accord
de continuer notre route pendant toute la nuit.
Nous reprîmes donc la marche à travers les plateaux mornes
qui s’étendent à l’ouest des dunes de Ghât. Un brouillard
automnal voilait le paysage et bornait la vue, en dépit du ciel
resplendissant d’étoiles. Au petit jour, les brumes se levèrent,
et nous découvrîmes les cimes des palmiers de Tounine. Quelques
heures plus tard, nos chameaux s’agenouillaient devant les portes de
la ville. Mon serviteur, à qui l’on avait prédit que je mourrais
de la main des Hoggar, m’accueillit avec joie en remerciant Allah
de mon heureux retour.
* * * * *
CHAPITRE III
=SÉJOUR A GHAT=
(12 Novembre 1876. — 4 Janvier 1877).
A peine arrivé, je reçois la visite de Touareg chargés de
renouveler auprès de moi les réclamations du cheikh Bou-Bekr. Il
prétend que l’expédition anglaise ayant fait un cadeau à sa
famille, je suis tenu d’en faire autant à son égard. Je lui fais
dire que les Ghadamésiens et moi nous sommes dans le même cas :
ceux-ci lui ont payé chacun un thaler, et je suis prêt à faire
de même. Ainsi finit cette nouvelle tentative.
_13-16 novembre._ — Othman retourne à Tintorha : on s’attend
à une incursion des Hoggar, car les Azdjer ont tué cinq hommes de
la tribu des Taïtoq[66] et enlevé leurs chameaux.
Je prépare mes lettres, car les Ghadamésiens vont rentrer chez
eux dans quelques jours.
Les Hoggar ont fait irruption à Djanet et ont enlevé les chameaux
des Ihadanaren[67].
_17 nov._ — Je suis allé à la mosquée ; il n’y a plus personne
qui trouve à y redire. J’ai fini par dénicher ici de l’opium,
il est vrai, à un prix exorbitant ; grâce à ce médicament,
je me remets vite et je puis sortir.
_18 nov._ — Othman est revenu et m’aide à revoir mon journal
de route.
Je me suis coupé la barbe, ce qui passe ici pour un gros péché ;
je vais être obligé de me voiler la figure à la façon des Touareg.
On parle de négociations de paix, dont un marabout de Djanet[68] a
pris l’initiative. Tout le monde souhaite qu’elles aboutissent,
car par suite de ces razzias perpétuelles, toute sécurité a
disparu. Peut-être pourrai-je alors pénétrer quand même dans le
pays des Hoggar, en prenant l’Aïr pour point de départ.
_19 nov._ — J’ai rendu visite au gouverneur Safi, son accueil
a été des plus aimables ; je dois beaucoup à cet homme, qui
fait pour moi tout ce qu’il peut. Il me raconte que, dès mon
retour du lac Mihero, le cheikh a recommencé à faire valoir ses
prétentions et proféré des menaces. Safi lui a répondu : « Tu
peux tuer quelqu’un, c’est vrai ; mais sois sûr que si tu commets
un acte de violence contre mon hôte, je serai demain sur ta trace,
et qu’avec les Arabes du Fezzân, je tuerai cent hommes pour venger
celui-là[69] ». Il paraît que le cheikh s’est éloigné sans dire
un mot. Safi croit que je pourrai aller dans l’Aïr avec la grande
caravane, et qu’une recommandation du sultan d’Agadès pourrait
me valoir la protection du chef des Aouélimiden qui me mènerait en
sûreté à Tombouctou. La caravane part dans quinze jours. Je ne puis
aller au Soudan qu’en compagnie des Kel-Guérès ; à Tombouctou,
qu’avec l’aide des Aouélimiden. La route à l’ouest d’Agadès
traverse des pays nouveaux et de grand intérêt ; peut-être
pourrai-je aussi m’avancer de Tombouctou jusqu’à Ségou.
J’entends dire que les Hoggar désirent vraiment la paix. Safi
veut qu’elle soit conclue par l’intermédiaire de l’autorité
turque, ce que les Hoggar veulent précisément éviter ; ainsi tout
est remis en question. Je prévois que les Hoggar seront de plus
en plus sous l’influence de Ghât, c’est-à-dire des Turcs,
car ceux-ci n’ont qu’à envoyer les Arabes du Fezzân dans
l’Ahaggar pour amener les Hoggar à composition. Cette razzia
opérée avec des chevaux dans un pays si désolé et si lointain[70]
est un précieux enseignement pour les Français ; elle leur apprend
ce qu’on peut faire au Sahara avec de la cavalerie légère[71].
_20 nov._ — Visite à Safi, chez qui j’ai fait la connaissance du
fils de Toufik. Celui-ci va d’abord à Djanet chez son père, qui a
entrepris des négociations avec les Hoggar. Safi prétend qu’en sa
compagnie j’arriverais en sûreté à Agadès. Malgré son teint
noir[72], ce jeune homme a des traits tout à fait européens et
une physionomie sympathique ; mais il veut partir déjà dans trois
jours, et je suis obligé d’attendre la caravane du Fezzan pour
acheter du grain.
Pendant que j’étais chez Safi, survint Ikhenoukhen qui se
mit à parler en targui. J’ai su ensuite que le Kel-Ouï lui
a demandé si j’étais musulman ; c’est à cette condition
seulement qu’il veut m’emmener dans l’Aïr : Ikhenoukhen a
répondu affirmativement. Oufenaït est arrivé ensuite, et je suis
sorti avec lui ; je lui ai demandé ce qu’il serait disposé à
faire au cas où un Anglais ou un Allemand le prierait de venir le
chercher à Ghadamès ; il s’est déclaré prêt à le guider, et
m’a assuré que dans ce cas Ikhenoukhen n’aurait rien à dire ;
par contre, tout Français devrait s’adresser à Ikhenoukhen,
c’est-à-dire lui payer l’_aada_.
Cet après-midi, Othman s’est dit également disposé à venir
chercher des voyageurs à Ghadamès. Si un Français voulait se mettre
sous sa protection, dit-il, il n’aurait qu’à se faire passer pour
un Anglais ou un Allemand, et pourrait alors venir même par Ghadamès
sans qu’Ikhenoukhen puisse élever de prétentions[73]. Les Touareg
demandent aux voyageurs chrétiens une _aada_ de 100 thalers[74].
Ce soir, visite de Hassan de Tounine, qui vient chercher des
remèdes pour son oncle Mahadi. Je lui fais part de mon intention
de m’affilier à l’ordre des Senousiya ; il m’approuve fort,
en me disant qu’il ne faut que deux jours pour cela ; il va en
parler à Mahadi[75]. Le soir, je suis allé chez Dedekora, qui m’a
également conseillé de m’affilier à un ordre religieux ; j’en
recueillerais les avantages surtout au Soudan, auprès des fanatiques
_khatas_. J’ai donné comme motif que pendant mon périlleux
voyage au Mihero j’ai fait ce vœu, si je devais revenir sain
et sauf. Dedekora m’a conseillé de faire avant de me coucher
quelques ablutions et quelques prières, et de faire ensuite ce
que j’aurai trouvé bon dans mon sommeil. Je compte lui dire que
j’ai rêvé que j’appartenais à deux ordres, celui de Senousi
et celui de Mouley Taïeb ; mes amis de Tounine sont du premier,
et Dedekora du second. Le premier me sera très utile au Soudan ;
le second, pour un voyage à Tombouctou.
_22 nov._ — J’ai pu sortir ce matin. Chez Safi, j’ai assisté à
une discussion importante. Ikhenoukhen était présent avec Oufenaït
qui parlait avec une grande violence, tandis qu’Ikhenoukhen ne
cessait de l’exhorter au calme. Il y avait encore un envoyé
d’Abd-el-Kader, le cheikh d’In-Salah. Voici ce dont il
s’agissait : Les gens d’Ikhenoukhen ont pris aux Hoggar beaucoup
de chameaux dans le voisinage du Touât, et enlevé du même coup un
certain nombre de chameaux touatiens : ce sont ceux-ci que réclame
Abd-el-Kader. L’autorité de ce chef est grande[76].
_23 nov._ — Safi est malade, et a fait défendre sa porte ; Ahmed,
son secrétaire, l’est aussi. Cette fièvre vous affaiblit très
vite et ne cède pas facilement à la quinine. Demain arrivera du
Fezzân une caravane de grain et d’orge, ce dont il y a ici grande
pénurie. Quant aux dattes, on n’en a pas du tout en ce moment ;
on en attend du Fezzân.
Cet après-midi, j’ai la visite d’Abd-el-Kader de Ghadamès,
qui me demande un remède pour les maux de dents et me parle de
ses voyages. Il a vu à Ghadamès les deux voyageurs français[77]
et les avait avertis, dit-il, mais ils ne l’avaient pas cru,
parce qu’ils avaient une entière confiance en Ikhenoukhen. Cet
homme a été en Europe, et sa conversation et son caractère me
déplaisent. Je ne me fie pas à lui.
_24 nov._ — Safi, très malade, ne reçoit pas. Longue visite du
fils de Toufik ; il est très curieux et s’intéresse à tout ce
que je lui montre ; mais il est très ignorant lui-même, même au
sujet de son propre pays : ainsi il n’a pas pu me dire si l’on y
trouve ou non des associations religieuses[78]. Il m’a dit qu’on
y chasse le lion et l’autruche à cheval, et que les léopards sont
également nombreux. Il ne connaissait pas le nom targui qui désigne
le crocodile, parce que dans l’Aïr on l’appelle autrement ;
en général, j’ai remarqué que bien des noms de plantes et
d’animaux cités par Duveyrier font place à d’autres termes dans
l’Aïr ; ceux-ci sont sans doute empruntés à la langue haoussa.
_25 nov._ — J’ai apporté à Safi des pilules de quinine ; il
les a acceptées avec reconnaissance. J’ai fait avec Othman la
revision de mon herbier, pour apprendre les noms indigènes.
_26 nov._ — Rendu visite à Safi délivré de sa fièvre. En
ville, il y a grande disette de vivres, et chacun se presse autour
du _cheikh-el-bled_, qui fixe les prix de vente des arrivages du
Fezzân, sans doute pour éviter que les indigents ne reçoivent
rien. On nous a donné deux kel d’orge pour 23 piastres, et c’est
là une grande faveur.
_27 nov._ — Safi me parle en termes très flatteurs des gens
de l’Aïr, notamment de Hadj Bilkhou. De chez lui je vais chez
Dedekora, à qui je reproche de ne plus venir me voir, il s’excuse
en invoquant ses affaires. Au sujet de mon affiliation, il me
conseille l’ordre de Mouley Taïeb, et pourtant lui-même
fait partie des Madaniya. Il croit que cela ne fera aucune
difficulté. Je veux donc m’affilier à cet ordre et à celui
de Senousi. Malheureusement mon ami Hassan de Tounine n’y
met aucun empressement ; je n’ai pu le voir lors de ma visite
au village. Dedekora me conseille d’aller chez le kadi et de
renouveler l’acte de foi en présence de deux témoins, puis de
faire deux rikaa à la mosquée ; le kadi me donnerait alors une
attestation écrite.
_28 nov._ — Je suis allé chez le kadi : c’est un homme au teint
foncé et aux manières communes. J’ai amené la conversation
sur le terrain médical, ce qui m’a été très avantageux,
car le kaïd est presbyte et n’y voyait presque plus, faute de
lunettes. Je suis allé chez moi, et j’ai eu la chance de trouver
des verres appropriés, qui lui ont pour ainsi dire rendu la vue,
et ont fait de lui mon meilleur ami.
_29 nov._ — Dedekora me dit que si le kadi ne me demande pas
de dire la formule, je puis sans autre retard m’affilier à un
ordre religieux. Je vais à Tounine voir le chérif, mais je ne
trouve que mon ami Hassan, qui me conseille d’entrer d’abord
dans l’ordre de Mouley Taïeb, ce qui est plus facile, car il me
serait trop difficile, d’après lui, de suivre simultanément les
prescriptions des deux confréries. J’ai l’impression que le
chérif n’approuve pas ou même veut empêcher mon affiliation aux
Senousiya ; du moins Hassan a-t-il laissé échapper cette parole :
« Le chérif est d’avis que tu n’entres que dans l’ordre
de Mouley Taïeb ». Peut-être cependant ne trouve-t-il pas bon
d’appartenir à plusieurs ordres, parce qu’on ne peut suffisamment
se consacrer à chacun d’eux[79] ? Je vais prendre des informations.
Au retour, je fais une visite au cheikh, sur le conseil de Hassan. Il
a gardé une attitude convenable ; mais ensuite, Hassan m’a raconté
qu’il attend toujours encore un cadeau et a même déclaré que,
sinon, je n’arriverais pas au Soudan. Il craint que je ne sois un
parent de Mlle Tinné, et ne puisse le dénoncer à Stamboul et lui
causer des désagréments.
Dedekora s’est malheureusement bien refroidi ; il ne s’empresse
pas de me faire entrer dans l’ordre de Mouley Taïeb, bien qu’il
sache combien j’y attache d’importance.
J’ai assisté cet après-midi, chez le kadi, à un procès
où le marchand Abd-el-Salam était plaignant et le prévenu un
esclave. L’esclave avait déjà reçu la bastonnade, mais de façon
très modérée ; je suppose qu’il avait attendri les soldats
avec de l’argent. Le kadi a jugé avec une grande équité, bien
qu’Abd-el-Salam, arguant de ses hautes relations, réclamât une
peine sévère. L’esclave s’en est tiré avec la menace qu’on
lui couperait les mains si on l’y reprenait.
Rencontré mon ami Hassan, qui m’avertit de ne pas aller en ce
moment à Tounine ; je soupçonne là-dessous une menace du cheikh
Eg-Bekr, qui attend en vain des présents.
_1er décembre._ — Le frère de Hassan est venu me chercher de la
part d’El-Mahadi, qui m’attend à Tounine. J’apprends que mes
soupçons étaient fondés : le cheikh a juré que, si je ne lui
donne pas 50 thalers et un burnous, je n’arriverai pas vivant
au Soudan. Mahadi m’a montré une série de médicaments et de
poisons qu’il a rapportés de Tunis.
Le kadi continue à me traiter avec considération, mais il a admiré
aujourd’hui mon burnous de façon fort suspecte : il me faudra sans
doute en faire le sacrifice ; peut-être déclarera-t-il alors que je
suis un vrai croyant, et m’en donnera-t-il l’attestation écrite.
J’ai eu ce soir une affaire désagréable avec Ikhenoukhen, qui
était assis avec quelques amis près de la route, et qui, me voyant
passer, s’est permis de demander à haute voix où donc allait
le _kafir_[80]. Je n’ai pu m’empêcher d’aller à lui et de
lui reprocher sa conduite ; je lui ai dit que c’était doublement
malhonnête de la part d’un homme de son rang et de son âge. Les
assistants ont voulu me faire croire que j’avais mal entendu,
mais ils m’ont dit aussi que je n’étais pas sage de parler avec
cette franchise. Je crois, au contraire, qu’il n’est pas mauvais
de leur montrer que je ne crains pas leurs jugements.
J’ai fait malheureusement une petite bévue à la mosquée, j’ai
commencé la prière lorsque le prêtre avait déjà pris la parole,
ce qui a excité la gaîté de quelques personnes. Dès que j’ai
vu mon erreur, je me suis assis tranquillement. Il est absolument
nécessaire que je me mette entièrement au courant de tous ces rites,
et je n’en tiens que davantage à entrer dans une confrérie.
Demain, Dedekora doit enfin aller avec moi chez le mokaddem.
_2 déc._ — Arrivée d’une grande caravane du Fezzân avec des
vivres. Toute la ville est en joie. Le kadi à qui je fais ma visite
me raconte que les _Djinn_[81] lui ont dit dans son sommeil que je
suis un vrai croyant et qu’il faut me protéger ; il me donnera
donc des lettres de recommandation pour son ami le marabout Toufik,
lors de mon départ.
Visite à Beschir, qui me reçoit froidement comme toujours. Je
lui demande s’il pourra me donner de l’argent sur les lettres
de recommandation que son frère m’a délivrées. Il prétend
qu’il n’en a pas en ce moment : mensonge. Ainsi, malgré mes
deux lettres de crédit, me voilà tout à fait abandonné, et il me
faut chercher de l’argent, sous peine d’attendre bien des mois
un envoi de Tripoli. Ce soir, visite du chérif, qui n’a pas non
plus été très aimable.
Dedekora m’évite visiblement ; j’ai fini par le joindre
dans la rue et l’ai questionné au sujet de mon entrée dans
l’ordre de Mouley Taïeb ; il a répondu que le mokaddem me
conseille de m’adresser au chérif. Ainsi une défaite, on ne veut
pas m’admettre. L’amitié du kadi me devient d’autant plus
précieuse. Je veux demander franchement à Safi, pourquoi tous mes
amis s’écartent de moi[82]. Il est le seul qui se soit toujours
montré bienveillant à mon égard. J’ai demandé au chérif où
je devais aller pour apprendre à connaître un grand marabout, si
je devais aller à Tombouctou, chez Bakkay, ou ailleurs ; il m’a
recommandé Sokoto. Ce doit être un joli foyer de fanatisme !
_3 déc._ — J’ai rencontré aujourd’hui chez le kadi, un
pèlerin de Chinguit[83], dont la physionomie m’a frappé : il
ressemble à un Indou. Comme le kadi parlait de ma foi musulmane,
j’ai vu distinctement un sourire moqueur sur les lèvres du
pèlerin. Il n’en croit pas un mot. Il a beaucoup parlé de Nderen
— sans doute Saint-Louis du Sénégal — et m’a dit qu’il
y vient des caravanes de Tombouctou. Il me conseille de donner la
préférence à la route de Sokoto, car les Aouélimiden ont tué
beaucoup de ses compagnons[84].
_5 déc._ — Cet après-midi, visite à Abd-es-Salam, beau-frère de
Safi. C’est un homme très agréable, à physionomie ouverte. Il est
d’avis que je ne dois pas prendre la route directe d’Agadès à
Sokoto, elle n’est pas sûre. Il vaut mieux gagner Kano en passant
chez les Touareg Dougama[85] dont je n’aurai rien à craindre.
_6 déc._ — Des Kel-Ouï sont venus m’offrir de me louer leurs
chameaux. Mais il me faudrait d’abord voir Safi seul à seul,
ce qui est extrêmement difficile.
_7 déc._ — Tous mes efforts pour avoir avec lui une entrevue
particulière ont été vains. Il m’a conseillé toutefois de
retarder mon départ. Othman veut aussi me retenir ici, pour me
mener dans le Hoggar.
Oufenaït me raconte que la partie de l’oued Mihero renfermant
des mares à crocodiles s’étend sur trois jours de marche. Il
appelle ce chapelet de petits lacs _tarera_ ; on ne trouve de grands
crocodiles que dans les plus vastes. Il ne tarit pas en éloges au
sujet de ces vallées, qui sont celles où il habite avec ses gens
en temps de paix[86].
_8 déc._ — Revu chez le kadi le pèlerin de Chinguit, qui m’a
accompagné à la maison, où je lui ai montré mon koran et ma
carte. Il connaît les chiffres européens, mais non les chiffres
arabes. Il me nomme un chrétien, John Nicola, pour qui il témoigne
beaucoup d’attachement ; il n’a pas, dit-il, de meilleur ami
à Nderen. D’après lui, le pays situé au sud de Chinguit se
nomme Al ; toute la région au sud du Baghena appartient au sultan
de Ségou. Lui-même a été dévalisé par les Touareg entre
Chinguit et Tombouctou, de sorte qu’il a dû continuer sa route
en mendiant. On semble l’avoir largement secouru dans le Kano,
car il en parle avec enthousiasme. Il a trouvé les Aouhen[87]
moins généreux. Je lui ai fait présent d’un grand morceau de
mousseline neuve, ce dont il a paru fort satisfait.
_9 déc._ — Les nouvelles au sujet de la paix deviennent plus
favorables. Ahitaghel[88] a écrit une très belle lettre à
Ikhenoukhen, disant qu’assez de braves gens sont morts des deux
côtés et que la lutte a assez duré ; que du dehors, les Français,
les Turcs et les Tibbous regardent les Touareg et se réjouissent
de les voir se déchirer et s’affaiblir ; qu’il vaut donc mieux
faire la paix. Mais il ne fait pas cette proposition par crainte,
car, même avec l’aide des Turcs, Ghât ne peut rien contre lui,
et les Arabes pas davantage ; mais son cœur se fend à l’idée
que les Touareg se détruisent les uns les autres et ouvrent leur
pays à l’étranger. Il propose que les notables se réunissent
dans la plaine d’Admar près de Djanet, et fassent une assemblée
à laquelle assisteraient aussi trois cheikhs de l’Aïr et le
chérif de Tounine.
C’est Mahadi qui m’a fait part de cette nouvelle. Il croit que je
pourrai très bien voyager chez les Hoggar, si la paix est faite ;
mais il ne me promet pas catégoriquement de m’accompagner :
il voudrait évidemment se faire payer très cher.
_10 déc._ — J’ai vu deux chérifs de la Mecque qui sont en
route pour le Soudan et ont rendu visite à Safi. Ces pèlerins
passent ici pour aller s’établir chez les chefs soudanais qui
leur donnent de riches aumônes.
J’ai donné au kadi un beau burnous noir qu’il m’avait demandé
sans détour ; il me gratifie en échange d’un talisman long de
7 pieds, qu’il a rédigé et que je suis obligé de porter dans
mon turban.
_11 déc._ — Visite d’Othman, qui a acheté un nouveau sabre et
me demande de l’argent, je suis obligé de répondre par un refus,
car ces demandes pourraient devenir périodiques.
_12 déc._ — J’ai écrit toute la journée. J’ai terminé mon
rapport à la Société de géographie, jusqu’au moment de mon
retour à Ghât. Je remets à plus tard le récit de mon excursion
à Markharéré[89], pour que ceci au moins soit publié.
_13 déc._ — Cet après-midi, comme je causais devant la maison
de Safi avec beaucoup de personnes, deux jeunes gens m’ont appelé
_kafir_ en passant. Je les ai suivis jusqu’à leur maison et les ai
invités à se rendre avec moi chez le kadi. Celui-ci leur a fait une
semonce sévère et a ordonné au gendarme de les mener en prison et
de les bâtonner. Comme ces jeunes gens sont proches parents de Safi,
cet ordre leur a fait peu d’impression, mais Safi a confirmé la
sentence, ce qui les a bien étonnés. Ce sera une bonne leçon, et je
crois que personne ne m’appellera plus _kafir_. Le kadi a proclamé
partout que je suis musulman, et que quiconque m’appellerait _kafir_
commettrait un grave péché et tomberait sous le coup de la loi. Cela
a fait bon effet, au moins à l’extérieur[90].
_14 déc._ — Les deux jeunes gens qui sont frères de Safi,
ont passé la nuit en prison et ont dû payer chacun 5 _rial_
d’amende. Le kaïmakam les a vertement tancés devant tout le
monde ; on dit même qu’il leur a administré une correction en
particulier. J’ai voulu aller voir Safi ce soir, pour lui exprimer
mes regrets de n’avoir pas su que c’étaient ses frères et
de n’avoir pas évité cette scène désagréable, mais j’ai
trouvé la porte close. J’espère qu’il ne me gardera pas rancune.
_15 déc._ — Aujourd’hui, visite de Hassan-el-Mahadi de
Tounine. Il a été chez Sammit, où il a trouvé mon domestique
Staoui et le cheikh Eg-Bekr, échangeant des gros mots, parce que
le cheikh m’avait appelé _kafir_ et l’avait traité, lui, de
païen encore pire. Eg-Bekr a répété aussi qu’il me tuerait,
lorsque je serais en route pour le Soudan. Il faut que l’autorité
soit bien faible, pour que ce meurtrier puisse en pleine ville me
menacer d’assassinat.
J’ai vu ce soir Safi, aussi aimable que d’ordinaire. Je crains que
la paix ne se fasse pas de sitôt, personne n’en parle. Ikhenoukhen
est parti pour l’ouadi Taneskrouft, à cause de ses troupeaux. Je
me demande toujours si je dois rester ou partir.
_16 déc._ — Staoui a apporté ce matin une belle djoubba rouge au
gouverneur, qui l’a acceptée avec bienveillance. En me promenant
hors la ville, j’ai rencontré le chérif Mohammed, qui m’a
appelé de loin et m’a demandé si j’allais au Soudan. J’ai
répondu que j’hésitais encore, sur quoi il m’a conseillé
d’attendre la paix, et d’aller ensuite avec lui chez les
Hoggar. Je m’étonne que cet homme si orgueilleux m’ait parlé
de la sorte.
J’ai été ce soir seul avec Safi pendant quelques minutes, et je
l’ai questionné au sujet de ce projet de voyage chez les Hoggar. Il
m’a dit que le chérif mentait, que personne ne pouvait tenter de
me mener dans ce pays ; bien plus, il se passerait encore au moins
un an après la conclusion de la paix, jusqu’à ce que les Hoggar
revinssent se montrer à Ghât, et offrissent ainsi une garantie
de leur sincérité. J’ai été étonné de le voir s’exprimer
d’une façon si catégorique après m’avoir tant fait attendre. Il
me semble avoir cru que je renoncerais entièrement à mon voyage.
_17 déc._ — Safi m’annonce que les Kel-Ouï vont partir avant
la fête, de sorte qu’il faudra me préparer en toute hâte. Il
est vrai qu’après la fête une troupe d’Ihadanaren[91] ira sous
la conduite d’Ouinsig apporter des marchandises des Ghadamésiens
dans l’Aïr. Ils passeront par Dider, ce serait une route très
intéressante et nouvelle. Safi va prendre des renseignements. Je
lui ai confié mon argent en le priant de me le changer ; c’est
une faveur que je lui fais, l’or étant très recherché ici.
_18 déc._ — Safi me fait dire de me tenir prêt dans quatre
jours. Il a trouvé des gens dignes de confiance et prêts à me
conduire. Je dois me fournir d’orge et de farine, et me dépêcher,
car, cette caravane une fois partie, il n’y aura plus d’occasion
de voyager en sûreté, mais seulement de petites troupes de Touareg,
à qui l’on ne pourrait se fier. Comment m’apprêter en si
peu temps ?
_19 déc._ — Les Kel-Ouï sont venus demander si je veux louer
leurs chameaux ou non ; j’ai dû leur répondre comme hier qu’il
me fallait d’abord acheter des vivres. Personne ne veut me vendre
du grain ; Staoui ne se donne d’ailleurs aucune peine, car il
ne veut pas aller au Soudan. Mon embarras est grand. Si je manque
cette occasion de partir, j’en chercherai une autre, car je suis
résolu à ne pas rester ici, où je ne fais que perdre du temps et
de l’argent. Safi, à qui j’ai confié quinze pièces d’or,
me fait attendre la monnaie. Espérons que je ne serai pas déçu
de ce côté-là !
_20 déc._ — Travaillé tout le jour à envelopper mes caisses
de cuir.
_22 déc._ — Allé à la mosquée. Je n’ai pas été peu surpris,
après la prière, d’entendre prononcer mon nom et une longue
attestation de ma foi. C’est une lettre que le kadi adresse au
hadj Bilkhou de l’Aïr, et qu’il fait lire au public.
La caravane voulait partir demain, mais j’apprends ce soir que
onze chameaux manquent à l’appel et ont sans doute été volés
à Titersine ; les Kel-Ouï vont donc rester encore quelques jours,
ce qui me permettra peut-être de partir quand même. Si seulement
Safi me rendait mon argent.
Oufenaït m’a dit aujourd’hui en présence de Safi qu’à aucun
prix il n’irait avec moi chez les Hoggar, même si la paix était
conclue, car ce sont des gens sans parole, et aucun de leurs hôtes
n’est assuré de ne pas être assassiné par eux.
_24 déc._ — Safi ne m’a toujours pas rendu mon argent, que
je lui avais confié pour qu’il en fît le change. C’est une
honte. Sammit m’a offert de me donner des marchandises, mais je
ne puis me procurer des vivres. Il ne manquerait plus que cela,
que le kamakam gardât tout mon numéraire.
_25 déc._ — Mes Kel-Ouï se sont enquis avec insistance si
j’ai enfin trouvé des vivres ; comme ils emmènent beaucoup de
chameaux à vide, ils désirent fort s’assurer les quatre charges
qui représentent mon bagage. Ils vont à Zinder, mais offrent de
me mener où je le désire. Safi me conseille de m’arrêter chez
hadj Bilkhou, à qui il me recommande, car à Agadès je ne connais
personne et n’ai aucun soutien. Safi tarde toujours à me rendre
mon argent !
Oufenaït me déclare aujourd’hui qu’il restera mon ami, que
je lui donne ou non quelque chose ; c’est vrai, il est le seul
qui n’ait rien mendié[92]. Aussi je regrette de ne pouvoir lui
faire un beau présent, mais il recevra au moins quelque chose ;
peut-être cela profitera-t-il à d’autres voyageurs.
L’Imam m’a demandé une médecine pour ses yeux, et m’a fait
remarquer que lui aussi a droit à quelque chose, pour avoir lu
la lettre de recommandation à la mosquée. Comment satisfaire à
toutes ces exigences ?
_26 déc._ — J’ai prié Oufenaït de venir et lui ai donné
un caftan rouge à manches brodées d’or. Il s’est écrié :
_maschallah !_ Il ne s’attendait évidemment pas à un si riche
présent. En quelques paroles chaleureuses, il m’a assuré que je
pourrais visiter son pays aussi loin que je voudrais. Il a mis le
vêtement et est retourné chez lui à grands pas, sans doute pour
se faire admirer des siens. Sa joie faisait plaisir à voir.
_27 déc._ — Safi ne m’a toujours rien rendu. Je vais charger
Abd-es-Salam de lui rafraîchir la mémoire. Comme je n’ai pas
d’habits de fête, je ne suis pas allé ce matin à la prière
publique.
_28 déc._ — Le Kel-Ouï, à qui Safi m’a recommandé, est
venu voir mon bagage et m’a demandé avec impudence 25 réal par
charge jusqu’à la résidence de hadj Bilkhou. Il voudrait me mener
jusqu’au Soudan, pour gagner davantage, mais je ne puis payer ces
prix-là, il ne me resterait rien pour vivre.
_29 déc._ — Amr Tchouaouch[93] me raconte qu’il a entendu Safi
me traiter de _kafir_, et pense que je ne dois pas avoir confiance
en lui.
L’Imam est venu me consulter pour ses yeux et je lui ai donné de
bonnes lunettes, qui lui ont fait bien plaisir.
Je pense qu’il vaut mieux quand même que j’aille d’un coup
jusqu’à Zinder ; j’attendrai là qu’on m’envoie de l’argent
et irai ensuite à Sokoto ; mon présent sera certainement le bienvenu
chez le sultan de Zinder. Peut-être les Kel-Ouï admettront-ils
que je ne les paye pas immédiatement ; ils demandent pour cette
deuxième étape la même somme que pour la première.
_30 déc._ — Cet après-midi, visite à Safi ; je n’ai rien reçu
de lui, malgré ses précédentes assurances. J’ai fait part de
ma déconvenue à Abd-es-Salam Sinam ; il m’assure que j’aurai
mon argent. Il me dit que Sammit et lui ont eu un entretien avec le
cheikh Bou-Bekr, et que celui-ci a fini par fixer ses exigences à
un burnous et 2 réal. Comme cette demande est raisonnable, j’y
consens et me débarrasse ainsi de mon dernier ennemi.
_31 déc._ — J’apprends que le cheikh Eg-Bekr est devenu
subitement mon meilleur ami, et parle même de me retourner mon
présent, pour montrer son désintéressement ! Il veut me recommander
aux Touareg d’Aïr.
Ce matin, un soldat m’apporte l’argent que j’ai prêté
à Safi ; mais il manque deux thalers, qui me sont rendus sur ma
demande. La caravane part dans quelques jours. Hassan de Tounine veut
aussi me donner une lettre pour son frère qui habite Zinder. Cette
année finit bien, j’envisage l’avenir avec confiance.
_1er janvier 1877._ — Les Kel-Ouï viennent voir mon bagage. Ils
ne comprennent pas l’arabe, de sorte que je vais être obligé
d’apprendre le haoussa[94].
_2 janv._ — Sammit ne veut me donner des marchandises payables
à Tripoli qu’avec une majoration de 25 pour 100. Aussi ne lui
ai-je rien pris[95], et j’ai payé tout ce que je lui devais. Je
suis allé chez Mahadi pour voir s’il pouvait me prêter un peu
d’argent. Mais il ne m’a rien offert. J’ai acheté une robe
noire et le turban assorti. Ce vêtement déteint terriblement,
mais il est très chaud[96]. On s’amuse de me voir costumé de la
sorte. J’ai fait peser mon bagage ; les Kel-Ouï se sont conduits
très convenablement et n’ont pas cherché à me tromper. Leur chef
s’appelle Bidoumas et m’est très sympathique. Je vais quitter
Ghât avec la somme de 130 thalers Marie-Thérèse pour tout avoir.
_3 janv._ — Mahadi est venu me dire quelques mots de Tombouctou et
s’en est allé en hâte ; on aurait dit qu’il avait peur d’une
demande d’argent. Safi est aimable comme toujours.
_5 janv._ — J’ai fait souder la caisse d’échantillons de roche
destinée à ma femme, et je l’ai fait remettre à Sammit[97]. Safi
m’a donné quatre lettres pour les cheikhs et sultans de la route
et m’a demandé en retour d’attester que je n’avais eu aucun
sujet de plainte pendant mon séjour à Ghât. Enfin tout est prêt
et l’on descend mon bagage. Mais alors on s’aperçoit que le
Kel-Ouï n’a amené que deux chameaux au lieu de quatre ! Il
propose de prendre la moitié des bagages, puis de revenir chercher
l’autre ; Staoui entre dans une violente colère et déclare qu’il
ne veut pas partir avec ces gens-là, et, comme je persiste, il fait
vraiment mine de prendre ses affaires et de me planter là. Je finis
par louer deux chameaux supplémentaires au prix exorbitant de 4
réal[98]. Restait à trouver un nouveau serviteur. J’allais me
rendre chez Safi à cet effet, quand Staoui se ravisa.
Enfin, après toutes ces contrariétés, nous étions, à 5
heures, prêts à partir. Nous longeâmes les jardins de Barakat,
qui s’échelonnent à une grande distance, et vers minuit nous
arrivions à l’oued Isseyen : là, au milieu d’une plaine semée
de petites dunes et de tamarix-éthels, nous trouvâmes campée la
grande caravane ; elle était plongée dans un profond sommeil.
* * * * *
CHAPITRE IV
=EN ROUTE POUR L’AÏR=
_5 janvier 1877._ — Après une longue et désagréable discussion,
je paye l’homme qui avait fourni les chameaux supplémentaires,
et j’exprime à Bidouma l’espoir que ces extorsions ne se
renouvelleront plus. Nous campons aujourd’hui, ce qui nous fait
du bien, car nous étions venus de Ghât à pied. Au point où nous
sommes, la vallée est déjà plus resserrée entre le Tasili et
l’Akakous. Partout les mêmes couches de grès.
_6 janv._ — Ce matin nous cherchons en vain les chameaux qui
doivent nous servir de montures : Bidouma nous a tout simplement
oubliés. Il laisse crier tout le monde, et se tient coi, car il
sait bien qu’il est en faute.
Enfin, nous partons à 10 heures[99], en remontant la rive droite
de l’ouadi encombré de sable. J’y note à plusieurs reprises
des ocres, couleur de cinabre, d’une grande pureté. Nous montons
toujours. Les deux berges sont dénuées de végétation. La hamada
s’étend des deux côtés de l’oued.
_7 janv._ — Nous partons à 11 heures, ayant le versant abrupt de
l’Akakous à notre gauche ; à 1 h. 1/2 nous avons dépassé ces
hautes murailles. Nous faisons halte au bout d’une plaine du nom
d’Akaouf. On trouve sur le versant sud de l’Akakous beaucoup de
dunes de sable qui sont pour ainsi dire adossées à la montagne.
Le Tasili semble maintenant plus bas. Partout de la pierre noire ;
très peu de plantes. Çà et là quelques dunes, toujours amoncelées
contre une paroi de roc.
_8 janv._ — Ce matin l’eau limoneuse que nous avions laissée
déposer dans une jatte était gelée. J’ai promis de la nourriture
à un des Kel-Ouï qui mène nos chameaux, et son attitude s’est
immédiatement modifiée. Nous montons un peu et passons sur le
Tasili semé de roches. A midi, vaste plaine et à droite une forêt
de piliers de pierre qui couvrent un large versant et affectent
souvent la forme de ponts. Des schistes bigarrés, tout semblables
à ceux de Tayta[100], affleurent le long des grandes parois.
Nous faisons halte à 2 heures dans une vaste plaine. A
gauche, quelques huttes et jardins : cet endroit s’appelle
Arikine. Jusqu’ici nous avons eu à gauche de hautes croupes
de montagnes et à droite, tout près, la surface peu élevée du
Tasili. L’horizon s’élargit.
Quelques Touareg viennent du village ; ce sont de pauvres gens
inoffensifs. Ils me racontent que les habitants de Djanet sont amis
des Hoggar, qui ne leur ont jamais rien pris.
_9 janv._ — Nous remontons un petit ouadi qui descend vers Arikine,
à travers un désert de pierres absolument nu, plus aride même
que la grande Hamada el Homra ; seulement l’impression est moins
terrifiante, à cause des formes changeantes des montagnes. On
m’a montré une piste qui, me dit-on, mène d’ici à Bilma. Le
pays devient plus plat ; après une montée dans les roches, nous
traversons une nouvelle hamada[101]. Au loin, droit au nord, nous
voyons encore une terrasse supérieure de l’Akakous, sur le flanc
sud de laquelle on aperçoit des dunes ; devant nous, une ligne
dentelée de montagnes noires ; au contraire, la ligne de crêtes
que nous avions à gauche a disparu. La roche qui prédomine est
encore le schiste de Tayta.
Nous faisons halte dans l’oued Eseti, dans une plaine couverte
de débris de schiste et où la _Fagonia arabica_ seule montre ses
rameaux jaunâtres et desséchés[102]. Mon guide m’assure que
l’oued Eseti suit la direction du sud-est.
_10 janv._ — Nous marchons d’abord vers l’ouest, sur une hamada
complètement plane, puis nous tournons au sud. Nous allons vers cette
ligne dentelée de montagnes que nous avons déjà vue hier. Derrière
nous l’Akakous se dresse à pic. De ses pentes abruptes se détache
une longue file de hauteurs qui se prolonge au loin à notre gauche
vers le sud-est ; mais on ne voit nulle part de plateaux ; rien que
des cimes isolées, séparées par des ouadi sableux.
A midi, nous touchons à ces hauteurs de couleur sombre, qui de
loin nous faisaient l’effet de montagnes, et qui ne sont que des
collines de 30 à 40 pieds couronnant le bord d’une hamada. Ce
sont des masses de grès sombre, de forme régulièrement conique ou
pyramidale ; les couches qui les composent sont horizontales. Il y
a partout du sable dans l’ouadi, mais point de dunes isolées. La
végétation est celle de la hamada ; aucune plante nouvelle. Le
vent est fort sur ces hauteurs et le froid très sensible. A 2
heures, nous faisons halte au delà de cette ligne de hauteurs,
dans l’ouadi Tounikanaham.
_11 janv._ — Nous restons campés aujourd’hui, car nous avons en
perspective quatre jours sans eau et sans herbe ; aussi faut-il faire
nos provisions, et tous les chameaux portent leur botte de fourrage.
_12 janv._ — Nous avons trouvé de la glace dans une grande
écuelle qui était restée la nuit hors de la tente. Il a fallu
la faire fondre au feu, tant la croûte était dure. Un brouillard
épais couvre la contrée, et, vers le coucher du soleil, les lourdes
brumes se lèvent lentement ; on se dirait en Allemagne. Nous avons
traversé le plateau et atteint une seconde zone de collines ;
c’est du granite. A 10 heures, nous voyons devant nous, droit
à l’ouest, le cône élevé du mont Tisga. — Les Kel-Ouï ont
une nomenclature des plus incertaines et sont en général de très
mauvais informateurs ; les Touareg du Nord donnent des renseignements
bien plus sûrs.
Nous cheminons en zigzag entre les hauteurs ; je note ici des
exemplaires isolés de _Rhus dioïca_. Les versants sont couverts
de sable granitique et de blancs cristaux de quartz. Tout ce pays
n’est que granite. Nous traversons un ouadi couvert de talha, que
les gens de la caravane dépouillent de leurs branches vertes pour les
donner aux chameaux. Nous campons près du mont Tisga dans la vallée
du même nom. Je trouve près d’ici le granite injecté de basalte.
_13 janv._ — Temps très froid. Le vent était tel, qu’on n’a
pas pu dresser les tentes. L’eau était gelée ce matin ; voilà
trois nuits que cela arrive.
Nous passons au pied du mont Tisga, qui est certainement un massif
de granite. A 2 heures, nous descendons une longue paroi de granite
nommée Eguefnerichine ; nous avons à nos pieds une vaste plaine,
que domine à notre gauche la crête dentelée du mont Mariaou. Dans
cette plaine en contre-bas, on voit de nombreux affleurements de
ce basalte gris dont je n’avais observé jusqu’ici que des
pointements isolés. La végétation fait entièrement défaut.
Nous nous arrêtons sur un plateau de sable granitique, sans une
plante, sans un être vivant, à part les corbeaux, qu’on retrouve
dans les plus arides solitudes.
_14 janv._ — L’eau était encore gelée ce matin. Nous traversons
le plateau ; des blocs de basalte sont épars à sa surface. A 7
heures et demie nous faisons halte au milieu des dunes d’Eguéchine.
_15 janv._ — Devant nous, une vaste plaine entourée de dunes. A
3 heures et demie, nous franchissons une haute crête de sable,
et l’oued Falezlez se déroule à nos pieds comme un ruban de
verdure. Halte au puits du même nom, situé au milieu de l’oued.
_16 janv._ — La végétation de l’oued se compose uniquement de
_hâd_[103], et cette plante ne croît que sur les buttes éparses
dans le lit de l’oued. Nous gagnons une plaine de sable et de
caillous. Descente dans un oued, où affleure une roche d’un
gris rougeâtre, d’apparence schisteuse, peut-être le grès de
Gâth[104], métamorphisé au contact du granite. A 4 heures nous
passons d’une haute hamada de grès à une plaine de _reg_[105]
en contre-bas, et nous retrouvons ici ce basalte gris dont j’ai
signalé plus haut des filons dans le granite.
_17 janv._ — Départ à 8 heures. Plateau de grès, où ne
pousse qu’un peu de _had_. Nous descendons dans le lit de l’oued
_Tireren_[106], aussi profond et plus large que l’oued Falezlez. En
escaladant l’autre rive, nous trouvons le granite, et immédiatement
après, une hamada de grès à gros éléments. Point d’eau depuis
l’ouadi Falezlez.
_18 janv._ — J’apprends que l’esclave d’Ibrahim a déjà
été plusieurs fois dans l’Adamaoua et est tellement enchanté
de ce pays, qu’il le préfère même à Kano. Ses caravanes y vont
perpétuellement ; la sécurité est complète.
Nous allons vers l’ouest, croisant les ouadis qui viennent tous
du nord. Le basalte traverse le grès et est lui-même injecté
de filons d’une roche granitoïde. Les filons de quartz abondent
partout où affleure le granite.
_19 janv._ — Nous marchons vers le sud entre de hautes croupes
de granite ; à 11 heures, j’observe des schistes micacés. Le
pays reste entièrement dénué de plantes. Nous croisons l’oued
Touffok et faisons halte sur l’autre rive. Asiou[107] se trouve,
me dit-on, à 5 jours de marche dans l’ouest. Les montagnes que
nous avons franchies hier s’appellent Ereren. L’ouadi Touffok
se prolonge dans le pays des Tibbous et des Aouélimiden[108].
_20 janv._ — Les montagnes sont devenues plus hautes et l’ouadi
forme un gorge étroite, où les arbres sont nombreux. A 10 heures et
demie nous voyons pour la première fois un arbre aux fortes branches
hérissées d’épines, que les Touareg appellent _ebora_[109]
et les Haoussa _adoua_. Ces vallées sont pleines de verdure ; les
_talha_[110] sont aussi bien plus hauts et plus beaux. Nous faisons
halte dans le large lit de l’ouadi Arokam.
_21 janv._ — Nous suivons le cours de l’oued. On coupe ici de
l’herbe, car pendant plusieurs jours il n’y aura pas de fourrage
pour les chameaux. Nous sommes rejoints par une caravane de Ghât.
_22 janv._ — Nous passons la journée dans l’ouadi Arokam, pour
laisser paître les chameaux. On confirme la nouvelle que les Hoggar
ont surpris une caravane près de Tadent[111] et l’ont entièrement
dépouillée. C’est cette caravane des serfs Ihadanaren conduits
par Ouinsig, avec laquelle je devais partir.
Je suis allé ce matin à la chasse aux gazelles, mais je n’ai vu
que de nombreuses traces dans le sable. Les ouadis des environs sont
riches en tamarix _éthel_, _ana_, _toullout_[112], _oum-el-leben_,
_tanedfert_, _talha_, etc. Point de plante nouvelle. Partout du
granite, souvent des schistes à hornblende (?). J’emporte des
échantillons de cette roche cristalline de couleur noire. Nous
nous préparons à de nouvelles fatigues. Ma provision de lait
est malheureusement épuisée, et je n’ai pas davantage de
viande. J’en suis réduit à la _mohana_ pour toute nourriture.
_23 janv._ — L’eau était de nouveau gelée ce matin. Nous
partons à 7 heures et demie ; tous les chameaux portent des bottes
de fourrage en sus de leur charge ordinaire. L’un d’eux ne peut
plus marcher, et est tué sur place ; chacun accourt pour emporter un
peu de viande. Nous traversons en biais le lit de l’ouadi Arokam,
qui se prolonge vers le sud. Beaucoup d’herbe dite _ameo_[113] ;
cette espèce constitue souvent à elle seule la végétation des
oueds de la contrée. Nous dépassons des collines de granite ;
beaucoup de traces d’antilopes.
A 10 heures un quart nous aboutissons par un terrain accidenté à un
gorge profonde, qui nous mène à l’ouadi Tadonet. Nous sommes ici
plus bas que nous n’avons jamais été ; nous voyons reparaître
dans cette gorge les schistes à hornblende, au milieu du granite.
Nous débouchons dans la belle vallée d’un ouadi, que nous
remontons à droite ; elle est littéralement semée d’_ana_[114]
qui atteignent ici les dimensions d’un arbre, et de grands _talha_
qui rappellent les chênes, lorsqu’ils sont devenus de taille
respectable. C’est la première fois que je rencontre des buissons
d’_ana_ en aussi grand nombre.
A midi nous faisons halte dans une gorge latérale. Dans le voisinage
campe une petite caravane, qui vient également de Ghât. On se
précipite avec les chameaux vers le puits, qui est assez éloigné
du campement pour que je n’aie pu aller le voir. Le soir nos gens
reviennent avec très peu d’eau, si bien qu’il nous faudra demain
aller à la recherche d’un autre puits.
_24 janv._ — On n’a pu recueillir hier que six outres d’eau ;
cela tient à ce qu’il a plu très peu l’année dernière. Nous
quittons donc l’oued Tadonet, et une heure après nous sommes
sur le plateau couvert à perte de vue de monticules de granite. Je
remarque ici par exception des _cassia odorata_[115].
Nous voici en face d’un faîte de granite dont la crête
dentelée émerge d’un amas d’éboulis. Cette disposition est
fréquente. Nous redescendons l’autre versant dans la direction
du sud. Nous faisons halte dans un oued. Un puits du nom de Katelet
est dans le voisinage.
J’ai noté du granite à gros cristaux de feldspath, de
l’amphibole et des schistes amphiboliques. Le pays est d’une
nudité effrayante.
_25 janv._ — Repos. Il a fallu creuser pour trouver de
l’eau. J’ai revu ici ce petit vautour à pennes noires, _Neophron
perenopterus_, que j’avais aperçu pour la première fois dans
l’ouadi Touffok.
Je suis allé sans succès à la chasse aux gazelles ; partout le
même paysage désolé de montagnes de granite à demi-ensevelies
dans le sable. Ce sont généralement de longues croupes orientées
N.W.-S.E., ou N.-S., et dont les flancs sont couverts d’un manteau
de débris. La flore se réduit à quelques gommiers rachitiques ;
pas un brin d’herbe ne croît ici.
_26 janv._ — Nous quittons enfin cette morne vallée de Katelet,
après nous être bien pourvus d’eau, car les Kel-Ouï nous
annoncent qu’on n’en verra pas une goutte d’ici sept
jours. Nous descendons un ouadi dont les berges érodées laissent
voir admirablement la structure des roches. Le granite forme ici
des filons au milieu du gneiss, qui se désagrège comme du bois
pourri ; en descendant l’oued, je rencontre dans ce gneiss un filon
de basalte noir de 2 pieds d’épaisseur. On voit aussi des roches
à hornblende avec injections de granite.
Nous voici de nouveau dans une plaine couverte de blocs de basalte,
comme la région de l’oued Falezlez : on dirait qu’une zone de
basaltes entoure le massif de granite. Des felso-porphyres à cristaux
de feldspath rouges forment un amas de blocs arrondis, fortement
désagrégés par l’atmosphère. Partout leur partie inférieure
porte la marque du sable, charrié par le vent. Quelques-uns de ces
blocs s’écaillent, et de grosses boules tombent de leurs alvéoles
de pierre, qui semblent au premier abord des excavations faites de
main d’homme.
Il y a dans la caravane deux esclaves noirs, l’un au service du
marchand Ibrahim, l’autre de Bilkhou, qui connaissent l’Adamaoua,
où ils ont coutume d’aller faire des achats de noirs. On
les paye avec des _tobés_, au taux de deux ou trois par tête
d’esclave. Ngaoundéré paraît être le marché principal. On me
parle aussi beaucoup de Kontcha.
Vu des _Oum-el-leben_[116] en fleur. L’eau a encore gelé cette
nuit.
_27 janv._ — Nous partons à 8 heures, tout grelottants de
froid. Devant nous, trois cimes qu’on appelle Tinkeradès. Nous
passons au milieu d’elles et campons dans une morne plaine de
sable. Depuis que nous sommes sortis des montagnes, les basaltes
dominent de nouveau.
_28 janv._ — Départ à 8 heures et quart. Des filons de basalte
noir traversent le granite[117], tandis que le basalte gris est au
contraire injecté de granite. Nous dépassons à notre droite une
coupole granitique surmontée d’une haute pyramide de pierres :
c’est le Tignoutine.
Plusieurs vautours suivent notre caravane, guettant le chameau qui
tombera de fatigue. Nous en avons déjà abandonné plusieurs.
_29 janv._ — Journée glaciale ; le vent du nord souffle sans
discontinuer. Les granites et les felso-porphyres alternent, ces
derniers présentent des inclusions de roche grise.
_30 janv._ — J’aperçois, pour la première fois, des gommiers
dans un ouadi sablonneux. On l’appelle ouadi Nkerat, il s’y
trouve trois puits à sec.
Nous approchons d’un plateau formé des mêmes grès que le Tasili
du Nord ; je revois également çà et là les schistes observés
dans la plaine de Tayta.
_31 janv._ — Départ à 8 heures. Nous n’avons plus autour de
nous que la homada de grès sombre, qui s’élève à mesure que
nous avançons vers le sud. Nos chameaux sont exténués.
Vers le soir, nous croisons l’oued Immider qui va dans la direction
de l’ouest et que nous descendons pendant une demi-heure, afin de
trouver au moins un peu de fourrage pour nos bêtes affamées. Cet
oued est le premier qui fasse partie de l’Aïr[118].
_1er fév._ — Nous montons toujours. A 10 heures, arrivée au
puits de Tadera, dont l’eau salée n’en paraît pas moins
délicieuse pour notre soif. Nous remplissons nos outres pour la
première fois avec de l’eau de l’Aïr. On dit que ce puits ne
tarit jamais. Le granite réapparaît à 8 heures, nous campons
dans l’ouadi Zibel, où nos chameaux trouvent de l’herbe en
quantité. Riche végétation de gommiers et d’_adjar_[119].
_2 fév._ — Jour de repos. J’ai une si forte envie de viande,
que je tire deux petits oiseaux au plumage jaune et gris, nommés
_keroukerou_. Mon serviteur m’en fait un bon potage.
_3 fév._ — Nous marchons dans l’ouadi. A 9 h. 1/2, halte près
de l’ouadi Tiout[120] ; nous puisons de l’eau douce pour la
première fois. Les _Maerua rigida_ et les gommiers dominent :
les premiers sont en fleur.
_4 fév._ — Départ à 8 heures, les gommiers atteignent ici des
dimensions extraordinaires. Je note en fait d’autres plantes :
de l’_alouad_[121] en fleur, formant des touffes vertes de 2 à
3 pieds de hauteur, très recherchées des chameaux ; du _sbot_
en quantité[122].
Nous ne cessons de cheminer entre des montagnes de granite ; des cimes
magnifiques se montrent à l’horizon ; la route monte toujours.
A 5 heures, nous campons dans un oued très vert, où se voient
des traces de moutons. Il semble que des hommes soient dans le
voisinage. Le nom de cet oued est Zerzou.
_5 fév._ — Nous quittons l’oued Zerzou à 8 heures, pour
marcher vers le sud. Halte entre deux collines de granite nommées
_Tchikedouen-ourach_ ou « montagnes de l’Or ».
_6 fév._ — Nous rencontrons un troupeau de chèvres, mais les
jeunes filles qui le conduisent ne veulent rien nous vendre. Nous
avons devant nous une véritable chaîne de montagnes, et deux
fois déjà pour les éviter, nous avons dû faire un détour dans
l’ouest. Je note des quartzites au voisinage de notre camp.
_7 fév._ — Nous faisons route au sud. A 4 heures, nous campons
sur le versant occidental de la chaîne de montagnes. Demain nous
serons dans la zone habitée de l’Aïr !
* * * * *
CHAPITRE V
=AU PAYS D’AÏR=
_8 fév._ — De très grand matin, deux Touareg vêtus de noir
se présentent à l’entrée de ma tente : ce sont des Ifadan,
qui demandent une redevance pour l’eau du puits de Tiout. Je les
renvoie à notre chef de caravane, qui répond que nous payerons
tous ensemble. Sur quoi mes deux Touareg se retirent en maugréant.
Nous suivons une série d’ouadi peu profonds, et abondamment
pourvus d’_adjar_ et de gommiers. Après avoir traversé une
véritable forêt de _Calotropis procera_[123], si hauts que nos
chameaux cheminent sous leurs branches en fleurs, nous atteignons
le premier village[124] de gourbis, et nous faisons halte près du
puits, à l’ombre de fourrés de _Salvadora persica_.
Les habitants ressemblent plus à des nègres qu’à des Touareg ;
tous parlent le haoussa ; quelques-uns seulement comprennent la langue
targuie. Ils sont habillés de tobés noires ; leurs huttes coniques
entourées de haies de _Calotropis_ ont l’air fort logeables.
Beaucoup de personnes viennent nous saluer ; entre autres le
cheikh Omar de Ghât et l’_oukil_ ou représentant du sultan
d’Agadès. C’est un homme au teint noir, mais aux traits
européens ; il porte un voile blanc sur le visage. Il salue plusieurs
personnes de la caravane, mais passe devant moi sans s’arrêter.
Le cheikh Omar, qui est parent du hadj Bilkhou, et qui habite Kano,
me dit que les gens de l’Aïr s’attendent depuis longtemps à
ma venue. D’abord on avait entendu dire qu’un chrétien voulait
visiter le pays, ce qui avait soulevé de l’opposition. Puis on
apprit que Safi avait mis en prison ses propres frères et un autre
habitant de Ghât, parce qu’ils m’avaient traité d’infidèle,
et ceci avait fait grande impression et calmé les esprits.
_9 fév._ — Aujourd’hui l’_oukil_ du sultan d’Agadès, qu’on
appelle ici Touraoua[125], perçoit la redevance due par tous les
marchands. Ce noir s’assied sur une natte juste en face de ma tente,
et je n’en augure rien de bon. En effet, il me réclame également
une redevance ; mais Bidouma se charge de négocier avec lui, et il en
résulte que je ne dois rien, parce que je n’ai pas de marchandises.
Les gens du village ont apporté du fromage qui est très fade,
parce qu’il manque de sel. J’ai eu toutes les peines du monde
à trouver un peu de beurre, pour la somme d’un thaler.
_10 fév._ — J’apprends ce matin que le _serki-n-touraoua_
attend de moi une grosse somme. Et en effet il ne tarde pas à venir
dans ma tente et me réclame 100 thalers et deux burnous ! Tous mes
amis de la caravane sont indignés. Bidouma vient à mon secours
en donnant sa parole que je n’ai rien que des livres et des
médicaments. Finalement je suis obligé de donner 10 thalers à ce
bandit, bien qu’il ait déjà reçu de moi une pièce de malti[126]
d’une valeur de 2 thalers.
Malheureusement, mes peines ne sont pas finies. Ce soir, une troupe
de Touareg armés de sabres et de lances va droit à ma tente, au
grand émoi de mes voisins, qui préviennent Bidouma. Les Touareg
s’approchent tout près de moi, et m’entourent, mais comme
ils parlent haoussa, je ne puis m’entretenir avec eux. Je reste
donc tranquillement assis près de mon feu, comme si ma personne
n’était pas en jeu. J’entends bientôt le mot de _kafir_, et
la discussion entre les Touareg et Bidouma devient de plus en plus
vive. Ils demandent, paraît-il, que je fasse publiquement profession
de foi mahométane, mais Bidouma s’oppose à ce qu’on me fasse
cette injure. Ses gens sont accourus, et lorsque les Touareg laissent
finalement entrevoir leur véritable intention, qui est de piller
mon bagage, Bidouma leur déclare qu’alors il leur faudra piller
toute la caravane, et non pas moi seul !
L’heure de la prière était venue sur ces entrefaites, et je
m’éloignai pour faire mes dévotions sur une colline voisine.
Lorsque je revins, les choses avaient changé de face, car Bidouma
avait rendu les Touareg attentifs à mes faits et gestes, et personne
ne doutait plus de ma qualité de vrai croyant.
_11 fév._ — Mon expérience d’hier m’a démontré la
nécessité impérieuse de ne rien faire qui puisse éveiller
les soupçons. Je renonce donc à relever ma route à la boussole,
comme d’ordinaire, lorsque je ne puis le faire sans être vu. Nous
faisons halte dans un petit oued.
_12 fév._ — J’ai vu aujourd’hui pour la première fois des
tarentules. Route en terrain plat.
_13 fév._ — Nous cheminons dans un large ouadi ; de hautes
montagnes se profilent à l’horizon de droite[127], et à gauche les
hauteurs sont tout près. Vu un nouvel arbuste, nommé _dilou_[128],
dont les feuilles ressemblent à celles du laurier. Halte dans
l’oued Egoulaf. Une plante parasite, sorte de _Loranthus_ à
couronne de fleurs rouges, croît ici sur les gommiers. Nous laissons
aujourd’hui la localité d’Asodi à notre droite[129].
_14 fév._ — Vers 10 heures nous avons à notre gauche le massif
important du Bendaï[130]. Nous passons un puits dans l’oued
Ounankerane, et faisons halte dans l’oued Ilassane, à environ 2
lieues du pied méridional du Bendaï.
_15 fév._ — Nous apercevons à gauche de notre route une montagne
complètement isolée, qui s’appelle Aourer[131]. A midi,
passage d’un col difficile. Vu, pour la première fois, dans
l’Aïr, une huppe. J’avais déjà aperçu des pies auparavant,
à Iferouane. Nous avons dépassé le rocher de Dokou, remarquable
par sa pointe en forme d’obélisque, et surtout par les figures
d’hommes, de chameaux et de chevaux qui y sont gravées. Les dessins
ne sont pas taillés dans la pierre à l’aide d’un ciseau, et
résultent seulement d’un grattage. Nous campons sur une colline,
avec vue au sud-ouest sur le massif du Baghzen.
_16 fév._ — Nous partons dans la direction du massif du
Tchéhémia, qui compte cinq ou six sommets arrondis. Halte dans
l’oued Amfisak, sur un large plateau incliné vers le massif
du Baghzen. Dans l’est apparaissent des crêtes horizontales :
c’est le commencement des plateaux du pays tibbou.
_17 fév._ — Après bien des pourparlers, je me décide à quitter
la caravane, et à séjourner à Adjiro chez le cheikh Bilkhou,
en attendant que de nouveaux subsides me parviennent. Je dis à
mes amis que, si le sultan Hussein de Zinder me prie de venir
soigner ses yeux malades, je me rendrai de suite à son appel ;
mais qu’autrement j’aurais honte d’arriver au Soudan dans un
pareil dénûment. Je crains également la saison des pluies.
Tout le monde m’assure que je serai en sûreté chez le hadj
Bilkhou, quand même je ne trouverais qu’un esclave dans sa
maison. Lui-même est en ce moment parti en razzia. Je distribue
quelques petits cadeaux à mes amis, je paye mes chameliers et
j’achète aux marchands de quoi faire des présents aux gens
d’Adjiro. Ce n’est pas sans émotion que j’ai dit adieu aux
gens de la caravane : tous ont été pour moi pleins d’égards.
Nous prenons la direction de l’ouest, en longeant le versant
septentrional du massif du Baghzen ; c’est là, dans un oued,
que je rencontre pour la première fois de petits sangliers gris à
large groin et à queue en trompette[132].
A 2 heures et demie, nous arrivons au gros village d’Adjiro, bâti
sur un contrefort du Baghzen. Le cheikh a envoyé un Targui chargé
de me recevoir ; mais celui-ci reste bien embarrassé, car il ne sait
pas un mot d’arabe. On dresse ma tente près de la hutte du cheikh.
_18 fév._ — Tout le village s’est rassemblé autour de ma
tente. Pour le moindre petit service, on me demande un cadeau :
je passe évidemment pour un homme très riche. J’ai appris
dans la suite que les esclaves chargés de transporter mon bagage
avaient, malignement ou non, fait des descriptions fantastiques de
mes trésors.
On me raconte qu’il y a des lions sur le Baghzen ; on y trouve
également un village avec des palmiers et de l’eau courante.
_19 fév._ — J’entends dire que la dernière caravane de Ghât
a apporté deux lettres à l’uléma de Rezer ; l’une de Safi,
qui me recommande à lui, et l’autre d’Ikhenoukhen, qui demande
qu’on me renvoie à Ghât. Je ne sais que penser. Un jeune noir
nommé Mousa, qui me sert d’interprète, bien qu’il ne comprenne
que l’arabe du Koran, et moi la langue vulgaire, me raconte que
l’uléma a rejeté avec vivacité la lettre d’Ikhenoukhen,
et affirmé que je ne quitterais pas le pays avant d’avoir vu le
cheikh Bilkhou. Est-ce dans un but de rapine ?
_10 fév._ — De grand matin le serki-n-touraoua et Mousa font
irruption dans ma tente, et le premier me fait comprendre que je dois
lui donner quelque chose. Je lui offre deux agates et une paire de
ciseaux, mais il les refuse. Comme je lui demande alors ce qu’il
désire, il se décide à parler : il sait bien que je n’ai pas
de marchandises, mais je n’ai qu’à lui donner 100 thalers,
et je pourrai aller sans encombre d’Agadès à Sokoto !
J’ai beau protester que je ne possède pas cette somme : vains
efforts. Le bandit n’a pas honte de me dire que j’ai un sac plein
de thalers, que les Arabes de la caravane l’ont vu, lorsque j’ai
acheté un mouton ! « Cherche toi-même », lui répondis-je. Et le
voilà qui me fait ouvrir tous mes coffres, prenant en main tout ce
qui lui paraît devoir contenir de l’argent : c’est ainsi qu’il
extrait d’un air désappointé mon sac à cartouches de la caisse
où sont mes livres. Ne trouvant rien dans la première caisse,
il va à l’autre, et découvre l’élégante petite boîte où
est renfermé le revolver. Il me dit de l’ouvrir ; mais je n’ai
pas la clef sous la main, et je ne me soucie pas d’ailleurs de
lui montrer le contenu. Du coup il est persuadé qu’il tient le
trésor, et il fait sauter la serrure !
J’eus beau lui dire que c’étaient des cadeaux destinés au
sultan de Sokoto, il n’en continua pas moins ses recherches. Il
me prit ainsi ma culotte rouge, mes agates et 22 thalers, et m’en
réclama encore 40 autres ! Je me voilai le visage et ne dis plus un
mot. Un Targui qui, paraît-il, était le fils du cheikh Bilkhou,
assistait impassible à la scène. Un instant j’eus l’idée
d’envoyer une balle à ce brigand, mais je songeai à ma femme et
à mon enfant, et dans mon impuissance, j’éclatai en sanglots.
Le bandit crut que je pleurais mon argent, et à partir de ce moment,
il ne me demanda plus rien. En partant, il voulut me donner la main,
car tout ce qu’il avait pris fût alors devenu sa propriété
légitime. Mais je m’y refusai, sans prononcer une parole. Il
partit et revint encore pour me donner la main, sans plus de succès.
La chose avait causé un grand émoi ; tout le monde était
stupéfait de me découvrir si pauvre. A partir de ce moment,
je ne montrai plus mon visage à personne, et je ne dis plus une
parole. Je ne pouvais protester autrement contre cette odieuse
violation de l’hospitalité.
_21 fév._ — Je suis resté enfermé dans ma tente. Beaucoup de
personnes sont venues, et ont essayé en vain de me faire parler.
_22 fév._ — Je reçois la visite des gens du cheikh Bilkhou ;
l’un d’eux, son frère, paraît-il, dit que c’est une honte
de m’avoir traité ainsi. Un autre me demande des remèdes, mais
je reste muet, au grand mécontentement de Staoui.
Cet après-midi j’ai fait une promenade dans les montagnes au
sud d’Adjiro ; les hautes vallées renferment un grand nombre
de _Stapelia_ dont les fruits sont en train de mûrir. Je n’ai
jamais vu cette plante dans les ouadis du désert[133]. J’ai été
également étonné de revoir des _Zizyphus lotus_[134].
En revenant au village, j’ai rencontré des tombeaux de dimensions
inusitées. L’un d’eux, d’aspect peu ancien, était entouré
d’un grand cercle de pierres dressées. Presque au même endroit,
se trouvent des restes de cabanes bâties avec des cailloux roulés
et du sable pour mortier ; elles sont si petites, que de loin je
les avais prises pour des tombes.
_23 fév._ — J’ai été surpris par la visite du Ghadamésien
Sermoï-ben-Darar, qui avait fait avec nous le voyage de l’Aïr. Il
a entendu parler de l’exploit du serki-n-touraoua, et il est le
seul parmi mes connaissances, qui ait songé à m’aller voir. Il
est presque noir, car sa mère est esclave de Tombouctou, mais il
vaut mieux que les Arabes. Il m’assure que tout me sera restitué
au retour du hadj Bilkhou. Chacun s’étonne, dit-il, qu’on ait
osé violer les lois de l’hospitalité dans sa demeure.
_24 fév._ — J’ai fait une promenade dans la direction du
volcan Tekindouhir, car il est trop loin d’ici pour que j’ose
m’aventurer jusque-là sans guide. J’ai rencontré en route des
maisons de pierre encore habitées, et qui sont revêtues d’un
enduit d’argile. Le cratère du volcan est sur le versant nord ;
mais la coulée de laves, arrêtée par des hauteurs, s’est
détournée principalement vers le sud. Tout est noir et nu[135].
_25 fév._ — On est venu hier chercher mes lettres de recommandation
pour Hadj Bilkhou et on les a portées à Rezer, où il y aura sans
doute grande délibération à mon sujet.
Cet après-midi j’ai essayé de faire l’ascension du volcan. Au
bout d’une heure et demie de marche à travers une plaine semée de
gommiers et d’adjars, j’étais arrivé au bord du champ de laves,
qui se présente du côté de l’oued comme un mur de 20 à 25 pieds
de hauteur. J’arrivai avec peine jusqu’au sommet, mais il me
fut impossible de traverser cette surface coupée d’innombrables
crevasses et hérissée de pointes aiguës. J’essayerai la
prochaine fois d’aborder le volcan par le versant nord, qui,
je l’espère me donnera accès dans le cratère. Vu de près,
le cône terminal a l’air de se composer de cendres, bien que sa
pente soit d’environ 45 degrés du côté sud. Un grand nombre de
petits couloirs en rayent la surface.
Deux sangliers se sont trouvés sur mon chemin, et m’ont regardé
tranquillement sans se déranger. Les défenses, très grandes,
s’écartent fortement de la tête.
_26 fév._ — Cet après-midi sont arrivés cinq à six cavaliers
à mehari escortant un vieillard monté sur un âne. J’ai deviné
que c’était le cheikh tant attendu. J’ai couru à ma tente
et chargé mes armes à tout hasard, car il se peut qu’il soit
encore pire que l’autre, et je ne veux pas être tué comme un
chien. Le cheikh s’est rendu dans la hutte qui sert de mosquée
et y est resté une quinzaine de minutes, qui m’ont paru bien
longues. Enfin, a paru le forgeron du village, qui m’a invité à
me rendre dans la hutte du cheikh.
Je me trouvai en face de deux Touareg assis sur une natte,
et entourés de quelques autres. Je leur donnai la main,
et, sans attendre qu’on m’en priât, je m’assis en face
d’eux. J’avais reconnu le cheikh de suite. C’était un vieillard
au teint foncé, qui décelait une parenté de sang nègre ; il
portait une vieille tobé bleue, et, sous son voile noir, on voyait
passer une barbe d’un blanc de neige.
Il me salua en arabe, et c’est d’une voix tremblante d’émotion
qu’il me demanda à plusieurs reprises comment j’allais. Comme
je ne savais pas à qui s’adressait sa colère, je me contentai de
répondre : « Louange à Dieu ! » Mais il continua à me questionner
en arabe : « Que t’est-il arrivé pendant mon absence ? » Je
fis une réponse aussi vague que possible ; alors il s’impatienta
de tous ces faux-fuyants, et s’écria : « J’ai reçu tes deux
lettres, et je les ai lues. » Et, comme je me taisais toujours, il
s’exprima avec une telle violence, que je n’eus plus aucun doute,
et lui répondis sur le même ton : « Que voulais-tu que je fisse,
du moment que ton fils assistait tranquillement à cette scène de
brigandage ; ne devais-je pas admettre que vous étiez d’accord ? »
Avec une violence croissante, le vieux cheikh repartit : « Ne sais-tu
donc pas que je n’ai point de fils ? — Je viens de loin, lui
dis-je, et je suis bien obligé de croire ce que m’affirment les
gens de ton pays ! » Il me demanda alors ce que le serki m’avait
pris. J’énumérai 22 thalers, une _djouba_ de drap rouge,
un pantalon de même couleur, et cinq agates. « Voilà, dis-je,
ce que j’ai vu prendre ; je ne sais pas s’il n’a pas encore
emporté autre chose. — Comment, s’écria le cheikh, tu ne lui as
pas donné tout cela de ta main ? — Non, il a pris lui-même dans
les caisses les objets à sa convenance. » Aussitôt le scribe de
l’endroit fut appelé, et le cheikh lui dicta la lettre suivante :
« Dès que tu auras cette lettre sous les yeux, tu rendras tout
ce que tu as pris à mon hôte, et sans retard. Les Aouélimiden
et les Kel-Guérès n’ont pas encore pillé ma maison, et toi tu
l’oses ! Sache que je tuerai quiconque viole mon domicile. »
Une deuxième lettre fut écrite à un cheikh, Bou-Bekr, qui
fut prié de veiller à l’exécution de cet ordre[136]. Un des
Touareg revenus tout à l’heure d’une razzia lointaine chez les
Kel-Fadé[137], n’en dut pas moins remonter sur son chameau pour
aller prendre livraison à Rezer de tout ce qui serait restitué. En
même temps, le cheikh m’apprit que le serki avait distribué aux
gens d’Adjiro une partie de mes dépouilles, et me rendit trois
thalers et le pantalon rouge. Peu après, je vis réapparaître trois
agates et trois thalers, que le serki avait donnés aux femmes. Le
vieux cheikh déclara ne vouloir accepter aucun de ces objets volés.
Je retournai tout heureux dans ma tente, et lui envoyai le soir même
le présent que je lui avais destiné ; un revolver à six coups avec
dix-huit cartouches, un caftan brodé d’or et un séroual de drap
rouge. Mais il me retourna les habits en me faisant dire que ces
belles choses étaient bonnes pour les sultans du Soudan ; s’il
revêtait ces splendides atours, tous les chefs le prieraient de les
leur prêter, et il n’en aurait plus aucun plaisir ; par contre,
il recevrait volontiers, soit un fusil, soit un peu d’argent ou
des agates pour ses enfants. Il m’était impossible de lui donner
mon fusil ; j’attendis donc au lendemain pour réfléchir à ce
que j’avais à faire.
Ce soir, le cheikh m’a fait présent d’un jeune taureau.
_27 fév._ — Beaucoup de Touareg sont assis devant ma tente et
admirent tout ce qui leur est étranger. L’un demande de l’argent,
l’autre des remèdes ; tous semblent persuadés que je suis cousu
d’or, mais ils ne sont pas insolents lorsque je les éconduis. Les
habitants du village qui ont assisté, indifférents ou moqueurs,
à la scène du pillage, ont maintenant pris parti pour moi et
approuvent le cheikh. J’ai envoyé à celui-ci les vingt derniers
thalers qui me restaient encore.
On me dit que la variole règne à Agadès et y fait beaucoup de
victimes ; on me conseille de n’y pas aller.
Les Kel-Ouï sont en ce moment en guerre avec les Aouélimiden ;
ceux-ci n’ont pas de fusil et craignent les balles ; par contre, ils
sont pourvus de chevaux, tandis qu’ici cet animal est très rare.
Ce matin, le taureau a été dépecé par le forgeron, qui a reçu
pour son salaire la tête, la peau et les entrailles. Le cheikh m’a
dit de ne distribuer de viande à personne, mais de sécher la viande
au soleil. Lorsqu’elle sera mangée, il m’en enverra d’autre.
_28 fév._ — Le cheikh est venu m’informer que, dans un à deux
mois, il y aura à Agadès un sultan véritable, à la protection de
qui il pourra me confier. Ceci répond à mes désirs, car je suis
obligé d’attendre les envois de Ghât, et je tiens à passer
un mois à Agadès, pour apprendre à connaître cette ville. Je
veux aussi visiter[138] les sources chaudes qu’on me signale
dans l’Ouest.
_1er mars._ — Le cheikh a fait apporter une hutte à côté de
ma tente. Après qu’on eut enlevé les pieux qui la retenaient
au sol, une masse d’hommes et de femmes l’ont soulevée tout
d’une pièce et portée jusqu’ici. Ces huttes rondes s’appellent
_oa_. Je suis allé pour la première fois visiter le vieux chef dans
sa maison, et lui ai apporté une paire de lunettes avec monture en
corne. Il en a été ravi, et m’a dit que, depuis son retour de
la Mecque, il n’avait pu en obtenir de personne.
Je l’ai questionné sur l’origine des Kel-Ouï, il ne savait
guère qu’une chose : c’est qu’ils sont venus du pays
d’Alakkos, entre Zinder et Kouka[139]. Les Touareg occupent toute
la lisière méridionale du Sahara ; au dire du cheikh, ceux du
Douggama et du Damergou sont également des Kel-Ouï.
Il me dit que, sur le Baghzen, il y a des palmeraies et des champs
de mil ; ce massif est également le seul où les lions aient leurs
tanières. Ces lions descendent souvent de la montagne pour enlever
des ânes et des chameaux. On essaye de s’en débarrasser avec
des pièges.
Le cheikh appelle le pays des Aouélimiden « Bogaël » ; c’est,
dit-il, une hamada rocheuse, sans ouadi fertiles et sans eau[140].
Les Aoulad-Sliman sont venus, il y a environ cinq ans, piller et
saccager l’Aïr ; ils avaient avec eux des Aoulad-Ali et des
Ourfellas. Le cheikh Bilkhou accourut du Soudan et les poursuivit
jusqu’au Kanem ; il prétend leur avoir tué jusqu’à mille
hommes, en quoi il exagère sans doute un peu.
_2 mars._ — On travaille activement à la hutte que je dois
habiter. J’essaye de causer avec les femmes en langue targuie,
et j’y réussis mieux qu’en me servant du haoussa. Une esclave
du cheikh m’a frappé par la finesse et la régularité de ses
traits. Dans mon ignorance, je lui demandai si elle était la fille
du cheikh, ce qui ne la mit pas dans un médiocre embarras. Elle
finit par me dire qu’elle ne connaissait pas ses parents, parce
qu’elle était venue toute petite dans le pays, et qu’elle était
une _Foulani_. Comme je lui demandais s’il y avait beaucoup de
Foulani à Agadès, elle me répondit, oui, et dit en riant à son
amie : « Il paraît qu’il veut s’en acheter une. »
J’ai pris possession de ma case, et je m’y trouve mieux que sous
ma tente : elle est fraîche et aérée.
_3 mars._ — Le cheikh a fait abattre aujourd’hui une vache,
et chacun en a reçu sa part. C’est en l’honneur de la fête du
_Miloud_. Je ne puis malheureusement me procurer du lait. On me dit
qu’il y en a fort peu ; mais, comme je vois beaucoup de fromages,
je crois qu’on le réserve pour cet usage. C’est à peine si
l’esclave du cheikh m’en apporte quelques cuillerées. Il est
vrai que chèvres, brebis et vaches ont ici le pis extrêmement petit.
Je suis allé visiter, cet après-midi, Sousso, un des fils du cheikh,
qui souffre de rhumatismes ; je lui ai ordonné des bains chauds,
mais il ne croit pas à leur efficacité, et reste assis à demi nu
en plein air ; naturellement, il ne va pas mieux.
_4 mars._ — Depuis quatre à cinq jours, le ciel n’est plus sans
nuages. Il est tout couvert de fins cirrus, qui viennent de l’ouest
et du nord-ouest. Je n’en vois pas venir du sud. La chaleur est
modérée et me rappelle le climat italien.
J’ai donné ma dernière agate à la Foulani, qui n’avait cessé
de m’en prier. Bien des personnes ont voulu m’en acheter[141],
d’autres m’ont offert du _turkedi_ en échange, malheureusement
je n’en avais plus.
J’ai peur que le manque de nourriture convenable ne me permette pas
de rester ici ; mes forces s’en vont encore plus vite qu’avant. Si
j’étais à Agadès, je pourrais sans doute vendre mes chameaux
et me procurer des vivres.
La tribu des Ihadanaren est en ce moment dans l’Aïr ; elle a
émigré en masse par crainte des Hoggar, qui lui ont enlevé ses
troupeaux ; elle se trouve en ce moment dans le nord-ouest d’Adjiro,
à Telak[142], dans l’ouadi Aouderas.
_5 mars._ — Vent froid et violent pendant toute la nuit. Le cheikh
m’a rendu visite et j’en ai profité pour prendre quelques
renseignements. Les Kel-Guérès et les Kel-Ouï parlent d’après
lui la même langue. Par contre, les Aouélimiden parlent comme
les Hoggar.
Le chef du Gober, Damboskori, est un ami du cheikh Bilkhou ; ses
ancêtres ont été les premiers sultans haoussa, et c’est encore
le haoussa qu’on parle dans le Gober. Les forces militaires du
pays se montent à deux mille cavaliers, et elles sont grossies
de toutes sortes d’aventuriers belliqueux, dont la principale
occupation est la razzia d’esclaves[143].
Les rapports de l’Aïr avec les Hoggar sont en ce moment très
tendus, car lors du pillage de la caravane des Ihadanaren au puits de
Tadent[144], les Hoggar ont pris des marchandises qui appartenaient
aux Kel-Ouï et environ mille thalers d’argent monnayé. Toufik est
allé en ambassadeur dans l’Ahaggar, et Hadj Bilkhou me déclare
que, si ces objets ne sont pas rendus, aucun des Hoggar ne pourra
plus mettre le pied sur son territoire[145] : et alors ils n’auront
plus de pays où ils puissent acheter leur grain et les autres choses
dont ils ont besoin.
Hadj Bilkhou lui-même paraît un assez brave homme, mais il n’est
pas redouté, et chaque cheikh fait ce qu’il veut[146].
Les Aouélimiden n’ont pas de grand chef en ce moment ; le dernier
a été tué par Hadj Bilkhou, lors d’une de leurs incursions
dans l’Aïr, et son fils est encore trop jeune pour avoir de
l’influence. Hadj Bilkhou me dit que, chez les Aouélimiden, le
fils de la sœur n’hérite pas du pouvoir comme chez les autres
Touareg[147].
Ce soir, au moment où je m’y attendais le moins, mes affaires
ont pris de nouveau mauvaise tournure. Le cheikh a fait appeler mon
serviteur et a réclamé cinq agates supplémentaires, en observant
que je ne lui ai pas encore donné ce qui lui revient ! Et cela après
avoir reçu en argent et en marchandises la valeur de près de 50
thalers ! Ce langage ne me présage rien de bon, et je m’attends
à être dépouillé à fond. Le pire est que le cheikh a jeté
son dévolu sur mon fusil, et l’a fait entendre à Staoui ! Que
deviendrai-je au Soudan sans armes ?
_6 mars._ — Nuit froide et tempêtueuse ; au jour, le ciel s’est
éclairci. Je n’ai pas revu le cheikh et j’essaye de lui opposer
la force d’inertie.
_7 mars._ — J’ai remarqué ce matin trois Touareg étrangers
près de la maison des hôtes. Ils sont venus ce soir avec
l’interprète, et il se trouve que l’un d’eux est le cheikh
Bou-Bekr des Kel-Guérès, qui remplace en ce moment le sultan
à Agadès[148]. C’est un homme grand et maigre, qui m’a fait
une très bonne impression. Il est curieux que ces trois Touareg,
appartenant à la fraction des Kel-Ferouan, soient venus me voir
sans être accompagnés du cheikh. J’en conclus qu’il y a
des dissentiments entre eux. Le premier mot de Bou-Bekr a été :
« Veux-tu m’accompagner à Agadès ? »
« Si tu me promets ta protection pour moi et mon bagage, je suis
prêt », lui répondis-je. A quoi il répartit que je n’avais
à craindre personne autre que Dieu. Je lui dis que j’étais
actuellement sans ressources, et qu’il lui faudrait me mener à
Sokoto pour y recevoir son salaire : il n’y fit aucune objection. Il
avait eu au préalable un long entretien avec le cheikh, et était
évidemment instruit de tout. Il me demanda si je n’avais pas de
soieries à vendre, et je lui expliquai que j’étais médecin,
et non marchand, que je n’avais que des médicaments : « Cela
vaut encore mieux », observa-t-il.
Là-dessus, mes visiteurs s’éloignèrent, me laissant
l’espérance d’échapper enfin à ma quasi-captivité. Je
m’attendais bien à quelque résistance de la part du hadj Bilkhou,
mais je pensais que le sultan intérimaire d’Agadès était
plus influent que lui. Les étrangers restèrent longtemps dans
la maison des hôtes ; ils avaient évidemment bien des choses à
débattre. Lorsqu’enfin je vis qu’on leur amenait leurs montures,
je me décidai à aller les trouver pour m’informer moi-même du
résultat de toutes ces discussions ; mais on ne me laissa pas un
instant seul en leur présence ; je ne cessai d’être surveillé,
soit par l’interprète, soit par son père, de peur que je ne pusse
dire quelque chose de la conduite du cheikh Bilkhou. Je demandai
si Bou-Bekr reviendrait à Djiro pour m’emmener avec lui ; on
me répondit : « Je ne sais pas. » Finalement j’appris que le
vieux cheikh s’était opposé à mon départ et qu’il voulait
me conduire lui-même à Agadès. Mais Dieu sait quand ! Evidemment,
il veut d’abord tirer de moi tout ce que je peux donner.
J’ai laissé entendre que je restais ici à contre-cœur, mais
j’ai allégué comme motif le manque de nourriture convenable : il
n’y a ici ni lait, ni beurre, ni oignons, tandis qu’à Agadès
on a tout cela en abondance ! La variole règne encore là-bas,
mais au dire de Bou-Bekr elle est devenue très bénigne, et la
mortalité est insignifiante. Il y a trois petites journées de
marche d’ici à Agadès, et dix jours d’Agadès à Sokoto.
Je quittai les Touareg, passablement déçu, et peu édifié
surtout des dispositions de mon geôlier. On avait dû lui rapporter
immédiatement mes paroles, car je vis arriver peu après du fromage
frais destiné à compléter mon ordinaire. Jusqu’à quand durera
mon séjour involontaire ?
_8 mars._ — Aujourd’hui les obsessions recommencent, cette harpie
de cheikh a dit à mon serviteur : « Si ton maître ne me donne pas
5 thalers Marie-Thérèse de plus, je ne fais rien pour lui ! » —
Et cela, après avoir reçu 50 Marie-Thérèse ! Il me reste en tout
et pour tout 3 thalers !
Le cheikh m’a maintenant coupé les vivres ; personne ne m’apporte
plus rien ; il veut évidemment me forcer par la famine à lui
faire des présents considérables. Je ne vis plus que de farine
et de lentilles ! Mais avant de mourir de faim, je lui enverrai
une balle, à lui d’abord, et à moi ensuite ! Comme il se peut
que le moment approche, j’écris ces notes en clair[149], pour
que les miens puissent lire les dernières lignes que j’aurai
écrites. Mon serviteur Staoui a l’ordre, s’il échappe à la
mort, de conserver précieusement ce journal, et de le remettre
entre les mains du consul d’Italie à Tripoli.
_9 mars._ — Staoui a voulu se rendre au village qui se trouve en
haut du Baghzen, pour tâcher de se procurer des vivres ; mais le
cheikh a fait disparaître le chameau qui est ma propriété, et
n’a pas consenti davantage à lui prêter un âne comme monture ;
ce qui équivaut à rendre impossible la course projetée par mon
vieux serviteur ! Il est allé cet après-midi trouver le cheikh pour
tâcher d’obtenir du beurre en échange de marchandises ; le cheikh
l’a renvoyé à demain, et pourtant je sais qu’il a des vivres
en abondance, car plus de trente ânes chargés de provisions sont
arrivés aujourd’hui, venant d’une autre partie de l’Aïr. La
caravane de vivres du Soudan est attendue dans quelques jours,
et alors on nagera dans l’abondance[150].
_10 mars._ — Le cheikh m’a surpris ce matin par le don d’une
boîte pleine de beurre ; il nous fait dire que nous devons acheter
nous-mêmes le blé et le riz. Mais avec quoi le payer, maintenant
que j’ai tout donné ?
Lorsque mon domestique est allé au puits, les femmes esclaves lui
ont dit que j’étais un infidèle, que je mangeais de la viande de
porc et buvais des boissons fermentées. Elles répètent évidemment
les propos qu’on tient chez le cheikh sur mon compte. Ils ne me
présagent rien de bon.
Le vent d’ouest souffle souvent avec violence le matin ; il
amène de telles masses de poussière, qu’on n’aperçoit plus
les montagnes d’alentour. L’après-midi, le temps s’éclaircit.
_11 mars._ — Je me suis décidé à demander au cheikh combien de
temps il compte me garder encore. Je l’ai trouvé en train de lire
le Koran, et j’ai dû attendre une demi-heure qu’il lui plût de
fermer son livre. Je lui racontai que j’avais été bien reçu à
Ghât, que Safi s’était montré très satisfait de mes modestes
présents, qu’il n’avait jamais exigé davantage ; qu’un homme
qui m’avait appelé _kafir_ avait été jeté en prison ; mais le
cheikh, à ce qui me sembla, n’en crut pas un mot. Lorsque je lui
parlai de mon départ, il me demanda pourquoi j’étais si pressé ;
à son avis, c’était indifférent de rester ici quelques mois de
plus ou de moins ! Je répondis que ce n’était pas indifférent du
tout, parce que je n’avais rien à manger et que je n’avais plus
d’argent. Personne ici ne me prêterait quelque chose, tandis que,
au Soudan, je trouverais des amis qui me tireraient de peine. Il
finit alors par dire qu’il aurait soin de moi, mais que je ne
pouvais pas partir maintenant, qu’il me fallait attendre un ou
deux mois le départ d’une caravane : voyager autrement serait
trop dangereux. Or, comme je sais qu’il n’y a pas d’autre
caravane que celle qui viendra de Ghât, c’est trois ou quatre
mois que j’ai la perspective de passer dans l’Aïr !
_12 mars._ — Les vents du sud et de l’ouest obscurcissent
l’atmosphère au point que je ne vois plus la montagne, à
peine éloignée de deux lieues. Ces masses de poussière viennent
évidemment du désert.
J’ai fait une nouvelle excursion au mont Tekindouhir ; son aspect
est tout autre du côté du nord-ouest. Le cratère est ici largement
ouvert, et ses débris couvrent le champ de laves ; une ascension
serait peut-être possible, car les coulées se détournent ici vers
le sud et forment une protubérance en pente douce, par laquelle on
pourrait peut-être pénétrer dans l’intérieur.
Comme j’étais allé à pied, et qu’avec mes souliers déchirés
je n’avançais qu’avec lenteur sur ces roches tranchantes, la
nuit était venue avant que je fusse de retour. A Adjiro, on avait
été inquiet de mon absence : le vieux cheikh me fit dire qu’à
l’avenir, si j’allais à la chasse aux gazelles, je devrais
partir le matin et non vers le soir.
_13 mars._ — Demain, quelques personnes d’ici doivent partir pour
Agadès ; je vais essayer de leur adjoindre Staoui pour qu’il me
procure des vivres.
Un Touareg bien mis, du nom de Bina, est venu me demander quels
cadeaux j’avais faits au cheikh, et combien je lui donnerais,
à lui, s’il me menait à Agadès et à Kano. Je lui ai promis
un burnous et quelques petits objets ; mais il voulait recevoir
la moitié d’avance, et, sur mon refus, il est allé trouver le
cheikh et lui a rapporté toute notre conversation : bien mieux,
à l’en croire, j’avais dit que je n’avais jamais vu un cheikh
inhospitalier comme celui-là. Ceci n’a pas fait bonne impression,
comme on pense, et le soir je les ai entendus distinctement rire
aux dépens du _kafir_.
_14 mars._ — Staoui, à qui le cheikh, à ma grande stupéfaction,
a prêté un âne, est parti aujourd’hui avec quelques indigènes
pour Agadès. Je lui ai donné tout ce que je possédais encore
en fait d’étoffes, de petites glaces, d’aiguilles, etc., pour
qu’il m’achète des vivres.
Au départ, le cheikh lui a dit assez haut pour que j’aie pu
l’entendre : « Si ce n’était toi, je n’aurais pas donné
l’hospitalité à ton maître, et je l’aurais renvoyé depuis
longtemps. » Ce sont évidemment les suites de la conversation
d’hier.
L’air est resté chargé de poussière et la montagne invisible
pendant tout le matin, la chaleur est étouffante. Le thermomètre
marque 28 degrés centigrades au fond de ma case.
Vers le soir, j’ai fait une visite au cheikh. Il m’a reçu sans
impolitesse, et m’a dit que, si je le désirais expressément,
il me mènerait à Agadès, mais qu’il ferait d’abord pressentir
le Sultan pour savoir s’il voulait me prendre sous sa protection,
qu’il valait mieux le savoir d’avance plutôt que de se faire
refuser l’accès de la ville.
Il a dit que Safi est le seul homme qui ait de la sympathie pour
les Turcs, que tous les Touareg leur sont hostiles. Si les Turcs
exigent d’eux une redevance quelconque, les Touareg répondront en
coupant toutes les routes de caravanes. Le cheikh lui-même semble
peu enchanté d’avoir les Turcs pour voisins.
Le nouveau sultan d’Agadès est un Touareg de la tribu des
Kel-Guérès[151] ; le cheikh croit ces derniers plus nombreux
que les Aouélimiden ; il ne connaît évidemment que les tribus
de cette confédération qui sont les plus voisines de son pays ;
il confond les autres avec les Arabes.
La variole qui règne à Agadès est toujours importée du Soudan ;
elle se montre également de temps à autre dans l’Aïr, mais la
mortalité n’est pas grande. Quant aux fièvres, on les contracte au
Soudan pendant la saison des pluies ; il y en a même dans l’Aïr
à cette époque, mais elles sont beaucoup plus bénignes. L’oued
qui passe près du village est alors plein d’eau, qui s’écoule
vers le sud.
_15 mars._ — Le cheikh me rend ma visite. Le vent souffle presque
toujours avec violence au moment le plus chaud de la journée,
et après le coucher du soleil.
_16 mars._ — J’ai été surpris aujourd’hui par la visite du
kadi d’Agadès ; il est évident que tout ce monde a entendu parler
de mes richesses, sans quoi je n’exciterais pas cet intérêt. Le
vieux kadi m’a fait bonne impression ; il connaît plusieurs de mes
amis de Ghât et parle assez bien l’arabe. Il m’a appris que le
cheikh Bou-Bekr des Kel-Guérès, qui a été ici, ne gouverne pas
à Agadès ; ce n’est que le chef d’une tribu campée hors de
la ville. C’est ainsi qu’on ne cesse de me faire des mensonges,
pour me donner une haute idée des gens qui vont me voir. Le kadi
me révèle qu’en ce moment le personnage le plus haut placé est
le « sultan du marché », lequel est en mauvais termes avec Hadj
Bilkhou. Dans quatre mois les Kel-Guérès viendront introniser le
nouveau sultan[152], qui sera sans doute le fils du sultan défunt,
et, à ce que dit le kadi, un brave homme. Ainsi, Hadj Bilkhou veut
me garder encore quatre mois ! Quelle perspective !
_17 mars._ — Le cheikh me fait appeler ce matin pour montrer à
un Targui étranger le maniement de mon revolver ; le vieux grigou
m’invite en même temps à acheter du grain en le payant avec des
agates ou des douros. Je lui ai dit qu’il savait bien que je n’en
avais plus, sans quoi je les lui aurais donnés depuis longtemps pour
satisfaire à ses exigences. Il m’a répondu qu’il ne savait
pas ce qu’il y avait dans mon bagage ! J’ai fini par le prier
de venir chez moi et de visiter toutes mes caisses, puisqu’il
persiste à me croire cousu d’or.
Alors il s’est mis à parler en targui, avec un air de mépris,
des voyageurs qui n’ont pas d’argent.
« Et comment paieras-tu tes chameaux pour aller au Soudan ? »
m’a-t-il demandé encore. Je lui ai expliqué qu’à Kano les
Ghadamésiens me prêteraient de l’argent. Il est visible qu’il
ne croit plus aussi fermement à ma richesse.
_18 mars._ — Le ciel est sans nuages ; la nuit a été froide
et tempêtueuse.
Depuis que je ne fais plus de cadeaux, personne ne m’apporte plus
de vivres. Espérons que Staoui va rentrer bientôt.
_19 mars._ — Le temps se rafraîchit sensiblement ; dans ma case,
le thermomètre ne monte plus au-dessus de 22 degrés et, dehors,
il fait plus froid encore, à cause du vent.
Je suis allé chez le _mallem_ qui demeure à côté de ma hutte,
et lui ai montré mon Koran et les lettres de recommandation du
kadi de Ghât et du marabout Toufik. Il a été très surpris,
m’a exprimé sa satisfaction, et s’est rendu de suite chez le
cheikh pour lui lire la lettre et lui montrer le Koran. Le cheikh
a eu l’air moins satisfait : est-ce parce qu’il n’a plus
de prétexte de me dépouiller ? Il a fini cependant par me dire :
« tu as les mêmes droits que chacun de nous et tu n’as à craindre
que les infidèles. »
Vent violent ce soir. Un chien essaie de voler quelque chose dans
ma case, mais je l’accueille avec un bâton. Ces pauvres animaux
ne reçoivent des Touareg aucune nourriture, et en sont à vivre
de rapines.
_20 mars._ — J’apprends du cheikh que l’oued Falezlez n’est
pas un affluent du Tafassasset, mais qu’il va à Kaouar[153] ;
plus loin, son cours est inconnu. Le cheikh en fait un tributaire
du Tchad qui, d’après lui, s’écoule lui-même dans le Nil.
Lorsque la grande caravane des Kel-Ouï va chercher le sel à
Bilma[154], elle fait une marche de cinq jours sans eau, jusqu’à
Achagour. Il faut emporter du fourrage, et marcher jour et nuit,
car on ne trouve sur le parcours que la hamada et des montagnes
tabulaires. D’Achagour à Bilma, on compte deux jours de marche ;
nulle part on ne trouve d’habitants ; il semble donc qu’on ait
affaire à un plateau absolument nu et en même temps d’altitude
considérable, car on me parle beaucoup du froid dont on souffre
sur le parcours. Il paraît que la température n’est jamais aussi
fraîche dans l’Aïr.
La caravane du sel devait partir ce mois-ci ; mais tous les chameaux
sont encore au Soudan ; on partira pour Bilma dès leur retour. Le
rapace Bilkhou me permettra-t-il de me joindre au convoi ?
_21 mars._ — Personne ne vient chez moi, et je ne vais chez
personne, car je sais que, si je n’apporte rien, je ne suis pas le
bienvenu. Combien différents sont à cet égard les Touareg du Nord,
plus loquaces, plus sociables et plus gais.
Point de lumière zodiacale ce soir, le croissant lunaire étant
trop près du triangle lumineux.
_22 mars._ — Ma solitude me pèse ; je soupire après le retour
de mon serviteur. Je pense qu’il rentrera d’ici un ou deux
jours. Alors il y aura au moins un homme avec qui je puisse causer
à cœur ouvert.
_23 mars._ — Ce matin, vent violent. La nuit a été froide. On
conçoit, que par des vents pareils, on n’ait pas chaud sur le
plateau des Tibbous.
La tempête soulève tant de poussière, que les montagnes paraissent
toutes grises.
_24 mars._ — J’ai dû prier l’esclave du cheikh de me donner
un peu de sel, et lui ai offert en échange un miroir, qu’elle a
accepté avec grand plaisir. Aujourd’hui encore, beaucoup de vent
et de poussière. A midi, le thermomètre est monté à 30 degrés
centigrades dans ma case.
_25 mars._ — L’air est encore chargé de poussière. Dès le
matin, le thermomètre monte à 32 degrés dans ma case ; bien
entendu, ce sable brûlant élève encore la température au dehors.
_26 mars._ — Personne ne vient plus me voir depuis que je n’ai
plus de présents à distribuer. Voilà la fameuse hospitalité des
Kel-Ouï ! J’entends le cheikh, assis devant sa tente, tenir des
discours, d’où il ressort qu’il va me soumettre à de nouvelles
exigences.
Le thermomètre marque 30 degrés dans ma case ; dehors la chaleur
est étouffante ; pas un souffle de vent.
_27 mars._ — On bat aujourd’hui le tambour de guerre, tout est en
révolution : on annonce l’approche des Kel-Fadé[155]. Quelques
hommes s’arment en hâte et s’en vont à leur rencontre. Le
cheikh veut les suivre, mais il est rappelé par les femmes et les
enfants. Il n’y a plus ici que quatre à cinq hommes pour défendre
le village. On cache les troupeaux de chèvres dans les ravins ;
beaucoup de femmes se réfugient avec leurs objets précieux dans
la montagne. Le cheikh me prie de charger le revolver que je lui
ai donné.
Brume de poussière pendant tout le jour. Le village est abandonné ;
à part quelques esclaves, tout a fui dans la montagne. J’ai
appris à cette occasion qu’il existe une source là-haut. Vers
le soir, on apprend que c’était une fausse alerte : on avait
pris pour l’ennemi une caravane qui venait du Soudan. Les femmes,
les enfants, les troupeaux sont donc revenus au village, et tout
le monde rend grâce à Allah de cette heureuse issue. J’en suis
très heureux pour mon domestique qui est en route ; autrement,
les Kel-Fadé seraient plutôt les bienvenus.
_28 mars._ — Les touffes d’acacias se mettent à fleurir. La
_Maerua rigida_ est également en fleur et déploie ses longues
étamines. Je n’aperçois que des fleurs hermaphrodites. Les
oiseaux vont maintenant par couples : corbeaux, pies, vautours,
ces derniers en majorité, avec les petits _temoulet_. Je note
également un oiseau qui se rapproche du _Lonius_ ; il a le ventre
blanc, les côtés gris, les yeux et les ailes bordés de noir.
Cet après-midi, j’ai eu la joie de voir arriver mon serviteur
Staoui ; il revient très satisfait des habitants d’Agadès,
et me dit que tous m’invitent à les venir voir. La ville même,
me dit Staoui, est en forte décadence : beaucoup de maisons sont
en ruines[156].
Comme Staoui a dû donner beaucoup de choses, il n’a pu acheter
des provisions considérables. Mais je suis très heureux d’avoir
retrouvé mon unique compagnon. Staoui a rencontré en route, non
loin d’ici, beaucoup d’arbres nommés _Faraoun_, et dont le
fruit est une friandise pour les enfants.
_29 mars._ — Staoui a eu une entrevue avec le cheikh : il voulait
obtenir pour nous la permission de partir, mais il est revenu
persuadé que le cheikh avait raison d’attendre l’arrivée du
nouveau sultan d’Agadès. Le cheikh lui a dit que je pouvais
partir demain, si j’y tenais, mais que dans ce cas il s’en
lavait les mains, tant il était sûr de ce qui m’attendait à
Agadès[157]. Partout, disait-il, on parlait déjà du _kafir_[158]
et de ses richesses ; son fils venait encore d’en avoir la preuve à
Zinder. Ces racontars malveillants ont évidemment Ghât pour origine,
et je soupçonne particulièrement les chérifs du Touât. Ayons
donc encore deux mois de patience !
_30 mars._ — On a chanté toute la nuit, en l’honneur de la fête
du _miloud_. Mais c’est en cela que consiste toute la solennité,
on n’a fait aucun festin, et on n’a pas mis d’habits de fête ;
seuls, Staoui et moi nous avions revêtu les nôtres. Ce qui n’a
pas empêché les gamins de me poursuivre du cri de _kafir_, bien
qu’il n’y en ait pas un qui soit capable de dire convenablement
sa prière.
_31 mars._ — Le vent a soufflé ce matin, amenant la fraîcheur. Le
manque d’eau commence à se faire sentir. L’esclave chargée de
remplir notre cruche met deux heures à cette opération. Tous les
puits de la plaine sont près de tarir ; seuls, ceux de la montagne
donnent encore de l’eau en abondance, mais il est très pénible
d’aller la chercher là-haut.
_1er avril._ — En faisant une promenade dans les environs,
j’ai trouvé des _Stapelia_ couverts simultanément de fleurs et
de fruits. Les panicules grosses comme le poing, en forme de boule
sont situées au bout des rameaux.
Les fleurs en forme d’étoile sont pressées les unes contre
les autres, au point de cacher complètement leurs pédicelles ;
elles sont noires et velues, bordées de rouge pourpre au bout des
pétales. J’en ai pris un échantillon ; le nom indigène est
_okoua_. Vu aussi un arbrisseau inconnu en fleur. Les feuilles sont
petites, ovales, dentées, sessiles ; les fleurs sont solitaires,
peu nombreuses, également sessiles ; le calice composé de sépales
lancéolés, plus longs que la corolle à cinq pétales. Les pétales
sont blancs, légèrement dentés à l’extrémité ; il y a cinq
étamines, de nombreux styles qui ont la même longueur que les
étamines ; les cicatrices sont vertes, peltées ; l’arbuste
atteint la hauteur d’homme.
_2 avril._ — Pour la première fois, le cheikh m’envoie du
_goumach_ fait dans du lait. Cette attention me surprend beaucoup. Les
acacias-gommiers sont maintenant couverts de fleurettes jaunes,
et les _adoular_[159] sont tout tachetés de longues et blanches
étamines ; le printemps est décidément venu.
_3 avril._ — J’ai fait une excursion, par d’âpres sentiers
de montagnes, le long des flancs du Baghzen. Il s’y trouve, entre
autres plantes nouvelles, un arbuste assez semblable au _sedra_,
mais à feuilles doublement ailées ; les folioles sont plus grandes
que celles de l’acacia. Le fruit consiste en une cosse mince comme
du papier, avec deux ou trois graines. Vu également en fleur un
arbuste beaucoup plus petit, il a des feuilles cordiformes, avec
des épines recourbées : il appartient à la famille des solanées.
_5 avril._ — Journée très chaude ; maximum 30 degrés dans ma
case. Le vent souffle avec violence au moment de la plus grande
chaleur.
Le cheikh a fait tuer un mouton et m’en a envoyé un morceau,
sans que je lui en eusse exprimé le désir. Je lui envoie en retour
une boucle en argent. Staoui lui a demandé si je dois retourner à
Ghât, et il a approuvé ce projet. Maintenant que tout le monde
sait au Soudan que je suis son hôte, il aurait honte, dit-il,
de me laisser arriver là-bas sans argent.
_6 avril._ — Le ciel est toujours sans nuages. La lumière zodiacale
est magnifique ce soir ; elle avait disparu pendant plusieurs jours,
malgré la sérénité du ciel.
_7 avril._ — Le cheikh, a qui la boucle en argent a fait un sensible
plaisir, m’envoie aujourd’hui un peu de grain. Je suis allé
lui dire que j’étais décidé à aller chercher mes bagages à
Ghât, plutôt que d’attendre ici dans l’incertitude. Il m’a
fort approuvé et m’a promis de me prêter des chameaux et de
bons esclaves. La première caravane doit, paraît-il, arriver du
Soudan à tout moment : ce sont des gens de Zinder qui amènent un
convoi d’esclaves[160].
_8 avril._ — La chaleur devient chaque jour plus forte. Mon
thermomètre a marqué 38 degrés dans la case, et l’on ne peut
faire la moindre des choses, le jour, sans éprouver une grande
fatigue.
_9 avril._ — Cet après-midi, 39 degrés à l’ombre dans ma case,
37 degrés en plein air, 55 degrés au soleil. J’étais allé
vers le soir prendre une vue du volcan, lorsqu’on franchissant
le lit de l’oued, j’aperçus un grand animal à moi inconnu,
qui à ma vue s’enfuit en quelques bonds. J’en parlai au cheikh,
croyant que c’était un fauve, et il sortit avec moi pour examiner
la trace. Reconnaissance faite, il s’agissait d’un grand singe,
que les gens d’ici appellent _ourked_ ; il paraît qu’il y en a
des centaines sur le Baghzen, au voisinage de l’eau. Le pelage est
jaune ; la face postérieure des jambes est blanche, et le museau
est noir.
_10 avril._ — J’ai rencontré près de l’ouadi un lézard
d’environ un pied et demi de long, qui courait sur les roches ;
il avait la tête et le cou d’un blanc jaunâtre, le corps gris
de fer, et sur la queue et de côté quelques protubérances, que je
n’ai pu voir distinctement à distance. Tué un hibou en revenant
au village ce soir.
_11 avril._ — Allé à la chasse aux gazelles avec le jeune
Barka, qui me désigne les arbres par leur nom indigène. On appelle
_tamat_ un petit acacia à écorce brune, dont l’épiderme jaune se
détache en lambeaux. Il est en ce moment en fleur. Le _talha_[161]
porte ici le nom de _tegart_[162] ; il a une écorce claire, lisse,
coupée de longues gerçures ; il ne fleurit pas encore. J’ai vu
un grand arbre de l’espèce nommée _dokou_, Barka me dit qu’il
s’appelle _tadomt_[163] (en haoussa ?).
Le village qui se trouve sur les hauteurs du Baghzen s’appelle
Aguélalaben et n’est habité que par des esclaves.
_12 avril._ — Le _Senecio coronopifolius_, que Duveyrier appelle
_temasasoui_, se nomme ici _tobéras_. Il a une forte odeur
aromatique.
_13 avril._ — Vu à la chasse un animal semblable à une marmotte,
qui a disparu rapidement entre les roches.
_14 avril._ — La solanée dont j’ai parlé plus haut, à feuilles
velues et blanchâtres, à épines recourbées, à fleurs couleur
lilas s’appelle _tadegra_.
L’esclave du cheikh m’apporte à ma grande surprise vingt œufs de
poule, mais je m’aperçois plus tard qu’ils ont été couvés. Le
cheikh s’est dit sans doute que l’infidèle les mangerait quand
même ; bien entendu, je les ai fait jeter.
Je suis allé me promener de nouveau dans les rochers et j’ai eu
la chance de tuer un jeune animal nommé _tarhalam_, de la taille
d’un rat, mais aux pattes et à la queue très courtes. Chaque
patte a quatre doigts revêtus de poils raides, blanchâtres à
l’extrémité ; le dos de l’animal est gris souris, le ventre
d’un gris argenté, la fourrure soyeuse ; la queue, longue
d’un pouce et demi, est entièrement velue ; le museau arrondi,
avec de fortes moustaches, les oreilles larges et ouvertes, garnies
de poils raides à l’intérieur ; les pattes garnies de petites
grilles noires.
_15 avril._ — Le cheikh m’a demandé un cadenas, que je lui ai
donné de suite. Sa politesse m’a frappé. Il m’a parlé de tuer
un mouton, mais je lui ai dit que ce n’était pas nécessaire,
puisque j’étais pauvre maintenant.
Cet après-midi de gros nuages gris se sont montrés dans le sud,
et il est tombé quelques gouttes de pluie. Ce sont les premières
de l’année.
_16 avril._ — 38 degrés à l’ombre. Le vent souffle avec violence
jusqu’à la nuit close, mais n’amène point de nuages de sable. Le
ciel reste voilé.
_17 avril._ — Le ciel reste toute la journée caché derrière un
voile de brumes. Tempête violente du sud, mais pas de poussière. Les
gens du village réparent leurs cases en vue de la saison des pluies ;
ils s’en acquittent très proprement. Le soleil étant resté
voilé, la chaleur a été supportable.
_18 avril._ — Ce matin, visite du nommé Bou-Tassa, qui a été
le seul convenable des compagnons de voyage de Staoui. Je veux faire
avec lui l’ascension du Baghzen.
Le cheikh me raconte qu’il a vu hier le kadi d’Ingal : c’est
une grande oasis, à population mixte[164], comme celle de Ghât ;
elle est entourée de hamadas, mais elles sont coupées de vallées
plus fertiles.
Les Aouélimiden se fournissent de sel à Tiguéda[165], où il y
a des sebkhas. Ces Touareg ne vont ni au Soudan ni dans aucun pays
organisé, et ils n’ont pas de villes ; ils sont liés d’amitié
avec El-Aoutsar (on prononce El-Iousar[166]), un chef aouélimiden
très puissant, ami du Sokoto, et aussi d’El-Bakay. Les Hoggar
et les Aouélimiden ont en ce moment rompu toutes relations, parce
que les Aïthoguen[167] ont enlevé des chameaux à El-Bakay, et
refusent de les rendre, malgré les instances de ce grand marabout.
_19 avril._ — Je me suis levé avant l’aube et ai fait
mes préparatifs pour l’ascension du Baghzen ; mais de guide,
point. Staoui est allé le chercher ; il a demandé quel serait son
salaire, et comme on lui montrait un pentalon neuf, il l’a trouvé
trop court et a réclamé des thalers ou de la cotonnade. Voilà
mon excursion finie ! Le cheikh m’a dit plus tard qu’il me
ferait accompagner par un de ses gens, lorsque le blé serait mûr
là-haut ; que Bou-Tassa n’était pas un assez grand personnage
pour me faire respecter !
J’ai demandé au cheikh par quel chemin les Tin-el-Koum[168]
viennent jusqu’à l’Aïr : ils passent à l’est du
Tinkeradès[169] et à l’ouest du pays des Tibbous. On me dit que
sur cette route il y a de l’eau en abondance, et c’est seulement
en approchant de l’Aïr qu’on traverse une région entièrement
aride. Serait-ce l’ancien chemin des Garamantes[170] ? Ces
Tin-el-Koum, me dit le cheikh, vont à Kano ; ils n’ont pas passé
par Ghât, mais sont venus directement de leur oasis de Tadrat.
Point de vent. Les montagnes se cachent dans un brouillard de
poussière ; la chaleur est terriblement lourde.
_20 avril._ — Deux Touareg du Baghzen viennent admirer mon
fusil. Ces gens n’ont de leur vie vu d’autre pays que l’Aïr ;
c’est à peine s’ils ont entendu parler du pays des Aouélimiden
et des Tibbous.
_21 avril._ — Le ciel est tellement couvert, que le soleil n’a pas
percé la brume. Quelques gouttes d’eau sont tombées. Vers midi,
le ciel s’éclaircit, pour se voiler de nouveau vers le soir. La
chaleur est suffocante.
Un des fils du cheikh m’apprend que les Kel-Fadé habitent un pays
montagneux du nom de Kelfo. Ils n’ont que des tentes de cuir,
et sont amis des Hoggar. Leur cheikh actuel s’appelle Baka. Ils
sont frères de race des Kel-Ouï, mais en guerre avec l’Aïr.
_22 avril._ — Un arbre, que j’avais confondu jusqu’ici avec le
_Maerua rigida_, s’en distingue nettement maintenant qu’il a des
fleurs. Elles présentent seulement cinq étamines et quatre pétales
blancs, étroits, duvetés, déjetés, légèrement teintés de
lilas aux extrémités ; un pétale est soudé en tube au gynophore.
_24 avril._ — Tempête de sable, soufflant du sud-sud-est, puis
du sud-ouest, par rafales violentes et régulières. Elle dure tout
le jour.
_25 avril._ — Staoui veut faire l’ascension du Baghzen, pour
acheter des vivres. Le cheikh a, par conséquent, fait chercher
notre chameau au pâturage. Il devait être tout près, car il nous
est arrivé au bout de quelques heures.
_26 avril._ — Staoui est parti de grand matin. Le cheikh a eu
l’amabilité de m’envoyer des vivres pour la route, croyant que
j’accompagnerais mon porteur ; mais il faudrait aller à pied,
et je n’en ai plus le courage.
_27 avril._ — J’ai dormi en plein air devant ma case, et n’ai
pas eu froid, malgré mes vêtements légers. Le cheikh est venu me
voir et a été très aimable[171]. Je lui ai demandé si, à mon
retour de Ghât, je ne pourrais pas aller directement par Agadès
à Sokoto. Il a dit qu’il s’assurerait d’abord si le sultan
d’Agadès veut bien me promettre la protection nécessaire. Ce
sultan n’est pas un nouveau venu, comme on me l’avait fait
croire ; il est simplement allé à Sokoto recueillir la succession
d’une de ses femmes. Dans quatre à six semaines, me dit le cheikh,
il sera de retour.
_30 avril._ — J’ai vu pour la première fois de grands vautours
perchés sur les rochers près du village. Ils étaient cinq ou six,
et avaient leurs petits auprès d’eux. Leur taille est bien plus
grande que celle des vautours égyptiens. Le corps, la queue, la
tête sont blancs, les pattes jaunâtres.
Staoui est revenu ce soir sans rapporter la moindre provision. On
ne voulait lui donner des vivres qu’en échange d’argent ou de
cotonnade. Par contre, l’esclave qui l’accompagnait a rapporté
beaucoup de grain pour le cheikh.
_1er mai._ — Staoui raconte que, pour aller au village
d’Aguelalaben, il a dû suivre un sentier tellement escarpé,
que son chameau est tombé à plusieurs reprises. Il a trouvé
là-haut un ruisseau d’eau courante[172] provenant de la source
du village et dérivé dans des canaux d’irrigation. Les dattiers
sont nombreux ; on cultive en outre l’orge et le mil. Tous les
habitants sont esclaves et appartiennent au cheikh. Le soir, on
enferme soigneusement les chèvres, par crainte des lions[173],
qui sont nombreux sur ces hauteurs.
Le cheikh a parlé avec dédain des marchandises que Staoui avait
emportées : s’il avait su, dit-il, qu’il n’avait rien de mieux,
il ne l’aurait certes pas laissé monter au village !
_2 mai._ — Air chargé de poussière. Le cheikh fait laver son
linge par mon domestique.
_3 mai._ — Air calme et chargé de poussière. Beaucoup de petites
trombes de sable aux environs. J’ai dormi en plein air à cause
de la chaleur.
_5 mai._ — Mon domestique est allé dans un village éloigné,
il y a vu des canaux d’irrigation avec de l’eau courante. Ce
village s’appelle Immidian (?).
_6 mai._ — Nuit fraîche. Trois Kel-Fadé montés à méhari sont
venus au village et m’ont rendu visite. Deux d’entre eux avaient
de longues tresses pendantes, telles que je n’en avais jamais vu
chez les Touareg[174] ; l’un avait même de chaque côté de la
tête de petites houppes tressées, qui lui donnaient un air presque
féminin. C’étaient de beaux hommes au teint blanc. Leur pays
porte bien le nom de Kelfo.
_7 mai._ — J’ai questionné un Touareg sur les
_ed-debbeni_[175]. Il me dit que ce ne sont pas des Touareg qui
y sont ensevelis ; ces tombeaux datent d’une époque beaucoup
plus ancienne. Cet homme savait très bien que les cadavres y
sont accroupis ; on trouve parfois deux individus dans la même
tombe. Il me dit aussi que les tombeaux renferment toujours dans
l’anfractuosité du haut une couche de morceaux de quartz blanc,
ce que j’ai vérifié moi-même plusieurs fois. C’est une règle
générale, dans l’Aïr, partout où il y a du quartz dans le
voisinage, ce qui arrive le plus souvent.
_8 mai._ — Les Kel-Ouï, me dit-on, accordent à tous les sultans le
titre de khalife, et font la prière pour eux dans les rares mosquées
qui existent, mais ils ne veulent pas entendre parler d’impôts.
_9 mai._ — Deux Touareg viennent voir mes vivres. Ils ont plus
tard au village une violente discussion, au sujet d’un esclave
qu’ils avaient razzié avec trois chameaux à de pauvres gens.
_13 mai._ — Deux autres Kel-Fadé viennent me voir. Eux aussi
ont les tresses caractéristiques. Leurs cheveux sont d’un noir
de jais. Le cheikh des Kel-Fadé s’appelle Nefzar. Ils ont été
étonnés de me voir la peau si blanche, ont tâté la plante de mes
pieds, et se sont extasiés sur la finesse de la peau : c’est chez
eux un signe de noblesse, parce que cela prouve qu’on passe son
temps à fumer. Ils m’ont dit que, dans leur peuplade, les femmes
des Iwarwaren se distinguent par leur teint blanc ; leurs campements
ne sont pas à plus de quatre jours d’ici. Les Kel-Fadé n’ont
que des tentes de cuir.
Les gens d’Adjiro fabriquent des anneaux de bras avec une argile
qui leur vient de fort loin, d’un endroit nommé Deffer ; mais
ces anneaux cassent facilement et sont beaucoup moins estimés que
les anneaux de serpentine qui viennent de chez les Aouélimiden.
Le cheikh fait abattre une vache et distribue la viande entre toutes
les femmes du village. Il y en avait 55 petites portions. Nous
autres en avons reçu bien davantage, la valeur de 10 portions,
et c’étaient les meilleurs morceaux.
_14 mai._ — Vent violent du sud et du sud-ouest. Trombes de
poussière aux environs. Le cheikh a mal aux yeux et me demande
du _koheul_. Il me raconte qu’il est venu dans l’ouadi Telak
un _rezou_ de gens de l’Extrême-Ouest ; ce sont des Arabes,
des Berabra[176], qu’on appelle aussi Kel-Eidilet. Ils étaient
associés avec des Ifoghas. Cette bande a été si bien battue
par les Kel-Ouï unis aux Ihadanaren, que sept hommes seulement en
ont réchappé. Et cela, bien que les envahisseurs fussent pourvus
de fusils.
On s’attend tous les jours à voir arriver la caravane du Soudan.
_15 mai._ — Les montagnes sont tout à fait invisibles, tant
l’atmosphère est pleine de poussière.
_17 mai._ — Les gens d’ici mangent les peaux des chèvres et
des moutons : ils les débarrassent de leurs poils et les découpent
en lanières qu’ils grillent légèrement sur le feu. Ils mangent
également les os, après les avoir réduits en poussière.
_20 mai._ — L’arbrisseau dont j’ai décrit les fleurs à cinq
pétales blancs (1er avril) s’appelle _terrakat_[177]. Il porte
de petites baies rouges à quatre loges, que les gens du village
mélangent à leurs galettes.
_21 mai._ — Les _tamat_ sont maintenant pleins de feuilles
vertes. C’est cette espèce de gommiers qui forme la masse de
la végétation arborescente de la région, car l’oued apparaît
maintenant tout vert, tandis qu’auparavant le _talha_ et l’_adjar_
n’y mettaient que quelques taches de verdure. Des sauterelles
ont fait leur apparition par individus isolés ; un oiseau noir,
nommé _témoulet_, s’en nourrit.
Le cheikh m’apprend que ses gens méditent une razzia contre les
Tibbous de l’oasis d’Abo[178], à 17 jours d’ici. Il prescrit
de ne tuer personne et de ne pas emmener d’enfants comme esclaves,
mais de prendre tous les chameaux. Il ne m’a pas dit les motifs
de cette mesure.
Il y a des palmiers _akoka_[179] en grand nombre dans l’oued
Aoudéras ; il ne semble pas qu’ils descendent plus bas.
_23 mai._ — Les _tamat_ se couvrent de blancs boutons de
fleurs ; quelques-uns de ces arbres donnent une ombre épaisse. Ce
développement de la végétation est surprenant, alors qu’il
n’est encore tombé que quelques gouttes de pluie.
_24 mai._ — Un peu de pluie ce matin. Le _hadjilidj_[180] commence
à fleurir. Le fruit de l’_abagou_, cet arbre si semblable à
l’_adjar_, est une capsule bivalve qui s’ouvre et se replie,
laissant à découvert la graine d’un rouge vif.
Le représentant du sultan d’Agadès, qui m’a dévalisé,
s’appelle Ouaschiga ; on dit qu’il recueille pour le compte du
sultan 2 à 3000 thalers Marie-Thérèse par an.
_26 mai._ — Nous attendons avec impatience l’approche de la
caravane ; à sa place, nous arrive la nouvelle qu’un gros de
Kel-Fadé, de Kel-Guérès et d’Aouélimiden se sont embusqués
pour l’intercepter ! La caravane était heureusement prévenue
et s’est repliée en hâte sur le Damergou. Le _rezou_ a voulu se
dédommager dans l’Aïr et s’est avancé jusqu’à Afazas. Cette
même nuit, au clair de lune, tout notre village s’est réfugié
avec les troupeaux dans la montagne.
Le cheikh nous a conseillé de faire de même, en nous disant qu’une
razzia de ce genre est aussi rapide que le feu. Il a fait venir notre
chameau et nous avons porté notre bagage dans un ouadi voisin. Le
cheikh lui-même, monté sur son mehari, attendait impatiemment
que nous eussions fini et quitta le village, même avant nous,
pour aller avec les Touareg voisins à la rencontre de l’ennemi.
Nous avons dormi à la belle étoile, le fusil à portée de la
main et le revolver sous l’oreiller. Mais nous ne fûmes mis en
alerte que par un gros scorpion que je trouvai en train de grimper
sur mon oreiller.
_27 mai._ — Nous sommes toujours dans la montagne. Ce matin, je suis
descendu avec précaution au village pour chercher une outre que nous
avions oubliée. Staoui s’est même risqué à aller chercher de
l’eau au puits. Il règne dans le village un silence de mort. Toutes
les portes sont restées ouvertes, l’impression est lugubre.
Nous avons très peu de vivres : un peu de grain que le cheikh nous
a laissé avant de partir et que nous avons grillé, faute de temps
pour le moudre.
_28 et 29 mai._ — En me promenant sur les pentes supérieures
du Baghzen, pour tâcher de découvrir la retraite des esclaves
du cheikh et leur donner à moudre notre provision de mil, j’ai
trouvé un arbuste inconnu de la hauteur d’un homme, à feuilles
alternes, assez semblables à celles du laurier. La fleur et le
fruit me sont inconnus. Le nom indigène est _tefa_, _etefa_ avec
l’article[181]. Quelques feuilles de cet arbre, broutées par les
chameaux, suffisent pour leur donner la mort ; la plante est moins
dangereuse pour les hommes, mais on évite cependant de s’en servir.
Deux hommes de la famille du forgeron nous demandent de l’eau
en passant : ils reviennent de porter un message. Ces gens nous
racontent que l’ennemi a été hier à Afazas ; les Kel-Ouï sont
embusqués au puits d’Erhalguéouen.
Cet après-midi des cumulus à l’horizon du sud. Le thermomètre
marque 39 degrés à l’ombre, suspendu dans un courant d’air.
_30 mai._ — Brume épaisse ce matin. Dès que le soleil perce,
la chaleur devient excessive. Le voile de poussière persiste jusque
dans la nuit. Point de vent. Nous croyons entendre des coups de fusil,
ce n’est qu’un tonnerre lointain. Les éclairs et le tonnerre
se sont prolongés bien avant dans la nuit. Quelques gouttes de pluie.
_31 mai._ — Je suis allé au village et au puits : tout est
solitaire.
J’ai revu près de notre camp de la montagne ce lézard à tête
jaune et au corps gris de fer ; j’ai pu distinguer cette fois une
crête qui court le long du dos.
La pluie est tombée cette après-midi sans orage et s’est
prolongée jusque dans la nuit. Comme nous sommes sans abri dans la
montagne, j’ai préféré revenir au village. Le bruit court que
les Aouélimiden sont retournés dans leur pays.
_1er juin._ — Nous passons la nuit sous les armes. Staoui est
inquiet ; il n’aime pas ce silence de mort. Cet après-midi, orage
dans l’est ; pluie persistante et abondante, de sorte que nous
sommes très heureux d’être rentrés chez nous. Faute d’autre
chose, j’ai fait une bouillie de marc de café et de farine. Nous
l’avons mangée avec plaisir.
Vers minuit, j’ai entendu tout à coup des voix et des aboiements
de chien ; c’était le forgeron et sa famille qui retournaient dans
le village. Ils nous ont salués avec une cordialité inaccoutumée
et nous ont priés de leur donner de l’eau et du feu. Je suis
heureux d’entendre de nouveau des voix humaines.
_2 juin._ — Il paraît que le _rezou_ a eu beaucoup à
souffrir de la soif, au point que quelques hommes ont dû boire
le sang de leurs chevaux. Les Kel-Ouï sont à la poursuite de
l’ennemi. Aujourd’hui, rentrée générale des habitants du
village.
Les femmes du cheik nous apportent un bélier. Il n’y a plus de
grain, disent-elles ; on n’en aura plus jusqu’à l’arrivée
de la caravane du Soudan. Il nous reste heureusement un peu de
riz. L’attitude des gens est plus cordiale.
_3 juin._ — Cette nuit nous avons entendu un bruit de cascade dans
la montagne, et ce matin, le premier torrent descend en bouillonnant
dans l’oued à l’est du village[182]. Tout est enveloppé de
brouillard, comme en hiver. Le soleil ne se montre pas.
Le cheikh est revenu, accompagné d’un Targui qui a de grands
tambours suspendus à sa selle. Il nous envoie de suite du _gueçob_
et un grand nombre de magnifiques oignons, qui mettent Staoui
en extase.
_4 juin._ — Rendu visite au cheikh qui m’a fait un cordial accueil
et m’a raconté son expédition. Le _rezou_ s’est replié dès
qu’il a su l’approche des Kel-Ouï, de sorte qu’il n’y a pas
eu bataille. L’ennemi n’a pu voler que quelques esclaves. Le
cheikh croit qu’il y avait environ 500 hommes, tandis que les
Kel-Ouï étaient 1500 (?).
Les grands oignons proviennent de l’ouadi Aouderas, où il y en
a un grand nombre ; mais personne ne les achète.
_6 juin._ — Le cheikh va chez les Kel-Tafidet, ce sont eux qui ont
été razziés. On apprend maintenant qu’ils ont perdu quand même
une trentaine d’esclaves, et beaucoup d’ânes et de chèvres. On
croit que les esclaves ont été complices.
Cet après-midi, visite de plusieurs Kel-Fadé, dont l’un sait
lire les caractères _tefinar_. Ils ont les cheveux longs, un peu
bouclés, et maintenus de telle sorte, que deux boucles seulement
pendent de côté[183]. Ils m’ont demandé si je voulais prendre
femme ; j’ai répondu oui, mais seulement une femme libre, une
noble Targuie, ce dont ils se sont fort amusés. L’un d’eux
m’a dit en riant qu’il m’en amènerait une des Iwarwaren,
que celles-là ont le teint blanc comme moi-même.
_7 juin._ — Les Kel-Guérès ne vivent que de laitage, me
dit-on ; ils ont beaucoup de chevaux, de vaches, de chèvres et
de chameaux. Leur pays, l’Ader[184], renferme beaucoup d’eaux
courantes ; on n’y voit point de montagnes.
_8 juin._ — Le cheikh a fait tuer une vache et nous en envoie un
quartier ; le reste a été distribué aux gens du village.
J’ai vu aujourd’hui un serpent, le premier depuis que je suis en
Afrique ; c’est une vipère céroste d’environ un pied de long,
à queue très courte, de couleur rougeâtre, de sorte qu’elle se
distingue difficilement du sol. On dit cette vipère très irritable ;
elle s’appelle ici _tachelt_.
Ciel couvert. Les nuages viennent de l’ouest, et bientôt tombe
une pluie formidable, qui fait couler l’oued à pleins bords. De
nombreuses cascades descendent le long des pentes méridionales de
la montagne. La femme du cheikh me dit que ces eaux se perdent dans
la hamada au sud de l’Aïr, et que jamais elles n’atteignent
le Soudan[185].
Rendu visite au cheikh, qui s’est montré poli et
aimable. J’apprends à cette occasion qu’il est né à Katséna ;
c’est de là qu’il a entrepris il y a dix ans sa grande razzia
dans le Kanem. Les Oulad-Sliman et les Ouled-Ali étaient alors
renforcés par beaucoup de Tibbous du Borgou, et restèrent treize
mois dans l’Aïr, pillant et saccageant, tandis que les habitants
vivaient réfugiés dans la montagne ; des deux côtés il y eut
beaucoup de morts.
_9 juin._ — L’oued d’Adjiro est maintenant plein de crapauds,
qui nous régalent la nuit de leurs concerts. Les Kel-Ouï appellent
les crocodiles _keffi_, mais ils ne les connaissent que pour en
avoir vu au Soudan.
Cette nuit, un chien a dévoré mes souliers arabes, de sorte que
je suis obligé de me contenter désormais de sandales.
Je profite de ce que l’eau coule en abondance pour prendre un bain,
mais je produis une sensation énorme, car toutes les femmes et
les jeunes filles accourent pour admirer la blancheur de ma peau ;
on s’étonne aussi de me voir nager ; aucun Touareg n’en fait
autant. J’ai vu plusieurs crapauds d’assez près : ils ont la
taille d’une grenouille, les yeux à fleur de tête, l’iris jaune,
le cou gros, le dos d’un brun grisâtre, le ventre blanc. Des
scarabées noirs se montrent également à la surface de l’eau.
_10 juin._ — Point de pluie. Le ciel est de nouveau sans
nuages. Bou-Tassa est arrivé de l’oued Aouderas avec des ânes
chargés de noix d’_akokaï_.
_11 juin._ — Je lave mon linge dans l’oued, où il reste encore
assez d’eau pour que les ânes, les chiens et les vaches viennent
à l’abreuvoir.
Les habitants de l’oued Aouderas sont de la tribu des
Kel-Ataram[186].
_15 juin._ — En contournant le mont Tekindouhir par la gauche,
j’ai aperçu une douzaine de singes assis au bord de la coulée de
laves, et plus loin un renard (ou un chacal ?) à queue noire. Du
côté nord de la montagne, la coulée de lave s’amincit, et il
serait peut-être possible de la franchir et de faire l’ascension
du cône. Le volcan ne semble avoir eu qu’une seule éruption, qui
s’est épanchée tout entière vers l’est, après l’écroulement
de la paroi orientale du cratère.
_17 juin._ — J’ai capturé trois coléoptères (cétonides) ;
il y en a une masse qui bourdonnent autour du gommier près de ma
maison. Recueilli aussi deux scarabées rouges (bousiers) dans le
voisinage de l’oued.
_22 juin._ — Des gens d’Agadès sont venus apporter du gueçob
et du riz du Soudan, qu’ils veulent échanger contre du sel. Le
cheikh m’envoie une petite quantité de gueçob ; je crois qu’il
n’en a pas beaucoup lui-même. Il me dit qu’il n’y a pas de
vivres en ce moment. Tout le monde attend la caravane du Soudan ;
sans elle, l’Aïr ne pourrait pas subsister[187] !
Avant le coucher du soleil, une forte bourrasque de sable nous
arrive de l’est. Le ciel devient d’un jaune de soufre, le soleil
s’obscurcit ; cela dure plusieurs heures. Le vent nous a apporté
quelques sauterelles et quelques gouttes de pluie.
_25 juin._ — On nomme _aza_[188] un petit acacia à folioles
recourbées en croissant, avec fleurs blanches, très parfumées ;
les chameaux mangent ses feuilles avec avidité.
Le _faki_ d’un village voisin me dit qu’il y a sur le Baghzen
beaucoup d’inscriptions rupestres, et des maisons de pierre qui
ne sont plus habitées.
_26 juin._ — Le _terrakat_[189] est en ce moment en
pleine floraison ; ses grandes fleurs blanches solitaires sont
magnifiques. Les feuilles sont simples, alternes, dentées, longues
d’un pouce et demi au plus ; les sépales verts à l’extérieur,
blancs à l’intérieur ; les pétales, plus étroits et plus courts
que les sépales, le style plus long que les étamines. Le fruit,
à quatre loges et à noyau, devient rouge brun à maturité.
_27 juin._ — Nombreux vols de sauterelles qui passent souvent à
une grande hauteur. Il y a deux espèces : l’une jaune, l’autre
rouge, à ce qu’il semble.
_28 juin._ — Un des jeunes élèves du faki a appelé mon serviteur
_kafir_ et lui a jeté des pierres pendant la prière. Staoui s’est
plaint au cheikh, qui a administré au garnement une correction de
sa main.
_29 juin._ — Il y a maintenant toujours plus ou moins de poussière
dans l’air, et, lorsqu’on regarde les montagnes, elles paraissent
couvertes d’un voile.
Aujourd’hui, enfin, nous avons eu la visite de Touareg qui font
partie d’une caravane de Zinder. Le cheikh nous promet des chameaux
pour nous envoyer la rejoindre à Rhezer[190]. La caravane va bientôt
repartir pour Ghât. Le cheikh me dit qu’il a reçu des lettres
des sultans de Zinder et de Sokoto. Ce dernier le prie de faire la
paix avec les Kel-Guérès. Est-ce une vanterie ? Le cheikh prétend
que, si les Kel-Ouï font la paix avec les Kel-Guérès, il y aura
cessation d’hostilités entre le Sokoto et le Tessaoua. Depuis
quelque temps, le cheikh est toujours aimable et cordial.
_30 juin._ — Le cheikh nous a envoyé un peu de blé du Maradé,
au grain petit et d’un blanc sale, mais qui n’en vaut pas moins
cent fois mieux que du gueçob. Mon domestique a eu la chance de
troquer un couteau contre un peu de beurre, de sorte que nous pouvons
enfin manger de nouveau à notre faim.
Le sultan d’Agadès, qui doit prochainement revenir de Sokoto,
s’appelle Ahmed Rafaï ; il est assez âgé et n’a point
de relations cordiales avec les Kel-Ouï, du moins avec Hadj
Bilkhou[191].
Les Aouélimiden sont en guerre avec tout le monde, même avec
les Hoggar. Aucune caravane ne passe chez eux, mais seulement
quelques marchands d’Agadès, qui vont leur vendre des sabres
et des poignards, et leur prennent en échange des chameaux et des
ânes. Ingal et Djéboli sont les centres principaux des Kel Guérès.
_6 juillet._ — Deux familles ont tour à tour l’honneur de
fournir un sultan à Agadès.
Les dattes sont mauvaises dans l’Aïr ; aussi l’on en importe
du Fezzan.
_9 juil._ — Nous nous levons de grand matin pour nous préparer
au départ. Les chameaux ont été amenés pendant la nuit. Le
cheikh vient me trouver, et pâle d’émotion — évidemment
son amour-propre en souffre, — il m’avoue qu’il n’a pas de
provisions à nous donner, parce que sa caravane n’est pas encore
revenue du Soudan ; mais il me remet une lettre pour Hadj Iata de
Tintarhodé, qui nous pourvoira de tout. Quant à la note que j’ai
rédigée des vivres qu’il nous a fournis, il me la rend en me
disant que de sa vie il n’a jamais rien écrit de pareil ; que,
si j’étais un homme bien élevé, je savais ce que j’avais à
faire ; sinon il ne veut rien de moi[192].
Nous nous mettons en chemin une heure après le lever du soleil. Tous
les parents du cheikh prennent congé de nous ; lui-même et le _faki_
du village nous font la conduite.
Enfin, nous tournons le dos à ce maudit endroit, et nous marchons
en avant avec bonheur. Nous prenons la direction du nord-ouest, à
travers un pays de plus en plus accidenté, et traversons encore une
fois l’oued Tekindjir[193], dont le large lit aux berges accores
contient encore quelques mares. On me dit que l’oued passe à
Rhezer et s’appelle alors oued Terhezer.
Au bout de trois heures de marche, nous cheminons dans une profonde
vallée où aboutit une coulée de lave qui forme une muraille
de 15 pieds de haut. Un examen plus attentif me fit découvrir à
une assez grande hauteur, sur le flanc d’une colline de granite,
un cône noir d’une vingtaine de pieds de haut, d’où la lave
était descendue dans la vallée. Sa couleur noire tranche sur la
teinte rougeâtre du granite. Ce cône s’appelle Tarhel.
Nous sommes ici dans une gorge latérale du grand oued Tekindjir ;
j’y vois pour la première fois des bouquets de palmiers
_Faraoun_[194].
Nous continuons à suivre l’oued qui serpente dans la direction
du nord, et nous arrivons enfin dans l’après-midi à un groupe de
huttes de paille ; c’est le village du cheikh Kindirka. La vallée
est fortement boisée ; je remarque un certain nombre d’arbres à
moi inconnus ; un entre autres, que j’ai confondu d’abord avec
le _sedra_, mais qui s’en distingue par des épines droites, et
des feuilles dentées et très petites. En général la végétation
de ces oueds est bien plus riche que celle d’Adjiro.
Nous avons campé à l’ombre des buissons d’_abesgui_ qui portent
en ce moment des fruits noirs d’une saveur fortement poivrée.
_10 juil._ — Départ au lever du soleil. Nous suivons un ouadi
latéral, presque aussi large que le précédent. Il est évident
qu’un large torrent coule ici pendant la saison des pluies. Les
arbres qui le bordent atteignent souvent la hauteur de nos chênes.
Nous avons à droite la muraille d’une coulée de basalte,
qui provient des monts Djimilen et Djemia. Les eaux des pentes
supérieures se sont frayé un chemin en dessus et en dessous des
laves. Nous grimpons par une gorge très étroite entre deux murs de
lave. Notre guide me dit que ce défilé mène chez les Kel-Djemia ;
jamais une razzia n’a passé par ici : quelques hommes suffiraient
à le défendre. Il est si étroit que les caisses de notre chameau
frôlent les parois.
Arrivés en haut, dans l’oued de nouveau élargi, nous apercevons
des couronnes de dattiers et, vers midi un village au fond d’un
cirque de montagnes : un vieux cheikh, du nom de Haja, nous reçoit
avec cordialité.
Je n’aperçois pas encore la fin de la coulée de laves. Dans
le défilé se voyaient de nombreuses traces de singes, venus ici
pour boire.
_11 juil._ — Beaucoup de moustiques et autres insectes, cette
nuit. Vu, ce matin, un grand grillon de couleur claire. A quelques
pas du village se trouve un jardin de palmiers bien irrigué ; on y
cultive du maïs, du tabac, du gueçob, du poivre, et le ricin qui
sert de médecine pour les chameaux. L’oued Engui, dans le lit
duquel se trouve cette oasis, se jette à l’ouest dans l’oued
Terhezer, qui s’appelle plus loin oued Tekindjir.
_12 juil._ — Nous apprenons que le marabout Toufik vient d’arriver
à Rhezer et a déconseillé à la caravane d’aller en ce moment
à Ghât, parce que des rezous d’Aïthoguen (Taïtoq) de Tibbous
et d’Aoulad-Sliman sont en route. Les Aïthoguen ont rencontré
les Aoulad-Sliman et en ont tué trente. On va donc attendre la
caravane du hadj Bilkhou, pour faire route ensemble.
Hier, un Touareg m’a demandé si j’étais un juif[195] : je
l’appelai juif lui-même, et comme il protestait violemment, je
lui demandai pourquoi il m’appelait ainsi. Je ne lui parlai plus
et n’acceptai rien de ce qu’il m’offrit. Le soir, il revint en
compagnie d’un homme de Ghât, qui m’expliqua en son nom qu’il
n’avait pas voulu m’offenser et qu’il voulait de nouveau faire
amitié avec moi. En signe de quoi il ramassa un peu de sable et le
laissa retomber. Il avait l’air vraiment repentant, et le Ghâti
me dit que c’était un bon musulman, qu’il était désolé de
m’avoir pris pour un juif, et que, s’il ne craignait pas Dieu, il
ne serait certes pas venu me présenter ses excuses. Cette attitude
d’un musulman rigide vis-à-vis d’un Européen me surprit fort,
et me fit tant de plaisir que je lui fis présent d’un chapelet
d’assez grande valeur. Quelques marchands ont confié leurs bagages
à la garde des gens du village. Les Kel-Djemia, en général,
ont une excellente réputation.
_13 juil._ — Comme il faut renoncer à un départ immédiat,
nous prenons possession d’une case, les gens de Djémia viennent
nous rendre visite et nous apportent le repas. J’irai demain à
Tintarhodé avec la lettre du hadj Bilkhou pour demander des vivres au
marabout Hadj Iata. J’ai donné au fils de notre hôte une caisse
en fer-blanc pour y enfermer ses livres[196], et il répond à cette
politesse en m’envoyant une paire de sandales du Soudan ; c’est
la première fois qu’un Touareg me fait cadeau de quelque chose.
_14 juil._ — Nous allons à Tintarhodé. Nous marchons vers le
nord-est, en traversant successivement l’oued Ezellil et le village
de Teguir avec un jardin de palmiers, puis celui d’Ezellil, dans
une plaine boisée où l’on voit beaucoup d’_ahatès_[197], enfin
celui de Serar, près duquel nous campons dans l’oued Ouanankerane.
_15 juil._ — Nous avons à droite la chaîne des monts de
Serra, à gauche, dans le lointain, les deux cimes de la montagne
d’Asodi. Dépassant le mont Afodet, nous gagnons le village
d’Aguéraguer, au pied de la montagne du même nom, appelée
aussi Afiz.
_16 juil._ — Une vaste plaine s’étend entre les monts Afiz et
Afodet. Nous laissons ce dernier à gauche, et nous arrivons le
soir à Tintarhodé, qui se distingue avantageusement des autres
villages par ses maisons de pierre pittoresquement disséminées sur
des monticules de granit, au pied de la chaîne abrupte du Timgué.
Nous descendons devant la demeure du hadj Iata ; des esclaves
déchargent notre bagage et nous invitent à nous reposer sous la
véranda. Le hadj est absent ; il arrive tard dans le nuit, et,
avant de nous voir, il commence par bâtonner un esclave, parce
que celui-ci ne l’a pas informé de notre arrivée. Hadj Iata est
un aimable vieillard, aux manières extrêmement polies ; il nous
reçoit avec les plus grands égards.
_17 juil._ — On me traite ici comme un fils de la maison. La
nourriture est excellente, et l’on m’offre même du thé et
du café.
Je reçois la visite d’un pèlerin de la Mecque, qui m’a vu
à Ouenserig, et qui retourne chez les Arabes Kounta, non loin
de Tombouctou. Il me raconte que les Hoggar sont en guerre avec
les Aouélimiden[198], que le cheikh El-Bakay est sans influence
chez les Hoggar, que ceux-ci passent encore pour des païens, qui
n’observent pas les prescriptions de la religion, et ne se gênent
pas pour dépouiller et même tuer les plus saints marabouts.
Hadj Iata se déclare prêt à me fournir des vivres qui seront
payés à Ghât.
_18 juil._ — Hadj Iata et moi nous allons rendre visite au
marabout Toufik, qui habite au pied de la montagne sur une colline
éloignée. C’est un vieillard à barbe blanche, d’aspect très
sympathique, comme ses deux fils. Il ne vient pas directement
de Ghât, mais de l’Ahaggar, où il a visité tous les chefs
et s’est efforcé en vain de rétablir la paix entre eux et les
Azdjer. Il attribue son insuccès aux Turcs, qui ne désirent pas que
les Touareg soient unis. Ahitaghel[199] a entendu parler de moi. Il
a dit que, si je venais dans l’Ahaggar en compagnie de Toufik, il
me recevrait bien. Hadj Iata me recommandera au sultan d’Agadès,
pour que j’arrive au Sokoto sans encombre. Il me dit que le sultan
d’Agadès redoute les gens de Sokoto[200].
_19 juil._ — On annonce que Sidi-Erkeb[201], le chef des Aïthoguen,
est parti en razzia.
Le jeune pèlerin des Arabes Kounta me fait une description favorable
des Aouélimiden Motti-bodal, dont le pays, dit-il, n’est pas
loin d’Agadès. Ils sont très riches en troupeaux de chameaux
et de chevaux. Entre l’Adgag et le Hoggar vivent plusieurs tribus
arabes[202].
Je crois que Toufik ne songe pas sérieusement à me mener chez les
Hoggar ; lui-même a perdu de l’argent lors du pillage d’une
des dernières caravanes, et ils ne lui ont rendu que le dixième
de ce qu’ils avaient pris !
Hadj Iata appelle _Imrhad_ les gens qui, venant d’autres pays, se
sont fixés sur le territoire d’une tribu touareg et se sont soumis
à elle[203]. Tous étaient primitivement des hommes libres. Cette
distinction n’existe plus dans l’Aïr, sans doute par suite des
alliances fréquentes avec l’élément haoussa. De même, le fils
d’un Kel-Ouï et d’une esclave est libre comme son père et a
les mêmes droits.
Les Kel-Rhezer demeurent dans l’Aguelal ; c’est un pays de
montagnes situé dans l’ouest de l’Aïr, et qu’on aperçoit
d’ici[204].
On me demande des médicaments pour un homme des Ifaden qui a
reçu une balle dans le genou lors de la dernière incursion des
Mechagra. Ces Mechagra sont des Arabes qui vivaient autrefois à
côté des Kounta, près de Tombouctou ; mais la guerre que se font
les Kounta et les Igdalen les a chassés de leur territoire, et ils
se sont établis dans l’Adgag chez les Aouélimiden. C’est de
là qu’ils ont fait irruption sur le territoire des Ifaden[205].
_21 juil._ — On me dit qu’à l’ouest de l’Aguelal il n’y
a plus de montagnes.
Hadj Iata m’a invité à aller chercher mon bagage et à
m’établir provisoirement auprès de lui. Il me confie des lettres
écrites dans ce sens pour Hadj Bilkhou et pour Kindirka.
_22 juil._ — Nous reprenons notre route en sens inverse. Nous
marchons vers la montagne d’Asodi en laissant Aguéraguer à
gauche. Mon guide me dit qu’Aguéraguer a été autrefois une
grande ville, plus grande qu’Agadès, avant que les Kel-Guérès
ne l’eussent détruite.
_23 juil._ — Halte dans l’oued Ouanankerane. Nous sommes surpris
par une pluie d’orage, la première depuis longtemps.
_24 juil._ — De retour à Djémia. Assisté cette nuit à une
noce. La solennité consiste en une musique de tambourins, et
en danses exécutées par des jeunes gens armés et lourdement
costumés. Ces danses sont très lentes et ont quelque chose de
grave ; les femmes et les hommes assistent au spectacle, assis en
deux groupes séparés. A un moment donné, on fait une pause et on
mange abondamment. Les jeunes filles ne dansent pas dans l’Aïr,
tandis que la danse leur est permise chez les Touareg de Ghât.
_25 juil._ — Adjiro. Mon domestique n’a pas reçu de vivres
pendant mon absence et n’a vécu que de gueçob. Je veux m’en
aller d’ici le plus vite possible. Mais on ne semble pas satisfait
de me voir partir ; on espérait sans doute tirer encore quelque
avantage de mon séjour. On me fait des difficultés pour la location
des chameaux, et on me demande le double du prix ordinaire. Au bruit
de la dispute, le cheikh Bilkhou arrive et me promet des chameaux
pour demain.
_27 juil._ — Nous étions déjà en route quand Adal, le Targui
qui m’avait pris pour un juif, est venu nous rejoindre. Il m’a
fait cadeau de ses beaux anneaux de bras. Nous campons en vue du
massif du Benday, dans le large oued Teguédmaouen[206].
_30 juil._ — Arrivée à Tintarhodé, où le cheikh Hadj Iata nous
accueille et nous régale de son mieux. Nous demeurons dans une case,
au milieu d’une cour entourée d’une haie de _tountafia_[207]. Je
reçois une masse de visites de soi-disant malades.
_1er août._ — Hadj Iata fait grand cas de la lettre du kadi de
Ghât, et me conseille de la montrer à tout le monde.
Il me raconte que les lions de l’Aïr ont une forte crinière ;
lui-même a été assailli par un de ces lions tout près du village,
et son bras porte encore des traces de morsures. On trouve également
des girafes à trois jours de marche dans l’ouest de l’Aïr ;
leur nom indigène est _amderh_.
_5 août._ — Hier soir, grand tumulte au village, à la nouvelle
que les Kel-Ifadéen ont envoyé dix-huit hommes armés pour prendre
de force des dattes à Seloufiet. Tous les hommes valides sont partis
en courant pour s’y opposer. Mais la chose s’est arrangée sans
effusion de sang.
Le gendre du hadj Iata me raconte qu’on vendait autrefois à bas
prix des _Imrhad_ des Aouélimiden sur le marché d’Agadès ;
mais que maintenant ces esclaves blancs sont hors de prix. Jamais
on n’enlève les femmes et les enfants des Imocharh[208].
_7 août._ — La pluie est tombée cette nuit et un filet d’eau a
recommencé à couler dans l’oued. Le brouillard dure jusque vers
midi. La chaleur est insupportable.
Le territoire des Kel-Ouï s’étend depuis Achagour, à l’est,
jusqu’au puits d’Enguichan, à l’ouest ; ce puits est situé
sur une hamada inhabitée.
Hadj Iata me dit que les Tibbous, pour se défendre contre les
Kel-Ouï, ont demandé au Sultan de Stamboul d’occuper leur
territoire[209]. Toute l’oasis de Bilma appartient au cheikh
kel-ouï Hosseïn d’Azanarès ; lorsqu’un Kel-Ouï vient à Bilma,
il commande en maître, et traite l’oasis en pays conquis.
J’observai chez les Kel-Ouï bien des maladies qui n’existent
pas chez les Touareg de teint blanc et de race pure. Rien qu’à
Tintarhodé, j’ai noté des cas d’épilepsie, d’atrophie
chez les enfants, de maladies de foie consécutives aux fièvres du
Soudan ; la syphilis vient également du Soudan : j’ai vu de larges
condylomes, des éruptions cutanées ; la variole est universellement
répandue et entraîne souvent la perforation de la cornée. Très
fréquentes également sont les maladies des voies digestives,
conséquence d’une alimentation défectueuse, l’hypocondrie,
la folie. L’obésité est la règle chez les femmes des Kel-Ouï
et atteint, paraît-il, des proportions monstrueuses chez celles
du Damergou[210]. Par contre, je n’ai jamais vu de femmes aussi
obèses chez les Touareg du Nord. La menstruation est très souvent
irrégulière chez les femmes kel-ouï. J’ai observé deux cas
de scorbut.
Hadj Iata, auprès de qui je m’enquiers sur le cours de l’ouadi
Falezlez, m’affirme qu’il « meurt par le vent », sur le chemin
d’Asiou, c’est-à-dire qu’il se perd dans le désert[211]. Les
oueds qui se trouvent entre Tintarhodé et Adjiro se dirigent tous
vers l’ouest.
_9 août._ — Il y a quatre jours, une caravane est partie pour
Ghât ; Hadj Iata me l’a caché, de peur que je ne voulusse aller
avec elle. Elle est beaucoup trop petite pour offrir la moindre
sécurité. Hadj Iata me dit qu’il y a beaucoup d’or accumulé
à Ghadamès, chaque négociant ayant la coutume d’en mettre de
côté pour les mauvais jours.
_11 août._ — Ce matin tout est dans la brume. Les Kel-Ouï
appellent ce brouillard _tara_ ou _dara_. Toufik m’envoie du thé
et du sucre.
Je reçois la visite d’un patient qui vient de l’Aguelal. Ce pays,
à l’ouest d’ici, n’est habité que par des marabouts. De là,
il n’y a qu’un jour de marche jusqu’à l’oued Telak ; il y en
a dix jusqu’au pays des Aouélimiden Mossi-bodal. Les Kel-Tédéli,
au nord de l’Aguelal, sont serfs des Kel-Ferouan, qui résident,
les uns dans l’oued Iferouan, les autres à Agadès.
_13 août._ — Nous faisons une excursion à Zéloufiet. En chemin,
nombreuses traces de hérissons, de porcs-épics et d’un animal
appelé _guerbra edaouï_. Nous suivons l’oued de Tintarhodé,
dans la direction du nord. Dans le lointain, une haute montagne
dentelée, du nom d’Ekhzan ; elle est inhabitée.
Zéloufiet est un riant village de maisons de pierres et de cases,
entourées de haies de _tountafia_ et perchées sur des collines
ou sur d’anciennes terrasses fluviatiles[212] que l’ouadi
a sectionnées ; dans le lit de la rivière sont les jardins de
palmiers qui font le charme de cet endroit.
Je trouve établis ici quelques hommes de la tribu des Ifoghas,
qui me parlent de leur patrie Tademekket[213]. Ils ont une longue
tresse de chaque côté de la tête ; une troisième tresse est
dissimulée par le _keffi_ noué autour du crâne. Les Ifoghas de
Tademekket, l’ancienne Es-Souk, paient actuellement le _garama_[214]
à Ahitarhel, pour ne pas être pillés par les Hoggar. Ils parlent
la même langue que les Ihaggaren (nobles) et leur ressemblent par
le teint et la manière de se vêtir.
_15 août._ — Retour à Tintarhodé. Hadj Iata me confirme que
l’Aïr a été habité autrefois par des nègres haoussa.
Vu en rentrant un très grand tumulus : le sommet très plat, couvert
d’une couche de petites pierres ; à la base, un cercle de rochers
bas ; le diamètre est d’une dizaine de mètres. Aujourd’hui
encore, les femmes de l’Aïr ont la coutume d’aller dormir sur ces
_ed-debbeni_ pour avoir des nouvelles de leurs maris absents ; elles
se mettent, à cette occasion, dans leurs plus beaux atours. Pendant
leur sommeil, arrive « l’ami du tombeau » (_djine-eddebbeni_),
qui leur donne des informations sûres sur le sort de l’époux
parti en razzia.
_16 août._ — Nous sommes allés assister à une noce dans un
village voisin. Le fiancé est le fils du cheikh de Zéloufiet. On
voit venir une foule d’invités en grand gala sur des méharis
magnifiquement harnachés. La principale attraction est la musique,
exécutée par des esclaves et les forgerons, tandis que les
guerriers, en habits de fête et montés à méhari, en font
lentement le tour. Lorsque les méharis se reposent, les esclaves
se mettent à danser. La chère est des plus abondantes. Un taureau
est poussé par les cavaliers jusque sur la place, où il reçoit
le premier javelot ; aussitôt, les esclaves se précipitent et lui
tranchent le jarret à coups de sabre ; la bête, ainsi abattue,
est ensuite livrée aux bouchers. Beaucoup de nobles viennent
me saluer et, me voyant en société du hadj Iata, me traitent
avec beaucoup de déférence[215]. Parmi eux, j’ai le plaisir
de reconnaître Ouinsig, le cheikh des Ihadanaren réfugiés dans
l’oued Telak. C’est un des Touareg les plus instruits que j’aie
vus. Même des Kel-Fadé viennent à la noce. J’ai pu remarquer
qu’on ne les voit pas avec plaisir ; ils ne cessent d’espionner
dans le pays et puis vont dire aux Aouélimiden où il y a une razzia
à faire.
_18 août._ — De retour à Tintarhodé. En échange des remèdes que
j’ai distribués, on me donne d’excellentes dattes qui viennent
du petit village d’Imberkane, situé dans la montagne.
Un jeune Touatien de dix-huit ans, qui a été à Agadès avec son
père pour acheter des plumes d’autruche, me donne des détails
sur les Hoggar. Il dit qu’il ne fait que passer et repasser chez
eux, et que jamais il n’a été dépouillé, même pas par les
Aïthoguen[216]. Hadj Iata me dit qu’autrefois un seul marchand
envoyait facilement quatre-vingts dépouilles d’autruches par
an au marché de Ghât ; mais ces animaux sont devenus si rares
qu’il est difficile d’en rassembler aujourd’hui une dizaine
tous les ans. Les dépouilles se vendent à Tripoli 150 thalers,
l’une dans l’autre ; c’est du moins le prix qu’on paie pour
celles que hadj Iata y envoie.
_19 août._ — Les Arabes Meschagra s’habillent, me dit-on, comme
les Touareg, montent à cheval et à chameau et payent comme les
Ifoghas la _garama_ à Ahitarhel. Ouinsig m’assure qu’aucun des
Hoggar ne va à Tombouctou, parce que les Aouélimiden les tueraient
en route.
Le jeune Touâtien me raconte qu’il y a en ce moment deux juifs au
Touât. L’un des deux s’est converti à l’Islam ; l’autre,
Yousouf, est resté fidèle à sa religion. Personne ne leur fait
de mal ; on leur a donné l’_aman_ une fois pour toutes ; mais on
ne permet pas que d’autres juifs viennent s’établir au Touât.
Au dire d’Ouinsig, il y a à l’époque des pluies beaucoup de
fièvres dans l’oued Telak.
_20 août._ — Hadj Iata m’apporte deux thalers parce que j’ai
soigné ses gens, mais je ne les accepte pas et lui fais cadeau
d’un verre pour reconnaître sa bonne volonté.
_21 août._ — J’ai fait dresser ma tente et j’ai prié Hadj Iata
de l’accepter comme présent. Il a eu pour moi plus d’égards
que tous les autres Touareg d’Aïr ensemble, et je lui donne
volontiers ma tente et mon lit de camp, qui ont d’ailleurs le
défaut d’attirer beaucoup trop l’attention. Hadj Iata est tout
confus de la valeur du présent.
Ouinsig apprend ce soir que les gens d’Ikhenoukhen vont avec
les Arabes de l’oued Châti dans l’Ahaggar. Il croit que les
Hoggar se déroberont, mais qu’ensuite ils couperont les routes
de caravane. C’est pour cela que les Ghadamésiens ne veulent
pas la guerre, et passent même condamnation sur quelques actes de
pillage. Mais lorsque les Taïtoq sont allés enlever les chameaux
jusqu’à Tegrifa, près de Mourzouk, les Arabes du Fezzân ont
trouvé que c’était par trop fort[217].
Le _serki-n-touraoua_, mon voleur, se fait le familier du sultan
de Sokoto, dans l’espoir que celui-ci lui prêtera son appui pour
devenir un jour sultan d’Agadès. C’est Hadj Iata qui me donne
cette information.
_23 août._ — Hadj Mohammed, le gendre du hadj Iata, veut aller
à Ghât et s’offre à me louer des chameaux pour le voyage.
J’ai rendu visite à Ouinsig, le cheikh des Ihadanaren, et
j’apprends de lui qu’il existe vraiment un endroit nommé
Anaï, à six jours dans l’est de Ghât ; lui-même y a été
et dit que c’est un puits sur une hamada inhabitée. Il sait
également qu’une ancienne route mène directement de Djerma
par Anaï jusqu’à l’Aïr, et que la trace en est encore très
reconnaissable ; mais il n’a pas entendu parler d’empreintes de
roues, ni d’inscriptions ou de sculptures rupestres[218].
A certains passages que je lis du livre de Duveyrier, Ouinsig
reconnaît que ses informateurs étaient des Oraghen ; il dit
également que les Ihadanaren ne méritent plus la mauvaise
réputation qui leur est faite dans ce livre, parce qu’ils se sont
fort améliorés depuis.
_24 août._ — On me parle beaucoup d’un animal de grande taille
appelé _tirhès_ ou agolès dans l’Aïr, et _adjoulé_ par les
Touareg du Nord, et qui est répandu dans tout le pays depuis le
Damergou jusqu’à l’Ahaggar. On dit qu’il ne se trouve pas au
Soudan[219]. Tout le monde est d’accord à me le décrire comme
un fauve très dangereux[219] ; c’est aussi le seul qui arrive à
tuer l’autruche. Il la suit jusqu’au moment où elle ne peut plus
lancer de ruades, et devient une proie facile pour son ennemi. On vend
quelquefois de jeunes _agolès_ à Agadès, où on les apprivoise,
paraît-il, comme des chiens. Mais je n’ai pu m’en procurer un
seul exemplaire.
_26 août._ — Des gens d’Azanarès viennent nous annoncer que
la grande caravane se rassemble là-bas. Damboskori[220] a fait,
dit-on, une incursion victorieuse jusqu’aux portes de Katséna,
et emmené une masse de monde comme esclaves, de sorte que les
Kel-Ouï prévoient une baisse de prix pour cet article.
_1er septembre._ — Une esclave originaire du Maradi vient
me consulter pour ses rhumatismes ; elle est presque jolie et a
de bonnes manières, mais les gens d’ici la regardent comme une
sauvage, parce qu’elle vient d’un pays de païens.
_2 sept._ — On nous mande d’Agadès que Hadj Bilkhou veut faire
la paix avec les Kel-Guérès. Il est très irrité contre le cheikh
Bou-Bekr des Kel-Férouane, qui ne cesse d’avertir les Kel-Fadé et
les Aouélimiden du moment où les gens du hadj Bilkhou sont absents
de l’Aïr. Bilkhou voudrait que le sultan d’Agadès exerçât
une sorte de contrôle sur ces gens-là.
Le forgeron m’apprend que les _agolès_ pénètrent en été
jusque sur les montagnes pour attaquer les troupeaux ; ils sont
généralement en troupes de quatre ou cinq, ils ont le pelage
rayé de noir et de blanc, mais le noir domine ; la tête est longue
et étroite ; les canines sont très grandes ; la queue longue et
foncée. Ils terrassent même les taureaux. Pendant les chaleurs,
lorsque la pluie manque, ils se rapprochent des montagnes pour
boire. Le forgeron les dit aussi dangereux que les lions. Ils
sont exclusivement carnivores, et recherchent spécialement les
cadavres[221].
_4 sept._ — Hadj Iata m’offre spontanément de me prêter de
l’argent pour le voyage ; j’accepte avec reconnaissance. Les
chameaux sont enfin arrivés ; nous partons cette nuit pour
Zéloufiet.
_5 sept._ — Nous avons quitté Zéloufiet, non sans que le marabout
Toufik m’ait encore fait parvenir du sucre et des dattes. Arrivée
dans l’oued Tachouen, où notre troupe a fait sa jonction avec
les autres caravanes qui nous attendaient.
Ici cesse, à vrai dire, le journal de route du voyageur. Refaisant
son itinéraire d’aller en sens inverse, il s’est borné dès
lors à jeter sur le papier quelques indications très brèves qui
n’ont d’intérêt que pour la construction de la carte. Arrivé
le 3 octobre à Ghât, il écrivit le soir un billet de quelques
lignes ; le lendemain il était mort.
* * * * *
=APPENDICE I=
* * * * *
=NOTE GÉOLOGIQUE=
* * * * *
Ghât, 25 décembre 1876.
Du bord méridional de la grande hamada El-Homra jusqu’au massif
de Tafélamine dans le Tasili, et au delà, le terrain reste le
même. C’est toujours le même grès rouge-brun[222], dont les
couches horizontales composent les montagnes et donnent naissance
aux mêmes formes orographiques. La chaîne d’Amsak, l’Akakous,
l’Ikohaouen, le Tafélamine sont tous des massifs tabulaires
découpés dans la même formation. Tantôt ils prennent les
contours de plates-formes allongées ; tantôt, lorsque l’érosion
des couches supérieures est plus avancée, c’est une crête
dentelée qui apparaît. Quelques monts isolés affectent la forme
conique, lorsqu’il ne reste de la couche supérieure que le sommet
actuel[223] ; c’est le cas du mont Nasaret, de l’Errouine et de
beaucoup d’autres plus petits. On trouve des crêtes dentelées au
sommet de l’Idinen, de l’Ouadersine et des monts d’Aouénat. Par
contre, c’est une plate-forme qui termine l’Amsak, l’Akakous
et le Tafélamine.
On observe à la base de ces grès une série de schistes formés de
bandes très fines de couleur blanche, rouge ou grise ; ces schistes
sont parfois remplacés par des calcaires compacts. Dans l’oued
Inessane, la limite inférieure du grès est à environ treize mètres
au-dessous du niveau de la hamada. Je n’y ai pas trouvé de fossiles
reconnaissables ; par contre, les tiges de crinoïde sont nombreuses
dans les calcaires, notamment dans l’Akakous et le Tadrart. Parmi
les cailloux roulés de l’oued Mihero, j’ai ramassé un morceau de
lave poreuse qui, au dire de mes compagnons, provenait de l’Ahaggar.
En ce qui concerne la mer saharienne, je dois dire que je n’en
ai pas trouvé la moindre trace. Bien au contraire, à en juger
par ce que j’ai vu de Tripoli à Ghât, le sol de l’Afrique
du Nord doit être émergé depuis bien longtemps, car il ne s’y
trouve même pas de dépôts marins tertiaires — à moins que la
désagrégation atmosphérique et l’érosion n’en aient fait
disparaître jusqu’au dernier vestige.
Les dunes ne fournissent point d’argument en faveur de cette
hypothèse, car elles sont visiblement composées des détritus de
toutes les roches qui affleurent, détritus charriés et accumulés
par le vent. Quant à leur mobilité, il est vrai qu’une tempête
ne peut pas déplacer des dunes en une fois, mais il y a des dunes
qui marchent : on en a la preuve à Tripoli même. Elles envahissent
là-bas le côté ouest de l’oasis, et bien des palmiers encore
vivants sont aujourd’hui ensevelis jusqu’à moitié de leur
hauteur. Naturellement, il faut pour cela un certain nombre
d’années. L’existence d’endroits habités et de routes au
milieu de l’Erg ne prouve pas plus en faveur de l’immobilité des
dunes, que l’existence des ports ne démontre l’immuabilité des
rivages. Le rapport de mon voyage à l’oued Mihero fournit plusieurs
exemples de dunes amoncelées par le vent derrière de hautes parois,
dans une contrée d’où les dunes sont généralement absentes :
leur localisation serait inexplicable sans l’action du vent. Ce
qui ne veut pas dire que toutes les dunes changent de position ;
il est, au contraire, vraisemblable que les dunes situées dans des
dépressions entourées de terrains plus élevés sont destinées
à garder leur volume et leur emplacement, tant que dureront les
conditions météorologiques actuelles.
=APPENDICE II=
* * * * *
=SUR LE CARACTÈRE DÉSERTIQUE DE L’AÏR=
_(Lettre du Dr de Bary au Professeur Ascherson[224].)_
* * * * *
Adjiro, le 11 avril 1877.
Me voyant à Ghât forcé de rester inactif, car même aux portes
de la ville, on n’était pas en sûreté contre les Hoggar, je
me suis décidé à gagner l’Aïr avec la caravane des Kel-Ouï,
pour comparer la flore de ce pays avec celle du pays des Touareg
du Nord. Et bien qu’on m’ait accueilli ici d’une façon qui
n’était rien moins qu’amicale, et qu’on me traite presque en
prisonnier, je ne regrette pas les fatigues et les dangers, puisque
j’ai pu arriver à quelques résultats positifs.
Le mot de Barth, qui appelle l’Aïr « les Alpes du Sahara »,
en a donné peut-être une idée trop grandiose.
On peut conserver la définition, seulement le mot important à
retenir est _Sahara_. Sans doute, lorsqu’on a traversé les
solitudes désolées qui s’étendent entre l’oued Arokam et la
limite nord de l’Aïr, et qui sont encore plus vides de plantes que
la hamada El-Homra, on contemple avec ravissement cette chaîne de
bleus sommets qui, pendant la marche vers le sud, vous fait cortège
pendant des jours, et l’on admire dans les vallées les hautes
silhouettes des gommiers et des _adjar_, à l’ombre desquels le
cavalier à méhari chemine. Et c’est ainsi que l’explorateur
du désert court le risque de donner une expression trop éloquente
à sa surprise, et d’oublier que son point de vue n’est pas le
même que celui du lecteur européen.
Exclure l’Aïr de la région saharienne, à cause de ses pluies
d’été tropicales, c’est ne voir qu’un petit côté de la
question. A supposer que le massif central de l’Ahaggar reçoive
des pluies d’hiver régulières, serait-ce une raison pour en faire
au milieu du Sahara un pays à part, alors que la flore, la faune et
la géologie s’y opposent ? La présence de grands fauves a paru
également incompatible avec une définition rigoureuse du Sahara
(Rohlfs). Mais la panthère (_fehed_[225]) existe aujourd’hui encore
dans le Fezzân septentrional, à l’état de rareté, il est vrai,
et dans l’Ahaggar il est question du _tahouri_, qui est, selon toute
apparence, un fauve très voisin de la panthère. Pourquoi retrancher
les grands fauves de la faune saharienne, lorsque nous sommes forcés
d’y comprendre les crocodiles ? Il s’y ajoutera, sans doute,
encore plus d’une espèce, dont on n’eût pas soupçonné la
présence ; par exemple, un quadrupède semblable à la marmotte,
qu’on me dit être très fréquent dans tout le pays touareg[226].
Mon célèbre compatriote Rohlfs a donné du désert une définition
en apparence paradoxale, en disant qu’il commence là où la puce
disparaît. Je ne puis que confirmer le fait, si inexplicable qu’il
paraisse, à propos d’un parasite qui, dans les autres parties du
monde, a suivi l’homme partout où il est allé[227]. L’Aïr se
distingue également par ce mérite négatif, car on ne trouve la puce
ni dans le nord, ni dans le sud de ses montagnes, et cependant, il y a
longtemps que les caravanes l’y auraient importée, si le climat le
permettait. Je crois pouvoir démontrer que l’Aïr fait réellement
partie de la zone saharienne, bien que le lion soit répandu dans tout
le pays, bien que des animaux semblables à des marmottes en habitent
les montagnes, bien que des troupeaux de singes s’y rencontrent
partout où l’on voit des dattiers et des palmiers Faraoun.
Remarquons tout d’abord que les montagnes d’Aïr sont dénuées de
toute végétation et montrent partout à nu leurs brunes parois de
granite. On n’y voit pas un gazon, pas une mousse, pas un lichen,
et c’est aussi le cas des monts granitiques du versant sud-est de
l’Ahaggar, sur la route des caravanes entre l’oued Touffok et
l’oued Arokam.
Dans les vallées, c’est la flore saharienne qui se déploie
avec une surprenante richesse. Les _talha_, dont nous n’avions
vu jusqu’alors que des exemplaires rabougris, acquièrent ici la
taille de nos arbres de haute futaie et, par leur forme, m’ont même
rappelé les chênes ; mais ils n’en ont pas le vert feuillage, car
leurs folioles sont si exiguës qu’elles disparaissent en quelque
sorte au milieu des branches et des masses d’épines. Aussi le
plus beau gommier, vu de loin, a-t-il l’air desséché, à moins
qu’une plante parasite, le _Loranthus_ par exemple, ne lui prête
la fraîcheur de sa verdure.
L’_adjar_, qui, comme le remarque fort justement Duveyrier, est un
petit arbrisseau isolé dans le pays des Touareg Azdjer, est ici très
répandu et atteint jusqu’à 12 mètres de hauteur. Ses branches
rigides, qui se ramifient à angle droit, forment un véritable
fourré autour du tronc principal qu’elles cachent presque
complètement en pendant presque jusqu’à terre. L’_adjar_,
lui aussi, a des feuilles très petites, posées isolément sur
les branches noueuses et ne forme pas, à vrai dire, un parasol
de feuillage.
L’_éborak_ (fémin., _téborak_), qu’on trouve déjà chez les
Touareg du Nord, a donné son nom à l’oued qu’on traverse sur
la route de l’Aïr. Quiconque a vu ses énormes épines évitera
son voisinage. L’_éborak_ (_Balanites aegyptiaca_ Del.) est
d’ailleurs si pauvre en feuilles que ses branches ont l’air
presque nues.
Telles sont les trois espèces d’arbres qui, associées les unes
aux autres, forment le plus souvent la masse de ces forêts claires
dont la vue enchante le voyageur venu du nord.
On trouve dispersé çà et là le _sedra_ de la Tripolitaine[228] où
il devient rarement aussi haut qu’ici ; puis encore le _tadomet_,
capparidée[229] dont le frais feuillage, semblable à celui du
laurier, repose la vue. Et voilà tout ce que je connais en fait
d’arbres qui croissent dans l’Aïr à l’état sauvage.
Le dattier et le palmier de Pharaon sont cultivés un peu partout où
la nappe des puits est assez abondante. Car il n’est pas question
d’eau courante dans l’Aïr, sauf pendant la saison des pluies. Je
n’ai pas encore vu moi-même l’arbre de Pharaon[230], mais on
vend partout ses graines ligneuses. Il semble surtout répandu dans
le sud de l’Aïr.
Parmi les arbrisseaux, l’_abesgui_ (_Salvadora persica_ L.) mérite
la première place. Sa riche et fraîche verdure dédommage de
la déplorable nudité des arbres. Dans la vallée d’Iferouane
l’_abesgui_ forme d’épais bosquets, entre lesquels le _brombach_
(_Calotropis procera_ R. Br.) pousse avec une telle vigueur, que les
Touareg de la caravane ont dû s’ouvrir un chemin à coups de sabre.
Le _talha_ et le _sedra_ prennent aussi la forme buissonnante, et
sont répandus dans toutes les vallées, même les plus sèches,
tandis que le _Salvadora persica_ se voit surtout près des villages
ou au pied des montagnes, là où l’on trouve de l’eau à une
faible profondeur.
Les oueds, dont le lit est toujours rempli de sable granitique,
se reconnaissent de loin, grâce aux chaumes jaunâtres
de l’_afezo_[231] qui les recouvre sur de longues distances,
et y crée un ruban de couleur claire, au milieu duquel le gommier
élève de loin en loin sa couronne de branches desséchées.
Le pays est si pauvre en herbes nourrissantes, que les chèvres
vivent surtout des folioles du _talha_ et de l’_adjar_. Les
femmes esclaves, qui dans l’Aïr ont la garde des troupeaux,
possèdent toutes une gaule d’environ 7 mètres de long, munie
à son extrémité d’un crochet d’environ 15 centimètres. Cet
instrument leur sert à saisir les branches et à faire tomber les
feuilles et les rameaux destinés aux chèvres rassemblées au pied
de l’arbre.
Ceci peut donner une idée du caractère saharien de la végétation
de ces vallées.
La grande majorité des plantes sont hérissées d’épines ou
couvertes de poils ; les plantes à suc laiteux (_Calotropis procera_,
etc.) font exception.
D’autres, comme l’_abesgui_ et le _tadomet_, sont abritées
contre la sécheresse par leurs feuilles parcheminées semblables à
du cuir. Nulle part je n’ai trouvé de représentants de formes
tropicales, et leur absence est significative, à une si faible
distance du Soudan.
Les gorges du Baghzen, qui se transforment en torrents au moment
des pluies, renferment des espèces rares, qu’on chercherait
vainement dans les vallées. C’est ainsi qu’une _Stapelia_ à
fleurs d’un rouge sombre[232] croît fréquemment entre les hauts
blocs de granite, et surprend le voyageur par sa forme de cactus,
qui contraste si fort avec les autres plantes de l’Aïr. Deux
arbrisseaux, dont l’un, à en juger par les fruits, se rattache
aux acacias, et l’autre aux célastrinées, manquent également
à la plaine.
Je crois que ces raisons vous sembleront suffisantes pour attribuer
avec moi cette flore de l’Aïr à la zone du Sahara. En suivant le
versant sud-est de l’Ahaggar, j’ai trouvé les vallées garnies
des mêmes plantes, et je suis persuadé que la flore de l’Ahaggar
présentera une complète analogie avec celle de l’Aïr, tout
comme la faune.
Mais on ne sait presque rien de cette flore hoggar, car il est bien
rare de rencontrer quelqu’un qui ait vu de ses yeux le massif
central de l’Atakor. Ceux mêmes qui ont été chez les Hoggar
ont suivi les chemins de caravanes, qui évitent ces montagnes,
et ils n’en connaissent par conséquent que la périphérie.
Il serait d’autant plus souhaitable qu’un voyageur européen
s’avance jusqu’au cœur de l’Atakor ; il faudrait pour cela
s’établir à Idélès, et faire de là une série d’excursions
dans la montagne.
* * * * *
APPENDICE III
* * * * *
=REGISTRE MÉTÉOROLOGIQUE=
* * * * *
DATE HEURE LIEU THERM. OBSERVATIONS
CENTIGR.
— — — — —
Oct. 1876
15 10 h. mat. Ghât 26° Tempête du Sud. Ciel
couvert, éclairs. Quelques
grains de pluie.
16 » — » Beaucoup de vent, pluie.
17 11 h. mat. — 27° Beau temps.
18 midi — 30° Quelques nuages.
19 » — » Pluie.
20 2 h. 15 soir — 34° Ciel voilé.
21 11 h. soir — 24° Forte pluie.
23 » Titersine » Forte pluie dans la nuit.
24 » Tihobar » Pluie toute la nuit.
25 5 h. soir Tintorha » Forte pluie.
27 2 h. 15 soir O. » Pluie.
Tifergasine
Nov.
3 4 h. soir O. » Orage. Forte pluie la nuit.
Erinerine
Janv. 1877
8 » Akaouf » Eau gelée dans la nuit.
12 » O. » Eau gelée dans la nuit.
Touhikaham Brouillard épais à l’aube.
13 » O. Tisga » Eau gelée dans la nuit. Vent
fort et très froid.
14 » Hamada » Eau gelée dans la nuit.
23 » O. Arokam » —
26 } { O. Katelet }
} » { } » —
31 } { O. Immider }
Fevr.
1 } { O. Immider }
} » { } » —
4 } { O. Zerzou }
Mars
4 » Adjiro » Cirrus venant de l’ouest.
(Aïr) Chaleur modérée.
5 » — » Vent froid la nuit.
10 » — 28° Température prise dans ma
case. Le matin, souvent
de violentes bourrasques
d’ouest.
11 » — » Le soir, nuages dans le sud
et l’ouest.
12 2 h. soir — 28° Temp. au soleil : 52°. Vents
du sud et d’ouest, amenant
des brumes de poussière.
14 — 28° Chaleur lourde le matin.
Vent violent fréquent
l’après-midi et le soir.
16 » — » Nuages venant du S.W.
18 après-midi — 22° Ciel pur. Nuit froide et
vent.
19 » — 22° Temp. max. (dans ma case).
Vent violent.
20 » — 22° 23° Ciel pur. Vent fort le matin.
21 midi — 25° —
23 après-midi — 27° — Poussière.
24 midi — 30° Beaucoup de vent et de
poussière.
25 vers midi — 32° Temp. max.
26 » — 30° Temp. max. Au dehors,
chaleur étouffante.
27 midi — 32° T. max. Au dehors 52°.
28 » — 35° T. max.
Avril
1 » — 26° T. max. Vent fort et frais.
2 » — 26° T. max.
4 » — 27° T. max.
5 » — 30° T. max.
6 » — 33° T. max. Ciel toujours pur.
7 » — 35° T. max.
8 » — 38° T. max.
9 » — 39° T. max. Au dehors, 37° à
l’ombre à l’abri du vent et
55° au soleil.
10 avant l’aube — 21° Dans ma case et dehors.
12 » — 36° T. max. Ciel pur.
13 après-midi — 37° T. max. Brumes légères d’E.
Avant l’aube : 25°.
15 » — » Des cumulus dans le Sud.
Premières gouttes de pluie.
16 » — 38° T. max. Vent fort et
poussière l’après-midi et le
soir.
17 » — 33° T. max. Ciel voilé, vent du
S. Temp. avant l’aube : 19°5.
18 midi — 35° Temp. avant l’aube : 18°5.
19 » — 35° T. max. Brume de poussière
sans vent. T. à l’aube : 19°.
21 » — 34° T. max. Cumulus venant du
S.E.
22 » — 33° T. max. Vent très fort. Ciel
couvert de cumulus. Eclairs
à l’W. et au N.
23 » — 35° Le soir, nuages au S.E.
24 » — 31° T. max. Brume de poussière.
Rafales du S.W.
25 » — 33° T. max. Nuages du S.W.
26 soir — 31° Ciel nuageux. Vent S.W.
27 » — 33°5 Ciel pur.
28 » — 37° T. max. Calme.
30 » — 35° T. max. Rafales du Sud.
Poussière. T. avant l’aube :
24°.
Mai
2 soir — 36° Quelques nuages. Vent S.W.
3 » — 38°5 T. max. Calme. Trombes de
poussière.
4 » — 39° T. max. Vent S.E., puis S.
5 » — 39° T. max.
6 » — 37° Cumulus du S.W. Chaleur
lourde.
7 » — 36° Vent fort du S. et du S.E.
8 » — 37° —
9 matin — 38° —
11 midi — 37° Temp. à l’aube : 23°, et au
dehors : 20°.
12 » — 38° Brume de poussière.
13 » — 36°5 —
14 » — 36°5 Vent fort S. et S.E. Trombes
de poussière.
15 » — 37° Brume de poussière.
16 » — 37° Vent brûlant du S.E.
17 » — 38° Vent N.E. le soir. Cumulus
du N.N.W.
18 » — » Ciel pur. Vent S.
20 » — 39° Rafales violentes du S.W. et
S.
21 » — 36°5
22 » — 37° Temp. du sable : au-dessus
de 71°, limite de la
graduation du thermomètre.
23 » — 35° Ciel voilé. Tonnerre au S.
24 » — 37° Vent et cumulus du S.
Quelques gouttes de pluie.
25 » — 37° Fort vent de S.E.
28 } » Baghzen 39° Temp. à l’ombre, à l’air
} libre, dans un courant d’air.
29 }
30 » — 40° _Id._ La nuit, orage venu de
l’E., un peu de pluie.
31 » — 39° Pluie l’après-midi et la
nuit.
Juin
1 » Adjiro 27° Temp. pendant la pluie.
Orage de l’E.
2 midi — 32° Ciel nuageux. L’après-midi,
pluie du S.W.
3 à l’aube — 22° Brouillard épais. Ciel
couvert.
4 midi — 32° A l’aube : 22° en plein air.
Orage et pluie l’après-midi.
5 » — 34° Chaleur étouffante.
6 » — 38°
7 » — 36° Le soir, orage dans l’W.
8 » — 32° Ciel voilé, l’après-midi,
averse violente de l’W.
9 » — 32°
10 » — 34° Ciel pur. Le soir, nuage de
l’W.
11 matin — 35° 34° en plein air (vent).
12 » — » Courte et violente averse.
Il pleut dans la montagne au
Sud.
16 » — 34° Chaleur étouffante, pluie
fine le soir.
17 midi — 25° Temps rafraîchi par une
forte pluie.
18 — — » Orage au Nord.
19 » — 36° Chaleur étouffante.
20 » — 37° Ciel pur. Rafales du Sud.
21 » — 36° Au coucher du soleil, forte
tempête de sable de l’E.
22 après-midi — 34° T. max. A midi, un peu de
pluie.
23 » — 35° Ciel pur.
24 » — 36°5 Brume de poussière.
25 » — 37°5 —
26 _docher_ — 38° A midi, orage de l’E. Pluie.
27 » — 40° T. max. L’après-midi, pluie
du N.E. et du S.
28 » — 37° Vent du S. Poussière.
29 » — 38° —
30 midi — 39° Forte tempête de sable la
nuit.
Juill.
1 » — 36°
2 » — 37°
3 » — 37° Coups de vent du S. et de
l’E.
4 » — 36° Coups de vent. Ciel pur.
5 » — 37° —
6 » — 36° Vent. Cirrus.
7 » — 36° Nuages de l’W.
8 » — 37°
23 » O. » Orage et pluie.
Ounankerane
31 » Tintarhodé » Orage et pluie dans le S.
Août
1 » — » Orage et pluie.
2 » — » Orage l’après-midi, forte
pluie le soir.
4 » — » Chaleur étouffante à midi,
orage et forte pluie ensuite.
6 » — » Orage violent l’après-midi.
7 » — » Pluie la nuit. Brouillard
jusqu’à midi. Chaleur
étouffante.
11 » — » Brouillard dense le matin.
12 » — » Tempête de sable du S.E.,
gouttes de pluie.
21 » — » Tempête de sable du S.E.
22 » — » Pluie l’après-midi.
23 » — » —
27 » — » Chaleur étouffante, puis
tempête et pluie.
28 » — » Chaleur étouff. Temp. du S.E.
29 » — » Fort vent d’E.
Sept.
2 » — » Un peu de pluie l’après-midi.
3 » — » Chaleur étouffante. Orage
et pluie, après tempête de
sable du S.E.
4 » — » Pluie le soir.
INDEX BOTANIQUE ET ZOOLOGIQUE
* * * * *
abesgui, 174, 206.
_Acacia albida_, 177.
adjar, 108, 111, 204.
adoua, 102.
adoular, 147.
afetazzen, 42.
agolès, 193, 194.
akoka, 161.
alouad, 109.
amateltel, 63.
amderh, 183.
ameo, 104.
ana, 54, 104.
_Anastatica Hier._, 43.
Arenkad, 55.
_Arthratherum pungens_, 41, 109.
_Atriplex halimus_, 42.
Aza, 170.
_Balanites aegyptiaca_, 102.
brambach, 25, 206.
_Calotropis procera_, 25, 111, 206.
_Cassia obovata_, 105.
cheggaa, 98.
chobrom ou chebrek, 42.
_Corbicula fluminalis_, 25.
_Cornulaca monacantha_, 100.
damousa, 193.
djemda, 98.
doum, 205.
drine, 109.
el-hichen, 35.
ellel, 51.
éthel, 103.
_Euphorbia calyptrata_, 107.
_Fagonia arabica_, 78.
faraoun, 145, 174, 205.
foul-el-djemel, 109.
ganga, 43.
had, 100.
hadjilidj, 102, 162.
keroukerou, 109.
_Leptadenia pyrotechnica_, 54, 104.
_Limnea_, 25.
_Loranthus_, 204.
_Maerua rigida_, 108, 109, 145.
_Melania tuberculata_, 25.
_Moricandia suffruticosa_, 109.
okoua, 147.
oum-el-leben, 103, 107.
ourked, 149.
_Physa_, 25.
_Planorbis_, 25.
_Pulicaria undulata_, 104.
_Rhus dioïca_, 46, 99.
_Salvadora persica_, 112, 206.
sbot, 109.
_Senecio coronopifolius_, 150.
_Solanum sodomaeum_, 163.
_Stapelia_, 120, 147, 208.
_Succinea_, 25.
tabaket, 120.
tachelt, 167.
tadegra, 150.
tadjdjart ou tegart, 150.
tadomt, 150, 205.
talha, 99, 102, 104, 109, 150, 204.
_Tamarix_, 40, 64, 94.
tamat, 150, 161.
tanedfert, 41.
tarakat ou terakat, 161, 170.
tarhalam, 150.
teborak, 102, 204.
tefah, 163.
tehak, 51.
tehonak, 46.
telokat, 54, 63.
temoulet, 145, 161.
tirhès, 193.
toreha, 25.
toullout, 103.
tountafia, 183, 186.
_Zilla macroptera_, 42.
_Zizyphus Lotus_, 120, 205.
* * * * *
INDEX DES NOMS PROPRES
* * * * *
Adamoulet (mont), 50, 52.
Ader, 167.
Adgag, 181.
Afodet (mont), 177.
Agadès, 71, 131, 133, 145, 172, 179.
Aguelal, 181.
Aguélalaben, 156.
Aguéraguer, 177, 182.
Ahitaghel, 20, 83.
Aït-el-Mokhtar, 28.
Aït-Hamouden, 28.
Aït-Hoguen, 153, 176.
Aït-Tedjenen-Hana, 28.
Akaouf, 96.
Akakous, 96, 97, 197, 198.
Alakkos, 126.
Aloumtaghil (mont), 54.
Anaï, 192.
Aouélimiden, 26, 30, 38, 71, 81, 125, 129, 131, 152, 159, 162, 172,
178.
Aoulad-Sliman, 127, 168.
Aourer (mont), 115.
Arikine, 97.
Ascherson, 54.
Attanoux, 38.
Baghzen (mont), 116, 126, 147, 163.
Barth, 26, 81, 92, 105, 109, 112.
Bendaï (mont), 115.
Berabich, Berabra, 160.
Bernard (Ct), 72.
Bilkhou, 127, 188, etc.
Bilma, 142, 184.
Bou-Bekr, _voir_ Eg-Bekr.
Dider, 21.
Djémia, 175.
Djerma, 192.
Dournaux-Dupéré, 22.
Duveyrier, 25, 28, 30, 33, 51, 54.
Eg-Bekr (le cheikh), 23, 26, 27, 28, 30, 35, 69, 78, 79, 86, 91.
Eguéchine (dunes), 100.
Errouïne (mont), 53, 198.
Etakhès (mont), 39.
Fezzan, 75.
Foureau, 17, 24, 25, 27, 55, 60, 89.
Garamantes, 153.
Ghadamès, 18, 75.
Gober, 129.
Hadj el-Amin, 15.
Hadj Iata, 178, 190.
Hoggar, 23, 26, 38, 48, 58, 88, 130, 178, 189.
Ibakammazen, 28.
Ifaden, 111.
Ifoghas, 22, 160, 187.
Ihadjenen, 28.
Ihadanaren, 70, 129.
Ikanaren, 40.
Ikhenoukhen, 18, 20, 23, 33, 34, 73.
Ikohaouen (mont), 49, 197.
Imanan, 21.
Imanghasaten, 20, 23, 32.
Imekamesan, 29.
Imetrilalen, 41.
Imocharh, 38, 40, 184.
Imrhad, 38, 40, 66, 180, 184.
Ingal, 152, 172.
In-Salah, 74.
Iwarwaren, 159.
Kaouar, 32, 142.
Kel-Djemia, 176, 182.
Kel-Eidilet, 160.
Kel-Fadé, 45, 124, 159, 162, 166, 189.
Kel-Ferouan, 186.
Kel-Guérès, 138, 167, 172.
Kel-Rhapsa, 28.
Kel-Rhezer, 171, 189.
Kel-Telak, 28, 29.
Khetama, 23.
Kokoumen (mont), 34.
Maradé, 172.
Mariaou (mont), 100.
Méchagra, 181, 190.
Mégarha, 72.
Mouley-Taïeb, 74, 77.
Nachtigal, 30.
Oraghen, 21.
Ouaderous (mont), 50.
Oudân (mont), 27, 30.
Oued Adamouline, 52.
— Ahanaret, 40.
— Arokam, 102.
— Edjef-n-amouni, 64.
— Ezeti, 98.
— Ezelil, 177.
— Falezlez, 100, 141, 185.
— Igharghar-Mellen, 52, 62.
— Immider, 108.
— Inessan, 45, 198.
— Ireren, 51.
— Isseyen, 94.
— Katelet, 105.
— Mihero, 54, 82, 198.
— Nasaret, 54, 62.
— Ouadersine, 52.
— Ounankerane, 177.
— Rhallé, 39.
— Tadonet, 105.
— Tafelamine, 53, 54.
— Taffassasset, 168.
— Taherhaït, 42.
— Tanesso, 39.
— Tehennet, 64.
— Telak ou Talak, 129, 190.
— Terhezer, 175.
— Tesorar, 62.
— Tifergasine, 46.
— Tiout, 109.
— Touffok, 102, 105.
— Tounikanaham, 98.
— Zibel, 108.
Oufenaït, 32, 66, 89.
Overweg, 27.
Rapsa, 28.
Rhezer, 171.
Richardson, 17, 20, 130.
Safi, 15, 31, 32, 70, etc.
Senousiya, 74, 77.
Sokoto, 179.
Tadera, 108.
Tadrart, 42, 198.
Taïtoq, 69, 130, 191.
Takedda, 152.
Tarhel, 174.
Tasili, 39, 50, 65, 96.
Tebous, Tibbous, 32.
Tekindouhir, Tekindjir, 121, 137, 169.
Telout (mont), 40.
Tiguedda, 152.
Timgué (mont), 178.
Tin-el-Koum, 153.
Tintarhodé, 177, 189.
Tignoutine (mont), 107.
Tinkeradet (mont), 107, 153.
Tinné (Mlle), 23, 30.
Tintorha, 44, 66.
Tisga (mont), 99.
Titersine, 40, 41.
Touât, 24.
Toufik, 72.
Tounine, 15, 24.
Zinder, 149.
* * * * *
TABLE DES MATIÈRES
* * * * *
NOTE DU TRADUCTEUR 4
NOTICE BIOGRAPHIQUE 9
CHAPITRE PREMIER. — La ville de Ghât 13
CHAPITRE II. — Voyage au Tasili et à l’oued Mihero 37
CHAPITRE III. — Séjour à Ghât 69
CHAPITRE IV. — En route pour l’Aïr 95
CHAPITRE V. — Au pays d’Aïr 111
APPENDICE I. — Note géologique 197
— II. — Du caractère désertique de l’Aïr. 201
— III. — Registre météorologique 211
INDEX BOTANIQUE ET ZOOLOGIQUE 217
INDEX DES NOMS PROPRES 219
* * * * *
Lyon. — Imp. PITRAT AINÉ, A. REY Succ., 4, rue Gentil. — 17697
NOTES :
[Note 1 : Publié en 1880 dans le même recueil, t. XV.]
[Note 2 : Voir Alf. de Bary, _Notice généalogique et historique
sur la famille de Bary_, in-8, Colmar, 1877.]
[Note 3 : Je dois à une lettre de M. Arthur de Bary, consul général
d’Allemagne à Tunis, les détails qui précèdent sur la carrière
de son frère, antérieure à son exploration. Je le prie d’agréer
l’expression de ma gratitude pour l’obligeance qu’il a mise à
me communiquer ces renseignements.]
[Note 4 : Tounine est un village touareg, de fondation récente
(Duveyrier), situé au voisinage de Ghât. Sur sa population, voir
plus loin p. 24.]
[Note 5 : C’était le fils cadet d’un riche marchand du Touât et
de la sœur du dernier Sultan berbère de Ghât. Il avait forcé son
frère aîné, l’héritier légitime, à lui céder le commandement
de la ville, et il travaillait en 1861 à la livrer aux Turcs pour
consolider son usurpation. Il était naturellement le chef du parti
antifrançais. (Duveyrier, _les Touareg du Nord_, p. 273.)]
[Note 6 : Deux mois plus tard, de Bary était bien revenu de son
impression première. Voir plus loin ce qu’il dit de la faiblesse
de l’autorité turque.]
[Note 7 : Richardson (_Travels in the Great Sahara_, Londres, 1848,
t. I) nous a laissé un tableau très vivant de la vie de Ghât à
cette époque.]
[Note 8 : Cette mesure a été la source d’interminables différends
entre les Touareg et les Turcs, et les premiers ont fini par avoir
gain de cause. En 1894, les Touareg disaient à M. Foureau : « Nous
avons combattu parce que les Turcs avaient la prétention de nous
empêcher d’entrer dans la ville en armes, et nous avons été
vainqueurs. Nous le serions encore, le cas échéant. » (Foureau,
_Ma mission au Sahara_, 1893-1894, p. 214.)]
[Note 9 : Il s’agit du thaler Marie-Thérèse, autrefois seule
monnaie ayant cours au Soudan. Depuis l’occupation de Tombouctou,
il cède la place à notre pièce de cinq francs.]
[Note 10 : Le commandant Mircher avait déjà publié la même
information (_Mission de Ghadamès_ p. 52).]
[Note 11 : Les Kel-Ouï sont maîtres de couper tout commerce entre
Ghadamès Ghât et le Sokoto, en interdisant le passage par leur
oasis de l’Aïr. De là ce privilège dont ils jouissent à Ghât.]
[Note 12 : Cette prévision ne s’est pas réalisée. Aujourd’hui
encore, les Touareg ne paient aucun impôt.]
[Note 13 : Ici, de Bary a pris au pied de la lettre ce qui n’était
sans doute de la part des Azdjer qu’une simple bravade. Jamais,
dans la suite, Ahitaghel ne les a réunis sous son commandement.]
[Note 14 : C’est le nom d’une famille de chefs politiques et
religieux, qui, il y a deux siècles, régnaient en rois féodaux sur
les Touareg Azdjer et les Touareg Hoggar. Détrônés par les Oraghen
(la tribu d’Ikhenoukhen), les Imanan ne forment plus aujourd’hui
que la moindre des tribus nobles azdjer. Déjà du temps de Duveyrier,
cette famille ne comptait plus que cinq représentants mâles. (_Les
Touareg du Nord_, p. 346.)]
[Note 15 : Ceci n’est pas tout à fait exact. Dournaux-Dupéré et
Joubert avaient déjà dépassé la hamada de Tinghert ; ils furent
tués au sud de l’oued Ohanet, sur la route suivie autrefois
par Duveyrier, au moment de pénétrer dans la région des dunes
d’Edeyen. Voir notamment la version plus exacte, donnée par
le P. Richard, Voyage chez les Touareg Azgueurs (_les Missions
catholiques_, janvier, juillet 1881, t. XIII, p. 161).]
[Note 16 : D’après le P. Richard, les assaillants étaient
des Chambba dissidents. En tout cas, la complicité des guides
ifoghas reste nettement établie : « les trois Ifoghas, dit le
P. Richard, font demi-tour avec tous les chameaux et se mettent
à distance, laissant les deux chrétiens seuls avec le razzi
de Bou-Saïd. Dournaux-Dupéré et Joubert sont immédiatement
saisis... Ifoghas et Chambba se rapprochent alors, et le partage du
butin s’opère immédiatement. »]
[Note 17 : L’auteur fait allusion à la situation politique exposée
par Dournaux-Dupéré (Lettre à H. Duveyrier, _Bull. de la Soc. de
géogr. de Paris_, 1874, II, p. 161). Les Ifoghas s’étaient pour
la plupart alliés à la tribu des Imanghasaten alors en guerre
avec Ikhenoukhen. Khetama était le chef Imanghasaten, ennemi
d’Ikhenoukhen, qui, après avoir vainement essayé de s’imposer
à Dournaux-Dupéré comme protecteur et de le détourner de sa
route, l’avait quitté en proférant des menaces. En somme,
la version touareg confirme les déductions de Duveyrier en 1894
: Dournaux-Dupéré est mort victime de la jalousie d’ennemis
d’Ikhenoukhen, à qui était réservé le bénéfice éventuel du
passage de la caravane française.]
[Note 18 : Voir plus loin sur ce personnage, p. 26, 28 et 30.]
[Note 19 : En 1890, M. Foureau évaluait la force des Hoggar à 1200
hommes (_Une Mission au Tademayt_, p. 92).]
[Note 20 : Cette influence des chérifs du Touât se fait encore sentir
chez les Azdjer. « Ces marabouts, écrivait M. Foureau en 1894,
sont plus ou moins lettrés, et le plus souvent fort intelligents ;
ils sont les secrétaires et les conseils des chefs ; ils ne perdent
aucune occasion de réchauffer le fanatisme endormi des Touareg,
en leur prêchant la haine de l’infidèle en général et du
chrétien en particulier. Ce sont pour la plupart des émissaires
secrets du gouvernement du Maroc, qui depuis quelque temps est en
correspondance constante et directe avec les chefs des Ahaggar, et
même avec ceux des autres fractions. » (_Mission chez les Touareg,
d’octobre 1894 à mai 1895_, p. 162).]
[Note 21 : C’est la latitude la plus méridionale sous laquelle
ces arbres aient été signalés au Sahara.]
[Note 22 : D’après Ascherson, ce nom désigne la _Calotropis
Procera_ R. Br., appelée aussi _toreha_ par les Touareg, asclépiadée
caractéristique du Soudan septentrional, et qu’on retrouve au
Sahara jusqu’au Mzab et jusqu’à Tripoli (_Pflanzen des mittlern
Nord-Afrika_, dans Rohlfs, _Kufra_, p. 483).]
[Note 23 : Il y a là sans aucun doute une erreur de transcription
; le journal de route ayant été écrit primitivement en
sténographie. Erwin de Bary fait évidemment allusion à une
espèce connue. D’après M. Locard, à qui nous avons soumis le
cas, ce ne peut être que la _Melania tuberculata_ Müller, qui
est répandue dans toute l’Asie méridionale et dans l’Afrique
méditerranéenne depuis l’Egypte jusqu’au Maroc. Au Sahara,
elle avait été signalée jusqu’ici par Duveyrier dans l’oasis de
Mraïer près Touggourt, et par le Dr Marès à Ngouça (Bourguignat,
_Malacologie de l’Algérie_, II, p. 253). La correction de M. Locard
paraît d’autant plus justifiée, que M. Foureau vient de trouver
dans l’Erg d’Issaouan, au nord-ouest de Ghât, les dunes et les
dépôts quaternaires récents jonchés de coquilles subfossiles
de _Melania tuberculata_ associées à des _Planorbis_, _Limnea_,
_Physa_, _Corbicula fluminalis_ et _Succinea_ (_Rapport sur ma mission
au Sahara, 1893-1894_, p. 159, 156, 153, 67, etc.). Ces constatations,
ainsi que celles toutes semblables faites par M. Foureau dans la
région de Timassinine et de l’Erg de Constantine et par M. Flamand
dans l’Erg oranais, sont une preuve de plus à l’encontre
de l’hypothèse de la mer saharienne quaternaire et donnent
à l’observation d’Erwin de Bary sa véritable portée. Elle
indiquerait la survivance, au Sahara central, de représentants
d’une faune d’eau douce quaternaire, qui grâce au régime
éminemment aquatique d’une partie de cette période, se serait
étendue de l’Atlas jusqu’au Tasili, et peut-être jusque dans
le Sahara méridional.]
[Note 24 : Ce chiffre ne cadre pas tout à fait avec celui de
soixante-seize ans que Duveyrier attribuait à l’émir en 1861. On
conçoit qu’il soit difficile d’être fixé sur l’âge exact
de ces nomades.]
[Note 25 : Voir plus loin, p. 28.]
[Note 26 : Ce renseignement concorde avec ceux de Barth.]
[Note 27 : Beyrich en avait déjà signalé parmi les
fossiles recueillis par Overweg, entre Mourzouk et Ghât
(_Zeitsch. deutsch. Geol. Gesellsch._, IV, 1852). Plus au nord,
M. Foureau a trouvé des tiges de crinoïdes en grand nombre dans
la région des dunes d’Issaouan et du plateau d’Eguélé, entre
27 et 28 degrés de lat. Nord (_Rapport sur ma mission au Sahara,
1893-1894_, p. 233 et suiv.).]
[Note 28 : Montagne de l’Ahaggar, située au nord du Tifedest,
sur l’Igharghar supérieur (carte Duveyrier).]
[Note 29 : C’est le cas de presque toutes les oasis bien
arrosées. Nous avons résumé ailleurs ce qu’on sait des conditions
sanitaires du Sahara (_le Sahara_, Paris, 1893, ch. XIII).]
[Note 30 : Voir plus loin, sur l’identité de ce personnage, p. 30.]
[Note 31 : Le marchand tripolitain qui avait amené de Bary à Ghât.]
[Note 32 : Duveyrier donne une version légèrement
différente. D’après son informateur, Ghât aurait été fondée,
il y a quatre ou cinq siècles, par les Ihadjenen, avec le concours
des Kel-Rhapsa, des Kel-Tarat, des Kel-Telak et des Ibakammazen
(_les Touareg du Nord_, p. 267).]
[Note 33 : Ce nom de Kel-Rhapsa (gens de Rapsa) a été mis en relation
par Duveyrier avec l’oppidum de Rapsa cité par Pline, parmi les
villes sahariennes dont le général Cornelius Balbus triompha. Nous
pouvons signaler à l’appui de cette hypothèse une coïncidence
bizarre. On lit dans le dictionnaire d’Étienne de Byzance : «
Istos, île de la Libye, que les Grecs appellent Oudenoé, et les
Phéniciens Kella-Raphsat. » Cette île d’Istos n’a jamais pu
être retrouvée sur les côtes d’Afrique, et aucun commentateur
n’a pu expliquer ce nom de Kella-Raphsat, qui n’a rien de commun
avec la langue des Phéniciens. Il est certain qu’on se trouve
en présence d’une information de source lointaine, inexactement
rapportée : ce nom de Kella-Raphsat est le nom ethnique d’une
tribu berbère, et le mot νῆσος s’applique non à une île,
mais à une oasis de Sahara.]
[Note 34 : Il s’agit de la caravane de M. Largeau.]
[Note 35 : Allusion à l’enquête faite par Nachtigal à Mourzouk
après le meurtre de Mlle Tinné, et qui attribuait au chef de
l’escorte touareg le nom de Hadj-ech-Cheikh. Voir aussi Duveyrier,
l’Afrique nécrologique (_Bull. Soc. géogr. de Paris_, VIII,
1874). En réalité, ce personnage, proche parent d’Ikhenoukhen,
s’appelait Ech-Cheïkh-bou-Bekr ou Eg-Bekr (_Eg_ signifie _fils de_
en targui, comme _bou_ en arabe) ; mais on l’appelait souvent à
Ghât ech-Cheïkh, « le cheikh » tout court. Erwin de Bary, qui
a eu affaire à lui, emploie indifféremment l’un ou l’autre de
ces termes.]
[Note 36 : Voir plus haut, p. 20.]
[Note 37 : Chez les Musulmans soupçonneux du Tafilelt, Rohlfs
n’échappa point à une semblable visite, et ne dut la vie qu’aux
traces d’une opération qu’il avait subie jadis.]
[Note 38 : Célèbre théologien du IXe siècle, dont le recueil de
sentences est très connu dans le monde musulman.]
[Note 39 : Il s’agit de Tibbous croisés de nègres, comme ceux de
l’oasis de Kaouar.]
[Note 40 : Autre chef des Imanghasaten. Lors des derniers voyages de
M. Foureau, il a été un des chefs hostiles qui n’ont voulu avoir
aucun rapport avec l’explorateur français. Dans une lettre écrite
à Adjiro (Aïr), Erwin de Bary a fait de lui le portrait suivant,
qu’il n’est pas sans intérêt de reproduire : « C’est le
type du noble targui. Très blanc de teint, doué d’une vigueur
exceptionnelle, il a une voix retentissante, dont la basse profonde,
même dans la conversation, me frappait d’étonnement. A la moindre
émotion, ses yeux noirs s’allument, et l’on devine un nez en
bec d’aigle sous son litham. Il est violent et susceptible, de
sorte qu’il n’est pas commode de traiter avec lui. Othman me
disait d’ailleurs : Oufenaït a l’extérieur d’un lion, mais
le cœur d’un enfant. — Ce qui veut dire : ménage son orgueil
et son ambition, et tu auras bon marché de lui. J’ai vu plus tard
qu’Othman avait raison. »]
[Note 41 : Droit de passage.]
[Note 42 : On était en 1876. C’est un exemple assurément peu
ordinaire, que celui de ce vieux chef de nomades, qui du fond de son
Sahara, se tenait si bien au courant de la situation de l’Europe,
et « parlait beaucoup » des Français, lui qui depuis quinze
ans n’en avait pas revu un seul ! Il est certain que Duveyrier,
avec ses manières généreuses et chevaleresques, avait produit
sur l’émir une impression profonde, et quelles que soient les
preuves de duplicité que nous aient données les Touareg, nous
n’avons pas de raison de croire qu’Ikhenoukhen ne nous soit
pas resté fidèle jusqu’à la fin. Son intérêt nous répondait
d’ailleurs de la sincérité de ses sentiments, puisque les taxes
payées par les caravanes françaises devaient, d’après le traité
de Ghadamès, ne profiter qu’à lui seul. Ainsi s’explique aussi
son attitude presque hostile vis-à-vis d’Erwin de Bary, qui tout
en se présentant comme médecin musulman, était le protégé
des Imanghasaten. Malheureusement, l’autorité d’Ikhenoukhen
n’était plus acceptée sans conteste, les Imanghasaten et les
Ifoghas étaient en état de rébellion ouverte, et Dournaux-Dupéré
était mort victime de ces rivalités des tribus azdjer.]
[Note 43 : Plante non déterminée.]
[Note 44 : Plus d’un voyageur européen s’en est aperçu. Ce sont
des Imrhad qui en 1894 ont menacé par exemple la mission d’Attanoux
et l’ont mise un instant dans une position critique.]
[Note 45 : Il y a encore une autre raison : comme le remarque
M. Foureau, les nobles prennent chez les Imrhad ce qu’ils trouvent
à leur convenance, et ceux-ci se dédommagent sur le passant (_Rapport
sur ma mission au Sahara, 1893-1894_, p. 261).]
[Note 46 : Voir Duveyrier, _les Touareg du Nord_, p. 165.]
[Note 47 : En Arabe _Chabrek_ ou _Chobrom_, en Touareg _afetazzene_
(Foureau, _Essai de catalogue des noms arabes ou berbères_, etc.,
p. 13). C’est le point le plus méridional où cette crucifère
ait été observée jusqu’ici.]
[Note 48 : _Atriplex halimus_. Cette salsolacée est très recherchée
des chameaux.]
[Note 49 : Ils sont généralement en peau d’antilope, et viennent
pour la plupart de l’Aïr.]
[Note 50 : Tous les Touareg ne se coiffent pas de la même façon. De
Bary signale plus loin une ancienne coutume qui a persisté chez
les Kel-Fadé de l’Aïr et chez une partie des Ifoghas du Sahara
méridional.]
[Note 51 : Déjà Duveyrier avait signalé l’identité probable
de l’oléandre avec l’arbuste appelé _elel_ par les Touareg
(p. 212). L’observation d’Erwin de Bary confirme l’existence,
dans les hautes parties du pays Touareg, d’une petite flore
méditerranéenne qui comprend sans doute le myrte et le thuya.]
[Note 52 : Ici le rapport donne une série d’indications
topographiques pour la construction de l’itinéraire.]
[Note 53 : Il prend ici le nom d’oued Tafelamine.]
[Note 54 : Ascherson a identifié l’_Ana_ avec la _Leptadenia
pyrotechnica_ (Asclépiadées). (_Pflanzen des mittlern Nord-Afrika_,
dans Rohlfs, _Kufra_, p. 484).]
[Note 55 : Voir plus loin, p. 63.]
[Note 56 : Plante non déterminée.]
[Note 57 : Voir dans F. Foureau, _Rapport sur ma mission au Sahara
1893-1894_, p. 133, le tableau de la partie inférieure de l’oued
Mihero. Les deux descriptions se complètent très bien.]
[Note 58 : « La paix ! la paix ! »]
[Note 59 : Tuer une femme serait une ignominie pour les Touareg, et
les Hoggar eux-mêmes ne l’oseraient pas. C’est ce qui explique que
le berger ait envoyé sa femme en se mettant lui-même à l’abri.]
[Note 60 : M. Foureau a trouvé des flaques d’eau jusque dans
l’oued Mihero inférieur. Après la pluie, l’oued est, dit-on,
impraticable. (Ouv. cité, p. 130.)]
[Note 61 : Erwin de Bary ayant étudié les sciences naturelles,
on peut considérer l’observation comme acquise. L’oued Mihero
est jusqu’ici le seul point où la survivance du crocodile ait
été signalée dans l’immense espace qui sépare le Nil du coude
du Niger. On sait qu’il a disparu également des pays de l’Atlas.]
[Note 62 : Depuis cette époque, un seul Européen a revu l’oued
Mihero : c’est M. Fernand Foureau. Il fut malheureusement arrêté
dans sa marche, à deux jours au nord des _Sebarbarh_, par un Targui
fanatique, propriétaire du pâturage, qui lui interdit d’aller
plus loin. (_Rapport sur ma mission au Sahara, 1893-1894_, p. 134).]
[Note 63 : Il ne faudrait pas cependant inférer de ces expressions
admiratives que ces oueds touareg soient des terrains de colonisation
qui fourniraient à nos colons de vastes étendues cultivables. Au
Sahara tout est relatif, et les oueds du Tasili, balayés de temps
à autre par une crue torrentielle, qui les rend impraticables,
constituent de bien piètres et bien insignifiantes parcelles
cultivables au milieu de l’immensité du désert stérile et
inabordable. Comme on l’a dit, ce sont des contrées « que l’on
peut traverser, mais non pas mettre en valeur ». (Foureau, _Rapport
sur ma mission au Sahara, 1893-1894_, p. 13)]
[Note 64 : Plante non déterminée. Ce nom ne figure pas dans
le _Catalogue des noms arabes et berbères relatifs_ à la flore
saharienne publié récemment par M. Foureau.]
[Note 65 : Il ne faut pas s’étonner de cette épithète appliquée
à des Touareg de la classe des nobles. Chez les Azdjer, il y a
extrêmement peu de riches parmi les nobles ; ce sont les Imrhad
(vassaux) qui possèdent. (Foureau, _Mission chez les Touareg,
1894-1895_, p. 74.)]
[Note 66 : On sait que les Touareg Taïtoq (ou Touareg de l’Ahenet)
faits prisonniers en 1888 ont prétendu faire partie d’une
confédération indépendante des Hoggar, mais que leur sincérité
pouvait être mise en doute (voir Bissuel, _les Touareg de l’Ouest_,
Alger, 1888). Ceci prouve, en tout cas, qu’en 1876 les Taïtoq
comptaient encore parmi les Hoggar.]
[Note 67 : Tribu azdjer.]
[Note 68 : C’était, en réalité, un marabout de l’Aïr, nommé
Toufik, et dont il sera question plus loin.]
[Note 69 : Ceci paraît une vanterie, à en juger par ce qui s’est
passé plus tard. En 1894, un rhezi de 70 Tibbou « a pénétré
dans le village de Taderamt, à 800 mètres de Ghât, y a tué trois
hommes ; puis a volé une cinquantaine de chameaux à une caravane
campée sous les murs de la ville, et est reparti tranquillement
sans que la garnison turque ait même fait mine de se montrer ;
il paraît, du reste, que cette garnison agit toujours ainsi. »
(Foureau, _Mission chez les Touareg, 1894-1895_, p. 76.)]
[Note 70 : Celle des Megarha de l’oued Châti, qui infligèrent
aux Hoggar une défaite sensible près du mont Tifedest.]
[Note 71 : Il y avait là, en effet, une indication précieuse,
dont le colonel Flatters eût pu faire son profit. Le commandant
Bernard, membre de la première mission Flatters, recommande également
l’adjonction d’une trentaine de chevaux comme une des mesures les
plus efficaces pour assurer le succès d’une mission transsaharienne
(_Deux Missions françaises chez les Touareg_, Alger, 1896, p. 327). Il
ne faut pas oublier que les chameaux touareg n’étant pas habitués
aux chevaux manifestent à leur vue la plus grande terreur.]
[Note 72 : Les Kel-Ouï de l’Aïr sont des Touareg de teint très
foncé par suite de leurs nombreuses unions avec des femmes nègres.]
[Note 73 : Cette offre curieuse montre bien à quel genre
d’opposition la pénétration française s’est heurtée chez
certaines tribus azdjer. C’était avant tout le dépit de voir une
source de revenus nouvelle venir augmenter la force du chef d’un
parti rival. La convention de Ghadamès avait fait des jaloux. Les
Imanghasaten, antifrançais farouches, seraient devenus maniables
s’ils avaient eu l’espoir d’avoir pour eux les droits de passe
réservés à l’émir.]
[Note 74 : 500 francs. C’est la somme qu’ont payée Duveyrier et
M. Foureau.]
[Note 75 : Chef de la zaouïa de Tounine. Ne pas confondre ce
personnage avec le chérif arabe Moulay-el-Mahadi, marabout des
Tidjaniya, à qui M. Foureau a eu affaire en 1895, et qui s’est
montré fort bien disposé pour lui.]
[Note 76 : Abd el-Kader-Ould-Badjouda était chef de la tribu arabe
des Ouled-ba-Hammou. Tant qu’il a vécu, il a été l’ennemi de
l’influence française. Son fils a hérité de sa haine.]
[Note 77 : Dournaux-Dupéré et Joubert. E. de Bary a écrit plus
tard : « Comme je l’ai appris de source certaine, chacun savait à
Ghadamès que ces voyageurs allaient à la mort. Aucun de ces marchands
jaloux de leur monopole n’eut l’idée de les avertir. En général,
les Français doivent bien se persuader qu’ils n’ont pas, dans
leurs tentatives commerciales, d’adversaires plus acharnés que
ces Ghadamésiens faux et polis. Tous les efforts faits de ce côté
échoueront tant que la France n’aura pas recours à des mesures
plus énergiques. » (Lettre du 1er avril 1877, _Verhandlungen_
de la Soc. de géogr. de Berlin, 1877, p. 248).]
[Note 78 : Il est bien plus probable que le marabout n’a pas voulu
le renseigner sur ce point. Il est extrêmement difficile d’obtenir
des détails sur l’extension réelle des diverses associations
religieuses ; comme on verra plus loin, les amis touareg d’Erwin
de Bary se sont dérobés, lorsqu’il leur a demandé de lui servir
de parrains pour s’affilier à deux de ces confréries.]
[Note 79 : Cette seconde supposition est invraisemblable. Bien des
musulmans sont affiliés simultanément à plusieurs confréries.]
[Note 80 : Infidèle.]
[Note 81 : Les esprits.]
[Note 82 : On ne saurait s’en étonner. Les musulmans instruits se
défient au Sahara des Européens convertis, et E. de Bary ne tenait
nul compte de ce sentiment.]
[Note 83 : Oasis de l’Adrar méridional.]
[Note 84 : Barth (_Reisen_, I, p. 524, 542) a indiqué, d’après
les renseignements fournis par les Kel-Ouï, les étapes de la route
des pèlerins dans le Sahara méridional.]
[Note 85 : Les Tagama de Barth.]
[Note 86 : Chacun de ces oueds a son propriétaire qui ne laisse
pâturer les chameaux des autres qu’en échange d’une redevance,
et exige même un droit du voyageur qui ne fait que passer sur
son terrain. C’est en vertu de ce droit de propriétaire qu’en
1894 le cheikh Mohammed a intimé à M. Foureau l’ordre de quitter
l’oued Mihero, malgré la présence d’un envoyé du chef suprême
des Azdjer.]
[Note 87 : Nom inconnu. N’y a-t-il pas erreur de transcription ?]
[Note 88 : L’émir des Hoggar.]
[Note 89 : Ce récit n’est jamais parvenu en Europe.]
[Note 90 : On peut se demander si cet incident n’a pas coûté la
vie au voyageur.]
[Note 91 : Tribu de la confédération des Azdjer, campée
d’ordinaire dans la plaine d’Admar. Duveyrier en fait un portrait
des moins favorables.]
[Note 92 : Tous les voyageurs qui ont été en contact avec les Touareg
ont eu à faire la même expérience. « Les Touareg, dit M. Foureau,
sont avant tout mendiants, depuis les chefs jusqu’au dernier des
esclaves ; tous viennent demander au passant de l’argent, des
cadeaux et de la nourriture. C’est une véritable plaie, et nul ne
peut se soustraire à cette déplorable coutume qui consiste à se
faire donner du matin au soir, et à faire fournir par le voyageur
la nourriture à tous les visiteurs. Les principales excuses à ce
défaut sont : la pauvreté du pays, leur misère et la difficulté
de se procurer du gain, l’habitude séculaire du pillage. Leurs
instincts mendiants découlent aussi un peu de leur organisation. Il y
a chez eux trois classes : les nobles, peu nombreux, les serfs et les
nègres. Les nobles sont habitués à prendre chez les seconds, qui
sont leurs vassaux, tout ce qui peut leur convenir ; ceux-ci rendent
la pareille aux passants, quand les nobles ont d’abord exigé les
droits d’usage. » (F. Foureau, _Rapport sur ma mission au Sahara,
1893-1894_, Paris, 1894, p. 210.)]
[Note 93 : Nom probablement mal transcrit.]
[Note 94 : Par suite de leurs fréquentes unions avec des femmes
achetées au Soudan, les Kel-Ouï parlent la langue haoussa aussi
couramment que leur propre dialecte berbère. Ce dialecte est
d’ailleurs mélangé d’une foule d’expressions haoussa. (Barth,
_Reisen und Entdeckungen in Nord- und Central-Afrika_, I, p. 374).]
[Note 95 : Ceci dénote l’inexpérience d’Erwin de Bary. S’il
avait eu sous la main l’ouvrage de Barth, par exemple, il aurait
vu que ce taux qui lui paraissait exorbitant ne représentait même
pas le bénéfice ordinaire que le négociant transsaharien retire de
la vente de ses marchandises. Les risques étant très forts et les
pertes nombreuses, il faut que le taux des bénéfices s’élève
en proportion.]
[Note 96 : Il faut se rappeler qu’en cette saison les nuits du
Sahara sont souvent très froides.]
[Note 97 : Il ne semble pas que cette caisse soit parvenue à
destination. On en est ainsi réduit à la note géologique sommaire
qu’on trouvera à la fin de ce volume.]
[Note 98 : Il y avait là, évidemment, une extorsion concertée. La
caravane étant allée, selon l’usage, camper la veille de son
départ loin de la ville, il fallait à tout prix la rejoindre avec
les bagages le même soir.]
[Note 99 : Voir, pour cette partie du voyage, les feuilles 12
(Mourzouk) et 19 (Agadez) de la carte d’Afrique au 1/2.000.000 de
M. de Lannoy de Bissy.]
[Note 100 : Erwin de Bary avait observé en dessous des couches
de grès brun qui forment les terrasses supérieures du plateau de
Tayta, au nord-est de Ghât, des affleurements de couches également
horizontales de marnes et schistes argileux en feuillets très minces,
de couleur jaune clair, rouge, brune ou grise, alternant avec des
calcaires gris (_Zeitschrift der Gesellsch. für Erdkunde in Berlin_,
1877, XII, p. 77-79).]
[Note 101 : Nous avons supprimé ici et dans les pages qui suivent
une série de lectures de boussole et autres indications qui n’ont
d’intérêt que pour la construction de l’itinéraire.]
[Note 102 : En arabe _cheggaa_, en touareg _djemda_. (Foureau, _Essai
de catalogue des noms arabes et berbères_, etc., Paris, 1896, p. 12.)]
[Note 103 : _Cornulaca monacantha_ Del. C’est une des plantes
favorites des chameaux.]
[Note 104 : Nom inconnu. Il faut sans doute lire Ghât.]
[Note 105 : Nous employons le terme aujourd’hui admis de _reg_,
bien que de Bary n’en use pas lui-même (il dit _Kiesebene_),
pour désigner cette forme particulière de terrain à surface plane
et ferme, constituée par des graviers roulés plus ou moins gros,
auxquels se mêlent parfois de petits débris de roche.]
[Note 106 : L’oued Tarhareben de la carte de Barth (_Reisen_, I,
pl. 5).]
[Note 107 : Groupe de puits où bifurquent les routes de l’Aïr à
Ghadamès et de l’Aïr au Touât.]
[Note 108 : Erwin de Bary se plaint plus haut de l’incohérence des
renseignements fournis par les Kel-Ouï, en voici un exemple. On sait
que le pays des Tibbous est à l’est de l’Aïr, et que celui des
Aouélimiden à l’ouest du même pays.]
[Note 109 : Le vrai nom de cet arbre est _teborak_ (Foureau, _Catalogue
des noms arabes et berbères_, etc., p. 42). C’est le _Balanites
aegyptiaca_ Del., en arabe _hadjilidj_, arbre caractéristique du
Soudan septentrional. Barth, dont l’itinéraire reste un peu plus à
l’ouest, a signalé son apparition sous la même latitude (_Reisen_,
I, p. 294).]
[Note 110 : Acacias gommiers.]
[Note 111 : Campement des Touareg Azdjer situé dans l’Anahef,
sur une route plus occidentale (carte de Barth).]
[Note 112 : Drine des Arabes (_Arthratherum pungens_).]
[Note 113 : _Pulicaria undulata_ L. (Foureau, _Essai de catalogue
des noms arabes_, etc., p. 5).]
[Note 114 : _Leptadenia pyrotechnica_ R. Br.]
[Note 115 : Ne s’agirait-il pas du séné, _Cassia obovata_,
dont Barth a noté la limite nord sur sa carte, presque sous la
même latitude ? C’est ce qu’il est difficile de dire, attendu
que, comme l’a déjà remarqué Ascherson (_Pflanzen des mittlern
Nord-Afrika_. p. 474), de Bary n’a nommé nulle part le séné,
qui existe cependant dans l’Aïr.]
[Note 116 : _Euphorbia calyptrata_ Coss.]
[Note 117 : Le voyageur a évidemment confondu avec des basaltes des
roches éruptives anciennes, telles que des porphyrites.]
[Note 118 : C’est-à-dire : c’est là que finissent les terrains
de parcours des Touareg du Nord, et que commencent ceux des Touareg
d’Aïr. Barth, qui a passé plus à l’ouest, place cette limite
à Asiou, sous la même latitude. Quant aux districts habités,
ils sont situés bien plus loin au sud.]
[Note 119 : D’après Duveyrier et le _Catalogue_ Foureau, ce
nom s’applique tantôt au _Maerua rigida_ R. Br., observé par
Duveyrier à Ouererat, au nord de Ghât, tantôt un arbre différent,
encore indéterminé. Ascherson ne cite pas le _Maerua rigida_ parmi
les espèces de l’Aïr déterminées avec certitude. Mais de Bary
nomme le _Maerua rigida_ en toutes lettres, et comme il avait avec
lui l’ouvrage de Duveyrier, qui en donne la description détaillée,
il n’est guère admissible qu’il ait pu s’y tromper.]
[Note 120 : Ici l’itinéraire de de Bary rejoint celui de Barth.]
[Note 121 : Sans doute l’_alouet_ du catalogue Foureau. Désigne
probablement la _Moricandia suffruticosa_ Coss., en arabe
_foul-el-djemel_, signalée comme fréquente dans l’Ahaggar et
très recherchée des chameaux (v. Duveyrier, _les Touareg du Nord_,
p. 150).]
[Note 122 : Semble être une variété de l’_Arthratherum pungens_,
le _drine_ du Sahara algérien (Foureau, _Catalogue des noms arabes
et berbères_, etc., p. 36).]
[Note 123 : Cette plante est répandue dans toutes les oasis du
Sahara, jusqu’en Tripolitaine, mais nulle part, sauf au Soudan,
elle n’atteint pareille taille.]
[Note 124 : E. de Bary le nomme plus loin : c’est Iferouane.]
[Note 125 : La véritable dénomination est _Serki-n-touraoua_, ce qui
veut dire en langue haoussa « consul des blancs » (Barth). On appelle
ainsi au Haoussa le fonctionnaire chargé de servir d’intermédiaire
aux Arabes dans leurs rapports avec les sultans noirs.]
[Note 126 : Pièce de cotonnade blanche d’environ 22 mètres.]
[Note 127 : Cette observation a son importance. Elle prouve qu’à
l’ouest des massifs que Barth a portés sur sa carte (Timgué,
Boundaï, etc.), il en existe d’autres, non moins élevés
peut-être, et que la zone montagneuse de l’Aïr est plus large
qu’on ne se le figure généralement.]
[Note 128 : Plante non déterminée.]
[Note 129 : Il est visible que le chef de la caravane a évité
les endroits habités, afin que le voyageur arrivât sans encombre
jusqu’à la résidence de son protecteur, le hadj Bilkhou.]
[Note 130 : Le Boundaï de Barth.]
[Note 131 : Probablement l’Adjouri de Barth.]
[Note 132 : Les sangliers sont inconnus dans les autres oasis du
Sahara. Ils représentent dans l’Aïr, comme les crocodiles dans
le massif central, une faune de survivants, aujourd’hui isolés
par le désert.]
[Note 133 : Les Stapélies appartiennent à la flore de l’Afrique
du Sud ; c’est la première fois qu’une espèce de ce genre est
signalée au Sahara, où d’autres plantes grasses de la famille
des asclépiadées (ex. _Calotropis procera_) sont fréquentes.]
[Note 134 : Le jujubier (_Zizyphus lotus_ L.) est en effet un arbuste
nettement méditerranéen, qui ne dépasse pas vers le Sud la hamada
el-Homra. Par contre, on le retrouve dans le massif central du Sahara,
où les Touareg l’appellent _tabaket_, _tazzougart_ (_Catalogue_
Foureau, p. 37).]
[Note 135 : Barth n’avait signalé dans l’Aïr que des cônes
trachytiques.]
[Note 136 : Qui resta lettre morte, le serki étant parti faire un
séjour à Sokoto.]
[Note 137 : Tribu touareg redoutée à cause de ses habitudes de
pillage, et le plus souvent alliée aux Aouélimiden contre les
Kel-Ouï (voir Barth, _Reisen_, I, p. 383). « Les Kel-Ouï, écrivait
E. de Bary plus tard, sont en guerre continuelle avec les Aouélimiden
et les Kel-Fadé, de sorte que, depuis des années, aucune caravane
d’Agadès n’a pris la route de l’ouest. Des bandits recrutés
chez les Kel-Guérès, les Aouélimiden et les Kel-Fadé infestent
de même la route d’Agadès à Sokoto, et seules de très grandes
caravanes peuvent s’y risquer. » (Lettre d’Adjiro, 1er avril
1877, publiée dans les _Verhandl. der Geselsch. für Erdkunde_,
1877, p. 246.)]
[Note 138 : C’est la première fois qu’il en est fait mention.]
[Note 139 : Barth dit au contraire que les Kel-Ouï sont venus du
Nord-Ouest (_Reisen_ I, p. 372).]
[Note 140 : Il ne s’agit évidemment ici que de la partie de la
région qui confine à Agadès.]
[Note 141 : Il y a là un renseignement à retenir. Il est vrai que
la mode est changeante, et que tel article demandé en 1877 peut ne
plus l’être aujourd’hui. Les agates ne figurent pas sur la liste
des marchandises importées par les caravanes en 1862, d’après le
rapport du commandant Mircher (_Mission de Ghadamès_, p. 39).]
[Note 142 : Au dire des Touareg Taïtoq faits prisonniers en 1889,
Talabe est situé à quatre jours au nord-ouest d’Agadès. C’est
un bas-fond, récepteur de plusieurs oueds venant de l’est,
et couvert d’une véritable forêt d’arbres divers (Bissuel,
_les Touareg de l’Ouest_, p. 191). Si l’information donnée à
E. de Bary est exacte, l’oued Aouderas, dont Barth a traversé la
vallée supérieure en allant à Agadès, se prolongerait donc dans
la direction du nord-ouest sur une distance de plusieurs journées
de marche.]
[Note 143 : Cette évaluation est plus forte que celle de
l’informateur de Richardson, qui estimait les forces réunies
du Gober et du Maradé à 1500 hommes (_A Narrative of a Mission
to Central-Africa_, II, p. 104). Les autres renseignements cadrent
parfaitement avec ceux de Richardson, Barth, Staudinger, et Monteil sur
ce mystérieux peuple gober, ennemi acharné des peuples de Sokoto.]
[Note 144 : Voir plus haut.]
[Note 145 : Allusion aux Touareg Taïtoq de l’Ahenet, qui vont se
ravitailler dans l’oued Telak. E. de Bary mentionne ailleurs encore
un autre grief : « Depuis trois ans, aucun Hoggar n’est venu dans
l’Aïr. Cela tient à leur refus obstiné de rendre des chameaux
volés au marabout El-Bakkay de Tombouctou, et cela malgré les
représentations du hadj Bilkhou, qui a pris fort mal la chose. »
(Lettre citée, _Verhandl. der Ges. für Erdkunde_, p. 246). Les
Hoggar pouvant se ravitailler au Touât se souciaient peu, évidemment,
du mécontentement des Kel-Ouï.]
[Note 146 : L’autorité du sultan d’Agadès est purement
nominale. « Tout son rôle, dit encore E. de Bary, se borne à faire
percevoir un tribut sur les caravanes qui viennent du Nord. (De
là ce nom de serki-n-touraoua, consul des blancs, que portait le
malandrin qui avait dépouillé le voyageur.) Quant aux Kel-Ouï,
ils ne paient de tribut ou de redevance d’aucune sorte, et chaque
cheikh traite à sa guise les affaires intérieures de sa tribu. »
(Lettre citée, p. 251.)]
[Note 147 : La même information a été recueillie récemment
par le lieutenant de vaisseau Hourst (_la Mission Hourst_, Paris,
p. 225, 1897).]
[Note 148 : Renseignement erroné, que le voyageur a rectifié plus
tard (voir plus loin p. 139).]
[Note 149 : Et non en sténographie.]
[Note 150 : Cette nécessité d’aller chercher des vivres au Soudan
n’était pas un fait anormal. L’Aïr ne suffit pas à nourrir la
population qui l’habite. « Sans le commerce du sel, dit Richardson,
la population se verrait dans l’alternative de périr ou d’émigrer
au Soudan. » (_A Narrative of a Mission to Central-Africa_, II,
p. 138).]
[Note 151 : Les rapports des Kel-Guérès avec les Kel-Ouï d’Aïr
sont des plus curieux. « Bien qu’ils soient nominalement les uns
et les autres sous la suzeraineté du sultan d’Agadès, ils sont
très souvent en guerre, et ne font d’armistice que lorsque leurs
intérêts commerciaux l’exigent. Alors les Kel-Ouï apportent le sel
de Bilma à Agadès et l’échangent auprès des Kel-Guérès contre
les produits du Soudan. Les Kel-Guérès ne restent que peu de jours
à Agadès, et retournent ensuite dans leur région de l’Ader. »
(E. de Bary, lettre citée, p. 251.)]
[Note 152 : Ce renseignement n’était pas plus exact que
l’autre. Erwin de Bary découvrit plus tard qu’il n’y avait pas
eu de successeur, par l’excellente raison que le sultan n’était
pas mort. Il avait simplement fait un séjour à Sokoto pour recueillir
la succession d’une de ses femmes.]
[Note 153 : La question de savoir d’où vient l’eau des salines
de Bilma est actuellement insoluble.
Rohlfs mentionne un courant souterrain allant d’est en ouest (_Quer
durch Afrika_, I, p. 249). Nachtigal et Monteil ne parlent que d’une
nappe abondante, très proche de la surface du sol.]
[Note 154 : Richardson (_A Narrative of a Mission to Central-Africa_,
p. 117) et Barth (_Reisen_, I, p. 572) nous ont décrit l’_Aïri_
ou caravane du sel que les Kel-Ouï organisent chaque année pour
chercher le sel de l’oasis de Bilma. Mais on n’avait jusqu’ici
aucun détail sur l’itinéraire suivi. Barth donne seulement un
itinéraire d’Agadès à Bilma, par une route plus méridionale et
plus pénible encore, puisqu’on y compte huit jours de marche sans
eau (_Reisen_, I, p. 532).]
[Note 155 : Voir plus haut p. 124.]
[Note 156 : Cette décadence n’est pas récente : elle a commencé
dès la fin du siècle dernier. Alors, dit Barth, la majeure partie
des habitants émigra à Katsena, à Tessaoua, à Maradé et à
Kano. Agadès, qui, d’après l’évaluation faite par Barth sur
place, a pu contenir jusqu’à 50.000 âmes, n’en comptait plus
qu’environ 7000 en 1850 (_Reisen_, I, p. 518-520).]
[Note 157 : On peut se demander si cette crainte était réelle. Voir
p. 172, ce que dit l’auteur des rapports du hadj Bilkhou avec le
sultan d’Agadès.]
[Note 158 : Infidèle.]
[Note 159 : Ce nom ne figure ni dans le _Catalogue_ Foureau, ni dans
celui d’Ascherson.]
[Note 160 : On voit qu’en 1877 les esclaves continuaient à
être un des articles principaux du commerce transsaharien à
Ghât. Avant même d’arriver dans cette ville, E. de Bary en avait
eu d’ailleurs la preuve. Le 3 octobre 1876, dans l’oued Lajâl,
il avait vu passer un de ces convois d’esclaves, qui allait de Ghât
en Tripolitaine. Le 1er septembre, son compagnon de voyage, le marchand
tripolitain Mustapha Sammit, associé avec un Italien pour le commerce
du Soudan, avait vendu un nègre sans en faire mystère. (Reisebriefe
aus Nord-Afrika, _Zeitsch. der Gesellsch. für Erdkunde_, 1877, XII,
p. 167 et XV, p. 56.)]
[Note 161 : Acacia gommier (_Acacia tortilis_, ou _Acacia Seyal_).]
[Note 162 : Evidemment le _tadjdjart_ de Duveyrier, qui le signale
dans l’Ahaggar (_les Touareg du Nord_, p. 166).]
[Note 163 : Espèce non déterminée.]
[Note 164 : Située d’après Barth à cinq jours d’Agadès
(_Reisen_, I, p. 527).]
[Note 165 : La Teguidda de Barth, située à trois journées de
marche d’Ingal et à cinq journées dans l’ouest-sud-ouest
d’Agadès. Barth dit également qu’on y recueille du sel
de très bonne qualité et a cru pouvoir l’identifier avec la
ville de Takedda, célèbre au XIVe siècle par ses mines de cuivre
(Ibn-Batoutah). Mais ni Barth, ni Duveyrier, ni E. de Bary n’ont
recueilli la moindre information au sujet de cette ancienne cité
et de ces mines. Il y a là un intéressant problème réservé aux
explorateurs de l’avenir.]
[Note 166 : Probablement Alimsar, qui, d’après les récentes
informations du lieutenant de vaisseau Hourst, fut le prédécesseur
de l’amenokal actuel des Aouélimiden (_la Mission Hourst_, p. 229).]
[Note 167 : Nom donné par les gens de l’Aïr aux Taïtoq de
l’Adrar Ahenet.]
[Note 168 : Touareg du Fezzan.]
[Note 169 : Voir plus haut, p. 107.]
[Note 170 : Allusion à une information curieuse fournie à Duveyrier
par des Tibbous. Il existerait à Anaï, sur la hamada, à peu près
à mi-chemin entre la route de Ghât à l’Aïr et la route de Bilma,
des traces de roues et des sculptures rupestres « représentant un
convoi de chars traînés par des bœufs à bosse et conduits par
des hommes » (_les Touareg du Nord_, p. 458). E. de Bary revient
plus loin sur cette question.]
[Note 171 : On remarquera le changement d’humeur du cheikh, depuis
que le voyageur avait décidé de retourner à Ghât, au lieu d’aller
vers le sud.]
[Note 172 : Duveyrier avait signalé de même, d’après ses
informateurs, des ruisseaux permanents dans le haut de l’Ahaggar
(_les Touareg du Nord_, p. 88). On sait que la mission Flatters
avait trouvé un filet d’eau et des poissons dans l’oued Amguid,
sur le Haut-Igharghar (_Documents relatifs à la mission Flatters_,
Paris, 1885, p. 330). Rien ne montre mieux l’action bienfaisante
des montagnes, qui jouent le rôle de condensateurs dans le désert.]
[Note 173 : L’Aïr est jusqu’ici la seule oasis saharienne où
le lion ait été signalé. On ne l’a retrouvé qu’au Soudan,
au delà des plateaux arides qui séparent le Soudan de l’Aïr.]
[Note 174 : Observation de grande importance pour l’histoire
des races de l’Afrique dans l’antiquité. En effet, sur un mur
du temple de Medinet-Habou, près de Thèbes, on voit Ramsès III
amenant devant Ammon et la déesse Moût, parmi d’autres vaincus,
les représentants enchaînés des peuplades libyennes de l’ouest,
lesquels ont tous, d’un côté de la tête, la longue tresse ou
boucle recourbée, tombant sur le cou par-devant l’oreille (de
Rougé). De tous les peuples dont les anciens Egyptiens nous ont
conservé l’image, _ceux-là seuls sont ornés de cette coiffure
singulière_. D’autre part, nous savons par Hérodote que les
Maxyes, une des principales tribus libyennes, avaient coutume de
tresser leurs cheveux sur le côté droit de la tête (_Histoires_,
IV, chap. 191), et l’on s’accorde à reconnaître en ces Maxyes la
tribu des Machouach, la principale de celles qui, sous Ramsès III,
envahirent l’Egypte. La facilité avec laquelle les sons _s_,
_z_, _ch_ se substituent l’un à l’autre dans les dialectes
berbères, avait permis de se demander si ces Machouach, Maxyes, ces
barbares de l’Ouest n’étaient pas tout simplement des Mazigh,
des Berbères. Et le général Faidherbe remarquait à ce sujet que
les Zenaga, restes d’une antique tribu berbère, qui occupait le
Sahara occidental au moyen âge, ont conservé l’emploi de la tresse
libyenne. D’autre part, la chronique mzabite d’Abou-Zakaria,
publiée par M. Masqueray, nous montre le fils de l’imam de la
vieille cité berbère de Tahert (Tiaret) occupé à faire tresser
ses cheveux par sa sœur. Mais ces indices étaient trop peu nombreux
pour qu’on en pût tirer une conclusion positive.
Jusqu’ici, on n’avait pu constater chez les Touareg la survivance
d’une pareille coutume. L’observation d’Erwin de Bary, suivie
d’une autre plus précise (voir le 6 juin), prend d’autant
plus d’importance que les Kel-Fadé sont une des tribus touareg
chez qui la pureté de la race n’a pas été altérée (Barth,
I, p. 384). Erwin de Bary a vu un peu plus tard (13 août) des
Ifoghas d’Es-Souk coiffés de même. Or, Es-Souk (Tadmekka), au
nord-est du coude du Niger, est désignée comme un des endroits
où les Touareg étaient primitivement établis. Il est assurément
significatif de voir que l’usage de la tresse libyenne s’est
conservé précisément chez les tribus touareg restées en place,
ou indemnes de toute intrusion de sang étranger.]
[Note 175 : Tombeau de pierres brutes. Voir plus haut.]
[Note 176 : Il s’agit soit de la grande tribu des Beraber, qui a ses
terrains de parcours dans le Sahara marocain, soit plutôt de la tribu
arabe des Berabich, qui tient la route des caravanes entre Araouan et
Tombouctou. Les Berabich sont en hostilité constante avec les Touareg
Hoggar, et notamment avec les Taïtoq. La participation des Ifoghas à
cette razzia est une nouvelle preuve des instincts pillards de cette
tribu, dont Duveyrier avait fait trop exclusivement une communauté de
marabouts pacifiques, qui ne portent les armes que pour se défendre.]
[Note 177 : _Tarakate_ du _Catalogue_ Foureau. _Grewia spec. ?_]
[Note 178 : Dans le Tibesti.]
[Note 179 : Nom inconnu.]
[Note 180 : _Balanites aegyptiaca_ Del.]
[Note 181 : M. Foureau cite en effet dans son vocabulaire une solanée
(_Solanum sodomaeum_) qui porte le nom arabe de _tefah-en-noum_
(p. 43).]
[Note 182 : Barth a observé une crue semblable à la date du 1er
septembre (_Reisen_, I, p. 356).]
[Note 183 : Le texte original ne permet pas de savoir si ces tresses
pendent du même côté de la tête.]
[Note 184 : Barth écrit Arar dans son livre, Adar sur sa
carte. Il parle également de la puissance de leur cavalerie
(I, p. 388). L’Adar est situé au nord du Sokoto, et certains
auteurs le mettent à tort au nombre des provinces de cet empire
: les Kel-Guérès n’ont jamais cessé d’être parfaitement
indépendants.]
[Note 185 : C’est une opinion courante dans l’Aïr, car Barth
avait déjà recueilli la même information : « Toutes les vallées
descendant vers l’ouest s’élargissent dès qu’elles sortent
de la montagne, et se perdent peu à peu, sans se réunir (_Reisen_,
I. p. 587). Mais il faut tenir compte de l’ignorance relative
des habitants de l’Aïr, ayant peu ou point de rapports avec leurs
voisins de l’ouest. Et si l’on considère que le cheikh Othman des
Ifoghas avait donné à Duveyrier une version contraire (selon lui,
l’oued Tafassasset recevait dans son cours inférieur de nombreux
affluents venant de l’Aïr), on ne peut regarder la question comme
tranchée.]
[Note 186 : Les Kel-Atarar de Barth. Barth dit seulement qu’ils
habitent au voisinage d’Agadès et n’ont pas la meilleure
réputation (_Reisen_, I, p. 382).]
[Note 187 : Richardson et Barth avaient dit la même chose : « La
caravane du sel, écrit Richardson, est pour l’Aïr une question de
vie ou de mort... Sans ce sel (qu’on échange contre les vivres du
Soudan), la population se verrait bientôt dans l’alternative de
périr ou d’émigrer au Soudan. » (_A Narrative of a Mission to
Central-Africa_, II, p. 138). « On pourrait planter beaucoup plus
de mil, mais la culture, restreinte aux fonds étroits des vallées,
ne pourra jamais fournir assez de grains pour les besoins de ceux
qui les habitent. » (Barth, I, p. 588.)]
[Note 188 : Espèce non déterminée.]
[Note 189 : Voir plus haut, p. 161.]
[Note 190 : _Rhezer_ n’est pas un nom propre. On appelle Kel-Rhezer
ou Kel-Rhazar, « gens de la vallée », les habitants de la grande
vallée de Seloufiet et Tintarhodé (Barth, I, p. 380).]
[Note 191 : C’est pour cela sans doute que Hadj Bilkhou empêcha
le voyageur d’aller à Agadès.]
[Note 192 : En faisant dresser la note des vivres qu’on lui avait
fournis, avec l’intention de la solder une fois revenu à Ghât,
E. de Bary ne tenait nul compte des coutumes sahariennes, qui veulent
qu’un homme bien élevé ne paye pas les vivres qu’on lui offre,
mais réponde par un cadeau de valeur supérieure à ce qu’on lui
a offert.]
[Note 193 : Ou Tekindouhir.]
[Note 194 : Voir plus loin, appendice I.]
[Note 195 : Il y a très peu de juifs au Sahara ; c’est à peine
si l’on en trouve quelques-uns au Touât, et ce Touareg de l’Aïr
n’en avait peut-être jamais vu.]
[Note 196 : Il eût été intéressant de savoir quels pouvaient
être ces livres, qui avaient pénétré jusque dans l’Aïr.]
[Note 197 : _Acacia albida_ Del. Espèce du Soudan.]
[Note 198 : Ces hostilités entre Hoggar et Aouélimiden semblent
fréquentes. Barth, en 1853, avait déjà entendu parler d’une
grande razzia opérée par 400 Aouélimiden chez les Hoggar
(_Reisen_, IV, p. 503). En 1862, Duveyrier apprenait qu’il y
avait « en ce moment trêve d’hostilités, mais plutôt tendance
à l’antipathie. » (_Les Touareg du Nord_, p. 371.) En 1881,
Kenan-ag-Tissi, un des Taïtoq internés plus tard en Algérie,
a fait partie d’une razzia dirigée contre les Aouélimiden, qui
avaient précédemment razzié les Taïtoq (Bissuel, _les Touareg
de l’Ouest_, p. 7). Aujourd’hui que nous sommes établis à
Tombouctou, on pourrait essayer d’utiliser cette antipathie ancienne
des Aouélimiden contre les Hoggar.]
[Note 199 : Emir des Hoggar.]
[Note 200 : Ceci prouve l’erreur de certains auteurs, qui
transforment le sultan d’Agadès en vassal du sultan de Sokoto. Le
chef d’Agadès ménage son puissant voisin, mais ne lui doit pas
obéissance. E. de Bary a défini plus haut (p. 159) le genre de
respect que les Touareg d’Aïr professent pour ce « commandeur des
croyants ». En 1886, Staudinger a dit très nettement la même chose
: « Le souverain de Sokoto ne possède aucune autorité réelle, ni
même apparente sur la partie de l’Aïr où est située Agadès. En
général, les farouches Touareg peuvent bien, il est vrai, lui payer
une redevance commerciale lorsqu’ils vont commercer dans son royaume,
mais ils sont aussi dangereux qu’indispensables, et les Haoussa ont
intérêt à les ménager » (_In Herzen der Haussaländer_, Berlin,
1889, p. 518).]
[Note 201 : L’auteur l’appelle ailleurs Sidi-eg-Guerradji.]
[Note 202 : Erwin de Bary parle plus loin d’une de ces tribus
(p. 181).]
[Note 203 : Les Touareg du Nord donnent d’autres
explications. D’après eux l’institution des _Imrhad_ ou
vassaux date de l’époque où le Sahara méridional était
encore exposé aux invasions des rois noirs. C’est alors que des
familles faibles auraient réclamé la protection des guerriers
berbères, en se constituant leurs sujets. D’autres _Imrhad_,
ceux de couleur, tirent leur origine d’esclaves noires, et comme,
d’après la coutume targuie, l’enfant suit la condition de
sa mère, la condition d’imrhad aurait été pour lui une sorte
d’affranchissement. Enfin, les Touareg avouent que certaines tribus
d’Imrhad blancs sont simplement des congénères asservis par la
force des armes. (Duveyrier, _les Touareg du Nord_, p. 336-337.)]
[Note 204 : Barth cite la tribu des Kel-Aguelal, sans savoir qu’elle
se confond avec celle des Kel-Rhazar (I, p. 380).]
[Note 205 : Il y a d’autres exemples de tribus arabes établies au
milieu des Touareg, dont elles deviennent alors les vassales. C’est
ainsi que les Sekakna et les Mazil, qui fournissent des chameaux aux
caravanes entre le Touât et Tombouctou, sont des Arabes vivant sous
la protection des Touareg Taïtoq (Bissuel, _les Touareg de l’Ouest_,
p. 24.)]
[Note 206 : Nous avons supprimé ici et aux pages suivantes une série
d’indications de route et d’informations sur l’Adamaoua, qui
n’ont plus d’intérêt aujourd’hui.]
[Note 207 : _Calotropis procera_.]
[Note 208 : C’est la première fois qu’il est fait mention par un
voyageur de razzias d’esclaves exécutées sur des populations de
race blanche. On sait que le Koran défend formellement de réduire
en esclavage les musulmans. Les serfs de cette partie reculée du
Sahara seraient-ils encore regardés comme à demi païens ? Il n’y
en aurait pas moins là une violation flagrante des coutumes touareg ;
les _Imrhad_, dit Duveyrier, se transmettent par héritage ou donation,
mais ne se vendent pas, c’est ce qui les distingue de l’esclave.]
[Note 209 : Cette occupation n’a jamais été réalisée. Lorsqu’en
1892 le colonel Monteil a passé à Bilma, l’oasis était toujours
encore gouvernée par un chef Tibbou, sous la dépendance des Kel-Ouï
d’Aïr.]
[Note 210 : Voir Barth, _Reisen_, I, p. 599. La coutume d’engraisser
les femmes par une nourriture appropriée est un trait de mœurs
nègres, et non berbères.]
[Note 211 : Cette information est certainement plus vraisemblable
que celle relatée plus haut, p. 142.]
[Note 212 : Ceci semble indiquer que les phénomènes diluviens de
ruissellement, qui ont été si intenses dans le Sahara septentrional,
n’ont pas non plus fait défaut dans le Sahara méridional. Voir
plus loin une observation analogue.]
[Note 213 : Il s’agit ici d’une fraction des Ifoghas, les
N’Iguedadh, restée campée aux environs de son lieu d’origine
Tadmekket ou Es-Souk, une des plus anciennes places de commerce du
Sahara, aujourd’hui en ruines. Il est curieux de constater que ces
Touareg restés en place sont de ceux qui ont gardé l’usage de la
tresse berbère. (Voir plus haut, p. 157.)]
[Note 214 : Taxe de protection.]
[Note 215 : Cette déférence des nobles pour l’hôte du marabout
est très digne de remarque. En somme, E. de Bary a eu affaire dans
l’Aïr à trois sortes de pouvoirs différents :
1o Le _serki-n-touraoua_, représentant du sultan d’Agadès,
homme peu estimé, dont le seul rôle était de percevoir la taxe
des caravanes pour son maître, et qui, à l’égard du voyageur,
s’est conduit en simple brigand ; le chef touareg dont il avait
violé l’hospitalité lui aurait certainement fait rendre gorge,
si le rusé compère n’avait quitté Agadès pour faire un tour au
Soudan ;
2o Le cheikh Bilkhou, sans fonction officielle, mais qui, dans ce
monde du désert, où la fonction n’est rien, et où l’ascendant
personnel est tout, est devenu, en 1877, le chef le plus influent des
Kel-Ouï d’Aïr ; c’est lui qui, en des circonstances critiques,
les a menés à la guerre contre les Aouélimiden et les Ouled-Sliman
(voir p. 127). Quant à l’_amenokal_ ou sultan légal des Kel-Ouï,
qui déjà du temps de Barth n’était que l’ombre d’un prince
(« _das Schattenbild eines Fürsten_ »), son rôle, en 1877, est
tellement effacé, que de Bary ne le nomme pas une seule fois dans son
journal de voyage ; c’est seulement par une de ses lettres que nous
apprenons qu’il s’appelle Anastafidet et qu’il réside à Asodi
(_Verhandl. der Gesellsch. für Erdkunde_, 1877, IV, p. 251) ;
3o Les marabouts Kel-Rhezer de Tintarhodé et de Tin-Telloust,
qui semblent, en 1877, les personnages les plus influents de tout
l’Aïr. C’est chez eux (p. 121) qu’on délibère, après le
scandale causé par le _serki-n-touraoua_ ; chez eux qu’on trouve le
bien-être et la richesse ; ce sont eux qui, de leur propre mouvement,
vont négocier la paix entre Kel-Ouï et Hoggar, et même entre Hoggar
et Azdjer. Il serait imprudent de juger la situation politique actuelle
d’après ce qui s’est passé il y a vingt et un ans, mais il est
probable qu’une mission transsaharienne aura à compter avant tout
avec ces marabouts de l’Aïr.]
[Note 216 : Ce qui indique combien ces pillards invétérés attachent
d’importance à rester en bons termes avec le Touât, qui est leur
lieu de ravitaillement.]
[Note 217 : Les Azdjer de leur côté ne faisaient pas preuve
de moins d’audace. En décembre 1876, une bande d’Oraghen et
d’Imanghasaten alliés s’était avancée jusqu’aux portes
d’Insalah, avait attaqué une caravane de Hoggar qui en revenait
avec des vivres, tué 15 hommes et enlevé 400 chameaux. Le même
mois, une autre bande avait pénétré par Dider dans l’Ahaggar,
enlevé 200 chameaux des Taïtoq, et tué 5 hommes, dont un frère
de Sidi-eg-Guerradji. Ces 5 hommes s’étaient trouvés en face de
150 Azdjer : ils n’en furent pas moins tués. Dans ces razzias,
les vainqueurs ne font pas de prisonniers. (E. de Bary, lettre
adressée au président de la Soc. de Géog. de Berlin, _Verhandl. der
Gesellsch. für Erdkunde_, 1877, IV, p. 250.)]
[Note 218 : Allusion à une information recueillie par Duveyrier au
sujet de cette ancienne route de Djerma à l’Aïr : « A Anaï,
dit-il, la voie, _avec ses anciennes ornières_, est encore assez
caractérisée pour que des Tébous, mes informateurs, qui en
arrivaient, n’aient laissé dans mon esprit aucun doute à ce
sujet. D’ailleurs, ajoutaient-ils, les anciens ont pris la peine
de buriner dans le roc, sur une des berges de la voie, des tableaux
représentant un convoi de chars, avec des roues, traînés par des
bœufs à bosse et conduits par des hommes » (_Les Touareg du Nord_,
p. 458.) Duveyrier en concluait que c’était la route carrossable
suivie par l’armée romaine lorsqu’elle était allée de Garama à
l’Agisymba. Malheureusement, la déclaration du cheikh des Ihadanaren
ne permet pas de conclure d’une façon aussi nette. Les Tébous sont
des informateurs sujets à caution, et il n’est pas impossible que,
pressés de question, ils n’en aient dit plus qu’ils n’avaient
vu. De Bary, pas plus que Richardson et Barth, n’a vu de trace du
passage des Romains dans l’Aïr. En tout cas, l’exploration de
cette route d’Anaï constitue un des plus intéressants desiderata
de la géographie ancienne de l’Afrique.]
[Note 219 : Ce ne serait donc pas le léopard, qui est bien connu
dans les pays du Soudan, et qui porte le nom de _damousa_ (pluriel
_damissa_ chez les Haoussa du Sokoto). (Staudinger, _Im Herzen der
Haussaländer_, p. 693.)]
[Note 220 : Sultan du Gober.]
[Note 221 : Il est impossible de rien déduire de cette description,
qui rappelle par certains traits l’hyène, et par d’autres la
panthère ou le serval. Staudinger dit qu’en dehors des peaux de
léopard les Touareg d’Aïr apportent au Soudan des dépouilles
d’autres félins, dont il n’a pas pu déterminer l’espèce :
« Quelques-unes m’ont semblé avoir appartenu au lynx du désert,
d’autres à une sorte de serval ou de guépard. » (Ouv. cité,
p. 693.)]
[Note 222 : Overweg distinguait toutefois, entre l’oued El-Hassi
et l’oued Châti, des grès bruns ferrugineux et des grès à
cassure blanche, seulement revêtus d’une mince carapace noire,
ferrugineuse, dans les parties exposées à l’air. (Geognostische
Bemerkungen auf der Reise von Philippeville über Tunis nach Tripoli,
und von hier nach Marzuk in Fezzan, _Zeitsch. der d. Geol. Gesellsch._
1851, III, p. 101).]
[Note 223 : Il y en a de semblables au milieu de la large vallée
d’érosion de l’oued Châti (Overweg, art. cité, p. 102).]
[Note 224 : Publiée par ce dernier dans la _Zeitsch. der
Gesellsch. für Erdk._, 1878, XIII, p. 350. Cette lettre est en quelque
sorte la conclusion des observations botaniques faites par l’auteur
jusqu’au 11 avril. La netteté de ces vues donne la mesure de ce
qu’il aurait pu faire, s’il avait eu le temps de mettre en œuvre
ses autres matériaux. Le professeur Ascherson a enrichi le texte de
quelques remarques précieuses, que nous reproduisons en les signalant
par la lettre A.]
[Note 225 : D’après Duveyrier (_les Touareg du Nord_, p. 225) et
R. Hartmann (_Zeitsch. der Gesellsch. für Erdk._, 1868, III, p. 56),
_fehed_, _fehad_ est le nom arabe des guépards (_Felis jubata_). (A.)]
[Note 226 : Probablement un _Hyrax_. Klunzinger (_Bilder aus
Oberägypten_, p. 241) et Schweinfurth ont signalé une espèce de
ce genre (_Hyrax syriacus_ Schreb.) dans le désert arabique. (A.)]
[Note 227 : Je puis certifier la même chose. Jamais je n’ai été
incommodé par cet insecte dans les oasis du désert libyque, tandis
que c’était trop souvent le cas dans les demeures de la vallée
du Nil. (A.)]
[Note 228 : Le sédra de la Tripolitaine et celui de l’Aïr
représentent certainement deux espèces différentes du genre
_Zizyphus_ : 1o _Zizyphus Lotus_ Lmk. ; 2o _Z. Spina Christi_ L.,
déjà connu au Fezzan sous le nom kanori de _korna_. (A.)]
[Note 229 : Probablement une _Boscia_ (_Boscia senegalensis_
Lmk. ?) _Cf._, Schweinfurth, _Zeitsch. für allg. Erdk._, 1865, XIX,
p. 389 et suiv. (A.)]
[Note 230 : Sans aucun doute le palmier-doum (_Hyphaene Thebaïca_
Mart) dont Barth mentionne la présence dans l’Aïr (I, p. 349,
419). Ce voyageur remarque qu’il n’a pu savoir le nom indigène
de l’arbre. Ce nom de _Faraoun_, qui rappelle d’une façon si
évidente (tout au moins dans l’esprit des indigènes) l’origine
égyptienne de la plante, est très digne d’attention. (A.)
Si l’on se rappelle, en effet, une autre tradition recueillie par
Barth au coude de Bourroum sur le Niger, et d’après laquelle un
Pharaon d’Egypte serait venu jusque-là (_Reisen_ V, p. 194), si
d’autre part on considère, qu’à la différence des autres peuples
nègres, les Sonrhaï établis dans ce coude du Niger embaumaient
leurs morts à la manière égyptienne, avant d’être convertis
à l’Islam (Ahmed-Baba, Tarikh-es-Soudan, _Zeitsch. der deutschen
morgenländ, Gesellsch._, IX, p. 532) ; que le nom des Atarantes,
connus des anciens Égyptiens pour habiter dans le désert à
dix journées de marche des Garamantes, rappelle le terme haoussa
_atara_ signifiant les « hommes assemblés » (Barth, _Sammlung
und Bearbeitung central-Afrikanischer Vokabularien_, p. c-c II), et
que d’après une ancienne tradition le peuple du Gober, premier
occupant de l’Aïr, doit son origine à des Coptes d’Égypte
(Denham, _Voyages et découv._, III, p. 202) ; qu’enfin le nom de
Tagama, une des cités placées par Ptolémée sur le dix-septième
parallèle, se retrouve chez la tribu des Tagama, établie au sud
de l’Aïr, on ne peut s’empêcher de voir en ce nom de palmier
Faraoun un indice de plus en faveur de l’ancienneté des relations
de l’Egypte avec l’Aïr.]
[Note 231 : _Panicum turgidum_ Forsk., en arabe _bou-rekouba_ (Foureau,
_Catal._, p. 2).]
[Note 232 : Une _Bucerosia_ ? (A.)]
Note du transcripteur :
Page 24, note 20, " des chétifs du Touât " a été remplacé par
" chérifs "
Page 25, " hauteur d’envion " a été remplacé par " d’environ "
Page 84, " _19 déc._ " a été remplacé par " _10 déc._ "
Page 92, note 94, " _Reisen und Entdeckungen in Nord- und
Central-Africa_ " a été remplacé par " _Central-Afrika_ "
Page 95, " _5 janvier 1897._ " a été remplacé par " _1877_ "
Page 98, " par de souadi sableux " a été remplacé par " des ouadi "
Page 105, note 115, " _Pflanzen des mittern Nord-Africa_ " a été
remplacé par " _mittlern Nord-Afrika_ "
Page 106, " ou dirait qu’une zone " a été remplacé par " on dirait "
Page 141, " l’air moins satifait " a été remplacé par " satisfait "
Page 147, " bordées de de rouge " a été remplacé par
" bordées de rouge "
Page 180, " _9 juil._ " a été remplacé par " _19 juil._ "
Page 186, " au nord de l’Aghelal " a été remplacé par " l’Aguelal "
Page 188-189 note 215, " » « (_das Schattenbild eines Fürsten_) "
a été remplacé par " (« _das Schattenbild eines Fürsten_ ») "
Page 193, la référence à la note 220, après " très dangereux "
à été changé à la note 219.
Page 202, la référence absente à la note 225, à été placé après
" _fehed_ ".
Page 207, " Le _talba_ et le _sedra_ " a été remplacé par
" _talha_ "
Page 219, " Aghelal, 181. " a été remplacé par " Aguelal "
Page 218, " Solanum sodomacum " a été remplacé par " sodomaeum "
De plus, quelques changements mineurs de ponctuation et
d’orthographe ont été apportés.
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Le dernier rapport d'un Européen sur Ghât et les Touareg de l'Aïr
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GHÂT
ET
=LES TOUAREG DE L’AÏR=
OUVRAGES DU MÊME AUTEUR
* * * * *
_Le Sahara_ (Paris, Hachette, 1893, in-8o) 10 fr.
_Pourquoi Flatters et ses compagnons sont morts_ (Paris, Challamel,
1896, brochure in-8o) 1 fr.
* * * * *
Lyon. — Imp. PITRAT AINÉ, A. Rey Successeur, 4, rue Gentil. — 17697
LE
DERNIER...
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— End of Le dernier rapport d'un Européen sur Ghât et les Touareg de l'Aïr —
Book Information
- Title
- Le dernier rapport d'un Européen sur Ghât et les Touareg de l'Aïr
- Author(s)
- Bary, Erwin von
- Language
- French
- Type
- Text
- Release Date
- October 1, 2024
- Word Count
- 56,232 words
- Library of Congress Classification
- DT
- Bookshelves
- Browsing: Culture/Civilization/Society, Browsing: Travel & Geography
- Rights
- Public domain in the USA.