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Project Gutenberg's La Comťdie des Mťprises, by William Shakespeare

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Project Gutenberg's La Comťdie des Mťprises, by William Shakespeare This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: La Comťdie des Mťprises Author: William Shakespeare Release Date: May 17, 2005 [EBook #15848] Language: French Character set encoding: ISO-8859-1 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA COM…DIE DES M…PRISES *** Produced by Paul Murray, Renald Levesque and the Online Distributed Proofreading Team. This file was produced from images generously made available by the BibliothŤque nationale de France (BnF/Gallica) Note du transcripteur. ====================================================================== Ce document est tirť de: OEUVRES COMPL»TES DE SHAKSPEARE TRADUCTION DE M. GUIZOT NOUVELLE …DITION ENTI»REMENT REVUE AVEC UNE …TUDE SUR SHAKSPEARE DES NOTICES SUR CHAQUE PI»CE ET DES NOTES Volume 2 Jules Cťsar. Clťop‚tre.--Macbeth.--Les Mťprises. Beaucoup de bruit pour rien. PARIS A LA LIBRAIRIE ACAD…MIQUE DIDIER ET Cie, LIBRAIRES-…DITEURS 35, QUAI DES AUGUSTINS 1864 ====================================================================== LA COM…DIE DES M…PRISES NOTICE SUR LA COM…DIE DES M…PRISES Il est peu de comťdies qui aient ťtť aussi souvent et aussi diversement reproduites sur la scŤne que les _Mťnechmes_ de Plaute; c'est la seule dette que Shakspeare ait contractťe envers les auteurs dramatiques de l'antiquitť. Mais il a su enrichir l'idťe du poŽte latin par l'apparence nouvelle qu'il lui donne et les incidents qu'il a multipliťs. _Les Mťprises_ sont un vrai modŤle d'intrigue. Tout le comique des situations rťsulte, il est vrai, d'une invraisemblance exagťrťe encore par Shakspeare; car les deux frŤres jumeaux ont deux esclaves jumeaux comme eux, et qui portent le mÍme nom. Mais, ainsi que l'observe trŤs-bien M. Schlegel, il n'y a pas de degrťs dans l'incroyable; si l'on accorde une des ressemblances, on aura tort de faire des difficultťs pour l'autre; et si les spectateurs s'amusent des mťprises, elles ne pourront jamais se croiser et se combiner trop diversement. La variťtť des ťvťnements et des rencontres imprťvues des quatre frŤres; le danger que court celui qui se voit arrÍtť pour dettes, et qui est ensuite enfermť comme fou, tandis que l'autre, voyant sa vie attaquťe, est obligť de se rťfugier dans une abbaye; deux scŤnes d'amour et de jalousie sauvent la piŤce de l'ennui que pourrait amener l'ťclaircissement trop longtemps diffťrť. Malgrť toutes les intrigues qui s'entre-croisent, tout est liť dans la fiction, tout s'y dťveloppe de la maniŤre la plus heureuse, et le dťnoŻment a quelque chose de solennel par la reconnaissance qui a lieu devant un tribunal auquel prťside le prince. Shakspeare a eu l'art de motiver son exposition; dans les _Mťnechmes_ de Plaute, elle est faite au moyen d'un prologue; mais ici elle consiste dans le grave rťcit des douleurs d'un pŤre ŗ qui la constance de ses regrets va coŻter la vie. Peut-Ítre devons-nous Ítre f‚chťs que Shakspeare n'ait pas conservť le personnage du parasite de Plaute; mais Shakspeare ne connaissait tout au plus Plaute que par une traduction anglaise, et son gťnie indťpendant et capricieux ne pouvait s'astreindre ŗ imiter servilement un modŤle. Comme Regnard, de nos jours, il a su introduire dans le cadre de l'auteur latin la peinture de son siŤcle, en conservant des noms classiques ŗ ses personnages. Il serait plutŰt ŗ dťsirer que, moins entraÓnť par le vice de son sujet, il eŻt ťvitť l'ťcueil des trivialitťs et quelques plaisanteries grossiŤres, qui cependant sont toujours empreintes de ce cachet d'originalitť dont Shakspeare marque ses dťfauts comme ses beautťs. L'aventure de Dromio avec la Maritome d'Antipholus de Syracuse rappelle naturellement les scŤnes si comiques de Clťanthis et de Sosie dans _Amphitryon_. Le reproche de libertť, adressť par quelques critiques ŗ MoliŤre, qui cependant ťcrivait pour une cour jalouse des convenances jusqu'ŗ la pruderie, prouve combien il ťtait difficile de conserver le dťcorum dans un sujet aussi ťpineux; et Shakspeare, favori de la cour, ťtait encore plus le poŽte du peuple. Si cette comťdie, moins intťressante par la peinture des caractŤres que par la variťtť des surprises oý conduit la ressemblance des jumeaux, est infťrieure aux autres comťdies de Shakspeare, il faut autant l'attribuer au vice du sujet qu'ŗ la jeunesse de l'auteur; car ce fut une de ses premiŤres piŤces. Plusieurs critiques ont mÍme prťtendu qu'elle n'avait ťtť que retouchťe par lui. Mais il suffirait, pour y reconnaÓtre Shakspeare, de quelques traits de morale qui attestent sa profonde connaissance du coeur humain. Avec quelle adresse l'abbesse qu'Adriana va consulter arrache ŗ sa jalousie l'aveu de ses torts! quels sages avis pour toutes les femmes! Selon Malone, cette comťdie aurait ťtť ťcrite en 1593; et selon Chalmers, en 159l.--La traduction anglaise des _Mťnechmes_ de Plaute, par W. Warner, ne fut imprimťe qu'en 1595; mais dans Hall et Hollingshed il est fait mention d'une jolie comťdie de Plaute, qu'on dit avoir ťtť jouťe dŤs l'an 1520, et quelques-uns prťtendent que c'ťtaient les _Mťnechmes_. En Allemagne, ce sujet a ťtť traitť aussi dŤs l'origine du thť‚tre; mais c'est surtout en Italie que ce canevas a ťtť souvent employť. Nous citerons parmi les imitations franÁaises celles de Rotrou et de Regnard. Donner l'analyse de la piŤce de Rotrou, c'est donner en mÍme temps l'extrait de celle de Plaute; sa comťdie est plutŰt une traduction qu'une imitation. Mťnechme Sosicle arrive ŗ …pidamne, lieu de la rťsidence de son frŤre, sans savoir qu'il y est ťtabli. Il est ťmerveillť de s'y voir connu et nommť par tout le monde, accablť des reproches d'une femme qui veut Ítre la sienne, et des caresses d'une autre qui se contente d'un titre plus doux. Rotrou a un peu adouci le personnage de la courtisane …rotie, dont il fait une jeune veuve qui met de la pruderie dans ses ťpanchements, et qui permet que Mťnechme lui fasse la cour, pourvu, lui dit-elle, Qu'elle demeure aux termes de l'honneur, Que mon honnÍtetť ne soit point offensťe, Et qu'un but vertueux borne votre pensťe. Elle n'ignore pas cependant que Mťnechme est mariť. Shakspeare a ťtť plus fidŤle aux vraisemblances en conservant ŗ ce personnage le caractŤre de courtisane que lui donne le poŽte latin. Regnard a imaginť une autre fable. Ses Mťnechmes ne sont point mariťs, tous deux veulent l'Ítre et sont rivaux. L'un est un provincial grossier et brutal, qui vient ŗ Paris recueillir la succession d'un oncle. Il a ťtť instituť lťgataire universel, parce que le dťfunt ignorait la destinťe du second de ses neveux, qui avait quittť dŤs l'enfance la maison paternelle. Cependant le chevalier Mťnechme est ŗ Paris, aux prises avec la mauvaise fortune; une vieille douairiŤre se sent toute portťe ŗ changer son sort en l'ťpousant, et le chevalier ne fait pas le difficile, lorsque son amour pour Isabelle, la propre niŤce d'Araminte, lui ouvre les jeux sur l'‚ge de sa tante. C'est cette mÍme Isabelle que son frŤre doit ťpouser, et que Dťmophon son pŤre a promise ŗ Mťnechme, en considťration de la succession qu'il vient recueillir. Le hasard instruit le chevalier de cette aventure, et il ne songe plus qu'ŗ souffler ŗ son frŤre sa maÓtresse et son hťritage. Peut-Ítre n'est-ce pas lŗ une intention trŤs-morale, et le chevalier nous semble friser un peu les chevaliers des brelans, quoiqu'il se donne, lors de la reconnaissance, un air de gťnťrositť en partageant la fortune de l'oncle avec Mťnťchme, et en lui cťdant une de ses deux maÓtresses. On a aussi reprochť ŗ Regnard d'Ítre trivial et bas; reproche peu fondť, son comique nous semble au niveau de son sujet; en voulant s'ťlever, il risquait, comme ses devanciers, de devenir froid et de cesser d'Ítre plaisant. La comťdie des _Mťnechmes_ est une de celles qui servent de fondement ŗ sa rťputation. Nous ne citerons pas la comťdie des _Deux Arlequins_ de Le Noble, ni _les Deux Jumeaux de Bergame_. Les personnages de nos Arlequins nous semblent fort heureusement choisis pour donner un air de vťritť ŗ ces sortes de piŤces, ŗ cause du masque qui fait indispensablement partie de leur costume, et de ce costume lui-mÍme, qui prÍte ŗ l'illusion plus que tout autre. LA COM…DIE DES M…PRISES PERSONNAGES SOLINUS, duc d'…phŤse. ∆G…ON, marchand de Syracuse. ANTIPHOLUS d'…phŤse, ANTIPHOLUS de Syracuse, frŤres jumeaux et fils d'∆gťon et d'Emilie, mais inconnus l'un ŗ l'autre. DROMIO d'…phŤse, DROMIO de Syracuse, frŤres jumeaux et esclaves des deux Antipholus. BALTASAR, marchand. ANG…LO, orfŤvre. UN COMMER«ANT, ami d'Antipholus de Syracuse. PINCH, maÓtre d'ťcole et magicien. …MILIE, femme d'∆gťon, abbesse d'une communautť d'…phŤse. ADRIANA, femme d'Antipholus d'…phŤse. LUCIANA, soeur d'Adriana. LUCE, SUIVANTE DE LUCIANA. UNE COURTISANE. UN GEOLIER. OFFICIERS DE JUSTICE ET AUTRES. La scŤne est ŗ …phŤse. ACTE PREMIER SC»NE I Salle dans le palais du duc. LE DUC D'…PH»SE, ∆G…ON, UN GEOLIER, _des officiers et autres gens de la suite du duc_. ∆G…ON--Poursuivez, Solinus; accomplissez ma perte, et par votre arrÍt de mort, terminez mes malheurs et ma vie. LE DUC.--Marchand de Syracuse, cesse de plaider ta cause; je ne suis pas assez partial pour enfreindre nos lois. La haine et la discorde, rťcemment excitťes par l'outrage barbare que votre duc a fait ŗ ces marchands, nos honnÍtes compatriotes, qui, faute d'or pour racheter leurs vies, ont scellť de leur sang ses dťcrets rigoureux, dťfendent toute pitiť ŗ nos regards menaÁants; car depuis les querelles intestines et mortelles ťlevťes entre tes sťditieux compatriotes et nous, il a ťtť arrÍtť dans des conseils solennels, par nous et par les Syracusains, de ne permettre aucune espŤce de nťgoce entre nos villes ennemies. Bien plus, si un homme, nť dans …phŤse, est rencontrť dans les marchťs et les foires de Syracuse; ou si un homme, nť dans Syracuse, aborde ŗ la baie d'…phŤse, il meurt, et ses marchandises sont confisquťes ŗ la disposition du duc, ŗ moins qu'il ne trouve une somme de mille marcs pour acquitter la peine et lui servir de ranÁon. Tes denrťes, estimťes au plus haut prix, ne peuvent monter ŗ cent marcs; ainsi la loi te condamne ŗ mourir. ∆G…ON.--Eh bien! ce qui me console, c'est que, par l'exťcution de votre sentence, mes maux finiront avec le soleil couchant. LE DUC.--Allons, Syracusain, dis-nous briŤvement pourquoi tu as quittť ta ville natale, et quel sujet t'a amenť dans …phŤse. ∆G…ON.--On ne pouvait m'imposer une t‚che plus cruelle que de m'enjoindre de raconter des maux indicibles. Cependant, afin, que le monde sache que ma mort doit Ítre attribuťe ŗ la nature et non ŗ un crime honteux[1], je dirai tout ce que la douleur me permettra de dire.--Je suis nť dans Syracuse, et j'ťpousai une femme qui eŻt ťtť heureuse sans moi, et par moi aussi sans notre mauvaise destinťe. Je vivais content avec elle; notre fortune s'augmentait par les fructueux voyages que je faisais souvent ŗ …pidaure, jusqu'ŗ la mort de mon homme d'affaires. Sa perte, ayant laissť le soin de grands biens ŗ l'abandon, me forÁa de m'arracher aux tendres embrassements de mon ťpouse. A peine six mois d'absence s'ťtaient ťcoulťs, que prÍte ŗ succomber sous le doux fardeau que portent les femmes, elle fit ses prťparatifs pour me suivre, et arriva en sŻretť aux lieux oý j'ťtais. BientŰt aprŤs son arrivťe elle devint l'heureuse mŤre de deux beaux garÁons; et, ce qu'il y a d'ťtrange, tous deux si pareils l'un ŗ l'autre, qu'on ne pouvait les distinguer que par leurs noms. A la mÍme heure et dans la mÍme hŰtellerie, une pauvre femme fut dťlivrťe d'un semblable fardeau, et mit au monde deux jumeaux m‚les qui se ressemblaient parfaitement. J'achetai ces deux enfants de leurs parents, qui ťtaient dans l'extrÍme indigence, et je les ťlevai pour servir mes fils. Ma femme, qui n'ťtait pas peu fiŤre de ces deux garÁons, me pressait chaque jour de retourner dans notre patrie: j'y consentis ŗ regret, trop tŰt, hťlas! Nous nous embarqu‚mes.--Nous ťtions dťjŗ ťloignťs d'une lieue d'…pidaure avant que la mer, esclave soumise aux vents, nous eŻt menacťs d'aucun accident tragique; mais nous ne conserv‚mes pas plus longtemps grande espťrance. Le peu de clartť que nous prÍtait le ciel obscurci ne servait qu'ŗ montrer ŗ nos ‚mes effrayťes le gage douteux d'une mort immťdiate: pour moi, je l'aurais embrassťe avec joie, si les larmes incessantes de ma femme, qui pleurait d'avance le malheur qu'elle voyait venir, et les gťmissements plaintifs des deux petits enfants qui pleuraient par imitation, dans l'ignorance de ce qu'il fallait craindre, ne m'eussent forcť de chercher ŗ reculer l'instant fatal pour eux et pour moi; et voici quelle ťtait notre ressource,--il n'en restait point d'autre:--les matelots cherchŤrent leur salut dans notre chaloupe, et nous abandonnŤrent, ŗ nous, le vaisseau qui allait s'abÓmer. Ma femme, plus attentive ŗ veiller sur son dernier nť, l'avait attachť au petit m‚t de rťserve dont se munissent les marins pour les tempÍtes; avec lui ťtait liť un des jumeaux esclaves; et moi j'avais eu le mÍme soin des deux autres enfants. Cela fait, ma femme et moi, les yeux fixťs sur les objets chers ŗ nos coeurs, nous nous attach‚mes ŗ chacune des extrťmitťs du m‚t; et flottant aussitŰt au grť des vagues, nous fŻmes portťs par elles vers Corinthe, ŗ ce que nous juge‚mes. A la fin, le soleil, se montrant ŗ la terre, dissipa les vapeurs qui avaient causť nos maux; sous l'influence bienfaisante de sa lumiŤre dťsirťe, les mers se calmŤrent par degrťs, et nous dťcouvrÓmes au loin deux vaisseaux qui cinglaient sur nous, l'un de Corinthe, l'autre d'…pidaure. Mais avant qu'ils nous eussent atteints...... Oh! ne me forcez pas de vous dire le reste; devinez ce qui suivit par ce que vous venez d'entendre. [Note 1: C'ťtait jadis une superstition universelle de croire qu'un grand revers inattendu ťtait l'effet de la vengeance cťleste qui punissait l'homme d'un crime cachť. ∆gťon veut persuader ŗ ceux qui l'entendent que son malheur n'est ici l'effet que de la destinťe humaine, et non la peine d'un crime. WARBURTON. D'aprŤs cette note, Letourneur traduit: _That my end Was wrought by nature and not by vile offense_, par cette phrase: _Ma perte est l'ouvrage de la nature et non la peine d'un crime honteux et cachť_. Nous avons adoptť une explication plus simple de ce mot _nature_. _Nature_ est ici pour affection naturelle... ∆gťon est victime de son amour paternel; c'est ce sentiment qui le conduit ŗ …phŤse et qui cause sa mort.] LE DUC.--Poursuis, vieillard: n'interromps point ton rťcit: nous pouvons du moins te plaindre si nous ne pouvons te pardonner. ∆G…ON.--Oh! si les dieux nous avaient tťmoignť cette pitiť, je ne les aurais pas nommťs ŗ si juste titre impitoyables envers nous! Avant que les deux vaisseaux se fussent avancťs ŗ dix lieues de nous, nous donn‚mes sur un grand rocher; poussť avec violence sur cet ťcueil, notre navire secourable fut fendu par le milieu; de sorte que, dans cet injuste divorce, la fortune nous laissa ŗ tous deux de quoi nous rťjouir et de quoi pleurer. La moitiť qui la portait, la pauvre infortunťe, et qui paraissait chargťe d'un moindre poids, mais non d'une moindre douleur, fut poussťe avec plus de vitesse devant les vents: et ils furent recueillis tous trois ŗ notre vue par des pÍcheurs de Corinthe, ŗ ce qu'il nous sembla. A la fin, un autre navire s'ťtait emparť de nous; les gens de l'ťquipage, venant ŗ connaÓtre ceux que le sort les avait amenťs ŗ sauver, accueillirent avec bienveillance leurs hŰtes naufragťs: et ils seraient parvenus ŗ enlever aux pÍcheurs leur proie, si leur vaisseau n'avait pas ťtť mauvais voilier; ils furent donc obligťs de diriger leur route vers leur patrie.--Vous avez entendu comment j'ai ťtť sťparť de mon bonheur, et comment, par malheur, ma vie a ťtť prolongťe pour vous faire les tristes rťcits de mes douleurs. LE DUC.--Et au nom de ceux que tu pleures, accorde-moi la faveur de me dire en dťtail ce qu'il vous est arrivť, ŗ eux et ŗ toi, jusqu'ŗ ce jour. ∆G…ON.--Mon plus jeune fils, et l'aÓnť dans ma tendresse, parvenu ŗ l'‚ge de dix-huit ans, s'est montrť empressť de faire la recherche de son frŤre: et il m'a priť, avec importunitť, de permettre que son jeune esclave (car les deux enfants avaient partagť le mÍme sort: et celui-ci, sťparť de son frŤre, en avait conservť le nom,) pŻt l'accompagner dans cette recherche. Pour tenter de retrouver un des objets de ma tendresse, je hasardai de perdre l'autre. J'ai parcouru pendant cinq ťtťs les extrťmitťs les plus reculťes de la GrŤce, errant jusque prŤs des cŰtes de l'Asie; et revenant vers ma patrie, j'ai abordť ŗ …phŤse, sans espoir de les trouver, mais rťpugnant ŗ passer sans parcourir ce lieu ou tout autre, oý habitent des hommes. C'est ici enfin que doit se terminer l'histoire de ma vie; et je serais heureux de cette mort propice, si tous mes voyages avaient pu m'apprendre du moins que mes enfants vivent. LE DUC.--Infortunť ∆gťon, que les destins ont marquť pour ťprouver le comble du malheur, crois-moi, si je le pouvais sans violer nos lois, sans offenser ma couronne, mon serment et ma dignitť, que les princes ne peuvent annuler, quand ils le voudraient, mon ‚me plaiderait ta cause. Mais, quoique tu sois dťvouť ŗ la mort, et que la sentence prononcťe ne puisse se rťvoquer qu'en faisant grand tort ŗ notre honneur, cependant je te favoriserai tant que je le pourrai. Ainsi, marchand, je t'accorderai ce jour pour chercher ton salut dans un secours bienfaisant: emploie tous les amis que tu as dans …phŤse; mendie ou emprunte, pour recueillir la somme, et vis; sinon ta mort est inťvitable.--GeŰlier, prends-le sous ta garde. LE GEOLIER.--Oui, seigneur. (Le duc sort avec sa suite.) ∆G…ON.--∆gťon se retire sans espoir et sans secours et sa mort n'est que diffťrťe. (Ils sortent.) SC»NE II Place publique. ANTIPHOLUS ET DROMIO _de Syracuse_; UN MARCHAND. LE MARCHAND.--Ayez donc soin de rťpandre que vous Ítes d'…pidaure, si vous ne voulez pas voir tous vos biens confisquťs. Ce jour mÍme, un marchand de Syracuse vient d'Ítre arrÍtť, pour avoir abordť ici, et, n'ťtant pas en ťtat de racheter sa vie, il doit pťrir, d'aprŤs les statuts de la ville, avant que le soleil fatiguť se couche ŗ l'occident.--Voilŗ votre argent, que j'avais en dťpŰt. ANTIPHOLUS, _ŗ Dromio_.--Va le porter au Centaure, oý nous logeons, Dromio, et tu attendras lŗ que j'aille t'y rejoindre. Dans une heure il sera temps de dÓner: jusque-lŗ, je vais jeter un coup d'oeil sur les coutumes de la ville, parcourir les marchands, considťrer les ťdifices; aprŤs quoi je retournerai prendre quelque repos dans mon hŰtellerie: car je suis las et excťdť de ce long voyage. Va-t'en. DROMIO.--Plus d'un homme vous prendrait volontiers au mot, et s'en irait en effet, en ayant un si bon moyen de partir. (Dromio sort.) ANTIPHOLUS, _au marchand_.--C'est un valet de confiance, monsieur, qui souvent, lorsque je suis accablť par l'inquiťtude et la mťlancolie, ťgaye mon humeur par ses propos plaisants.--Allons, voulez-vous vous promener avec moi dans la ville, et venir ensuite ŗ mon auberge dÓner avec moi? LE MARCHAND.--Je suis invitť, monsieur, chez certains nťgociants, dont j'espŤre de grands bťnťfices. Je vous prie de m'excuser.--Mais bientŰt, si vous voulez, ŗ cinq heures, je vous rejoindrai sur la place du marchť, et de ce moment je vous tiendrai fidŤle compagnie jusqu'ŗ l'heure du coucher: mes affaires pour cet instant m'appellent loin de vous. ANTIPHOLUS.--Adieu donc, jusqu'ŗ tantŰt.--Moi, je vais aller me perdre, et errer Áŗ et lŗ pour voir la ville. LE MARCHAND.--Monsieur, je vous souhaite beaucoup de satisfaction. (Le marchand sort.) ANTIPHOLUS _seul_.--Celui qui me souhaite la satisfaction me souhaite ce que je ne puis obtenir. Je suis dans le monde comme une goutte d'eau qui cherche dans l'Ocťan une autre goutte; et qui, ne pouvant y retrouver sa compagne, se perd elle-mÍme errante et inaperÁue. C'est ainsi que moi, infortunť, pour trouver une mŤre et un frŤre, je me perds moi-mÍme en les cherchant. (Entre Dromio d'…phŤse.) ANTIPHOLUS, _apercevant Dromio_.--Voici l'almanach de mes dates--Comment? par quel hasard es-tu de retour si tŰt? DROMIO _d'…phŤse._--De retour si tŰt, dites-vous? je viens plutŰt trop tard. Le chapon brŻle, le cochon de lait tombe de la broche: l'horloge a dťjŗ sonnť douze coups: et ma maÓtresse a fait sonner une heure sur ma joue, tant elle est enflammťe de colŤre, parce que le dÓner refroidit. Le dÓner refroidit parce que vous n'arrivez point au logis; vous n'arrivez point au logis, parce que vous n'avez point d'appťtit; vous n'avez point d'appťtit, parce que vous avez bien dťjeunť: mais nous autres, qui savons ce que c'est que de jeŻner et de prier, nous faisons pťnitence aujourd'hui de votre faute. ANTIPHOLUS.--Gardez votre souffle, monsieur, et rťpondez ŗ ceci, je vous prie: oý avez-vous laissť l'argent que je vous ai remis? DROMIO.--Oh!--Quoi? les six sous que j'ai eus mercredi dernier, pour payer au sellier la croupiŤre de ma maÓtresse?--C'est le sellier qui les a eus, monsieur; je ne les ai pas gardťs. ANTIPHOLUS.--Je ne suis pas en ce moment d'humeur ŗ plaisanter: dis-moi, et sans tergiverser, oý est l'argent? Nous sommes ťtrangers ici; comment oses-tu te fier ŗ d'autres qu'ŗ toi, pour garder une si grosse somme? DROMIO.--Je vous en prie, monsieur, plaisantez quand vous serez assis ŗ table pour dÓner: j'accours en poste vous chercher de la part de ma maÓtresse: si je retourne sans vous, je serai un vrai poteau de boutique[2]: car elle m'ťcrira votre faute sur le museau.--Il me semble que votre estomac devrait, comme le mien, vous tenir lieu d'horloge, et vous rappeler au logis, sans autre messager. [Note 2: _I come in post, I return, I shall be in post indeed_. L'ťquivoque roule sur le mot _post_, qui veut dire _poste_ dans le premier vers et _poteau_ dans le second. Avant que l'ťcriture fŻt un talent universel, il y avait, dans les boutiques, un poteau sur lequel on notait avec de la craie les marchandises dťbitťes. La maniŤre dont les boulangers comptent encore le pain qu'ils fournissent a quelque chose d'analogue ŗ cet ancien usage.] ANTIPHOLUS.--Allons, allons, Dromio, ces plaisanteries sont hors de raison. Garde-les pour une heure plus gaie que celle-ci: oý est l'or que j'ai confiť ŗ ta garde? DROMIO.--A moi, monsieur? mais vous ne m'avez point donnť d'or! ANTIPHOLUS.--Allons, monsieur le coquin, laissez-lŗ vos folies, et dites-moi comment vous avez disposť de ce dont je vous ai chargť? DROMIO.--Tout ce dont je suis chargť, monsieur, c'est de vous ramener du marchť chez vous, au Phťnix, pour dÓner: ma maÓtresse et sa soeur vous attendent. ANTIPHOLUS.--Aussi vrai que je suis un chrťtien, veux-tu me rťpondre et me dire en quel lieu de sŻretť tu as dťposť mon argent, ou je vais briser ta tÍte folle, qui s'obstine au badinage, quand je n'y suis pas disposť, oý sont les mille _marcs_, que tu as reÁus de moi? DROMIO.--J'ai reÁu de vous quelques _marques_[3] sur ma tÍte, quelques autres de ma maÓtresse sur mes ťpaules; mais pas mille marques entre vous deux.--Et si je les rendais ŗ Votre Seigneurie, peut-Ítre que vous ne les supporteriez pas patiemment. [Note 3: _Mark_, marc et marque. Le calembour est plus exact en anglais.] ANTIPHOLUS.--Les marcs de ta maÓtresse! et quelle maÓtresse as-tu, esclave? DROMIO.--La femme de Votre Seigneurie, ma maÓtresse, qui est au Phťnix; celle qui jeŻne jusqu'ŗ ce que vous veniez dÓner, et qui vous prie de revenir au plus tŰt pour dÓner. ANTIPHOLUS.--Comment! tu veux ainsi me railler en face, aprŤs que je te l'ai dťfendu?..... Tiens, prends cela, monsieur le coquin. DROMIO.--Eh! que voulez-vous dire, monsieur? Au nom de Dieu, tenez vos mains tranquilles; ou, si vous ne le voulez pas, moi, je vais avoir recours ŗ mes jambes. (Dromio s'enfuit.) ANTIPHOLUS.--Sur ma vie, par un tour ou un autre, ce coquin se sera laissť escamoter tout mon argent. On dit que cette ville est remplie[4] de fripons, d'escamoteurs adroits, qui abusent les yeux; de sorciers travaillant dans l'ombre, qui changent l'esprit; de sorciŤres assassines de l'‚me, qui dťforment le corps; de trompeurs dťguisťs, de charlatans babillards, et de mille autres crimes autorisťs. Si cela est ainsi, je n'en partirai que plus tŰt. Je vais aller au Centaure, pour chercher cet esclave: je crains bien que mon argent ne soit pas en sŻretť. (Il sort.) [Note 4: C'ťtait le reproche que les anciens faisaient ŗ cette ville, qu'ils appelaient proverbialement (Grec: Ephesia alexipharmaka.)] FIN DU PREMIER ACTE. ACTE DEUXI»ME SC»NE I Place publique. ADRIANA ET LUCIANA _entrent_ ADRIANA.--Ni mon mari ni l'esclave que j'avais chargť de ramener promptement son maÓtre ne sont revenus. SŻrement, Luciana, il est deux heures. LUCIANA.--Peut-Ítre que quelque commerÁant l'aura invitť, et il sera allť du marchť dÓner quelque part. ChŤre soeur, dÓnons, et ne vous agitez pas. Les hommes sont maÓtres de leur libertť. Il n'y a que le temps qui soit leur maÓtre; et, quand ils voient le temps, ils s'en vont ou ils viennent. Ainsi, prenez patience, ma chŤre soeur. ADRIANA.--Eh! pourquoi leur libertť serait-elle plus ťtendue que la nŰtre? LUCIANA.--Parce que leurs affaires sont toujours hors du logis. ADRIANA.--Et voyez, lorsque je lui en fais autant, il le prend mal. LUCIANA.--Oh! sachez qu'il est la bride de votre volontť. ADRIANA.--Il n'y a que des ‚nes qui se laissent brider ainsi. LUCIANA.--Une libertť rťcalcitrante est frappťe par le malheur.--Il n'est rien sous l'oeil des cieux, sur la terre, dans la mer et dans le firmament, qui n'ait ses bornes.--Les animaux, les poissons et les oiseaux ailťs sont soumis ŗ leurs m‚les et sujets ŗ leur autoritť; les hommes, plus prŤs de la divinitť, maÓtres de toutes les crťatures, souverains du vaste monde et de l'humide empire des mers, douťs d'‚mes et d'intelligences, d'un rang bien au-dessus des poissons et des oiseaux, sont les maÓtres de leurs femmes et leurs seigneurs: que votre volontť soit donc soumise ŗ leur convenance. ADRIANA.--C'est cette servitude qui vous empÍche de vous marier? LUCIANA.--Non pas cela, mais les embarras du lit conjugal. ADRIANA.--Mais, si vous ťtiez mariťe, il faudrait supporter l'autoritť. LUCIANA.--Avant que j'apprenne ŗ aimer, je veux m'exercer ŗ obťir. ADRIANA.--Et si votre mari allait faire quelque incartade ailleurs? LUCIANA.--Jusqu'ŗ ce qu'il fŻt revenu ŗ moi, je prendrais patience. ADRIANA.--Tant que la patience n'est pas troublťe, il n'est pas ťtonnant qu'elle reste calme. Il est aisť d'Ítre doux quand rien ne contrarie. Une ‚me est-elle malheureuse, ťcrasťe sous l'adversitť, nous lui conseillons d'Ítre tranquille, quand nous l'entendons gťmir. Mais si nous ťtions chargťs du mÍme fardeau de douleur, nous nous plaindrions nous-mÍmes tout autant, ou plus encore. Ainsi, vous qui n'avez point de mťchant mari qui vous chagrine, vous prťtendez me consoler en me recommandant une patience qui ne donne aucun secours; mais si vous vivez assez pour vous voir traitťe comme moi, vous mettrez bientŰt de cŰtť cette absurde patience. LUCIANA.--Allons, je veux me marier un jour, ne fŻt-ce que pour en essayer.--Mais voilŗ votre esclave qui revient; votre mari n'est pas loin. (Entre Dromio d'…phŤse.) ADRIANA.--Eh bien! ton maÓtre tardif est-il sous la main[5]? DROMIO.--Vraiment, il est sous deux mains avec moi. C'est ce que peuvent attester mes deux oreilles. [Note 5: _At hand_, c'est-ŗ-dire sur tes pas.] ADRIANA.--Dis-moi, lui as-tu parlť? sais-tu son intention? DROMIO.--Oui, oui; il a expliquť son intention sur mon oreille. Maudite soit sa main; j'ai eu peine ŗ la comprendre! LUCIANA.--A-t-il donc parle d'une maniŤre si ťquivoque, que tu n'aies pu sentir sa pensťe? DROMIO.--Oh! il a parlť si clair, que je n'ai senti que trop bien ses coups; et malgrť cela si confusťment, que je les ai ŗ peine _compris_[6]. [Note 6: _Stand_ et _under stand. Stand under_, Ítre dessous et comprendre.] ADRIANA.--Mais, dis-moi, je te prie, est-il en chemin pour revenir au logis? Il paraÓt qu'il se soucie bien de plaire ŗ sa femme! DROMIO.--Tenez, ma maÓtresse, mon maÓtre est sŻrement de l'ordre du croissant. ADRIANA.--De l'ordre du croissant, coquin! DROMIO.--Je ne veux pas dire qu'il soit dťshonorť; mais, certes, il est tout ŗ fait lunatique[7].--Quand je l'ai pressť de venir dÓner, il m'a redemandť mille marcs d'or.--_Il est temps de dÓner_, lui ai-je dit.--_Mon or_, a-t-il rťpondu.--_Vos viandes brŻlent_, ai-je dit.--_Mon or_, a-t-il dit.--_Allez-vous venir?_ ai-je dit.--_Mon or_, a-t-il dit, _oý sont les mille marcs que je t'ai donnťs, scťlťrat_?--_Le cochon de lait_, ai-je dit, _est tout brŻlť_.--_Mon or_, dit-il.--_Ma maÓtresse, monsieur_, ai-je dit.--_Qu'elle aille se pendre ta maÓtresse! je ne connais point ta maÓtresse! au diable ta maÓtresse_! [Note 7: Nous avons traduit _horn mad_ par: Ítre de l'ordre du croissant, pour donner le sens de ce jeu de mots dont voici le texte: DROM. _My master is horn mad,_ ADR. _Horn mad, thou villain!_ DROM. _I mean not cuckhold mad, but sure he is stark mad_.] LUCIANA.--Qui a dit cela? DROMIO.--C'est mon maÓtre qui l'a dit. _Je ne connais,_ dit-il, _ni maison, ni femme, ni maÓtresse_.--En sorte que, gr‚ce ŗ lui, je vous rapporte sur mes ťpaules le message dont ma langue devait naturellement Ítre chargťe; car, pour conclure, il m'a battu sur la place. ADRIANA.--Retourne vers lui, misťrable, et ramŤne-le au logis. DROMIO.--Oui, retourne vers lui, pour te faire renvoyer encore au logis avec des coups! Au nom de Dieu! envoyez-y quelque autre messager. ADRIANA.--Retourne, esclave, ou je vais te fendre la tÍte en quatre[8]. [Note 8: _I will break thy pate a cross_, DROM. _And he will bless that cross with other beating_.] DROMIO.--Et lui bťnira cette croix avec d'autres coups; entre vous deux j'aurai une tÍte bien sainte. ADRIANA.--Va-t'en, rustre babillard; ramŤne ton maÓtre ŗ la maison. DROMIO.--Suis-je aussi rond avec vous que vous l'Ítes avec moi, pour que vous me repoussiez comme une balle de paume? Vous me repoussez vers lui et lui me repoussera de nouveau vers vous. Si je continue longtemps ce service, vous ferez bien de me recouvrir de cuir[9]. (Il sort.) [Note 9: On comprend que _rond_ est ici synonyme de _sphťrique_.] LUCIANA.--Fi! comme l'impatience rembrunit votre visage! ADRIANA.--Il faut donc qu'il gratifie de sa compagnie ses favorites, tandis que moi je languis au logis aprŤs un sourire. Le temps importun a-t-il ravi la beautť sťduisante de mon pauvre visage? Alors, c'est lui qui l'a flťtri. Ma conversation est-elle ennuyeuse, mon esprit stťrile? Si je n'ai plus une conversation vive et piquante, c'est sa duretť pire que celle du marbre qui l'a ťmoussťe. Leur brillante parure attire-t-elle ses affections? Ce n'est pas ma faute: il est le maÓtre de mes biens. Quels ravages y a-t-il en moi qu'il n'ait causťs? Oui, c'est lui seul qui a altťrť mes traits.--Un regard joyeux ranimerait bientŰt ma beautť; mais, cerf indomptable, il franchit les palissades et va chercher p‚ture loin de ses foyers. Pauvre infortunťe, je ne suis plus pour lui qu'une vieille surannťe. LUCIANA.--Jalousie qui se dťchire elle-mÍme! Fi donc! chassez-la d'ici. ADRIANA.--Des folles insensibles peuvent seules supporter de pareils torts. Je sais que ses yeux portent ailleurs leur hommage; autrement, quelle cause l'empÍcherait d'Ítre ici? Ma soeur, vous le savez, il m'a promis une chaÓne.--PlŻt ŗ Dieu que ce fŻt la seule chose qu'il me refus‚t! il ne dťserterait pas alors sa couche lťgitime. Je vois que le bijou le mieux ťmaillť perd son lustre; que si l'or rťsiste longtemps au frottement, ŗ la fin il s'use sous le toucher; de mÍme, il n'est point d'homme, ayant un nom, que la faussetť et la corruption ne dťshonorent. Puisque ma beautť n'a plus de charme ŗ ses yeux, j'userai dans les larmes ce qui m'en reste, et je mourrai dans les pleurs. LUCIANA.--Que d'amantes insensťes se dťvouent ŗ la jalousie furieuse! SC»NE II Place publique. _Entre_ ANTIPHOLUS _de Syracuse_. ANTIPHOLUS.--L'or que j'ai remis ŗ Dromio est dťposť en sŻretť au Centaure, et mon esclave soigneux est allť errer dans la ville ŗ la quÍte de son maÓtre... D'aprŤs mon calcul et le rapport de l'hŰte, je n'ai pu parler ŗ Dromio depuis que je l'ai envoyť du marchť... Mais, le voilŗ qui vient. (_Entre Dromio de Syracuse_.) Eh bien! monsieur, avez-vous perdu votre belle humeur? Si vous aimez les coups, vous n'avez qu'ŗ recommencer votre badinage avec moi. Vous ne connaissiez pas le Centaure? vous n'aviez pas reÁu d'argent? votre maÓtresse vous avait envoyť me chercher pour diner? mon logement ťtait au Phťnix?--Aviez-vous donc perdu la raison pour me faire des rťponses si extravagantes? DROMIO.--Quelles rťponses, monsieur? Quand vous ai-je parlť ainsi? ANTIPHOLUS.--Il n'y a qu'un moment, ici mÍme; il n'y a pas une demi-heure. DROMIO.--Je ne vous ai pas revu depuis que vous m'avez envoyť d'ici au Centaure, avec l'or que vous m'aviez confiť. ANTIPHOLUS.--Coquin, tu m'as niť avoir reÁu ce dťpŰt, et tu m'as parlť d'une maÓtresse et d'un dÓner, ce qui me dťplaisait fort, comme tu l'as senti, j'espŤre. DROMIO.--Je suis fort aise de vous voir dans cette veine de bonne humeur: mais que veut dire cette plaisanterie? Je vous en prie, mon maÓtre, expliquez-vous. ANTIPHOLUS.--Quoi! veux-tu me railler encore, et me braver en face? Penses-tu que je plaisante? Tiens, prends ceci et cela. (Il le frappe.) DROMIO.--ArrÍtez, monsieur, au nom de Dieu! votre badinage devient un jeu sťrieux. Quelle est votre raison pour me frapper ainsi? ANTIPHOLUS.--Parce que je te prends quelquefois pour mon bouffon, et que je cause familiŤrement avec toi, ton insolence se moquera de mon affection, et interrompra sans faÁon mes heures sťrieuses! Quand le soleil brille, que les moucherons fol‚trent; mais dŤs qu'il cache ses rayons, qu'ils se glissent dans les crevasses des murs. Quand tu voudras plaisanter avec moi, ťtudie mon visage, et conforme tes maniŤres ŗ ma physionomie, ou bien je te ferai entrer ŗ force de coups cette mťthode dans ta calotte. DROMIO.--Dans ma calotte, dites-vous? Si vous cessez votre batterie, je prťfŤre que ce soit une tÍte; mais si vous faites durer longtemps ces coups, il faudra me procurer une calotte pour ma tÍte, et la mettre ŗ l'abri, sans quoi il me faudra chercher mon esprit dans mes ťpaules.--Mais, de gr‚ce, monsieur, pourquoi me battez-vous? ANTIPHOLUS.--Ne le sais-tu pas? DROMIO.--Je ne sais rien, monsieur, si ce n'est que je suis battu. ANTIPHOLUS.--Te dirai-je pourquoi? DROMIO.--Oui, monsieur, et le parce que. Car on dit que tout pourquoi a son parce que. ANTIPHOLUS.--D'abord, pour avoir osť me railler; et pourquoi encore?--Pour venir me railler une seconde fois. DROMIO.--A-t-on jamais battu un homme si mal ŗ propos, quand dans le pourquoi et le parce que, il n'y a ni rime ni raison?--Allons, monsieur, je vous rends gr‚ces. ANTIPHOLUS.--Tu me remercies, et pourquoi? DROMIO.--Eh! mais, monsieur, pour quelque chose que vous m'avez donnť pour rien[10]. [Note 10: Il veut parler des coups qu'il a reÁus sans raison.] ANTIPHOLUS.--Je te payerai bientŰt cela, en te donnant rien pour quelque chose.--Mais, dis-moi, est-ce l'heure de dÓner? DROMIO.--Non, monsieur; je crois que le dÓner manque de ce que j'ai..... ANTIPHOLUS.--Voyons, qu'est-ce?... DROMIO.--De sauce[11]. [Note 11: _Basting_, du verbe _baste_, arroser et rosser.] ANTIPHOLUS.--Eh bien! alors, il sera sec. DROMIO.--Si cela est, Monsieur, je vous prie de n'y pas goŻter. ANTIPHOLUS.--Et la raison? DROMIO.--De peur qu'il ne vous mette en colŤre, et ne me vaille une autre sauce de coups de b‚tons[12]. [Note 12: C'est toujours le mot _basting_ qui fournit l'ťquivoque.] ANTIPHOLUS.--Allons, apprends ŗ plaisanter ŗ propos; il est un temps pour toute chose. DROMIO.--J'aurais niť cela, avant que vous fussiez devenu si colŤre. ANTIPHOLUS.--D'aprŤs quelle rŤgle? DROMIO.--Diable, monsieur! d'aprŤs une rŤgle aussi simple que la tÍte chauve du vieux pŤre le Temps lui-mÍme. ANTIPHOLUS.--Voyons-la. DROMIO.--Il n'y a point de temps pour recouvrer ses cheveux, quand l'homme devient naturellement chauve. ANTIPHOLUS.--Ne peut-il pas les recouvrer par _amende et recouvrement_? DROMIO.--Oui, en payant une amende pour porter perruque, et en recouvrant les cheveux qu'a perdus un autre homme. ANTIPHOLUS.--Pourquoi le temps est-il si pauvre en cheveux, puisque c'est une sťcrťtion si abondante? DROMIO.--Parce que c'est un don qu'il prodigue aux animaux; et ce qu'il Űte aux hommes en cheveux il le leur rend en esprit. ANTIPHOLUS.--Comment! mais il y a bien des hommes qui ont plus de cheveux que d'esprit. DROMIO.--Aucun de ces hommes-lŗ qui n'ait l'esprit de perdre les cheveux. ANTIPHOLUS.--Quoi donc! tu as dit tout ŗ l'heure que les hommes dont les cheveux sont abondants sont de bonnes gens sans esprit. DROMIO.--Plus un homme est simple, plus il perd vite. Toutefois il perd avec une sorte de gaietť. ANTIPHOLUS.--Pour quelle raison? DROMIO.--Pour deux raisons, et deux bonnes. ANTIPHOLUS.--Non, ne dis pas _bonnes_, je t'en prie. DROMIO.--Alors, pour deux raisons sŻres. ANTIPHOLUS.--Non, pas _sŻres_ dans une chose fausse. DROMIO.--Alors, pour des raisons certaines. ANTIPHOLUS.--Nomme-les. DROMIO.--L'une pour ťpargner l'argent que lui coŻterait sa frisure; l'autre, afin qu'ŗ dÓner ses cheveux ne tombent pas dans sa soupe. ANTIPHOLUS.--Tu cherches ŗ prouver, n'est-ce pas, qu'il n'y a pas de temps pour tout? DROMIO.--Malepeste! Et ne l'ai-je pas fait, monsieur? et surtout n'ai-je pas prouvť qu'il n'y a pas de temps pour recouvrer les cheveux qu'on a perdus naturellement? ANTIPHOLUS.--Mais tu n'as pas donnť une raison solide, pour prouver qu'il n'y a aucun temps pour les recouvrer. DROMIO.--Je vais y remťdier. Le Temps lui-mÍme est chauve; ainsi donc, jusqu'ŗ la fin du monde, il aura un cortŤge d'hommes chauves. ANTIPHOLUS.--Je savais que la conclusion serait chauve. Mais, doucement, qui nous fait signe lŗ-bas?... (Entrent Adriana, Luciana.) ADRIANA.--Oui, oui, Antipholus; prends un air ťtonnť et mťcontent: tu rťserves tes doux regards pour quelque autre maÓtresse: je ne suis plus ton Adriana, ton ťpouse. Il fut un temps oý, de toi-mÍme, tu faisais serment qu'il n'ťtait point de musique aussi agrťable ŗ ton oreille que le son de ma voix; point d'objet aussi charmant ŗ tes yeux que mes regards; point de toucher aussi flatteur pour ta main que lorsqu'elle touchait la mienne; point de mets dťlicieux qui te plŻt que ceux que je te servais. Comment arrive-t-il aujourd'hui, mon ťpoux, oh! comment arrive-t-il que tu te sois ainsi ťloignť de toi-mÍme? Oui, je dis ťloignť de toi-mÍme, l'ťtant de moi qui, ťtant incorporťe avec toi, insťparable de toi, suis plus que la meilleure partie de toi-mÍme. Ah! ne te sťpare pas violemment de moi; car sois sŻr, mon bien-aimť, qu'il te serait aussi aisť de laisser tomber une goutte d'eau dans l'ocťan, et de la puiser ensuite sans mťlange, sans addition ni diminution quelconque, qu'il te l'est de te sťparer de moi, sans m'entraÓner aussi. Oh! combien ton coeur serait blessť au vif, si tu entendais seulement dire que je suis infidŤle, et que ce corps, qui t'est consacrť, est souillť par une grossiŤre voluptť. Ne me cracherais-tu pas au visage? ne me repousserais-tu pas? ne me jetterais-tu pas le nom de mari ŗ la face? ne dťchirerais-tu pas la peau peinte de mon front de courtisane? n'arracherais-tu pas l'anneau nuptial ŗ ma main perfide? et ne le briserais-tu pas avec le serment du divorce? Je sais que tu le peux: eh bien! fais-le donc dŤs ce moment..... Je suis couverte d'une tache adultŤre; mon sang est souillť du crime de l'impudicitť; car si nous deux ne formons qu'une seule chair, et que tu sois infidŤle, je reÁois le poison mÍlť dans tes veines, et je suis prostituťe par ta contagion.--Sois constant et fidŤle ŗ ta couche lťgitime, alors je vis sans souillure, et toi sans dťshonneur. ANTIPHOLUS.--Est-ce ŗ moi que vous parlez, belle dame? Je ne vous connais pas. Il n'y a pas deux heures que je suis dans …phŤse, aussi ťtranger ŗ votre ville qu'ŗ vos discours; et j'ai beau employer tout mon esprit pour ťtudier chacune de vos paroles, je ne puis comprendre un seul mot de ce que vous me dites. LUCIANA.--Fi! mon frŤre; comme le monde est changť pour vous! Quand donc avez-vous jamais traitť ainsi ma soeur? Elle vous a envoyť chercher par Dromio pour dÓner. ANTIPHOLUS.--Par Dromio? DROMIO.--Par moi? ADRIANA.--Par toi. Et voici la rťponse que tu m'as rapportťe, qu'il t'avait souffletť et qu'en te battant il avait reniť ma maison pour la sienne, et moi pour sa femme. ANTIPHOLUS, _ŗ Dromio_.--Avez-vous parlť ŗ cette dame? Quel est donc le noeud et le but de cette intrigue? DROMIO.--Moi, monsieur! je ne l'ai jamais vue jusqu'ŗ ce moment. ANTIPHOLUS.--Coquin, tu mens: car tu m'as rťpťtť sur la place les propres paroles qu'elle vient de dire. DROMIO.--Jamais je ne lui ai parlť de ma vie. ANTIPHOLUS.--Comment se fait-il donc qu'elle nous appelle ainsi par nos noms, ŗ moins que ce ne soit par inspiration? ADRIANA.--Qu'il sied mal ŗ votre gravitť de feindre si grossiŤrement, de concert avec votre esclave, et de l'exciter ŗ me contrarier! Je veux bien que vous ayez le droit de me nťgliger; mais n'aggravez pas cet outrage par le mťpris.--Allons, je vais m'attacher ŗ ton bras: tu es l'ormeau, mon mari, et moi je suis la vigne[13], dont la faiblesse mariťe ŗ ta force partage ta vigueur: si quelque objet te dťtache de moi, ce ne peut Ítre qu'une vile plante, un lierre usurpateur, ou une mousse inutile, qui, faute d'Ítre ťlaguťe, pťnŤtre dans ta sŤve, l'infecte et vit aux dťpens de ton honneur. [Note 13: _Lenta qui velut asoitas Vitis implicat arbores, Implicabitur in tuum Complexum_..... CATULLE.] ANTIPHOLUS.--C'est ŗ moi qu'elle parle! elle me prend pour le sujet de ses discours. Quoi! l'aurais-je ťpousťe en songe? ou suis-je endormi en ce moment, et m'imaginai-je entendre tout ceci? Quelle erreur trompe nos oreilles et nos yeux?--Jusqu'ŗ ce que je sois ťclairci de cette incertitude, je veux entretenir l'erreur qui m'est offerte. LUCIANA.--Dromio, va dire aux domestiques de servir le dÓner. DROMIO.--Oh! si j'avais mon chapelet! Je me signe comme un pťcheur. C'est ici le pays des fťes. O malice des malices! Nous parlons ŗ des fantŰmes, ŗ des hiboux, ŗ des esprits fantasques. Si nous ne leur obťissons pas, voici ce qui en arrivera: ils nous suceront le sang ou nous pinceront jusqu'ŗ nous faire des bleus et des noirs. LUCIANA.--Que marmottes-tu lŗ en toi-mÍme, au lieu de rťpondre, Dromio, frelon, limaÁon, fainťant, sot que tu es? DROMIO.--Je suis mťtamorphosť, mon maÓtre; n'est-ce pas? ANTIPHOLUS.--Je crois que tu l'es, dans ton ‚me, et je le suis aussi. DROMIO.--Ma foi, mon maÓtre, tout, l'‚me et le corps. ANTIPHOLUS.--Tu conserves ta forme ordinaire. DROMIO.---Non; je suis un singe. LUCIANA.--Si tu es changť en quelque chose, c'est en ‚ne. DROMIO.--Cela est vrai: elle me mŤne par le licou, et j'aspire ŗ paÓtre le gazon.--C'est vrai, je suis un ‚ne; autrement pourrait-il se faire que je ne la connusse pas aussi bien qu'elle me connaÓt? ADRIANA.--Allons, allons, je ne veux plus Ítre si folle que de me mettre le doigt dans l'oeil et de pleurer, tandis que le valet et le maÓtre se moquent de mes maux en riant.--Allons, monsieur, venez dÓner: Dromio, songe ŗ garder la porte.--Mon mari, je dÓnerai en haut avec vous aujourd'hui, et je vous forcerai ŗ faire la confession de tous vos tours.--Toi, drŰle, si quelqu'un vient demander ton maÓtre, dis qu'il dÓne dehors, et ne laisse entrer ‚me qui vive.--Venez, ma soeur.--Dromio, fais bien ton devoir de portier. ANTIPHOLUS.--Suis-je sur la terre, ou dans le ciel, ou dans l'enfer? Suis-je endormi ou ťveillť? fou ou dans mon bon sens? Connu de celles-ci, et dťguisť pour moi-mÍme, je dirai comme elles, je le soutiendrai avec persťvťrance, et me laisserai aller ŗ l'aventure dans ce brouillard. DROMIO.--Mon maÓtre, ferai-je le portier ŗ la porte? ANTIPHOLUS.--Oui, ne laisse entrer personne, si tu ne veux que je te casse la tÍte. LUCIANA.--Allons, venez, Antipholus. Nous dÓnons trop tard. (Ils sortent.) FIN DU DEUXI»ME ACTE. ACTE TROISI»ME SC»NE I On voit la rue qui passe devant la maison d'Antipholus d'…phŤse. ANTIPHOLUS _d'…phŤse_, DROMIO _d'…phŤse_, ANGELO ET BALTASAR. ANTIPHOLUS _d'…phŤse._--HonnÍte seigneur Angelo, il faut que vous nous excusiez tous: ma femme est de mauvaise humeur, quand je ne suis pas exact. Dites que je me suis amusť dans votre boutique ŗ voir travailler ŗ sa chaÓne, et que demain vous l'apporterez ŗ la maison.--Mais voici un maraud qui voudrait me soutenir en face qu'il m'a joint sur la place et que je l'ai battu, que je l'ai chargť de mille marcs en or, et que j'ai reniť ma maison et ma femme.--Ivrogne que tu es, que voulais-tu dire par lŗ? DROMIO _d'…phŤse._--Vous direz ce que voudrez, monsieur; mais je sais ce que je sais. J'ai les marques de votre main pour prouver que vous m'avez battu sur la place. Si ma peau ťtait un parchemin et vos coups de l'encre, votre propre ťcriture attesterait ce que je pense. ANTIPHOLUS _d'…phŤse._--Moi, je pense que tu es un ‚ne. DROMIO.--Peste! il y paraÓt aux mauvais traitements que j'essuie et aux coups que je supporte. Je devrais rťpondre ŗ un coup de pied par un coup de pied, et ŗ ce compte vous vous tiendriez ŗ l'abri de mes talons, et vous prendriez garde ŗ l'‚ne. ANTIPHOLUS.--Vous Ítes triste, seigneur Baltasar. Je prie Dieu que notre bonne chŤre rťponde ŗ ma bonne volontť et au bon accueil que vous recevrez ici. BALTASAR.--Je fais peu de cas de votre bonne chŤre, monsieur, et beaucoup de votre bon accueil. ANTIPHOLUS.--Oh! seigneur Baltasar, chair ou poisson, une table pleine de bon accueil vaut ŗ peine un bon plat. BALTASAR.--La bonne chŤre est commune, monsieur; on la trouve chez tous les rustres. ANTIPHOLUS.--Et un bon accueil l'est encore plus; car, enfin, ce ne sont lŗ que des mots. BALTASAR.--Petite chŤre et bon accueil font un joyeux festin. ANTIPHOLUS.--Oui, pour un hŰte avare et un convive encore plus ladre. Mais, quoique mes provisions soient minces, acceptez-les de bonne gr‚ce: vous pouvez trouver meilleure chŤre, mais non offerte de meilleur coeur. --Mais, doucement; ma porte est fermťe. (_A Dromio_.) Va dire qu'on nous ouvre. DROMIO _appelant_.--Holŗ. Madeleine, Brigite, Marianne, Cťcile, Gillette, Jenny. DROMIO _de Syracuse, en dedans_.--Momon[14], cheval de moulin, chapon, faquin, idiot, fou, ou ťloigne-toi de la porte, ou assieds-toi sur le seuil. Veux-tu ťvoquer des filles que tu en appelles une telle quantitť ŗ la fois, quand une seule est dťjŗ une de trop? Allons, va-t'en de cette porte. [Note 14: Dans l'anglais _mome_. Ce mot doit son origine au mot franÁais _momon_, nom d'un jeu de dťs dont la rŤgle est d'observer un silence absolu; d'oý vient aussi le mot anglais _mum_, silence.] DROMIO _d'…phŤse.--_Quel bťlÓtre a-t-on fait notre portier?--Mon maÓtre attend dans la rue. DROMIO _de Syracuse_.--Qu'il retourne lŗ d'oý il vient, de peur qu'il ne prenne froid aux pieds. ANTIPHOLUS _d'…phŤse._--Qui donc parle lŗ dedans?--Holŗ! ouvrez la porte. DROMIO _de Syracuse_.--Fort bien, monsieur; je vous dirai quand je pourrai vous ouvrir, si vous voulez me dire pourquoi! ANTIPHOLUS _d'…phŤse_.--Pourquoi? pour me faire dÓner; je n'ai pas dÓnť aujourd'hui. DROMIO _de Syracuse_.--Et vous ne dÓnerez pas ici aujourd'hui: revenez quand vous pourrez. ANTIPHOLUS.--Qui es-tu donc pour me fermer la porte de ma maison? DROMIO _de Syracuse_.--Je suis portier pour le moment, monsieur, et mon nom est Dromio. DROMIO _d'…phŤse_.--Ah! fripon, tu m'as volť ŗ la fois mon nom et mon emploi. L'un ne m'a jamais fait honneur, et l'autre m'a attirť beaucoup de reproches. Si tu avais ťtť Dromio aujourd'hui, et que tu eusses ťtť ŗ ma place, tu aurais volontiers changť ta face pour un nom, ou ton nom pour celui d'un ‚ne. LUCE, _de l'intťrieur de la maison_.--Quel est donc ce vacarme que j'entends lŗ? Dromio, qui sont ces gens ŗ la porte? DROMIO _d'…phŤse.--_Fais donc entrer mon maÓtre, Luce. LUCE.--Non, certes: il vient trop tard; tu peux le dire ŗ ton maÓtre. DROMIO _d'…phŤse._--O seigneur! il faut que je rie.--ņ vous le proverbe. Dois-je placer mon b‚ton[15]? [Note 15: _Have at you with a proverb! shall I set my staff, Luce, Have at you with another, that is--when? can you tell_? Il paraÓt que ceci fait allusion ŗ quelque jeu de proverbe. Les commentateurs se taisent sur cet incomprťhensible passage.] LUCE.--En voici un autre; c'est-ŗ-dire, quand?--pouvez-vous le dire? DROMIO _de Syracuse_.--Si ton nom est Luce, Luce, tu lui as bien rťpondu. ANTIPHOLUS _d'…phŤse._--Entendez-vous, petite sotte? vous nous laisserez entrer, j'espŤre? LUCE.--Je pensais ŗ vous le demander. DROMIO _de Syracuse_.--Et vous avez dit non. DROMIO _d'…phŤse_.--Allons, c'est bien, bien frappť; c'est coup pour coup. ANTIPHOLUS _d'…phŤse_.--Allons, drŰlesse, laisse-moi entrer. LUCE.--Pourriez-vous dire au nom de qui? DROMIO _d'…phŤse_.--Mon maÓtre, frappez fort ŗ la porte. LUCE.--Qu'il frappe, jusqu'ŗ ce que sa main s'en sente. ANTIPHOLUS _d'…phŤse_.--Vous pleurerez de ce tour, petite sotte, quand je devrais jeter la porte ŗ bas. LUCE.--Comment fait-on tout ce bruit quand il y a un pilori dans la ville! ADRIANA, _de l'intťrieur de la maison_.--Qui donc fait tout ce vacarme ŗ la porte? DROMIO _de Syracuse_.--Sur ma parole, votre ville est troublťe par des garÁons bien dťsordonnťs. ANTIPHOLUS _d'…phŤse_.-- tes-vous lŗ, ma femme? Vous auriez pu venir un peu plus tŰt. ADRIANA.--Votre femme, monsieur le coquin?--Allons; ťloignez-vous de cette porte. DROMIO _d'…phŤse_.--Si vous ťtiez venu malade, monsieur, ce _coquin_-lŗ, ne s'en irait pas bien portant. ANGELO, _ŗ Antipholus d'…phŤse._--Il n'y a ici ni bonne chŤre, monsieur, ni bon accueil: nous voudrions bien avoir l'une ou l'autre. BALTASAR.--En discutant ce qui valait le mieux nous n'aurons ni l'un ni l'autre. DROMIO _d'…phŤse, ŗ Antipholus_.--Ces messieurs sont ŗ la porte, mon maÓtre; dites-leur donc d'entrer. ANTIPHOLUS.--Il y a quelque chose dans le vent qui nous empÍchera d'entrer. DROMIO _d'…phŤse.~_C'est ce que vous diriez, monsieur, si vos habits ťtaient lťgers. Votre cuisine est chaude lŗ dedans; et vous restez ici exposť au froid. Il y aurait de quoi rendre un homme furieux comme un cerf en rut, d'Ítre ainsi vendu et achetť. ANTIPHOLUS.--Va me chercher quelque chose, je briserai la porte. DROMIO _de Syracuse_.--Brisez quelque chose ici, et moi je vous briserai votre tÍte de fripon. DROMIO _d'…phŤse._--Un homme, peut briser une parole avec vous, monsieur, une parole n'est que du vent, et il peut vous la briser en face; pourvu qu'il ne la brise pas par derriŤre. DROMIO _de Syracuse_.--Il parait que tu as besoin de briser; allons, va-t'en d'ici, rustre. DROMIO _de …phŤse._--C'en est trop, va-t'en plutŰt! Je t'en prie, laisse-moi entrer... DROMIO _de Syracuse_.--Oui, quand les oiseaux n'auront plus de plumes, et les poissons plus de nageoires. ANTIPHOLUS _d'…phŤse_.--Allons, je veux entrer de force: va m'emprunter une grue. DROMIO _d'…phŤse_.--Une grue sans plumes[16], monsieur, est-ce lŗ ce que vous voulez dire? pour un poisson sans nageoires, voilŗ un oiseau sans plumes; si un oiseau peut nous faire entrer, maraud, nous plumerons un corbeau ensemble. [Note 16: _Crow_, en anglais, veut dire un corbeau et un levier. Nous nous sommes permis de substituer le mot de grue ŗ celui de corbeau pour rendre le jeu de mots, bien qu'on se serve rarement d'une grue pour ouvrir les portes.] ANTIPHOLUS.--Va vite me chercher une grue de fer. BALTASAR.--Prenez patience, monsieur: oh! n'en venez pas ŗ cette extrťmitť. Vous faites ici la guerre ŗ votre rťputation, et vous allez exposer ŗ l'atteinte des soupÁons l'honneur intact de votre ťpouse. Encore un mot:--Votre longue expťrience de sa sagesse, de sa chaste vertu, de plusieurs annťes de modestie, plaident en sa faveur, et vous commandent de supposer quelque raison qui vous est inconnue; n'en doutez pas, monsieur: si les portes se trouvent aujourd'hui fermťes pour vous, elle aura quelque excuse lťgitime ŗ vous donner: laissez-vous guider par moi, quittez ce lieu avec patience, et allons tous dÓner ensemble ŗ l'hŰtellerie du Tigre; sur le soir, revenez seul savoir la raison de cette conduite ťtrange. Si vous voulez entrer de force au milieu dŻ mouvement de la journťe, on fera lŗ-dessus de vulgaires commentaires. Les suppositions du public arriveront jusqu'ŗ votre rťputation encore sans tache, et survivront sur votre tombeau quand vous serez mort. Car la mťdisance vit hťrťditairement et s'ťtablit pour toujours lŗ oý elle prend une fois possession. ANTIPHOLUS _d'…phŤse_.--Vous l'emportez. Je vais me retirer tranquillement, et en dťpit de la joie, je prťtends Ítre gai.--Je connais une fille de charmante humeur, jolie et spirituelle, un peu ťcervelťe, et douce pourtant.--Nous dÓnerons lŗ: ma femme m'a souvent fait la guerre, mais sans sujet, je le proteste, ŗ propos de cette fille; nous irons dÓner chez elle.--Retournez chez vous, et rapportez la chaÓne.--Elle est finie ŗ l'heure qu'il est, j'en suis sŻr. Apportez-la, je vous prie, au Porc-…pic, car c'est lŗ oý nous allons. Je veux faire prťsent de cette chaÓne ŗ ma belle hŰtesse, ne fŻt-ce que pour piquer ma femme: mon cher ami, mon cher ami, dťpÍchez-vous: puisque ma maison refuse de me recevoir, j'irai frapper ailleurs, et nous verrons si l'on me rebutera de mÍme. ANGELO.--J'irai vous trouver ŗ ce rendez-vous dans quelque temps d'ici. ANTIPHOLUS.--Faites-le: cette plaisanterie me coŻtera quelques frais. (Ils sortent.) SC»NE II La maison d'Antipholus d'…phŤse. LUCIANA _paraÓt avec_ ANTIPHOLUS _de Syracuse_. LUCIANA.--Eh! serait-il possible que vous eussiez tout ŗ fait oubliť les devoirs d'un mari? Quoi, Antipholus, la haine viendra-t-elle, dŤs le printemps de l'amour, corrompre les sources de votre amour? L'amour, en commenÁant de b‚tir, menacera-t-il dťjŗ ruine? Si vous avez ťpousť ma soeur pour sa fortune, du moins, en considťration de sa fortune, traitez-la avec plus de douceur. Si vous aimez ailleurs, faites-le en secret; masquez votre amour perfide de quelque apparence de mystŤre, et que ma soeur ne le lise pas dans vos yeux. Que votre langue ne soit pas elle-mÍme le hťraut de votre honte; un tendre regard, de douces paroles, conviennent ŗ la dťloyautť; parez le vice de la livrťe de la vertu; conservez le maintien de l'innocence, quoique votre coeur soit coupable; apprenez au crime ŗ porter l'extťrieur de la saintetť; soyez perfide en silence: quel besoin a-t-elle de savoir vos fautes? Quel voleur est assez insensť pour se vanter de ses larcins? C'est une double injure de nťgliger votre lit et de le lui laisser deviner dans vos regards ŗ table. Il est pour le vice une sorte de renommťe b‚tarde qu'il peut se mťnager. Les mauvaises actions sont doublťes par les mauvaises paroles. Hťlas! pauvres femmes! Faites-nous croire au moins, puisqu'il est aisť de nous en faire accroire, que vous nous aimez. Si les autres ont le bras, montrez-nous du moins la manche, nous sommes asservies ŗ tous vos mouvements, et vous nous faites mouvoir comme vous voulez. Allons, mon cher frŤre, rentrez dans la maison; consolez ma soeur, rťjouissez-la, appelez-la votre ťpouse. C'est un saint mensonge que de manquer un peu de sincťritť, quand la douce voix de la flatterie dompte la discorde. ANTIPHOLUS _de Syracuse_.--Ma chŤre dame (car je ne sais pas votre nom; et j'ignore par quel prodige vous avez pu deviner le mien), votre science et votre bonne gr‚ce ne font de vous rien moins qu'une merveille du monde; vous Ítes une crťature divine: enseignez-moi, et ce que je dois penser, et ce que je dois dire. Manifestez ŗ mon intelligence grossiŤre, terrestre, ťtouffťe sous les erreurs, faible, lťgŤre et superficielle, le sens de l'ťnigme cachťe dans vos paroles obscures: pourquoi travaillez-vous contre la simple droiture de mon ‚me pour l'ťgarer dans des espaces inconnus?  tes-vous un dieu? Voulez-vous me crťer de nouveau? Transformez-moi donc, et je cťderai ŗ votre puissance. Mais si je suis bien moi, je sais bien alors que votre soeur ťplorťe n'est point mon ťpouse, et je ne dois aucun hommage ŗ sa couche. Je me sens bien plus, bien plus entraÓnť vers vous. Ah! ne m'attirez pas par vos chants, douce sirŤne, pour me noyer dans le dťluge de larmes que rťpand votre soeur; chante, enchanteresse, pour toi-mÍme; et je t'adorerai: dťploie sur l'onde argentťe ta chevelure adorťe, et tu seras le lit oý je me coucherai. Dans cette supposition brillante, je croirai que la mort est un bien pour celui qui a de tels moyens de mourir, que l'amour, cet Ítre lťger, se noie si elle s'enfonce sous l'eau. LUCIANA.--Quoi, Ítes-vous fou de me tenir ce discours? ANTIPHOLUS.--Non, je ne suis point fou, mais je suis confondu; je ne sais comment. LUCIANA.--Cette illusion vient de vos yeux. ANTIPHOLUS.--C'est pour avoir regardť de trop prŤs vos rayons, brillant soleil. LUCIANA.--Regardez ce que vous devez, et votre vue s'ťclaircira. ANTIPHOLUS.--Autant fermer les yeux, ma bien-aimťe, que de les tenir ouverts sur la nuit. LUCIANA.--Quoi! vous m'appelez votre bien-aimťe? Donnez ce nom ŗ ma soeur. ANTIPHOLUS.--ņ la soeur de votre soeur. LUCIANA.--Vous voulez dire ma soeur. ANTIPHOLUS.--Non: c'est vous-mÍme, vous la plus chŤre moitiť de moi-mÍme: l'oeil pur de mon oeil, le cher coeur de mon coeur; vous, mon aliment, ma fortune, et l'objet unique de mon tendre espoir; vous, mon ciel sur la terre, et tout le bien que j'implore du ciel. LUCIANA.--Ma soeur est tout cela, ou du moins devrait l'Ítre. ANTIPHOLUS.--Prenez vous-mÍme le nom de soeur, ma bien-aimťe, car c'est ŗ vous que j'aspire: c'est vous que je veux aimer, c'est avec vous que je veux passer ma vie. Vous n'avez point encore de mari; et moi, je n'ai point encore d'ťpouse: donnez-moi votre main. LUCIANA.--Oh! doucement, monsieur: arrÍtez, je vais aller chercher ma soeur, pour lui demander son agrťment. (Luciana sort.) (Entre Dromio de Syracuse.) ANTIPHOLUS _de Syracuse_.--Eh bien! Dromio? Oý cours-tu si vite? DROMIO.--Me connaissez-vous, monsieur? Suis-je bien Dromio? Suis-je votre valet, suis-je bien moi? ANTIPHOLUS.--Tu es Dromio, tu es mon valet; tu es toi-mÍme. DROMIO.--Je suis un ‚ne, je suis le valet d'une femme, et avec tout cela, moi. ANTIPHOLUS.--Comment, le valet d'une femme? Et comment, toi? DROMIO.--Ma foi, monsieur, outre que je suis moi, j'appartiens encore ŗ une femme; ŗ une femme qui me revendique, ŗ une femme qui me pourchasse, ŗ une femme qui veut m'avoir. ANTIPHOLUS.--Quels droits fait-elle valoir sur toi? DROMIO.--Eh! monsieur, le droit que vous rťclameriez sur votre cheval; elle prťtend me possťder comme une bÍte de somme: non pas que, si j'ťtais une bÍte, elle voulŻt m'avoir: mais c'est elle qui, ťtant une crťature fort bestiale, prťtend avoir des droits sur moi. ANTIPHOLUS.--Qui est-elle? DROMIO.--Un corps fort respectable: oui, une femme dont un homme ne peut parler sans dire: _sauf votre respect_. Je n'ai qu'un assez maigre bonheur dans cette union, et cependant c'est un mariage merveilleusement gras. ANTIPHOLUS.--Que veux-tu dire, un mariage merveilleusement gras? DROMIO.--Hť! oui, monsieur: c'est la fille de cuisine, elle est toute pleine de graisse: et je ne sais trop qu'en faire, ŗ moins que ce ne soit une lampe, pour me sauver loin d'elle ŗ sa propre clartť. Je garantis que ses habits, et le suif dont ils sont pleins chaufferaient un hiver de Pologne: si elle vit jusqu'au jugement dernier, elle brŻlera une semaine de plus que le monde entier. ANTIPHOLUS.--Quelle est la couleur de son teint? DROMIO.--Basanťe comme le cuir de mon soulier, mais sa figure n'est pas tenue aussi proprement. Pourquoi cela? Parce qu'elle transpire tellement, qu'un homme en aurait par-dessus les souliers. ANTIPHOLUS.--C'est un dťfaut que l'eau peut corriger. DROMIO.--Non, monsieur: c'est entrť dans la peau: le dťluge de Noť n'en viendrait pas ŗ bout. ANTIPHOLUS.--Quel est son nom? DROMIO.--Nell, monsieur; mais son nom et trois quarts[17], c'est-ŗ-dire qu'une aune et trois quarts ne suffiraient pas pour la mesurer d'une hanche ŗ l'autre. [Note 17: _Nell_ et _an ell_, une aune.] ANTIPHOLUS.--Elle porte donc quelque largeur? DROMIO.--Elle n'est pas plus longue de la tÍte aux pieds, que d'une hanche ŗ l'autre. Elle est sphťrique comme un globe: je pourrais ťtudier la gťographie sur elle. ANTIPHOLUS.--Dans quelle partie de son corps est situťe l'Irlande? DROMIO.--Ma foi, monsieur, dans les fesses: je l'ai reconnue aux marais. ANTIPHOLUS.--Oý est l'…cosse? DROMIO.--Je l'ai reconnue ŗ l'ariditť: elle est dans la paume de la main. ANTIPHOLUS.--Et la France? DROMIO.--Sur son front, armťe et retournťe, et faisant la guerre ŗ ses cheveux[18]. [Note 18: C'est-ŗ-dire qu'elle a le front couvert de boutons, l'un des symptŰmes de la maladie appelťe _morbus gallicus_.] ANTIPHOLUS.--Et l'Angleterre? DROMIO.--J'ai cherchť les rochers de craie: mais je n'ai pu y reconnaÓtre aucune blancheur: je conjecture, qu'elle pourrait Ítre sur son menton, d'aprŤs le flux salť qui coulait entre elle et la France. ANTIPHOLUS.--Et l'Espagne? DROMIO.--Ma foi, je ne l'ai pas vue: mais je l'ai sentie, ŗ la chaleur de l'haleine. ANTIPHOLUS.--Oý sont l'Amťrique, les Indes? DROMIO.--Oh! monsieur, sur son nez; qui est tout enrichi de rubis, d'escarboucles, de saphirs, tournant leur riche aspect vers la chaude haleine de l'Espagne, qui envoyait des flottes entiŤres pour se charger ŗ son nez. ANTIPHOLUS.--Oý ťtaient la Belgique, les Pays-Bas? DROMIO.--Oh! monsieur; je n'ai pas ťtť regarder si bas.--Pour conclure, cette souillon ou sorciŤre a rťclamť ses droits sur moi, m'a appelť Dromio, a jurť que j'ťtais fiancť avec elle, m'a dit quelles marques particuliŤres j'avais sur le corps, par exemple, la tache que j'ai sur l'ťpaule, le signe que j'ai au cou, le gros porreau que j'ai au bras gauche, si bien que, confondu d'ťtonnement, je me suis enfui loin d'elle comme d'une sorciŤre. Et je crois que, si mon sein n'avait pas ťtť rempli de foi, et mon coeur d'acier, elle m'aurait mťtamorphosť en roquet, et m'aurait fait tourner le tournebroche. ANTIPHOLUS.--Va, pars sur-le-champ; cours au grand chemin: si le vent souffle quelque peu du rivage, je ne veux pas passer la nuit dans cette ville. Si tu trouves quelque barque qui mette ŗ la voile, reviens au marchť, oý je me promŤnerai jusqu'ŗ ce que tu m'y rejoignes. Si tout le monde nous connaÓt, et que nous ne connaissions personne, il est temps, ŗ mon avis, de plier bagage et de partir. DROMIO.--Comme un homme fuirait un ours pour sauver sa vie, je fuis, moi, celle qui prťtend devenir ma femme. ANTIPHOLUS.--Il n'y a que des sorciŤres qui habitent ce pays-ci, et en consťquence il est grand temps que je m'en aille. Celle qui m'appelle son mari, mon coeur l'abhorre pour ťpouse; mais sa charmante soeur possŤde des gr‚ces ravissantes et souveraines; son air et ses discours sont si enchanteurs que j'en suis presque devenu parjure ŗ moi-mÍme. Mais, pour ne pas me rendre coupable d'un outrage contre moi-mÍme, je boucherai mes oreilles aux chants de la sirŤne. (Entre Angelo.) ANGELO.--Monsieur Antipholus? ANTIPHOLUS.--Oui, c'est lŗ mon nom. ANGELO.--Je le sais bien, monsieur. Tenez, voilŗ la chaÓne. Je croyais vous trouver au Porc-…pic: la chaÓne n'ťtait pas encore finie; c'est ce qui m'a retardť si longtemps. ANTIPHOLUS.--Que voulez-vous que je fasse de cela? ANGELO.--Ce qu'il vous plaira, monsieur; je l'ai faite pour vous. ANTIPHOLUS.--Faite pour moi, monsieur! Je ne vous l'ai pas commandťe. ANGELO.--Pas une fois, pas deux fois, mais vingt fois: allez, rentrez au logis, et faites la cour ŗ votre femme avec ce cadeau; et bientŰt, ŗ l'heure du souper, je viendrai vous voir et recevoir l'argent de ma chaÓne. ANTIPHOLUS.--Je vous prie, monsieur, de recevoir l'argent ŗ l'instant, de peur que vous ne revoyiez plus ni chaÓne ni argent. ANGELO.--Vous Ítes jovial, monsieur: adieu, ŗ tantŰt. (Il sort.) ANTIPHOLUS.--Il m'est impossible de dire ce que je dois penser de tout ceci; mais ce que je sais du moins fort bien, c'est qu'il n'est point d'homme assez sot pour refuser une si belle chaÓne qu'on lui offre. Je vois qu'ici un homme n'a pas besoin de se tourmenter pour vivre, puisqu'on fait dans les rues de si riches prťsents. Je vais aller ŗ la place du Marchť, et attendre lŗ Dromio; si quelque vaisseau met ŗ la voile, je pars aussitŰt. FIN DU TROISI»ME ACTE ACTE QUATRI»ME SC»NE I La scŤne se passe dans la rue. UN MARCHAND, ANGELO, UN OFFICIER DE JUSTICE. LE MARCHAND, _ŗ Angelo_.--Vous savez que la somme est due depuis la PentecŰte, et que depuis ce temps je ne vous ai pas beaucoup importunť; je ne le ferais pas mÍme encore, si je n'allais pas partir pour la Perse, et que je n'eusse pas besoin de guilders[19] pour mon voyage: ainsi satisfaites-moi sur-le-champ, ou je vous fais arrÍter par cet officier. [Note 19: _Guilders_, piŤce de monnaie valant depuis un shilling (douze sous) jusqu'ŗ deux shillings.] ANGELO.--Justement la mÍme somme dont je vous suis redevable m'est due par Antipholus; et au moment mÍme oý je vous ai rencontrť, je venais de lui livrer une chaÓne. A cinq heures, j'en recevrai le prix: faites-moi le plaisir de venir avec moi jusqu'ŗ sa maison, j'acquitterai mon obligation, et je vous remercierai. (Entrent Antipholus d'…phŤse et Dromio d'…phŤse.) L'OFFICIER _les apercevant, ŗ Angelo_.--Vous pouvez vous en ťpargner la peine: voyez, le voilŗ qui vient. ANTIPHOLUS _d'…phŤse_.--Pendant que je vais chez l'orfŤvre, va, toi, acheter un bout de corde; je veux m'en servir sur ma femme et ses confťdťrťs, pour m'avoir fermť la porte dans la journťe.--Mais quoi! j'aperÁois l'orfŤvre.--Va-t'en; achŤte-moi une corde, et rapporte-la moi ŗ la maison. DROMIO _d'…phŤse_.--Ah! je vais acheter vingt mille livres de rente! je vais acheter une corde! (Il sort.) ANTIPHOLUS _d'…phŤse_.--Un homme vraiment est bien assistť, qui compte sur vous! J'avais promis votre visite et la chaÓne, mais je n'ai vu ni chaÓne ni orfŤvre. Apparemment que vous avez craint que mon amour ne dur‚t trop longtemps, si vous l'enchaÓniez; et voilŗ pourquoi vous n'Ítes pas venu. ANGELO.--Avec la permission de votre humeur joviale, voici la note du poids de votre chaÓne, jusqu'au dernier carat, le titre de l'or et le prix de la faÁon: le tout monte ŗ trois ducats de plus que je ne dois ŗ ce seigneur.--Je vous prie, faites-moi le plaisir de m'acquitter avec lui sur-le-champ; car il est prÍt ŗ s'embarquer, et n'attend que cela pour partir. ANTIPHOLUS _d'…phŤse_.--Je n'ai pas sur moi la somme nťcessaire; d'ailleurs j'ai quelques affaires en ville. Monsieur, menez cet ťtranger chez moi; prenez avec vous la chaÓne, et dites ŗ ma femme de solder la somme en la recevant; peut-Ítre y serai-je aussitŰt que vous. ANGELO.--Alors vous lui porterez la chaÓne vous-mÍme? ANTIPHOLUS _d'…phŤse_.--Non, prenez-la avec vous, de peur que je n'arrive ŗ temps. ANGELO.--Allons, monsieur, je le veux bien; l'avez-vous sur vous? ANTIPHOLUS _d'…phŤse_.--Si je ne l'ai pas, moi, monsieur, j'espŤre que vous l'avez; sans cela vous pourriez vous en retourner sans votre argent. ANGELO.--Allons, monsieur, je vous prie, donnez-moi la chaÓne. Le vent et la marťe attendent ce seigneur, et j'ai ŗ me reprocher de l'avoir dťjŗ retardť ici trop longtemps. ANTIPHOLUS _d'…phŤse_.--Mon cher monsieur, vous usez de ce prťtexte pour excuser votre manque de parole au Porc-…pic; ce serait ŗ moi ŗ vous gronder de ne l'y avoir pas apportťe. Mais, comme une femme acari‚tre vous commencez ŗ quereller le premier. LE MARCHAND.--L'heure s'avance. Allons, monsieur, je vous prie, dťpÍchez. ANGELO.--Vous voyez comme il me tourmente.... Vite, la chaÓne. ANTIPHOLUS _d'…phŤse_.--Eh bien! portez-la ŗ ma femme, et allez chercher votre argent. ANGELO.--Allons, allons; vous savez bien que je vous l'ai donnťe tout ŗ l'heure: ou envoyez la chaÓne, ou envoyez par moi quelque gage. ANTIPHOLUS _d'…phŤse_.--Allons, vous poussez le badinage jusqu'ŗ l'excŤs. Voyons, oý est la chaÓne? je vous prie, que je la voie. LE MARCHAND.--Mes affaires ne souffrent pas toutes ces longueurs: mon cher monsieur, dites-moi si vous voulez me satisfaire ou non; si vous ne voulez pas, je vais laisser monsieur entre les mains de l'officier. ANTIPHOLUS _d'…phŤse_.--Moi, vous satisfaire? Et en quoi vous satisfaire? ANGELO.--En donnant l'argent que vous me devez pour la chaÓne. ANTIPHOLUS _d'…phŤse_.--Je ne vous en dois point, jusqu'ŗ ce que je l'ai reÁue. ANGELO.--Eh! vous savez que je vous l'ai remise, il y a une demi-heure. ANTIPHOLUS _d'…phŤse_.--Vous ne m'avez point donnť de chaÓne: vous m'offensez beaucoup en me le disant. ANGELO.--Vous m'offensez bien davantage, monsieur, en le niant. Considťrez combien cela intťresse mon crťdit. LE MARCHAND.--Allons, officier, arrÍtez-le ŗ ma requÍte. L'OFFICIER _ŗ Angelo_.--Je vous arrÍte, et je vous somme, au nom du duc, d'obťir. ANGELO.--Cet affront compromet ma rťputation. (_A Antipholus_.)--Ou consentez ŗ payer la somme ŗ mon acquit, ou je vous fais arrÍter par ce mÍme officier. ANTIPHOLUS _d'…phŤse_.--Consentir ŗ payer une chose que je n'ai jamais reÁue!--ArrÍte-moi, fou que tu es, si tu l'oses. ANGELO.--Voilŗ les frais.--ArrÍtez-le, officier.....Je n'ťpargnerais pas mon frŤre en pareil cas, s'il m'insultait avec tant de mťpris. L'OFFICIER.--Je vous arrÍte, monsieur; vous entendez la requÍte. ANTIPHOLUS _d'…phŤse_.--Je vous obťis, jusqu'ŗ ce que je vous donne caution. (_A Angelo_.)--Mais fripon, vous me payerez cette plaisanterie de tout l'or que peut renfermer votre magasin. ANGELO,--Monsieur, j'aurai justice dans …phŤse, ŗ votre honte publique, je ne peux en douter. (Entre Dromio de Syracuse.) DROMIO.--Mon maÓtre, il y a une barque d'…pidaure qui n'attend que son armateur ŗ bord, aprŤs quoi, monsieur, elle met ŗ la voile. J'ai portť ŗ bord notre bagage; j'ai achetť de l'huile, du baume et de l'eau-de-vie. Le navire est tout appareillť; un bon vent souffle joyeusement de terre, on n'attend plus que l'armateur et vous, monsieur. ANTIPHOLUS _d'…phŤse_.--Allons, un fou maintenant! Que veux-tu dire, imbťcile? Coquin, quel vaisseau d'…pidaure m'attend, moi? DROMIO.--Le vaisseau sur lequel vous m'avez envoyť pour retenir notre passage. ANTIPHOLUS _d'…phŤse_.--Esclave ivrogne, je t'ai envoyť chercher une corde, et je t'ai dit pourquoi, et ce que j'en voulais faire. DROMIO _de Syracuse_.--Vous m'avez tout autant envoyť, monsieur, au bout de la corde.--Vous m'avez envoyť ŗ la baie, monsieur, chercher une barque. ANTIPHOLUS _d'…phŤse._--J'examinerai cette affaire plus ŗ loisir: et j'apprendrai ŗ tes oreilles ŗ m'ťcouter avec plus d'attention. Va donc droit chez Adriana, maraud, porte lui cette clef, et dis-lui que dans le pupitre qui est couvert d'un tapis de Turquie, il y a une bourse remplie de ducats: qu'elle me l'envoie; dis-lui que je suis arrÍtť dans la rue, et que ce sera ma caution: cours promptement, esclave: pars.--Allons, officier, je vous suis ŗ la prison, jusqu'ŗ ce qu'il revienne. (Ils sortent.) DROMIO _de Syracuse, seul_.--Chez Adriana! c'est-ŗ-dire, celle chez laquelle nous avons dinť, oý Dousabelle m'a rťclamť pour son mari: elle est un peu trop grosse, j'espŤre, pour que je puisse l'embrasser; il faut que j'y aille, quoique contre mon grť: car il faut que les valets exťcutent les ordres de leurs maÓtres. (Il sort.) SC»NE II La scŤne se passe dans la maison d'Antipholus d'…phŤse. ADRIANA ET LUCIANA. ADRIANA.--Comment, Luciana, il t'a tentťe ŗ ce point? As-tu pu lire dans ses yeux si ses instances ťtaient sťrieuses ou non? …tait-il colorť ou p‚le, triste ou gai? Quelles observations as-tu faites en cet instant, sur les mťtťores de son coeur qui se combattaient sur son visage[20]. [Note 20: Allusion ŗ ces mťtťores de l'atmosphŤre qui ressemblent ŗ des rangs de combattants. Shakspeare leur compare ailleurs les guerres civiles, WARBURTON.] LUCIANA.--D'abord, il a niť que vous eussiez aucun droit sur lui? ADRIANA.--Il voulait dire qu'il agissait comme si je n'en avais aucun, et je n'en suis que plus indignťe. LUCIANA.--Ensuite il m'a jurť qu'il ťtait ťtranger ici. ADRIANA.--Et il a jurť la vťritť tout en se parjurant. LUCIANA.--Alors j'ai intercťdť pour vous. ADRIANA.--Eh bien! qu'a-t-il dit? LUCIANA.--L'amour que je rťclamais pour vous, il me l'a demandť ŗ moi. ADRIANA.--Avec quelles persuasions a-t-il sollicitť ta tendresse? LUCIANA.--Dans des termes qui, dans une demande honnÍte, eussent pu ťmouvoir. D'abord il a vantť ma beautť, ensuite mon esprit. ADRIANA.--Lui as-tu rťpondu poliment? LUCIANA.--Ayez patience, je vous en conjure. ADRIANA.--Je ne peux, ni je ne veux me tenir tranquille. Il faut que ma langue se satisfasse, si mon coeur ne le peut pas. Il est tout dťfigurť, contrefait, vieux et flťtri, laid de figure, plus mal fait encore de sa personne, difforme de tout point; vicieux, ingrat, extravagant, sot et brutal; disgraciť de la nature dans son corps, et encore plus pervers dans son ‚me. LUCIANA.--Et pourquoi donc Ítre jalouse d'un tel homme? On ne pleure jamais un mal perdu quand il s'en va. ADRIANA.--Ah! mais je pense bien mieux de lui que je n'en parle. Et pourtant je voudrais qu'il fŻt encore plus difforme aux yeux des autres. Le vanneau crie loin de son nid, pour qu'on s'en ťloigne[21]. Tandis que ma langue le maudit, mon coeur prie pour lui. [Note 21: Le vanneau, dit-on, cherche ŗ ťloigner l'attention de son nid en poussant des cris plaintifs le plus loin possible de l'endroit oý sa femelle couve.] (Entre Dromio.) DROMIO.--Par ici, venez. Le pupitre, la bourse: mes chŤres dames, h‚tez-vous. LUCIANA.--Et pourquoi es-tu donc si hors d'haleine? DROMIO.--C'est ŗ force de courir. ADRIANA.--Oý est ton maÓtre, Dromio? Est-il en santť? DROMIO.--Non, il est descendu dans les limbes du Tartare, pire que l'enfer; un diable vÍtu de l'habit qui dure toujours[22] l'a saisi: un diable, dont le coeur est revÍtu d'acier, un dťmon, un gťnie, un loup, et pis encore, un Ítre tout en buffle; un ennemi secret qui vous met la main sur l'ťpaule; celui qui poursuit ŗ travers les allťes, les quais et les rues; un limier qui va et vient[23], et qui ťvente la trace des pas, enfin, quelqu'un qui traÓne les pauvres ‚mes en enfer avant le jugement[24]. [Note 22: _Buff_ ťtait une expression vulgaire, pour dire la peau d'un homme, le vÍtement qui dure autant que le corps. _Everlasting garment_ peut donc se rendre littťralement par _l'habit qui dure toujours_. On peut aussi dire _un diable en habit d'immortelle_, comme Letourneur; et voici la note de Steevens citťe par lui: ęDu temps de Shakspeare, les sergents ťtaient vÍtus d'une sorte d'ťtoffe appelťe encore aujourd'hui _immortelle_, ŗ cause de sa longue durťe.Ľ [Note 23: _Runs counter_, c'est-ŗ-dire qui retourne aur ses pas, comme un limier qui a perdu la piste. Il y a donc contradiction avec la phrase suivante, qui signifie _ťventer la trace_. Mais cette ambiguÔtť tient ŗ un jeu de mots sur _counter, fausse voie ŗ la chasse_, et nom d'une prison de Londres.] [Note 24: _Enfer_, c'ťtait le nom donnť, en Angleterre, au cachot le plus obscur d'une prison. Il y avait aussi un lieu de ce nom dans la chambre de l'ťchiquier oý l'on retenait les dťbiteurs de la couronne.] Dans la scŤne suivante, Dromio joue encore sur le mot _buff_, et appelle le sergent le portrait du vieil Adam, c'est-ŗ-dire l'Adam avant sa chute, d'Adam tout nu.] ADRIANA.--Comment! de quoi s'agit-il? DROMIO.--Je ne sais pas de quoi il s'agit; mais il est arrÍtť pour cette affaire[25]. [Note 25: Au lieu de _on the case_ il faut lire, selon Gray, _out the case_, ce qui exprimerait l'espŤce d'action de celui ŗ qui on fait un tort, mais sans violence, et dans un cas non prťvu par la loi.] ADRIANA.--Quoi! il est arrÍtť? Dis-moi, ŗ la requÍte de qui? DROMIO.--Je ne sais pas bien ŗ la requÍte de qui il est arrÍtť; mais, tout ce que je puis dire, c'est que celui qui l'a arrÍtť est vÍtu d'un surtout de buffle. Voulez-vous, madame, lui envoyer de quoi se racheter; l'argent qui est dans le pupitre? ADRIANA.--Va le chercher, ma soeur.--(_Luciana sort_.) Cela m'ťtonne bien qu'il se trouve avoir des dettes qui me soient inconnues. Dis-moi, l'a-t-on arrÍtť sur un billet? DROMIO.--Non pas sur un billet[26], mais ŗ propos de quelque chose de plus fort; une chaÓne, une chaÓne: ne l'entendez-vous pas sonner? [Note 26: _Bond_, billet, obligation, qui se prononce comme _band_, lien, cravate.] ADRIANA.--Quoi! la chaÓne?... DROMIO.--Non, non; la cloche. Il serait temps que je fusse parti d'ici; il ťtait deux heures quand je l'ai quittť, et voilŗ l'horloge qui sonne une heure. ADRIANA.--Les heures reculeraient donc? Je ne l'ai jamais entendu dire. DROMIO.--Oh! oui, vraiment; quand une des heures rencontre un sergent, elle recule de peur. ADRIANA.--Comme si le temps ťtait endettť! tu raisonnes en vrai fou. DROMIO.--Le temps est un vrai banqueroutier, et il doit ŗ l'occasion plus qu'il n'a vaillant. Et, c'est un voleur aussi: n'avez-vous donc pas ouÔ dire que le temps s'avance comme un voleur jour et nuit? Si le temps est endettť, et qu'il soit un voleur, et qu'il trouve sur son chemin un sergent, n'a-t-il pas raison de reculer d'une heure dans un jour? ADRIANA.--Cours, Dromio, voilŗ l'argent; (_Luciana revient avec la bourse_) porte-le bien vite, et ramŤne ton maÓtre immťdiatement au logis. Venez, ma soeur, je suis atterrťe par mon imagination; mon imagination, qui tantŰt me console et tantŰt me tourmente! (Elles sortent.) SC»NE III. Une rue d'…phŤse. ANTIPHOLUS _de Syracuse seul_. Je ne rencontre pas un homme qui ne me salue, comme si j'ťtais un ami bien connu, et chacun m'appelle par mon nom. Quelques-uns m'offrent de l'argent, d'autres m'invitent ŗ dÓner; d'autres me remercient des services que je leur ai rendus, d'autres m'offrent des marchandises ŗ acheter: tout ŗ l'heure un tailleur m'a appelť dans sa boutique et m'a montrť des soieries qu'il avait achetťes pour moi; et lŗ-dessus il m'a pris mesure.--SŻrement tout cela n'est qu'enchantement, qu'illusions, et les sorciers de la Laponie habitent ici. (Entre une courtisane.) DROMIO.--Mon maÓtre, voici l'or que vous m'avez envoyť chercher..... Quoi! vous avez fait habiller de neuf le portrait du vieil Adam? ANTIPHOLUS.--Quel or est-ce lŗ? De quel Adam veux-tu parler? DROMIO.--Pas de l'Adam qui gardait le paradis, mais de cet Adam qui garde la prison; de celui qui va vÍtu de la peau du veau qui fut tuť pour l'enfant prodigue; celui qui est venu derriŤre vous, monsieur, comme un mauvais ange, et qui vous a ordonnť de renoncer ŗ votre libertť. ANTIPHOLUS.--Je ne t'entends pas. DROMIO.--Non? eh! c'est pourtant une chose bien simple: cet homme qui marchait comme une basse de viole dans un ťtui de cuir; l'homme, monsieur, qui, quand les gens sont fatiguťs, d'un tour de main leur procure le repos; celui, monsieur, qui prend pitiť des hommes ruinťs, et leur donne des habits de durťe[27]; celui qui a la prťtention de faire plus d'exploits avec sa masse qu'avec une pique moresque. [Note 27: _Durance_, durťe et prison.] ANTIPHOLUS.--Quoi! veux-tu dire un sergent? DROMIO.--Oui, monsieur, le sergent des obligations: celui qui force tout homme qui manque ŗ ses engagements, d'en rťpondre; un homme qui croit qu'on va toujours se coucher, et qui vous dit: ęDieu vous donne une bonne nuit!Ľ ANTIPHOLUS.--Allons, l'ami, restons-en lŗ avec ta folie.--Y a-t-il quelque vaisseau qui parte ce soir? Pouvons-nous partir? DROMIO.--Oui, monsieur; je suis venu vous rendre rťponse, il y a une heure, que la barque l'_Expťdition_ partait cette nuit; mais alors vous ťtiez empÍchť avec le sergent, et forcť de retarder au delŗ du dťlai marquť. Voici les _anges_[28] que vous m'avez envoyť chercher pour vous dťlivrer. [Note 28: _Anges_, piŤces d'argent.] ANTIPHOLUS.--Ce garÁon est fou, et moi aussi; et nous ne faisons qu'errer d'illusions en illusions. Que quelque sainte protection nous tire d'ici! (Antipholus et Dromio vont pour sortir.) LA COURTISANE--Ah! je suis bien aise, fort aise de vous trouver, monsieur Antipholus. Je vois, monsieur, que vous avez enfin rencontrť l'orfŤvre: est-ce lŗ la chaÓne que vous m'avez promise aujourd'hui? ANTIPHOLUS.--ArriŤre. Satan! je te dťfends de me tenter. DROMIO.--Monsieur, est-ce lŗ madame Satan? ANTIPHOLUS.--C'est le dťmon. DROMIO.--C'est pis encore, c'est la dame du dťmon, et elle vient ici sous la forme d'une fille de plaisir; et voilŗ pourquoi les filles disent: Dieu me damne! ce qui signifie: Dieu me fasse fille de plaisir! Il est ťcrit qu'ils apparaissent aux hommes comme des anges de lumiŤre. La lumiŤre est un effet du feu, et le feu brŻle. _Ergo_, les filles de plaisir brŻleront; n'approchez pas d'elle[29]. [Note 29: L'ťquivoque est fondťe sur le mot _light_, qui, pris adjectivement, veut dire lťger, lťgŤre (fille lťgŤre), et substantivement lumiŤre (fille de lumiŤre).] LA COURTISANE.--Votre valet et vous, monsieur, vous Ítes merveilleusement gais! Voulez-vous venir avec moi? nous trouverons ici de quoi rendre notre dÓner meilleur. DROMIO.--Mon maÓtre, si vous devez goŻter de la soupe, commandez donc auparavant une longue cuiller. ANTIPHOLUS.--Pourquoi, Dromio? DROMIO.--Vraiment, c'est qu'il faut une longue cuiller ŗ l'homme qui doit manger avec le diable. ANTIPHOLUS, _ŗ la courtisane_.--ArriŤre donc, dťmon! Que viens-tu me parler de souper? tu es, comme tout le reste, une sorciŤre. Je te conjure de me laisser, et de t'en aller. LA COURTISANE.---Donnez-moi donc mon anneau que vous m'avez pris ŗ dÓner; ou, pour mon diamant, donnez-moi la chaÓne que vous m'avez promise, et alors je m'en irai, monsieur, et ne vous importunerai plus. DROMIO.--Il y a des diables qui ne demandent que la rognure d'un ongle, un jonc, un cheveu, une goutte de sang, une ťpingle, une noisette, un noyau de cerise; mais celle-ci, plus avide, voudrait avoir une chaÓne. Mon maÓtre, prenez bien garde; et si vous lui donnez la chaÓne, la diablesse la secouera, et nous en ťpouvantera. LA COURTISANE.--Je vous en prie, monsieur, ma bague, ou bien la chaÓne. J'espŤre que vous n'avez pas l'intention de m'attrapper ainsi. ANTIPHOLUS.--Loin d'ici, sorciŤre!--Allons, Dromio, partons. DROMIO.--_Fuis l'orgueil,_ dit le paon; vous savez cela, madame. (Antipholus et Dromio sortent.) LA COURTISANE.--Maintenant il est hors de doute qu'Antipholus est fou; autrement il ne se fut jamais si mal conduit. Il a ŗ moi une bague qui vaut quarante ducats, et il m'avait promis en retour une chaÓne d'or; et ŗ prťsent il me refuse l'une et l'autre, ce qui me fait conclure qu'il est devenu fou. Outre cette preuve actuelle de sa dťmence, je me rappelle les contes extravagants qu'il m'a dťbitťs aujourd'hui ŗ dÓner, comme quoi il n'a pu rentrer chez lui, comme quoi on lui a fermť la porte; probablement sa femme, qui connaÓt ses accŤs de folie, lui a en effet fermť la porte exprŤs. Ce que j'ai ŗ faire ŗ prťsent, c'est de gagner promptement sa maison, et de dire ŗ sa femme, que dans un accŤs de folie il est entrť brusquement chez moi, et m'a enlevť de vive force une bague qu'il m'a emportťe. Voilŗ le parti qui me semble le meilleur ŗ choisir; car quarante ducats, c'est trop pour les perdre. SC»NE IV La scŤne se passe dans la rue. ANTIPHOLUS _d'…phŤse_ ET UN SERGENT. ANTIPHOLUS.--N'aie aucune inquiťtude, je ne me sauverai pas; je te donnerai, pour caution, avant de te quitter, la somme pour laquelle je suis arrÍtť. Ma femme est de mauvaise humeur aujourd'hui; et elle ne voudra pas se fier lťgŤrement au messager, ni croire que j'aie pu Ítre arrÍtť dans …phŤse: je te dis que cette nouvelle sonnera ťtrangement ŗ ses oreilles. (Entre Dromio d'…phŤse, avec un bout de corde ŗ la main.) ANTIPHOLUS _d'…phŤse_.--Voici mon valet; je pense qu'il apporte de l'argent.--Eh bien! Dromio, avez-vous ce que je vous ai envoyť chercher? DROMIO _d'…phŤse._--Voici, je vous le garantis, de quoi les payer tous. ANTIPHOLUS.--Mais l'argent, oý est-il? DROMIO.--Ah! monsieur, j'ai donnť l'argent pour la corde. ANTIPHOLUS.--Cinq cents ducats, coquin, pour un bout de corde. DROMIO.--Je vous en fournirai cinq cents, monsieur, pour ce prix-lŗ. ANTIPHOLUS.--A quelle fin t'ai-je ordonnť de courir en h‚te au logis? DROMIO.--A cette fin d'un bout de corde, monsieur; et c'est ŗ cette fin que je suis revenu. ANTIPHOLUS.--Et ŗ cette fin, moi, je vais te recevoir comme tu le mťrites. (Il le bat.) L'OFFICIER.--Monsieur, de la patience. DROMIO.--Vraiment c'est ŗ moi d'Ítre patient: je suis dans l'adversitť. L'OFFICIER, _ŗ Dromio_.--Allons, retiens ta langue. DROMIO.--Persuadez-lui plutŰt de retenir ses mains. ANTIPHOLUS.--B‚tard que tu es! coquin insensible! DROMIO.--Je voudrais bien Ítre insensible, monsieur, pour ne pas sentir vos coups. ANTIPHOLUS.--Tu n'es sensible qu'aux coups, comme les ‚nes. DROMIO.--Oui, en effet, je suis un ‚ne; vous pouvez le prouver par mes longues oreilles.--Je l'ai servi depuis l'heure de ma naissance jusqu'ŗ cet instant, et je n'ai jamais rien reÁu de lui pour mes services que des coups. Quand j'ai froid, il me rťchauffe avec des coups; quand j'ai chaud, il me rafraÓchit avec des coups; c'est avec des coups qu'il m'ťveille quand je suis endormi, qu'il me fait lever quand je suis assis, qu'il me chasse quand je sors de la maison, qu'il m'accueille chez lui ŗ mon retour. Enfin je porte ses coups sur mes ťpaules comme une mendiante porte ses marmots sur son dos; et je crois que quand il m'aura estropiť, il me faudra aller mendier avec cela de porte en porte. (Entrent Adriana, Luciana, la courtisane, Pinch et autres.) ANTIPHOLUS.--Allons, suivez-moi, voilŗ ma femme qui vient lŗ-bas. DROMIO.--MaÓtresse, _respice finem_, respectez votre fin, ou plutŰt, comme disait le perroquet, prenez garde ŗ la corde[30]. [Note 30: _Respice finem, respice funem_, ces mots semblent renfermer une allusion ŗ un fameux pamphlet du temps, ťcrit par Buchanan contre Liddington, lequel finissait par ces mots. La prophťtie du perroquet fait allusion ŗ la coutume du peuple qui apprend ŗ cet oiseau des mots sinistres. Lorsque quelque passant s'en offensait, le maÓtre de L'oiseau lui rťpondait: _Prenez garde, mon perroquet est prophŤte_. WARBURTON.] ANTIPHOLUS, _battant Dromio_.--Veux-tu toujours parler? LA COURTISANE, _ŗ Adriana_.--Eh bien! qu'en pensez-vous ŗ prťsent? Est-ce que votre mari n'est pas fou? ADRIANA.--Son incivilitť me le prouve assez.--Bon docteur Pinch, vous savez exorciser; rťtablissez-le dans son bon sens, et je vous donnerai tout ce que vous demanderez. LUCIANA.--Hťlas! comme ses regards sont ťtincelants et furieux! LA COURTISANE.--Voyez comme il frťmit dans son transport! PINCH.--Donnez-moi votre main, que je t‚te votre pouls. ANTIPHOLUS.--Tenez, voilŗ ma main, et que votre oreille la t‚te. PINCH.--Je t'adjure, Satan, qui es logť dans cet homme, de cťder possession ŗ mes saintes priŤres, et de te replonger sur-le-champ dans tes abÓmes tťnťbreux; je t'adjure par tous les saints du ciel. ANTIPHOLUS.--Tais-toi, sorcier radoteur, tais-toi; je ne suis pas fou. ADRIANA.~Oh! plŻt ŗ Dieu que tu ne le fusses pas, pauvre ‚me en peine! ANTIPHOLUS, _ŗ sa femme_.--Et vous, folle, sont-ce lŗ vos chalands? Est-ce ce compagnon ŗ la face de safran, qui ťtait en gala aujourd'hui chez moi, tandis que les portes m'ťtaient insolemment fermťes, et qu'on m'a refusť l'entrťe de ma maison? ADRIANA.--Oh! mon mari, Dieu sait que vous avez dinť ŗ la maison; et plŻt ŗ Dieu que vous y fussiez restť jusqu'ŗ prťsent, ŗ l'abri de ces affronts et de cet opprobre! ANTIPHOLUS.--J'ai dÓnť ŗ la maison?--Toi, coquin, qu'en dis-tu? DROMIO.--Pour dire la vťritť, monsieur, vous n'avez pas dÓnť au logis. ANTIPHOLUS.--Mes portes n'ťtaient-elles pas fermťes, et moi dehors? DROMIO.--Pardieu! votre porte ťtait fermťe, et vous dehors. ANTIPHOLUS.--Et ne m'a-t-elle pas elle-mÍme dit des injures? DROMIO.--Sans mentir, elle vous a dit elle-mÍme des injures. ANTIPHOLUS.--Sa fille de cuisine ne m'a-t-elle pas insultť, invectivť, mťprisť? DROMIO.--Certes, elle l'a fait; la vestale de la cuisine[31] vous a repoussť injurieusement. [Note 31: Comme les vestales, la cuisiniŤre entretient le feu. JOHNSON.] ANTIPHOLUS.--Et ne m'en suis-je pas allť tout transportť de rage? DROMIO.--En vťritť, rien n'est plus certain: mes os en sont tťmoins, eux qui depuis ont senti toute la force de cette rage. ADRIANA, _ŗ Dromio_.--Est-il bon de lui donner raison dans ses contradictions? PINCH.--Il n'y a pas de mal ŗ cela: ce garÁon connaÓt son humeur, et en lui cťdant il flatte sa frťnťsie. ANTIPHOLUS.--Tu as subornť l'orfŤvre pour me faire arrÍter. ADRIANA.--Hťlas! au contraire; je vous ai envoyť de l'argent pour vous racheter, par Dromio que voilŗ, qui est accouru le chercher. DROMIO.--De l'argent? par moi? Du bon coeur et de la bonne volontť, tant que vous voudrez; mais certainement, mon maÓtre, pas une parcelle d'ťcu. ANTIPHOLUS.--N'es-tu pas allť la trouver pour lui demander une bourse de ducats? ADRIANA.--Il est venu, et je la lui ai remise. LUCIANA.--Et moi, je suis tťmoin qu'elle les lui a remis. DROMIO.--Dieu et le cordier me sont tťmoins qu'on ne m'a envoyť chercher rien autre chose qu'une corde. PINCH.--Madame, le maÓtre et le valet sont tous deux possťdťs. Je le vois ŗ leurs visages dťfaits et d'une p‚leur mortelle. Il faut les lier et les loger dans quelque chambre obscure. ANTIPHOLUS.--Rťpondez; pourquoi m'avez-vous fermť la porte aujourd'hui? Et toi (_ŗ Dromio_), pourquoi nies-tu la bourse d'or qu'on t'a donnťe? ADRIANA.--Mon cher mari, je ne vous ai point fermť la porte. DROMIO.--Et moi, mon cher maÓtre, je n'ai point reÁu d'or; mais je confesse, monsieur, qu'on vous a fermť la porte. ADRIANA.--Insigne imposteur, tu fais un double mensonge! ANTIPHOLUS.--Hypocrite prostituťe, tu mens en tout; et tu as fait ligue avec une bande de scťlťrats pour m'accabler d'affronts et de mťpris; mais, avec ces ongles, je t'arracherai tes yeux perfides, qui se feraient un plaisir de me voir dans mon ignominie. (Pinch et ses gens veulent lier Antipholus d'…phŤse et Dromio d'…phŤse.) ADRIANA.--Oh! liez-le, liez-le; qu'il ne m'approche pas. PINCH.--Plus de monde!--Le dťmon qui est en lui est fort. LUCIANA.--Hťlas! le pauvre homme, comme il est p‚le et dťfait! ANTIPHOLUS.--Quoi! voulez-vous m'ťgorger? Toi, geŰlier, je suis ton prisonnier, souffriras-tu qu'ils m'arrachent de tes mains? L'OFFICIER,--Messieurs, laissez-le; il est mon prisonnier, et vous ne l'aurez pas. PINCH.--Allons, qu'on lie cet homme-lŗ, car il est frťnťtique aussi. ADRIANA.--Que veux-tu dire, sergent hargneux? As-tu donc du plaisir ŗ voir un infortunť se faire du mal et du tort ŗ lui-mÍme? L'OFFICIER.--Il est mon prisonnier; si je le laisse aller, on exigera de moi la somme qu'il doit. ADRIANA.--Je te dťchargerai avant de te quitter; conduis-moi ŗ l'instant ŗ son crťancier. Quand je saurai la nature de cette dette je la payerai. Mon bon docteur, voyez ŗ ce qu'il soit conduit en sŻretť jusqu'ŗ ma maison.--O malheureux jour! ANTIPHOLUS.--O misťrable prostituťe! DROMIO.--Mon maÓtre, me voilŗ entrť dans les liens pour l'amour de vous. ANTIPHOLUS.--Malheur ŗ toi, scťlťrat! pourquoi me fais-tu mettre en fureur? DROMIO.--Voulez-vous donc Ítre liť pour rien? Soyez fou, mon maÓtre; criez, le diable..... LUCIANA.--Dieu les assiste, les pauvres ‚mes! Comme ils extravaguent! ADRIANA.--Allons, emmenez-le d'ici.--Ma soeur, venez avec moi. (_Pinch, Antipholus, Dromio, etc., sortent._) (_A l'officier_.) Dites-moi, ŗ prťsent, ŗ la requÍte de qui est-il arrÍtť? L'OFFICIER.--A la requÍte d'un certain Angelo, un orfŤvre. Le connaissez-vous? ADRIANA.--Je le connais. Quelle somme lui doit-il? L'OFFICIER.--Deux cents ducats. ADRIANA.--Et pourquoi les lui doit-il? L'OFFICIER.--C'est le prix d'une chaÓne que votre mari a reÁue de lui. ADRIANA.--Il avait commandť une chaÓne pour moi, mais elle ne lui a pas ťtť livrťe. LA COURTISANE.--Quand votre mari, tout en fureur, est venu aujourd'hui chez moi, et a emportť ma bague, que je lui ai vue au doigt tout ŗ l'heure, un moment aprŤs je l'ai rencontrť avec ma chaÓne. ADRIANA.--Cela peut bien Ítre; mais je ne l'ai jamais vue.--Venez, geŰlier, conduisez-moi ŗ la demeure de l'orfŤvre; il me tarde de savoir la vťritť de ceci dans tous ses dťtails. (Entrent Antipholus de Syracuse avec son ťpťe nue, et Dromio de Syracuse.) LUCIANA.--O Dieu, ayez pitiť de nous, les voilŗ de nouveau en libertť! ADRIANA.--Et ils viennent l'ťpťe nue! Appelons du secours, pour les faire lier de nouveau. L'OFFICIER.--Sauvons-nous; ils nous tueraient. (Ils s'enfuient.) ANTIPHOLUS.--Je vois que ces sorciŤres ont peur des ťpťes. DROMIO.--Celle qui voulait Ítre votre femme tantŰt vous fuit ŗ prťsent. ANTIPHOLUS.--Allons au Centaure. Tirons-en nos bagages; je languis d'Ítre sain et sauf ŗ bord. DROMIO.--Non, restez ici cette nuit; sŻrement on ne nous fera aucun mal. Vous avez vu qu'on nous parle amicalement, qu'on nous a donnť de l'or; il me semble que c'est une si bonne nation, que sans cette montagne de chair folle, qui me rťclame le mariage, je me sentirais assez d'envie de rester ici toujours, et de devenir sorcier. ANTIPHOLUS.--Je ne resterais pas ce soir pour la valeur de la ville entiŤre: allons-nous-en pour faire porter notre bagage ŗ bord. (Ils sortent.) FIN DU QUATRI»ME ACTE. ACTE CINQUI»ME SC»NE I La scŤne se passe dans une rue, devant un monastŤre _Entrent_ LE MARCHAND ET ANGELO. ANGELO.--Je suis f‚chť, monsieur, d'avoir retardť votre dťpart. Mais je vous proteste que la chaÓne lui a ťtť livrťe par moi, quoiqu'il ait la malhonnÍtetť inconcevable de le nier. LE MARCHAND.--Comment cet homme est-il considťrť dans la ville? ANGELO.--Il jouit d'une rťputation respectable, d'un crťdit sans bornes, il est fort aimť: il ne le cŤde ŗ aucun citoyen de cette ville: sa parole me rťpondrait de toute ma fortune quand il le voudrait. LE MARCHAND.--Parlez bas: c'est lui, je crois, qui se promŤne lŗ. (Entre Antipholus de Syracuse.) ANGELO.--C'est bien lui: et il porte ŗ son cou cette mÍme chaÓne qu'il a jurť, par un parjure insigne, n'avoir pas reÁue. Monsieur, suivez-moi, je vais lui parler.--(_A Antipholus_.) Seigneur Antipholus, je m'ťtonne que vous m'ayez causť cette honte et cet embarras, non sans nuire un peu ŗ votre propre rťputation. Me nier d'un ton si dťcidť, avec des serments, cette chaine-lŗ mÍme que vous portez ŗ prťsent si ouvertement! Outre l'accusation, la honte et l'emprisonnement que vous m'avez fait subir, vous avez encore fait tort ŗ cet honnÍte ami, qui, s'il n'avait pas attendu l'issue de notre dťbat, aurait mis ŗ la voile, et serait actuellement en mer. Vous avez reÁu cette chaine de moi: pouvez-vous le nier? ANTIPHOLUS.--Je crois que je l'ai reÁue de vous: je ne l'ai jamais niť, monsieur. ANGELO.--Ob! vous l'avez niť, monsieur, et avec serment encore. ANTIPHOLUS.--Qui m'a entendu le nier et jurer le contraire? LE MARCHAND.--Moi que vous connaissez, je l'ai entendu de mes propres oreilles: fi donc! misťrable; c'est une honte qu'il vous soit permis de vous promener lŗ oý s'assemblent les honnÍtes gens. ANTIPHOLUS.--Vous Ítes un malheureux de me charger de pareilles accusations: je soutiendrai mon honneur et ma probitť contre vous, et tout ŗ l'heure, si vous osez me faire face. LE MARCHAND.--Je l'ose, et je te dťfie comme un coquin que tu es. (Ils tirent l'ťpťe pour se battre.) (Entrent Adriana, Luciana, la courtisane et autres.) ADRIANA, _accourant_.--ArrÍtez, ne le blessez pas; pour l'amour de Dieu! il est fou.--Que quelqu'un se saisisse de lui: Űtez-lui son ťpťe.--Liez Dromio aussi, et conduisez-les ŗ ma maison. DROMIO.--Fuyons, mon maÓtre, fuyons; au nom de Dieu, entrez dans quelque maison. Voici une espŤce de prieurť: entrons, ou nous sommes perdus. (Antipholus de Syracuse et Dromio entrent dans le couvent.) (L'abbesse parait.) L'ABBESSE.--Silence, braves gens: pourquoi vous pressez-vous en foule ŗ cette porte? ADRIANA.--Je viens chercher mon pauvre mari qui est fou. Entrons, afin de pouvoir le lier comme il faut, et l'emmener chez lui pour se rťtablir. ANGELO.--Je le savais bien qu'il n'ťtait pas dans son bon sens. LE MARCHAND.--Je suis f‚chť maintenant d'avoir tirť l'ťpťe contre lui. L'ABBESSE.--Depuis quand est-il ainsi possťdť? ADRIANA.--Toute cette semaine il a ťtť mťlancolique, sombre et chagrin, bien, bien diffťrent de ce qu'il ťtait naturellement: mais jusqu'ŗ cette aprŤs-midi, sa fureur n'avait jamais ťclatť dans cet excŤs de frťnťsie. L'ABBESSE.--N'a-t-il point fait de grandes pertes par un naufrage? enterrť quelque ami chťri? Ses yeux n'ont-ils pas ťgarť son coeur dans un amour illťgitime? C'est un pťchť trŤs-commun chez les jeunes gens qui donnent ŗ leurs yeux la libertť de tout voir: lequel de ces accidents a-t-il ťprouvť? ADRIANA.--Aucun; si ce n'est peut-Ítre le dernier. Je veux dire quelque amourette qui l'ťloignait souvent de sa maison. L'ABBESSE.--Vous auriez dŻ lui faire des remontrances. ADRIANA.--Eh! je l'ai fait. L'ABBESSE.--Mais pas assez fortes. ADRIANA.--Aussi fortes que la pudeur me le permettait. L'ABBESSE.--Peut-Ítre en particulier. ADRIANA.--Et en public aussi. L'ABBESSE.--Oui, mais pas assez. ADRIANA.--C'ťtait le texte de tous nos entretiens: au lit, il ne pouvait pas dormir tant je lui en parlais. A table, il ne pouvait pas manger tant je lui en parlais. …tions-nous seuls, c'ťtait le sujet de mes discours. En compagnie, mes regards le lui disaient souvent: je lui disais encore que c'ťtait mal et honteux. L'ABBESSE.--Et de lŗ il est arrivť que cet homme est devenu fou: les clameurs envenimťes d'une femme jalouse sont un poison plus mortel que la dent d'un chien enragť. Il parait que son sommeil ťtait interrompu par vos querelles; voilŗ ce qui a rendu sa tÍte lťgŤre. Vous dites que les repas ťtaient assaisonnťs de vos reproches; les repas troublťs font les mauvaises digestions, d'oý naissent le feu et le dťlire de la fiŤvre. Et qu'est-ce que la fiŤvre sinon un accŤs de folie! Vous dites que vos criailleries ont interrompu ses dťlassements; en privant l'homme d'une douce rťcrťation, qu'arrive-t-il? la sombre et triste mťlancolie qui tient de prŤs au farouche et inconsolable dťsespoir; et ŗ sa suite une troupe hideuse et empestťe de p‚les maladies, ennemies de l'existence.  tre troublť dans ses repas, dans ses dťlassements, dans le sommeil qui conserve la vie, il y aurait de quoi rendre fous hommes et bÍtes. La consťquence est donc que ce sont vos accŤs de jalousie qui ont privť votre mari de l'usage de sa raison. LUCIANA.--Elle ne lui a jamais fait que de douces remontrances, lorsque lui, il se livrait ŗ la fougue, ŗ la brutalitť de ses emportements grossiers. (_A sa soeur_.) Pourquoi supportez-vous ces reproches sans rťpondre? ADRIANA.--Elle m'a livrťe aux reproches de ma conscience.--Bonnes gens, entrez, et mettez la main sur lui. L'ABBESSE.--Non; personne n'entre jamais dans ma maison. ADRIANA.--Alors, que vos domestiques amŤnent mon mari. L'ABBESSE.--Cela ne sera pas non plus: il a pris ce lieu pour un asile sacrť: et le privilŤge le garantira de vos mains, jusqu'ŗ ce que je l'aie ramenť ŗ l'usage de ses facultťs, ou que j'aie perdu mes peines en l'essayant. ADRIANA.--Je veux soigner mon mari, Ítre sa garde, car c'est mon office; et je ne veux d'autre agent que moi-mÍme: ainsi laissez-le moi ramener dans ma maison. L'ABBESSE.--Prenez patience: je ne le laisserai point sortir d'ici que je n'aie employť les moyens approuvťs que je possŤde, sirops, drogues salutaires, et saintes oraisons, pour le rťtablir dans l'ťtat naturel de l'homme: c'est une partie de mon voeu, un devoir charitable de notre ordre; ainsi retirez-vous, et laissez-le ici ŗ mes soins. ADRIANA.--Je ne bougerai pas d'ici, et je ne laisserai point ici mon mari. Il sied mal ŗ votre saintetť de sťparer le mari et la femme. L'ABBESSE.--Calmez-vous: et retirez-vous, vous ne l'aurez point. (L'abbesse sort.) LUCIANA.--Plaignez-vous au duc de cette indignitť. ADRIANA.--Allons, venez: je tomberai prosternťe ŗ ses pieds, et je ne m'en relŤve point que mes larmes et mes priŤres n'aient engagť Son Altesse ŗ se transporter en personne au monastŤre, pour reprendre de force mon mari ŗ l'abbesse. LE MARCHAND.--L'aiguille de ce cadran marque, je crois, cinq heures. Je suis sŻr que dans ce moment le duc lui-mÍme va se rendre en personne dans la sombre vallťe, lieu de mort et de tristes exťcutions, derriŤre les fossťs de cette abbaye. ANGELO.--Et pour quelle cause y vient-il? LE MARCHAND.--Pour voir trancher publiquement la tÍte ŗ un respectable marchand de Syracuse qui a eu le malheur d'enfreindre les lois et les statuts de cette ville, en abordant dans cette baie. ANGELO.--En effet, les voilŗ qui viennent: nous allons assister ŗ sa mort. LUCIANA, _ŗ sa soeur_.--Jetez-vous aux pieds du duc, avant qu'il ait passť l'abbaye. (Entrent le duc avec son cortŤge, ∆gťon, la tÍte nue, le bourreau, des gardes et autres officiers.) LE DUC, _ŗ un crieur public_.--Proclamez encore une fois publiquement que s'il se trouve quelque ami qui veuille payer la somme pour lui, il ne mourra point, tant nous nous intťressons ŗ son sort! ADRIANA, _se jetant aux genoux du duc_.--Justice, trŤs-noble duc, justice contre l'abbesse. LE DUC.--C'est une dame vertueuse et respectable: il n'est pas possible qu'elle vous ait fait tort. ADRIANA.--Que Votre Altesse daigne m'ťcouter: Antipholus, mon ťpoux,--que j'ai fait le maÓtre de ma personne et de tout ce que je possťdais, sur vos lettres pressantes,--a, dans ce jour fatal, ťtť attaquť d'un accŤs de folie des plus violents. Il s'est ťlancť en furieux dans la rue (et avec lui son esclave, qui est aussi fou que lui), outrageant les citoyens, entrant de force dans leurs maisons, emportant avec lui bagues, joyaux, tout ce qui plaisait ŗ son caprice. Je suis parvenue ŗ le faire lier une fois, et je l'ai fait conduire chez moi, pendant que j'allais rťparer les torts que sa furie avait commis Áŗ et lŗ dans la ville. Cependant, je ne sais par quel moyen il a pu s'ťchapper, il s'est dťbarrassť de ceux qui le gardaient, suivi de son esclave forcenť comme lui; tous deux poussťs par une rage effrťnťe, les ťpťes hors du fourreau, nous ont rencontrť, et sont venus fondre sur nous; ils nous ont mis en fuite, jusqu'ŗ ce que pourvus de nouveaux renforts nous soyons revenus pour les lier; alors ils se sont sauvťs dans cette abbaye, oý nous les avons poursuivis. Et voilŗ que l'abbesse nous ferme les portes, et ne veut pas nous permettre de le chercher, ni le faire sortir, afin que nous puissions l'emmener. Ainsi, trŤs-noble duc, par votre autoritť, ordonnez qu'on l'amŤne et qu'on l'emporte chez lui, pour y recevoir des secours. LE DUC.--Votre mari a servi jadis dans mes guerres; et je vous ai engagť ma parole de prince, lorsque vous l'avez admis ŗ partager votre lit, de lui faire tout le bien qui pourrait dťpendre de moi.--Allez, quelqu'un de vous, frappez aux portes de l'abbaye, et dites ŗ la dame abbesse de venir me parler: je veux arranger ceci, avant de passer outre. (Entre un domestique.) LE DOMESTIQUE.--O ma maÓtresse, ma maÓtresse, courez vous cacher et sauvez vos jours. Mon maÓtre et son esclave sont tous deux l‚chťs: ils ont battu les servantes l'une aprŤs l'autre et liť le docteur, dont ils ont flambť la barbe avec des tisons allumťs[32]; et ŗ mesure qu'elle brŻlait, ils lui ont jetť sur le corps de grands seaux de fange infecte, pour ťteindre le feu qui avait pris ŗ ses cheveux. Mon maÓtre l'exhorte ŗ la patience, tandis que son esclave le tond avec des ciseaux, comme un fou[33]; et sŻrement, si vous n'y envoyez un prompt secours, ils tueront ŗ eux deux le magicien. [Note 32: Cette risible circonstance devait trouver place ici dans une comťdie; mais, _proh pudor!_ on la retrouve dans le plus classique de tous les poŤtes, au milieu des horreurs du carnage d'une bataille: _Obvius ambustum torrem Corynśus ab ord Corripit, et venienti Ebuso, plagamque ferenti Occupat os flammis: olli ingens barba reluxit, Nidoremque ambusta dťdit_. VIRGILE, _Enťide_, livre XII, v. 298.] [Note 33: ęPeut-Ítre ťtait-ce la coutume de raser la tÍte aux idiots et aux fous.Ľ STEEVENS. ęOn trouve, dans les lois ecclťsiastiques d'Alfred, une amende de 10 shillings contre celui qui aurait, par injure, tondu un homme du peuple comme un fou.Ľ TOLLET.] ADRIANA.--Tais-toi, imbťcile: ton maÓtre et son valet sont ici; et tout ce que tu nous dis lŗ est un conte. LE DOMESTIQUE.--Ma maÓtresse, sur ma vie, je vous dis la vťritť. Depuis que j'ai vu cette scŤne, je suis accouru presque sans respirer. Il crie aprŤs vous, et il jure que s'il peut vous saisir, il vous grillera le visage et vous dťfigurera. (_On entend des cris ŗ l'intťrieur_.) …coutez, ťcoutez: je l'entends; fuyez, ma maÓtresse, sauvez-vous. LE DUC, _ŗ Adriana_.--Venez, restez, n'ayez aucune crainte.--Dťfendez-la de vos hallebardes. ADRIANA, _voyant entrer Antipholus d'…phŤse._--O dieux! c'est mon mari! Vous Ítes tťmoins, qu'il reparaÓt ici comme un invisible esprit. Il n'y a qu'un moment, que nous l'avons vu entrer dans cette abbaye; et le voilŗ maintenant qui arrive d'un autre cŰtť: cela dťpasse l'intelligence humaine! (Entrent Antipholus et Dromio d'…phŤse.) ANTIPHOLUS.--Justice! gťnťreux duc; oh! accordez-moi justice! Au nom des services que je vous ai rendus autrefois, lorsque je vous ai couvert de mon corps dans le combat et que j'ai reÁu de profondes blessures pour sauver votre vie, au nom du sang que j'ai perdu alors pour vous, accordez-moi justice. ∆G…ON.--Si la crainte de la mort ne m'Űte pas la raison, c'est mon fils Antipholus que je vois, et Dromio. ANTIPHOLUS.--Justice, bon prince, contre cette femme que voilŗ! Elle, que vous m'avez donnťe vous-mÍme pour ťpouse, elle m'a outragť et dťshonorť par le plus grand et le plus cruel affront. L'injure qu'elle m'a fait aujourd'hui sans pudeur dťpasse l'imagination. LE DUC.--Expliquez-vous, et vous me trouverez juste. ANTIPHOLUS.--Aujourd'hui mÍme, puissant duc, elle a fermť sur moi les portes de ma maison, tandis qu'elle s'y rťgalait avec d'inf‚mes fripons[34]. [Note 34: _Harlots_, mot applicable ťgalement aux fripons et aux filles.] LE DUC.--Voilŗ une faute grave: rťpondez, femme: avez-vous agi ainsi? ADRIANA.--Non, mon digne seigneur:--Moi, lui et ma soeur, nous avons dÓnť ensemble aujourd'hui. Malheur sur mon ‚me, si l'accusation dont il me charge n'est pas fausse! LUCIANA.--Que je ne revoie jamais le jour, que je ne dorme jamais la nuit, si elle ne dit ŗ Votre Altesse la pure vťritť! ANGELO.--O femme parjure! elles rendent toutes deux de faux tťmoignages. Sur ce point le fou les accuse justement. ANTIPHOLUS.--Mon souverain, je sais ce que je dis. Je ne suis point troublť par les vapeurs du vin, ni ťgarť par le dťsordre de la colŤre, quoique les injures que j'ai reÁues puissent faire perdre la raison ŗ un homme plus sage que moi: cette femme m'a enfermť dehors aujourd'hui, et je n'ai pu rentrer pour dÓner: cet orfŤvre que vous voyez, s'il n'ťtait pas d'accord avec elle, pourrait en rendre tťmoignage: car il ťtait avec moi alors: il m'a quittť pour aller chercher une chaÓne, promettant de me l'apporter au Porc-…pic, oý Baltasar et moi avons dÓnť ensemble: notre dÓner fini, et lui ne revenant point, je suis allť le chercher: je l'ai rencontrť dans la rue, et ce marchand en sa compagnie: lŗ ce parjure orfŤvre m'a jurť effrontťment que j'avais aujourd'hui reÁu de lui une chaÓne, que, Dieu le sait! je n'ai jamais vue: et pour cette cause, il m'a fait arrÍter par un sergent! J'ai obťi, et j'ai envoyť mon valet ŗ ma maison chercher de certains ducats: il est revenu, mais sans argent. Alors, j'ai priť poliment l'officier de m'accompagner lui-mÍme jusque chez moi. En chemin, nous avons rencontrť ma femme, sa soeur, et toute une troupe de vils complices: ils amenaient avec eux un certain Pinch, un malheureux au maigre visage, ŗ l'air affamť, un squelette dťcharnť, un charlatan, un diseur de bonne aventure, un escamoteur r‚pť, un misťrable nťcessiteux, aux yeux enfoncťs, au regard rusť, une momie ambulante. Ce dangereux coquin a osť se donner pour un magicien; me regardant dans les yeux, me t‚tant le pouls, me bravant en face, lui qui ŗ peine a un visage, et il s'est ťcriť que j'ťtais possťdť, AussitŰt ils sont tous tombťs sur moi, ils m'ont garottť, m'ont entraÓnť, et m'ont plongť, moi et mon valet, tous deux liťs, dans une humide et tťnťbreuse cave de ma maison. ņ la fin, rongeant mes liens avec mes dents, je les ai rompus; j'ai recouvrť ma libertť, et je suis aussitŰt accouru ici prŤs de Votre Altesse: je la conjure de me donner une ample satisfaction pour ces indignitťs et les affronts inouÔs qu'on m'a fait souffrir. ANGELO.--Mon prince, d'aprŤs la vťritť, mon tťmoignage s'accorde avec le sien en ceci, c'est qu'il n'a pas dÓnť chez lui, mais qu'on lui a fermť la porte. LE DUC.--Mais lui avez-vous livrť on non la chaÓne en question? ANGELO.--Il l'a reÁue de moi, mon prince; et lorsqu'il courait dans cette rue, ces gens-lŗ ont vu la chaÓne ŗ son cou. LE MARCHAND.--De plus, moi je ferai serment que, de mes propres oreilles, je vous ai entendu avouer que vous aviez reÁu de lui la chaÓne, aprŤs que vous l'aviez niť avec serment sur la place du Marchť; et c'est ŗ cette occasion que j'ai tirť l'ťpťe contre vous: alors vous vous Ítes sauvť dans cette abbaye que voilŗ, d'oý vous Ítes, je crois, sorti par miracle. ANTIPHOLUS.--Je ne suis jamais entrť dans l'enceinte de cette abbaye; jamais vous n'avez tirť l'ťpťe contre moi; jamais je n'ai vu la chaÓne: j'en prends le ciel ŗ tťmoin! Et tout ce que vous m'imputez-lŗ n'est que mensonge. LE DUC.--Quelle accusation embrouillťe! Je crois que vous avez tous bu dans la coupe de Circť. S'il ťtait entrť dans cette maison, il y aurait ťtť, s'il ťtait fou, il ne plaiderait pas sa cause avec tant de sang-froid.--Vous dites qu'il a dÓnť chez lui; l'orfŤvre le nie.--Et toi, maraud, que dis-tu? DROMIO.--Prince, il a dÓnť avec cette femme au Porc-…pic. LA COURTISANE.--Oui, mon prince, il a enlevť de mon doigt cette bague que vous lui voyez. ANTIPHOLUS.--Cela est vrai, mon souverain; c'est d'elle que je tiens cette bague. LE DUC, _ŗ la courtisane_.--L'avez-vous vu entrer dans cette abbaye? LA COURTISANE.--Aussi sur, mon prince, qu'il l'est que je vois Votre Gr‚ce. LE DUC.--Cela est ťtrange!--Allez, dites ŗ l'abbesse de se rendre ici: je crois vraiment que vous Ítes tous d'accord ou complŤtement fous! (Un des gens du duc va chercher l'abbesse.) ∆G…ON.--Puissant duc, accordez-moi la libertť de dire un mot. Peut-Ítre vois-je ici un ami qui sauvera ma vie et payera la somme qui peut me dťlivrer. LE DUC.--Dites librement, Syracusain, ce que vous voudrez. ∆G…ON, _ŗ Antipholus_.--Votre nom, monsieur, n'est-il pas Antipholus? et n'est-ce pas lŗ votre esclave Dromio? DROMIO _d'…phŤse_.--Il n'y a pas encore une heure, monsieur, que j'ťtais son esclave liť: mais lui, je l'en remercie, il a coupť deux cordes avec ses dents; et maintenant je suis Dromio et son esclave, mais dťliť. ∆G…ON.--Je suis sur que tous deux vous vous souvenez de moi. DROMIO _d'…phŤse_.--Nous nous souvenons de nous-mÍmes, monsieur, en vous voyant; car il y a quelques instants que nous ťtions liťs, comme vous l'Ítes ŗ prťsent. Vous n'Ítes pas un malade de Pinch, n'est-ce pas, monsieur? ∆G…ON, _ŗ Antipholus_.--Pourquoi me regardez-vous comme un ťtranger? Vous me connaissez bien. ANTIPHOLUS _d'…phŤse_.--Je ne vous ai jamais vu de ma vie, jusqu'ŗ ce moment. ∆G…ON.--Oh! le chagrin m'a changť depuis la derniŤre fois que vous m'avez vu: mes heures d'inquiťtude, et la main destructrice du temps ont gravť d'ťtranges traces sur mon visage. Mais dites-moi encore, ne reconnaissez-vous pas ma voix? ANTIPHOLUS _d'…phŤse_.--Non plus. ∆G…ON.--Et toi, Dromio? DROMIO _d'…phŤse_.--Ni moi, monsieur, je vous l'assure. ∆G…ON.--Et moi je suis sŻr que tu la reconnais. DROMIO _d'…phŤse._--Oui, monsieur? Et moi je suis sŻr que non; et ce qu'un homme vous nie, vous Ítes maintenant tenu de le croire. ∆G…ON.--Ne pas reconnaÓtre ma voix! O temps destructeur! as-tu donc tellement dťformť et ťpaissi ma langue, dans le court espace de sept annťes, que mon fils unique, que voici, ne puisse reconnaÓtre ma faible voix oý rťsonnent les rauques soucis! Quoique mon visage, sillonnť de rides, soit cachť sous la froide neige de l'hiver qui glace la sŤve, quoique tous les canaux de mon sang soient gelťs, cependant un reste de mťmoire luit dans la nuit de ma vie; les flambeaux ŗ demi consumťs de ma vue ont encore quelque p‚le clartť; mes oreilles assourdies me servent encore un peu ŗ entendre, et tous ces vieux tťmoins (non, je ne puis me tromper) me disent que tu es mon fils Antipholus. ANTIPHOLUS _d'…phŤse_.--Je n'ai jamais vu mon pŤre de ma vie. ∆G…ON.--Il n'y a pas encore sept ans, jeune homme, tu le sais, que nous nous sommes sťparťs ŗ Syracuse; mais peut-Ítre, mon fils, as-tu honte de me reconnaÓtre dans l'infortune? ANTIPHOLUS _d'…phŤse_.--Le duc, et tous ceux de la ville qui me connaissent, peuvent attester avec moi que cela n'est pas vrai; je n'ai jamais vu Syracuse de ma vie. LE DUC.--Je t'assure, Syracusain, que depuis vingt ans que je suis le patron d'Antipholus, jamais il n'a vu Syracuse: je vois que ton grand ‚ge et ton danger troublent ta raison. (Entre l'abbesse, suivie d'Antipholus et de Dromio de Syracuse.) L'ABBESSE.--TrŤs-puissant duc, voici un homme cruellement outragť. (Tout le peuple s'approche et se presse pour voir.) ADRIANA.--Je vois deux maris, ou mes yeux me trompent. LE DUC.--Un de ces deux hommes est sans doute le gťnie de l'autre; il en est de mÍme de ces deux esclaves. Lequel des deux est l'homme naturel, et lequel est l'esprit? Qui peut les distinguer? DROMIO _de Syracuse_.--C'est moi, monsieur, qui suis Dromio; ordonnez ŗ cet homme-lŗ de se retirer. DROMIO _d'…phŤse_.--C'est moi, monsieur, qui suis Dromio, permettez que je reste. ANTIPHOLUS _de Syracuse_.--N'es-tu pas ∆gťon? ou es-tu son fantŰme? DROMIO _de Syracuse_.--O mon vieux maÓtre! qui donc l'a chargť ici de ces liens? L'ABBESSE.--Quel que soit celui qui l'a enchaÓnť, je le dťlivrerai de sa chaÓne; et je regagnerai un ťpoux en lui rendant la libertť. Parlez, vieil ∆gťon, si vous Ítes l'homme qui eut une ťpouse jadis appelťe Emilie, qui vous donna ŗ la fois deux beaux enfants, oh! si vous Ítes le mÍme ∆gťon, parlez, et parlez ŗ la mÍme Emilie! ∆G…ON.--Si je ne rÍve point, tu es Emilie; si tu es Emilie, dis-moi oý est ce fils qui flottait avec toi sur ce fatal radeau? L'ABBESSE.--Lui et moi, avec le jumeau Dromio, nous fŻmes recueillis par des habitants d'…pidaure; mais un moment aprŤs, de farouches pÍcheurs de Corinthe leur enlevŤrent de force Dromio et mon fils, et me laissŤrent avec ceux d'…pidaure. Ce qu'ils devinrent depuis, je ne puis le dire; moi, la fortune m'a placťe dans l'ťtat oý vous me voyez. LE DUC.--Voici son histoire de ce matin qui commence ŗ se vťrifier; ces deux Antipholus, ces deux fils si ressemblants, et ces deux Dromio, tous les deux si pareils; et puis ce que cette femme ajoute de son naufrage!--Voilŗ les parents de ces enfants que le hasard rťunit, Antipholus, tu es venu d'abord de Corinthe? ANTIPHOLUS _de Syracuse_.--Non, prince; non pas moi: je suis venu de Syracuse. LE DUC.--Allons, tenez-vous ŗ l'ťcart; je ne peux vous distinguer l'un de l'autre. ANTIPHOLUS _d'…phŤse_.--Je suis venu de Corinthe, mon gracieux seigneur. DROMIO _d'…phŤse_.---Et moi avec lui. ANTIPHOLUS _d'…phŤse_.--Conduit dans cette ville par le cťlŤbre duc Mťnaphon, votre oncle, ce guerrier si fameux. ADRIANA.--Lequel des deux a dÓnť avec moi aujourd'hui? ANTIPHOLUS _de Syracuse_.--Moi, ma belle dame. ADRIANA.--Et n'Ítes-vous pas mon mari? ANTIPHOLUS _d'…phŤse_.--Non, ŗ cela je dis non. ANTIPHOLUS _de Syracuse_.--Et j'en conviens avec vous; quoiqu'elle m'ait donnť ce titre....., et que cette belle demoiselle, sa soeur, que voilŗ, m'ait appelť son frŤre.--Ce que je vous ai dit alors, j'espŤre avoir un jour l'occasion de vous le prouver, si tout ce que je vois et que j'entends n'est pas un songe. ANGELO.--Voilŗ la chaÓne, monsieur, que vous avez reÁue de moi. ANTIPHOLUS _de Syracuse_.--Je le crois, monsieur; je ne le nie pas. ANTIPHOLUS _d'…phŤse, ŗ Angelo_.--Et vous, monsieur, vous m'avez fait arrÍter pour cette chaÓne. ANGELO.--Je crois que oui, monsieur; je ne le nie pas. ADRIANA, _ŗ Antipholus d'…phŤse_.--Je vous ai envoyť de l'argent, monsieur, pour vous servir de caution par Dromio; mais je crois qu'il ne vous l'a pas portť. (Dťsignant Dromio de Syracuse.) DROMIO _de Syracuse_.--Non, point par moi. ANTIPHOLUS _de Syracuse_.--J'ai reÁu de vous cette bourse de ducats; et c'est Dromio, mon valet, qui me l'a apportťe: je vois ŗ prťsent que chacun de nous a rencontrť le valet de l'autre, j'ai ťtť pris pour lui, et lui pour moi; et de lŗ sont venues ces Mťprises. ANTIPHOLUS _d'…phŤse_.--J'engage ici ces ducats pour la ranÁon de mon pŤre, que voilŗ. LE DUC.--C'est inutile, je donne la vie ŗ votre pŤre. LA COURTISANE, _ŗ Antipholus d'…phŤse_.--Monsieur, il faut que vous me rendiez ce diamant. ANTIPHOLUS _d'…phŤse_.--Le voilŗ, prenez-le, et bien des remerciements pour votre bonne chŤre. L'ABBESSE.--Illustre duc, veuillez prendre la peine d'entrer avec nous dans cette abbaye: vous entendrez l'histoire entiŤre de nos aventures. Et vous tous qui Ítes assemblťs en ce lieu, et qui avez souffert quelque prťjudice des erreurs rťciproques d'un jour, venez, accompagnez-nous, et vous aurez pleine satisfaction.--Pendant vingt-cinq ans entiers, j'ai souffert les douleurs de l'enfantement ŗ cause de vous, mes enfants, et ce n'est que de cette heure que je suis enfin dťlivrťe de mon pesant fardeau.--Le duc, mon mari, et mes deux enfants, et vous, les calendriers de leur naissance, venez avec moi ŗ une fÍte d'accouchťe; ŗ de si longues douleurs doit succťder une telle nativitť. LE DUC.--De tout mon coeur; je veux jaser comme une commŤre ŗ cette fÍte. (Sortent le duc, l'abbesse, ∆gťon, la courtisane, le marchand et la suite.) DROMIO _de Syracuse, ŗ Antipholus d'…phŤse_.--Mon maÓtre, irai-je reprendre abord votre bagage? ANTIPHOLUS _d'…phŤse_.--Dromio, quel bagage ŗ moi as-tu donc embarquť? DROMIO _de Syracuse_.--Tous vos effets, monsieur, que vous aviez ŗ l'auberge du Centaure. ANTIPHOLUS _de Syracuse_.--C'est ŗ moi qu'il veut parler: c'est moi qui suis ton maÓtre, Dromio; allons, viens avec nous: nous pourvoirons ŗ cela plus tard: embrasse ici ton frŤre, et rťjouis-toi avec lui. (Les deux Antipholus sortent.) DROMIO _de Syracuse_.--Il y a ŗ la maison de votre maÓtre une grosse amie qui, aujourd'hui ŗ dÓner, m'a _encuisinť_, en me prenant pour vous. Ce sera dťsormais ma soeur, et non ma femme. DROMIO _d'…phŤse_.--Il me semble que vous Ítes mon miroir, au lieu d'Ítre mon frŤre. Je vois dans votre visage que je suis un joli garÁon.--Voulez-vous entrer pour voir leur fÍte? DROMIO _de Syracuse_.--Ce n'est pas ŗ moi, monsieur, ŗ passer le premier: vous Ítes mon aÓnť. DROMIO _d'…phŤse_.--C'est une question: comment la rťsoudrons-nous? DROMIO _de Syracuse_.--Nous tirerons ŗ la courte paille pour la dťcider. Jusque-lŗ, passez devant. DROMIO _d'…phŤse._--Non, tenons-nous ainsi. Nous sommes entrťs dans le monde comme deux frŤres: entrons ici la main dans la main, et non l'un devant l'autre. (Ils sortent.) FIN DU CINQUI»ME ET DERNIER ACTE. End of Project Gutenberg's La Comťdie des Mťprises, by William Shakespeare *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK LA COM…DIE DES M…PRISES *** ***** This file should be named 15848-8.txt or 15848-8.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: https://www.gutenberg.org/1/5/8/4/15848/ Produced by Paul Murray, Renald Levesque and the Online Distributed Proofreading Team. This file was produced from images generously made available by the BibliothŤque nationale de France (BnF/Gallica) Updated editions will replace the previous one--the old editions will be renamed. 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24,300 words • 405 hours read

— End of La Comédie des Méprises —

Book Information

Title
La Comédie des Méprises
Author(s)
Shakespeare, William
Language
French
Type
Text
Release Date
May 17, 2005
Word Count
24,300 words
Library of Congress Classification
PR
Bookshelves
FR Théâtre, Browsing: Literature, Browsing: Performing Arts/Film, Browsing: Fiction
Rights
Public domain in the USA.