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The Project Gutenberg EBook of Ivanhoe (4/4), by Walter Scott

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Release Date: December 9, 2010 [EBook #34608]
[Last updated: March 26, 2012]

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The Project Gutenberg EBook of Ivanhoe (4/4), by Walter Scott This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: Ivanhoe (4/4) Le retour du croisť Author: Walter Scott Translator: Albert Montťmont Release Date: December 9, 2010 [EBook #34608] [Last updated: March 26, 2012] Language: French Character set encoding: ISO-8859-1 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK IVANHOE (4/4) *** Produced by Mireille Harmelin, Jean-Pierre Lhomme, Rťnald Lťvesque (HTML) and the Online Distributed Proofreaders Europe at http://dp.rastko.net. This file was produced from images generously made available by the BibliothŤque nationale de France (BnF/Gallica) IVANHOE OU LE RETOUR DU CROIS… Par Walter Scott. TRADUCTION NOUVELLE PAR M. ALBERT-MONT…MONT, Toujours de son dťpart il faisait les apprÍts, Prenait congť sans cesse, et ne partait jamais. (_Trad. de Prior_.) TOME QUATRI»ME. PARIS. RIGNOUX, IMPRIMEUR-LIBRAIRE, …DITEUR, Rue des Francs-Bourgeois-S.-Michel, Nį 8. AMABLE GOBIN ET Cie, Successeurs de la Maison Baudouin, rue de Vaugirard, 17. 1829. Chapitre XXXV A exciter le tigre d'Hyrcanie ou ŗ disputer sa proie au lion affamť, il y a moins de pťril qu'ŗ rallumer le feu mal ťteint du Fanatisme sauvage. ANONYME. Revenons maintenant sur les traces d'Isaac d'York.--Montť sur une mule, prťsent de l'Outlaw, et accompagť de deux robustes yeomen pour le guider et le protťger, le juif ťtait parti pour la comanderie de Templestowe dans l'intention de nťgocier la ranÁon de sa fille. La comanderie n'ťtait situťe qu'ŗ une journťe de marche du ch‚teau en ruine de Torquilstone, et le juif espťrait y arriver avant la nuit; au sortir du bois, il congťdia ses guides dont il compensa le zŤle, en donnant ŗ chacun une piŤce d'argent, et reprit sa route avec toute la diligence que lui permettait la fatigue qu'il ťprouvait: mais il avait encore quatre milles ŗ faire pour arriver ŗ Templestowe, lorsque ses forces l'abandonnŤrent complťtement; des douleurs aiguŽs se firent sentir dans tous ses membres, ce qui, joint aux angoisses auxquelles son esprit se trouvait en proie, le forÁa ŗ s'arrÍter dans une petite ville oý demeurait un rabbin de sa tribu, habile mťdecin, et dont il ťtait connu. Nathan Ben IsraŽl accueillit son corrťligionnaire souffrant avec ce sentiment d'hospitalitť que sa loi lui commandait, et que les juifs exerÁaient les uns envers les autres. Il insista sur la nťcessitť de prendre du repos, et lui donna les remŤdes regardťs alors comme les plus propres ŗ arrÍter les progrŤs d'une fiŤvre occasionnťe par la terreur, la fatigue et le chagrin que le pauvre juif ressentait vivement. Le lendemain matin, lorsque Isaac parla de se lever et de continuer sa route, Nathan chercha ŗ s'opposer ŗ ce dessein, non seulement comme ami, mais encore comme mťdecin, lui disant qu'il s'exposait ŗ perdre la vie; mais Isaac rťpondit qu'il fallait absolument qu'il se rendÓt ce jour-lŗ mÍme ŗ Templestowe, et qu'il y allait pour lui plus que de la vie. ęņ Templestowe!Ľ s'ťcria son hŰte ťtonnť: puis, lui t‚tant de nouveau le pouls, il se dit ŗ lui-mÍme: ęSa fiŤvre n'est plus aussi forte, mais son esprit paraÓt troublť et mÍme ťgarť.Ľ--ęEt pourquoi pas ŗ Templestowe? rťpondit le malade. Je conviens avec toi, Nathan, que c'est la demeure de ceux pour qui les enfans de la Promesse, accablťs de mťpris, sont une pierre d'achoppement, et qui ont notre peuple en abomination. Tu sais nťanmoins que des affaires pressantes de commerce nous amŤnent quelquefois parmi ces nazarťens altťrťs de sang, et que nous visitons parfois les prťceptoreries des templiers, et les commanderies des chevaliers hospitaliers, comme on les appelle[1].Ľ Note 1: Les ťtablissemens des chevaliers du Temple ťtaient, dit Walter Scott, appelťs prťceptoreries, et le prťsident prenait le titre de prťcepteur, de mÍme que les chefs de l'ordre des chevaliers de Saint-Jean-de-Jťrusalem s'appelaient commandeurs, et les lieux de leur rťsidence commanderies. Il parait, au reste, ajoute-t-il par erreur, que ces termes ťtaient frťquemment employťs indistinctement l'un pour l'autre. Les _prťceptoreries_ templiŤres ťtaient de grandes divisions territoriales. Il y en avait deux dans chaque partie du monde, laquelle formait une _lieutenance gťnťrale_. Chaque grande prťceptorerie comprenait un certain nombre de _grands prieurťs_ ou ťtats politiques; chaque grand prieurť un certain nombre de _bailliages_ ou provinces; et chaque bailliage les _commanderies_ ou villes qui en dťpendaient. A. M. ęJe sais cela, dit Nathan; mais toi, ignores-tu que Lucas de Beaumanoir, le chef, ou comme ils l'appellent, le grand-maÓtre de l'ordre, est lui-mÍme en ce moment ŗ Templestowe?Ľ--ęJe l'ignorais, rťpondit Isaac; car les derniŤres lettres de nos frŤres de Paris annonÁaient qu'il ťtait dans cette capitale, sollicitant auprŤs de Philippe des secours contre Saladin.Ľ ęIl est venu depuis en Angleterre, sans Ítre attendu par ses frŤres, dit le rabbin; et il s'est prťsentť avec l'intention bien prononcťe de ch‚tier et de punir, en un mot, de faire sentir les effets de son courroux ŗ ceux qui ont violť les sermens qu'ils avaient faits: aussi les enfans de Bťlial sont-ils dans la plus grande consternation. Tu dois avoir entendu parler de lui?Ľ ęSon nom m'est bien connu, rťpondit Isaac; ce Lucas de Beaumanoir passe, dit-on, pour un homme zťlť au point de faire ťgorger sans misťricorde tout individu qui s'ťcarte de la loi du Nazarťen. Nos frŤres l'ont nommť le fťroce destructeur des Sarrasins, et le cruel tyran des enfans de la terre de Promission.Ľ ęParfaitement nommť, s'ťcria Nathan. D'autres templiers se laisseront dťtourner de leurs projets sanguinaires par l'app‚t du plaisir ou par la promesse d'une somme d'argent; mais Beaumanoir est d'un caractŤre bien diffťrent. Ennemi de toute sensualitť, mťprisant les trťsors, il marche, il se presse, il se h‚te d'atteindre ŗ ce qu'on appelle la couronne du martyre. Puisse le Dieu de Jacob la lui envoyer promptement, aussi bien qu'ŗ tous ceux qui recherchent les moyens de s'en rendre dignes. Mais c'est plus particuliŤrement sur les enfans de Juda que cet orgueilleux a ťtendu son gantelet, comme le saint roi David sur …dom, regardant le meurtre d'un juif comme une offrande aussi douce et aussi agrťable que la destruction d'un Sarrasin. Que de faussetťs, que d'impiťtťs n'a-t-il pas profťrťes mÍme contre les vertus de nos remŤdes, comme si c'ťtaient des inventions de Satan? Que le Seigneur l'en punisse!Ľ ęQuoi qu'il en soit, dit Isaac, il faut que je me rende ŗ Templestowe, dŻt son visage devenir aussi enflammť qu'une fournaise sept fois chauffťe au blanc.Ľ Alors il expliqua ŗ Nathan le motif pressant de son voyage. Le rabbin l'ťcouta avec intťrÍt, et, ŗ la maniŤre de sa nation, lui tťmoigna toute la part qu'il prenait ŗ son malheur, en dťchirant ses vÍtemens, et s'ťcriant: ęAh, ma fille! ma fille! oý est la fille de Sion? Quand viendra la fin de la captivitť d'IsraŽl?Ľ ęTu vois, dit Isaac, quelle est ma position; tu vois que je ne puis m'arrÍter plus long-temps. Il est possible que la prťsence de ce Lucas de Beaumanoir, le chef de l'ordre, empÍche Brian de Bois-Guilbert d'accomplir le mal qu'il mťdite, et l'engage ŗ me rendre Rťbecca, ma fille. ęEh bien donc, pars! dit Nathan Ben IsraŽl, mais sois sage et prudent; car ce fut ŗ sa sagesse et ŗ sa prudence que Daniel dut la conservation de sa vie dans la fosse aux lions, oý il avait ťtť jetť; puisses-tu rťussir au grť de tes dťsirs! Cependant, ťvite autant qu'il te sera possible la prťsence du grand-maÓtre, car son plus grand plaisir, soit le matin, soit le soir, est de donner quelque preuve de son fťroce mťpris pour notre nation. Il me semble que, si tu pouvais avoir une conversation particuliŤre avec Bois-Guilbert, tu t'en trouverais beaucoup mieux; car on dit que ces maudits nazarťens ne s'accordent pas toujours trŤs bien entre eux ŗ la prťceptorerie. Que Dieu confonde leurs projets et les couvre d'une honte ťternelle! Mais, je t'en prie, mon ami, reviens ici comme tu le ferais chez ton pŤre, et instruis-moi de ce qui te sera arrivť. J'espŤre que tu ramŤneras Rťbecca, cette digne ťlŤve de Miriam, dont les cures ont ťtť calomniťes par les gentils, comme si elles eussent ťtť opťrťes par la nťcromancie.Ľ En consťquence Isaac prit congť de son ami, et au bout d'une heure de chemin arriva devant la porte de la prťceptorerie de Templestowe. Cet ťtablissement des Templiers ťtait situť au milieu de belles prairies et de gras p‚turages, dont la dťvotion des anciens prťcepteurs avait fait donation ŗ l'ordre. Le ch‚teau ťtait solidement b‚ti et bien fortifiť, prťcaution que ces chevaliers ne nťgligeaient jamais et que l'ťtat de trouble oý se trouvait l'Angleterre, rendait particuliŤrement nťcessaire. Deux hallebardiers, vÍtus de noir, gardaient le pont-levis, tandis que d'autres, portant la mÍme livrťe de la tristesse, allaient et venaient sur les remparts, avec une dťmarche lugubre, et ressemblaient plutŰt ŗ des sceptres qu'ŗ des soldats. C'est ainsi qu'ťtaient habillťs les officiers infťrieurs de l'ordre, depuis que l'usage de porter des vÍtemens blancs semblables ŗ ceux des chevaliers et des ťcuyers, avait donnť naissance dans les montagnes de la Palestine ŗ une association de faux frŤres qui avaient pris le nom de templiers et qui avaient jetť beaucoup de dťshonneur sur l'ordre. On voyait de temps en temps un chevalier, traverser la cour, couvert de son long manteau blanc, les bras croisťs et la tÍte penchťe sur la poitrine. Si deux chevaliers se rencontraient, ils passaient ŗ cŰtť l'un de l'autre, marchant d'un pas grave et solennel, et se faisant un salut silencieux; car telle ťtait la rŤgle ťtablie dans les statuts de l'ordre, et fondťe sur le texte sacrť qui y ťtait rapportť: ęEn disant plusieurs paroles, tu n'ťviteras pas le pťchť;Ľ et encore: ęLa vie et la mort sont au pouvoir de la langue.Ľ En un mot, la rigueur sťvŤre et ascťtique de la discipline du Temple, qui avait pendant si long-temps fait place ŗ la prodigalitť et ŗ la licence, semblait avoir tout ŗ coup repris son empire ŗ Templestowe, ou demeure du Temple, sous l'oeil sťvŤre de Lucas de Beaumanoir. Isaac s'arrÍta ŗ la porte pour considťrer comment il pourrait se procurer l'entrťe du ch‚teau, de maniŤre ŗ se concilier la faveur des habitans; car il n'ignorait pas que le fanatisme, renaissant de l'ordre, n'ťtait pas moins dangereux pour sa malheureuse race, que la licence effrťnťe qui rťgnait prťcťdemment, et que sa religion serait maintenant l'objet de la haine et de la persťcution, comme ses richesses l'auraient auparavant exposť aux extorsions d'oppresseurs aussi impitoyables. En ce moment Lucas de Beaumanoir se promenait dans un petit jardin appartenant ŗ la prťceptorerie, situť dans l'enceinte des fortifications extťrieures, et s'entretenait tristement et confidentiellement avec un chevalier de son ordre, revenu avec lui de la Palestine. Le grand-maÓtre ťtait un homme avancť en ‚ge, comme le prouvait sa longue barbe grise ainsi que ses sourcils ťpais et gris, ombrageant des yeux dont la vieillesse n'avait encore pu amortir le feu. Guerrier et formidable, sa figure maigre et son air sťvŤre conservaient la fťrocitť d'expression du soldat: bigot ascťtique, ses traits n'ťtaient pas moins marquťs par l'amaigrissement, effet de l'abstinence, que par l'orgueil qui remplit l'ame d'un dťvot qui est content de lui-mÍme. Cependant il y avait dans l'air ‚pre de sa physionomie quelque chose de frappant et de noble, qui sans doute ťtait l'effet des rapports que sa haute dignitť lui donnait occasion d'entretenir avec les princes et les monarques, ainsi que de la suprÍme autoritť qu'il exerÁait sur les vaillans et nobles chevaliers qui ťtaient rťunis sous les statuts et les banniŤres de l'ordre. Sa taille ťtait grande, son corps droit et nullement courbť par l'‚ge et la fatigue, et sa dťmarche majestueuse. Son manteau blanc ťtait taillť avec la plus stricte rťgularitť et en la forme prescrite par saint Bernard lui-mÍme, ťtant fait de bure, allant parfaitement ŗ la taille de celui qui le portait, et ayant sur l'ťpaule gauche la croix octogone de drap rouge particuliŤre ŗ l'ordre. Ce vÍtement n'ťtait ornť ni de vair, ni d'hermine; mais, en raison de son ‚ge, le grand-maÓtre, ainsi que les statuts de l'ordre le lui permettaient, portait un pourpoint doublť et bordť de peau d'agneau avec la laine qui ťtait trŤs fine, en dehors: c'ťtait lŗ le seul usage que la rŤgle lui permettait de faire des fourrures, dans un temps oý elles ťtaient regardťes comme le plus grand objet de luxe. Il portait ŗ la main ce singulier _abacus_ ou b‚ton de commandement, avec lequel on voit souvent les templiers reprťsentťs, dont l'extrťmitť supťrieure ťtait surmontťe d'une plaque ronde sur laquelle ťtait gravťe la croix de l'ordre inscrite dans un cercle, ou, en termes de blason, dans un _orle_. Le chevalier qui accompagnait ce grand personnage portait le mÍme costume ŗ peu de chose prŤs, mais son extrÍme dťfťrence envers son supťrieur montrait que c'ťtait lŗ le seul point d'ťgalitť qui existait entre eux. Le prťcepteur[2], car tel ťtait son rang, ne marchait pas sur la mÍme ligne que le grand-maÓtre, mais un peu en arriŤre, et pas assez loin pour que Beaumanoir fŻt obligť de tourner la tÍte pour lui parler. Note 2: L'auteur veut dire le _grand prťcepteur_. M. Defauconpret traduit le terme par le _prťcepteur ou commandeur_; ce qui est une erreur grave, puisque entre le grand prťcepteur et le commandeur il y avait le grand prieur et le bailly. A. M. ęConrad, dit le grand-maÓtre, cher compagnon de mes combats et de mes fatigues, ce n'est que dans ton sein fidŤle que je puis dťposer mes chagrins. Ce n'est qu'ŗ toi que je puis dire combien de fois, depuis mon arrivťe dans ce royaume, j'ai dťsirť voir le terme de mon existence et Ítre comptť au nombre des justes. Je n'ai pas rencontrť dans toute l'Angleterre un seul objet sur lequel mon oeil pŻt se reposer avec plaisir, exceptť les tombeaux de nos frŤres, sous les voŻtes massives de notre ťglise du Temple, dans cette superbe capitale. ‘ vaillant Robert-de-Ros! disais-je en moi-mÍme en contemplant ces braves soldats de la croix, dont les images sont sculptťes sur leurs tombeaux; Ű digne Guillaume-de-Mareschal! ouvrez vos cellules de marbre, et partagez le repos dont vous jouissez avec un frŤre accablť de fatigues, qui aimerait mieux avoir ŗ combattre contre cent mille paÔens que d'Ítre tťmoin de la dťcadence de notre ordre!Ľ ęIl n'est que trop vrai, rťpondit Conrad-Montfichet, il n'est que trop vrai; et les dťsordres de nos frŤres en Angleterre sont encore plus honteux et plus choquans que ceux de nos frŤres en France.Ľ ęParce qu'ils sont plus riches, rťpliqua le grand-maÓtre. Pardonne un peu de vanitť, mon cher frŤre, si parfois je me donne quelques louanges. Tu sais la vie que j'ai menťe, observant religieusement tous les statuts de notre ordre, luttant contre des dťmons visibles et invisibles, terrassant le lion rugissant qui tourne sans cesse partout, cherchant qui il pourra dťvorer, le frappant, en preux chevalier et en bon prÍtre, partout oý je le rencontrerai, suivant ce que le bienheureux saint Bernard nous prescrit par le quarante-cinquiŤme article de notre rŤgle, _ut leo semper feriatur_[3]. Mais, par le saint Temple! par le zŤle qui a dťvorť ma substance et ma vie, que dis-je! jusqu'ŗ mes nerfs et ŗ la moelle de mes os! par ce saint Temple mÍme, je te jure que, exceptť toi et un petit nombre d'autres frŤres qui conservent encore l'antique sťvťritť de notre ordre, je n'en trouve aucun que je puisse dťsigner sous ce saint nom. Que disent nos statuts, et comment nos frŤres les observent-ils? Ils ne devraient porter aucun ornement vain, ou mondain, point de cimier sur leurs casques, point d'or ŗ leurs ťtriers, ni au mors de leurs brides[4]; et cependant, qui se prťsente plus parť, plus vain, plus chargť d'ornemens que les pauvres soldats du Temple? Il leur est dťfendu de se servir d'un oiseau pour en prendre un autre[5], de chasser ŗ l'arc ou ŗ l'arbalŤte[6], de donner du cor, de courre le cerf; et cependant vťnerie, fauconnerie, chasse, pÍche, toutes ces vanitťs du monde ont pour eux les plus grands attraits, les charmes les plus puissans. Il leur est dťfendu de lire d'autres livres que ceux permis par leur supťrieur, ou ceux qu'on lit ŗ haute voix pendant les repas, et qui leur ordonnent d'extirper la magie et l'hťrťsie; et voilŗ qu'ils sont accusťs d'ťtudier les maudits secrets cabalistiques des juifs et la magie des impies Sarrasins. La frugalitť dans les repas leur est prescrite; ils ne doivent avoir que des mets simples, des racines, des lťgumes, des gruaux, et ne manger de la viande que trois fois par semaine, parce que l'usage habituel de cette nourriture produit une corruption honteuse du corps[7]; et leurs tables sont surchargťes des mets les plus dťlicats. Leur boisson devrait Ítre de l'eau, et maintenant _boire comme un templier_ est un exploit dont se fait gloire tout homme qui veut passer pour un bon compagnon de table. Ce jardin mÍme, rempli comme il l'est d'arbustes curieux et de plantes prťcieuses transplantťes des climats de l'Orient, conviendrait mieux au harem d'un ťmir incrťdule qu'ŗ un couvent oý des moines chrťtiens consacrent un terrain uniquement ŗ la culture des herbes propres ŗ leur nourriture. Encore, mon cher Conrad, si le rel‚chement de la discipline s'arrÍtait lŗ!... Tu sais bien qu'il nous a ťtť dťfendu de recevoir ces femmes dťvotes qui dans l'origine ťtaient associťes ŗ l'ordre, sous le titre de soeurs, parce que, dit le quarante-sixiŤme chapitre[8], notre ancien ennemi a, par le moyen de la sociťtť des femmes, rťussi ŗ dťtourner plus d'un fidŤle du droit sentier du paradis. Bien plus, le dernier article, qui est, si je puis parler ainsi, la pierre de couronnement que notre bienheureux fondateur a posťe sur la doctrine pure et sans tache qu'il nous a enseignťe, nous dťfend de donner, mÍme ŗ nos mŤres et ŗ nos soeurs, le baiser d'affection, _ut omnium mulierum fugiantur oscula_[9]. Mais, j'ai honte de le dire, j'ai honte d'y penser; quelle corruption est venue fondre sur notre ordre comme un torrent! Les ames pures de nos saints fondateurs, les esprits de Hughes de Payen, de Godefroy de Saint-Omer et des sept bienheureux champions qui les premiers se rťunirent pour consacrer leur vie au service du Temple, sont troublťs dans leur jouissance du paradis mÍme. Je les ai vus, Conrad, dans mes visions de la nuit: leurs yeux, oý brillait la saintetť, versaient des larmes sur les pťchťs et les folies de leurs frŤres, sur leur luxe honteux et sur le libertinage affreux dans lequel ils vivent. ęBeaumanoir, m'ont-ils dit, tu dors; rťveille-toi! Il y a une souillure dans le sanctuaire du Temple, profonde et infecte comme celle des taches de lŤpre sur les maisons des anciens temps[10]. Les soldats de la croix, qui devaient fuir le regard de la femme, comme l'oeil du basilic, vivent ouvertement dans le pťchť, non seulement avec les femmes de leur croyance, mais encore avec celles des paÔens maudits et des juifs plus maudits encore. Beaumanoir, tu dors, lŤve-toi et venge notre cause; ťgorge les pťcheurs, hommes et femmes; prends le glaive de Phinťas.Ľ La vision disparut, Conrad; mais, en me rťveillant, je crus encore entendre le bruit de leur armure et voir flotter leurs manteaux blancs. Oui, j'agirai suivant leurs ordres; je veux purifier le sanctuaire du Temple; et les pierres impures qui renferment le levain de la corruption, je les arracherai et les jetterai loin de l'ťdifice.Ľ Note 3: Walter Scott fait ici erreur de cotation de chapitre: c'est le quarante-huitiŤme au lieu du quarante-cinquiŤme. ęNam est certum, quod vobis specialiter creditum est, et debitum pro fratribus vestris animam ponere, utque incredulos, qui semper virginis filio minitantur, de terra delere. De leone nos hoc dedimus, quia ipse circuit, quśrens quem devoret et manus ejus contra omnes, omniumque manus contra nos.Ľ A. M. Note 4: Art. 37: ęDe frenis et calcaribus.Ľ Note 5: Art. 46 de la rŤgle de Saint-Bernard: ęUt nullus avem cum ave capiat.Ľ Note 6: Art. 47: ęUt nullus arcu vel balista percutiat.Ľ A. M. Note 7: Art. 10: ęDe carnis refectione.Ľ A. M. Note 8: C'est l'art. 56: ęAmplius sorores non coadunentur maribus.Ľ Par l'art. 55, saint Bernard permet ŗ quelques frŤres de se marier. Note 9: Art. 72: ęPericulosum esse credimus omni religione vultmn mulierum niimis atlendere... Fugiat ergo fśmina oscula.Ľ A. M. Note 10: _Lťvitique_, chap. 13. A. M. ęRťflťchis cependant, rťvťrend pŤre, dit Mont-Fichet; la tache a pťnťtrť profondťment, par l'effet du temps et de l'habitude. Votre projet de rťforme est dictť par la justice et la sagesse; elle doit Ítre opťrťe avec prudence et prťcaution.Ľ--ęNon, Mont-Fichet, dit le grand maÓtre; elle doit Ítre sťvŤre et prompte; notre ordre est dans une crise d'oý dťpend sa future existence. La sobriťtť, le dťvouement et la piťtť de nos prťdťcesseurs nous avaient acquis de puissans amis; notre prťsomption, notre opulence, notre luxe, ont soulevť contre nous des ennemis non moins redoutables. Nous devons jeter loin de nous ces richesses qui offrent une tentation aux princes, humilier cet orgueil qui les offense, rťformer cette licence de moeurs qui est un scandale pour tout le monde chrťtien. Sans cela, souviens-toi bien de ce que je te dis: l'ordre du Temple sera totalement aboli, et la place qu'il occupait ne sera plus connue parmi les nations.[11]Ľ--ęAh! s'ťcria le prťcepteur, puisse le ciel dťtourner une telle calamitť!Ľ Note 11: Cette longue sťrie d'accusations sur les dťsordres des templiers a ťtť puisťe par l'auteur dans les livres de leurs ennemis, qui, moines comme eux, supposaient ŗ leurs adversaires les mÍmes vices que ceux de leurs propres corporations. A. M. ę_Amen!_ dit le grand-maÓtre d'un ton solennel; mais il faut mťriter son secours. Je te dis, Conrad, que ni les puissances du ciel ni celles de la terre ne peuvent plus souffrir la mťchancetť de la prťsente gťnťration. Je ne me trompe point; le terrain sur lequel s'ťlŤve l'ťdifice de notre ordre est dťjŗ minť, et chaque addition que nous faisons ŗ l'ťdifice de notre grandeur ne fait que h‚ter le moment oý il sera prťcipitť dans l'abÓme. Il faut que nous retournions sur nos pas, et que nous nous montrions les fidŤles champions de la croix, en sacrifiant ŗ l'ťtat que nous avons embrassť, non pas seulement notre sang et notre vie, non pas seulement nos passions et nos vices, mais mÍme notre aisance, notre bien-Ítre, et jusqu'ŗ nos affections naturelles et ŗ des plaisirs qui peuvent Ítre lťgitimes pour d'autres, mais qui sont interdits aux soldats dťvouťs du Temple.Ľ En ce moment, un ťcuyer couvert d'un manteau dont l'ťtoffe ne montrait plus que la corde (car les aspirans de ce saint ordre portaient pendant leur noviciat les vieux vÍtemens usťs des chevaliers) entra dans le jardin, et ayant fait une profonde rťvťrence au grand-maÓtre, se tint debout devant lui, gardant le silence et attendant qu'il lui fŻt permis de parler et de s'acquitter de la commission dont il ťtait chargť. ęN'est-il pas plus convenable, dit le grand-maÓtre, de voir ce Damien couvert des vÍtemens de l'humilitť chrťtienne, se prťsenter ainsi dans un silence respectueux de son supťrieur, que follement parť comme il l'ťtait il n'y a que deux jours, d'habillemens de diverses couleurs, babillant et disputant d'un air fier et impertinent comme un perroquet? Parle, Damien, nous te le permettons. Que viens-tu m'annoncer?Ľ--ęUn juif est ŗ la porte, ťminentissime pŤre, rťpondit Damien, demandant ŗ parler au frŤre Brian de Bois-Guilbert.Ľ ęTu as bien fait de m'en informer, dit le grand-maÓtre; lorsque nous sommes prťsens, un prťcepteur n'est pas plus qu'un simple compagnon de notre ordre, qui ne peut pas marcher selon sa volontť, mais selon celle de son maÓtre, conformťment au texte sacrť de l'…criture: ęSuivant ce que j'ai dit ŗ son oreille, il m'a obťi!Ľ Puis se tournant vers Mont-Fichet: ęIl nous importe d'une maniŤre toute spťciale, Conrad, lui dit-il, de connaÓtre la conduite de ce Bois-Guilbert.Ľ--ęLa renommťe, rťpondit Conrad, le proclame comme un chevalier brave et vaillant.Ľ ęEt la renommťe ne se trompe pas, dit le grand-maÓtre; ce n'est qu'en valeur que nous n'avons pas dťgťnťrť de nos prťdťcesseurs, les hťros de la croix. Mais le frŤre Brian est entrť dans notre ordre comme un homme qui est de mauvaise humeur, parce qu'il a ťtť trompť dans ses espťrances, poussť, je le soupÁonne fort, ŗ prononcer ses voeux de renoncer au monde et de faire pťnitence, par suite non d'une conviction sincŤre, mais plutŰt de quelque mťcontentement. Depuis ce temps, il a toujours ťtť un agitateur actif et ardent, un machinateur d'intrigues, de complots et de murmures, et le chef de ceux qui rťsistent ŗ notre autoritť, oubliant que le gouvernement de l'ordre est confiť au grand-maÓtre sous les symboles du b‚ton et de la verge; du b‚ton pour soutenir le faible, de la verge pour ch‚tier le coupable. Damien, continua-t-il, amŤne ce juif en notre prťsence.Ľ L'ťcuyer se retira en faisant une profonde inclination, et revint quelques momens aprŤs, suivi d'Isaac d'York. Jamais esclave, conduit dans toute sa nuditť en prťsence de quelque puissant prince, n'approcha du pied de son trŰne avec de plus grandes marques de vťnťration et de terreur, que celles que n'en fit paraÓtre le juif en s'avanÁant vers le grand-maÓtre. Lorsqu'il fut parvenu ŗ la distance d'environ trois verges, Beaumanoir lui fit signe avec son b‚ton de ne pas approcher davantage. Le juif s'agenouilla, baisa la terre en signe de respect, puis s'ťtant relevť, se tint debout devant les templiers, les bras croisťs sur la poitrine, et la tÍte baissťe, avec toutes les marques de soumission de la servitude orientale. ęDamien, dit le grand-maÓtre, retire-toi; aie soin qu'il y ait une garde prÍte ŗ exťcuter mes ordres au premier signal, et ne laisse entrer personne dans le jardin que nous n'en soyons sortis.Ľ L'ťcuyer fit une inclination et se retira. ęJuif, dit le grand-maÓtre avec un ton de hauteur, ťcoute-moi bien. Il ne convient pas ŗ notre rang de communiquer long-temps avec toi; d'ailleurs nous ne perdons pas beaucoup de temps ni beaucoup de paroles avec qui que ce soit. Ainsi, sois bref dans tes rťponses aux questions que je te ferai, et que tes paroles soient dictťes par la vťritť; car, si ta langue cherche ŗ me tromper, je la ferai arracher de ta bouche mťcrťante.Ľ Le juif se disposait ŗ rťpondre, mais le grand-maÓtre continua: ęSilence, infidŤle! Pas un mot en notre prťsence, exceptť en rťponse ŗ nos questions. Quelles sont tes affaires avec notre frŤre Brian de Bois-Guilbert?Ľ Isaac, tout tremblant et incertain sur ce qu'il devait rťpondre, regarda le grand-maÓtre et resta bouche bťante. S'il racontait son histoire, on pouvait l'accuser de chercher ŗ attirer le scandale sur l'ordre; et cependant, s'il ne le faisait point, quel espoir avait-il d'obtenir la libertť de sa fille? Beaumanoir s'aperÁut de sa frayeur mortelle et condescendit ŗ le rassurer. ęNe crains rien, dit-il, pour ta misťrable personne, juif, pourvu que tu parles franchement et sans dťtours. Je te demande de nouveau quelles affaires tu as avec Brian de Bois-Guilbert?Ľ--ęJe suis porteur d'une lettre, bťgaya le juif, n'en dťplaise ŗ votre magnanime valeur, pour ce brave chevalier, de la part d'Aymer; prieur de l'abbaye de Jorvaulx.Ľ--ęNe te disais-je pas, Conrad, dit le grand-maÓtre, que nous vivions dans des temps dťplorables? Un prieur de l'ordre de CÓteaux envoie une lettre ŗ un soldat du Temple, et ne trouve pas de messager plus convenable qu'un infidŤle, qu'un juif. Donne-moi cette lettre.Ľ Le juif, d'une main tremblante, ťcarta les plis de son bonnet armťnien, dans lesquels il avait dťposť les tablettes du prieur, pour plus grande sŻretť, et allait s'approcher, la main ťtendue et le corps inclinť, pour la mettre ŗ portťe de son interrogateur renfrognť. ęEn arriŤre, chien! dit le grand-maÓtre, je ne touche point les infidŤles, exceptť avec mon ťpťe. Conrad, prends toi-mÍme la lettre de la main du juif, et donne-la-moi.Ľ Beaumanoir ainsi en possession des tablettes, en examina soigneusement l'extťrieur, et commenÁa ensuite ŗ dťnouer la ficelle qui les entourait. ę…minentissime pŤre, dit Conrad en l'arrÍtant, quoique avec beaucoup de dťfťrence, est-ce que vous allez rompre le cachet?Ľ--ęEt pourquoi ne le romprais-je pas? rťpondit Beaumanoir en fronÁant le sourcil. N'est-il pas ťcrit au chapitre quarante-deux, intitulť _de lectione litterarum_, qu'un templier ne doit recevoir aucune lettre, pas mÍme de son pŤre, sans en donner communication au grand-maÓtre et en faire la lecture en sa prťsence?Ľ Alors il la parcourut ŗ la h‚te, avec un air mÍlť de surprise et d'horreur; il la relut ensuite plus lentement; puis la prťsentant d'une main ŗ Conrad, et frappant lťgŤrement dessus avec l'autre, il s'ťcria: ęVoilŗ une lettre ťcrite d'un joli style, de la part d'un chrťtien ŗ un autre chrťtien, tous deux membres, et membres distinguťs, de corporations religieuses! ‘ Dieu! quand viendras-tu? continua-t-il d'un ton solennel, et en levant les yeux au ciel; quand viendras-tu avec tes vans pour sťparer l'ivraie du bon grain!Ľ Mont-Fichet prit la lettre des mains de son supťrieur, et s'occupait ŗ la parcourir. ęLis-la tout haut, Conrad, dit le grand-maÓtre; et toi, s'adressant ŗ Isaac, sois bien attentif ŗ son contenu, car nous te questionnerons ŗ ce sujet.Ľ Conrad lut la lettre, qui ťtait conÁue dans les termes suivans: ęAymer, par la grace de Dieu, prieur du couvent de l'ordre de CÓteaux, sous l'invocation de sainte Marie de Jorvaulx, ŗ sire Brian de Bois-Guilbert, chevalier du saint ordre du Temple; santť, dons de Bacchus et faveurs de Vťnus! Quant ŗ nous, cher frŤre, nous sommes en ce moment captif entre les mains de certaines gens sans loi ni religion, qui n'ont pas craint de dťtenir notre personne et de la mettre ŗ ranÁon; de qui j'ai ťgalement appris le malheur de Front-de-Boeuf, et que tu t'es ťchappť avec la belle juive, dont les yeux noirs t'ont ensorcelť. Nous nous rťjouissons de bon coeur de savoir que tu es sain et sauf; nťanmoins, je te conjure de te tenir en garde contre cette seconde sorciŤre d'Endor; car nous sommes secrŤtement assurťs que votre grand-maÓtre, qui ne donnerait pas un fťtu pour toutes les joues fraÓches et tous les yeux noirs du monde, arrive de Normandie afin de mettre des bornes ŗ votre vie joyeuse, et de vous ramener de vos ťcarts. C'est pourquoi nous vous prions instamment d'Ítre attentif et prudent, afin que vous soyez trouvť veillant, ainsi qu'il est ťcrit dans le texte sacrť: _Invenientur vigilantes_. Et son pŤre, le riche juif Isaac d'York, m'ayant demandť une lettre en sa faveur, je lui ai donnť celle-ci, vous conseillant bien sťrieusement de mettre la demoiselle ŗ ranÁon, considťrant qu'il vous donnera de quoi en trouver cinquante avec moins de risque; et j'espŤre en avoir ma part, lorsque nous ferons ensemble, comme vťritables frŤres, une partie de plaisir, oý nous n'oublierons pas la coupe de vin; car, comme le dit le texte, _vinum lśtificat cor hominis_; et ailleurs, _Rex delectabitur pulchritudine sua_. Jusqu'ŗ ce joyeux moment, reÁois mon adieu. Donnť en cette caverne de voleurs, vers l'heure de matines.Ľ ęAYMER. Prieur de Sainte-Marie-de-Jorvaulx.Ľ ę_Postscriptum_. Certes, ta chaÓne d'or n'est pas restťe long-temps en ma possession. Elle servira maintenant ŗ suspendre au cou d'un braconnier proscrit le sifflet avec lequel il appelle ses chiens, autrement dits ses camarades.Ľ ęEh bien! Conrad, dit le grand-maÓtre, que dis-tu de cette lettre? Une caverne de voleurs! c'est un lieu trŤs convenable pour la rťsidence d'un pareil prieur. Il ne faut pas s'ťtonner si la main de Dieu s'appesantit sur nous, et si dans la Terre-Sainte nous perdons place aprŤs place, et sommes repoussťs pied ŗ pied par les infidŤles, lorsque nous aurons des hommes d'ťglise comme cet Aymer. Mais apprends-moi ce qu'il entend par cette seconde sorciŤre d'Endor?Ľ dit-il ŗ demi voix ŗ son confident. Conrad connaissait mieux, peut-Ítre par pratique, le jargon de la galanterie que son supťrieur; et il lui expliqua le passage de la lettre qui l'embarrassait, en lui disant que c'ťtait une sorte de langage usitť parmi les hommes du monde, ŗ l'ťgard des femmes qu'ils aimaient _par amourette_. Mais cette explication ne satisfit pas le bigot Beaumanoir. ęConrad, dit-il, il y a dans ce langage plus que tu ne te l'imagines; la simplicitť de ton coeur ne saurait sonder la profondeur de cet abÓme d'iniquitť. Cette Rťbecca d'York est une ťlŤve de cette Miriam dont tu as entendu parler. Tu vas entendre le juif; il ne tardera pas ŗ en convenir en notre prťsence.Ľ Puis se tournant vers Isaac, il lui dit ŗ haute voix: ęTa fille est donc prisonniŤre de Bois-Guilbert?Ľ ęOui, rťvťrend et valeureux seigneur, rťpondit Isaac, et tout ce qu'un pauvre homme peut payer pour sa ranÁon.....Ľ--ęSilence, interrompit le grand-maÓtre. Ta fille a exercť l'art de guťrir; n'est-il pas vrai?Ľ--ęOui, mon gracieux seigneur, rťpondit Isaac, et chevaliers, et paysans, seigneurs et vassaux, tous peuvent bťnir le ciel pour le don merveilleux qu'il a daignť lui accorder. Plus d'un malade et homme souffrant peut attester qu'il a ťtť guťri par le moyen de son art, tandis que tout autre secours humain avait ťtť inutilement employť; mais la bťnťdiction du Dieu de Jacob ťtait sur elle.Ľ Beaumanoir se tourna vers Mont-Fichet, et lui dit avec un sourire hideux: ęTu vois, Conrad, les embŻches de l'ennemi dťvorant. Tel est l'app‚t avec lequel il s'empare des ames, donnant un pauvre espace de vie sur la terre, en ťchange d'un bonheur ťternel dans l'autre monde. Notre bienheureuse rŤgle a bien raison de dire: ę_Semper percutiatur leo vorans!_Ľ ņ bas le lion! ŗ bas le destructeur! ajouta-t-il en ťlevant et brandissant son mystique abacus, comme pour dťfier les puissances de tťnŤbres.Ľ Puis adressant la parole au juif: ęTa fille sans doute opŤre ses cures au moyen de caractŤres, de talismans, de paroles, de pťriaptes et autres mystŤres cabalistiques?Ľ--ęNon, rťvťrend et brave chevalier, rťpondit Isaac; mais c'est principalement ŗ l'aide d'un baume d'une vertu merveilleuse.Ľ--ęD'oý a-t-elle eu ce secret? demanda Beaumanoir.Ľ--ęIl lui a ťtť donnť, rťpondit Isaac avec une sorte de rťpugnance, par Miriam, une sage matrone de notre tribu.Ľ--ęPar Miriam, dťtestable juif! s'ťcria Beaumanoir en faisant un signe de croix; par Miriam, cette abominable sorciŤre, dont les enchantemens sont connus de toute la chrťtientť? Son corps fut brŻlť ŗ un poteau, et ses cendres furent dispersťes aux quatre vents; et puisse le ciel en arriver autant ŗ moi et ŗ mon ordre, si je ne traite pas ainsi sa pupille et encore plus sťvŤrement. Je lui apprendrai ŗ jeter des sorts et des enchantemens sur les soldats du saint Temple. Damien, qu'on mette ce juif ŗ la porte, et qu'on le mette ŗ mort s'il rťsiste ou s'il se reprťsente. Quant ŗ sa fille, nous agirons envers elle comme nous y autorisent la loi chrťtienne et notre ťminente dignitť.Ľ Le pauvre Isaac fut donc chassť sur-le-champ, sans qu'on voulŻt ťcouter ni ses priŤres, ni mÍme ses offres. Il n'eut rien de mieux ŗ faire que de retourner chez le rabbin et de t‚cher d'apprendre par son moyen quel serait le sort de sa fille. Jusqu'alors il avait craint pour son honneur; maintenant il avait ŗ trembler pour sa vie. Pendant ce temps-lŗ, le grand-maÓtre envoya ordre au prťcepteur de Templestowe de comparaÓtre devant lui. CHAPITRE XXXVI. ęNe dis point que mon art est une imposture. Tout le monde vit par la faussetť, le dťguisement, la dissimulation. C'est avec le dťguisement que le mendiant demande l'aumŰne, et que le lťger courtisan obtient des terres, des titres, un rang et du pouvoir. Le clergť ne le dťdaigne point, et le hardi soldat en fait usage pour amťliorer son service, pour monter en grade. Tout le monde en convient, il convient ŗ tout le monde: tout le monde l'emploie; et celui qui se contente de paraÓtre ce qu'il est n'aura pas grand crťdit ŗ l'ťglise, dans les camps et ŗ la cour. Ainsi va le monde.Ľ _Ancienne comťdie_. Albert Malvoisin, prťsident, ou, pour parler le langage de l'ordre, le prťcepteur de l'ťtablissement de Templestowe, ťtait frŤre de ce Philippe Malvoisin dont nous avons dťjŗ eu occasion de parler dans cette histoire, et ťtait, comme le baron, intimement liť avec Brian de Bois-Guilbert. Parmi les hommes dissolus et dťnuťs de tout principe dont l'ordre du Temple ne comptait qu'un trop grand nombre, Albert de Templestowe pouvait rťclamer une sorte de distinction. Il y avait nťanmoins cette diffťrence entre lui et Bois-Guilbert, qu'il savait couvrir ses vices et son ambition du voile de l'hypocrisie, et prendre le masque du fanatisme qu'il mťprisait intťrieurement. Si l'arrivťe du grand-maÓtre n'eŻt pas ťtť aussi soudaine qu'elle ťtait inattendue, il n'aurait rien vu ŗ Templestowe qui pŻt indiquer le moindre rel‚chement dans la discipline; et, quoique surpris, et jusqu'ŗ un certain point dťcouvert, Albert Malvoisin ťcouta avec tant de marques de respect et de contrition les rťprimandes de son supťrieur, et mit tant d'empressement ŗ rťparer les fautes qu'il censurait, en un mot, rťussit tellement bien ŗ donner un air de dťvotion ascťtique ŗ une congrťgation qui avait ťtť tout rťcemment plongťe dans les plaisirs et la licence, que Lucas Beaumanoir commenÁa ŗ avoir une meilleure opinion des moeurs du prťcepteur, que les premiŤres apparences de l'ťtablissement ne l'avaient portť ŗ en concevoir. Mais ces sentimens favorables de la part du grand-maÓtre furent fortement ťbranlťs quand il apprit qu'Albert avait admis dans l'ťtablissement religieux une captive juive; et, comme il y avait lieu de le craindre, la maÓtresse d'un chevalier de l'ordre. Aussi, lorsqu'Albert se prťsenta devant lui, il jeta sur le prťcepteur un regard plein de sťvťritť. ęIl y a, dit-il, dans cette maison consacrťe au saint ordre du Temple, une femme juive amenťe par un de nos frŤres et par votre connivence, sire prťcepteur.Ľ Albert Malvoisin fut accablť de confusion; car l'infortunťe Rťbecca avait ťtť enfermťe dans une partie reculťe et secrŤte du b‚timent, avec toutes les prťcautions convenables pour empÍcher qu'on n'en fŻt instruit. Celui-ci lut dans les yeux de Beaumanoir la perte de Bois-Guilbert et la sienne, s'il ne parvenait ŗ dťtourner l'orage qui les menaÁait. ęPourquoi gardez-vous le silence?Ľ demanda le grand-maÓtre.--ęM'est-il permis de parler?Ľ dit le prťcepteur du ton de la plus profonde humilitť, quoiqu'en faisant cette question il ne cherch‚t qu'ŗ gagner un peu de temps pour mettre de l'ordre dans ses idťes.--ęParle, nous te le permettons, dit le grand-maÓtre; parle, et dis-nous si tu connais le chapitre de nos saints statuts, qui a pour titre: _De commilitonibus Templi in sancta civitate, qui cum miserrimis mulieribus versantur, propter oblectationem carnis?_Ľ ęAssurťment, trŤs rťvťrend pŤre, rťpondit le prťcepteur; je ne suis pas parvenu ŗ la haute dignitť ŗ laquelle j'ai ťtť ťlevť sans connaÓtre une des plus importantes prohibitions de notre sainte rŤgle.Ľ--ęComment se fait-il donc, dit le grand-maÓtre, je te le demande de nouveau, que tu aies souffert qu'un de nos frŤres amen‚t sa maÓtresse, et mÍme une sorciŤre juive, dans notre sainte maison, pour la profaner et la polluer?Ľ--ęUne sorciŤre juive! rťpťta Albert Malvoisin; que les bons anges nous protťgent!Ľ ęOui, mon frŤre, une sorciŤre, dit le grand-maÓtre. Oseras-tu nier que cette Rťbecca, fille de ce misťrable usurier, Isaac d'York, et ťlŤve de l'inf‚me sorciŤre Miriam, ne soit en ce moment (j'ai honte de le dire, ou mÍme de le penser) logťe dans cette prťceptorerie?Ľ--ęVotre sagesse, ťminentissime pŤre, rťpondit le prťcepteur, vient de dissiper les tťnŤbres qui obscurcissaient mon entendement. Je ne pouvais en effet revenir de mon ťtonnement en voyant un digne chevalier comme Brian de Bois-Guilbert aussi passionnťment ťpris des charmes de cette fille, que je n'ai reÁue dans cette maison que pour opposer une barriŤre aux progrŤs de leur intimitť, laquelle, sans cela, aurait ťtť cimentťe par la chute de notre vaillant et vertueux frŤre.Ľ ęQuoi! ne s'est-il donc encore rien passť entre eux de contraire ŗ son voeu?Ľ demanda le grand-maÓtre.--ęComment? sous ce toit? dit le prťcepteur en faisant un signe de croix. Sainte Madeleine et les dix mille vierges nous en prťservent! Non, si j'ai commis une faute en la recevant ici, cette faute provient de la pensťe que j'avais que je rťussirais ainsi ŗ rompre l'attachement insensť de notre frŤre ŗ cette juive, parce que je le regardais comme si extraordinaire et si peu naturel, que je ne pouvais l'attribuer qu'ŗ un accŤs de dťmence plus digne de pitiť que de reproches. Mais, puisque votre haute sagesse a dťcouvert que cette juive est une sorciŤre, cette dťcouverte peut expliquer la cause de l'extravagante passion de Bois-Guilbert.Ľ ęOui, elle l'explique; oui, sans doute, s'ťcria Beaumanoir. Tu vois, Conrad, le danger de cťder aux premiŤres tentations, et de s'abandonner aux sťductions de Satan. Nous portons nos regards sur une femme uniquement pour satisfaire le plaisir des yeux, et pour admirer ce qu'on appelle la beautť; et notre antique ennemi acquiert du pouvoir sur nous, pour complťter par les talismans et les sortilťges un ouvrage qui a ťtť commencť par l'oisivetť et la folie. Il est possible que notre frŤre Bois-Guilbert mťrite en cette occasion plutŰt la pitiť qu'un ch‚timent sťvŤre, plutŰt le soutien du b‚ton que le poids de la verge, et que nos admonitions et nos priŤres le guťrissent de sa folie, et le rendent ŗ ses frŤres.Ľ ęCe serait grand dommage, dit Conrad Mont-Fichet, que l'ordre perdÓt une de ses meilleures lances dans un temps oý il a besoin du secours de tous ses enfans. Trois cents Sarrasins ont ťtť tuťs de la propre main de Brian de Bois-Guilbert.Ľ ęLe sang de ces chiens maudits, dit le grand-maÓtre, sera une offrande agrťable aux saints et aux anges qu'ils mťprisent et qu'ils blasphŤment; et, avec leur aide, nous empÍcherons l'effet des sortilťges et des enchantemens dont notre frŤre se trouve entourť comme d'un filet. Il rompra les liens de cette Dalila, comme Samson rompit les deux cordes neuves dont les Philistins l'avaient liť, et il immolera les infidŤles monceaux sur monceaux. Mais quant ŗ cette misťrable sorciŤre, qui a jetť ses sorts sur un frŤre du saint Temple, assurťment elle mourra.Ľ--ęMais les lois d'Angleterre...,Ľ dit le prťcepteur, qui, bien qu'il vÓt que le ressentiment du grand-maÓtre ne se portait plus sur lui ni sur Bois-Guilbert, mais avait pris une autre direction, commenÁa maintenant ŗ craindre qu'il ne le port‚t trop loin. ęLes lois d'Angleterre, dit Beaumanoir, permettent et enjoignent ŗ chaque juge de faire exťcuter ses jugemens dans sa propre juridiction. Eh quoi! le plus mince baron peut faire arrÍter, peut juger et condamner une sorciŤre qui serait trouvťe dans ses domaines, et le mÍme pouvoir serait refusť au grand-maÓtre du Temple, dans une prťceptorerie de son ordre! Non, nous jugerons et nous condamnerons. La sorciŤre n'habitera plus sur la terre, et son iniquitť sera oubliťe. Faites prťparer la grande salle du ch‚teau, pour le jugement de la sorciŤre.Ľ Albert Malvoisin fit une inclination et se retira, non pour faire prťparer la grande salle, mais pour chercher Brian de Bois-Guilbert, et l'instruire de ce qui se passait, ainsi que du rťsultat probable de l'affaire. Il ne fut pas long-temps ŗ le trouver, bouillant d'indignation d'un nouveau refus qu'il venait d'ťprouver de la part de la belle juive. ęL'imprudente! l'ingrate! disait-il, mťpriser celui qui, au milieu des flammes et du carnage, lui a sauvť la vie au risque de perdre la sienne! Par le ciel, Malvoisin, je restai dans le ch‚teau jusqu'au moment oý le toit et les poutres ťtaient prŤs de s'ťcrouler, et s'ťbranlaient dťjŗ avec un fracas ťpouvantable. J'ťtais le but vers lequel se dirigeaient cent flŤches qui faisaient sur mon armure un bruit semblable ŗ celui de la grÍle tombant sur une fenÍtre treillissťe, et je n'ai fait usage de mon bouclier que pour la garantir de toute atteinte. Voilŗ ŗ quoi je me suis exposť pour elle, et maintenant cette ingrate et cruelle me reproche de ne pas l'avoir laissť pťrir, et me refuse non seulement la plus lťgŤre preuve de reconnaissance, mais mÍme le plus petit espoir que jamais elle veuille m'en accorder. Le diable, qui a inspirť tant d'obstination ŗ sa race, semble en avoir concentrť toute la force dans sa seule personne.Ľ ęJe crois, dit le prťcepteur, que vous Ítes tous les deux possťdťs du diable. Combien de fois ne t'ai-je pas prÍchť si non la continence, du moins la prudence? Ne vous ai-je pas dit que vous trouveriez ici bon nombre de filles chrťtiennes assez complaisantes, qui s'imputeraient ŗ crime de refuser ŗ un si brave chevalier _le don d'amoureux merci_; et il faut que vous alliez placer vos affections sur une juive opini‚tre qui ne veut faire que sa volontť! En vťritť, je crois que le vieux Lucas Beaumanoir a devinť juste, en disant qu'elle a jetť un sort sur vous.Ľ ęLucas Beaumanoir! dit Bois-Guilbert. Sont-ce lŗ vos prťcautions, Malvoisin? Comment as-tu souffert que le vieux radoteur apprÓt que Rťbecca est dans la prťceptorerie?Ľ--ęComment pouvais-je l'empÍcher? dit le prťcepteur. Je n'ai rien nťgligť pour lui cacher ce secret; mais il est trahi; et si c'est par le diable ou non, il n'y a que le diable lui-mÍme qui le sache. J'ai cependant arrangť les choses aussi bien que j'ai pu. Vous n'avez rien ŗ craindre si vous renoncez ŗ Rťbecca. On vous plaint; on vous regarde comme la victime d'un prestige magique. Quant ŗ elle, c'est une sorciŤre, et il faut qu'elle pťrisse comme telle.Ľ ęElle ne pťrira pas, de par le ciel, s'ťcria Bois-Guilbert.Ľ--ęDe par le ciel, il faut qu'elle pťrisse, et elle pťrira, rťpliqua Malvoisin; ni vous ni qui que ce soit ne la sauverez. Lucas Beaumanoir est fermement persuadť que la mort de la juive sera une offrande suffisante pour expier tous les pťchťs amoureux des chevaliers du Temple; et tu sais qu'il a non seulement le pouvoir, mais aussi la volontť d'exťcuter un dessein aussi raisonnable et aussi pieux.Ľ ęLes siŤcles futurs pourront-ils croire qu'un fanatisme aussi stupide ait jamais existť?Ľ s'ťcria Bois-Guilbert en se promenant ŗ grands pas dans l'appartement.--ęCe que les siŤcles futurs croiront, je n'en sais rien, dit Malvoisin d'un ton calme; mais je sais bien que dans celui-ci, sur cent individus, soit clercs, soit laÔques, il s'en trouvera quatre-vingt-dix-neuf qui crieront _amen_ ŗ la sentence du grand-maÓtre.Ľ ęJ'y suis, dit Bois-Guilbert. Albert, tu es mon ami. Il faut que tu favorises son ťvasion, Malvoisin, et je la transporterai dans un endroit plus sŻr et plus secret.Ľ--ęQuand mÍme je le voudrais, je ne le pourrais point, rťpliqua le prťcepteur; la maison est pleine de gens de la suite du grand-maÓtre, et d'autres qui lui sont dťvouťs; et, ŗ vous parler franchement, mon frŤre, je ne voudrais pas m'embarquer avec vous dans cette affaire, quand mÍme je pourrais espťrer de conduire ma barque heureusement au port. J'ai dťjŗ couru assez de risques pour l'amour de vous; je n'ai pas envie de courir encore celui de la dťgradation, ou de la perte de ma prťceptorerie, pour l'amour d'un minois juif, quelque joli qu'il soit. Et quant ŗ vous, si vous voulez suivre mon avis, renoncez ŗ votre vaine poursuite, et lancez vos chiens sur quelque autre gibier. Songe-s-y bien, Bois-Guilbert; le rang que tu occupes, les honneurs auxquels tu peux prťtendre, tout dťpend de ta prťsence dans l'ordre. Si tu t'obstines ŗ conserver ta folle passion pour cette Rťbecca, tu fourniras ŗ Beaumanoir l'occasion de t'expulser, et il ne la nťgligera pas. Il est jaloux du pouvoir que lui donne le b‚ton de commandement qu'il tient dans sa main tremblante, et il sait que la tienne est prÍte ŗ le saisir. Ne doute pas qu'il ne cherche ŗ te perdre, si tu lui en offres un si beau prťtexte dans la protection que tu accordes ŗ une sorciŤre juive. Laisse-lui le champ libre dans cette affaire, puisque tu ne saurais t'y opposer. Lorsque le b‚ton te sera transfťrť, et que tu le tiendras d'une main assurťe, alors tu pourras caresser les filles de Juda, ou bien les brŻler, comme bon te semblera.Ľ ęMalvoisin, dit Bois-Guilbert, ton sang-froid me prouve que tu es un....Ľ--ęAmi,Ľ dit le prťcepteur, se h‚tant d'ajouter ce mot, en remplacement de celui que Bois-Guilbert se disposait ŗ dire, et qui probablement n'aurait pas ťtť aussi agrťable. ęJ'ai le sang-froid d'un ami, et par consťquent d'autant plus en ťtat de donner un conseil. Je te dis encore une fois que tu ne peux pas sauver Rťbecca; je te rťpŤte que tu ne pourrais que pťrir avec elle. Va, cours trouver le grand-maÓtre; tombe ŗ ses pieds et dis-lui....Ľ ęNon pas ŗ ses pieds, de par le ciel! mais ŗ sa barbe, ŗ la barbe de ce vieux radoteur je dirai....Ľ ęEh bien! ŗ sa barbe donc, dit Malvoisin du ton le plus calme; oui; dis-lui ŗ sa barbe que tu aimes ta juive au point d'en perdre la raison; et plus tu lui parleras de ta passion, plus il se h‚tera d'y mettre un terme par la mort de la belle enchanteresse; tandis que toi, pris en flagrant dťlit, par ton propre aveu, d'un crime contraire ŗ ton serment, tu ne peux espťrer aucun secours de la part de tes frŤres, tu dois renoncer ŗ toutes tes brillantes perspectives d'ambition et de puissance, pour aller peut-Ítre brandir ta lance mercenaire dans quelque misťrable querelle entre la Flandre et la Bourgogne.Ľ ęTu as raison, Malvoisin, dit Brian de Bois-Guilbert aprŤs un moment de rťflexion; je ne veux pas donner ŗ ce vieux bigot cet avantage sur moi; et quant ŗ Rťbecca, elle ne mťrite pas que je mette en pťril pour l'amour d'elle mon rang actuel et les honneurs auxquels j'aspire. Oui je la repousserai loin de moi; je l'abandonnerai ŗ son sort, ŗ moins que....Ľ--ęPas de restriction ŗ une rťsolution aussi sage et aussi nťcessaire, interrompit Malvoisin. Les femmes ne doivent Ítre pour nous que des jouets propres ŗ ťgayer quelques heures de notre vie; l'ambition doit Ítre notre grande affaire. Pťrissent plutŰt mille fragiles babioles comme ta juive, que de te trouver arrÍtť au milieu de la brillante carriŤre qui s'ouvre devant toi! Maintenant il faut nous sťparer, car il ne faut pas que l'on nous voie tenir de conversation particuliŤre. D'ailleurs, j'ai ŗ faire prťparer la grand'salle pour le jugement de la sorciŤre.Ľ ęComment! si tŰt?Ľ demanda Bois-Guilbert.--ęOui, rťpondit le prťcepteur; le procŤs s'instruit rapidement, lorsque le juge est dťjŗ fixť sur la sentence qu'il veut prononcer.Ľ ęRťbecca, dit Bois-Guilbert quand il fut seul, il est probable que tu vas me coŻter cher. Que ne puis-je t'abandonner ŗ ton sort, ainsi que cet hypocrite me le conseille avec son grand sang-froid! Je vais faire encore un effort pour te sauver; mais ne va pas me payer d'ingratitude; car si j'ťprouve un nouveau refus, le poids de ma vengeance ťgalera la force de mon amour. Il ne faut pas que Bois-Guilbert hasarde sa vie et son honneur, lorsque le mťpris et les reproches sont toute sa rťcompense.Ľ Le prťcepteur avait ŗ peine donnť les ordres nťcessaires lorsque Conrad Mont-fichet vint le trouver, pour lui faire connaÓtre la rťsolution qu'avait prise le grand-maÓtre de procťder ŗ l'instant au jugement de la juive, pour cause de sorcellerie. ęTout ceci me paraÓt un songe, dit le prťcepteur: car enfin il y a beaucoup de juifs qui sont mťdecins; mais bien qu'ils opŤrent des cures merveilleuses, nous ne disons pas pour cela que ce soient des sorciers.Ľ ęLe grand-maÓtre pense autrement, dit Mont-Fichet; et, ŗ te parler franchement, Albert, il vaudrait mieux que cette misťrable fille pťrÓt que si Brian de Bois-Guilbert ťtait perdu pour l'ordre, ou que l'ordre fŻt dťchirť par des dissensions intestines. Tu connais le haut rang qu'il occupe, ainsi que la rťputation qu'il s'est acquise dans les armes; tu connais l'estime et l'affection que lui portent plusieurs de nos frŤres; mais tout cela ne lui servira de rien auprŤs de notre grand-maÓtre, s'il vient ŗ le regarder comme le complice et non la victime de la juive. Les ‚mes des douze tribus seraient toutes renfermťes dans son seul corps, qu'il vaudrait mieux qu'elle souffrÓt seule, que si elle entraÓnait Bois-Guilbert dans sa ruine.Ľ ęJe viens ŗ l'instant mÍme, dit Malvoisin, de faire tous mes efforts pour l'engager ŗ l'abandonner. Mais encore, y a-t-il des motifs suffisans pour condamner Rťbecca comme sorciŤre? Et le grand-maÓtre ne changera-t-il pas d'avis lorsqu'il verra que les preuves sont si faibles?Ľ ęIl faut les corroborer, Albert, dit Conrad; il faut les corroborer; me comprends-tu bien?Ľ--ęFort bien, rťpondit le prťcepteur, et je suis trŤs disposť ŗ tout faire pour l'intťrÍt de l'ordre; mais le temps est bien court pour trouver des instruments convenables.Ľ--ęIl faut en trouver, Malvoisin, dit Conrad; il le faut pour l'avantage de l'ordre, et pour le tien. La prťceptorerie de Templestowe est peu de chose; celle de Maison-Dieu vaut le double; tu connais mon crťdit auprŤs de notre vieux chef; trouve des gens qui puissent conduire cette affaire ŗ bien, et te voilŗ prťcepteur de Maison-Dieu, dans le fertile comtť de Kent: qu'en dis-tu?Ľ ęIl y a, rťpliqua Malvoisin, parmi ceux qui sont venus ici avec Bois-Guilbert, deux hommes que je connais fort bien. Ils ťtaient au service de mon frŤre, Philippe de Malvoisin, d'oý ils ont passť ŗ celui de Front-de-Boeuf. Il est possible qu'ils sachent quelque chose des sorcelleries de cette fille.Ľ--ęCours vite les chercher, dit Mont-Fichet, et, ťcoute, s'il faut un besant ou deux pour rafraÓchir leur mťmoire, n'en sois pas avare.Ľ--ęPour un sequin, ils jureraient que la mŤre qui les a portťs ťtait une sorciŤre,Ľ dit le prťcepteur. ęVa donc, dit Mont-Fichet. ņ midi, l'affaire commencera. Je n'ai jamais vu notre vieux chef se prťparer avec autant d'ardeur, depuis le jour oý il condamna au feu Hamet Alfagi, qui s'ťtait converti, et avait de nouveau embrassť la religion de Mahomet.Ľ La grosse cloche du ch‚teau venait de sonner midi, lorsque Rťbecca entendit le bruit que l'on faisait en montant l'escalier secret qui conduisait ŗ la chambre oý elle ťtait enfermťe. Ce bruit annonÁait l'arrivťe de plusieurs personnes, et cette circonstance lui fit quelque plaisir, car elle craignait plus les visites solitaires du fougueux et passionnť Bois-Guilbert que tous les maux qui auraient pu lui arriver d'autre part. La porte de la chambre s'ouvrit, et elle vit entrer Conrad et le prťcepteur Malvoisin, suivis de quatre gardes vÍtus de noir et portant des hallebardes. ęFille d'une race maudite, cria le prťcepteur, lŤve-toi et suis-nous.Ľ--ęOý, demanda Rťbecca, et ŗ quel dessein?Ľ--ęJeune fille, dit Conrad, ce n'est pas ŗ toi ŗ interroger, tu ne dois qu'obťir. Sache, nťanmoins, que tu vas Ítre traduite devant le tribunal du grand-maÓtre de notre saint ordre, pour y Ítre jugťe.Ľ--ęQue le Dieu d'Abraham soit louť! dit Rťbecca en joignant dťvotement ses mains. Le nom de mon juge, bien qu'il soit ennemi de mon peuple, est pour moi comme le nom d'un protecteur. Je vous suivrai trŤs volontiers; permettez-moi seulement de mettre mon voile sur ma tÍte.Ľ Ils descendirent l'escalier d'un pas lent et grave; en traversant une galerie, et par une porte ŗ deux battans placťe ŗ l'extrťmitť, ils entrŤrent dans la salle oý le grand-maÓtre avait pour le moment ťtabli son tribunal. La partie infťrieure de ce vaste appartement ťtait remplie d'ťcuyers et d'hommes d'armes, qui, non sans quelque difficultť, firent place pour que Rťbecca, accompagnťe du prťcepteur et de Mont-Fichet, et suivie des quatre hallebardiers, pŻt arriver ŗ la place qui lui ťtait destinťe. Comme elle traversait la foule, les bras croisťs et la tÍte penchťe, quelqu'un mit dans sa main un morceau de papier, qu'elle prit presque sans s'en apercevoir, et qu'elle continua ŗ tenir sans en lire le contenu. La persuasion oý elle ťtait qu'elle avait quelque ami dans cette redoutable assemblťe lui donna le courage de jeter ses regards autour d'elle, et d'examiner en prťsence de qui elle avait ťtť conduite. Nous essaierons dans le chapitre suivant de dťcrire la scŤne qui se prťsenta devant elle. CHAPITRE XXXVII. ęBarbare ťtait cette religion qui ordonnait ŗ ses sectateurs de cesser de compatir avec des entrailles d'hommes aux maux de leurs semblables. Barbare ťtait cette religion qui dťfendait de sourire aux attraits magiques d'une franche et innocente gaÓtť: plus barbare encore lorsqu'elle brandissait en l'air la verge de fer d'un tyrannique pouvoir, qu'elle osait appeler le pouvoir de Dieu.Ľ _Le moyen ¬ge_. Le tribunal ťrigť pour le jugement de l'innocente et infortunťe Rťbecca occupait l'estrade, ou la partie ťlevťe de la grande salle, c'est-ŗ-dire la plate-forme que nous avons dťjŗ dťcrite, comme ťtant la place d'honneur, destinťe aux habitans les plus distinguťs d'une antique mansion, ou aux personnes qui venaient les visiter. Sur un siťge ťlevť, directement en face de l'accusťe, ťtait assis le grand-maÓtre du Temple, couvert de ses vÍtemens blancs, amples et flottans, tenant en main le b‚ton mystique, lequel portait le symbole de l'ordre. ņ ses pieds ťtait placťe une table, occupťe par deux scribes, chapelains de l'ordre, chargťs de rťdiger en forme le procŤs-verbal de la sťance du jour. Les vÍtemens noirs, les tÍtes chauves et l'air grave de ces ecclťsiastiques, formaient un contraste frappant avec la contenance belliqueuse des chevaliers qui assistaient ŗ cette assemblťe, soit comme rťsidens en la prťceptorerie, soit comme ťtrangers venus pour prťsenter leurs hommages au grand-maÓtre. Les prťcepteurs, au nombre de quatre, ťtaient placťs sur des siťges moins ťlevťs et moins avancťs que celui de leur supťrieur. Les chevaliers, qui ťtaient d'un rang infťrieur dans l'ordre, ťtaient assis sur des bancs encore moins ťlevťs, et ŗ pareille distance des prťcepteurs que ceux-ci l'ťtaient du grand-maÓtre. DerriŤre eux, mais toujours sur l'estrade, ou partie ťlevťe de la salle, ťtaient les ťcuyers de l'ordre, debout, vÍtus d'une ťtoffe blanche d'une qualitť infťrieure. Toute l'assemblťe offrait l'aspect de la gravitť la plus majestueuse et la plus imposante, et dans la contenance des chevaliers on pouvait voir les traces de la valeur militaire jointe au maintien dťcent et recueilli, convenable ŗ des hommes qui ont embrassť la profession religieuse; et cet ensemble caractťristique se faisait encore plus remarquer dans un moment oý ils se trouvaient en prťsence du grand-maÓtre. Les autres parties de la salle ťtaient occupťes par des gardes armťs de pertuisanes et par une foule de gens que la curiositť avait attirťs pour voir en mÍme temps un grand-maÓtre et une sorciŤre juive. Au reste, la majeure partie ťtait d'une maniŤre ou d'une autre liťe ŗ l'ordre; voilŗ pourquoi presque tout le monde ťtait vÍtu en noir, couleur distinctive de l'ordre. Les paysans des campagnes environnantes avaient ťgalement eu la facultť d'entrer; car Beaumanoir s'ťtait fait une gloire de rendre aussi public que possible l'acte ťdifiant de justice qu'il allait exercer. Ses grands yeux bleus semblaient s'ouvrir encore davantage lorsqu'il en promenait les regards autour de lui, et sa physionomie paraissait animťe d'une sorte d'orgueil produit par le sentiment intime de sa haute dignitť et de l'importance du rŰle qu'il allait jouer. Le chant d'un psaume que lui-mÍme accompagna d'une voix grave, sonore et que l'‚ge n'avait pas dťpouillťe de tous ses agrťmens, annonÁa l'ouverture de la sťance. Les sons religieux du _Venite, exultemus Domino_, si souvent chantť par les templiers avant d'en venir aux mains avec leurs ennemis, avaient ťtť regardťs par Lucas comme les plus convenables pour cťlťbrer par anticipation le triomphe, comme il l'envisageait, sur les puissances des tťnŤbres. Ces sons, lentement prolongťs, et produits par cent voix accoutumťes ŗ chanter en choeur, s'ťlevŤrent jusqu'ŗ la voŻte de la salle, et se firent entendre en ondoyant le long de ses arceaux, comme le bruit harmonieux et solennel d'une majestueuse cataracte. Lorsque les chants eurent cessť, le grand-maÓtre parcourut lentement des yeux le cercle qui l'entourait et remarqua que le siťge d'un des prťcepteurs ťtait vacant. Brian de Bois-Guilbert, qui l'avait occupť, l'avait quittť, et se tenait maintenant debout ŗ l'extrťmitť la plus reculťe d'un des bancs sur lesquels ťtaient assis les compagnons du Temple; d'une main, il ťtendait son manteau de maniŤre ŗ cacher une partie de sa figure, tandis que de l'autre il tenait son ťpťe, dont la poignťe ťtait en forme de croix, et avec la pointe traÁait des lignes sur le plancher de la salle. ęL'infortunť! dit le grand-maÓtre aprŤs avoir jetť sur lui un coup d'oeil de compassion; tu vois, Conrad, quel trouble apporte dans son ame l'oeuvre pieuse ŗ laquelle nous sommes occupťs. ņ quoi le regard licencieux de la femme, aidť par le prince des puissances de l'enfer, ne peut-il pas porter un digne et vaillant chevalier? Vois-tu qu'il n'ose lever les yeux sur nous; qu'il n'ose les lever sur elle? Et qui sait si ce n'est pas par l'impulsion du dťmon qui le tourmente que sa main trace sur le plancher ces lignes cabalistiques? Il est possible que notre vie et notre sŻretť soient menacťes par ces caractŤres; mais nous bravons, nous dťfions notre impur ennemi: _semper leo percutiatur_.Ľ Le grand-maÓtre parlait ainsi ŗ voix basse ŗ son confident Conrad Mont-Fichet. Ensuite, ťlevant la voix et s'adressant ŗ l'assemblťe, il s'exprima en ces termes: ęRťvťrends et vaillans commandeurs, prťcepteurs, chevaliers et compagnons de ce saint ordre, mes frŤres et mes enfans! vous aussi, dignes et pieux ťcuyers, qui aspirez ŗ porter cette sainte croix! et vous aussi frŤres chrťtiens de tous les rangs et de toutes les dťnominations! nous voulons bien vous faire savoir que ce n'est pas une insuffisance de pouvoir en nous qui a donnť lieu ŗ la convocation de cette assemblťe; car, quelque indigne que nous nous reconnaissions, nous avons ťtť investi, en recevant ce b‚ton, du pouvoir plein et entier de poursuivre et juger dans tout ce qui a rapport au bien et aux intťrÍts de notre saint ordre. Le bienheureux saint Bernard, au cinquante-neuviŤme chapitre des statuts de notre profession chevaleresque et religieuse, a dit qu'il ne voulait pas que les frŤres fussent convoquťs pour se rťunir en conseil, sauf ŗ la volontť et par l'ordre du maÓtre, nous laissant la libre facultť de dťterminer et de juger, comme l'ont fait les dignes et vťnťrables pŤres qui nous ont prťcťdť dans notre haute dignitť, de l'objet, de l'ťpoque et du lieu oý devait Ítre convoquť un chapitre, soit gťnťral, soit partiel de l'ordre. La rŤgle dit aussi que, dans ces chapitres, il est de notre devoir d'ťcouter les avis de nos frŤres, et d'agir ensuite selon notre bon plaisir. Mais, lorsque le loup furieux est venu fondre sur le troupeau et en a emportť une brebis, il est du devoir du bon pasteur de rassembler tous ses compagnons afin de repousser l'ennemi avec l'arc et la fronde, suivant notre rŤgle bien connue, que le lion doit Ítre continuellement frappť. ęC'est pourquoi nous avons fait comparaÓtre en notre prťsence une juive, nommťe Rťbecca, fille d'Isaac d'York, femme honteusement cťlŤbre par ses sortilťges et ses enchantemens, ŗ l'aide desquels elle a corrompu le coeur et ťgarť l'esprit, non d'un serf, mais d'un chevalier; non d'un chevalier sťculier, mais d'un chevalier dťvouť au service du saint Temple; non d'un chevalier compagnon, mais d'un prťcepteur de notre ordre, ťgalement distinguť et par la gloire qu'il a acquise et par le rang qu'il occupe. Notre frŤre Brian de Bois-Guilbert est bien connu de nous et de tous ceux qui m'ťcoutent en ce moment, comme un vrai et zťlť champion de la croix, dont le bras a fait des prodiges de valeur dans la Terre-Sainte, et a purifiť les lieux saints par le sang des infidŤles qui les avaient souillťs. Et notre frŤre ne se faisait pas moins distinguer par sa sagacitť et sa prudence que par sa valeur et ses talens militaires, au point que, soit dans l'Orient, soit dans l'Occident, nos chevaliers dťsignaient Bois-Guilbert comme celui qui pouvait avec justice Ítre nommť mon successeur, et tenir ce b‚ton, lorsqu'il plaira ŗ Dieu de me dťlivrer de la fatigue de le porter. Si l'on nous disait qu'un tel homme, aussi honorť et aussi honorable, oubliant tout ŗ coup ce qu'il doit ŗ son rang, ŗ son caractŤre, ŗ ses voeux, ŗ ses frŤres, ŗ ses espťrances, a fait sociťtť avec une fille juive, a errť avec elle dans des lieux solitaires, a nťgligť sa propre dťfense pour ne s'occuper que de celle de sa compagne, et enfin a poussť l'aveuglement et la dťmence jusqu'ŗ l'amener dans une de nos prťceptoreries; que devrions-nous penser, sinon que le noble chevalier ťtait possťdť d'un malin esprit, ou se trouvait sous l'influence de quelque malťfice. Si nous pouvions soupÁonner qu'il en fŻt autrement, croyez que ni son rang, ni sa valeur, ni sa haute rťputation, ni aucune autre considťration humaine, ne nous empÍcheraient de lui infliger un juste ch‚timent, afin d'enlever l'iniquitť du milieu de nous, ainsi qu'il est dit dans le texte de l'…criture: _Auferte malum a vobis_.Ľ ęNombreux et dťtestables sont les actes de transgression aux statuts de notre saint ordre dans cette lamentable histoire. PremiŤrement, il a marchť selon sa propre volontť, ce qui est contraire ŗ l'article 33: _Quod nullus juxta propriam voluntatem incidat_; secondement, il a eu communication avec une personne excommuniťe, article 57: _Ut fratres non participent cum excommunicatis_: aussi a-t-il encouru une partie de _l'anathema maranatha_; troisiŤmement, il a conversť avec des femmes ťtrangŤres, en contravention ŗ l'article, _Ut fratres non conversentur cum extraneis mulieribus_; quatriŤmement, il n'a pas ťvitť, que dis-je! il est ŗ craindre qu'il n'ait sollicitť le baiser de la femme, par le moyen duquel, dit le dernier rŤglement de notre saint ordre, _Ut fugiantur oscula_, les soldats de la croix sont entraÓnťs dans le piťge. En punition desquelles offenses, aussi odieuses que multipliťes, Brian de Bois-Guilbert serait retranchť et expulsť de notre congrťgation, en fŻt-il le bras droit et l'oeil droit.Ľ Beaumanoir s'arrÍta un instant. Un murmure sourd se fit entendre dans l'assemblťe. Quelques uns des plus jeunes chevaliers, qui avaient paru disposťs ŗ sourire du statut _De osculis fugiendis_, prirent maintenant un air de gravitť, et attendirent avec anxiťtť ce que le grand-maÓtre allait ajouter. ęTel serait, dit-il, et tel devrait Ítre le ch‚timent d'un chevalier du Temple, qui aurait, volontairement et sciemment, pťchť contre des articles aussi formels de nos statuts. Mais si, par le moyen de charmes et sortilťges, Satan ťtait parvenu ŗ s'emparer de l'esprit du chevalier, sans doute parce qu'il avait portť des regards trop imprudens sur la beautť de cette fille, nous devons plutŰt dťplorer que punir un pareil ťcart, et nous borner seulement ŗ lui imposer une pťnitence proportionnelle et qui puisse le purifier de son iniquitť, et tourner le glaive de notre indignation sur l'instrument maudit qui a failli occasionner sa perte. Levez-vous donc, et venez rendre tťmoignage, vous tous qui avez connaissance de ces faits dťplorables, afin que nous connaissions le nombre et l'importance des preuves, et que nous nous assurions si notre justice peut Ítre satisfaite par le ch‚timent de cette infidŤle, ou si nous devons, quoique notre coeur saigne d'y penser, continuer ŗ procťder rigoureusement contre notre frŤre.Ľ Plusieurs tťmoins furent appelťs pour prouver les dangers auxquels Bois-Guilbert s'ťtait exposť en s'efforÁant de sauver Rťbecca de l'incendie du ch‚teau, et l'oubli de sa propre dťfense pour la mettre ŗ couvert. Ils donnŤrent tous ces dťtails avec l'exaltation habituelle aux esprits vulgaires dŤs qu'ils sont fortement excitťs par quelque ťvťnement remarquable; ainsi, par l'effet de ce penchant naturel pour le merveilleux, les tťmoins appelťs se plurent ŗ exagťrer dans leurs rťcits toutes les circonstances qui tendaient ŗ prononcer la non culpabilitť de l'ťminent personnage qui avait demandť une pareille information. Ainsi les pťrils que Bois-Guilbert avait surmontťs, dťjŗ grands en eux-mÍmes, passŤrent pour des prodiges; et le dťvouement du chevalier pour la dťfense de Rťbecca fut exagťrť au delŗ des bornes non seulement de toute modťration, mais mÍme d'un zŤle chevaleresque portť ŗ l'excŤs; et sa dťfťrence ŗ tout ce qu'elle disait, encore que le langage de la captive devÓnt souvent sťvŤre et plein de reproches personnels, fut reprťsentťe comme poussťe ŗ un point qui, dans un homme de son caractŤre, fougueux et hautain, semblait, pour ainsi dire, contre nature. Le prťcepteur de Templestowe fut ensuite appelť pour dťcrire la maniŤre dont Bois-Guilbert et la juive ťtaient arrivťs ŗ la prťceptorerie. La dťposition de Malvoisin fut faite avec beaucoup de prudence et d'habiletť. Tout en cherchant ŗ mťnager le caractŤre et la susceptibilitť de Bois-Guilbert, il entremÍla son discours de quelques expressions qui donnaient presque ŗ entendre qu'il ťtait en proie ŗ une aliťnation temporaire d'esprit, tant il paraissait ťpris de la fille qu'il avait amenťe. Le prťcepteur, avec de profonds soupirs de contrition, tťmoigna le regret qu'il avait d'avoir reÁu Rťbecca et son amant dans la prťceptorerie. ęMais, dit-il en finissant, ma dťfense est dans les aveux que j'ai faits ŗ notre ťminentissime pŤre, le grand-maÓtre; il sait que mes motifs n'ťtaient point criminels, quoique ma conduite puisse avoir ťtť irrťguliŤre.Ľ ęTu as trŤs bien parlť, frŤre Albert, dit Beaumanoir; tes motifs ťtaient purs, puisque tu pensais qu'il fallait arrÍter ton frŤre dans la carriŤre d'erreur et de folie oý il allait se prťcipiter. Mais ta conduite a ťtť bl‚mable; tu as ťtť aussi imprudent que celui qui, voulant arrÍter un cheval dans sa course fougueuse, saisit l'ťtrier, au lieu de le prendre par la bride, et se nuit ŗ lui-mÍme, sans atteindre le but qu'il s'ťtait proposť. Notre pieux fondateur a ordonnť qu'on rťcit‚t treize _Pater noster_ ŗ matines, et neuf ŗ vÍpres; ce nombre sera doublť pour toi. Il est permis aux templiers de manger de la viande trois fois la semaine; tu t'en abstiendras pendant les sept jours. Fais cela pendant six semaines, et ta pťnitence sera achevťe.Ľ Affectant la plus profonde soumission, le prťcepteur de Templestowe s'inclina jusqu'ŗ terre et retourna ŗ sa place. ęNe serait-il pas ŗ propos, mes frŤres, dit le grand-maÓtre, que nous prissions quelques informations sur la vie antťrieure de cette femme, principalement afin de dťcouvrir s'il est probable qu'elle fasse usage de magie et de sorcellerie, puisque les faits contenus dans les dťpositions que nous avons entendues peuvent avec juste raison nous porter ŗ croire que, dans cette malheureuse affaire, notre coupable frŤre a agi sous l'influence de quelque enchantement, ou de quelque prestige infernal?Ľ Herman de Goodalrick ťtait le quatriŤme prťcepteur prťsent; les autres trois ťtaient Conrad, Malvoisin et Bois-Guilbert lui-mÍme. Herman ťtait un ancien guerrier, dont le visage ťtait couvert de cicatrices que lui avait faites le sabre des musulmans, et jouissait d'une haute estime et d'une grande considťration parmi ses frŤres. Il se leva et fit une grande inclination au grand-maÓtre, qui lui accorda sur-le-champ la permission de parler. ę…minentissime pŤre, dit-il, je dťsirerais savoir de notre vaillant frŤre Brian de Bois-Guilbert ce qu'il a ŗ rťpondre ŗ ces ťtonnantes accusations, et de quel oeil il regarde-lui-mÍme en ce moment sa malheureuse liaison avec cette fille juive.Ľ--ęBrian de Bois-Guilbert, dit le grand-maÓtre, tu entends la question ŗ laquelle notre frŤre de Goodalrick dťsire que tu rťpondes. Je t'ordonne de le faire.Ľ Bois-Guilbert tourna la tÍte vers le grand-maÓtre qui lui adressait la parole et garda le silence. ęIl est possťdť d'un dťmon muet, dit le grand-maÓtre. Retire-toi, Satan! Parle, Brian de Bois-Guilbert, je t'en conjure par ce symbole de notre saint ordre.Ľ Bois-Guilbert fit un effort pour cacher le mťpris et l'indignation dont il se sentait pťnťtrť, et dont il savait bien que l'expression ne lui aurait ťtť d'aucune utilitť. ę…minentissime pŤre, rťpondit-il, Brian de Bois-Guilbert ne rťpond point ŗ des accusations aussi ťtranges et aussi vagues. Si son honneur est attaquť, il le dťfendra de son corps et de son ťpťe, qui a si souvent combattu pour la chrťtientť.Ľ--ęNous te pardonnons, frŤre Brian, dit le grand-maÓtre. Te vanter ainsi de tes exploits guerriers en notre prťsence, c'est te glorifier de tes propres actions, et c'est l'oeuvre de notre grand ennemi, qui, par ses tentations, nous porte ŗ nous ťlever un autel ŗ nous-mÍmes. Mais tu as notre pardon, parce que nous pensons que tu parles moins d'aprŤs tes propres sentimens, que d'aprŤs les suggestions de celui qui, ŗ l'aide du ciel, nous subjuguerons et chasserons hors de cette assemblťe.Ľ L'oeil noir et farouche de Bois-Guilbert lanÁa un regard de dťdain sur le grand-maÓtre, mais il garda le silence. ęMaintenant, poursuivit le grand-maÓtre, puisque la question de notre frŤre Goodalrick a ťtť rťpondue, quoique d'une maniŤre imparfaite, nous allons, mes frŤres, continuer notre enquÍte, et avec l'aide de notre patron, approfondir ce mystŤre d'iniquitť. Que ceux qui ont quelque dťposition ŗ faire concernant la vie et la conduite de cette juive se prťsentent devant nous.Ľ Il se fit en ce moment un tumulte dans la partie infťrieure de la salle, et lorsque le grand-maÓtre en demanda la cause, on lui rťpondit qu'il se trouvait dans la foule un homme qui avait ťtť perclus de tous ses membres, et qui avait ťtť parfaitement guťri par le moyen d'un baume merveilleux. Le pauvre paysan, Saxon de naissance, fut traÓnť jusqu'ŗ la barre du tribunal, accablť de terreur par l'idťe des ch‚timens qui pouvaient lui Ítre infligťs pour le crime de s'Ítre laissť guťrir de la paralysie par une fille juive. Dire qu'il ťtait parfaitement guťri, c'ťtait une exagťration, car ce fut avec des bťquilles qu'il alla faire sa dťclaration. Ce fut avec beaucoup de rťpugnance qu'il balbutia cette dťclaration, et il l'accompagna de beaucoup de larmes. Il avoua cependant que deux ans auparavant, lorsqu'il demeurait ŗ York, il fut subitement attaquť d'une cruelle maladie, pendant qu'il travaillait pour Isaac, le riche juif, dans son ťtat de menuisier; qu'il lui avait ťtť impossible de se lever de son lit jusqu'ŗ ce que les remŤdes employťs sous la direction de Rťbecca, et particuliŤrement un baume rťchauffant et odorifťrant, lui eussent rendu en partie l'usage de ses membres. En outre, dit-il, elle lui avait donnť un pot de ce prťcieux onguent, et de plus une piŤce d'or, pour retourner chez son pŤre, prŤs de Templestowe. ęEt plaise ŗ votre gracieuse rťvťrence, ajouta-t-il; je ne puis croire que la damoiselle ait eu aucun dessein de me nuire, quoiqu'elle ait le malheur d'Ítre juive; car, mÍme lorsque je faisais usage de son remŤde, j'ai dit le _Pater_ et le _Credo_, et il n'en a pas opťrť moins efficacement.Ľ ęSilence, misťrable, dit le grand-maÓtre, et retire-toi. Il convient bien ŗ des rustres comme toi de prendre des remŤdes, de te mÍler de cures infernales, et de donner ton travail aux enfans de l'incrťdulitť. Je te dis que le dťmon peut envoyer des maladies, dans le seul but de les guťrir lui-mÍme, afin de mettre en crťdit quelque prťparation infernale. As-tu sur toi cet onguent dont tu parles?Ľ Le paysan, fouillant dans son sein d'une main tremblante, en tira une petite boÓte, qui avait quelques caractŤres hťbraÔques sur le couvercle, ce qui, pour le plus grand nombre des assistans, fut considťrť comme une preuve certaine qu'elle sortait de la pharmacie du Diable. Beaumanoir, aprŤs avoir fait un signe de croix, prit la boÓte; et comme il connaissait la plupart des langues orientales, il lut facilement l'inscription qui ťtait sur le couvercle: _Le lion de la tribu de Juda a vaincu_. ę…trange pouvoir de Satan! dit-il, qui peut transformer l'…criture sainte en blasphŤme en mÍlant du poison avec notre nourriture journaliŤre! N'y a-t-il pas ici quelque mťdecin qui puisse nous dire quels sont les ingrťdiens de cet onguent mystique?Ľ Deux soi-disant mťdecins, l'un moine et l'autre barbier, s'avancŤrent, et dťclarŤrent qu'ils ne connaissaient pas les drogues qui entraient dans la composition de ce remŤde, exceptť qu'ils y trouvaient une odeur de myrrhe et de camphre, qu'ils pensaient Ítre des herbes orientales. Mais avec cette haine qu'inspire leur profession contre celui qui exerce leur art avec succŤs, ils insinuŤrent que puisque la composition du remŤde passait leur propre savoir, elle ne pouvait avoir ťtť faite que dans une pharmacie impure et diabolique, puisque eux-mÍmes, bien qu'ils ne fussent pas sorciers, connaissaient parfaitement toutes les branches de leur art, en tant qu'elles ťtaient compatibles avec la conscience d'un chrťtien. Lorsque cette enquÍte mťdicale fut terminťe, le paysan saxon demanda humblement qu'on lui rendÓt le remŤde qu'il avait trouvť si salutaire: mais le grand-maÓtre, fronÁant le sourcil et le regardant d'un air sťvŤre, lui dit; ęMisťrable estropiť, quel est ton nom?Ľ --ęHigg, fils de Snell,Ľ rťpondit le paysan.--ęEh bien! Higg, fils de Snell, dit le grand-maÓtre, je te dis qu'il vaut mieux Ítre paralytique que de devoir aux remŤdes des infidŤles la facultť de se lever et de marcher, et qu'il vaut mieux dťpouiller les infidŤles de leurs trťsors, de vive force, que d'accepter les dons de leur bienveillance, ou de se mettre ŗ leur service pour des gages. Va et fais ton profit de la leÁon que je te donne.Ľ--ęHťlas! dit le paysan, n'en dťplaise ŗ votre rťvťrence, cette leÁon vient trop tard pour moi; car je ne suis qu'un estropiť; mais je dirai ŗ mes deux confrŤres, qui sont au service du riche rabbin Nathan ben Samuel, que votre grand'maÓtrise dit qu'il est plus lťgitime de le voler que de le servir fidŤlement.Ľ--ęQu'on fasse retirer ce vilain bavard! dit Beaumanoir, qui n'ťtait pas prťparť ŗ rťfuter cette application pratique de sa maxime gťnťrale. Higg, fils de Snell, rentra dans la foule; mais s'intťressant au sort de sa bienfaitrice, il resta dans la salle pour savoir ce qui serait dťcidť ŗ son ťgard, mÍme au risque de rencontrer de nouveau les regards de ce juge sťvŤre qui, par la terreur qu'il lui inspirait, faisait frissonner tout son corps. Alors le grand-maÓtre ordonna ŗ Rťbecca d'Űter son voile. Ouvrant les lŤvres pour la premiŤre fois, elle rťpondit d'un ton pudique, mais avec dignitť, que ce n'ťtait pas la coutume parmi les filles de son peuple de se dťcouvrir le visage quand elles ťtaient seules dans une assemblťe d'ťtrangers. Le doux son de sa voix et la modestie de sa rťponse firent naÓtre dans l'auditoire un sentiment de pitiť et de sympathie. Mais Beaumanoir, qui regardait comme une vertu en elle-mÍme de rťprimer tout sentiment d'humanitť qui aurait pu empÍcher l'accomplissement de ce qu'il s'imaginait Ítre un rigoureux devoir, rťitťra l'ordre d'Űter le voile ŗ sa victime. Les gardes se disposaient ŗ obťir, lorsque Rťbecca se leva devant le grand-maÓtre et dit: ęAh! pour l'amour de vos filles!... mais j'oublie que vous n'avez point de filles, ajouta-t-elle aprŤs un moment de rťflexion: mais par le souvenir de vos mŤres, pour l'amour de vos soeurs et de la dťcence naturelle ŗ mon sexe, ne souffrez pas que je sois ainsi traitťe en votre prťsence: il n'est pas convenable qu'une jeune fille soit dťcouverte par des paysans aussi grossiers. Je vous obťirai, ajouta-t-elle avec une expression de douleur et de patience qui attendrit presque le coeur de Beaumanoir lui-mÍme. Vous Ítes les anciens de votre peuple, et ŗ votre commandement je vous montrerai les traits d'une fille infortunťe.Ľ Elle leva son voile et dťcouvrit aux spectateurs un visage sur lequel on apercevait un mťlange parfait de modestie et de noblesse. Son extrÍme beautť excita un murmure de surprise, et les jeunes chevaliers, se regardant les uns les autres, se dirent des yeux que la meilleure excuse de Brian ťtait dans le pouvoir plutŰt de ses charmes rťels que de ses sortilťges imaginaires. Mais Higg, fils de Snell, fut celui qui se sentit le plus affectť ŗ la vue du visage de sa bienfaitrice. ęLaissez-moi sortir, dit-il ŗ ceux qui gardaient la porte de la salle, laissez-moi sortir: si je la regarde encore une fois, j'en mourrai, puisque j'aurai participť au meurtre que l'on veut commettre.Ľ ęPaix! brave homme, dit Rťbecca lorsqu'elle entendit cette exclamation; tu ne m'as point fait de mal en disant la vťritť; tu ne saurais me faire de bien par tes plaintes et tes lamentations. Garde donc le silence, je t'en prie; retire-toi, et que Dieu te protťge!Ľ Higg allait Ítre mis ŗ la porte par les gardes, qui le plaignaient, mais qui craignaient qu'une nouvelle interruption de sa part ne leur attir‚t des reproches et ŗ lui mÍme un ch‚timent: mais il promit d'Ítre calme, et on lui permit de rester. On appela alors les deux hommes d'armes avec lesquels Albert de Malvoisin n'avait pas manquť de s'entendre sur la dťposition qu'ils avaient ŗ faire. Quoique ce fussent des scťlťrats endurcis et entiŤrement ťtrangers ŗ la pitiť, nťanmoins la vue de l'accusťe, aussi bien que son extrÍme beautť, parut d'abord leur en imposer; mais un coup d'oeil expressif du prťcepteur de Templestowe leur rendit aussitŰt leur horrible sang-froid; et ils donnŤrent, avec une prťcision qui aurait paru suspecte ŗ des juges moins prťvenus, des dťtails, soit totalement faux, soit indiffťrens et naturels en eux-mÍmes, mais qui ťveillaient le soupÁon par la maniŤre exagťrťe avec laquelle ils ťtaient racontťs, et par les commentaires sinistres que les tťmoins ajoutaient aux faits. Leur dťposition aurait pu, dans des temps modernes, Ítre divisťe en deux parties: l'une contenant des faits insignifians; l'autre des faits totalement faux, et d'ailleurs matťriellement impossibles: mais, dans ces temps d'ignorance et de superstition, les uns et les autres ťtaient admis comme preuves de culpabilitť. Dans la premiŤre classe de ces faits il ťtait dit qu'on avait entendu Rťbecca se parler ŗ elle-mÍme dans une langue inconnue; que les chansons qu'elle chantait de temps en temps avaient un son trŤs doux qui charmait les oreilles et faisait tressaillir le coeur de ceux qui les entendaient; qu'en se parlant quelquefois ŗ elle-mÍme, elle levait les yeux au ciel et semblait attendre une rťponse; que ses vÍtemens ťtaient d'une forme ťtrange et mystique, et diffťraient de ceux que portaient les femmes de bon renom; qu'elle avait des bagues sur lesquelles ťtaient gravťes des devises cabalistiques, et que des caractŤres inconnus ťtaient brodťs sur son voile. Toutes ces circonstances, si naturelles et si triviales, furent ťcoutťes gravement comme des preuves, ou du moins comme de fortes prťsomptions indicatrices d'une correspondance coupable avec des puissances mystiques. Mais un des soldats fit une dťposition moins ťquivoque et qui fixa plus particuliŤrement l'attention des assistans et entraÓna leurs suffrages, malgrť l'invraisemblance des faits. Il avait vu, dit-il, Rťbecca opťrer une cure sur un homme blessť qu'on avait apportť avec lui ŗ Torquilstone. Elle fit certains signes sur la blessure et prononÁa certains mots mystťrieux, que, gr‚ce au ciel, il n'avait pas compris, sur quoi le fer d'un carreau d'arbalŤte s'ťtait dťgagť de la blessure, le sang s'ťtait ťtanchť, la blessure s'ťtait refermťe, et que, un quart d'heure aprŤs, le moribond ťtait sur les remparts, aidant le tťmoin ŗ charger et ŗ diriger la machine destinťe ŗ lancer des pierres. Cette fable ťtait probablement fondťe sur le fait rťel que Rťbecca avait donnť des soins ŗ Ivanhoe blessť, lorsqu'il se trouvait au ch‚teau de Torquilstone. Mais il ťtait plus difficile de rťvoquer en doute la vťracitť du tťmoin, parce que, pour donner une preuve matťrielle ŗ l'appui de son tťmoignage, il tira de sa poche le fer qui, suivant ce qu'il affirmait, avait ťtť miraculeusement extrait de sa blessure; et comme le fer pesait tout juste une once, cette circonstance ťtait une confirmation complŤte de la vťritť, quelque merveilleuse qu'elle parŻt. Son camarade avait vu, du haut d'une tour voisine, la scŤne qui s'ťtait passťe entre Rťbecca et Bois-Guilbert, lorsqu'elle ťtait sur le point de se prťcipiter du haut de la plate-forme. Pour ne pas rester en arriŤre de son compagnon, il dťclara qu'il avait vu Rťbecca se percher sur le parapet de la tour, et lŗ prendre la forme d'un cygne blanc comme du lait, voler trois fois autour du ch‚teau de Torquilstone, puis se percher de nouveau sur la tour et parvenir ŗ reprendre ensuite sa premiŤre forme. Un petit nombre de tťmoignages de cette importance auraient suffi pour convaincre de sorcellerie toute femme vieille, pauvre et laide, quand bien mÍme elle n'aurait pas ťtť juive; mais, joints ŗ une fatale circonstance, ils formaient un corps de preuves trop redoutable pour la jeunesse de Rťbecca, qui rťunissait ŗ tant d'autres prťcieuses qualitťs la beautť la plus remarquable. Le grand-maÓtre, ayant recueilli les suffrages, demanda d'un ton grave ŗ Rťbecca ce qu'elle avait ŗ allťguer contre la sentence de condamnation qu'il allait prononcer. ęInvoquer votre pitiť, dit l'aimable juive d'une voix tremblante, serait, j'ai tout lieu de le craindre, entiŤrement superflu, si d'ailleurs je ne regardais cette dťmarche comme une bassesse. Vous dire que soulager les malades et les blessťs d'une autre religion ne peut dťplaire au fondateur reconnu de nos deux croyances ne servirait ťgalement de rien; allťguer que plusieurs choses dont ces hommes (que Dieu puisse leur pardonner!) m'ont accusťe, sont impossibles, ne serait pas plus favorable ŗ ma cause, puisque vous croyez ŗ leur possibilitť. Je ne rťussirais pas mieux en vous disant que mes vÍtemens, mon langage, mes habitudes, tout cela tient aux usages de mon peuple... j'allais dire de ma patrie; mais, hťlas! nous n'avons plus de patrie. Je ne chercherai mÍme pas ŗ me justifier aux dťpens de mon oppresseur qui est lŗ, ťcoutant les fictions et les prťsomptions qui semblent transformer le tyran en victime. Que Dieu soit juge entre lui et moi! mais plutŰt souffrir dix fois le genre de mort auquel il sera de votre bon plaisir de me condamner, que d'ťcouter les propositions que cet homme de Bťlial a osť me faire lorsque j'ťtais sans amis, sans dťfense, et sa prisonniŤre! Mais il est de votre croyance; ŗ ce titre, tout ce qu'il pourra dire pour sa justification, ou pour m'accuser, aura bien plus de poids auprŤs de vous que les protestations les plus solennelles d'une malheureuse juive. Je ne rťtorquerai donc pas contre lui l'accusation portťe contre moi; mais c'est ŗ lui..., oui, Brian de Bois-Guilbert, c'est ŗ toi que j'en appelle, c'est toi que j'interpelle de dire si ces accusations ne sont pas fausses, si elles ne sont pas aussi monstrueuses et calomnieuses qu'elles sont peu mťritťes, cruelles et meurtriŤres.Ľ Elle s'arrÍta un moment. Tous les yeux se tournŤrent vers Brian de Bois-Guilbert. Il garda le silence, ęParle, reprit-elle; si tu es homme, si tu es chrťtien, parle! je t'en conjure par l'habit que tu portes, par le nom que tes ancÍtres t'ont laissť pour hťritage, par l'ordre de la chevalerie dont tu te fais gloire, par l'honneur de ta mŤre, par le tombeau et par les ossemens de ton pŤre, je te somme de dťclarer si tout ce qu'on a dit contre moi est vrai.Ľ--ęRťponds-lui, mon frŤre, dit le grand-maÓtre, si toutefois l'ennemi contre lequel je te vois lutter t'en laisse le pouvoir.Ľ En effet, Bois-Guilbert paraissait Ítre en proie ŗ un tumulte de passions, qui, se combattant les unes les autres, opťraient une sorte de convulsion dans tous ses traits; et ce ne fut que d'une voix qui exprimait la plus grande contrainte, qu'il put articuler ces mots entrecoupťs en regardant Rťbecca: ęLe papier! le papier!Ľ ęVous l'entendez, s'ťcria Beaumanoir; voilŗ ce qu'on peut regarder comme une preuve irrťfragable, puisque la victime de ses sortilťges ne peut prononcer que: ęLe papier!Ľ Le papier fatal, le talisman, sur lequel probablement est inscrite la cause de son silence.Ľ Mais Rťbecca interprťta diffťremment les paroles arrachťes pour ainsi dire ŗ Bois-Guilbert; et jetant un coup d'oeil rapide sur le morceau de papier qu'elle tenait encore ŗ la main, elle lut ces mots tracťs en caractŤres arabes: ę_Demande le privilťge ŗ un champion._Ľ Le murmure qui se fit entendre dans l'assemblťe, occasionnť par les commentaires que les spectateurs se communiquaient sur l'ťtrange rťponse de Bois-Guilbert, donna ŗ Rťbecca le temps de lire, et au mÍme instant de dťtruire le papier, sans qu'on s'en aperÁŻt. Lorsque le silence fut rťtabli le grand-maÓtre reprit la parole. ęRťbecca, dit-il, tu ne peux retirer aucun avantage du tťmoignage de ce malheureux chevalier, contre qui, nous le voyons bien, l'ennemi est trop puissant. As-tu quelque autre chose ŗ dire?Ľ--ęIl me reste encore une chance pour sauver ma vie, dit Rťbecca, mÍme d'aprŤs vos lois barbares. Ma vie a ťtť misťrable, bien misťrable, du moins dans ces derniers temps; mais je ne rejetterai point un don que j'ai reÁu de Dieu, tant qu'il me fournira les moyens de le dťfendre. Je nie l'accusation portťe contre moi; je maintiens mon innocence et la faussetť de l'inculpation; je rťclame le privilťge du combat en champ clos, et je comparaÓtrai par un champion.Ľ ęEt qui voudra, Rťbecca, dit le grand-maÓtre, lever sa lance et la mettre en arrÍt pour une sorciŤre? Qui voudra se prťsenter comme le champion d'une juive?Ľ--ęDieu me suscitera un champion, rťpondit Rťbecca. Il n'est pas possible que, dans l'heureuse Angleterre, sur cette terre hospitaliŤre, chez cette nation gťnťreuse et libre, oý l'on trouve un si grand nombre de chevaliers prÍts ŗ hasarder la vie pour l'honneur, il ne s'en trouve un seul qui veuille combattre pour la justice. Mais il suffit que je rťclame le privilťge du combat, et voilŗ mon gage.Ľ En disant ces mots elle Űta un de ses gants brodťs et le jeta devant le grand-maÓtre avec un air de modestie et de dignitť qui excita une surprise et une admiration universelles. CHAPITRE XXXVIII. ęJe jette lŗ mon gage pour te prouver la vťritť de ce que j'avance, jusqu'au dernier degrť de la valeur martiale.Ľ SHAKSPEARE. _Richard_. Lucas Beaumanoir lui-mÍme se sentit alors ťmu par l'air de noblesse et le maintien dťcent de Rťbecca. Il n'ťtait naturellement ni cruel, ni mÍme sťvŤre; mais son caractŤre froid, sans passions vives, uni ŗ un sentiment ťlevť, quoique faux, lui faisait regarder comme un devoir les impressions d'un coeur qui s'ťtait graduellement endurci par l'effet d'une vie ascťtique, comme par l'exercice du pouvoir suprÍme, et encore par la nťcessitť supposťe de subjuguer les infidŤles et de dťraciner l'hťrťsie, qu'il s'imaginait Ítre pour lui une obligation toute particuliŤre. Ses traits se rel‚chŤrent un peu de leur inflexibilitť habituelle, lorsque ses regards se fixŤrent sur la belle et intťressante crťature qui ťtait devant lui, seule, sans amis, et qui se dťfendait avec tant de dignitť et de courage. Il fit deux fois le signe de la croix, ne sachant d'oý provenait cet attendrissement inusitť d'un coeur qui, dans des occasions semblables, avait ťtť d'une duretť ťgale ŗ celle de l'acier de son ťpťe. Enfin il reprit la parole. ęJeune fille, dit-il, si la pitiť que je ressens pour toi est l'effet de quelque art magique que tu aies pratiquť sur moi, ton crime est grand; mais j'aime ŗ la regarder comme produite par de plus doux sentimens de la nature, qui s'afflige de voir qu'un corps qui prťsente une forme aussi agrťable ne soit qu'un vase de perdition; exprime ton repentir, ma fille, confesse tes crimes de charmes et d'enchantemens, renonce ŗ ta fausse croyance, embrasse notre sainte religion, et tu seras encore heureuse, et dans cette vie et dans l'autre. Placťe dans quelque monastŤre de l'ordre le plus austŤre, tu auras encore le temps de prier et de faire pťnitence, et tu ne te repentiras pas de cette rťsolution. Fais ce que je te dis, et sauve ta vie. Qu'a fait pour toi la loi de MoÔse? qui t'oblige ŗ lui sacrifier ta vie?Ľ ęCe fut la loi de mes pŤres, rťpondit Rťbecca; elle leur fut donnťe sur le mont SinaÔ, au milieu du tonnerre et des ťclairs, et dans un nuage de feu; c'est ce que vous croyez si vous Ítes chrťtiens; elle est, dites-vous, rťvoquťe, mais c'est lŗ ce que mes maÓtres ne m'ont point enseignť.Ľ--ęQu'on fasse venir notre chapelain, dit Beaumanoir; qu'il dise ŗ cette infidŤle obstinťe...Ľ--ęPardonnez si je vous interromps, dit Rťbecca avec douceur; je ne suis qu'une jeune fille, inhabile ŗ discuter sur ma religion; mais je saurai mourir pour elle, si telle est la volontť de Dieu. Daignez m'accorder une rťponse ŗ ma demande du privilťge d'un champion.Ľ ęDonnez-moi son gant, dit Beaumanoir. Certes, continua-t-il en examinant le tissu lťger et les doigts effilťs de ce gant, voilŗ un gage bien faible et bien frÍle pour un combat aussi terrible. Vois-tu, Rťbecca, comme ton gant mince et lťger est ŗ un de nos lourds gantelets d'acier? ainsi est ta cause ŗ l'ťgard de celle du Temple; car c'est notre saint ordre que tu as dťfiť.Ľ--ęMets mon innocence de l'autre cotť de la balance, rťpondit Rťbecca, et le gant de soie l'emportera sur le gant de fer.Ľ ęAinsi donc, dit le grand-maÓtre, tu persistes dans ton refus de confesser ton crime, et dans l'audacieux dťfi que tu as fait?Ľ--ęJe persiste, noble sire, rťpondit Rťbecca.Ľ--ęSoit donc ainsi fait, au nom du ciel! dit le grand-maÓtre, et que Dieu fasse triompher le bon droit!Ľ--ę_Amen!_Ľ rťpondirent les prťcepteurs autour de lui, et le mot fut rťpťtť par toute l'assemblťe. ęMes frŤres, dit Beaumanoir, vous n'ignorez pas que nous aurions trŤs bien pu refuser ŗ cette femme le privilťge du jugement par combat; mais, quoique juive et infidŤle, elle est ťtrangŤre et sans dťfense; ŗ Dieu ne plaise que, lorsqu'elle rťclame le bťnťfice de nos douces lois, nous refusions de l'en faire jouir! D'ailleurs nous sommes des chevaliers et des soldats aussi bien que des religieux, et ce serait une honte ŗ nous de refuser, sous aucun prťtexte, le combat demandť. Voici donc l'ťtat de la cause. Rťbecca, fille d'Isaac d'York, est, d'aprŤs un grand nombre de faits et de prťsomptions, accusťe du crime de sorcellerie commis sur la personne d'un noble chevalier de notre saint ordre, et a rťclamť le privilťge du combat pour prouver son innocence. ņ qui Ítes-vous d'avis, rťvťrends frŤres, que nous devions remettre le gage du combat en le nommant en mÍme temps notre champion dans la lice?Ľ ęņ Brian de Bois-Guilbert, dit le prťcepteur Goodalrick, qui est personnellement intťressť dans cette affaire, et qui d'ailleurs connaÓt mieux que personne de quel cŰtť est la vťritť et la justice.Ľ ęMais, dit le grand-maÓtre, si notre frŤre Brian est sous l'influence d'un charme ou d'un sort? Ce n'est au reste que par motif de prudence; car il n'est pas dans tout notre ordre un bras auquel je confierais plus volontiers la dťfense de cette cause, ou de toute autre d'une plus grande importance.Ľ--ę…minentissime pŤre, rťpondit le prťcepteur Goodalrick, aucun charme ne peut opťrer sur le champion qui se prťsente au combat pour le jugement de Dieu.Ľ ęTu as raison, mon frŤre, dit le grand-maÓtre. Albert Malvoisin, donne ce gage de bataille ŗ Brian de Bois-Guilbert. La recommandation que nous avons ŗ te faire, mon frŤre, continua-t-il en s'adressant ŗ Bois-Guilbert, est que tu combattes vigoureusement et en homme de courage, ne doutant pas que tu ne fasses triompher la bonne cause. Et toi, Rťbecca, fais attention que je te dťsigne le troisiŤme jour, ŗ partir de celui-ci, auquel tu auras dŻ trouver un champion.Ľ--ęC'est un dťlai bien court, rťpondit Rťbecca, pour une ťtrangŤre, pour une femme d'une croyance diffťrente de la vŰtre, s'il faut trouver quelqu'un qui veuille combattre et exposer sa vie et son honneur ŗ cause d'elle.Ľ ęIl ne nous est pas possible de le prolonger, dit le grand-maÓtre. Le combat doit avoir lieu en notre prťsence, et divers motifs puissans nous appellent ailleurs le quatriŤme jour.Ľ--ęQue la volontť de Dieu soit accomplie, dit Rťbecca. Je mets ma confiance en celui pour qui un instant est aussi efficace pour se sauver que le serait une suite de siŤcles.Ľ--ęTu as trŤs bien dit, jeune fille, observa le grand-maÓtre; mais nous savons quel est celui qui peut se couvrir d'armure et ressembler ŗ un ange de lumiŤre. Il ne reste plus qu'ŗ dťsigner le lieu du combat, et, s'il y a lieu, celui de l'exťcution. Oý est le prťcepteur de cette maison?Ľ Albert Malvoisin, ayant encore ŗ la main le gant de Rťbecca, parlait en ce moment ŗ Bois-Guilbert d'un air animť, mais ŗ voix basse. ęQuoi! dit le grand-maÓtre, ne veut-il pas recevoir le gage?Ľ--ęIl le recevra, il le reÁoit, ťminentissime pŤre, rťpondit Malvoisin en cachant le gant sous son propre manteau. Quant au lieu du combat, je pense qu'il n'en est pas de plus convenable que la lice de Saint-Georges, appartenant ŗ la prťceptorerie, et oý nous faisons ordinairement nos exercices militaires.Ľ--ęC'est bien, dit le grand-maÓtre. Rťbecca, c'est dans cette lice que tu devras produire ton champion; et s'il ne s'en prťsente point, ou si celui qui viendra est vaincu par le jugement de Dieu, tu mourras de la mort des sorciŤres, conformťment ŗ notre sentence. Que ce jugement soit consignť dans nos registres, et qu'on en fasse lecture ŗ haute voix, afin que personne n'en prťtende cause d'ignorance.Ľ L'un des chapelains qui remplissaient les fonctions de greffier inscrivit tout de suite ce jugement sur un ťnorme registre qui contenait les procŤs-verbaux des sťances solennelles des chevaliers du Temple, et lorsqu'il eut fini d'ťcrire, l'autre chapelain lut ŗ haute voix la sentence du grand-maÓtre, rťdigťe en ces termes: ęRťbecca, juive, fille d'Isaac d'York, atteinte et convaincue de sorcellerie, de sťduction et autres damnables pratiques, faites contre un chevalier du trŤs saint ordre du Temple de Sion, nie le fait, et dit que le tťmoignage en ce jour portť contre elle est faux, mťchant et dťloyal, et que par lťgitime _essoine_[12], ou privilťge de son corps, comme ne pouvant combattre elle-mÍme, elle offre, par un gentilhomme, en sa place, de soutenir sa cause, et par lui faisant son loyal devoir, en toute maniŤre chevaleresque, avec telles armes qu'ŗ gage de bataille il appartient, et ce ŗ ses pťrils et frais, pour quoi elle a jetť son gage; et le gage ayant ťtť remis Ťs-mains du noble sire et chevalier Brian de Bois-Guilbert, du saint ordre du Temple de Sion, il a ťtť dťsignť pour soutenir cette bataille au nom de son ordre et de lui-mÍme, comme partie offensťe et comme victime des pratiques de la rťclamante. C'est pourquoi l'ťminentissime pŤre et puissant seigneur Lucas, marquis de Beaumanoir, a octroyť permission de faire ledit dťfi, accordť ledit essoine et privilťge du corps de la rťclamante, et dťsignť le troisiŤme jour pour ledit combat, le lieu ťtant l'enclos dit la lice de Saint-Georges, prŤs la prťceptorerie de Templestowe; et le grand-maÓtre somme la rťclamante de comparaÓtre audit lieu par son champion, sous peine de subir sa sentence comme convaincue de sorcellerie ou de sťduction, et aussi somme le dťfendant d'y comparaÓtre, sous peine d'Ítre tenu pour l‚che, et dťclarť tel comme dťfaillant; et le noble seigneur et ťminentissime pŤre susnommť, ordonne que ledit combat ait lieu en sa prťsence, le tout suivant les us et coutumes en pareil cas ťtablis et dťterminťs. Que Dieu fasse justice ŗ la bonne cause!Ľ Note 12: Ce vieux mot signifie _excuse_ par impossibilitť de comparaÓtre en justice. Il se rapporte ici, observe l'auteur anglais, au privilťge qu'avait l'accusťe d'envoyer un champion, ne pouvant combattre elle-mÍme ŗ cause de son sexe. A. M. ę_Amen!_Ľ dit le grand-maÓtre, et le mot fut rťpťtť par tous les assistans. Rťbecca ne parla point, mais elle leva les yeux au ciel, et, joignant les mains, resta une minute sans changer d'attitude. Ensuite elle rappela modestement au grand-maÓtre qu'on devait lui permettre de profiter des occasions qui se prťsenteraient de communiquer librement avec ses amis, pour leur faire connaÓtre sa position, et pour se procurer, s'il ťtait possible, un champion qui voulŻt combattre ŗ sa place.Ľ ęCela est juste et lťgitime, dit le grand-maÓtre; choisis tel messager que tu croiras digne de ta confiance, et il aura libre communication avec toi dans la chambre qui te sert de prison.Ľ--ęY a-t-il quelqu'un ici, dit Rťbecca, qui par intťrÍt pour une cause juste, ou pour un ample salaire, veuille rendre ce service ŗ un Ítre qui est dans la dťtresse?Ľ Tout le monde garda le silence, croyant qu'il n'ťtait pas prudent, en prťsence du grand-maÓtre, de manifester de l'intťrÍt ŗ la prisonniŤre qui venait d'Ítre condamnťe, et aussi par la crainte d'Ítre soupÁonnť de protťger le judaÔsme, ou de nourrir l'espoir d'une rťcompense, ou encore de trahir un sentiment naturel de compassion. Rťbecca resta quelques instans dans un ťtat d'anxiťtť impossible ŗ dťcrire. ęEst-il croyable? s'ťcria-t-elle enfin. Eh quoi! en Angleterre, me trouver ainsi privťe de la seule espťrance de salut qui me reste, faute d'un acte de charitť qu'on ne refuserait pas mÍme au dernier des criminels!Ľ ņ la fin, Higg, fils de Snell, rťpondit: ęJe ne suis qu'un estropiť, mais si je puis me remuer ou marcher un peu, c'est ŗ son secours charitable que je le dois. Je ferai ta commission, ajouta-t-il, autant que le peut un homme qui n'a pas le libre usage de ses membres; et plŻt ŗ Dieu que je fusse assez ingambe pour pouvoir rťparer par ma promptitude le mal que j'ai fait avec ma langue! Hťlas! lorsque je me glorifiais d'avoir ťtť l'objet de ta charitť, j'ťtais loin de penser que je mettrais ta vie en danger.Ľ ęDieu, dit Rťbecca, dispose de tous les ťvťnemens ici-bas. Il peut faire cesser la captivitť de Juda, mÍme avec le plus faible instrument. Pour porter ses ordres, le limaÁon est un messager aussi sŻr que le faucon. Il te faut chercher Isaac d'York; voici de quoi payer tes frais de voyage, y compris ton cheval. Donne-lui ce billet; je ne sais si c'est du ciel que me vient cet espoir; mais j'ai rťellement celui que je ne subirai pas la mort ŗ laquelle on vient de me condamner, et que Dieu me suscitera un champion. Adieu! de ta diligence, dťpend ma vie ou ma mort.Ľ Le paysan prit le billet, qui contenait quelques mots en hťbreu. Plusieurs des assistans voulaient dissuader Higg de toucher ŗ un objet aussi suspect; mais il ťtait rťsolu ŗ servir sa bienfaitrice. Elle avait guťri son corps, disait-il, et il ne pouvait croire qu'elle eŻt le dessein de mettre son ame en pťril. ęJe vais, dit-il, emprunter le bon cheval de mon voisin Buthan, et je serai ŗ York en aussi peu de temps qu'il sera possible avec une pareille monture.Ľ Mais sa bonne fortune ne le laissa pas aller si loin, car ŗ environ un quart de mille des portes de la prťceptorerie, il rencontra deux cavaliers, qu'ŗ leur costume et ŗ leurs gros bonnets jaunes il reconnut pour Ítre des juifs; et lorsqu'il en fut rapprochť, il vit que l'un d'eux ťtait Isaac d'York pour qui il avait autrefois travaillť: l'autre ťtait le rabbin Ben Samuel, et tous deux ťtaient venus aussi prŤs de la prťceptorerie qu'ils l'avaient osť, sur la nouvelle qu'ils avaient reÁue que le grand-maÓtre avait convoquť un chapitre pour faire le procŤs ŗ une sorciŤre. ęFrŤre Ben Samuel, disait Isaac, mon esprit est troublť, et je ne sais pourquoi. Cette accusation de nťcromancie n'est que trop souvent employťe pour cacher de mauvais desseins contre notre peuple.Ľ ęTranquillise-toi, mon frŤre, rťpondit le mťdecin; tu peux prendre des arrangemens avec ces Nazarťens, parce que tu es en possession de richesses, qui sont le mammon de l'iniquitť, et qui te mettent en ťtat d'acheter pleine et entiŤre immunitť. L'or a sur les esprits fťroces de ces hommes abandonnťs de Dieu le mÍme pouvoir qu'on attribuait au sceau du puissant roi Salomon, que l'on disait commander aux mauvais gťnies. Mais quel est ce pauvre malheureux qui vient ici, appuyť sur des bťquilles, et qui, je crois, dťsire nous parler? Ami, dit-il en s'adressant ŗ Higg, fils de Snell, je ne te refuse pas le secours de mon art, mais je ne donne pas mÍme un aspre ŗ ceux qui demandent l'aumŰne sur le grand chemin. Fi! n'as-tu pas de honte? Tu es paralysť des jambes, eh bien, travaille des mains pour gagner ta vie; car, si tu ne peux courir la poste, si tu ne peux avoir la garde fatigante d'un troupeau, Ítre militaire ou servir un maÓtre impatient, tu peux trouver d'autres occupations... Eh bien, mon frŤre, qu'est-ce qu'il y a donc, dit-il en s'interrompant pour regarder Isaac, qui n'ayant fait que jeter un coup d'oeil sur le billet que Higg lui avait prťsentť, poussa un profond soupir, et se laissa tomber de sa mule, comme un homme qui va mourir, et resta un moment ťtendu sur la terre, privť de sentiment. Le rabbin alarmť descendit de cheval, et employa aussitŰt les remŤdes que son art lui suggťrait pour faire revenir son compagnon. Il avait mÍme tirť de sa poche une boÓte de ventouses, et se prťparait ŗ le saigner, lorsque l'objet de ses vives inquiťtudes reprit tout ŗ coup ses sens, mais ce fut pour jeter son bonnet et rouler sa tÍte dans la poussiŤre. Le mťdecin eut d'abord la pensťe d'attribuer cette subite et violente ťmotion ŗ un accŤs de dťmence, et, persistant dans sa premiŤre intention, reprit en main ses instrumens. Mais Isaac le convainquit bientŰt de son erreur. ęEnfant de ma douleur! s'ťcria-t-il, on aurait bien pu te nommer Benoni au lieu de Rťbecca. Pourquoi faut-il que ta mort conduise mes cheveux blancs au tombeau, et que, dans l'amertume de mon ame, je maudisse Dieu et que je meure?Ľ--ęFrŤre, dit le rabbin saisi de surprise, es-tu pŤre en IsraŽl, et oses-tu prononcer des paroles semblables? J'espŤre que l'enfant de ta maison vit encore.Ľ ęElle vit, rťpondit Isaac, mais c'est comme Daniel, que Balthasar avait fait jeter dans la fosse aux lions. Elle est prisonniŤre des enfans de Bťlial, et ils exerceront leur cruautť sur elle, sans pitiť pour sa jeunesse ni sa beautť. Oh! elle ťtait comme une couronne de palmes verdoyantes sur mes cheveux blancs! et elle se fanera dans une nuit comme la courge ou citrouille de Jonas! Enfant de mon amour! Ű Rťbecca, fille de Rachel, les tťnŤbres de la mort t'environnent dťjŗ.Ľ--ęMais enfin, lis ce billet, dit le rabbin; il est possible que nous trouvions encore quelque moyen de la dťlivrer.Ľ--ęLis, mon frŤre, rťpondit Isaac, lis toi-mÍme, car mes yeux sont comme une fontaine.Ľ Le mťdecin lut, en hťbreu, ce qui suit: ęņ Isaac, fils d'Adonikam, que les Gentils appellent Isaac d'York. Que la paix et la bťnťdiction de la promesse se multiplient sur toi. Mon pŤre, je suis comme une personne qui est condamnťe ŗ mourir pour une chose que mon ame ne connaÓt point, pour le crime de sorcellerie. Mon pŤre, si on peut trouver un homme fort, qui combatte pour ma cause, avec l'ťpťe et la lance, suivant l'usage des Nazarťens, et cela dans la lice de Yostowe, le troisiŤme jour ŗ compter de celui-ci, le Dieu de nos pŤres lui donnera peut-Ítre assez de force pour dťfendre l'innocence, et celle qui n'a personne pour la secourir. Mais si cela ne peut Ítre, que les vierges de notre peuple pleurent sur moi comme sur une personne qui a ťtť rejetťe, comme sur la biche qui a ťtť frappťe par le chasseur, et comme sur la fleur qui a ťtť coupťe par la faux du moissonneur. C'est pourquoi vois ce que tu peux faire et s'il t'est possible de trouver un libťrateur. Il y a un guerrier nazarťen qui pourrait ŗ la vťritť prendre les armes pour ma dťfense, Wilfrid, fils de Cedric, que les Gentils appellent Ivanhoe; mais il est possible qu'il ne soit pas encore en ťtat de soutenir le poids de son armure. Nťanmoins fais-lui connaÓtre ma position, mon pŤre; car il jouit d'une grande considťration auprŤs des hommes vaillans de son peuple; et comme il a ťtť notre compagnon dans la maison de servitude, il peut indiquer quelqu'un qui vienne combattre en ma faveur. Et dis-lui, dis ŗ lui-mÍme, dis ŗ Wilfrid, fils de Cedric, que, soit que Rťbecca vive, soit que Rťbecca meure, elle vivra et elle mourra entiŤrement innocente du crime dont on l'accuse. Et si c'est la volontť de Dieu que tu sois privť de ta fille, ne demeure pas long-temps, maintenant que tu es vieux, dans cette terre de sang et de cruautť, mais retire-toi ŗ Cordoue, oý ton frŤre vit en sŻretť, ŗ l'ombre du trŰne, mÍme du trŰne de Boabdil le sarrasin; car moins affreuses sont les cruautťs des Maures envers la race de Jacob, que les cruautťs des Nazarťens d'Angleterre.Ľ Isaac ťcouta assez tranquillement la lecture que Ben Samuel fit de cette lettre, et ensuite recommenÁa ses exclamations et ses dťmonstrations de douleur, ŗ la maniŤre orientale, dťchirant ses vÍtemens, couvrant sa tÍte de poussiŤre, et s'ťcriant: ęMa fille! ma fille! chair de ma chair! os de mes os!Ľ ęEt cependant, dit le rabbin, il faut prendre courage, car cette douleur ne remťdie ŗ rien. Il s'agit de ceindre tes reins, et d'aller ŗ la recherche de ce Wilfrid, fils de Cedric. Il est possible qu'il t'aide, soit de ses conseils, soit de ses armes, car ce jeune homme est en faveur auprŤs de Richard surnommť par les Nazarťens Coeur-de-Lion, et la nouvelle de son retour est constante dans le pays. Il peut se faire qu'il en obtienne des lettres scellťes de son sceau, dťfendant ŗ ces hommes de sang, qui dťshonorent le Temple d'oý dťrive leur nom, de donner suite ŗ l'acte qu'ils se proposent d'accomplir.Ľ ęJ'irai ŗ sa recherche, dit Isaac, car c'est un brave jeune homme, qui a compassion de l'exilť de Jacob. Mais il ne peut encore se revÍtir de son armure, et quel autre chrťtien voudra combattre pour l'opprimťe de Sion?Ľ ęMais, mon frŤre, dit le rabbin, tu parles comme un homme qui ne connaÓt point les Gentils; avec de l'or tu achŤteras leur valeur, comme avec de l'or tu achŤtes ta propre sŻretť. Aie bon courage, et te mets en route pour trouver ce Wilfrid d'Ivanhoe. Et moi aussi je partirai, j'agirai, car ce serait un grand crime que de te laisser abattre par cette calamitť. Je vais me rendre ŗ York, oý un grand nombre de guerriers et d'hommes forts sont assemblťs, et je ne doute pas que je ne trouve parmi eux quelqu'un qui consente ŗ combattre pour ta fille; car l'or est leur dieu, et pour de l'or ils engageraient leur vie aussi facilement qu'ils engagent leurs terres. Tu ratifieras, tu accompliras sans doute, mon frŤre, toutes les promesses que je pourrai faire en ton nom.Ľ ęAssurťment, mon frŤre, rťpondit Isaac: et je bťnis le ciel qui m'a envoyť un tel consolateur dans ma misŤre. Il ne faut pas cependant leur accorder tout de suite la totalitť de leurs demandes, car tu trouveras que c'est le propre de cette maudite race de demander des marcs, et ensuite de se contenter de recevoir des onces. Au surplus, fais comme tu jugeras convenable, car ceci me met au dťsespoir, et ŗ quoi me servirait tout mon or, si l'enfant de mon amour venait ŗ pťrir?Ľ ęAdieu donc, dit le mťdecin, et puisse-t-il t'arriver tout ce que ton coeur dťsire!Ľ Ils s'embrassŤrent et partirent chacun par une route diffťrente. Le paysan estropiť resta quelque temps ŗ regarder aprŤs eux. ęCes chiens de juifs! dit-il, ne pas plus faire attention ŗ un membre libre d'une corporation, que si j'ťtais un esclave ou un Israťlite circoncis comme eux. Ils auraient bien pu, il me semble, me jeter un ou deux mancus. Rien ne m'obligeait ŗ leur apporter leur maudit griffonnage, et ŗ courir le risque d'Ítre ensorcelť, comme plus d'une personne m'en a averti. Je me soucie bien du morceau d'or que la jeune fille m'a donnť, si, lorsque j'irai ŗ confesse, ŗ P‚ques prochain, je dois Ítre grondť par le prÍtre, et si je suis obligť de lui donner le double pour me rťconcilier avec lui, et peut-Ítre encore recevoir le nom de _Messager Boiteux_ du juif, par dessus le marchť? Je crois rťellement que j'ai ťtť ensorcelť par cette fille, pendant que je me tenais prŤs d'elle. Mais Á'a toujours ťtť de mÍme; soit juif, soit Gentil, toutes les fois qu'il y avait une commission ŗ faire, personne ne pouvait rester en place; et, ma foi! moi-mÍme, quand j'y pense, je donnerais outils, boutique, tout, pour lui sauver la vie.Ľ CHAPITRE XXXIX. ę‘ jeune fille! tout impitoyable que soit ton coeur, le mien ne le cŤde pas au tien pour la fiertť.Ľ SEWARD. Vers la fin du jour oý le jugement, si on peut l'appeler ainsi, avait eu lieu, on frappa doucement ŗ la porte de la chambre qui servait de prison ŗ Rťbecca. Ce bruit ne dťrangea nullement la captive, qui, dans ce moment, rťcitait la priŤre du soir prescrite par sa religion, et qu'elle termina en chantant l'hymne suivant: Quand IsraŽl, peuple chťri de Dieu, S'en retournait du pays d'esclavage, L'astre sauveur marchait devant l'Hťbreu; Guide imposant, et qui sur ce rivage S'environna d'un nuage de feu. Durant le jour la colonne enflammťe Avec lenteur, sur les peuples surpris, Suivait son cours voilť par la fumťe, Tandis qu'au loin les sables d'Idumťe Gardaient l'ťclat de ses rayons chťris. Les hymnes saints s'ťlevaient dans les nues, Au son bruyant des clairons et des cors; Et de Sion les vierges ingťnues, Aux chants guerriers unissaient leurs accords. Nos ennemis dťdaignent les prodiges; IsraŽl voit mourir ses faibles tiges; En refusant de suivre les sentiers, Nos fiers aÔeux ont payť leurs prestiges, Et de leurs maux tu nous rends hťritiers. Bien que prťsent, tu restes invisible, Quand brilleront de plus fortunťs jours, Que ta mťmoire offre un voile sensible, Contre des feux qui nous trompent toujours; Et quand la nuit, de ses noires tťnŤbres, Aura couvert nos riantes citťs, Retiens tes coups dans ces momens funŤbres, Et prÍte-nous tes divines clartťs. ņ Babylone en silence et captives, Ont dŻ gťmir nos harpes fugitives: Tout IsraŽl est en proie aux tyrans. Sur nos autels plus de feux odorans; Et nos clairons et nos trompes sommeillent. Mais ta clťmence a dit: qu'ils se rťveillent! Le sang des boucs et la chair des bťliers N'ont aucun prix oý mon regard s'attache; D'humbles pensers, un coeur pur et sans tache, Me sont plus chers et non moins familiers. Lorsque le silence eut succťdť au chant expressif de la piťtť de Rťbecca, on frappa de nouveau ŗ la porte. ęEntre, dit-elle, si tu es un ami: si tu es un ennemi, je n'ai pas les moyens de te refuser l'entrťe.Ľ--ęJe suis, dit Brian de Bois-Guilbert en entrant dans l'appartement, un ami ou un ennemi, suivant le rťsultat de cette entrevue.Ľ Alarmťe ŗ la vue de cet homme, dont elle regardait la passion licencieuse comme la cause de ses malheurs, Rťbecca, d'un air timide et rťservť, quoique animťe d'un sentiment de crainte rťelle qu'elle ne manifesta point, se retira dans la partie la plus reculťe de l'appartement, comme bien dťterminťe ŗ s'ťloigner autant qu'elle le pourrait, mais aussi ŗ dťfendre son terrain le plus long-temps possible. Elle prit une attitude, non de dťfi, mais de rťsolution, comme quelqu'un qui voudrait ťviter de provoquer une attaque, mais qui serait bien dťcidť ŗ repousser de tout son pouvoir celle que l'on tenterait de diriger contre lui. ęVous n'avez aucun motif de me craindre, Rťbecca, dit le templier, ou, s'il faut que je m'exprime avec plus de prťcision, vous n'avez, du moins en ce moment, aucun motif de me redouter.Ľ--ęJe ne vous crains point, dit Rťbecca, dont la respiration oppressťe semblait dťmentir l'hťroÔsme du discours; ma confiance est ferme et je ne vous crains point.Ľ ęVous n'en avez pas de sujet, rťpondit Bois-Guilbert; vous n'avez pas maintenant ŗ redouter que je renouvelle mes prťcťdentes tentatives dictťes par la dťmence. ņ quelques pas d'ici sont des gardes sur lesquels je n'ai aucune autoritť. Ils sont chargťs de vous conduire ŗ la mort, Rťbecca, et nťanmoins ils ne souffriraient pas que vous fussiez insultťe par qui que ce soit, mÍme par moi, si ma dťmence, car c'est rťellement une dťmence, pouvait me faire oublier ŗ ce point.Ľ ęQue le ciel soit louť! dit la juive; la mort est ce qui m'ťpouvante le moins dans ce repaire d'iniquitť.Ľ--ęSans doute, rťpliqua le templier, l'idťe de la mort n'a rien d'effrayant pour une ame courageuse, lorsqu'elle se prťsente soudainement et ouvertement. Un coup portť par une lance ou par une ťpťe, pour moi, serait peu de chose. Pour toi, sauter du haut d'une tour, te percer d'un poignard, n'inspire point de terreur; l'infamie, la perte de l'honneur, voilŗ ce que l'un et l'autre considťrerait. Remarque bien, je te parle ainsi, parce que tu penses que mes idťes et mes sentimens sur l'honneur sont diffťrens des tiens; mais nous savons l'un et l'autre mourir pour lui.Ľ ęInfortunť! dit la juive, es-tu donc condamnť ŗ exposer ta vie pour des principes dont tes propres rťflexions et ton propre jugement ne reconnaissent point la soliditť? Certes, c'est se dťpouiller d'un trťsor en ťchange d'une chose qui n'est pas du pain. Mais ne juge pas ainsi de moi. Ta rťsolution peut varier au grť des vagues agitťes et inconstantes de l'opinion humaine, la mienne est ancrťe sur le rocher des siŤcles.Ľ ęSilence, jeune fille, rťpondit le templier, de pareils discours ne servent pas ŗ grand'chose maintenant. Tu es condamnťe ŗ mourir, non d'une mort soudaine et douce, telle que le malheur la dťsire ou que le dťsespoir se la donne, mais d'une suite continue, lente, affreuse, prolongťe, de tortures, organisťes pour punir ce que la bigoterie diabolique de ces hommes appelle ton crime.Ľ ęEt ŗ qui, si tel doit Ítre mon destin, dit Rťbecca, ŗ qui suis-je redevable de tout cela? SŻrement c'est ŗ celui-lŗ seul qui, pour un motif personnel et brutal, m'a traÓnťe jusqu'ici, et qui maintenant, pour quelque autre motif secret, mais ťgalement personnel, s'efforce d'exagťrer le sort ťpouvantable auquel lui-mÍme m'a exposťe.Ľ--ęNe pense pas, dit le templier, que je t'aie exposťe comme tu le dis; mon propre sein t'aurait servi de bouclier pour te garantir d'un tel danger, avec autant d'ardeur et d'abnťgation que j'en ai mis ŗ te garantir des traits qui sans cela t'auraient Űtť la vie.Ľ ęSi ton dessein eŻt ťtť d'accorder une protection honorable ŗ l'innocence, dit Rťbecca, je t'aurais remerciť de tes soins; mais comme il en est autrement, malgrť les assertions contraires et souvent rťpťtťes, je te dťclare que la vie n'est rien pour moi, si je devais la conserver au prix que tu voudrais exiger.Ľ ęFais trŤve ŗ tes reproches, Rťbecca, dit le templier; j'ai mes propres motifs de chagrin, et je ne supporterais pas que tu vinsses les aggraver.Ľ--ęQuel est donc ton dessein? sire chevalier, dit la juive. Dis-le en peu de mots. Si tu as quelque chose en vue, autre que d'Ítre tťmoin du malheur dont tu es la cause, parle, et ensuite daigne, je t'en supplie, me laisser ŗ moi-mÍme; le passage du temps ŗ l'ťternitť est court, mais il est terrible, et je n'ai que peu de momens pour m'y prťparer.Ľ ęJe m'aperÁois, Rťbecca, dit Bois-Guilbert, que tu continues ŗ faire peser sur moi l'accusation des malheurs que j'aurais vivement dťsirť de pouvoir prťvenir.Ľ--ęSire chevalier, dit Rťbecca, je voudrais ťviter de faire des reproches; mais, comment peux-tu nier que je dois ma mort ŗ ta passion effrťnťe?Ľ ęC'est une erreur, c'est une erreur, s'ťcria prťcipitamment le templier; vous vous trompez si vous imputez ŗ mes desseins ou ŗ mes actions des circonstances que je ne pouvais ni prťvoir ni empÍcher. Pouvais-je deviner l'arrivťe inattendue de ce vieil imbťcille, que quelques ťclairs de bravoure, et les louanges donnťes aux stupides austťritťs d'un ascťtique, ont ťlevť pour le moment ŗ un rang bien au dessus de son mťrite, au dessus du sens commun, au dessus de moi, au dessus de plusieurs centaines de chevaliers de notre ordre qui pensent et qui sentent comme des hommes exempts des sots et ridicules prťjugťs qui forment la base de ses opinions et de ses actions?Ľ ęEt cependant, dit Rťbecca, vous avez siťgť comme mon juge, tout innocente, parfaitement innocente que j'ťtais, et que vous saviez que j'ťtais; vous avez participť ŗ ma condamnation; bien plus, si je l'ai nettement compris, vous devez vous-mÍme comparaÓtre, en armes, pour soutenir l'accusation et assurer l'exťcution de la sentence.Ľ ęPatience, jeune fille, rťpliqua le templier, patience, je t'en supplie; il n'est pas de race qui sache aussi bien que la tienne cťder ŗ l'orage et gouverner sa barque de maniŤre ŗ tirer parti, mÍme d'un vent contraire.Ľ ęDťplorable, ŗ jamais lamentable, dit Rťbecca, l'heure ŗ laquelle la maison d'IsraŽl a ťtť forcťe d'avoir recours ŗ cet art! Mais l'adversitť courbe le coeur, comme le feu courbe l'acier indocile; et ceux qui ne se gouvernent plus par leurs propres lois, et qui ne sont plus habitans de leur ťtat libre et indťpendant, doivent se courber et s'humilier devant les ťtrangers. C'est une malťdiction prononcťe contre nous, sire chevalier, mťritťe sans doute en expiation de nos fautes et de celles de nos pŤres; mais vous, vous qui vous vantez de votre libertť comme d'un droit qui vous appartient dŤs votre naissance, combien n'est-il pas plus honteux pour vous de vous abaisser jusqu'ŗ flatter et caresser les prťjugťs des autres, mÍme en dťpit de votre propre conviction?Ľ ęVos paroles sont amŤres, Rťbecca, dit Bois-Guilbert en parcourant l'appartement avec un air d'impatience; mais je ne suis point venu pour faire assaut de reproches avec toi. Je veux que tu saches que Bois-Guilbert ne cŤde ŗ homme quelconque, quoique les circonstances puissent l'engager pour un temps ŗ apporter quelque changement ŗ ses projets; sa volontť est comme le fleuve qui descend de la montagne, dont le cours peut bien Ítre dťtournť pour quelques instans par un rocher, mais qui bientŰt reprend sa direction vers l'ocťan. Ce billet qui t'a conseillť de rťclamer le privilťge d'un champion, de qui as-tu pu penser qu'il venait, si ce n'est de Bois-Guilbert? ņ quel autre individu as-tu pu inspirer de l'intťrÍt?Ľ ęRťpit bien court d'une mort instantanťe, rťpliqua Rťbecca, et qui me sera de bien peu d'utilitť. Est-ce lŗ tout ce que tu as pu faire pour une infortunťe, sur la tÍte de qui tu as accumulť les chagrins, et que tu as conduite jusqu'au bord du tombeau?Ľ ęNon, jeune fille, rťpondit Bois-Guilbert, ce n'est pas lŗ tout ce que je m'ťtais proposť; sans la maudite intervention de ce vieux fanatique et de cet imbťcille Goodalrick, lequel, bien que templier, affecte nťanmoins de penser et de juger conformťment aux lois ordinaires de l'humanitť, l'office de champion dťfenseur ťtait dťvolu, non ŗ un prťcepteur, mais ŗ un compagnon de l'ordre. Alors moi-mÍme, tel ťtait mon projet au premier son de la trompette, je me serais prťsentť dans la lice comme ton champion, ŗ la vťritť sous le dťguisement d'un chevalier errant qui va ŗ la recherche des aventures, afin de prouver la bontť de son bouclier et de sa lance; et puis, que Beaumanoir eŻt choisi, non pas un, mais deux, trois des frŤres qui se trouvent maintenant ici, je n'avais pas le moindre doute que je ne leur eusse fait vider les ťtriers avec ma simple lance. C'est ainsi, Rťbecca, que ton innocence aurait ťtť prouvťe, et je m'en serais remis ŗ ta reconnaissance pour la rťcompense que tu m'aurais accordťe comme vainqueur.Ľ ęTout ceci, sire chevalier, dit Rťbecca, n'est que pure vanterie, une maniŤre de vous faire un mťrite de ce que vous auriez fait, si vous n'aviez pas trouvť convenable de faire autrement. Vous avez acceptť mon gant; et mon champion, si une crťature aussi abandonnťe, aussi dťlaissťe peut en trouver un, doit s'exposer aux coups de votre lance dans la lice; et vous voudriez, aprŤs cela, vous donner avec moi l'air d'un ami et d'un protecteur!Ľ ęVotre ami et votre protecteur! dit gravement le templier: eh bien, je veux encore l'Ítre; mais remarquez bien ŗ quel risque, ou plutŰt avec quelle certitude de dťshonneur; et ensuite ne me bl‚mez pas si je stipule mes conditions avant d'exposer tout ce que j'aie eu jamais de plus cher jusqu'ici, pour sauver la vie ŗ une jeune fille juive.Ľ ęParle, dit Rťbecca, je ne te comprends point.Ľ--ęEh bien! dit Bois-Guilbert, je vais te parler avec autant de franchise que jamais bigot pťnitent a parlť ŗ son pŤre spirituel, au tribunal de la pťnitence. Rťbecca, si je ne comparais point dans la lice, je perds mon rang et ma rťputation; je perds ce qui m'est plus cher que l'air que je respire, je veux dire l'estime dont mes frŤres m'honorent, et l'espoir que j'ai d'Ítre un jour investi de cette suprÍme autoritť, dont jouit aujourd'hui ce bigot barbon, Lucas de Beaumanoir. Voilŗ le sort inťvitable qui m'attend, si je ne comparais point contre toi. Que maudit soit ce Goodalrick qui m'a dressť un pareil piťge! et doublement maudit Albert Malvoisin, qui m'a dťtournť de la rťsolution que j'avais prise de jeter ton gant ŗ la figure de ce fanatique vieillard, qui avait ťcoutť une accusation aussi absurde, et contre une crťature aussi noble et aussi aimable que tu l'es!Ľ ęMais ŗ quoi sert maintenant tout ce jargon emphatique de flatterie? dit Rťbecca; tu as dťclarť ton choix entre faire rťpandre le sang d'une femme innocente, et conserver ton rang et tes espťrances temporelles. ņ quoi sert de discuter? ton choix est fait.Ľ ęNon, Rťbecca, dit le chevalier d'un ton plus doux et en se rapprochant d'elle, mon choix n'est point fixť; je dis plus, ťcoute-moi bien, c'est ŗ toi ŗ le faire. Si je parais dans la lice, il faut que je soutienne ma renommťe comme guerrier, et si je fais cela, que tu aies un champion ou non, tu meurs par le poteau et le fagot, car il n'existe pas un chevalier qui ait combattu contre moi ŗ ťgalitť, encore moins ŗ supťrioritť de rťsultat, exceptť Richard Coeur-de-Lion et son favori Ivanhoe. Ivanhoe, tu le sais fort bien, n'est pas en ťtat de vÍtir son corselet, et Richard est prisonnier en pays ťtranger. Ainsi donc, si je me prťsente dans la lice, tu meurs, quand bien mÍme tes charmes engageraient quelque jeune ťcervelť ŗ entrer en lice pour ta dťfense.Ľ ęMais ŗ quoi bon me rťpťter cela si souvent?Ľ demanda Rťbecca.--ęIl le faut, rťpondit le templier, parce qu'il est essentiel que tu envisages ton destin sous tous les rapports.Ľ--ęEh bien! dit Rťbecca, tourne la tapisserie et fais-moi voir l'autre cŰtť.Ľ ęSi je me prťsente dans la lice, dit Bois-Guilbert, tu meurs d'une mort lente et cruelle, accompagnťe de tourmens ťgaux ŗ ceux que l'on dit Ítre destinťs aux coupables dans l'autre vie. Mais, si je ne me prťsente point, je suis un chevalier dťgradť et dťshonorť, accusť de sorcellerie et de communiquer avec les infidŤles; le nom illustre que je porte, et que j'ai rendu encore plus illustre par mes exploits, devient une dťnomination de mťpris et de reproche; je perds la rťputation; je perds l'honneur; je perds la perspective d'une grandeur ŗ laquelle les empereurs mÍme auraient peine ŗ s'ťlever; je sacrifie mes projets d'ambition; je dťtruis les plans que j'avais construits aussi haut que les montagnes, par le moyen desquelles les paÔens disent que leur ciel faillit Ítre escaladť... Eh bien, Rťbecca! ajouta-t-il en se jetant ŗ ses pieds, cette grandeur, je la sacrifie; cette renommťe, j'y renonce; ce pouvoir, je ne l'ambitionne plus, mÍme en ce moment oý je suis prŤs de m'en saisir, si tu veux dire: Bois-Guilbert, je t'accepte pour mon amant.Ľ ęLaissons lŗ toutes ces folies, sire chevalier, rťpondit Rťbecca, et h‚tez-vous d'aller trouver le rťgent, le prince Jean; par honneur pour la couronne, on ne peut tolťrer les procťdťs de votre grand-maÓtre. C'est ainsi que vous me ferez jouir de votre protection, sans sacrifice de votre part, et sans prťsent, pour demander une rťcompense de la mienne.Ľ ęJe n'ai point de rapports avec ces personnages, dit Bois-Guilbert tenant le bord de sa robe. C'est ŗ toi seule que je m'adresse; et qu'est-ce qui peut contrarier ton choix? Penses-y bien; fussť-je un dťmon, le trťpas est pire, et c'est le trťpas que j'ai pour rival.Ľ ęJe ne discute point sur la mesure de ces maux,Ľ dit Rťbecca qui craignait de provoquer le chevalier dont elle connaissait le caractŤre, mais qui ťtait ťgalement dťterminťe ŗ ne pas souffrir la passion ni mÍme faire semblant de la souffrir. ęSois homme, sois chrťtien. S'il est vrai que ta croyance vous recommande ŗ tous cette charitť que vous prÍchez plus que vous ne pratiquez, sauve-moi de cette mort affreuse, sans stipuler une rťcompense qui transformerait ta magnanimitť en vil trafic, en pure opťration mercantile.Ľ ęNon, dit le bouillant templier en se relevant, non, jeune fille, tu ne m'en imposeras pas ainsi. Si je renonce ŗ ma renommťe prťsente et ŗ mes vues ambitieuses pour l'avenir, c'est pour toi que j'y renonce, et c'est ensemble que nous devons fuir. …coute-moi, Rťbecca, dit-il en prenant de nouveau un ton de douceur, l'Angleterre, l'Europe, tout cela ne compose pas l'univers. Il y a d'autres sphŤres dans lesquelles on peut se mouvoir, et assez vastes, mÍme pour mon ambition. Nous irons en Palestine. Conrad de Montferrat[13] est mon ami, un vťritable ami, tout aussi exempt que moi de ces vains et sots scrupules qui tiennent la raison captive; plutŰt faire ligue avec Saladin qu'endurer les dťdains des bigots que nous mťprisons. Je me fraierai de nouveaux sentiers pour m'ťlever au faÓte des honneurs, ajouta-t-il en marchant de nouveau ŗ grands pas dans l'appartement. L'Europe entendra le bruit des pas de celui qu'elle a retranchť du nombre de ses enfans. Les millions d'hommes que ces croisťs envoient pour ainsi dire ŗ la boucherie en Palestine, ne peuvent la dťfendre aussi efficacement; les sabres des nombreux milliers de Sarrasins ne sauraient s'ouvrir une route aussi certaine dans cette terre pour la conquÍte de laquelle on voit des nations entiŤres prendre les armes, que la force, la valeur et la discipline de moi et de ceux de nos frŤres qui, en dťpit de ce vieux bigot, s'attacheront ŗ moi, advienne ce qu'il pourra. Tu seras reine, Rťbecca; c'est sur le mont Carmel que nous ťtablirons le trŰne que ma valeur aura conquis, et le b‚ton aprŤs lequel j'ai si long-temps soupirť, je l'ťchangerai contre un sceptre.Ľ Note 13: Le texte porte Montserrat. A. M. ęTout cela, dit Rťbecca, n'est qu'un rÍve, un vain songe, une vision de la nuit; mais, fŻt-ce mÍme une rťalitť, rien de tout cela ne me touche. Il me suffit de te dire que toute cette haute puissance ŗ laquelle tu te proposes de t'ťlever, je ne veux point la partager avec toi. D'ailleurs je ne regarde pas avec assez d'indiffťrence tous les liens qui nous attachent ŗ notre patrie et ŗ notre foi religieuse pour accorder mon estime ŗ celui qui, aprŤs avoir brisť ceux qui devaient le retenir dans le sein d'un ordre dont il fait partie, ne craint point d'y renoncer uniquement dans la vue de satisfaire sa passion dťsordonnťe pour la fille d'un autre peuple. Ne mets point de prix ŗ la libertť que tu veux me procurer, sire chevalier; ne vends point un acte de gťnťrositť; protťge l'opprimťe par esprit de charitť et non pour ton avantage personnel. Va te mettre au pied du trŰne d'Angleterre; Richard ťcoutera mon appel de la sentence de ces hommes cruels.Ľ ęJamais, Rťbecca! dit fiŤrement le templier. Si je dois renoncer ŗ mon ordre, c'est pour toi seule que j'y renoncerai. Si tu rejettes mon amour, l'ambition me restera; il ne faut pas que je perde de tous les cŰtťs. Moi! abaisser mon cimier devant Richard! Solliciter un don de ce coeur altier et orgueilleux! Jamais, Rťbecca; jamais je ne placerai ŗ ses pieds l'ordre du Temple en ma personne. Je puis renoncer ŗ mon ordre; mais le dťgrader, mais l'avilir, non, jamais!Ľ ęQue Dieu, dans sa bontť, daigne me soutenir, dit Rťbecca, car je n'ai guŤre de secours ŗ espťrer de la part des hommes.Ľ--ęC'est la vťritť, dit Bois-Guilbert, car toute fiŤre que tu es, ma fiertť est ťgale ŗ la tienne. Si j'entre dans la lice, la lance en arrÍt, il n'est pas de considťration humaine qui puisse m'empÍcher de faire usage de toute la force de mon bras, et alors pense au sort qui t'attend. Pťrir de la mort des plus grands criminels; Ítre consumťe au milieu des flammes d'un bŻcher; savoir que tes cendres seront dispersťes ŗ travers les ťlťmens dont nos corps sont mystiquement composťs; pas un atome ne restera de cette organisation, toute gracieuse que nous puissions la reprťsenter dans son ťclat de mouvement et de vie, Rťbecca, il n'est pas au pouvoir de la femme de s'arrÍter ŗ une pareille idťe; tu cťderas ŗ mes instances; tu ťcouteras mon amour.Ľ ęBois-Guilbert, rťpondit la juive, tu ne connais pas le coeur de la femme, ou tu n'as jamais conversť qu'avec celles qui avaient perdu leurs plus nobles sentimens. Je te dis, fier templier, que jamais, dans tes batailles les plus sanglantes, tu n'as fait preuve d'un courage comparable ŗ celui qu'a dťployť la femme, quand il ťtait commandť par l'affection ou le devoir. Moi-mÍme, je suis une femme ťlevťe avec tous les soins de la tendresse, naturellement timide dans le danger, et impatiente dans la douleur; et cependant, lorsque nous entrerons l'un et l'autre dans la lice, toi pour combattre, et moi pour souffrir, je sens au dedans de moi l'assurance que mon courage surpassera le tien. Adieu; je n'ai plus de paroles ŗ perdre avec toi. Le peu de temps qui reste ŗ la fille de Jacob ŗ passer sur la terre doit Ítre employť diffťremment. Elle doit chercher le consolateur, qui peut bien dťtourner les yeux de dessus son peuple, mais dont l'oreille est toujours ouverte au cri de celui qui le cherche avec ferveur et vťritť.Ľ ęC'est donc ainsi que nous nous sťparons? dit le templier aprŤs quelques momens de silence; plŻt ŗ Dieu que nous ne nous fussions jamais rencontrťs, ou que tu fusses nťe noble et chrťtienne! Oui, lorsque je te regarde, et que je pense quand et comment nous nous rencontrerons de nouveau, je voudrais pouvoir Ítre membre de ta race dťgradťe, ma main comptant des shekels et transportant des lingots, au lieu de porter la lance et le bouclier, courbant la tÍte devant le dernier des nobles, et ne prenant un air terrible que pour le dťbiteur pauvre et insolvable; voilŗ, Rťbecca, ce que je dťsirerais et ŗ quoi je consentirais, pour passer ma vie avec lui, et pour ťviter la part ťpouvantable que je dois avoir ŗ ta mort.Ľ ęTu as dťpeint le juif, dit Rťbecca, tel que l'a rendu la persťcution de ceux qui te ressemblent. Le ciel dans sa colŤre la chassť de son pays; mais l'industrie lui a ouvert le seul chemin ŗ l'opulence et au pouvoir que l'oppression n'a pu lui fermer. Lis l'histoire du peuple de Dieu, et dis-moi si ceux par qui Jťhovah a opťrť tant de merveilles parmi les nations ťtaient alors un peuple d'avares et d'usuriers. Sache aussi, orgueilleux chevalier, que nous comptons parmi nous des noms auprŤs desquels votre noblesse la plus ancienne n'est que comme la citrouille comparťe au cŤdre; des noms qui remontent ŗ ces temps reculťs oý la divine prťsence faisait trembler le propitiatoire entre les chťrubins, et qui ne tirent leur splendeur d'aucun prince de la terre, mais de la voix cťleste qui ordonna ŗ leurs pŤres de s'approcher le plus de la congrťgation de la vision. Tels furent les princes de la maison de Jacob.Ľ Les joues de Rťbecca se coloraient pendant qu'elle se vantait ainsi de l'ancienne gloire de ses ancÍtres; mais ces couleurs s'ťvanouirent en soupirant: ętels ťtaient les princes d'IsraŽl; mais ŗ prťsent, tels ils ne sont plus; ils sont foulťs aux pieds comme l'herbe fauchťe et mÍlťe ŗ la boue des grands chemins. Cependant il s'en trouve encore parmi eux qui ne dťmentent pas leur antique origine, et tu verras que la fille d'Isaac, fils d'Adonikam, est de ce nombre. Adieu; je n'envie ni tes honneurs achetťs par des flots de sang, ni les barbares ancÍtres venus des landes borťales, ni ta foi, qui est toujours dans ta bouche, et jamais dans ton coeur ou dans tes actions.Ľ ęDe par le ciel, un sort est jetť sur moi, s'ťcria le templier; je suis portť ŗ croire que ce squelette vivant, notre grand-maÓtre, a dit la vťritť, et le regret avec lequel je me sťpare de toi a quelque chose de surnaturel. Crťature enchanteresse! ajouta-t-il en s'approchant plus prŤs d'elle, mais d'un air respectueux; si jeune et si belle, si affranchie des craintes de la mort, et pourtant condamnťe ŗ mourir de la maniŤre la plus cruelle et la plus ignominieuse: qui pourrait ne pas pleurer sur ton sort dťplorable? Les larmes, qui depuis vingt ans ťtaient inconnues ŗ mes yeux, les remplissent aujourd'hui pour toi, et je les sens couler sur mes joues en te considťrant. C'en est donc fait, rien ne peut maintenant te sauver. Toi et moi nous ne sommes que les aveugles instrumens d'une fatalitť irrťsistible qui nous poursuit, comme deux vaisseaux poussťs devant l'orage, luttant l'un contre l'autre pour s'abÓmer ensemble et pťrir dans les flots. Pardonne-moi donc, et sťparons-nous du moins en amis. J'ai vainement essayť d'ťbranler ta rťsolution, et la mienne est ťgalement fixťe comme les arrÍts immuables du destin.Ľ ęC'est ainsi, dit Rťbecca, que les hommes rejettent sur le destin les suites de leurs violentes passions. Mais je vous pardonne, Bois-Guilbert, quoique vous soyez la cause de ma mort si prťmaturťe. Il y a de grandes choses dont votre esprit ťtait capable; mais c'est le jardin du paresseux, et l'ivraie s'y est mise pour ťtouffer la bonne semence.Ľ ęOui, Rťbecca, dit le templier, je suis fier, indomptable; mais c'est ce qui m'a ťlevť au dessus des esprits vulgaires, des bigots et des l‚ches qui m'entourent. Je fus dŤs ma premiŤre jeunesse un enfant de la guerre, audacieux dans mes vues, ferme et invariable dans leur exťcution: tel je serai toujours; impťrieux, inťbranlable et que rien ne pourrait faire dťvier de ma route. L'univers en aura la preuve, mais tu m'as pardonnť, n'est-ce pas, Rťbecca?Ľ--ęAussi librement que jamais victime pardonna ŗ son bourreau.Ľ--ęAdieu donc, dit le templier,Ľ et il quitta l'appartement. Le commandeur Albert de Malvoisin attendait avec impatience dans une chambre contiguŽ le retour de Bois-Guilbert.--ęTu as tardť bien long-temps, lui dit-il; j'ťtais comme ťtendu sur des charbons ardens, par le dťsir que j'ťprouvais de te revoir. Que serait-il arrivť si le grand-maÓtre, ou Conrad son espion, fussent venus ici? j'aurais payť cher ma complaisance. Mais qu'as-tu donc, frŤre? tes pas sont chancelans, ton front est aussi sombre que la nuit[14]. Qu'as-tu donc, Bois-Guilbert?Ľ--ęJe suis, rťpondit le templier, dans le mÍme ťtat qu'un misťrable condamnť ŗ mourir avant une heure. Non, par la sainte hostie, je suis encore plus mal, car il y en a qui dans une situation pareille quittent la vie aussi facilement qu'un vieil habit. Par le ciel, Malvoisin, cette jeune fille m'a dťsarmť et a dťtruit ma rťsolution. Je suis presque rťsolu d'aller trouver le grand-maÓtre, et de lui dťclarer que j'abjure l'ordre ŗ sa barbe, et refuse de jouer le rŰle cruel que sa tyrannie m'a imposť.Ľ Note 14: _Thy brow is as black as night_: image vraiment ossianique remplacťe par cette idťe commune: ęton front paraÓt chargť de noirs soucis,Ľ dans la version de M. Defauconpret. A. M. ęTu es fou, rťpondit Malvoisin, c'est vouloir te ruiner sans pour cela conserver une seule chance de sauver cette juive qui te paraÓt si chŤre. Beaumanoir nommera un autre champion pour soutenir son jugement ŗ ta place, et l'accusťe ne pťrira pas moins que si tu eusses rempli le triste devoir qu'il t'impose.Ľ--ęCela est faux, rťpliqua Bois-Guilbert, je prendrai moi-mÍme les armes pour la dťfendre; et si je le fais, Malvoisin, je pense que tu ne connais pas un seul des chevaliers de notre ordre qui veuille se tenir sur la selle devant la pointe de ma lance.Ľ ęSoit; mais tu oublies que tu n'auras ni le loisir, ni les moyens d'exťcuter ce projet insensť. Va trouver Lucas de Beaumanoir, dis-lui que tu as renoncť ŗ ton voeu d'obťissance, et tu verras combien de temps le vieux despote te laissera libre de ta personne. Tes paroles se seront ŗ peine ťchappťes de tes lŤvres, que tu seras jetť ŗ cent pieds sous terre, dans les cachots de la prťceptorerie, pour subir un jugement comme chevalier fťlon; ou s'il continue ŗ croire que tu es ensorcelť, tu n'auras plus pour lit que de la paille, du pain et de l'eau pour aliment, les tťnŤbres pour clartť, et des chaÓnes pour jouets dans quelque cellule de couvent, isolť, ťtourdi par les exorcismes, et noyť d'eau bťnite pour chasser l'ennemi qui se sera emparť de toi. Il faut te prťsenter dans la lice, ou tu es un homme perdu et dťshonorť.Ľ ęJe fuirai, dit Bois-Guilbert, j'irai dans une contrťe lointaine, oý la folie et le fanatisme n'ont pas encore pťnťtrť; aucune goutte du sang de cette crťature angťlique ne sera rťpandu de mon consentement.Ľ--ęTu ne saurais fuir, lui dit le prťcepteur, ton dťlire a excitť le soupÁon, et l'on ne te permettra point de sortir de la commanderie. Essaie si tu veux; prťsente-toi ŗ la porte et tu verras comment les sentinelles t'y recevront. Tu es surpris et blessť de pareilles prťcautions; mais si tu fuyais tu encourrais le dťshonneur de ta race et ta propre dťgradation, en mÍme temps que tes exploits se trouveraient comme effacťs du souvenir. Songe ŗ cela. En quel lieu iront-ils cacher leurs tÍtes, ces compagnons d'armes qui te sont si dťvouťs, quand Bois-Guilbert, la meilleure lame de l'ordre, sera proclamť renťgat et fťlon devant le peuple assemblť? Quel deuil pour la cour de France, quelle joie pour l'orgueilleux Richard, quand il apprendra que le chevalier qui sut lui tenir tÍte en Palestine, et dont la renommťe ťclipsa la sienne propre, a perdu toute sa gloire et son honneur pour le seul amour d'une juive qu'il n'a pu mÍme sauver par un tel sacrifice!Ľ ęMalvoisin, dit le chevalier, je te remercie; tu as touchť la corde la plus sensible de mon coeur. Quoi qu'il arrive, jamais le titre de fťlon ne sera ajoutť au nom de Bois-Guilbert. PlŻt ŗ Dieu que Richard lui-mÍme ou quelqu'un de ses favoris d'Angleterre, parŻt dans l'arŤne! Mais ils seront absens, aucun ne risquera de rompre une lance pour une fille innocente et persťcutťe.Ľ--ęTant mieux pour toi, si cela est, dit le prťcepteur; si aucun champion ne se prťsente pour la dťfense de cette jeune infortunťe, tu auras ťtť ťtranger au sort fatal de Rťbecca, tout le bl‚me retombera sur le grand-maÓtre qui nťanmoins s'en fera gloire.Ľ ęTu dis vrai, rťpondit Bois-Guilbert; si aucun champion ne paraÓt, je n'aurai rien ŗ me reprocher, et je ne serai que tťmoin du spectacle, montť sur mon palefroi et couvert de mes armes au milieu de la lice; je ne prendrai aucune part ŗ ce qui doit en rťsulter.Ľ--ęPas la moindre, dit Malvoisin, pas plus que la banniŤre de saint-Georges, quand on la porte dans une procession.Ľ--ęEh bien, ma rťsolution est prise. La juive m'a rebutť, mťprisť, accablť de reproches; pourquoi lui sacrifierais-je l'estime que j'ai acquise de mes semblables? Oui, Malvoisin, je viendrai dans l'arŤne.Ľ ņ ces mots il sortit en h‚te de l'appartement, et le prťcepteur le suivit pour le surveiller, et le confirmer dans son dessein; car il portait le plus vif intťrÍt ŗ la rťputation de Bois-Guilbert, espťrant de grands avantages dans le cas oý celui-ci deviendrait quelque jour grand-maÓtre de l'ordre; ce qui lui permettrait alors de monter ŗ un des premiers rangs. Il avait encore un motif bien puissant pour agir de la sorte, vu les promesses que lui avait prodiguťes Conrad de Mont-Fichet, s'il contribuait ŗ la condamnation de l'infortunťe Israťlite. Cependant, quoique, en combattant les sentimens de compassion de son ami, il eŻt sur lui tout l'avantage qu'une disposition vile, astucieuse et ťgoÔste donne sur un homme agitť par des passions violentes et opposťes, il eut besoin d'employer toute sa ruse pour maintenir Bois-Guilbert dans la rťsolution qu'il lui avait fait adopter. Il fut contraint de le surveiller de trŤs prŤs, pour l'empÍcher de reprendre ses projets de fuite, ou pour faire avorter son dessein de revoir le grand-maÓtre, et d'en venir ŗ une rupture ouverte avec son chef suprÍme. Enfin, il dut lui rťpťter frťquemment les mÍmes argumens par lesquels il s'ťtait efforcť de lui prouver qu'en paraissant dans la lice comme champion, en une telle circonstance, lui, Bois-Guilbert, sans h‚ter ni retarder le sort de Rťbecca, suivrait uniquement la voie par laquelle il saurait mettre ŗ couvert en mÍme temps son honneur et sa renommťe. * * * * * CHAPITRE XL. ęSpectres, loin d'ici! voilŗ Richard lui-mÍme.Ľ SHAKSPEARE. _Richard III_. Lorsque le chevalier noir, car il est nťcessaire de reprendre le cours de ses aventures, eut quittť le grand arbre qui avait servi de lieu de rendez-vous au brave Locksley, il se rendit en droite ligne ŗ une maison religieuse du voisinage, peu vaste et peu riche, nommťe le prieurť de Saint-Botolph, oý Ivanhoe blessť avait ťtť conduit aprŤs la prise du ch‚teau, par les soins du fidŤle Gurth et du magnanime Wamba. Il est inutile ŗ prťsent de mentionner ce qui arriva dans l'intervalle, entre Wilfrid et son libťrateur: il suffit de dire qu'aprŤs une longue et sťrieuse confťrence, des messages furent envoyťs par le prieur dans plusieurs directions, et que, le lendemain matin, le chevalier noir se disposa ŗ continuer son voyage, accompagnť de Wamba qui lui servait de guide. ęNous nous retrouverons ŗ Coningsburgh, dit-il ŗ Ivanhoe, puisque c'est lŗ que ton pŤre Cedric doit cťlťbrer les funťrailles de son noble parent. Je voudrais voir vos amis saxons, cher Wilfrid, et me lier avec eux; tu m'y joindras, et je me charge de te rťconcilier avec ton pŤre.Ľ ņ ces mots il reÁut un affectueux adieu d'Ivanhoe, qui lui exprima le plus vif dťsir d'accompagner son libťrateur; mais le chevalier noir n'y voulut pas consentir. ęDemeure ici aujourd'hui, tu auras ŗ peine assez de force pour voyager demain; je ne veux d'autre guide que l'honnÍte Wamba, qui jouera prŤs de moi le rŰle de moine ou celui de fou, selon l'humeur oý je me trouverai.Ľ ęEt moi, dit Wamba, je vous suivrai trŤs volontiers; je dťsire vivement assister au banquet des funťrailles d'Athelstane; car, s'il n'est pas splendide et nombreux, le dťfunt sortira du tombeau pour venir se prendre de querelle avec le cuisinier, son intendant et l'ťchanson: ce serait, vous l'avouerez, un spectacle assez amusant. Toutefois, sire chevalier, je prie votre valeur de m'excuser, et je compte sur elle pour faire ma paix avec Cedric, si mon esprit vient ŗ faillir.Ľ ęEt que pourrait ma faible valeur, mon cher bouffon, si ton esprit venait ŗ ťchouer? apprends-moi cela.Ľ--ęL'esprit, noble chevalier, rťpliqua le bouffon, peut faire beaucoup; c'est un fripon vif et intelligent qui voit le cŰtť faible de son voisin, qui en profite et se tient ŗ l'ťcart si l'orage des passions vient ŗ gronder trop haut; mais le courage est un compagnon vigoureux qui brise tout: il rame ŗ la fois contre vent et marťe, et poursuit son chemin malgrť tous les obstacles. Et moi, bon chevalier, si je prends soin du tempťrament de notre noble maÓtre dans le beau temps, j'espŤre que vous vous en chargerez durant la tempÍte.Ľ ęSire chevalier du cadenas, puisque tel est votre plaisir de vous faire donner ce nom, dit Ivanhoe, je crains que vous n'ayez pris pour guide un fou bien bavard et bien importun; mais il connaÓt tous les sentiers de nos bois aussi bien que le meilleur des gardes qui les frťquentent; et le pauvre diable, comme vous l'avez pu voir, est aussi fidŤle que l'acier qui ne rompt point.Ľ--ęS'il a le don de montrer le chemin, dit le chevalier, je ne serai point f‚chť qu'il le rende agrťable. Adieu, mon cher Wilfrid, je te recommande de ne pas songer ŗ te mettre en voyage avant demain.Ľ Parlant ainsi, il prťsenta sa main ŗ Ivanhoe, qui la pressa contre ses lŤvres; et prenant congť du prieur, il monta ŗ cheval et partit avec son guide Wamba. Ivanhoe les suivit des yeux, jusqu'ŗ ce que les arbres de la foret les eussent dťrobťs ŗ ses regards, et il retourna au couvent. Mais peu d'instans aprŤs Wilfrid demanda ŗ voir le prieur. Le vieillard vint en h‚te, et s'informa avec inquiťtude de l'ťtat des blessures du chevalier. ęJe me trouve mieux, dit ce dernier, que je ne l'espťrais; ma blessure est moins profonde que je ne l'avais cru d'abord, d'aprŤs la faiblesse oý m'avait mis la perte de mon sang: peut-Ítre que le baume employť pour la guťrir a ťtť efficace. Je me sens presque assez fort dťjŗ pour porter une armure, et je suis tellement bien, que mes pensťes me poussent ŗ ne plus rester dans l'oisivetť plus long-temps.Ľ--ęņ Dieu ne plaise, dit le prieur, que le fils de Cedric s'en aille de mon couvent avant que ses blessures ne soient cicatrisťes! Ce serait une honte pour la communautť si je le souffrais.Ľ--ęJe ne songerais point ŗ quitter votre demeure hospitaliŤre, vťnťrable prieur, si je ne me sentais point capable de supporter la fatigue du voyage, et si je n'ťtais pas forcť de l'entreprendre.Ľ--ęEt qui donc peut vous obliger ŗ un si prompt dťpart?Ľ dit le prieur.--ęN'avez-vous donc jamais, mon digne pŤre, lui rťpondit le chevalier, ressenti de f‚cheux pronostics auxquels il vous ťtait impossible d'assigner aucune cause? N'avez-vous jamais trouvť votre esprit tout obscurci par des nuages, comme les paysages fantastiques qui apparaissent tout ŗ coup dans les airs sous les feux du soleil, et qui annoncent la tempÍte? Croyez-vous que de semblables pressentimens soient indignes de notre attention, et ne soient pas comme des inspirations de nos anges gardiens, qui nous avertissent de quelques dangers imprťvus?Ľ ęJe ne saurais nier, dit le prieur en faisant un signe de croix, que le ciel n'ait ce pouvoir, et que de pareilles choses n'aient existť; mais alors de telles inspirations avaient un but visible et utile. Mais toi, blessť comme tu l'es, ŗ quoi te servirait de suivre les pas de celui que tu ne peux aider, s'il ťtait attaquť?Ľ--ęPrieur, dit Ivanhoe, vous vous trompez. Je me sens assez fort pour ťchanger un coup de lance contre quiconque voudrait me dťfier. Mais ne peut-il courir aucun autre pťril oý je pourrais le secourir autrement que par les armes? Il n'est que trop vrai que les Saxons n'aiment point la race normande. Et qui sait ce qui peut arriver s'il se prťsente au milieu d'eux, dans un moment oý leurs coeurs sont irritťs de la mort d'Athelstane, et oý leurs tÍtes seront ťchauffťes par les orgies du banquet funťraire? Je regarde cette apparition parmi eux comme trŤs pťrilleuse, et je suis rťsolu de partager ou de prťvenir le danger auquel il s'expose. Je te prie donc de me laisser partir sur un palefroi dont le pas soit plus doux que celui de mon destrier.Ľ ęAssurťment, dit le vťnťrable ecclťsiastique, vous aurez ma propre haquenťe; elle est accoutumťe ŗ l'amble, et son allure est aussi favorable au voyageur que la jument de l'abbť de Saint-Alban. Vous ne pourriez trouver une monture plus commode que Malkin, nom sous lequel je dťsigne ma bÍte, quand mÍme vous prendriez le poulain du jongleur qui danse ŗ travers les oeufs sans en briser aucun. Je la dois au prieur de Saint-Bees, et je vous promets que c'est un animal rempli d'intelligence, et qui ne souffrirait pas un fardeau incommode. J'empruntai un jour le _Fructus temporum_ de l'abbť de Saint-Bees, et, je vous l'assure, elle ne voulut point franchir la porte du couvent que je n'eusse ťchangť l'ťnorme in-folio contre mon brťviaire.Ľ--ęFiez-vous ŗ moi, mon pŤre, dit Ivanhoe, je ne l'accablerai point d'un trop lourd fardeau, et si Malkin me provoque au combat, je vous certifie que j'en saurai triompher.Ľ Gurth arriva dans ce moment, et attacha aux talons du chevalier une paire de grands ťperons dorťs propres ŗ convaincre le cheval le plus rťtif que le meilleur parti ŗ prendre est de se conformer aux volontťs du cavalier. Cette vue inspira des craintes au prieur pour sa chŤre monture, et il commenÁa ŗ se repentir intťrieurement de sa courtoisie. ęJ'ai oubliť, dit-il, de vous prťvenir, sire chevalier, que ma mule se cabre au premier coup d'ťperon. Il vaudrait mieux que vous prissiez dans la grange la mule de notre pourvoyeur. Je puis l'envoyer chercher, et elle sera prÍte en moins d'une heure. Elle ne saurait Ítre que fort douce, ayant fait rťcemment toute notre provision de bois pour l'hiver, et ne recevant jamais un grain d'avoine.Ľ--ęJe vous remercie, rťvťrend pŤre, mais je m'en tiendrai ŗ votre premiŤre offre, puisque dťjŗ votre Malkin est sortie et a franchi la porte principale. Gurth portera mon armure, et pour le reste, soyez bien sŻr que le dos de Malkin ne sera point chargť, et qu'elle n'aura aucune raison ŗ allťguer pour lasser ma patience. Maintenant recevez mes adieux.Ľ Ivanhoe descendit l'escalier plus vite et plus aisťment que sa blessure ne l'eŻt fait espťrer, et il sauta lestement sur la mule, joyeux d'ťchapper ŗ l'importunitť du prieur qui le suivait aussi vite que son ‚ge et son embonpoint le permettaient, tantŰt chantant la louange de Malkin, tantŰt recommandant au chevalier de ne la point trop fatiguer. ęElle est dans l'‚ge le plus dangereux pour les jumens comme pour les filles, dit le prieur en riant lui-mÍme du bon mot; elle est dans sa quinziŤme annťe.Ľ Ivanhoe qui songeait ŗ toute autre chose qu'aux importans avis et aux facťties du prieur, et qui ne voulait pas entendre davantage ces rťflexions bizarres sur la mule, le poids qu'elle devait porter et le pas qu'elle devait tenir, donna sur-le-champ ŗ Malkin le signal du dťpart, au moyen d'un coup d'ťperon au flanc, et il prescrivit ŗ Gurth de le suivre. Pendant qu'ŗ travers la foret il suivait le chemin de Coningsburgh, en allant ŗ la trace du chevalier noir, le prieur se tenant ŗ la porte du couvent l'accompagnait des yeux, et criait: ęSainte Marie! comme ils sont vifs et impťtueux ces hommes de guerre! je voudrais bien ne lui avoir pas confiť Malkin; car, perclus comme je le suis, par un rhumatisme, que deviendrai-je s'il lui arrive malheur? Et, cependant, ajouta-t-il aprŤs une seconde rťflexion, comme je n'ťpargnerais pas mes vieux membres ni mon sang pour la bonne cause de la vieille Angleterre, Malkin doit aussi courir le mÍme hasard, et il peut arriver qu'ils jugent notre pauvre couvent digne de quelque magnifique donation; du moins qu'ils envoient au vieux prieur un jeune cheval habituť au pas. S'ils ne font rien de tout cela, car les grands oublient souvent les services des petits, je me trouverai suffisamment rťcompensť, en songeant que j'ai rempli mon devoir. Mais il est temps de faire sonner la cloche pour appeler les frŤres au dťjeuner du rťfectoire; c'est un appel auquel ils obťissent plus volontiers qu'ŗ celui des matines[15].Ľ Note 15: Ceci rappelle les vers du _Lutrin_ de Boileau: ęCes chanoines vermeils et brillans de santť S'engraissaient d'une longue et sainte oisivetť; Sans sortir de leurs lits, plus doux que leurs hermines, Ces pieux fainťans faisaient chanter matines, Veillaient ŗ bien dÓner, et laissaient en leur lieu ņ des chantres gagťs le soin de louer Dieu.Ľ Ch. Ier. Walter Scott a la tÍte pleine des ouvrages de nos meilleurs ťcrivains; mais il ne les cite point: il croit peut-Ítre que sa nationalitť en souffrirait. ņ ces mots le prieur revint en clopinant[16] vers le rťfectoire, afin de prťsider ŗ la distribution du stockfish et de l'ale qu'on venait de servir pour le repas des frŤres. Haletant et grave, il s'assit ŗ table, et laissa ťchapper quelques mots des avantages que le couvent pouvait espťrer et des services que lui-mÍme venait de rendre, lesquels, dans une autre circonstance, eussent attirť l'attention gťnťrale. Mais le stockfish ťtait fort salť, l'ale assez bonne, et les m‚choires des frŤres commensaux trop occupťes pour qu'ils pussent laisser quelque usage ŗ leurs oreilles; de sorte que nul des anachorŤtes ne fut tentť de rťflťchir sur les discours mystťrieux de leur supťrieur, exceptť le frŤre Diggory[17], qui ťtait affligť d'un atroce mal de dents et ne pouvait m‚cher que d'un cotť de la bouche. Note 16: _Hobbled back_, clopine pour le retour, expression que M. Defauconpret a rendue par ęil reprit ŗ pas lents le chemin,Ľ ce qui n'est pas, je crois, reproduire un des traits les plus caractťristiques de l'abbť. A. M. Note 17: _Digged_, creusť; _gory_, plein de mauvais sang; comme qui dirait, le frŤre de _triste figure_. A. M. Pendant ce temps, le chevalier noir et son guide parcouraient tranquillement l'obscuritť de la forÍt. TantŰt le bon chevalier fredonnait ŗ demi-voix des chansons qu'il avait retenues de quelque troubadour amoureux, tantŰt il encourageait par ses questions le penchant naturel de Wamba au babil, de maniŤre que leur conversation ťtait un mťlange assez bizarre de chants et de quolibets. Nous essaierons d'en offrir une idťe au lecteur. Il faut vous reprťsenter ce chevalier comme nous l'avons dťjŗ dťpeint: haut de taille, vigoureusement constituť, ayant de larges ťpaules, et montť sur un cheval noir qui semblait avoir ťtť choisi tout exprŤs pour le fardeau qu'il devait supporter; le cavalier avait levť la visiŤre de son casque pour respirer plus librement, mais la mentonniŤre en ťtait fermťe, de faÁon qu'il eŻt ťtť difficile de distinguer ses traits. On voyait pourtant des joues pleines et vermeilles, quoique brunies par le soleil de l'orient, et de grands yeux bleus qui ťtincelaient sous l'ombre formťe par sa visiŤre levťe; du reste, toute la physionomie et la contenance du chevalier annonÁaient une gaietť insouciante, une confiance affranchie de toute crainte, un esprit aussi peu fait ŗ prťvoir le danger que prompt ŗ le dťfier quand il se prťsentait, et qu'il attendait sans ťtonnement, la principale de ses pensťes ou de ses occupations ayant ťtť la guerre et les aventures pťrilleuses. Le bouffon portait ses vÍtemens ordinaires; mais les derniers ťvťnemens dont il avait ťtť tťmoin l'avaient dťterminť ŗ substituer ŗ son sabre de bois une espŤce de couteau de chasse bien affilť, et un petit bouclier, objets dont il s'ťtait assez bien servi, malgrť sa profession, dans la tour de Torquilstone, le jour de la ruine de ce ch‚teau. Il est vrai que l'infirmitť du cerveau de Wamba ne consistait guŤre qu'en une sorte d'impatience irritable qui ne lui permettait ni de rester long-temps dans la mÍme posture, ni de suivre un certain cours d'idťes, quoiqu'il sŻt s'acquitter ŗ merveille de ce qui n'exigeait qu'une attention de quelques minutes, et qu'il saisÓt parfaitement tout ce qui fixait un moment son intelligence. Dans la circonstance actuelle il changeait perpťtuellement de situation sur son cheval; tantŰt sur le cou, tantŰt sur la croupe de l'animal; d'autres fois les deux jambes pendantes du mÍme cŰtť, ou la face tournťe vers la queue; enfin remuant sans cesse, et tourmentant de mille faÁons la pauvre bÍte, qui finit par se cabrer et le jeter sur le gazon, accident qui n'eut d'autre suite que d'ťveiller le rire du chevalier et de forcer son guide ŗ demeurer plus tranquille. Au point de leur voyage oý nous revenons ŗ eux, ils ťtaient occupťs ŗ chanter un virelai, oý le bouffon mÍlait un refrain moitiť rauque moitiť doux au savoir plus grand du chevalier de Fetterlock ou du cadenas[18]. Voici quel ťtait ce virelai; LE CHEVALIER. LŤve-toi, douce Anna-Marie, Dťjŗ revient l'astre du jour; Il revient dorer la prairie, Et le brouillard fuit ŗ son tour. Les oiseaux dans l'ťpais bocage Ont repris leur joyeux ramage; Debout, l'aurore est de retour. Du chasseur absent de sa couche Le cor sonne aux bois d'alentour, D'oý le cerf effrayť dťbouche; Et l'ťcho charmť du dťsert Redit ce sauvage concert. LŤve-toi donc, Anna-Marie, Sors de ta chaste rÍverie, Et viens de ta maison chťrie Fol‚trer sur le gazon vert. WAMBA. Quel bruit rťsonne ŗ mon oreille? ‘ Tybalt, ne m'ťveille pas; Sur le duvet quand je sommeille, Qu'un doux songe a pour moi d'appas! Que sont, prŤs d'un rÍve paisible, Les plaisirs du monde ťveillť? ‘ Tybalt, j'y suis peu sensible, Mon coeur en est peu chatouillť. Devant le brouillard qui s'enlŤve, Que l'oiseau rťpŤte ses chants; Que du cor, au milieu des champs, Le bruit aigu monte et s'achŤve: Des sons plus doux et plus touchans Me flattent pendant que je rÍve; Mais ne crois pas qu'en ces momens Ton amour occupe mon rÍve. ęDťlicieuse chanson, dit Wamba quand ils l'eurent finie, et belle morale, je le jure par ma marotte. Il me souvient que je la chantais un jour ŗ mon camarade Gurth qui, par la gr‚ce de Dieu et de son maÓtre, n'est pas moins aujourd'hui qu'un homme libre; et nous reÁŻmes tous deux la bastonnade pour Ítre demeurťs au lit jusqu'ŗ deux heures aprŤs le soleil levť, pour rťpťter notre romance; rien qu'en songeant ŗ l'air il me semble que le terrible jonc secoue mes ťpaules et m'arrache des cris. Cependant, pour vous obliger, noble chevalier, je n'ai point balancť ŗ chanter la partie d'Anna-Marie.Ľ Le bouffon passa ensuite ŗ une autre chanson comique, dans laquelle le chevalier, saisissant le ton, l'accompagna comme on va le voir: LA VEUVE DE WYCOMBE. LE CHEVALIER ET WAMBA. Trois preux galans de l'est, du nord et du couchant, (Mes amis, chantons ŗ la ronde), Ensemble courtisaient certaine veuve blonde: De qui la veuve a-t-elle ťcoutť le penchant? Le premier qui parla, venu de Tynedale[19], Se prťtendait issu d'aÔeux de grand renom; Devant cette origine, ingťnieux dťdale, La veuve dira-t-elle non? Son pŤre ťtait un laird[20], son oncle ťtait un squire[21]; Son orgueil ťgalait celui d'Agamemnon. Elle lui dit: Ailleurs va conter ton martyre; ņ tes voeux ma rťponse est non. WAMBA. Celui du Nord jura sur son ame et sa race Qu'il ťtait gentilhomme et valeureux Gallois. Elle lui dit: Grand bien vous fasse! Je ne vivrai pas sous vos lois. Il s'appelait David, Ap Tudor, Morgan, Rhice. C'est trop de noms, lui dit-elle en riant; Une veuve auprŤs d'eux aurait trop de service; Offrez ailleurs votre soupir brŻlant. Mais du comtť de Kent, un beau fermier arrive, Chantant sa joyeuse chanson: La veuve ŗ son aspect cesse d'Ítre rťtive; Il est riche et gaillard; elle ne dit plus non. ENSEMBLE. L'…cossais, le Gallois, rebutťs de la belle, Vont chercher un autre tendron; Car au fermier de Kent, ŗ sa rente annuelle, Aucune veuve n'a dit non. ęJe voudrais, Wamba, dit le chevalier, que notre hŰte du grand chÍne, ou le joyeux moine son chapelain, entendissent cette chanson ŗ la louange de notre yeoman fermier.Ľ--ęPour moi, je ne m'en soucierais pas, dit le bouffon, si je ne voyais le cor suspendu ŗ votre baudrier.Ľ--ęOui, dit le chevalier, c'est un gage de l'amitiť de Locksley, quoique je n'en aie apparemment nul besoin. Trois mots sur ce cor, et je suis sŻr de voir accourir ŗ notre aide une bande de braves archers.Ľ Note 18: _Fetter_, fers; _lock_, chaÓne ou tresse; comme qui dirait le chevalier de la _chaÓne de fer_. C'est ici le _cadenas_, et nous l'avons dťjŗ employť, dans ce sens, plusieurs fois. A. M. Note 19: Pays sur la limite de l'Angleterre et de l'…cosse. Note 20: Gentilhomme ťcossais. Note 21: Gentilhomme anglais. A. M. ęJe dirais, ŗ Dieu ne plaise que nous n'ayons leur visite, reprit Wamba, si ce beau prťsent n'ťtait point lŗ pour empÍcher qu'ils n'exigeassent de nous un droit de passe.Ľ--ęQue veux-tu dire par lŗ? Penses-tu que sans ce gage d'amitiť ils oseraient nous attaquer?Ľ--ęJe ne dis rien, car ces arbres ont des oreilles comme les murailles. Mais rťpondez ŗ votre tour, sire chevalier: quand vaut-il mieux avoir sa cruche et sa bourse pleines que vides?Ľ--ęMa foi, jamais, je pense, dit le chevalier.Ľ--ęVous ne mťritez d'avoir pleine ni l'une ni l'autre pour m'avoir fait une semblable rťponse. Il vaut mieux vider sa cruche avant de la passer ŗ un Saxon, et laisser l'argent ŗ la maison avant de s'aventurer dans un bois.Ľ ęVous prenez donc nos amis pour des voleurs,Ľ dit le chevalier du cadenas.--ęJe n'ai point dit cela, beau chevalier, reprit Wamba; mais un voyageur peut soulager son cheval en le dťchargeant d'un fardeau inutile, et un homme soulager son semblable en lui Űtant ce qui est la source de tout mal. Je ne veux donc pas injurier ceux qui rendent de tels services; seulement je voudrais avoir laissť ma malle et ma bourse chez moi, si je rencontrais ces braves gens dans ma route, afin de leur ťviter la peine de m'en dťbarrasser.Ľ ęNous devons prier pour eux, mon ami, nonobstant l'idťe flatteuse que tu en donnes.Ľ--ęJe prierai pour eux de tout mon coeur, mais ŗ la maison et non dans la forÍt, comme l'abbť de Saint-Bees, qu'ils contraignirent ŗ dire la messe dans le creux d'un arbre qui lui servit de stalle.Ľ--ęQuoi que tu puisses en penser, Wamba, ces yeomen ont rendu de grands services ŗ Cedric au ch‚teau de Torquilstone.Ľ--ęJ'en conviens, mais c'ťtait en guise de trafic avec le ciel.Ľ ęDe trafic avec ciel! Que veux-tu dire par lŗ?Ľ--ęRien de plus simple: ils font avec le ciel une balance de compte, suivant que notre vieil intendant le pratiquait dans ses ťcritures, suivant que l'ťtablit le juif Isaac avec ses dťbiteurs: comme ce dernier, ils donnent peu et prennent beaucoup; calculant sans doute en leur faveur, ŗ titre d'usure, sept fois la somme que la sainte Bible a promise sur les emprunts charitables.Ľ ęDonne-moi un exemple de ce que tu entends; je ne sais rien des chiffres ou rŤgles d'intťrÍt en usage.Ľ--ęPuisque votre valeur a l'intelligence si bouchťe, je vous dirai que ces gens balancent une bonne action avec une qui n'est pas aussi louable; par exemple, ils donnent une demi-couronne ŗ un frŤre mendiant, sur cent besans d'or pris ŗ un gros abbť; ou ils caressent une jolie fille dans un bois, en respectant une veuve ridťe.Ľ--ęLaquelle de ces actions est la bonne, et quelle est celle qui ne l'est pas?Ľ demanda le chevalier. ęBonne plaisanterie! bonne plaisanterie! dit Wamba; la compagnie des gens d'esprit aiguise l'intelligence. Je vous assure que vous n'avez rien dit d'aussi bien, sire chevalier, lorsque vous chantiez matines avec le saint ermite; mais, pour suivre mon raisonnement, vos braves gens de la foret b‚tissent une chaumiŤre en brŻlant un ch‚teau; ils dťcorent une chapelle et pillent une ťglise; ils dťlivrent un pauvre prisonnier et mettent ŗ mort un shťriff[22]; ils secourent un franklin saxon, et jettent dans les flammes un baron normand. Ce sont enfin de gentils voleurs, d'honnÍtes brigands; mais il vaut toujours mieux les rencontrer quand leur balance n'est pas de niveau.Ľ Note 22: Sorte de prťfet ou chef de comtť en Angleterre. A. M. ęEt pourquoi cela? dit le chevalier; parce qu'alors ils ťprouvent de la contrition et t‚chent de rťtablir l'ťquilibre, vu que cette balance ne penche jamais du bon cotť; mais quand elle est de niveau, malheur ŗ ceux qu'ils rencontrent. Les premiers voyageurs qu'ils trouveront aprŤs leur bonne action ŗ Torquilstone, seront ťcorchťs tout vifs. Et cependant, ajouta le bouffon en se rapprochant du chevalier, il y a dans les bois des compagnons encore plus dangereux que les outlaws.Ľ ęEt que peuvent-ils Ítre? je crois, dit le chevalier, qu'il ne s'y trouve ni loups, ni ours.Ľ--ęLes hommes d'armes de Malvoisin, rťpondit Wamba; sachez que dans un moment de trouble, une demi-douzaine de ces hommes est plus dangereuse qu'une bande de loups enragťs. ņ l'heure qu'il est, ils attendent leur proie, et ils ont recrutť les soldats ťchappťs de Torquilstone; et si nous en rencontrions une bande, elle nous ferait payer un peu cher nos exploits. Maintenant, sire chevalier, permettez-moi de vous demander ce que vous feriez si deux de ces gens fondaient sur nous.Ľ--ęJe les clouerais contre terre avec ma lance s'ils osaient s'opposer ŗ notre passage.Ľ--ęMais s'ils ťtaient quatre?Ľ--ęJe les ferais boire ŗ la mÍme coupe.Ľ--ęS'ils ťtaient six, pendant que nous ne sommes que deux, ne vous rappelleriez-vous pas alors le prťsent de Locksley?Ľ--ęQuoi! je demanderais du secours contre une pareille canaille[23], qu'un vrai chevalier chasse devant lui, comme le vent chasse les feuilles dessťchťes!Ľ--ęAlors, je vous prierai, sire chevalier, de vouloir bien me permettre d'examiner de plus prŤs le cor dont le son a un pouvoir si merveilleux.Ľ Note 23: Le texte porte _rascaille_, mot imitť du franÁais _canaille_, et qui vient de _rascal_, faquin. A. M. Le chevalier, pour satisfaire ŗ la curiositť du Bouffon, dťtacha le cor de son baudrier et le remit ŗ Wamba, qui aussitŰt le pendit ŗ son cou: _tra-lira-la_, dit-il en chuchotant les notes convenues. ęJe connais ma gamme aussi bien qu'un autre.Ľ--ęQue veux-tu dire, faquin? rends-moi ce cor.Ľ--ęContentez-vous, sire chevalier, de savoir que j'en aurai soin. Quand la valeur et la folie voyagent ensemble, la folie doit porter le cor, parce que c'est elle qui souffle le mieux.Ľ--ęWamba, ceci passe les limites du respect, dit le chevalier noir, prends garde de mettre ma patience ŗ bout.Ľ--ęPoint de violence, sire chevalier, dit Wamba en s'ťcartant ŗ une certaine distance du champion impatientť, ou la folie vous montrera qu'elle a une bonne paire de jambes, et laissera la valeur chercher toute seule sa route ŗ travers la forÍt.Ľ ęTu m'as vaincu, Wamba, reprit le chevalier; tu as fait vibrer une corde sensible; d'ailleurs, je n'ai pas le temps de me quereller avec toi: garde le cor, et poursuivons notre chemin.Ľ--ęVous me promettez de ne point me maltraiter, sire chevalier, dit Wamba.Ľ--ęJe te le promets, faquin.Ľ--ęFoi de chevalier! continua Wamba en se rapprochant avec prťcaution.Ľ--ęFoi de chevalier! mais h‚tons-nous.Ľ--ęAinsi donc, voilŗ la valeur et la folie rťconciliťes encore une fois, dit le bouffon en se replaÁant sans crainte auprŤs du chevalier noir; je n'eusse pas aimť un coup de poing comme celui que vous appliqu‚tes au moine, quand sa piťtť roula comme une quille sur le sol; et maintenant que la folie porte le cor, il est temps que la valeur se lŤve et secoue sa criniŤre; car si je ne me trompe, je vois lŗ-bas de la compagnie qui nous attend.Ľ ęQu'est-ce qui te fait juger ainsi? dit le chevalier. Je viens de voir ťtinceler ŗ travers le feuillage quelque chose qui ressemble ŗ un morion. Si c'ťtaient d'honnÍtes gens ils suivraient le sentier; mais cette broussaille est une chapelle choisie par les clercs de Saint-Nicolas.Ľ--ęPar ma foi, dit le chevalier en baissant sa visiŤre, je crois que tu as raison.Ľ Il la baissa bien ŗ point; car ŗ l'instant trois flŤches lui arrivŤrent au front, et l'une d'elles lui fŻt entrťe dans la cervelle si le casque ne l'eŻt garantie; les deux autres furent parťes par le bouclier qui pendait ŗ son cou.Ľ ęGrand merci, ma bonne armure. Wamba, il faut montrer de la vigueur,Ľ dit le chevalier; et il se prťcipita vers le taillis. Il y fut entourť par sept individus qui se firent contre sa fougue un rempart de leurs lances. Trois de ces armes le touchŤrent et se brisŤrent comme si elles eussent rencontrť une tour d'airain. Les yeux du chevalier noir semblaient lancer le feu ŗ travers les ouvertures de sa visiŤre. Il se leva sur ses ťtriers, et, avec une dignitť singuliŤrement imposante, il s'ťcria: ęQue signifie ceci, mes maÓtres?Ľ Les assaillans ne lui rťpondirent qu'en tirant leurs ťpťes et en l'attaquant de toutes parts avec ce cri: ęMort au tyran!Ľ--ęAh! saint …douard! saint Georges! dit le chevalier noir en abattant un homme ŗ chaque invocation, il y a donc ici des traÓtres?Ľ Les agresseurs, quelque dťterminťs qu'ils fussent, se tenaient hors de la portťe d'un bras qui ŗ chaque coup donnait la mort; et il ťtait ŗ prťsumer que sa seule valeur allait mettre en fuite tous ceux qui l'assaillaient, quand un chevalier couvert d'armes bleues, qui jusqu'alors s'ťtait tenu en arriŤre, fondit sur le noir fainťant; mais, au lieu de le frapper de sa lance, il la poussa contre le cheval que celui-ci montait, et qui tomba blessť ŗ mort. ęC'est le trait d'un l‚che et d'un fťlon!Ľ s'ťcria le chevalier noir en tombant avec son coursier. En ce moment, le bouffon prit son cor dont le bruit soudain fit retirer un peu les assassins, et Wamba, quoique mal armť, ne balanÁa point ŗ voler au secours du chevalier noir. ęL‚ches! s'ťcria celui-ci, n'avez-vous pas honte de reculer au seul bruit d'un cor?Ľ Animťs par cette apostrophe, ils attaquŤrent de nouveau le noir fainťant, qui n'eut d'autre ressource que de s'adosser contre un chÍne et de se dťfendre l'ťpťe ŗ la main. Le chevalier fťlon, qui avait pris une autre lance, ťpiant le moment oý son redoutable antagoniste ťtait serrť de plus prŤs, galopa vers lui dans l'espoir de le clouer avec sa lance contre l'arbre, lorsque Wamba fit encore ťchouer ce projet. Le bouffon, supplťant ŗ la force par l'agilitť, et ťtant dťdaignť par les hommes d'armes, occupťs d'un objet plus important, voltigeait ŗ quelque distance du combat, et il arrÍta l'ťlan du chevalier bleu, en coupant les jarrets de son cheval d'un revers de son couteau de chasse. Le cheval et le cavalier mordirent aussitŰt la poussiŤre; mais la situation du chevalier du cadenas n'en ťtait pas moins pťrilleuse, car il ťtait assailli par plusieurs hommes complťtement armťs, et il commenÁait ŗ s'ťpuiser par la violence de ses efforts rťitťrťs sur tous les points, quand une flŤche inconnue et soudaine ťtendit par terre celui des combattans qui le harcelait le plus; et presque au mÍme instant une bande d'archers ayant ŗ leur tÍte Locksley et le moine, sortirent du taillis et se ruŤrent sur les marauds qu'ils tuŤrent ou blessŤrent tous dangereusement. Le chevalier noir remercia ses libťrateurs avec une dignitť qu'ils n'avaient pas remarquťe jusqu'alors; car on le prenait plutŰt pour un soldat courageux que pour un personnage de haut rang. ęAvant de vous tťmoigner ma reconnaissance, mes braves amis, leur dit-il, il importe que je sache quels sont ces ennemis que je n'avais point provoquťs.Ľ Wamba leva la visiŤre du chevalier bleu qui paraÓt Ítre le chef de ces bandits. AussitŰt le bouffon courut au chef des assassins, qui, froissť par sa chute et embarrassť sous son coursier blessť, ne pouvait ni fuir ni opposer aucune rťsistance. ęVenez, vaillant chevalier, lui dit Wamba, il faut que je sois votre armurier aprŤs avoir ťtť votre ťcuyer. Je vous ai dťmontť, et je vais maintenant vous dťlivrer de votre casque.Ľ En parlant ainsi, et sans cťrťmonie, il dťnoua les cordons du casque qui, roulant sur le sol, montra au chevalier noir des traits qu'il ťtait loin de prťsumer. ęWaldemar Fitzurse! dit-il frappť de surprise; et quel motif a pu pousser un homme de ton rang et de ta naissance ŗ une expťdition aussi inf‚me?Ľ ęRichard, lui rťpondit le chevalier captif en le regardant avec fiertť, tu connais peu le coeur humain, si tu ne sais pas ŗ quoi l'ambition et la vengeance peuvent entraÓner un fils d'Adam.Ľ--ęLa vengeance! dit le chevalier noir; je ne t'ai jamais fait aucun mal; tu n'as rien ŗ venger sur moi.Ľ--ęMa fille, Richard, dont tu as dťdaignť l'alliance, n'ťtait-ce pas une injure que ne peut pardonner un Normand, dont le sang est aussi noble que le tien?Ľ--ęTa fille! reprit le chevalier noir, et telle est la cause de ton inimitiť et qui te portait ŗ vouloir me tuer!... Mes amis, ťloignez-vous un peu, j'ai besoin de lui parler seul... Maintenant que personne ne nous entend, Waldemar, dis-moi la vťritť: qui t'a portť ŗ cet acte de scťlťratesse?Ľ--ęLe fils de ton pŤre, rťpondit Waldemar, et en agissant ainsi, il vengeait ŗ son tour ta dťsobťissance envers ton pŤre.Ľ Les yeux de Richard, ťtincelŤrent d'indignation, mais il reprit bien vite son sang-froid ordinaire. La main sur le front, il resta un moment ŗ regarder Fitzurse dans les traits duquel ťclataient l'orgueil et la honte ŗ la fois. ęTu ne me demandes point gr‚ce, Waldemar, dit le roi.Ľ--ęCelui qui est sous les griffes du lion n'ignore pas, dit Fitzurse, qu'il ne peut en attendre.Ľ--ęReÁois-la donc sans l'avoir demandťe, rťpond Richard; le lion ne se repaÓt point de cadavres. Garde ta vie, mais ŗ la condition que dans trois jours tu quitteras l'Angleterre, et tu iras cacher ton infamie dans ton ch‚teau normand, et que tu ne citeras jamais le nom de Jean d'Anjou comme ayant quelque chose de commun avec ta fťlonie. Si tu foules encore le sol anglais aprŤs le temps que je t'ai accordť, attends-toi ŗ mourir, ou si tu souffles un mot qui puisse porter atteinte ŗ l'honneur de ma maison, de par saint Georges l'autel mÍme ne te servirait pas de refuge; je te ferai pendre aux crťneaux de ton propre ch‚teau pour servir de p‚ture aux corbeaux. Qu'on donne un cheval ŗ Locksley, car je vois que vos archers se sont emparťs de ceux qui ťtaient libres, et qu'il parte sain et sauf.Ľ--ęSi je ne jugeais que la voix de celui qui me parle de droit ŗ son obťissance, rťpondit Locksley, je lancerais ŗ ce scťlťrat une flŤche qui lui ťpargnerait la fatigue d'un plus long voyage. ęTu portes un coeur anglais, Locksley, dit le chevalier noir, et tu as bien pensť en jugeant que j'avais droit ŗ ton obťissance. Je suis Richard, roi d'Angleterre.Ľ ņ ces mots prononcťs avec le ton de majestť convenable au rang ťlevť et au caractŤre noble de Coeur-de-Lion, tous les archers mirent le genou en terre devant lui. Ils lui prÍtŤrent serment et implorŤrent le pardon de leurs offenses. ęRelevez-vous, mes amis, dit Richard d'un ton gracieux et les regardant d'un oeil dans lequel l'expression de sa bontť naturelle avait dťjŗ fait place ŗ celle du ressentiment, tandis que ses traits ne conservaient aucune trace de la lutte terrible, sinon que son teint ťtait encore animť; relevez-vous, dit-il, mes amis; les fautes que vous avez pu commettre, soit dans les forÍts, soit dans la plaine, sont effacťes par les services importans que vous avez rendus ŗ mes sujets opprimťs devant les murs de Torquilstone, et le secours que vous venez de donner ŗ votre monarque. Relevez-vous et soyez toujours des sujets fidŤles. Et toi, brave Locksley...Ľ--ęNe m'appelez plus Locksley, mon roi, connaissez-moi sous mon vťritable nom. Dťplorable sort! la renommťe en est sans doute venue jusqu'ŗ vous. Je suis Robin-Hood de la forÍt de Sherwood.Ľ ęLe roi des proscrits et le prince des bons enfans! dit le roi: et qui n'a pas entendu citer un nom qui a retenti jusque dans la Palestine! Va, je te promets, brave proscrit, que je ne me souviendrai contre toi d'aucun fait commis en mon absence pendant les temps orageux qui y ont donnť sujet.Ľ ęLe proverbe dit vrai,Ľ rťpondit Wamba avec un peu moins de gaietť que de coutume: ęQuand les chats n'y sont pas, Les souris sont en danse.Ľ ęHť quoi! Wamba, te voilŗ, dit Richard, il y avait si long-temps que je n'avais entendu ta voix, que j'ai cru que tu avais pris la fuite.Ľ ęMoi prendre la fuite! dit Wamba; et depuis quand la folie se sťparerait-elle de la valeur; voilŗ le trophťe de mon sabre. Le bon cheval gris que je voudrais bien revoir sur ses jambes, ŗ condition que son maÓtre resterait couchť en sa place. Il est vrai que j'ai d'abord un peu l‚chť pied; car une jaquette n'est pas ŗ l'ťpreuve des coups de lance comme une bonne armure d'acier; mais si je n'ai point combattu ŗ la pointe de l'ťpťe, convenez que j'ai bien sonnť la charge.Ľ ęEt fort ŗ propos, honnÍte Wamba, dit le roi. Ce bon service ne sera pas oubliť.Ľ ę_Confiteor, confiteor_, s'ťcria d'un ton soumis une voix ŗ cŰtť du roi; je suis au bout de mon latin pour le moment; mais j'avoue ma haute trahison, et je demande l'absolution avant qu'on ne me mŤne ŗ mort.Ľ Richard se retourna et aperÁut le joyeux frŤre ŗ genoux rťpťtant son rosaire, tandis que son gourdin, qui n'avait pas ťtť oisif pendant le combat, ťtait restť sur le gazon ŗ cŰtť de lui. Sa physionomie cherchait ŗ exprimer la plus grande contrition; ses yeux ťtaient levťs et les coins de sa bouche abaissťs, ainsi que le disait Wamba, comme les coins de l'ouverture d'une bourse; nťanmoins cette affectation de pťnitence ťtait risiblement dťmentie par un air plaisant qui perÁait sur ses traits grossiers et semblait indiquer que sa crainte et son repentir n'ťtaient que de l'hypocrisie. ęPourquoi es-tu ŗ genoux, fou de prÍtre? as-tu peur que ton diocťsain n'apprenne que tu sers bien la cause de Notre-Dame et de Saint-Dunstan? Ne crains rien, Richard d'Angleterre ne trahit pas les secrets qui passent sur le flacon.Ľ--ęNon, mon gracieux souverain, rťpondit l'ermite, bien connu des curieux dans l'histoire de Robin-Hood sous le nom de frŤre Truck, ce n'est pas la croix que je crains, c'est le sceptre; hťlas! mon poing sacrilťge s'est appesanti sur l'oreille de l'oint du Seigneur.Ľ ęAh, ah! dit Richard, le vent vient donc de ce cŰtť? en vťritť, j'avais oubliť le soufflet, quoique l'oreille m'en ait sifflť toute la journťe; mais si le coup a ťtť bien donnť, je m'en rapporte ŗ ces braves gens pour savoir s'il n'a pas ťtť bien rendu; et si tu penses que je te doive encore quelque chose, tu n'as qu'ŗ t'apprÍter pour un autre paiement.Ľ--ęNullement, rťpondit le frŤre Truck, mon prÍt a ťtť bien rendu, et avec usure; puisse votre majestť toujours payer ses dettes aussi largement.Ľ--ęSi je pouvais les payer avec la mÍme monnaie, rťpondit le roi, mes crťanciers ne trouveraient jamais le trťsor vide.Ľ--ęEt cependant, dit le frŤre reprenant son air hypocrite, je ne sais quelle pťnitence m'imposer pour ce coup sacrilťge.Ľ--ęN'en parlons plus, frŤre, dit le roi, aprŤs en avoir tant reÁu des paÔens et des infidŤles, il faudrait manquer de raison pour chercher querelle au soufflet d'un clerc aussi saint que l'est celui de Copmanhurst; cependant, honnÍte frŤre, je crois qu'il vaudrait mieux pour l'…glise et pour toi que je te procurasse une licence pour te dťfroquer et te conserver en qualitť d'archer de notre garde, attachť ŗ notre personne, comme tu l'ťtais jadis ŗ l'autel de saint Dunstan.Ľ--ęMon seigneur, dit le frŤre, j'implore votre pardon, et vous me l'accorderiez facilement, si vous saviez seulement combien le pťchť de paresse s'est emparť de moi. Saint Dunstan puisse-t-il long-temps nous Ítre favorable. Il reste tranquille dans sa niche, quoique j'oublie mes oraisons pour aller tuer un daim gras; je passe parfois la nuit hors de ma cellule, ŗ faire je ne sais quoi, saint Dunstan ne se plaint jamais; c'est le maÓtre le plus doux, le plus paisible qu'on ait jamais fabriquť en bois; mais devenir garde de mon souverain monarque, l'honneur est grand, sans doute; nťanmoins s'il m'arrivait de m'ťcarter pour aller dans quelque coin consoler une veuve, ou dans quelque foret pour tuer un daim: oý est ce chien de prÍtre? dirait l'un; qui a vu ce maudit Truck? dirait l'autre; ce coquin de moine dťfroquť dťtruit plus de gibier que la moitiť du comtť, dirait un garde; il poursuit aussi toutes les daines timides du pays, dirait un second; enfin, mon bon seigneur, je vous prie de me laisser tel que vous m'avez trouvť; ou, pour peu qu'il vous plaise d'ťtendre votre bienveillance sur moi, veuillez ne me considťrer que comme le pauvre clerc de la cellule de saint Dunstan de Copmanhurst, ŗ qui la moindre donation sera des plus agrťables.Ľ ęJe t'entends, dit le roi, et j'accorde au rťvťrend clerc la permission de prendre mon bois et de tuer mon gibier dans mes forÍts de Warneliffe, mais je ne lui permets de tuer que trois daims chaque saison, et si, d'aprŤs ma permission, tu n'en tues pas trente, je ne suis ni chevalier chrťtien ni vrai roi.Ľ--ęJe puis assurer ŗ votre majestť, dit le frŤre, que, par la gr‚ce de saint Dunstan, je trouverai le moyen de multiplier les dons de votre libťralitť.Ľ--ęJe n'en doute pas, frŤre, dit le roi; mais comme le gibier altŤre, mon sommelier aura ordre de te pourvoir tous les ans d'un tonneau de vin sec ou de Malvoisin, et trois muids d'ale (biŤre) de premiŤre qualitť; si tout cela ne suffit pas pour te dťsaltťrer, tu viendras ŗ ma cour et tu feras connaissance avec mon sommelier.Ľ--ęEt pour saint Dunstan, dit le moine, j'ajouterai une chape, une ťtole, et une nappe d'autel, continua le roi en faisant le signe de la croix. Mais ne donnons pas un ton sťrieux ŗ nos plaisanteries dans la crainte que Dieu ne nous punisse de penser ŗ nos folies plus qu'ŗ l'honorer et ŗ le prier.Ľ--ęJe rťponds de mon patron, dit le prÍtre gaÓment.Ľ--ęRťponds de toi-mÍme, frŤre,Ľ dit le roi Richard d'un ton sťvŤre; mais aussitŰt il tendit la main ŗ l'ermite, et celui-ci, un peu honteux, s'agenouilla pour la baiser.--ęTu fais moins d'honneur ŗ ma main ouverte que tu n'en fais ŗ mon poing fermť, dit le monarque; tu ne fais que t'agenouiller devant l'une, et l'autre t'a ťtendu par terre.Ľ Mais le frŤre craignant peut-Ítre de commettre quelque nouvelle offense en continuant la conversation sur un ton trop plaisant (c'est ce que devraient ťviter particuliŤrement tous ceux qui ont ŗ parler avec des rois), fit un profond salut et se retira en arriŤre. En mÍme temps deux autres personnages parurent en scŤne. * * * * * CHAPITRE XLI. ęSalut aux grands seigneurs, qui ne sont pas plus heureux, quoique plus puissans que nous. S'ils veulent voir nos passe-temps sous nos verts feuillages, ils seront bien venus dans nos bosquets joyeux.Ľ MAC-DONALD. Les nouveaux venus ťtaient Wilfrid d'Ivanhoe montť sur le palefroi du prieur de Botolph, et Gurth qui le suivait sur le cheval de guerre de son maÓtre. L'ťtonnement d'Ivanhoe fut extrÍme quand il vit son roi couvert de sang et entourť de six ou sept cadavres, dans le petit taillis qui avait ťtť le lieu du combat. Il ne fut pas moins surpris de voir Richard au milieu de tant d'habitans des bois qui lui paraissaient Ítre les proscrits de la foret. Ce cortťge lui semblait dangereux pour un prince. Il hťsitait s'il devait s'adresser au roi comme au chevalier noir, et rťflťchissait comment il devait se conduire envers lui. Richard vit son embarras. ęNe crains pas, Wilfrid, lui dit-il, de t'adresser ŗ Richard Plantagenet; tu le vois entourť de vťritables Anglais, quoiqu'ils aient peut-Ítre ťtť entraÓnťs par un sang trop bouillant.Ľ--ęSire Wilfrid d'Ivanhoe, lui dit le brave proscrit en s'avanÁant, mes protestations n'ajouteraient rien ŗ celles de mon souverain. Cependant qu'il me soit permis de dire avec quelque orgueil que de tous les hommes qui ont souffert beaucoup, il n'a pas de sujets plus fidŤles que ceux qui sont maintenant devant lui.Ľ--ęJe n'en puis douter, brave homme, dit Wilfrid, puisque tu es du nombre. Mais que signifient ces traces de carnage et de combats, ces hommes tuťs, et l'armure sanglante de mon prince?Ľ--ęLa trahison nous suivait, Ivanhoe, dit le roi, mais grace ŗ ces braves gens elle a trouvť son ch‚timent. Ah! maintenant j'y pense, toi aussi tu es un traÓtre, continua Richard en souriant, un traÓtre dťsobťissant: mes ordres n'ťtaient-ils pas positifs, ne devais tu pas te reposer ŗ Saint-Botolph jusqu'ŗ ce que ta blessure fŻt guťrie.Ľ--ęElle est guťrie, dit Ivanhoe, elle ne vaut pas maintenant une piqŻre d'ťpingle. Mais pourquoi, oh! pourquoi, noble prince, affliger ainsi les coeurs de vos fidŤles sujets et exposer votre vie dans des aventures tťmťraires, comme si elle n'ťtait pas plus prťcieuse que celle d'un simple chevalier errant, qui n'a d'autre intťrÍt sur terre que celui qui se trouve au bout de sa lance et de son ťpťe.Ľ ęOui, Richard de Plantagenet, dit le roi, ne veut d'autre gloire que celle que lui procurent sa lance et son ťpťe. Oui, Richard de Plantagenet est plus fier de mener ŗ fin une aventure avec son ťpťe et son bras, que s'il rangeait en bataille une armťe de cent mille hommes.Ľ--ęMais votre royaume, mon prince, dit Ivanhoe, votre royaume est menacť de guerre civile, vos sujets courent toute espŤce de danger, s'il faut qu'ils soient tout ŗ coup privťs de leur souverain dans quelques unes de ces aventures que vous poursuivez journellement ŗ votre bon plaisir; et en ce moment mÍme je vois que votre salut tient du miracle.Ľ--ęOh, Oh! mon royaume et mes sujets, rťpliqua Richard avec impatience; mais je te dirai, sire Wilfrid, que les meilleures d'entre eux sont prÍts ŗ me payer mes folies avec la mÍme monnaie. Par exemple, mon trŤs fidŤle serviteur Wilfrid d'Ivanhoe n'obťit pas ŗ mes ordres positifs, et cependant il vient faire un sermon ŗ son roi, parce qu'il ne suit pas exactement ses conseils: lequel de nous d'eux a le plus de droit de sermonner l'autre. Quoi qu'il en soit, pardonnez-moi, mon fidŤle Wilfrid, le temps que j'ai passť et que je dois encore passer incognito ŗ Saint-Botolph, est comme je te l'ai dťjŗ dit, trŤs nťcessaire, afin que mes amis et mes nobles dťvouťs aient le temps de rassembler leurs forces, afin que lorsque le retour de Richard sera annoncť, il se trouve ŗ la tÍte d'une armťe qui fasse trembler ses ennemis et anťantisse ainsi la trahison sans qu'on ait besoin de tirer l'ťpťe du fourreau. Estoteville et Bohun ne sont pas assez en forces pour marcher sur York avant vingt-quatre heures d'ici. Il faut que j'aie des nouvelles de Salisbury au sud et de Beauchamp dans le Warwickshire, ainsi que de Multon et de Percy au nord. Il faut que le chancelier s'assure de Londres. Une apparition trop subite m'exposerait ŗ d'autres dangers que ceux dont pourraient me tirer ma lance et mon ťpťe, quoique secondťes par l'arc du brave Robin, le gourdin du frŤre Truck et le cor du sage Wamba. Wilfrid s'inclina d'un air soumis, il sentit qu'il ťtait utile de combattre l'esprit chevaleresque qui portait souvent son maÓtre ŗ s'exposer ŗ des dangers qu'il aurait ťvitťs facilement, ou plutŰt qu'il lui ťtait impardonnable de chercher. Wilfrid soupira et se tut, tandis que Richard s'applaudissait d'avoir imposť silence ŗ son conseiller, quoiqu'au fond de son coeur il sentÓt la justice de ses observations. Il continua la conversation avec Robin-Hood. ęRoi des proscrits, lui dit-il, n'auriez-vous rien ŗ offrir ŗ votre confrŤre en royautť, car ces misťrables dťfunts m'ont donnť de l'exercice et de l'appťtit.Ľ ęEn toute vťritť, rťpliqua le braconnier, et j'aurais garde de mentir ŗ mon souverain, notre magasin est en grande partie pourvu de...Ľ Il s'arrÍta avec quelque embarras. ęDe gibier, n'est-ce pas[24], dit gaÓment Richard; bien, bien, on ne peut s'attendre ŗ mieux, et vraiment quand un roi ne veut pas rester chez lui, ni prendre la peine de tuer lui-mÍme son gibier, il me semble qu'il ne doit pas se f‚cher de le trouver tuť d'avance.Ľ ęAlors, dit Robin, si votre majestť daigne encore honorer de sa prťsence un des lieux de rendez-vous de Robin-Hood, la venaison ne manquera pas, non plus que l'ale (la biŤre), et peut-Ítre bien un vin passable.Ľ Le braconnier se mit en marche, suivi du joyeux monarque, plus content peut-Ítre de cette rencontre fortuite avec Robin-Hood et ses compagnons, qu'il ne l'aurait ťtť dans sa royautť au milieu d'un cercle brillant de pairs et de nobles. Tout ce qui ťtait nouveau en fait de sociťtť ou d'aventures faisait le bonheur de Richard Coeur-de-Lion, et il n'ťtait jamais si content que lorsqu'il avait rencontrť quelque danger, et qu'il l'avait surmontť. Dans ce roi ŗ coeur de lion se rťalisait le caractŤre brillant, mais dans le fond bon ŗ rien, d'un vrai chevalier de roman; la gloire personnelle qu'il s'acquťrait par ses propres faits d'armes ťtait plus prťcieuse ŗ son imagination exaltťe que celle que lui aurait valu dans son gouvernement la politique et la prudence d'un homme d'ťtat: aussi son rŤgne fut-il semblable ŗ un mťtťore ťclatant et rapide, qui s'ťlance tout ŗ coup sur la face des cieux, en y rťpandant une lumiŤre ťblouissante, mais vaine, qui est aussitŰt ensevelie dans une nuit profonde. Ses hauts faits de chevalerie fournissaient des sujets aux bardes et aux mťnestrels, mais il n'en rťsultait pour son pays aucun de ces avantages rťels, de ceux que l'histoire aime ŗ rapporter et donne pour exemples ŗ la postťritť. Dans sa compagnie actuelle, Richard se montrait sous les plus aimables apparences; il ťtait gai, de bonne humeur, et passionnť pour le courage dans quelque personne qu'il se rencontr‚t. Ce fut sous un ťnorme chÍne qu'on prťpara ŗ la h‚te un repas champÍtre pour le roi d'Angleterre. Il ťtait entourť d'hommes que son gouvernement avait proscrits rťcemment, mais qui composaient pour l'instant sa cour et son escorte: ŗ mesure que le flacon circulait, ces hommes grossiers oubliaient la contrainte que leur avait imposťe le prťsence d'une Majestť; bientŰt on en vint aux chansons et aux plaisanteries. Ils racontaient avec emphase l'histoire de leurs entreprises, et tout en se faisant gloire du succŤs avec lequel ils avaient violť les lois, pas un ne se rappelait qu'il parlait devant celui qui devait les faire respecter. Le roi lui-mÍme, oubliant sa dignitť aussi bien que toute la compagnie, riait, plaisantait avec la bande joyeuse[25]. Le bon sens naturel et grossier de Robin-Hood l'avertit qu'il fallait finir la scŤne avant que rien n'en eŻt troublť l'accord, d'autant plus qu'il remarquait sur le front d'Ivanhoe une ombre d'inquiťtude. ęNous sommes honorťs, dit-il ŗ part au baron, par la prťsence de notre loyal souverain, mais je ne voudrais pas qu'il abus‚t de son temps, que les circonstances actuelles rendent si prťcieux.Ľ Note 24: Richard Coeur-de-Lion ťtait d'une grande sťvťritť contre les braconniers. A. M. Note 25: Ce trait rappelle le bon roi d'Yvetot. A. M. ęC'est bien pensť, brave Robin-Hood, dit le chevalier; et sachez de plus que ceux qui plaisantent avec la souverainetť, mÍme dans ses momens d'abandon, ne font que jouer avec le lionceau, qui peut, ŗ la moindre provocation, se servir de ses dents et de ses griffes.Ľ--ęVous avez prťcisťment la mÍme apprťhension que moi, dit le proscrit; mes hommes sont grossiers par ťtat et par nature. Le roi est aussi fougueux qu'il est de bonne humeur; je ne puis deviner le moment oý il se commettra quelque sujet d'offense, ni de quelle maniŤre il serait reÁu... Il est temps que ce repas finisse.Ľ--ęT‚chez donc d'y parvenir, vaillant archer, dit Ivanhoe, car pour moi, je crois que chaque mot que j'ai hasardť ŗ ce sujet n'a servi qu'ŗ le prolonger.Ľ--ęFaut-il que je risque d'une parole le pardon et la faveur de mon souverain, dit Robin-Hood; mais de par saint Christophe il le faut; je serais indigne de ses bonnes graces si je ne les aventurais pas pour son propre intťrÍt... Scathlock, retire-toi derriŤre ce taillis, et donne-moi sur ton cor un air normand, ŗ l'instant mÍme, au pťril de ta vie!Ľ Scathlock obťit ŗ son capitaine, et en moins de cinq minutes les convives tressaillirent au son du cor. ęC'est le son du cor de Malvoisin, dit le meunier se dressant sur ses pieds et saisissant son arc; le frŤre laissa aller le flacon qu'il tenait et s'empara de son b‚ton ŗ deux bouts; Wamba s'arrÍta court au milieu de sa bouffonnerie, s'ťlanÁa sur son sabre et saisit son bouclier. Tous les autres tenaient dťjŗ leurs armes... Les hommes habituťs ŗ une vie prťcaire passent facilement des festins aux combats. Quant ŗ Richard, ce changement ťtait pour lui un nouveau plaisir; il demanda son casque et les parties les plus pesantes de son armure qu'il avait jetťes de cotť; et, tandis que Gurth lui aidait ŗ s'en revÍtir, il enjoignit strictement ŗ Wilfrid, sous peine de sa plus grande disgrace, de faire partie de la lutte qu'il supposait devoir se prťparer. ęTu as combattu cent fois pour moi, Wilfrid, cent fois j'en fus tťmoin: aujourd'hui c'est ŗ ton tour ŗ voir comment Richard se bat pour son ami et ses sujets.Ľ Pendant ce temps Robin-Hood avait envoyť plusieurs de ses compagnons de divers cŰtťs, comme s'il eŻt voulu reconnaÓtre l'ennemi. Voyant alors que tous les convives ťtaient dispersťs, il s'approcha de Richard qui ťtait complťtement armť, et, mettant un genou en terre, il supplia son roi de lui pardonner. ęEt pourquoi? brave archer, dit Richard d'un air impatient; ne t'ai-je point accordť le pardon de toutes les fautes que tu as pu commettre? penses-tu que ma parole soit une plume que le vent chasse et pourchasse entre nous deux? D'ailleurs, tu ne peux pas m'avoir offensť de nouveau.Ľ--ęIl n'est que trop vrai! rťpondit l'archer, si toutefois c'est offenser mon prince que de le tromper ŗ son avantage. Le cor que vous avez entendu n'est pas celui de Malvoisin; c'est par mon ordre qu'on l'a sonnť pour faire cesser un banquet qui usurpait sur des momens trop chers pour qu'on en abus‚t.Ľ Il se releva, et croisant ses mains sur sa poitrine d'un air plutŰt respectueux que soumis, il attendit la rťponse du roi comme quelqu'un qui sait qu'il a pu commettre une offense, mais qui se sent fort de sa louable intention. La colŤre fit monter le sang aux joues de Richard, mais ce ne fut qu'une ťmotion passagŤre; le sentiment de la justice l'eut bientŰt remplacťe. ęLe roi de Sherwood, dit-il, est avare de son gibier et de son vin pour le roi d'Angleterre! C'est bien, brave Robin; mais quand vous viendrez me voir dans notre joyeuse ville de Londres, je ne serai pas un hŰte aussi ťconome. Tu as raison, mon brave ami... Vite ŗ cheval, et partons. Aussi bien Wilfrid est impatient depuis une heure. Dis-moi, brave Robin, as-tu un ami dans ta troupe, qui, non content de te donner des avis, veuille encore diriger jusqu'ŗ tes mouvemens, et ne soit pas content quand tu veux faire ta volontť plutŰt que la sienne?Ľ--ęTel est mon lieutenant Petit Jean, dit Robin, il est maintenant en expťdition sur la terre d'…cosse, et j'avoue que je suis quelquefois contrariť de la libertť de ses conseils; mais, aprŤs avoir un peu rťflťchi, je ne puis garder de rancune contre celui qui n'a d'autre motif d'inquiťtude que l'intťrÍt de son maÓtre.Ľ--ęTu as raison, brave archer, dit Richard, et si j'avais d'un cŰtť Ivanhoe pour me donner de graves avis et les recommander par la triste gravitť de son front, et toi de l'autre pour me forcer par la ruse ŗ faire ce que tu croirais m'Ítre avantageux, je serais aussi peu maÓtre de ma volontť qu'aucun roi de la chrťtientť ou du paganisme. Mais, allons, messieurs, partons gaiement pour Coningsburgh et n'y pensons plus.Ľ Robin-Hood lui assura qu'il avait envoyť un parti en avant sur le chemin qu'il devait traverser; que s'il existait quelque embuscade, il ne manquerait pas de la dťcouvrir, et qu'il le prťviendrait: de sorte qu'il ne doutait pas que la route ne fŻt sŻre, et que dans tous les cas il en aurait avis ŗ temps, afin qu'il attendÓt une forte troupe d'archers qu'il se proposait de conduire lui-mÍme sur la mÍme route. Ces sages et prudentes dispositions qu'on prenait pour sa sŻretť touchŤrent sensiblement Richard, et effacŤrent entiŤrement tout souvenir de la petite ruse du capitaine braconnier. Il lui tendit encore une fois la main, l'assura de son pardon et de sa faveur future, ainsi que de la ferme rťsolution de restreindre les droits tyranniques de la chasse, en changeant des lois trop rigoureuses qui avaient poussť tant d'archers anglais ŗ la rťbellion. Mais la mort prťmaturťe de Richard rendit nulles ses bonnes intentions, et l'on arracha des mains de Jean la charte des forÍts, quand il succťda ŗ son vaillant frŤre. Le reste de la vie de Robin-Hood, ainsi que l'histoire de la trahison dont il fut victime, tout cela se retrouvait dans ces petits livres qu'on payait jadis un sou, et qui sont maintenant ŗ bon marchť, lors mÍme qu'on en donne leur pesant d'or. Le proscrit avait dit vrai, et le roi suivi d'Ivanhoe, de Gurth et de Wamba, arriva sans nul accident devant Coningsburgh avant le coucher du soleil. Il existe en Angleterre peu de vues plus belles et plus imposantes que celles du voisinage de cette antique forteresse saxonne. La riviŤre paisible du Don traverse un amphithť‚tre dans lequel les plaines sont richement entrecoupťes de collines et de bois; il est sur une montagne qui s'ťlŤve non loin de la riviŤre qu'on aperÁoit. Cet ancien ťdifice, environnť de murailles et de tranchťes, ainsi que l'indique son nom saxon, servait avant la conquÍte d'habitation aux rois d'Angleterre: les murs extťrieurs semblent avoir ťtť construits par les Normands, mais le donjon porte l'empreinte d'une haute antiquitť. Il est situť sur une cŰte dans un angle de la cour intťrieure, et forme un cercle complet d'environ vingt-cinq pieds de diamŤtre; le mur est d'une ťpaisseur ťnorme, et est soutenu par six arcs-boutans qui partent de la demi-lune, et flanquent la tour qu'ils paraissent supporter. Les arcs-boutans massifs sont creux vers le sommet, et se terminent par des espŤces de tourelles qui communiquent avec l'intťrieur de la tour morne. Vu ŗ une certaine distance, cet ťnorme ťdifice avec son bizarre entourage offre autant de charmes aux yeux d'un amateur du pittoresque, que l'intťrieur du ch‚teau prťsente d'intťrÍt ŗ l'antiquaire avide dont l'imagination se transporte aux temps de l'heptarchie. On montre dans le voisinage du ch‚teau un monticule qui passe pour Ítre le tombeau du cťlŤbre Hengist. D'autres monumens de la plus grande antiquitť, et tous dignes de curiositť, existent dans le cimetiŤre voisin. Quand Richard Coeur-de-Lion et sa suite approchŤrent de cet ťdifice, d'une architecture grossiŤre mais imposante, il n'ťtait pas comme aujourd'hui entourť de fortifications extťrieures; l'architecte saxon avait ťpuisť son art pour dťfendre la tour principale: le reste ne consistait qu'en une barriŤre de palissades. Une ťnorme banniŤre noire, qui flottait au sommet d'une tour, annonÁait qu'on ťtait encore occupť ŗ cťlťbrer les obsŤques de son dernier maÓtre; elle ne portait aucun emblŤme de la qualitť ni du rang du dťfunt: car les armoiries ťtaient encore trŤs nouvelles parmi les chevaliers normands, et tout-ŗ-fait inconnues des Saxons; mais au dessus de la grille on voyait une autre banniŤre qui portait la figure grossiŤrement peinte d'un cheval blanc, indiquant la nation et le rang du dťfunt par le symbole bien connu de Hengist et de ses guerriers. Les environs du ch‚teau offraient une scŤne animťe: car ŗ cette ťpoque d'hospitalitť des banquets funťraires prťparťs en grand nombre, invitaient ŗ s'y asseoir quiconque se prťsentait, puisque non seulement les parens les plus ťloignťs, mais encore tous les passans avaient droit d'y prendre part. Les richesses et la grandeur d'ame d'Athelstane dťcťdť faisaient qu'on observait cette coutume dans toute sa plťnitude. On voyait donc des troupes nombreuses monter et descendre la colline sur laquelle le ch‚teau ťtait situť; et quand le roi et sa suite pťnťtrŤrent dans les barriŤres ouvertes et sans garde, ils furent tťmoins d'une scŤne qui ne s'accordait guŤre avec la cause de ce rassemblement: d'un cŰtť, c'ťtaient des cuisiniers occupťs ŗ faire rŰtir des boeufs ťnormes et des moutons gras; de l'autre, des muids d'ale ou biŤre ťtaient placťs ŗ la disposition de tous les arrivans. On voyait des groupes de toute espŤce dťvorant les alimens et buvant la liqueur qu'an abandonnait ŗ leur discrťtion; le serf saxon, ŗ moitiť nu, oubliait sa demi-annťe de faim et de soif dans une journťe de voracitť et d'ivresse; le bourgeois, mieux nourri, choisissait son morceau et discutait sur le talent du brasseur et la qualitť de la boisson; quelques uns des plus pauvres parmi la noblesse normande se faisaient aussi reconnaÓtre ŗ leur menton ras et ŗ leurs casaques ťcourtťes autant qu'ŗ l'affectation qu'ils mettaient ŗ se tenir ensemble, jetant de temps en temps un oeil de mťpris sur la cťrťmonie, tout en daignant prendre leur part de tant de libťralitť. Les mendians, bien entendu, y ťtaient par centaines, parmi lesquels on distinguait quelques soldats errans qui se disaient arriver de la Palestine. Des colporteurs offraient leurs marchandises, des ouvriers demandaient de l'ouvrage, des pŤlerins vagabonds, des prÍtres de toute sorte, des mťnestrels saxons, des bardes errans du pays de Galles, murmuraient des priŤres et arrachaient quelque hymne de leurs harpes et autres instrumens. L'un dans un panťgyrique lamentable faisait entendre les louanges d'Athelstane, un autre dans un long poŤme gťnťalogique en vers saxons, citait les noms durs et dťsagrťables de ses nobles ancÍtres. Les jongleurs, les bouffons, ne manquaient pas, et la cause de cette rťunion ne paraissait pas devoir interrompre l'exercice de leur profession: au fait, les idťes des Saxons sur ce sujet ťtaient aussi naturelles que grossiŤres; si le chagrin altťrait, il fallait boire; s'il affamait, il fallait manger; s'il attristait, il fallait s'ťgayer, ou au moins se distraire. Les assistans ne manquaient pas de profiter de tous ces moyens de consolation; seulement de temps ŗ autre comme s'ils se fussent rappelť la cause de leur rťunion, les hommes poussaient des gťmissemens, et les femmes qui ťtaient en grand nombre ťlevaient la voix pour imiter des cris de douleur. Telle ťtait la scŤne qui se passait dans la cour du ch‚teau de Coningsburgh au moment oý Richard y arrivait avec sa suite. Le sťnťchal, qui ne daignait pas s'occuper des hŰtes subalternes qui entraient et sortaient continuellement, fut frappť du maintien du monarque et d'Ivanhoe, surtout il lui semblait que les traits de ce dernier lui ťtaient connus. D'ailleurs la prťsence de deux chevaliers, car tel l'indiquait leur costume, ťtait un ťvťnement assez rare dans une solennitť Saxonne, pour Ítre considťrť comme un honneur rendu au dťfunt et ŗ sa famille. Dans son habit de deuil et tenant ŗ la main la baguette blanche, marque de son office, l'important personnage fit ranger les convives de toute classe, conduisant ainsi Richard et Ivanhoe jusqu'ŗ l'entrťe de la tour; Gurth et Wamba y eurent bientŰt trouvť des connaissances, et ne se permirent pas d'avancer plus loin jusqu'ŗ ce que leur prťsence devÓnt nťcessaire. CHAPITRE XLII. ęJe les vis suivre le corps de Marcello, et il y avait une mťlodie solennelle dans les chants, les larmes et les ťlťgies, comme on en remarque au lit de mort des grands.Ľ _Ancienne comťdie_. La maniŤre d'entrer dans la grande tour du ch‚teau de Coningsburgh est toute particuliŤre et tient de la rustique simplicitť des temps reculťs oý fut construit cet ťdifice. Les marches raides et ťtroites conduisent ŗ une petite porte du cŰtť du sud, par laquelle l'antiquaire explorateur peut encore, ou du moins pouvait, il y a peu d'annťes, gagner un escalier pratiquť dans l'ťpaisseur du gros mur de la tour et conduisant au troisiŤme ťtage; car les deux premiers n'ťtaient que des donjons ou cachots qui ne recevaient ni air, ni jour, si ce n'est par un trou carrť dans le troisiŤme ťtage, d'oý il paraÓt que l'on communiquait avec une ťchelle. On montait aux appartemens supťrieurs, c'est-ŗ-dire au quatriŤme ou dernier ťtage, par des escaliers pratiquťs dans les arcs-boutans extťrieurs. Ce fut par cette entrťe difficile et compliquťe que le bon roi Richard suivi de son fidŤle Ivanhoe pťnťtra dans la grande salle en rotonde, formant la totalitť du troisiŤme ťtage. Le dernier eut le temps de se couvrir la figure avec son manteau, comme il avait ťtť convenu, afin de ne se faire reconnaÓtre de son pŤre que lorsque le roi lui en donnerait le signal. Lŗ se trouvaient rassemblťs autour d'une grande table en bois de chÍne environ douze reprťsentans les plus distinguťs des familles saxonnes des contrťes adjacentes; tous vieillards ou du moins hommes mŻrs; car la plupart des jeunes gens, au grand dťplaisir de leurs pŤres, avaient, comme Ivanhoe, rompu les barriŤres qui sťparaient depuis un demi-siŤcle les Normands vainqueurs des Saxons vaincus. L'air grave et triste de ces hommes vťnťrables, leur silence ťtudiť, formait un contraste frappant avec le bruit des orgies qu'on cťlťbrait dans la cour extťrieure. Leurs cheveux blancs, leur longue barbe, leur tunique modelťe sur des coutumes antiques, et leurs grands manteaux noirs, avaient une singuliŤre analogie avec le lieu dans lequel ils se trouvaient, et leur donnaient l'air d'une troupe des adorateurs de Wodin, rappelťs ŗ la vie pour pleurer la dťcadence de leur gloire nationale. Cedric, assis sur le mÍme rang que ses compatriotes, semblait nťanmoins, par un consentement unanime, agir comme chef de l'assemblťe. ņ l'aspect de Richard, qu'il ne connaissait que sous le nom de valeureux chevalier du cadenas, il se leva gravement et le salua suivant l'usage des Saxons, en prononÁant les mots de _waes hael_, votre santť, et en levant en mÍme temps une coupe ŗ la hauteur de sa tÍte. Le roi qui n'ignorait pas les usages de ses sujets anglais, rťpondit au salut par les mots _drink hael_, je bois ŗ votre santť, et il prit la coupe que lui offrit l'ťchanson. Cedric usa de la mÍme courtoisie envers Ivanhoe, qui rťpondit ŗ son pŤre en inclinant seulement la tÍte, de peur que sa voix ne le fÓt reconnaÓtre. Lorsque fut terminťe cette cťrťmonie prťliminaire, Cedric se leva, et prťsentant sa main ŗ Richard le conduisit dans une petite chapelle rustique prŤs d'un des arcs-boutans. Comme il n'y avait d'autre ouverture qu'une ťtroite barbacane, le lieu eŻt ťtť environnť de tťnŤbres, si deux grossiers flambeaux n'y eussent rťpandu un peu de lumiŤre au milieu d'un nuage de fumťe, et ŗ l'aide de laquelle on apercevait un toit formť en voŻte, des murailles nues, un petit autel en pierres non polies, et un crucifix ťgalement en pierre. Devant cet autel ťtait placťe une biŤre, ŗ chaque cŰtť de laquelle on voyait trois prÍtres ŗ genoux, un chapelet ŗ la main, et qui murmuraient des priŤres avec tous les signes de la plus grande dťvotion extťrieure. C'ťtaient des moines du couvent de Saint-Edmond, en faveur desquels la mŤre du dťfunt avait fait un legs considťrable, en ťchange de priŤres promises par eux pour le repos de l'aine de son fils Athelstane. Aussi presque tout le couvent se trouvait lŗ rťuni, exceptť le frŤre sacristain, vu qu'il ťtait boiteux. Les moines se relevaient d'heure en heure autour de la biŤre, et pendant que six d'entre eux priaient, les autres se livraient dans la cour aux sensualitťs de la gastronomie. En exerÁant cette pieuse garde, les bons moines avaient bien soin de ne pas interrompre leurs hymnes un seul instant, de peur que Zernebock, l'ancien appollyon, ou dťmon des Saxons, ne saisÓt ce moment pour s'emparer de l'ame du pauvre Athelstane. Ils ne veillaient pas moins ŗ ce qu'aucun laÔque ne s'avis‚t de toucher au poÍle qui couvrait la biŤre, lequel ayant ťtť employť aux funťrailles de Saint-Edmond, se fŻt trouvť profanť par un semblable attouchement. Si toutes ces attentions dťvotes pouvaient Ítre de quelque utilitť au dťfunt, il avait droit de les attendre des moines de Saint-Edmond, puisque outre cent marcs d'or que sa mŤre leur avait payťs pour la ranÁon de l'ame de son fils, elle avait annoncť l'intention de laisser aprŤs le dťcŤs de ce dernier tous ses biens ŗ ce couvent, pour assurer ŗ son fils, ŗ son mari et ŗ elle-mÍme des priŤres perpťtuelles. Richard et Wilfrid suivirent le saxon Cedric dans la chambre du mort, oý, comme leur guide leur indiquait d'un air solennel la biŤre d'Athelstane moissonnť avant le temps, ils suivirent son exemple en s'agenouillant et en faisant le signe de la croix, et une courte priŤre pour le repos de l'ame du dťfunt. Cet acte de pieuse charitť accompli, Cedric leur fit signe de le suivre, et montant quelques marches d'un pas grave et sans bruit, il ouvrit avec une grande prťcaution la porte d'un petit oratoire adjacent ŗ la chapelle. C'ťtait une piŤce carrťe d'environ huit pieds, ťclairťe par deux barbacanes, oý descendaient alors les derniers rayons du soleil couchant, qui leur firent apercevoir une femme dont la figure respectable offrait encore des traces de sa premiŤre beautť. Sa longue robe de deuil et son voile flottant de crÍpe noir relevaient la blancheur de sa peau, et la beautť de sa chevelure aux tresses d'or, oý le temps n'avait pu encore mÍler son empreinte argentťe. Sa contenance exprimait le plus profond chagrin, uni pourtant ŗ la rťsignation. Sur une table de pierre, devant elle, on voyait un crucifix en ivoire, et un missel dont les marges ťtaient richement enluminťes et ornťes d'agrafes d'argent avec les coins de mÍme mťtal. ęNoble Edith, dit le Saxon Cedric aprŤs avoir gardť un moment le silence, comme pour donner ŗ Richard et ŗ Wilfrid le temps de considťrer la dame de ce ch‚teau, voilŗ de dignes ťtrangers qui viennent prendre part ŗ tes chagrins, et celui-ci spťcialement est le vaillant chevalier qui combattit si vaillamment pour la dťlivrance de celui que nous pleurons en ce jour.Ľ ęJe prie sa valeur d'agrťer mes remerciemens, rťpondit la dame, quoiqu'il ait plu ŗ Dieu que cette valeur ne pŻt sauver mon fils; je remercie ťgalement l'ťtranger et son compagnon de la courtoisie qui les a portťs ŗ visiter la veuve d'Adeling, la mŤre d'Athelstane dans un moment de deuil et de lamentations. En remettant ces hŰtes ŗ vos soins hospitaliers, mon digne parent, je suis certaine qu'ils seront bien accueillis dans cette demeure.Ľ Les deux hŰtes saluŤrent humblement la mŤre affligťe, et ils se retirŤrent avec leur guide. Celui ci les fit monter par un escalier tournant dans un autre appartement au dessus de la chapelle et de mÍme grandeur. Avant que la porte fŻt ouverte, un chant mťlancolique et lent se fit entendre. C'ťtait un hymne que lady Rowena et trois autres jeunes filles chantaient pour le repos de l'ame du dťfunt. En voici quelques strophes, les seules qui aient ťtť conservťes: L'homme n'est que poussiŤre, Dans l'horreur des tombeaux Sa dťpouille grossiŤre Va terminer ses maux, Et nourrir dans la biŤre L'avide fourmiliŤre Des rampans vermisseaux. Ton ame est envolťe En des lieux inconnus, Et sera consolťe Au sťjour des vertus; Elle oubliera ses peines Et les terrestres haines Au milieu des ťlus. Par ta gr‚ce, Ű Marie! AbrŤge notre vie Qu'assiťgent les tourmens; Jusqu'ŗ ce que l'aumŰne, Et quelques voeux fervens, Nous gagnent la couronne Qu'ŗ leur trťpas Dieu donne Aux vertueux vivans. Tandis que l'on chantait cet hymne ŗ voix demi-basse et triste, Cedric s'avanÁa, et les deux autres se trouvŤrent devant une vingtaine de jeunes Saxonnes appartenant ŗ d'illustres familles, et dont les unes travaillaient ŗ broder, autant que leur habiletť et leur goŻt le permettaient, un grand poÍle de soie destinť ŗ couvrir le cercueil d'Athelstane, pendant que les autres, recueillant des fleurs dans des paniers placťs devant elles, en formaient des guirlandes de deuil. L'extťrieur de ces jeunes filles ťtait dťcent, s'il n'annonÁait pas une profonde affliction: parfois un chuchotement ou un sourire attirait ŗ quelques unes la rťprimande de matrones plus graves; et quelques autres semblaient plus attentives ŗ examiner leurs guirlandes qu'ŗ rťflťchir sur cette pompe funťraire. Enfin, si nous devons dire toute la vťritť, la venue de deux ťtrangers causa des distractions ŗ ces belles Saxonnes, qui jetŤrent sur eux plus d'une oeillade ŗ la dťrobťe. Lady Rowena, trop fiŤre pour Ítre vaine, les salua d'un air imposant et gracieux ŗ la fois. Sa physionomie ťtait sťrieuse sans annoncer l'abattement; il peut se faire que la jeune Saxonne eŻt une tristesse profonde, mais alors il est probable que l'incertitude oý elle ťtait sur le destin d'Ivanhoe n'y avait pas moins de part que la mort d'Athelstane son parent. Quant ŗ Cedric, dont l'esprit n'ťtait pas toujours bien clairvoyant, il crut lire cependant sur la figure de sa pupille un chagrin plus grand que sur celle de ses autres compagnes, et il jugea convenable d'en expliquer la cause aux deux ťtrangers, en leur disant que sa main avait ťtť promise au noble Athelstane. Il est probable qu'une pareille confidence n'augmenta point l'affliction de Wilfrid ŗ l'ťgard du deuil que cťlťbrait Cedric. Ayant ainsi introduit en forme ses hŰtes dans les divers appartemens oý l'on cťlťbrait les obsŤques d'Athelstane, Cedric les conduisit dans une salle destinťe, comme il le dťclara, aux personnes de distinction qui assisteraient ŗ ces funťrailles, et qui n'ayant eu que de lťgŤres liaisons avec le dťfunt, ne pouvaient naturellement manifester le mÍme regret que ses parens et ses amis. Il les assura qu'on ne leur laisserait manquer de rien, et il ťtait au moment de se retirer quand le chevalier noir le retint par la main. ęJe dťsire vous rappeler, noble thane, lui dit-il, que lorsque nous nous sťpar‚mes derniŤrement, vous me promÓtes de m'accorder une faveur en reconnaissance du service que j'avais eu l'avantage de vous rendre.Ľ--ęIl est accordť d'avance, noble chevalier, dit Cedric, quoique dans un moment si triste...Ľ--ęJ'y ai de mÍme pensť, dit le roi; mais le temps presse, et l'occasion ne me semble pas si mal choisie qu'on pourrait le croire....; car en fermant la tombe du noble Athelstane, nous devrions y dťposer certains prťjugťs et de certaines opinions.Ľ--ęSire chevalier du cadenas, rťpondit Cedric le visage colorť de honte, et en interrompant le monarque ŗ son tour, je me flatte que le don que vous avez ŗ rťclamer de moi vous regarde, et personne autre; car en ce qui concerne l'honneur de ma maison, il paraÓtrait peu convenable, selon moi, qu'un ťtranger s'en occup‚t.Ľ ęAussi ne veux-je m'en occuper, dit le roi avec douceur, qu'autant que vous me regarderez comme partie intťressťe. Jusqu'ici vous ne m'avez connu que sous le nom de chevalier noir ou du cadenas; reconnaissez maintenant en moi Richard Plantagenet.Ľ--ęRichard d'Anjou!Ľ s'ťcria Cedric en reculant et dans la plus grande surprise.--ęNon, noble Cedric, dit le roi, Richard d'Angleterre, dont le plus cher intťrÍt, le plus ardent dťsir, est de voir tous ses enfans unis ensemble et ne faisant qu'un seul peuple. Eh bien, noble thane, ton genou ne pliera-t-il point devant ton prince?Ľ--ęJamais il n'a flťchi devant le sang humain,Ľ rťpondit Cedric. ęEh bien! rťserve ton hommage, dit le monarque, jusqu'ŗ ce que j'aie prouvť que j'y ai des droits par la protection que j'accorderai aux Normands et aux Anglais.Ľ--ęPrince, rťpliqua Cedric, j'ai toujours rendu justice ŗ ta bravoure et ŗ ton mťrite. Je n'ignore pas non plus tes droits ŗ la couronne, comme descendant de Mathilde, niŤce d'Edgar Atheling, et fille de Malcolm d'…cosse. Mais Mathilde, quoique du sang royal saxon, n'ťtait pas hťritiŤre de la monarchie.Ľ ęJe ne veux pas discuter mon titre avec toi, noble thane, dit Richard; mais jette les yeux autour de toi, et dis-moi si tu en vois quelque autre qui puisse Ítre mis dans la balance avec le mien.Ľ--ęEt tes pas errans t'ont-ils donc conduit jusqu'ici, prince, pour me parler ainsi? dit Cedric. Me reprocher la ruine de ma race avant que la tombe se soit fermťe sur le dernier rejeton de la royautť saxonne.Ľ Sa figure s'animait ŗ mesure qu'il parlait. ęC'est un acte d'audace!... de tťmťritť!Ľ--ęNon, par la sainte croix! rťpliqua le roi, j'ai agi avec cette confiance franche qu'un homme brave peut mettre dans un autre, sans l'ombre la plus lťgŤre de danger.Ľ ęTu dis bien, sire roi, dit Cedric, car roi je te reconnais, et roi tu seras, en dťpit de ma faible opposition. Je n'ose employer le seul moyen que j'aurais de l'empÍcher, quoique tu m'aies donnť une forte tentation d'en faire usage, et que ce moyen soit ŗ ma portťe.Ľ ęParlons maintenant, dit le roi, du don que j'ai ŗ te demander, et que je ne te demanderai pas avec moins de confiance, quoique tu aies contestť la lťgitimitť de ma souverainetť. Je requiers de toi, comme homme qui gardes ta parole sous peine d'Ítre tenu pour un homme sans foi, parjure et _nidering_, de pardonner et rendre ton affection paternelle au brave chevalier Wilfrid d'Ivanhoe. Tu conviendras que j'ai un grand intťrÍt dans cette rťconciliation, celui du bonheur de mon ami, celui de mettre fin ŗ toute dissension entre mes fidŤles et loyaux sujets.Ľ ęEt c'est lŗ Wilfrid,Ľ dit Cedric en tendant la main ŗ son fils.--ęMon pŤre! mon pŤre! dit Ivanhoe en se jetant aux pieds de Cedric, accorde-moi ton pardon.Ľ ęTu l'as, mon fils, dit Cedric en le relevant. Le fils d'Hereward sait tenir sa parole, mÍme quand il l'a donnťe ŗ un Normand. Mais je voudrais te voir prendre les vÍtemens et le costume de tes ancÍtres anglais; point de manteaux courts, de bonnets bizarres, de plumes fantastiques, dans ma maison, oý je ne veux voir que la dťcence. Celui qui veut Ítre le fils de Cedric doit se montrer le descendant d'ancÍtres anglais. Tu voudrais me parler, ajouta-t-il en prenant un air grave, mais je devine le sujet. Lady Rowena doit porter le deuil pendant deux ans, comme si elle eŻt ťtť fiancťe ŗ l'ťpoux qui lui ťtait destinť. Tous nos ancÍtres saxons nous dťsavoueraient si nous songions ŗ une nouvelle union avant que la tombe de celui auquel elle devait donner sa main, de celui qui, par sa naissance et par ses aÔeux, ťtait le plus digne d'elle, soit irrťvocablement fermťe. L'ombre d'Athelstane lui-mÍme briserait son cercueil encore humide de son sang, et apparaÓtrait devant nous pour nous dťfendre de dťshonorer ainsi sa mťmoire.Ľ On eŻt dit que les derniŤres paroles de Cedric avaient conjurť un spectre; car ŗ peine les eut-il prononcťes que la porte s'ouvrit et qu'Athelstane, couvert des enveloppes d'un mort, se prťsenta devant eux, le visage pale, les yeux hagards et comme une ombre qui sort du tombeau. L'effet que cette apparition produisit sur les personnages prťsens fut ťpouvantable au delŗ de toute expression. Cedric recula jusqu'ŗ ce que le mur de l'appartement ne lui permÓt pas d'aller plus loin; et s'y appuyant, comme ne pouvant plus se soutenir, porta ses regards sur la figure de son ami, dont les yeux paraissaient fixes et la bouche incapable de se fermer. Ivanhoe faisait des signes de croix, rťcitait des priŤres en saxon, en latin, en franÁais, suivant que sa mťmoire les lui fournissait, pendant que Richard disait _Benedicite_, et jurait _Mort de ma vie!_ En mÍme temps on entendit un bruit horrible qui se faisait dans les appartemens infťrieurs de la maison. Les uns criaient: ęSaisissez ces traÓtres de moines;Ľ d'autres: ęJetez-les dans le cachot;Ľ d'autres enfin: ęPrťcipitez-les du haut des murailles.Ľ--ęAu nom de Dieu! dit Cedric s'adressant ŗ celui qui lui semblait Ítre le spectre de son ami mort, si tu es encore mortel, parle; si tu es une ame sťparťe de son corps, dis-moi pourquoi tu viens visiter de nouveau cette terre, et si je puis faire quelque chose pour ton repos. Vivant ou mort, noble Athelstane, parle ŗ Cedric.Ľ ęJe parlerai, dit le spectre d'un ton calme, lorsque j'aurai repris haleine et que vous m'en donnerez le temps. Vivant, dis-tu? Je le suis autant que peut l'Ítre celui qui a ťtť nourri de pain et d'eau pendant trois jours, qui m'ont paru trois siŤcles. Oui, de pain et d'eau, pŤre Cedric. Par le ciel et par les saints qui s'y trouvent, meilleure nourriture n'a pas passť par mon gosier pendant trois grands jours, et c'est par un coup de la Providence que je suis ici pour vous le dire.Ľ--ęMais, noble Athelstane, dit le chevalier noir, je vous ai vu moi-mÍme renversť par le farouche templier vers la fin de l'assaut donnť ŗ Torquilstone; et comme je l'ai cru et comme Wamba l'a rapportť, vous aviez eu la tÍte fendue jusqu'aux dents.Ľ ęVous avez mal cru, sire chevalier, dit Athelstane, et Wamba a menti. Mes dents sont en bon ordre, et je vous en donnerai la preuve tout ŗ l'heure en soupant. Toutefois ce n'est pas grace au templier, dont l'ťpťe tourna dans sa main de maniŤre que je ne fus frappť que du plat. Si j'avais eu mon casque d'acier sur la tÍte, je n'y aurais pas plus fait attention qu'ŗ une paille, et je lui aurais appliquť une riposte qui lui aurait Űtť tout espoir d'effectuer sa retraite. Mais enfin je fus renversť, ťtourdi ŗ la vťritť, mais non blessť. D'autres, tant de l'un que de l'autre parti, furent renversťs et tuťs sur moi, en sorte que je ne repris mes sens que lorsque je me trouvai dans un cercueil qui, fort heureusement pour moi, ťtait ouvert, placť devant l'autel de l'ťglise de Saint-Edmond. J'ťternuai plusieurs fois, je soupirai, je gťmis, je m'ťveillai, et j'ťtais au moment de me lever, lorsque le sacristain et l'abbť, tout pleins de terreur, accoururent au bruit, surpris sans doute, mais nullement satisfaits, de voir vivant un homme dont ils avaient espťrť Ítre eux-mÍmes les hťritiers. Je demandai du vin: on m'en donna; mais il avait sans doute ťtť fortement droguť, car je m'endormis encore plus profondťment qu'auparavant, et je ne me rťveillai qu'au bout de plusieurs heures. Mes bras ťtaient ťtendus et enveloppťs, mes pieds si fortement liťs, que les chevilles m'en font mal seulement d'y penser; le lieu complťtement noir, les oubliettes, je m'imagine, de ce maudit couvent, et, comme me le fit conjecturer l'odeur cadavťreuse, humide, ťtouffante, un caveau, un lieu de sťpulture. Je me faisais dťjŗ d'ťtranges idťes sur ce qui venait de m'arriver, lorsque la porte de mon affreux donjon tourna en criant sur ses gonds, et je vis entrer deux scťlťrats de moines. Ne voulaient-ils pas me persuader que j'ťtais en purgatoire? Mais je connaissais trop bien la voix poussive, la respiration courte, du pŤre abbť. Saint Jťrťmie! quelle diffťrence de ce ton ŗ celui avec lequel il me demandait une autre tranche de venaison! Ce chien-lŗ a fait bombance avec moi depuis NoŽl jusqu'aux Rois.Ľ ęPatience, noble Athelstane, dit le roi, reprenez haleine; racontez votre histoire ŗ loisir; sur mon honneur, le rťcit de cette histoire est aussi intťressant que la lecture d'un roman.Ľ--ęC'est possible, dit Athelstane, mais, par la croix de Bromeholm, il ne s'agit pas ici de roman. Un pain d'orge et une cruche d'eau, voilŗ tout ce qu'ils m'ont donnť, ces vilains scťlťrats que mon pŤre et que moi-mÍme avons enrichis, dans un temps oý ils n'avaient pour toute ressource que les tranches de lard et les mesures de grain que, par leurs cajoleries, ils ont obtenues de pauvres et misťrables serfs en ťchange de leurs priŤres. Repaire inf‚me de sales, ingrates, abominables vipŤres! un pain d'orge et une cruche d'eau pour moi, pour un bienfaiteur tel que moi! Mais je les enfermerai dans leur taniŤre, dussť-je Ítre excommuniť.Ľ--ęMais, au nom de la sainte Vierge, noble Athelstane, dit Cedric, saisissant la main de son ami, comment es-tu ťchappť ŗ ce pťril imminent? Leurs coeurs se sont-ils laissť toucher?Ľ ęToucher! rťpťta Athelstane; le soleil peut-il fondre les rochers? J'y serais encore sans un mouvement dans le couvent, occasionnť, ŗ ce que je vois, par la procession des moines qui venaient pour assister au repas des funťrailles, tandis qu'ils savaient fort bien oý et comment ils m'avaient enterrť tout vivant. J'entendis le chant rauque de leurs psaumes, ne me doutant guŤre qu'ils ťtaient occupťs ŗ prier pour le repos de l'ame de celui qu'ils faisaient mourir de faim. Ils partirent cependant, et j'attendis long-temps un renouvellement de nourriture, ce qui n'ťtait pas fort ťtonnant parce que le goutteux sacristain s'occupait plus de sa cuisine que de la mienne. Il arriva enfin d'un pas chancelant, et exhalant autour de sa personne une forte odeur de vin et d'ťpices. La bonne chŤre avait attendri son coeur, car, au lieu de ma prťcťdente provision, il me laissa une tranche de p‚tť et un flacon de vin. Je mangeai, je bus et me sentis fortifiť; et pour surcroÓt de bonheur, le sacristain, trop vieux pour remplir convenablement les devoirs de sa place, ferma la porte ŗ clef, ŗ la vťritť, mais de maniŤre que le pÍne resta en dehors de la gache, et que la porte resta entr'ouverte. La lumiŤre, la nourriture, le vin, stimulŤrent mon invention. L'anneau auquel mes chaÓnes ťtaient attachťes ťtait plus rouillť que le scťlťrat d'abbť ni moi-mÍme n'avions supposť, car le fer mÍme ne pouvait rťsister ŗ l'action de l'humiditť dans ce donjon infernal.Ľ ęReprends haleine, noble Athelstane, dit Richard, et goŻte quelques rafraÓchissemens avant de continuer ta narration.Ľ--ęRafraÓchissemens? dit Athelstane, j'en ai pris cinq fois aujourd'hui, et nťanmoins une tranche de cet appťtissant jambon ne ferait pas de mal ŗ votre affaire. Voulez-vous bien, beau sire, me faire raison d'un coup de vin?Ľ Les convives, bien que plongťs encore dans le plus grand ťtonnement, burent ŗ la santť de leur ami ressuscitť, qui continua son rťcit. Ses auditeurs ťtaient maintenant plus nombreux que lorsqu'il avait commencť; car …dith, qui avait donnť quelques ordres nťcessaires pour arranger le ch‚teau, avait suivi le mort-vivant jusqu'ŗ l'appartement destinť aux ťtrangers, suivi du nombre de personnes, tant hommes que femmes, que la chambre avait pu contenir; tandis que d'autres, se pressant en foule sur l'escalier, recevaient une ťdition fautive de l'histoire, et la transmettaient encore plus inexactement ŗ ceux qui ťtaient plus bas, lesquels la faisaient passer ŗ la foule qui se trouvait au dehors, de maniŤre ŗ rendre le fait rťellement mťconnaissable. Athelstane reprit ainsi le fil de sa narration: ęVoyant que ma chaÓne ne tenait plus ŗ l'anneau, je me traÓnai au haut de l'escalier aussi bien que le peut un homme chargť de fers et affaibli par le jeŻne; et aprŤs avoir marchť long-temps ŗ t‚tons, le chant d'un gai couplet dirigea mes pas jusque dans un appartement oý le digne sacristain, sauf respect, ťtait occupť ŗ dire la messe du diable avec un gros frŤre en froc et en capuchon, un drŰle ŗ larges ťpaules, qui avait plutŰt l'air d'un voleur que d'un homme d'ťglise. Je me prťcipitai au milieu d'eux; et le linceul qui me couvrait, et le bruit que faisaient mes chaÓnes en s'entrechoquant, me firent paraÓtre plutŰt comme un habitant de l'autre monde que de celui-ci. Tous les deux restŤrent pťtrifiťs: mais lorsque j'eus renversť le sacristain d'un coup de poing, son compagnon m'allongea un coup d'un ťnorme b‚ton.Ľ ęJe parierais la ranÁon d'un comte, dit Richard, que c'ťtait notre frŤre Truck.Ľ--ęQu'il soit le diable s'il veut, dit Athelstane; toujours est-il que fort heureusement il manqua son coup, et que, lorsque je m'approchai pour lutter avec lui, il s'enfuit ŗ toutes jambes. Je ne perdis pas de temps ŗ dťbarrasser les miennes au moyen de la clef du cadenas que je trouvai parmi celles du trousseau du sacristain; j'avais mÍme quelque envie de lui casser la tÍte avec le paquet de clefs; mais le souvenir de la tranche de p‚tť et du flacon de vin que le drŰle m'avait donnťs dans mon cachot vint attendrir mon coeur, et, me contentant de lui allonger deux bons coups de pied, je le laissai ťtendu sur le plancher. Je mangeai un morceau de viande et bus quelques verres de vin faisant partie du rťgal que les deux vťnťrables frŤres avaient prťparť. J'allai ŗ l'ťcurie oý je trouvai, dans un endroit sťparť, un de mes meilleurs palefrois destinť probablement ŗ l'usage particulier du pŤre abbť. Je suis venu ici de toute la vitesse de mon cheval, hommes et femmes fuyant devant moi partout oý je passais, me prenant pour un spectre, d'autant plus que, pour ne pas Ítre reconnu, j'avais fait retomber le linceul sur mon visage. Je n'aurais mÍme pu entrer dans mon propre ch‚teau, si l'on ne m'eŻt pris pour le pierrot d'un jongleur, qui amuse la foule dans la cour du ch‚teau, ŗ l'occasion des funťrailles de son seigneur. Le concierge a sans doute cru, d'aprŤs mon costume, que je devais jouer un rŰle dans la farce du joueur de gobelets, et il m'a laissť entrer. Je n'ai fait que me dťcouvrir ŗ ma mŤre, manger un morceau ŗ la h‚te, et je suis venu vous chercher, mon noble ami.Ľ ęEt vous m'avez trouvť, dit Cedric, prÍt ŗ reprendre notre noble projet de recouvrer l'honneur et la libertť. Je te dis que jamais jour plus favorable que celui de demain ne se lŤvera pour dťlivrer la race saxonne.Ľ--ęNe me parle pas de dťlivrer qui que ce soit, dit Athelstane; c'est bien assez que je me sois dťlivrť moi-mÍme. Ce qui m'occupe davantage, c'est de punir ce scťlťrat d'abbť. Je veux le faire pendre au haut du ch‚teau de Coningsburgh avec sa chape et son ťtole; et si l'escalier est trop ťtroit pour laisser passer son ťnorme panse, je le ferai hisser au moyen d'une corde et d'une poulie.Ľ--ęMais, mon fils, dit …dith, considŤre son sacrť caractŤre.Ľ ęConsidťrez mes trois jours de jeŻne, rťpliqua Athelstane. Je veux qu'ils pťrissent tous, pas un d'exceptť. Front-de-Boeuf a ťtť brŻlť vif pour un moindre sujet. Du moins, il tenait bonne table pour ses prisonniers; seulement il y avait trop d'ail dans le dernier plat de potage. Mais ces hypocrites, ingrats coquins, flatteurs parasites, qui sont venus si souvent s'asseoir ŗ ma table sans y Ítre invitťs, qui ne m'ont donnť ni potage, ni ail! par l'ame d'Hengist, ils pťriront.Ľ ęMais le pape, mon noble ami, dit Cedric...Ľ--ęMais le diable, mon noble ami, rťpondit Athelstane... Ils mourront, et il n'en sera plus question. Quand ils seraient les meilleurs de la terre, le monde ira tout aussi bien sans eux.Ľ--ęFi! noble Athelstane, dit Cedric; oublie ces misťrables dans un moment oý une carriŤre de gloire s'ouvre devant toi. Dis ŗ ce prince normand, Richard d'Anjou, que tout Coeur-de-Lion qu'il est, il ne montera pas sur le trŰne d'Alfred, sans qu'il lui soit disputť, tant qu'il existera un descendant m‚le du saint confesseur.Ľ ęQuoi! s'ťcria Athelstane, est-ce lŗ le noble roi Richard?Ľ--ęC'est Richard Plantagenet lui-mÍme, dit Cedric; nťanmoins je n'ai pas besoin de te rappeler qu'ťtant venu ici de sa libre volontť, tu ne peux lui faire aucun mal, ni le retenir prisonnier. Tu sais fort bien quel est ton devoir envers lui comme son hŰte.Ľ ęOui, par ma foi, dit Athelstane, et mon devoir comme son sujet en outre; car me voici prÍt ŗ lui rendre foi et hommage, de mon coeur et de ma main.Ľ--ęMon fils, dit …dith, songe ŗ tes droits.Ľ--ęSonge ŗ la libertť de l'Angleterre, prince dťgťnťrť, dit Cedric.Ľ--ęMa mŤre, mon ami, dit Athelstane, trŤve, je vous prie, de reprťsentations. Du pain et de l'eau, et un donjon, sont une puissance merveilleusement efficace pour modifier l'ambition, et je sors du tombeau plus sage que je n'y ťtais descendu. La moitiť de ces vaines folies m'ťtaient soufflťes ŗ l'oreille par le perfide abbť Wolfram, et vous pouvez juger maintenant si c'ťtait lŗ un conseiller bien digne de confiance. Depuis que tous ces complots ont ťtť mis en agitation, je n'ai eu que marches prťcipitťes, indigestions, coups, meurtrissures, emprisonnement et famine; outre que tout cela ne peut s'effectuer que par le massacre de plusieurs milliers de gens qui n'en peuvent mais, et qui sans cela auraient ťtť fort tranquilles. Je vous dis que je veux Ítre roi seulement dans mes propres domaines, et que mon premier acte de souverainetť sera de faire pendre l'abbť.Ľ ęEt ma pupille Rowena, dit Cedric, j'espŤre que vous n'avez pas l'intention de l'abandonner?Ľ--ęPŤre Cedric, dit Athelstane, soyez raisonnable. Lady Rowena ne veut pas de moi; elle aime le petit doigt du gant de mon cousin Wilfrid plus que ma personne tout entiŤre: la voilŗ prÍte ŗ en convenir. Ne rougis pas, ma belle parente; il n'y a pas de honte ŗ prťfťrer un chevalier qui a ses entrťes ŗ la cour, ŗ un franklin qui habite les champs. Ah! il ne faut pas rire non plus, Rowena; car, Dieu sait, un costume de mort et un visage amaigri ne sont pas des objets propres ŗ inspirer la gaÓtť. Au surplus, si tu veux absolument rire, je vais t'en fournir un meilleur sujet. Donne-moi ta main, ou plutŰt prÍte-la-moi, car je ne te la demande qu'ŗ titre d'amitiť. Tiens, cousin Wilfrid d'Ivanhoe, je renonce et j'abjure en ta faveur... Eh bien! par saint Dunstan, notre cousin Wilfrid s'est ťclipsť. Et cependant, ŗ moins que mes yeux ne m'aient fait illusion par suite du long jeŻne que j'ai souffert, je l'ai vu lŗ il n'y a qu'un moment.Ľ Tous les regards se portŤrent autour de l'appartement; on demanda des nouvelles d'Ivanhoe: il avait disparu. On apprit qu'un juif ťtait venu le demander, et qu'aprŤs un court entretien il avait demandť Gurth et ses armes, et avait quittť le ch‚teau. ęBelle cousine, dit Athelstane en s'adressant ŗ Rowena, si je pouvais penser que cette disparition subite d'Ivanhoe ne fŻt pas occasionnťe par les motifs les plus puissans, je reprendrais...Ľ Mais il n'avait pas plus tŰt l‚chť la main de Rowena, en voyant qu'Ivanhoe avait disparu, que la belle lady, qui trouvait sa situation fort embarrassante, avait profitť de cette occasion pour sortir de l'appartement. ęSŻrement, dit Athelstane, de tous les Ítres qui vivent, les femmes sont ceux ŗ qui on doive le moins se fier, exceptť toutefois les abbťs et les moines. Je veux Ítre un infidŤle, si je ne m'attendais pas ŗ un remerciement de sa part, peut-Ítre mÍme ŗ un baiser par dessus le marchť. Ces maudits vÍtemens de mort sont sŻrement ensorcelťs; tout le monde me fuit. C'est donc ŗ vous que je m'adresse, noble roi Richard, pour vous offrir de nouveau foi et hommage que, comme fidŤle sujet...Ľ Mais le roi Richard aussi avait disparu, et personne ne savait oý il ťtait allť. ņ la fin, on apprit qu'il ťtait descendu en toute h‚te dans la cour, qu'il avait fait venir le juif qui avait parlť ŗ Ivanhoe, et qu'aprŤs un moment d'entretien il avait donnť l'ordre de monter tout de suite ŗ cheval, avait sautť lui-mÍme sur le sien, forcť le juif ŗ en prendre un autre, et ťtait parti d'un train qui faisait dire ŗ Wamba qu'il ne donnerait pas un sou de la peau du vieux juif. ęPar tout ce qu'il y a de plus saint! dit Athelstane, il n'est pas possible de douter que Zernebock ne se soit emparť de mon ch‚teau pendant mon absence. Je reviens enveloppť d'un linceul, gage de la victoire que j'ai remportťe sur mon tombeau, et tous ceux ŗ qui je m'adresse disparaissent au seul son de ma voix. Mais tout ce que je dirais ne servirait de rien. Allons, mes amis, tous ceux qui sont restťs autour de moi, veuillez me suivre ŗ la salle de banquet, de crainte qu'il n'y ait encore quelque disparition. J'espŤre que nous trouverons encore le buffet assez bien garni pour cťlťbrer les obsŤques d'un noble saxon, et ne restons pas plus long-temps ici; car, qui sait si le diable ne viendrait pas aussi nous enlever notre souper?Ľ CHAPITRE XLIII. ęPuissent les crimes de Mowbray peser tellement sur son coeur, que le dos de son coursier fougueux soit rompu, brisť, cassť, et jeter le cavalier, tÍte la premiŤre, sur l'arŤne, comme un l‚che poltron.Ľ SHAKSPEARE. _Richard II._ TRANSPORTONS NOUS maintenant ŗ l'extťrieur du ch‚teau ou de la commanderie de Templestowe, vers l'heure ŗ laquelle le sort, ou dť sanglant devait Ítre jetť, pour dťcider de la vie ou de la mort de Rťbecca. Tout ťtait en ťmoi, tout ťtait en mouvement. On eŻt dit que toutes les campagnes environnantes ťtaient demeurťes dťsertes, et que leurs habitans s'ťtaient rendus ŗ quelque fÍte de village, ou ŗ quelque repas champÍtre. Mais le plaisir inhumain de contempler le sang et la mort n'est nullement particulier ŗ ces siŤcles d'ignorance, bien que dans les combats de gladiateurs, dans les duels, dans les tournois, on fŻt habituť au spectacle barbare de chevaliers renversťs les uns par les autres. De mÍme, de nos jours, oý la science des moeurs est plus rťpandue et mieux comprise, l'exťcution d'un criminel, un assaut entre deux boxeurs, un tumulte, une assemblťe de rťformateurs radicaux, attire, non sans un extrÍme danger de leur part, une foule immense de spectateurs qui n'ont absolument d'autre intťrÍt dans l'ťvťnement que celui de savoir quelle est la marche que l'on a adoptťe, et si les hťros du jour seront, comme le disent les tailleurs dans leurs insurrections, des pierres ŗ fusil ou des tas de fumier. Les regards de cette immense multitude assemblťe ťtaient dirigťs sur la porte de la commanderie de Templestowe, afin d'en voir sortir la procession, tandis qu'une foule encore plus nombreuse remplissait dťjŗ les alentours de la lice appartenant ŗ l'ťtablissement. Cet enclos avait ťtť fait sur un terrain adjacent ŗ la commanderie, qu'on avait soigneusement nivelť pour servir aux exercices militaires et aux combats chevaleresques des templiers. Le terrain, qui formait une sorte d'amphithť‚tre, ťtait entourť de palissades: et comme les chevaliers ťtaient bien aises d'avoir des spectateurs de leurs faits d'armes, ils y avaient fait construire des galeries et des banquettes pour la commoditť des spectateurs. Dans la circonstance actuelle on avait placť ŗ l'extrťmitť orientale un trŰne destinť au grand-maÓtre, avec des siťges ŗ l'entour pour les commandeurs et les chevaliers de l'ordre. Au dessus flottait l'ťtendard sacrť, appelť _le Baucťan_, qui ťtait l'enseigne de l'ordre, comme son nom ťtait le cri de ralliement. ņ l'autre extrťmitť de la lice s'ťlevait une pile de fagots, arrangťs autour du poteau, profondťment enfoncť dans la terre, de maniŤre ŗ laisser un espace pour que la victime destinťe ŗ Ítre consumťe pŻt entrer dans le cercle fatal, et Ítre attachťe au poteau avec les chaÓnes qui y ťtaient suspendues. ņ cŰtť de cet appareil de mort se tenaient debout quatre esclaves noirs, dont la couleur et les traits africains, alors peu connus en Angleterre, frappaient de terreur la populace, qui les regardait comme des esprits infernaux occupťs ŗ leurs exercices diaboliques. Ces quatre hommes restaient immobiles, exceptť que de temps en temps celui qui paraissait Ítre leur chef leur donnait l'ordre de changer, ou de dťplacer ce qui devait servir d'aliment ŗ la flamme du bŻcher. Ils ne regardaient point la multitude, et, dans le fait, ils semblaient ignorer qu'ils eussent des spectateurs, et ne penser ŗ autre chose qu'ŗ s'acquitter de leur devoir; et lorsqu'ils se parlaient les uns aux autres, et qu'ils ouvraient leurs grosses lŤvres, faisant voir leurs dents blanches, comme s'ils souriaient dťjŗ ŗ l'idťe de la tragťdie qui allait avoir lieu, les paysans ťpouvantťs pouvaient ŗ peine s'empÍcher de penser qu'ils ťtaient les esprits familiers avec lesquels la sorciŤre avait ťtť en commerce, et qui, attendu que le temps de la sociťtť ťtait expirť, se tenaient prÍts ŗ assister ŗ son ch‚timent. Ils se parlaient tout bas les uns aux autres, et se racontaient les prouesses que Satan avait faites dans ces temps de trouble et d'agitation, sans manquer, comme on peut bien se l'imaginer, de lui donner plus que son dŻ. ęN'avez-vous pas entendu dire, pŤre Dennet, dit un paysan ŗ un vieillard, que le diable a emportť le corps du thane saxon Athelstane de Coningsburgh?Ľ--ęOui, rťpondit le vieillard, mais aussi il a ťtť obligť de le rapporter, gr‚ce ŗ Dieu et ŗ saint Dunstan.Ľ ęComment cela?Ľ dit un jeune ťveillť vÍtu d'un pourpoint vert, brodť en or, et ayant derriŤre lui un garÁon robuste qui portait sa harpe et qui indiquait sa profession. Ce mťnestrel paraissait Ítre d'un rang au dessus du vulgaire; car, outre son vÍtement brodť, il avait ŗ son cou une chaÓne d'argent, ŗ laquelle ťtait suspendu le _wrest_, ou la clef dont il se servait pour accorder sa harpe. ņ son bras droit ťtait une plaque d'argent, sur laquelle, au lieu des armes ou de la devise de la famille ŗ laquelle il ťtait attachť, on lisait simplement le mot _Sherwood_ qui y ťtait gravť. ęQue voulez-vous dire?Ľ demanda-t-il en se mÍlant ŗ la conversation des paysans; ęje suis venu chercher ici un sujet de ballade, je serai charmť d'en trouver deux.Ľ ęC'est un fait bien avťrť, dit le vieillard, que quatre semaines aprŤs la mort d'Athelstane de Coningsburgh....Ľ--ęCela est impossible, dit le mťnestrel, car je l'ai vu bien en vie, ŗ l'assaut d'armes d'Ashby de la Zouche.Ľ--ęMort cependant il ťtait, dit le jeune paysan, et mÍme on en a fait la translation, car j'ai entendu les moines de Saint-Edmond chanter pour lui l'office des morts; et, en outre, il y a eu, comme de raison, un superbe banquet d'obsŤques, et fÍtes de funťrailles au ch‚teau de Coningsburgh, et je m'y serais rendu, sans Mabel Parkins, qui...Ľ ęHťlas! oui, dit le vieillard, Athelstane est mort, et c'est un grand malheur, car l'antique sang saxon...Ľ--ęMais votre histoire, mes amis, votre histoire?Ľ dit le mťnestrel d'un air d'impatience. ęOui, oui, raconte-nous cette histoire,Ľ dit un gros moine, appuyť sur une perche qui tenait le milieu entre un bourdon de pŤlerin et un gros b‚ton, et servait probablement, dans l'occasion, aux deux fins; ęvotre histoire, dit le moine joufflu, ne lambinez point; nous n'avons pas de temps ŗ perdre.Ľ ęEh bien donc, plaise ŗ votre rťvťrence, dit Dennet; un ivrogne de prÍtre vint rendre visite au sacristain de Saint-Edmond...Ľ--ęIl ne plaÓt pas ŗ ma rťvťrence, rťpondit l'homme d'ťglise, qu'il existe un animal tel qu'un prÍtre ivrogne, ou que, s'il en existait, un laÔque se permette d'en parler. Sois honnÍte, mon ami, et suppose que le saint homme ťtait absorbť dans ses mťditations, ce qui rend la tÍte lourde et les jambes chancelantes, comme si l'estomac ťtait surchargť de vin nouveau; je l'ai ťprouvť moi-mÍme.Ľ ęEh bien donc, reprit le pŤre Dennet, un saint homme vint rendre visite au sacristain de Saint-Edmond; une espŤce de prÍtre braconnier, qui tue la moitiť des daims qui sont volťs dans la forÍt, qui aime mieux le glouglou de la bouteille que le tintin de la cloche de l'office, et qui prťfŤre une tranche de jambon ŗ dix feuillets de son brťviaire; du reste un bon vivant, un joyeux convive, qui manie un b‚ton, tend un arc, et danse une ronde aussi bien que qui que ce soit dans l'Yorkshire.Ľ ęCette derniŤre phrase, Dennet, dit le mťnestrel, t'a sauvť une cŰte ou deux.Ľ--ęOh! je ne crains rien, dit Dennet; je suis vieux et un peu raide; mais, quand j'ai combattu ŗ Doncaster pour le bťlier et sa clochette...Ľ ęMais l'histoire, ton histoire, mon ami,Ľ rťpťta le mťnestrel.--ęEh bien! l'histoire, la voici, dit Dennet; c'est tout simplement qu'Athelstane de Coningsburgh a ťtť enterrť ŗ Saint-Edmond.Ľ--ęC'est un mensonge, et un gros mensonge, dit le moine, car je l'ai vu porter ŗ son ch‚teau de Coningsburgh.Ľ ęEh bien! racontez donc l'histoire vous-mÍme, dit Dennet, en se tournant d'un air de mauvaise humeur de se voir ainsi contrariť; et ce ne fut qu'avec beaucoup de peine que son camarade et le mťnestrel parvinrent ŗ lui faire reprendre le fil de son histoire. Ces deux frŤres sobres, puisque le rťvťrend pŤre veut absolument qu'ils le fussent, dit-il, avaient passť une bonne partie de la journťe ŗ boire de l'eau, du vin, que sais-je? quand tout ŗ coup ils entendirent un profond gťmissement, un grand bruit de chaÓnes, et le spectre d'Athelstane dans l'appartement en disant: ‘ vous, bergers infidŤles...Ľ ęC'est faux, dit le moine en l'interrompant, il n'a rien dit.Ľ--ęOh, oh! frŤre Truck, dit le mťnestrel en tirant le moine ŗ part, vous venez de lancer un autre liŤvre, ŗ ce que je vois.Ľ--ęJe dis, Allan-a-dale, reprit l'ermite, que j'ai vu Athelstane de Coningsburgh aussi distinctement que les yeux d'un mortel peuvent voir un homme vivant. Il ťtait couvert de son linceul, et exhalait une odeur de sťpulcre. Un tonneau de vin des Canaries ne l'effacerait pas de ma mťmoire.Ľ ęBah! dit le mťnestrel, c'est pour te moquer de moi que tu me dis cela.Ľ--ęDis que je suis un menteur, rťpliqua le moine, s'il n'est pas vrai que je lui ai portť un coup avec mon b‚ton, qui aurait suffi pour terrasser un boeuf, et que le b‚ton a passť ŗ travers son corps comme si c'eŻt ťtť une colonne de fumťe.Ľ--ęPar saint Hubert! dit le mťnestrel, voilŗ une histoire bien ťtonnante, et bien propre ŗ Ítre mise en ballade sur l'air ancien de: _Quel chagrin pour un vieux moine!_Ľ ęRiez, si vous voulez, dit frŤre Truck; mais si jamais tu m'attrapes ŗ chanter une pareille ballade, je consens qu'un nouveau spectre ou le diable m'emporte avec lui, tÍte premiŤre. Non, non, je pris tout de suite la rťsolution d'assister ŗ quelque bonne oeuvre, comme de voir brŻler une sorciŤre, ou un combat de jugement de Dieu, ou quelque autre acte mťritoire. Tandis qu'ils s'entretenaient ainsi, la grosse cloche de l'ťglise de Saint-Michel de Templestowe, vťnťrable ťdifice, situť dans un hameau, ŗ quelque distance de la commanderie, vint mettre fin ŗ leurs discours. Ces sons lugubres parvenaient successivement ŗ l'oreille, ne laissant qu'un intervalle suffisant pour que celui que l'on venait d'entendre se perdÓt dans le lointain, avant qu'il fŻt remplacť par un autre. Ce signal solennel, qui annonÁait l'approche de la cťrťmonie, rťpandit la terreur dans toute l'assemblťe, et tous les yeux se tournŤrent vers la commanderie, s'attendant ŗ voir paraÓtre le grand-maÓtre, le champion et la criminelle. Enfin le pont-levis se baissa, les portes s'ouvrirent, et un chevalier, portant le grand ťtendard de l'ordre, sortit du ch‚teau, prťcťdť de six trompettes, et suivi des chevaliers commandeurs, marchant deux ŗ deux. Venait ensuite le grand-maÓtre, montť sur un superbe cheval, dont le harnais ťtait de la plus grande simplicitť. DerriŤre lui ťtait Brian de Bois-Guilbert, armť de pied en cap, mais nťanmoins sans lance, bouclier, ni ťpťe, que portaient deux ťcuyers qui le suivaient. Son visage, quoique ombragť en partie par une longue plume qui flottait sur son casque, annonÁait un coeur violemment agitť de diverses passions, parmi lesquelles on pouvait distinguer l'orgueil qui combattait contre l'irrťsolution. Il ťtait empreint d'une p‚leur extraordinaire comme un homme qui n'a pas dormi de plusieurs nuits. Nťanmoins il conduisait son coursier avec l'aisance et la gr‚ce ordinaire qui convenait ŗ la meilleure lance de l'ordre du Temple. Dans son ensemble il avait l'air imposant; mais, en l'examinant avec attention, on lisait sur ses traits farouches quelque chose qui faisait involontairement dťtourner les yeux. ņ ses cŰtťs ťtaient Conrad de Mont-Fichet et Albert de Malvoisin, qui faisaient les fonctions de parrains du champion. Ils ťtaient en costume de paix, portant les vÍtemens blancs de l'ordre. AprŤs eux venaient les autres chevaliers compagnons du Temple, avec une longue suite d'ťcuyers et de pages, vÍtus de noir, et qui aspiraient ŗ l'honneur de devenir un jour chevaliers de l'ordre. Enfin ces nťophytes ťtaient suivis d'une troupe de gardes portant la mÍme livrťe, et armťs de pertuisanes, au milieu desquelles on apercevait la malheureuse accusťe, p‚le, et marchant lentement, mais avec fermetť, vers le lieu oý devait se dťcider son destin. On l'avait dťpouillťe de tous ses ornemens, de peur qu'il ne s'y trouv‚t quelqu'une de ces amulettes que l'on supposait que Satan donnait ŗ ses victimes, pour les priver du pouvoir de faire des aveux, mÍme dans les douleurs de la torture. Une robe blanche, d'une ťtoffe grossiŤre, avait ťtť substituťe ŗ ses vÍtemens orientaux; mais il y avait dans tout son air un mťlange si exquis de courage et de rťsignation, que, mÍme sous cet habillement, et sans autre parure que ses longues tresses de cheveux noirs, chaque oeil qui la regardait se remplissait de larmes, et que le bigot le plus endurci dťplorait le sort qui avait changť une crťature aussi intťressante en un vase de perdition, un objet de courroux et un esclave du dťmon. Une foule de personnages appartenant ŗ la commanderie suivaient la victime, tous marchant dans le plus grand ordre, les bras croisťs sur la poitrine et les yeux fixťs sur la terre. Cette procession s'avanÁa lentement vers l'ťminence au sommet de laquelle ťtait le champ clos, et ťtant entrťe dans la lice, en fit le tour, de droite ŗ gauche, et aprŤs avoir complťtť le cercle, s'arrÍta. Il s'ťleva un tumulte momentanť, pendant que le grand-maÓtre descendait de cheval, ainsi que toute sa suite, ŗ l'exception du champion et de ses parrains. Les chevaux furent emmenťs hors de la lice par les ťcuyers qui ťtaient lŗ pour cet objet. L'infortunťe Rťbecca fut conduite au siťge noir qui ťtait placť prŤs du bŻcher. Au premier regard qu'elle jeta sur le lieu oý se faisaient les apprÍts effrayans d'une mort aussi ťpouvantable pour l'ame que douloureuse pour le corps, on la vit tressaillir et fermer les yeux, priant sans doute intťrieurement, car elle remuait les lŤvres, quoiqu'on n'entendÓt aucune parole. Au bout d'une minute elle ouvrit les yeux, les fixa sur le bŻcher, comme pour familiariser son esprit avec cet objet terrible, et ensuite tourna lentement la tÍte, naturellement et sans effort. Pendant ce temps-lŗ le grand-maÓtre s'ťtait assis sur son trŰne; et lorsque les chevaliers de l'ordre se furent placťs ŗ ses cotťs et derriŤre lui, chacun selon son rang, le son fort et prolongť des trompettes annonÁa que la sťance ťtait ouverte. Alors Malvoisin, comme parrain du champion, s'avanÁa et dťposa aux pieds du grand-maÓtre le gant de la juive, qui ťtait le gage du combat. ęValeureux seigneur, ťminentissime pŤre, dit-il, voici le brave chevalier Brian de Bois-Guilbert, commandeur de l'ordre du Temple, qui, en acceptant le gage du combat que je dťpose maintenant aux pieds de votre rťvťrence, a pris l'engagement de faire son devoir au combat, ce jour, afin de soutenir que cette fille juive, nommťe Rťbecca, a justement mťritť la sentence prononcťe contre elle, en chapitre du trŤs saint ordre du Temple de Sion, qui la condamne ŗ mourir comme sorciŤre; le voici, dis-je, prÍt ŗ combattre honorablement, et en vrai chevalier, si tel est le plaisir de votre noble rťvťrence.Ľ ęA-t-il fait serment, demanda le grand-maÓtre, que la querelle est juste et honorable? Faites apporter le crucifix et le _te igitur_.Ľ--ę…minentissime pŤre, rťpondit promptement Malvoisin, notre frŤre ici prťsent a dťjŗ affirmť la vťritť de son accusation entre les mains du brave chevalier Conrad de Mont-Fichet, et il ne doit pas Ítre autrement assermentť, attendu que son adversaire est une infidŤle, et que son serment ne saurait Ítre admis. Le grand maÓtre se contenta de cette explication, ŗ la grande satisfaction d'Albert; car le rusť chevalier avait prťvu la grande difficultť, ou plutŰt l'impossibilitť d'amener Brian de Bois-Guilbert ŗ prÍter un pareil serment devant cette assemblťe, et avait inventť cette excuse pour lui en ťviter le devoir. Le grand-maÓtre, aprŤs avoir admis l'excuse d'Albert Malvoisin, commanda au hťros de s'avancer et de se mettre en action. Les trompettes sonnŤrent de nouveau, et un hťraut s'ťtant avancť fit ŗ haute voix la proclamation suivante: Oyez! oyez! oyez! voici le brave chevalier Brian de Bois-Guilbert prÍt ŗ combattre tout chevalier de noble sang qui voudra soutenir la cause de la juive Rťbecca, et se charger du privilťge ŗ elle accordť de combattre par champion en lťgitime essoine de son corps; et ŗ tel champion le rťvťrend et valeureux grand-maÓtre ici prťsent assure le champ impartial, et ťgal partage de soleil et de vent, et tout ce qui autrement appartient ŗ juste combat.Ľ Les trompettes sonnŤrent de nouveau, et un profond silence rťgna pendant quelques minutes. ęAucun champion ne se prťsente pour l'appelante, dit le grand-maÓtre. Hťraut, va lui demander si elle attend quelqu'un pour combattre ŗ sa place dans cette cause.Ľ Le hťraut s'approcha de la sellette sur laquelle Rťbecca ťtait assise, et Bois-Guilbert tourna subitement la tÍte de son cheval vers cette partie de la lice, malgrť les observations de Malvoisin et de Mont-Fichet, et se trouva ŗ cŰtť de la juive Rťbecca en mÍme temps que le hťraut ęCeci est-il rťgulier et conforme aux lois du combat?Ľ demanda Malvoisin au grand-maÓtre.--ęOui, Albert de Malvoisin, rťpondit Beaumanoir, parce que dans l'appel au jugement de Dieu, nous ne devons pas empÍcher les parties d'avoir entre elles des communications qui peuvent tendre ŗ la manifestation de la vťritť.Ľ Cependant le hťraut s'adressant ŗ Rťbecca, lui dit: ęJeune fille, l'honorable et ťminentissime grand-maÓtre demande si tu es prťparťe ŗ fournir un champion qui veuille combattre en ce moment pour ta dťfense, ou si tu te reconnais justement condamnťe au sort que tu as mťritť.Ľ--ęDis au grand-maÓtre, rťpondit Rťbecca, que je maintiens mon innocence et que je ne me reconnais point justement condamnťe, ne voulant pas me rendre moi-mÍme coupable de ma mort. Dis-lui que je rťclame le dťlai que les lois lui permettent de m'accorder, pour voir si Dieu, qui accorde ŗ l'homme son secours ŗ la derniŤre extrťmitť, me suscitera un libťrateur; et lorsque le plus long dťlai sera passť, que sa volontť soit accomplie.Ľ Le hťraut se retira pour porter cette rťponse au grand-maÓtre. ęņ Dieu ne plaise, dit Lucas de Beaumanoir, que juif ou paÔen puisse nous accuser d'injustice. Jusqu'ŗ ce que les ombres passent de l'occident ŗ l'orient, nous attendrons pour voir s'il se prťsente un champion ŗ cette femme infortunťe. Lorsque le jour sera arrivť ŗ ce point, qu'elle se prťpare ŗ la mort.Ľ Le hťraut communiqua les paroles du grand-maÓtre ŗ Rťbecca, qui baissa la tÍte d'un air de soumission, croisa les bras sur sa poitrine, et levant les yeux au ciel, parut attendre d'en haut le secours qu'elle ne pouvait guŤre se promettre de la part des hommes. Pendant cette pause solennelle, la voix de Bois-Guilbert vint frapper son oreille; ce n'ťtait qu'un murmure, et cependant il la fit tressaillir plus que n'avait paru le faire ce que le hťraut lui avait dit. ęRťbecca, dit le templier, m'entends-tu?Ľ--ęJe n'ai rien de commun avec toi, homme dur et cruel, rťpondit l'infortunťe.Ľ--ęOui, mais tu comprends mes paroles, dit le templier, car le son de ma voix m'ťpouvante moi-mÍme. Je sais ŗ peine sur quel terrain nous sommes et dans quel but on nous a amenťs ici. Cette lice, cette chaise, ce bŻcher! Oui, je sais ŗ quel dessein, et cependant cela me paraÓt comme une chose qui n'est pas rťelle; une vision effrayante qui abuse mes sens par des fantŰmes hideux, et ne peut convaincre ma raison.Ľ ęMon esprit et mes sens sont parfaitement libres, rťpondit Rťbecca, et me disent ťgalement que ce bŻcher est destinť ŗ consumer mon corps terrestre et ŗ m'ouvrir un douloureux mais court passage dans un monde meilleur.Ľ--ęSonges, Rťbecca, songes frivoles! rťpliqua le templier, vaines visions, que vos sadducťens, plus sages, rejettent eux-mÍmes. …coute-moi, Rťbecca, continua-t-il d'un ton animť; tu as une chance de sauver ta vie et ta libertť dont ces coquins et ce vieux scťlťrat ne se doutent nullement. Monte derriŤre moi sur mon coursier, sur Zamor, cet excellent cheval qui n'a jamais bronchť sous son cavalier. Je l'ai gagnť en combat singulier contre le sultan de Trťbisonde. Monte, te dis-je, derriŤre moi. En moins d'une heure nous serons ŗ l'abri de toute poursuite; un nouveau monde de plaisirs s'ouvre pour toi, pour moi une nouvelle carriŤre de gloire. Qu'ils prononcent contre moi une sentence que je mťprise, qu'ils effacent le nom de Bois-Guilbert de la liste de leurs esclaves monastiques, je laverai avec leur sang toutes les taches qu'ils oseront faire sur mon ťcusson.Ľ ęTentateur, dit Rťbecca, retire-toi! Quoiqu'ŗ ma derniŤre heure, tu ne pourrais me faire bouger de l'ťpaisseur d'un cheveu de ce siťge fatal. Entourťe comme je le suis d'ennemis, je te regarde comme le plus cruel et le plus fťroce. Retire-toi, au nom de Dieu!Ľ Albert Malvoisin, impatient et alarmť de la durťe de cette confťrence, s'approcha alors pour l'interrompre. ęL'accusťe a-t-elle avouť son crime? demanda-t-il ŗ Bois-Guilbert, ou est-elle rťsolue ŗ le nier?Ľ--ęElle est vťritablement rťsolue, rťpondit Bois-Guilbert.Ľ--ęEn ce cas, dit Malvoisin, il faut, mon noble frŤre, que tu reprennes ta place pour attendre le rťsultat. Les ombres tournent sur le cercle du cadran. Viens, brave Bois-Guilbert, viens, espoir de notre ordre, et bientŰt son chef.Ľ En parlant ainsi d'un ton doux et flatteur, il porta la main ŗ la bride du cheval du templier comme pour le ramener ŗ son poste. ęVilain scťlťrat, s'ťcria Bois-Guilbert d'un ton furieux, comment oses-tu porter la main sur les rÍnes de mon cheval?Ľ ForÁant son compagnon ŗ l‚cher prise, il retourna ŗ l'autre extrťmitť de la lice. ęIl y a encore de la chaleur en lui, dit Malvoisin ŗ part ŗ Mont-Fichet, si elle ťtait bien dirigťe; mais c'est comme le feu grťgeois qui brŻle tout ce qu'il touche.Ľ Les juges ťtaient depuis deux heures dans l'attente, mais en vain, qu'un champion se prťsent‚t. ęEt on a raison, dit le frŤre Truck, considťrant que c'est une juive. Et nťanmoins, par mon ordre! il est dur de voir pťrir une aussi jeune et aussi belle crťature sans qu'il y ait un seul coup de donnť pour sa dťfense. FŻt-elle dix fois sorciŤre, si elle ťtait un peu chrťtienne, mon b‚ton sonnerait douze heures sur le casque d'acier de ce fťroce templier lŗ-bas avant qu'il remport‚t ainsi la victoire.Ľ Cependant l'opinion gťnťrale ťtait que personne ne pouvait ou ne voulait se prťsenter pour une juive accusťe de sorcellerie, et les chevaliers, excitťs par Malvoisin, se disaient tout bas les uns aux autres qu'il ťtait temps de dťclarer que le gage de Rťbecca n'avait pas ťtť relevť. En ce moment, on vit dans la plaine un chevalier accourant de toute la vitesse de son cheval et s'avanÁant vers la lice. L'air retentit des cris: Un champion! un champion! et, en dťpit des prťventions et des prťjugťs de la multitude, il fut accueilli par les acclamations unanimes en entrant dans la lice. Un second coup d'oeil nťanmoins parut dťtruire l'espoir que son heureuse arrivťe avait fait naÓtre. Son cheval, ťpuisť par une course vive et rapide de plusieurs milles, paraissait ne pouvoir se soutenir, et le cavalier, bien qu'il se prťsent‚t avec aviditť dans l'arŤne, soit faiblesse, soit fatigue, semblait ŗ peine avoir la force de se maintenir sur la selle. ņ la demande que lui fit le hťraut de son nom, de son rang et du but de son voyage, l'ťtranger rťpondit promptement et hardiment: ęJe suis bon chevalier et noble, et je viens soutenir, ŗ la lance et ŗ l'ťpťe, la juste cause de Rťbecca, fille d'Isaac d'York; je viens maintenir que la sentence prononcťe contre elle est fausse et dťnuťe de vťritť, et dťfier le sire Brian de Bois-Guilbert comme traÓtre, meurtrier et menteur; et je le prouverai dans ce champ clos, avec mon corps contre le sien, avec l'aide de Dieu, de Notre-Dame et de monseigneur saint Georges le bon chevalier.Ľ ęL'ťtranger doit, avant tout, prouver, dit Malvoisin, qu'il est bon chevalier et de noble lignage. Le Temple ne permet pas ŗ ses champions de combattre contre des hommes sans nom.Ľ--ęMalvoisin, dit le chevalier levant la visiŤre de son casque, mon nom est plus connu, mon lignage plus pur que le tien. Je suis Wilfrid d'Ivanhoe.Ľ--ęJe ne combattrai point contre toi, s'ťcria Bois-Guilbert d'une voix sourde et altťrťe. Fais guťrir tes blessures, procure-toi un meilleur cheval, alors peut-Ítre daignerai-je consentir ŗ te ch‚tier et ŗ rabaisser ce ton de bravade dťplacť dans un jeune homme.Ľ ęQuoi donc! orgueilleux templier, as-tu oubliť que deux fois tu as ťtť renversť par cette lance? Souviens-toi du tournoi d'Acre; souviens-toi de la passe d'armes ŗ Ashby; souviens-toi du dťfi que tu me portas dans le ch‚teau de Rotherwood, et du gage de ta chaÓne d'or contre mon reliquaire que tu combattrais avec Wilfrid d'Ivanhoe, afin de recouvrer l'honneur que tu avais perdu. C'est par ce reliquaire et par la sainte relique qu'il contient, que je te proclamerai comme un l‚che dans toutes les cours de l'Europe et dans toutes les commanderies de ton ordre, si sans plus de dťlai tu ne combats contre moi.Ľ Bois-Guilbert se tourna avec un air d'irrťsolution vers Rťbecca, puis lanÁant ŗ Ivanhoe un regard farouche: ęChien de Saxon, s'ťcria-t-il, prends ta lance, et prťpare-toi ŗ recevoir la mort que tu t'es attirťe.Ľ--ęLe grand-maÓtre m'octroie-t-il le combat, demanda Ivanhoe.Ľ--ęJe ne puis refuser ce que vous avez rťclamť, dit le grand-maÓtre, pourvu que la jeune fille vous accepte pour son champion. Nťanmoins je dťsirerais bien que vous fussiez plus en ťtat de combattre. Tu as toujours ťtť ennemi de notre ordre, cependant je voudrais en agir honorablement avec toi.Ľ ęComme cela, comme je suis, et non autrement, dit Ivanhoe; c'est le jugement de Dieu; je mets en lui ma confiance. Rťbecca, dit-il en s'approchant de la sellette fatale, m'acceptes-tu pour ton champion?Ľ--ęOui, je t'accepte; oui, rťpondit-elle avec une ťmotion que la crainte de la mort n'avait pu produire en elle; je t'accepte comme le champion que Dieu m'a envoyť. Et cependant non, non; tes blessures ne sont pas guťries; ne combats point contre cet orgueilleux. Pourquoi voudrais-tu pťrir aussi?Ľ Mais Ivanhoe ťtait dťjŗ ŗ son poste, avait baissť la visiŤre de son casque et pris sa lance; Bois-Guilbert en fit autant; mais son ťcuyer remarqua, en fermant sa visiŤre, que son visage qui, malgrť les diverses ťmotions qui l'avaient agitť, avait ťtť pendant toute la journťe extrÍmement p‚le, s'ťtait subitement couvert d'une rougeur trŤs foncťe. Alors le hťraut, voyant chacun des champions ŗ sa place, ťleva la voix, et rťpťta trois fois: _Faites votre devoir, preux chevaliers!_ AprŤs le troisiŤme cri, il se retira de cŰtť, et proclama de nouveau qu'il ťtait dťfendu ŗ qui que ce pŻt Ítre, sous peine d'Ítre mis ŗ mort ŗ l'instant mÍme, d'oser, par un mot, par un cri, ou par un geste, apporter aucune sorte d'interruption ou de trouble dans ce champ impartial de bataille. Le grand-maÓtre, qui tenait dans sa main le gage du combat, le gant de Rťbecca, le jeta dans la lice, et donna le fatal signal en disant: _Laissez aller_. Les trompettes se firent entendre, et les chevaliers s'ťlancŤrent l'un contre l'autre au grand galop. Le cheval fatiguť d'Ivanhoe, et son cavalier non moins ťpuisť, ne purent, ainsi que tout le monde s'y ťtait attendu, rťsister au choc de la lance bien dirigťe et au vigoureux coursier de Bois-Guilbert. Mais quoique la lance d'Ivanhoe ne fÓt, en comparaison, que toucher le bouclier de Bois-Guilbert, ce fier champion, au grand ťtonnement de tout les spectateurs, chancela, vida les ťtriers et tomba sur l'arŤne. Ivanhoe, se dťgageant de son cheval, fut bientŰt relevť, et se h‚ta de chercher ŗ rťparer cet accident au moyen de son ťpťe: mais Bois-Guilbert ne se releva point. Wilfrid, lui posant un pied sur la poitrine et la pointe de son ťpťe sur la gorge, lui commanda de s'avouer vaincu s'il ne voulait recevoir le coup de la mort. Bois-Guilbert ne rťpondit point--ęNe le tuez pas, sire chevalier, s'ťcria le grand-maÓtre, sans confession ni absolution; ne tuez point l'ame et le corps: nous le reconnaissons vaincu.Ľ Il descendit dans l'arŤne, et ordonna qu'on dťtach‚t le casque du champion vaincu. Ses yeux ťtaient fermťs; son visage ťtait encore fortement colorť. Tandis qu'on le regardait avec ťtonnement, ses yeux se rouvrirent, mais ils ťtaient fixes et ternes. La couleur disparut, et fit place ŗ la p‚leur de la mort. Ce n'ťtait point la lance de son ennemi qui avait causť son trťpas: il pťrit victime de ses passions.--ęC'est vťritablement le jugement de Dieu, dit le grand-maÓtre en levant les yeux au ciel: _Fiat voluntas tua!_ CHAPITRE XLIV ET DERNIER. ęCela finit donc comme un conte de vieille femme?Ľ WEBSTER. Quand le premier moment de surprise fut passť, Wilfrid Ivanhoe demanda au grand-maÓtre, comme juge du champ-clos, s'il avait agi avec justice et honneur dans le combat.--ęTout a ťtť fait avec honneur et justice, rťpondit le grand-maÓtre. Je dťclare la jeune fille innocente et libre. Les armes et le corps du chevalier qui a perdu la vie sont au vainqueur.Ľ--ęJe ne veux pas le dťpouiller de son armure, dit le chevalier d'Ivanhoe, ni livrer ses restes ŗ l'infamie; il a combattu pour la chrťtientť; c'est le bras de Dieu et non une main terrestre qui aujourd'hui lui a fait mordre la poussiŤre: seulement, que ses obsŤques ne soient que celles d'un homme qui est mort pour une injuste cause. Quant ŗ cette jeune fille.....Ľ Il fut interrompu par le bruit occasionnť par des pieds de chevaux dont le nombre et la rapiditť faisaient trembler la terre devant eux, et ŗ la tÍte desquels le chevalier noir entra dans la lice: une troupe d'hommes d'armes le suivait, et chaque cavalier ťtait armť de pied en cap.--ęJe viens trop tard, dit-il, promenant ses regards autour de lui: ce Bois-Guilbert m'appartenait. …tait-ce ŗ toi, Ivanhoe, de te charger de cette aventure; ŗ toi, qui te tiens ŗ peine sur tes arÁons? Le ciel, Ű mon souverain! rťpliqua Ivanhoe, a frappť ce superbe; il eŻt ťtť trop honorť de mourir de votre main.Ľ--ęQue la paix soit avec lui! dit Richard en regardant le corps gisant sur le sable; c'ťtait un courtois chevalier, et comme un chevalier il est mort dans son armure. Mais le temps presse: Bohun, fais ton devoir!Ľ Un des chevaliers qui composait la suite du roi s'avanÁa, et, mettant la main sur l'ťpaule de Malvoisin: ęJe t'arrÍte, dit-il; tu es accusť de haute-trahison.Ľ Le grand-maÓtre jusqu'alors ťtait restť immobile d'ťtonnement ŗ l'aspect de cette troupe de guerriers; il se remit, et la parole lui revint: ęQui a l'audace de porter la main sur un chevalier du Temple de Sion, dans l'enceinte mÍme de sa propre commanderie, et en prťsence du grand-maÓtre? De quelle autoritť se permet-on un pareil outrage?Ľ--ęPar la mienne, rťpliqua le chevalier; c'est moi qui l'arrÍte, moi Henri Bohun, comte d'Essex, lord haut constable d'Angleterre.Ľ--ęEt il arrÍte Malvoisin, dit le roi levant sa visiŤre, par l'ordre de Richard Plantagenet, ici prťsent. Conrad Mont-Fichet, il est heureux pour toi de n'Ítre point nť mon sujet; pour toi, Malvoisin, attends-toi de mourir avec ton frŤre Philippe avant que le monde soit plus vieux d'une semaine[26].Ľ--ęJe rťsisterai ŗ ta sentence, dit le grand-maÓtre.Ľ--ęOrgueilleux templier, dit le roi, tu ne le peux; lŤve les yeux et regarde le royal ťtendard qui flotte sur les tours au lieu de la banniŤre de ton ordre. De la prudence, Beaumanoir; ne fais point une vaine rťsistance. Ta main est dans la gueule du lion.Ľ--ęJ'en appellerai ŗ Rome, dit le grand-maÓtre, contre cette usurpation des immunitťs et des privilťges de notre ordre.Ľ--ęSoit, rťpondit le roi; mais, pour l'amour de toi, je te conseille de ne me plus parler d'usurpation. Dissous ton chapitre; va-t'en avec tes compagnons, et cherche quelque commanderie, si c'est possible d'en trouver une qui ne soit pas un rťceptacle de traÓtres et de conspirateurs contre le roi d'Angleterre, ŗ moins que tu ne prťfŤres rester pour jouir de notre hospitalitť et admirer notre justice.Ľ--ę tre un hŰte dans une maison oý je devrais commander, rťpliqua le templier, jamais! Chapelains, entonnez le psaume: _Quare fremuerunt gentes!_... Chevaliers, ťcuyers, milice du Temple saint, tenez-vous prÍts ŗ suivre la banniŤre du Baucťan!Ľ Note 26: Il me semble que M. Defauconpret n'a pas bien rendu cette phrase si caractťristique, en lui substituant l'expression commune ęavant que huit jours soient ťcoulťs.Ľ A. M. Le grand-maÓtre prononÁa ces mots avec autant de dignitť qu'en eŻt mis le roi d'Angleterre lui-mÍme, et inspira du courage ŗ ses compagnons ťtonnťs et stupťfaits. Ils se pressŤrent autour de lui comme des moutons autour du chien qui les garde, lorsqu'ils entendent hurler un loup; mais ils ťtaient loin d'en avoir la timiditť: leurs sourcils froncťs marquaient l'indignation, et au dťfaut de leur langue qu'ils enchaÓnaient, leurs yeux lanÁaient la menace: ils sortirent tous ensemble de la lice et formŤrent un front terrible hťrissť de lances. Les manteaux blancs des chevaliers s'y faisaient remarquer parmi leurs partisans vÍtus d'habits d'une sombre couleur, comme la frange colorťe et brillante d'un nuage obscur[27]. La multitude qui avait poussť des clameurs de rťprobation, devint calme et silencieuse ŗ l'aspect de ce corps formidable et vaillant, et se retira ŗ une certaine distance en arriŤre devant leur ligne imposante. Note 27: Cette belle comparaison est omise dans la traduction de M. Defauconpret. A. M. DŤs que le comte d'Essex vit leur contenance et leur phalange serrťe, il piqua son cheval de bataille, et courut ŗ toute bride se mettre ŗ la tÍte de sa troupe pour faire front ŗ cette masse formidable. Richard, comme s'il ťtait fier du danger que provoquait sa prťsence, s'avanÁa seul, et galopant sur la ligne des templiers, il criait ŗ voix haute: ęSires chevaliers, parmi tant de braves que vous Ítes, s'en trouve-t-il un qui veuille rompre une lance avec Richard? Milice du Temple saint, vos dames ont le teint bien h‚lť, s'il n'en est point une seule qui soit digne d'une lance brisťe en son honneur.Ľ ęLes frŤres du Temple saint, dit le grand-maÓtre poussant son cheval en avant, ne combattent point pour une cause si futile et si profane; Richard d'Angleterre ne trouvera pas un templier qui, en ma prťsence, croisera sa lance avec la sienne. Le pape et les princes de l'Europe seront les juges de notre querelle, et c'est ŗ eux seuls que nous nous en remettrons, pour savoir si un prince chrťtien a bien agi en s'attachant ŗ la cause que tu viens d'embrasser. Ne nous attaque point, et nous sommes prÍts ŗ nous retirer sans vous attaquer. Nous laissons ŗ ton honneur le soin des armes et des biens de notre ordre, que nous abandonnons, et ŗ ta conscience le scandale et l'injure dont la chrťtientť t'est redevable aujourd'hui.Ľ ņ ces mots, et sans attendre de rťponse, le grand-maÓtre donna le signal du dťpart. Les trompettes sonnŤrent une marche orientale, d'un caractŤre sauvage, dont se servaient ordinairement les templiers en campagne. Ils rompirent la ligne, puis se formŤrent en colonne; ils partirent ŗ pas lents et serrťs, autant qu'il ťtait possible aux chevaux, comme pour montrer que, s'ils se retiraient, c'ťtait pour obťir ŗ l'ordre de leur grand-maÓtre, et non par crainte. ęPar l'ťclat du front de Notre-Dame! dit le roi Richard, c'est dommage que ces templiers ne soient pas si sŻrs qu'ils sont vaillans et disciplinťs.Ľ La foule, comme un roquet timide qui attend pour aboyer que l'objet de sa frayeur ait disparu, poursuivit de ses clameurs les templiers qui s'ťloignaient. Durant le tumulte qui accompagna leur retraite, Rťbecca ne vit et n'entendit rien, dans les bras de son vieux pŤre qui la serrait contre son sein, privťe de ses sens, ťgarťe, et n'ťtant point encore sŻre du changement de scŤne qui venait d'avoir lieu; mais un mot d'Isaac la rendit bientŰt ŗ elle. ęAllons, dit-il, ma chŤre fille, trťsor que je viens de recouvrer, allons nous jeter aux pieds du bon jeune homme.Ľ--ęNon, repartit Rťbecca, non, non, non; je n'oserais lui parler en ce moment. Hťlas! je lui dirais peut-Ítre plus que... Non, mon pŤre, fuyons sur l'heure ce lieu dangereux.Ľ--ęQuoi! ma fille, dit Isaac, quitter si brusquement celui qui, la lance ŗ la main, et le bouclier au bras, a volť comme le brave des braves ŗ ta dťlivrance, ne faisant nul cas de la vie, toi la fille d'un peuple ťtranger! C'est un service digne d'une reconnaissance ťternelle.Ľ ęC'est, c'est... une reconnaissance ťternelle... sans bornes, une reconnaissance.... Il recevra mes remerciemens au delŗ... mais pas ŗ prťsent... Par l'amour de ta bien-aimťe[28] Rachel, mon pŤre, rends-toi ŗ ma priŤre... pas ŗ prťsent.Ľ--ęMais, dit Isaac en insistant, on dira que des chiens sont plus reconnaissans que nous.Ľ--ęNe voyez-vous donc pas, mon bien-aimť pŤre, qu'il est ŗ cette heure avec le roi Richard, et que...Ľ--ęCela est vrai, bonne et prudente Rťbecca, partons d'ici! partons d'ici!... Il manquera d'argent, car il arrive de Palestine, et mÍme, comme on le dit, de prison, et il ne manquera pas de prťtexte pour m'en arracher, ne serait-ce que mon simple trafic avec son frŤre Jean. Allons-nous-en, ma fille, allons-nous-en.Ľ Note 28: Image charmante et biblique omise par M. Defauconpret. L'aimable Rachel jetťe dans le fond de ce tableau y produit le plus doux effet. Rachel en hťbreu signifie, si je ne me trompe, _brebis de Dieu_. D'oý vient que ce traducteur trouble pour ainsi dire la paix de cette tendre priŤre de Rťbecca par cette phrase parasite, un anathŤme: _Que le dieu de Jacob me punisse s'il ne la possŤde pas tout entiŤre!_ A. M. Et ŗ son tour, pressant sa fille de sortir, il s'en alla avec elle; et comme il l'avait dťjŗ prťvu, il la conduisit dans la maison du rabbin Nathan. Les ťvťnemens de la journťe, dont la juive n'avait point rempli la moindre partie, avaient ŗ peine attirť l'attention de la populace, qui ne s'aperÁut point de son dťpart, tout occupťe qu'elle ťtait du chevalier noir. La foule remplissait les airs de ces cris: ęVive Richard Coeur-de-Lion! Mort aux templiers usurpateurs!Ľ ęMalgrť toute cette apparence de loyautť, dit Ivanhoe au comte d'Essex, le roi a fort bien fait de prendre ses prťcautions en gardant auprŤs de lui ta personne, et en s'entourant de tes fidŤles compagnons.Ľ Le comte sourit et secoua la tÍte. ęBrave Ivanhoe, toi qui connais si bien notre maÓtre, dit-il, penses-tu que ce soit lui qui ait pris cette prťcaution? Je marchais sur York, ayant eu connaissance que le prince Jean y avait rassemblť le gros de ses partisans, lorsque je rencontrai le roi Richard qui, de mÍme qu'un vťritable chevalier errant, arrivait au galop pour terminer l'aventure du templier et de la juive, et cela par la seule force de son bras; et je l'accompagnai avec ma troupe, bien qu'il ne le voulŻt pas.Ľ ęEt qu'y a-t-il de nouveau ŗ York, brave comte? dit Ivanhoe. Les rebelles s'attendent-ils ŗ nous y voir?Ľ--ęPas plus que la neige de dťcembre n'attend le soleil de juillet, dit le comte; ils sont dispersťs; et qui pensez-vous qui nous apporta cette nouvelle? ce fut Jean lui-mÍme.Ľ--ęLe traÓtre! l'ingrat! l'insolent traÓtre! dit Ivanhoe; Richard n'a-t-il pas donnť des ordres pour qu'on l'arrÍte?Ľ--ęIl l'a reÁu, rťpondit le comte, comme s'il l'eŻt rencontrť aprŤs une partie de chasse; mais remarquant les regards d'indignation que nous attachions sur le prince: ęTu vois, mon frŤre, dit-il, que j'ai avec moi des hommes exaspťrťs. Tu feras bien d'aller trouver notre mŤre, de lui porter les tťmoignages de ma respectueuse affection, et de rester auprŤs d'elle jusqu'ŗ ce que les esprits soient un peu pacifiťs.Ľ--ęEt c'est lŗ tout ce qu'il a dit? rťpliqua Ivanhoe. Ne dirait-on pas que ce prince appelle la trahison par sa clťmence?Ľ ęOui, sans doute, dit le comte, comme celui-lŗ appelle la mort, qui se prťsente au combat avec une blessure qui n'est pas encore guťrie.Ľ--ęFort bien rťpliquť, dit Ivanhoe; rappelez-vous cependant que ce n'est que ma vie que je hasardais, au lieu que Richard compromettait le bien-Ítre de ses sujets.Ľ ęCeux qui se montrent aussi insoucians ŗ l'ťgard de leurs propres intťrÍts, rťpondit d'Essex, font rarement attention ŗ ceux des autres. Mais h‚tons-nous de nous rendre au ch‚teau, car Richard se propose de punir quelques uns des agens subalternes de la conspiration, quoiqu'il ait pardonnť ŗ celui qui en ťtait le chef.Ľ D'aprŤs les procťdures qui eurent lieu ŗ cette occasion, et qui sont rapportťes tout au long dans le manuscrit de Wardour, il paraÓt que Maurice de Bracy passa la mer, et entra au service de Philippe de France. Quant ŗ Philippe de Malvoisin, et ŗ son frŤre Albert, ils furent exťcutťs, tandis que Waldemar Fitzurse, qui avait ťtť l'ame de la conspiration, n'encourut d'autre peine que celle du bannissement, et que le prince Jean, en faveur de qui elle avait ťtť organisťe, ne reÁut mÍme pas de reproches de la part de son frŤre. Au reste, personne ne plaignit les deux Malvoisin, qui subirent une mort qu'ils n'avaient que trop justement mťritťe par plusieurs actes de faussetť, de cruautť et d'oppression. Peu de temps aprŤs le combat judiciaire, le Saxon Cedric fut mandť ŗ la cour de Richard, qui la tenait alors ŗ York, dans la vue de rťtablir l'ordre au sein des comtťs oý il avait ťtť troublť par l'ambition de son frŤre. Cedric pesta et tempÍta plus d'une fois en recevant ce message; nťanmoins il ne refusa pas de se rendre. Au fait, le retour de Richard avait mis fin ŗ toutes les espťrances qu'il avait conÁues de rťtablir la dynastie saxonne sur le trŰne d'Angleterre; car quelque force qu'ils eussent pu parvenir ŗ organiser, en supposant qu'une guerre civile eŻt ťclatť, il ťtait ťvident qu'il n'y avait aucun heureux rťsultat ŗ espťrer dans un moment oý la couronne ne pouvait Ítre disputťe ŗ Richard, jouissant de la plus grande popularitť, tant par ses qualitťs personnelles que par ses exploits militaires, quoique les rÍnes de son gouvernement fussent tenues avec une insouciance et une lťgŤretť qui se rapprochaient tantŰt d'un excŤs d'indulgence, tantŰt d'un odieux despotisme. D'ailleurs il n'avait pu ťchapper ŗ l'observation de Cedric, quelque rťvoltante qu'elle lui parŻt, que son projet d'une union complŤte et absolue entre les individus qui composaient la nation saxonne, par le mariage de Rowena et d'Athelstane, ťtait maintenant devenue impossible ŗ cause du renoncement des deux parties intťressťes. D'ailleurs, c'ťtait lŗ un ťvťnement que, dans son zŤle ardent pour la cause saxonne, il n'avait ni prťvu ni pu prťvoir; et mÍme lorsque l'espŤce d'ťloignement de l'un pour l'autre se fut manifestť d'une maniŤre aussi claire, et pour ainsi dire aussi publique, il pouvait ŗ peine se figurer qu'il fŻt possible que deux personnes saxonnes de nation pussent ne pas sacrifier leurs sentimens personnels, et ne pas former une alliance aussi nťcessaire au bien gťnťral de la nation. Mais le fait n'en ťtait pas moins certain. Rowena avait toujours tťmoignť une sorte d'aversion pour Athelstane, et maintenant celui-ci ne s'ťtait pas expliquť moins positivement en dťclarant qu'il ne donnerait plus de suite ŗ la demande qu'il avait formťe de la main de Rowena. Ainsi l'obstination naturelle de Cedric cťda ŗ de pareils obstacles, et recula devant l'idťe d'avoir ŗ conduire ŗ l'autel, tenant l'un et l'autre de chaque main, deux Ítres qui ne se laissaient traÓner qu'avec la plus grande rťpugnance. Il fit nťanmoins une derniŤre et vigoureuse attaque contre Athelstane; mais il trouva ce rejeton ressuscitť de la royautť saxonne occupť, comme le sont de nos jours certains gentilshommes campagnards, ŗ une guerre furieuse et opini‚tre avec le clergť. Il paraÓt qu'aprŤs toutes les menaces contre l'abbaye de Saint-Edmond, l'esprit de vengeance d'Athelstane, cťdant partie ŗ son arrogance naturelle, partie aux priŤres de sa mŤre …dith, attachťe comme beaucoup d'autres dames de cette ťpoque ŗ l'ordre du clergť, avait bornť son ressentiment en faisant enfermer l'abbť et ses moines dans le ch‚teau de Coningsburgh[29], pour y Ítre soumis ŗ une diŤte rigoureuse pendant trois jours. L'abbť, qu'une telle atrocitť avait mis en fureur, menaÁa le noble Athelstane d'une excommunication, et il dressa une liste horrible des souffrances d'entrailles ou d'estomac qu'il avait endurťes lui et ses moines, par suite de l'emprisonnement tyrannique et injuste qu'ils avaient subi. Athelstane avait la tÍte si remplie des moyens de rťsister ŗ la persťcution monacale, que Cedric reconnut ne plus y trouver de place pour aucune autre idťe. Lorsque le nom de Rowena fut prononcť, l'ami de Cedric le pria de lui laisser vider une pleine coupe de vin ŗ la santť de la belle Saxonne et ŗ celle de celui qui devait Ítre bientŰt son ťpoux, c'est-ŗ-dire Ivanhoe. C'ťtait donc un cas dťsespťrť, il n'y avait plus rien ŗ faire d'Athelstane; ou, pour parler comme Wamba, en employant sa phrase saxonne arrivťe jusqu'ŗ nous, c'ťtait un coq qui ne voulait plus se battre. Note 29: Il n'est peut-Ítre pas inutile d'expliquer ŗ ceux de nos lecteurs qui ne le sauraient point, que le mot saxon _Coningsburgh_ veut dire _ch‚teau du roi_: ce qui rappelle le nom de Koenisberg, une des villes ou rťsidences royales de Prusse. _Templestowe_ signifie ťgalement _demeure du Temple_. A. M. Il ne restait plus, entre Cedric et la dťtermination que les deux amans avaient prise, qu'ŗ lever deux obstacles: d'abord, l'obstination du tuteur de la belle, et puis son inimitiť contre la race normande. Le premier sentiment s'affaiblissait par degrťs au moyen des caresses de sa pupille, et en songeant ŗ l'orgueil qu'il pouvait tirer de la renommťe de son fils; d'ailleurs, il n'ťtait pas insensible ŗ l'honneur d'allier son sang ŗ celui d'Alfred, lorsque la race d'…douard le confesseur abjurait pour jamais la couronne. L'aversion de Cedric contre la dynastie des rois normands diminuait aussi; d'abord en considťrant l'impossibilitť d'en dťlivrer l'Angleterre, sentiment qui donnait de la loyautť au sujet; ensuite par les ťgards personnels du roi Richard, qui, suivant le manuscrit de Wardour, flatta si bien l'humeur sauvage de Cedric, qu'avant que celui-ci eŻt passť une semaine ŗ sa cour, il avait donnť son consentement au mariage de sa pupille Rowena avec son fils Wilfrid d'Ivanhoe. L'union de notre hťros, ainsi approuvťe par son pŤre, fut cťlťbrťe dans le plus auguste des temples, la noble cathťdrale d'York. Le roi lui-mÍme y assista, et la bienveillance qu'il tťmoigna en cette occasion, ainsi que dans plusieurs autres, ŗ ses sujets saxons, jusqu'ici opprimťs, leur donna plus d'espoir d'Ítre traitťs moins sťvŤrement et de voir leurs droits enfin respectťs, sans Ítre de nouveau exposťs aux chances d'une guerre civile. Le clergť romain dťploya toutes ses pompes en cette mťmorable solennitť. Gurth demeura attachť en qualitť d'ťcuyer ŗ son jeune maÓtre, qu'il avait servi avec tant de fidťlitť; et le courageux Wamba, parť d'un nouveau bonnet de fou et d'une plus ample garniture de sonnettes d'argent, passa de mÍme au service d'Ivanhoe, avec le consentement du pŤre de ce dernier. Le gardeur de pourceaux et le jovial bouffon, ayant tous deux partagť les pťrils et l'adversitť de Wilfrid, demeurŤrent prŤs de lui pour aussi partager les avantages de sa prospťritť. Outre cette faveur accordťe aux gens de Cedric, on invita les Normands et les Saxons de haut parage ŗ la cťlťbration de cette brillante alliance; et, depuis cette ťpoque, les deux races se sont tellement mÍlťes et identifiťes, qu'il ne serait plus possible de les distinguer. Cedric vťcut assez long-temps pour voir cette fusion accomplie; car, ŗ mesure que les deux peuples se mirent davantage en rapport et formŤrent des liens de parentť, les Normands affaiblirent leur orgueil et les Saxons devinrent plus civilisťs. Ce ne fut nťanmoins que cent ans aprŤs, c'est-ŗ-dire sous le rŤgne d'…douard III, que la nouvelle langue, nommťe anglaise, fut parlťe ŗ la cour de Londres, et que toute distinction hostile de Normand et de Saxon disparut entiŤrement. Le surlendemain de cet heureux hymťnťe, lady Rowena fut informťe par sa suivante Elgitha, qu'une damoiselle demandait ŗ Ítre admise en sa prťsence, et dťsirait lui parler sans tťmoin. Rowena ťtonnťe, balanÁa d'abord; mais ensuite, emportťe par la curiositť, elle finit par ordonner que l'ťtrangŤre fŻt introduite, et que toutes les suivantes demeurassent ŗ l'ťcart un moment. La jeune personne entra: sa figure ťtait noble et imposante; un long voile blanc la couvrait sans la cacher, et relevait l'ťlťgance de sa parure, ainsi que la majestť de son maintien. Elle se prťsenta d'un air mÍlť de respect et d'une assurance rťservťe, sans paraÓtre chercher ŗ gagner la faveur de celle ŗ qui elle venait parler. Rowena, toujours disposťe ŗ accueillir les rťclamations et ŗ ťcouter les voeux des autres, se leva, et eŻt conduit la belle ťtrangŤre ŗ un siťge voisin, si un coup d'oeil jetť sur Elgitha, seule tťmoin jusqu'alors de la confťrence, n'eŻt invitť celle-ci, ŗ avancer le siťge, et puis ŗ se retirer; ce qui eut lieu sur-le-champ, bien qu'un peu ŗ regret. Ce fut alors que l'inconnue, ŗ la grande surprise de lady Rowena, flťchit un genou devant elle, baissa le front et le pressa de ses mains; puis, malgrť la rťsistance de la pupille de Cedric, lui baisa le pan de sa tunique ťblouissante. ęQue signifie cela, dit la nouvelle ťpouse, et pourquoi me rendez-vous l'objet d'un respect si ťtrange?Ľ--ęParce que c'est ŗ vous, digne compagne d'Ivanhoe, dit Rťbecca en se relevant, et reprenant la dignitť tranquille de ses maniŤres; parce que c'est ŗ vous que je puis, lťgalement et sans crainte de reproches, offrir le tribut de reconnaissance que je dois ŗ votre digne ťpoux. Je suis... oubliez la hardiesse avec laquelle je suis venue vous prťsenter l'hommage de mon pays... je suis une juive infortunťe pour qui le nouveau compagnon de votre destinťe a exposť sa vie en champ clos, ŗ Templestowe.Ľ ęDamoiselle, repartit Rowena, Wilfrid, en ce jour de glorieuse mťmoire, n'a fait que payer ŗ demi la dette que vos soins charitables l'avaient induit ŗ contracter lorsqu'il ťtait blessť et malheureux. Parlez, y a-t-il quelque chose en quoi lui et moi nous puissions vous servir?Ľ--ęRien, dit Rťbecca dans un calme enchanteur; ŗ moins qu'il ne vous plaise de lui transmettre mon adieu plein de reconnaissance.Ľ--ęVous quittez donc l'Angleterre,Ľ dit Rowena revenue ŗ peine de la surprise que lui avait causťe cette visite inattendue.--ęOui, noble dame, et avant que la lune change: mon pŤre a un frŤre puissant auprŤs de Mahomet-Boaldi, roi de Grenade; nous allons le retrouver, certains de vivre en paix et protťgťs, en payant le tribut que les Moslems exigent du peuple hťbreux.Ľ ęNe trouveriez-vous pas le mÍme appui en Angleterre? dit Rowena. Mon ťpoux possŤde la faveur du roi, et le roi lui-mÍme est juste et gťnťreux.Ľ--ęJe n'en doute point, noble dame, dit Rťbecca, mais le peuple en Angleterre est orgueilleux, querelleur, ami des troubles, et toujours prÍt ŗ plonger le glaive dans le coeur de son voisin. Ce n'est pas un lieu sŻr pour les enfans d'Abraham. EphraÔm est une colombe timide; Issachar, un serviteur trop accablť de travaux et de peines. Ce n'est point dans un pays de guerre et de sang, environnť d'ennemis et dťchirť par les factions intťrieures, qu'IsraŽl peut espťrer le repos, aprŤs avoir ťtť errant et dispersť depuis tant de siŤcles.Ľ--ęMais vous, jeune fille, dit Rowena, vous ne pouvez rien craindre. Celle qui a nourri le lit malade d'Ivanhoe[30], continua la princesse avec enthousiasme, n'a rien ŗ redouter en Angleterre, oý les Saxons et les Normands se disputeront le privilťge de l'honorer.Ľ Note 30: _She who nursed the sick bed of Ivanhoe_, est une si heureuse, quoique hardie, mťtaphore, que nous croyons devoir la hasarder dans notre langue. Nous ne pensons pas que M. Defauconpret l'ait rendue par cet ťquivalent: ęCelle qui donna des soins si touchans ŗ Ivanhoe.Ľ A. M. ęCe discours est beau, noble dame, et votre proposition plus belle encore. Mais je ne puis l'accepter; il existe entre nous un abÓme que nous ne saurions franchir: notre ťducation, notre foi, tout s'oppose ŗ ce qu'il soit comblť. Adieu, mais avant que je vous quitte accordez-moi une grace; levez ce voile, qui me dťrobe vos traits dont la renommťe parle si haut.Ľ--ęIls ne mťritent point d'arrÍter les regards, dit Rowena; mais espťrant la mÍme faveur de celle qui me visite, je me dťcouvrirai pour elle.Ľ Elle souleva effectivement son voile, et, soit par timiditť, soit par le sentiment intime de sa beautť, la jeune princesse rougit, et cette rougeur se manifesta ŗ la fois sur ses joues, son front, son cou et son sein virginal. Rťbecca rougit ťgalement, mais ce ne fut qu'un instant; et maÓtrisťe par de plus fortes ťmotions, cette sensation s'ťvanouit comme le nuage pourprť qui change de couleur quand le soleil descend sous l'horizon. ęNoble dame, dit-elle ŗ lady Rowena, les traits que vous avez daignť me montrer vont demeurer long-temps dans ma mťmoire. La douceur et la bontť y rŤgnent; et si une teinte de la fiertť ou des vanitťs mondaines peut s'allier avec une expression si aimable, comment pourrions-nous regretter que ce qui est de terre[31] conserve quelques traces de son origine? Long-temps, long-temps je me rappellerai vos traits, et je bťnis le ciel de laisser mon digne libťrateur uni ŗ....Ľ Elle s'arrÍta court, et ici ses yeux se remplirent de larmes: elle les essuya vite, et rťpondit ŗ la touchante question de Rowena qui lui demandait si elle se trouvait mal: ęNon, je me trouve bien, mais mon coeur se gonfle lorsque je songe ŗ Torquilstone, et au champ clos de Templestowe. Adieu; cependant il me reste une derniŤre priŤre ŗ vous faire: acceptez cette cassette, et ne dťdaignez pas ce qu'elle contient.Ľ La princesse ouvrit alors le petit coffre d'ivoire enrichi d'ornemens, et y trouva un collier et des boucles d'oreilles en diamans qui ťtaient d'une valeur inexprimable. Note 31: Le premier interprŤte met ici un ęvase de terre,Ľ au lieu de la forme terrestre de la femme. Nous croyons que c'est affaiblir l'idťe de l'original. A. M. ęIl est impossible, dit Rowena en voulant rendre la cassette, que j'accepte un prťsent d'un si grand prix.Ľ--ęConservez-le, noble dame, rťpondit Rťbecca; vous possťdez le pouvoir, la grace, le crťdit, l'influence; nous n'avons pour nous que la richesse, source de notre force et de notre faiblesse. La valeur de ces bagatelles multipliťe dix fois n'aurait pas le mÍme empire que le moindre de vos souhaits. Le prťsent est donc peu de chose pour vous et moins encore pour moi qui m'en vais. Permettez-moi de penser que vous ne partagez point les injustes prťjugťs de votre nation ŗ l'ťgard de mes coreligionnaires. Croyez-vous que je prise ces pierres brillantes plus que ma libertť, ou que mon pŤre les estime plus que la vie et l'honneur de sa fille? Acceptez-les, noble dame; elles n'ont aucune valeur pour moi, qui ne porterai plus de semblables joyaux.Ľ ęVous Ítes donc malheureuse, dit Rowena frappťe du ton avec lequel Rťbecca venait de prononcer ces derniŤres paroles. Oh! demeurez avec nous, les avis d'hommes pieux vous tireront de votre croyance et vous feront renoncer ŗ votre loi si funeste: alors je deviendrai une soeur pour vous.Ľ--ęNon, dit Rťbecca avec cette mťlancolie tranquille et douce qui rťgnait dans ses accens et sur ses traits angťliques: je ne saurais quitter la foi de mes pŤres, comme un vÍtement non appropriť au climat oý je veux habiter; cependant je ne serai pas malheureuse; celui ŗ qui je consacre dťsormais ma vie deviendra mon consolateur, si je remplis sa volontť.Ľ--ęVotre nation a-t-elle donc des couvens, et vous proposez-vous de vous y retirer?Ľ lui demanda Rowena.--ęNon, certes, noble dame, reprit la juive; mais parmi nous, depuis le temps d'Abraham jusqu'ŗ nos jours, nous avons eu de saintes femmes qui ont ťlevť toutes leurs pensťes vers le ciel, et se sont dťvouťes au soulagement de l'humanitť en soignant les malades, secourant les nťcessiteux et consolant les affligťs. Rťbecca ira se mÍler parmi elles; dites-le ŗ votre noble ťpoux, s'il lui arrive de s'enquťrir du sort de celle qui lui sauva la vie.Ľ On remarqua un tremblement involontaire dans la voix de Rťbecca, et une expression de tendresse qui en disait peut-Ítre plus qu'elle ne voulait en faire entendre. Elle se h‚ta de prendre congť de la princesse. ęAdieu, dit-elle: puisse le pŤre commun des juifs et des chrťtiens rťpandre sur vous ses plus saintes bťnťdictions: le navire qui nous attend lŤvera l'ancre avant que nous puissions gagner le port.Ľ Elle sortit de l'appartement, laissant la belle Saxonne ťtonnťe, comme si elle avait eu quelque vision, comme si une ombre avait passť devant ses yeux. Rowena fit part de ce singulier entretien ŗ son ťpoux, qui en garda une vive impression. Il vťcut long-temps heureux avec sa digne compagne, car ils ťtaient unis l'un ŗ l'autre par une tendre affection, qui s'augmenta encore avec leurs annťes, et prit une nouvelle force par le souvenir des obstacles qu'ils avaient eus ŗ surmonter. Cependant ce serait porter trop loin la curiositť, que de demander si le souvenir de la beautť et des gťnťreux soins de Rťbecca s'offrit plus frťquemment ŗ la pensťe d'Ivanhoe que la noble descendante d'Alfred ne l'aurait dťsirť. Wilfrid se distingua au service de Richard, et fut comblť des faveurs du monarque. Il se serait probablement encore ťlevť plus haut sans la mort prťmaturťe de l'hťroÔque monarque devant le ch‚teau de Chaluz prŤs de Limoges. Avec ce prince gťnťreux, mais tťmťraire et romanesque, s'ťvanouirent tous les projets que son ambition avait conÁus; et on peut lui appliquer, avec un lťger changement, ce que Johnson a dit de Charles XII: Son sort fut d'aller se faire tuer par une main vulgaire au pied d'une petite forteresse en pays ťtranger; il laissa un nom qui fit trembler le monde, pour ne servir qu'ŗ donner une haute leÁon de morale, ou bien ŗ figurer dans un roman. FIN. * * * * * IMPRIMERIE ET FONDERIE DE RIGNOUX, RUE DES FRANCS-BOURGEOIS-S.-MICHEL, Nį 8. End of the Project Gutenberg EBook of Ivanhoe (4/4), by Walter Scott *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK IVANHOE (4/4) *** ***** This file should be named 34608-8.txt or 34608-8.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: http://www.gutenberg.org/3/4/6/0/34608/ Produced by Mireille Harmelin, Jean-Pierre Lhomme, Rťnald Lťvesque (HTML) and the Online Distributed Proofreaders Europe at http://dp.rastko.net. 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56,321 words • 938h 41m read

— End of Ivanhoe (4/4) - Le retour du croisé —

Book Information

Title
Ivanhoe (4/4) - Le retour du croisé
Author(s)
Scott, Walter
Language
French
Type
Text
Release Date
December 9, 2010
Word Count
56,321 words
Library of Congress Classification
PR
Bookshelves
FR Littérature, Browsing: Culture/Civilization/Society, Browsing: History - Medieval/The Middle Ages, Browsing: Literature, Browsing: Fiction
Rights
Public domain in the USA.