The Project Gutenberg EBook of Histoire d'une jeune fille sauvage trouvée
dans les bois à l'âge de dix ans, by Charles-Marie de La Condamine
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Title: Histoire d'une jeune fille sauvage trouvée dans les bois à l'âge de dix ans
Author: Charles-Marie de La Condamine
Release Date: November 28, 2006 [EBook #19956]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK HISTOIRE D'UNE JEUNE FILLE ***
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HISTOIRE
D'UNE
JEUNE FILLE
SAUVAGE,
Trouvée dans les Bois à l'âge de
dix ans.
Publiée par Madame H....T.
A PARIS.
M. DCC. LV.
AVERTISSEMENT.
Le Mercure de France du mois de Décembre 1731 fait mention d'une jeune
Fille sauvage trouvée dans le bois de Songi, près Châlons en Champagne.
Voici ce que j'ai pû recueillir de plus certain sur son Histoire, tant
par les questions que je lui ai faites en différens tems que par le
témoignage des personnes qui l'ont connue quand elle commença à parler
François.
HISTOIRE
D'UNE
JEUNE FILLE
SAUVAGE.
Au mois de Septembre 1731, une fille de neuf ou dix ans pressée par la
soif, entra sur la brune dans le Village de Songi, situé à quatre ou
cinq lieues de Châlons en Champagne, du côté du midi. Elle avoit les
pieds nuds, le corps couvert de haillons & de peaux, les cheveux sous
une calotte de calebasse, le visage & les mains noirs comme une
Négresse. Elle étoit armée d'un bâton court & gros par le bout en forme
de massue. Les premiers qui l'apperçurent s'enfuirent en criant, _voilà
le Diable_; en effet, son ajustement & sa couleur pouvoient bien donner
cette idée à des Païsans. Ce fut à qui fermeroit le plus vîte sa porte &
ses fenêtres. Mais quelqu'un croyant apparemment que le Diable avoit
peur des chiens, lâcha sur elle un dogue armé d'un collier à pointes de
fer; la Sauvage le voyant approcher en fureur l'attendit de pied ferme,
tenant sa petite masse d'armes à deux mains, en la posture de ceux, qui
pour donner plus d'étendue aux coups de leur coignée, la lèvent de côté,
& voyant le chien à sa portée, elle lui déchargea un si terrible coup
sur la tête qu'elle l'étendit mort à ses pieds. Toute joyeuse de sa
victoire elle se mit à sauter plusieurs fois par dessus le corps du
chien.[1] De-là elle essaya d'ouvrir une porte, & n'ayant pu y réussir,
elle regagna la campagne du côté de la rivière, & monta sur un arbre où
elle s'endormit tranquillement.
[1] Quelques personnes qui ont connu la jeune Sauvage peu de tems
après son apparition content diversement l'avanture du chien.
Quelques uns la placent à Châlons peu après sa prise; mais du moins,
il est certain d'ailleurs que cet enfant n'avoit point peur d'un
gros chien, & qu'elle a fait plusieurs fois ses preuves à cet égard.
Feu M. le Vicomte d'Epinoy étoit pour lors à son château de Songi, où
ayant appris ce que les uns & les autres disoient de cette petite
Sauvage, entrée sur ses terres, il donna ses ordres pour la faire
arrêter, & surtout, au Berger qui l'avoit vu le premier dans une vigne.
Parmi les personnes qui étoient en cette campagne, quelqu'un par une
conjecture fort simple, mais dont on fit honneur à sa grande
connoissance des moeurs & coutumes des Sauvages, devina qu'elle avoit
soif, & conseilla de faire porter un seau plein d'eau, au pied de
l'arbre où elle étoit, pour l'engager à descendre. Après qu'on se fut
retiré, en veillant néanmoins toujours sur elle, & qu'elle eût bien
regardé de tous côtés si elle n'appercevoit personne, elle descendit &
vint boire au seau, en y plongeant le menton, mais quelque chose lui
ayant donné de sa défiance, elle fut plutôt remontée au haut de l'arbre
qu'on ne put arriver à elle pour la saisir. Ce premier stratagême
n'ayant pas réussi, la personne qui avoit donné le premier conseil, dit
qu'il falloit poster aux environs une femme & quelques enfans, parce
qu'ordinairement les Sauvages ne les fuyoient pas comme les hommes, &
surtout qu'il falloit lui montrer un air & un visage riant. On le fit:
une femme portant un enfant dans ses bras, vint se promener aux environs
de l'arbre, ayant ses mains pleines de différentes racines & de deux
poissons, les montrant à la Sauvage, qui tentée de les avoir, descendoit
quelques branches & puis remontoit; la femme continuant toujours ses
invitations avec un visage gay & affable, lui faisant tous les signes
possibles d'amitié, tels que de se frapper la poitrine, comme pour
l'assurer qu'elle l'aimoit bien & qu'elle ne lui feroit point de mal,
donna enfin à la Sauvage la confiance de descendre pour avoir les
poissons & les racines qui lui étoient présentées de si bonne grace;
mais, la femme s'éloignant insensiblement donna le tems à ceux qui
étoient cachés de se saisir de la jeune fille pour l'emmener au château
de Songi. Elle ne m'a rien dit de sa douleur de se voir prise, ni des
efforts qu'elle fit sans doute pour s'échaper; mais on peut bien en
juger; ce qu'elle se rappelle, c'est qu'il lui paroît qu'elle fut prise
deux ou trois jours après avoir passé la rivière. Cette rivière est sans
doute la Marne, qui passe à une demi lieue de Songi vers le Levant:
ainsi la petite Sauvage venoit du côté de la Lorraine.
Le Berger & autres qui l'avoient arrêtée & menée au Château, la firent
d'abord entrer dans la cuisine, en attendant qu'on eût averti M.
d'Epinoy. La première chose qui parut y fixer les regards & l'attention
de la petite fille, furent quelques volailles qu'accommodoit un
Cuisinier; elle se jetta dessus avec tant d'agilité & d'avidité, que cet
homme lui vit plûtôt la pièce entre les dents, qu'il ne la lui avoit vû
prendre. Le Maître étant survenu, & voyant ce qu'elle mangeoit, lui fit
donner un lapin en peau, qu'elle écorcha & mangea tout de suite. Ceux
qui l'examinèrent alors, jugèrent qu'elle pouvoit avoir 9 ans. Elle
étoit noire, comme j'ai dit; mais on s'apperçut bien-tôt, après l'avoir
lavée plusieurs fois, qu'elle étoit naturellement blanche, ainsi qu'elle
l'est encore aujourd'hui. On remarqua aussi qu'elle avoit les doigts des
mains, surtout les pouces, extrêmement gros par proportion au reste de
la main, qui est assez bien faite. Elle m'a fait voir qu'encore
actuellement elle a aux pouces quelque chose de cette grosseur, & elle a
ajouté, que ces pouces plus gros & plus forts lui étoient bien
nécessaires pendant sa vie errante dans les bois, parce que lorsqu'elle
étoit sur un arbre, & qu'elle en vouloit changer sans descendre, pour
peu que les branches de l'arbre voisin approchassent du sien, ne
fussent-elles pas plus grosses que le bout du doigt, elle appuyoit ses
deux pouces sur une branche de celui où elle étoit, & s'élançoit sur
l'autre comme un écureuil. De-là on peut juger quelle force & quelle
roideur devoient avoir ses pouces pour soutenir ainsi son corps en
s'élançant. Cette comparaison est d'elle, & pourroit bien venir de
l'idée des écureuils volans qu'elle a pû voir dans sa jeunesse[2]: ce
qui donne un nouveau poids aux conjectures que nous ferons sur le païs
où elle est née.
[2] Voyez ci-après _les Extraits de la Hontan_, Nº. 6.
M. d'Epinoy la laissa sous la garde du Berger, dont la maison tenoit au
Château, en la lui recommandant comme une chose qui lui tenoit à coeur,
& du soin de laquelle il seroit bien payé. Cet homme la mena donc chez
lui pour commencer à l'aprivoiser: de-là vint qu'on l'appelloit dans le
canton _la bête du Berger_. On peut bien juger qu'on ne l'aura pas
si-tôt dèsaccoûtumée, ni sans mauvais traitemens, des inclinations d'un
naturel sauvage & féroce, & des habitudes qu'elle avoit contractées. Au
moins ai-je bien compris qu'elle ne jouissoit pas de sa liberté dans
cette maison, puis qu'elle m'a dit qu'elle trouvoit moyen de faire des
trous aux murailles & aux toits, sur lesquels elle couroit aussi
hardiment que sur terre, ne se laissant reprendre qu'à grand peine, &
passant (à ce qu'on lui a rapporté) avec tant de subtilité par des
ouvertures si petites, que la chose paroissoit encore impossible après
l'avoir vûe. Ce fut ainsi qu'elle échappa une fois entr'autres de cette
maison par un temps affreux de neige & de verglas; elle gagna les
dehors, & fut se réfugier sur un arbre. La crainte des reproches & de la
colère du Maître, mit cette nuit tout le monde en mouvement; on la
chercha dans toute la maison, ne pouvant penser que par ce froid & la
gêlée qu'il faisoit, elle eût pû gagner la campagne: néanmoins y étant
allé voir comme par surabondance de recherche, on l'y trouva, comme je
viens de dire, perchée sur un arbre, dont heureusement on eut l'adresse
de la faire descendre.
J'ai vû quelque chose de l'agilité & de la légéreté de sa course; rien
n'est plus surprenant: elle m'en montra un reste, ce que l'on ne peut
guère se représenter sans l'avoir vû, tant sa façon de courir est
prompte & singulière; quoique de longues maladies & le défaut d'usage
depuis bien des années lui ayent fait perdre une partie de son agilité.
Ce ne sont point des enjambées, ses pas ne sont ni formés ni distincts
comme les nôtres; c'est une espece de _piétinement_ précipité qui
échappe à la vûe; c'est moins marcher que glisser, en tenant les pieds
l'un derrière l'autre. A peine il est possible de distinguer de
mouvement dans son corps & dans ses pieds, & encore moins de la suivre.
Ce petit essai qui ne fut rien, puisqu'il se fit dans une salle de peu
d'étendue, me persuada néanmoins de ce qu'elle m'avoit dit auparavant,
que même plusieurs années depuis sa prise, elle attrapoit encore le
gibier à la course, & qu'on en avoit fait voir la preuve à la Reine de
Pologne, mere de la Reine; probablement en 1737, lorsqu'elle alla
prendre possession du Duché de Lorraine. Cette Princesse passant à
Châlons, on lui parla de la jeune Sauvage qui étoit alors dans la
Communauté qu'on appelle des Régentes, & on la lui amena: elle étoit
aprivoisée depuis quelques années; mais son humeur, ses manières, & même
sa voix & sa parole, ne paroissoient être, à ce qu'elle assure, que
d'une petite fille de quatre à cinq ans. Le son de sa voix étoit aigu &
perçant quoique petit, ses paroles brèves & embarassées, telles que d'un
enfant qui ne sçait pas encore les termes pour exprimer ce qu'il veut
dire: enfin ses gestes & façons d'agir familières & enfantines,
montroient qu'elle ne distinguoit encore que ceux qui lui faisoient le
plus de caresses. La Reine de Pologne l'en accabla; & sur ce qu'on lui
apprit de sa légéreté à la course, cette Princesse voulut qu'elle
l'accompagnât à la chasse. Là se voyant en liberté, & se livrant à son
naturel, la jeune Fille suivoit à la course les lièvres ou lapins qui se
levoient, les attrapoit & revenoit du même pas, les apporter à la Reine.
Cette Princesse témoigna quelque désir de l'emmener avec elle pour la
placer dans un Couvent à Nancy; mais elle en fut detournée par les
personnes qui avoient soin de son instruction dans le Couvent de
Châlons, où feu Mgr. le Duc d'Orleans payoit alors Sa pension. La Reine
de Pologne se contenta de promettre d'écrire en sa faveur à la Reine de
France sa fille, en lui envoyant une plante à plusieurs branches de
fleurs artificielles que lui avoit présenté la jeune Sauvage, qui avoit
déja acquis le talent qu'elle a cultivé depuis, d'imiter le naturel dans
ces sortes d'ouvrages. Elle a fait dans la Reine de Pologne une perte
dont les bontés de la Reine sa fille peuvent seules la dédommager. Je
reviens au temps voisin de sa prise, & au commencement de son éducation;
mais avant que de passer outre, il faut dire ce qu'on a pû savoir de
certain de ses avantures avant son apparition dans le Village de Songi.
Mademoiselle le Blanc (c'est le nom qu'elle porte aujourd'hui) se
ressouvient très-distinctement d'avoir passé une rivière deux ou trois
jours avant sa prise, & l'on verra bientôt que c'est un des faits le
plus constant de son Histoire. Elle avoit alors une compagne un peu plus
âgée qu'elle & noire comme elle, soit que ce fût la couleur naturelle de
cette autre enfant, soit qu'elle eut été peinte comme la petite le
Blanc. Elles passoient la rivière à la nage & plongeoient pour attraper
du poisson, comme je l'expliquerai plus au long, lorsqu'un Gentil-homme
du voisinage appellé M. de S. Martin, ainsi que l'a su depuis
Mademoiselle le Blanc, ne voyant de loin que les deux têtes noires de
ces enfans aller & venir sur l'eau, les prit d'abord, comme il l'a conté
lui-même, pour deux poules d'eau, & leur tira de loin un coup de fusil,
qui heureusement ne les atteignit point, mais qui les fit plonger &
aborder plus loin.
La petite le Blanc tenoit pour sa part un poisson à chaque main & une
anguille entre ses dents. Après avoir éventré & lavé leur poisson, elle
& sa compagne le mangèrent, ou plutôt le devorèrent; car selon ce
qu'elle m'a représenté, elles ne mâchoient pas leur nourriture, mais la
portant à la bouche elles la déchiquetoient avec les dents de devant en
petits morceaux, qu'elles avaloient sans les mâcher. Leur repas fait,
elles prirent leur course dans les terres en s'éloignant de la rivière.
Peu de tems après, celle qui est devenue Mademoiselle le Blanc apperçut
la premiere à terre un chapelet, que quelque passant avoit sans doute
perdu. Soit que ce fut un objet nouveau pour elle, ou qu'elle se
rappellât d'en avoir vû de semblable, elle se mit à faire des sauts &
des cris de joie, & craignant que sa compagne ne s'emparât de ce petit
trésor, elle porta la main dessus pour le ramasser, ce qui lui attira un
si grand coup de masse sur la main qu'elle en perdit l'usage dans le
premier moment, mais non la force de rendre avec l'autre à sa compagne
un coup de son arme sur le front qui l'étendit par terre poussant des
cris horribles. Le chapelet fut le prix de sa victoire; elle s'en fit un
bracelet. Cependant, touchée apparemment de compassion pour sa camarade,
dont la plaie saignoit beaucoup, elle courut chercher quelques
grenouilles, en écorcha une, lui colla la peau sur le front pour en
arrêter le sang, & banda la plaie avec une laniere d'écorce d'arbre,
qu'elle arracha avec ses ongles; après quoi elles se séparèrent, la
blessée ayant pris son chemin vers la rivière, & la victorieuse vers
Songi.
On conçoit bien que tous ces détails ainsi que plusieurs de ceux qui
précédent & qui suivent, ou que je supprime, n'ont pû être rendus par
Mademoiselle le Blanc que depuis qu'elle a pû s'expliquer en François;
mais quant au fait principal du combat des deux petites filles, c'est un
des premiers dont on a été informé. On avoit vû deux enfans passer la
rivière à la nage, ainsi qu'on l'a rapporté plus haut, on ne put donc
manquer de demander au moins par signes à la petite le Blanc, aussi-tôt
après sa prise, & dans un tems où la mémoire du fait étoit bien récente,
ce qu'étoit devenue sa compagne? elle répondit par signes, sans doute, &
en répétant aussi les expressions que peut-être on lui suggéroit,
qu'elle _l'avoit fait rouge_, pour dire qu'elle avoit fait couler son
sang; expression qu'on a beaucoup répétée dans le tems, & dont il n'est
cependant fait aucune mention dans la Lettre imprimée dans le Mercure de
France[3], dattée de Châlons du 9 Décembre 1731, c'est-à-dire environ
deux mois après la prise de la jeune Sauvage, qui ne savoit encore, dit
l'Auteur de cette Lettre, _que quelques mots François mal articulés_,
dont il rapporte quelques-uns.
[3] Voyez cette Lettre ci-après, Nº. 2.
Je n'ai pû rien découvrir de certain touchant le sort de la compagne de
Mlle. le Blanc. M. de L.. ci-devant Gouverneur des enfans du Vicomte
d'Epinoy, rapporte, que lorsqu'il a connu cette dernière, deux ans après
sa prise, on disoit dans le païs qu'on avoit trouvé l'autre petite fille
morte à quelques lieues de l'endroit où elles s'étoient battues. Mlle.
le Blanc, sans dire qu'elle fût morte ou non, dit avoir appris qu'on
l'avoit trouvée aux environs de Toul en Lorraine. Il faudroit pour cela
que dangereusement blessée comme elle étoit, elle eût repassé la Marne à
la nage, ce qui n'est guères vraisemblable, non plus que ce que Mlle. le
Blanc croit avoir oui dire, qu'on avoit trouvé sur cette enfant, qui
étoit plus grande & plus âgée qu'elle, quelques papiers qui pouvoient
donner des éclaircissemens sur leurs avantures précédentes. La Lettre
déja citée, écrite dans un temps fort voisin de l'événement, dit
seulement, qu'on avoit revû la petite négresse auprès de _Cheppe_,
Village voisin de Songi, d'où elle avoit ensuite disparu. Quoiqu'il en
soit, on n'en a plus entendu parler depuis.
Il y a beaucoup plus d'obscurité encore sur ce qui a précédé l'arrivée
de ces deux enfans en Champagne, Mlle. le Blanc n'en conserve que des
souvenirs éloignés & confus. Je rapporterai cependant tout ce que j'ai
pû tirer d'elle par les différentes questions que je lui ai faites à
loisir & en différens tems, depuis que je la connois, & je tacherai d'en
tirer des conjectures vraisemblables sur le païs où elle est née, & sur
les avantures qui ont pû la conduire en Champagne. Revenons à la suite
de son histoire.
Les cris de gorge qui lui servoient de langage, ne furent pas, je pense,
le plus rare sujet des mauvais traitemens qu'elle eut quelquefois à
essuyer. C'étoit quelque chose d'effrayant, surtout ceux de colère ou de
frayeur: j'en puis juger sur un des plus petits de joie ou d'amitié
qu'elle contrefit devant moi, & qui n'auroit pas laissé de m'épouvanter
si je n'eusse été prévenue. Mais les plus terribles étoient lorsque par
une horreur qui lui étoit naturelle, quelqu'un qu'elle ne connoissoit
pas, l'approchoit & vouloit la toucher: on en vit une rude expérience
chez M. de Beaupré, aujourd'hui Conseiller d'État, & alors Intendant de
Champagne. Il s'étoit fait amener la petite Sauvage chez lui, peu de
temps après qu'elle eut été déposée à l'Hôpital-général de St. Maur à
Châlons, ou son _Extrait baptistaire_[4] fait foi qu'elle entra le 30
Octobre 1731. Un homme à qui on rapportoit l'horreur qu'elle avoit
d'être touchée, se fit fort néanmoins de l'embrasser, malgré tout ce
qu'on put lui dire du risque qu'il couroit en l'approchant, n'étant pas
connu d'elle; l'enfant tenoit alors un filet de boeuf crud, qu'elle
mangeoit avec grand plaisir, & par précaution on la retenoit par ses
habits: dès qu'elle vit cet homme près d'elle en action de lui prendre
le bras, elle lui appliqua, tant avec sa main qu'avec son morceau de
viande, un tel coup au travers du visage, qu'il en fut étourdi & aveuglé
au point qu'à peine se put-il soutenir. Mais en même-temps la Sauvage
qui s'imaginoit que ceux qu'elle ne connoissoit pas étoient des ennemis
qui en vouloient à sa vie, ou qui craignoit le châtiment de ce qu'elle
venoit de faire, s'échappa, courut à une fenêtre, par où elle voyoit des
arbres & une rivière pour y sauter & s'y sauver, ce qu'elle eût fait si
on ne l'eût retenue.
[4] Voyez ci-après _l'Extrait baptist._ Nº. 1.
Le plus difficile à réformer en elle, & peut-être le plus dangereux, ce
fut la nourriture des viandes crues & saignantes, ou de feuilles,
branches & racines d'arbres; son tempérament & son estomac accoutumés
par l'usage continuel à des alimens cruds & remplis de leur suc naturel,
ne pouvoit se faire à des nourritures plus délicates, que la cuisson
rend indigestes, suivant l'aveu de plusieurs Médecins. Pendant qu'elle
fut au Château de Songi, & même pendant les deux premières années
qu'elle fut à l'Hôpital St. Maur de Châlons, M. le Vicomte d'Epinoy, qui
en prenoit soin, avoit donné ordre de lui porter de temps en temps ce
qu'elle aimoit le mieux en racines & fruits cruds; mais elle fut privée
en cette Communauté presque totalement de viandes & de poissons cruds,
qu'elle trouvoit abondament au Château de Songi. Il paroit surtout
qu'elle aimoit le poisson, soit par goût, soit par l'habitude & la
facilité qu'elle avoit acquise dès son enfance de l'attraper dans l'eau
plus aisément que le gibier sur la terre à la course. M. de L.. se
souvient que deux ans après sa prise elle conservoit encore ce goût pour
attraper le poisson dans l'eau, & m'a conté, qu'un jour qu'il étoit au
Château de Songi avec le Vicomte d'Epinoy qui y avoit fait amener la
petite Sauvage, elle ne s'apperçut pas plûtôt qu'on avoit ouvert une
porte qui donnoit sur un étang de la grandeur de plusieurs arpens,
qu'elle courut s'y jetter tout habillée, se promena en nageant de tous
côtés, & s'arrêta sur une petite isle, où elle mit pied à terre pour
attraper des grenouilles, qu'elle mangea tout à son aise. Ceci me
rappelle un trait assez plaisant que je tiens d'elle-même.
Lorsque M. d'Epinoy étoit à Songi, & qu'il y venoit compagnie, il se
plaisoit d'y faire amener cette enfant, qui commençoit à s'aprivoiser, &
dans laquelle on commençoit à découvrir une humeur fort gaie, & un
caractère de douceur & d'humanité que des moeurs sauvages & féroces,
nécessaires à la conservation de sa vie, n'avoient pas entièrement
effacé; puisque hors les cas où elle paroissoit craindre qu'on ne voulût
lui faire quelque tort, elle étoit fort traitable & de bonne humeur. Un
jour donc qu'elle étoit au Château, & présente à un grand repas, elle
remarqua qu'il n'y avoit rien de tout ce qu'elle trouvoit de meilleur:
tout étant cuit & assaisonné. Elle partit comme un éclair, courut sur
les bords des fossés & des étangs, & rapporta plein son tablier de
grenouilles vivantes, qu'elle répandit à pleines mains sur les assiettes
des convives, en disant, toute joyeuse d'avoir trouvé de si bonnes
choses, _tien man man, donc tien_; ce qui étoit alors presque les seules
syllabes qu'elle pût articuler. On peut bien juger des mouvemens que
cela causa parmi ceux qui étoient à table, pour éviter ou rejetter à
terre les grenouilles qui sautoient par-tout. La petite Sauvage, toute
étonnée de ce qu'on faisoit si peu de cas d'un mets si exquis, ramassoit
avec soin toutes ses grenouilles éparses, & les rejettoit dans les plats
& sur la table: la même chose lui est arrivée plusieurs fois en
différentes compagnies.
Ce ne fut qu'avec d'extrêmes difficultés qu'on la désaccoûtuma des
nourritures crues, & que petit à petit on la restreignit aux nôtres. Les
premiers essais qu'elle fit pour s'accoûtumer à celles où il y avoit du
sel, comme aussi à boire du vin, lui firent tomber toutes les dents, qui
furent gardées, dit-elle, de même que ses ongles, par curiosité. Ses
dents sont revenues, & elles sont à présent comme les nôtres; mais sa
santé ne revint pas, & est restée jusqu'aujourd'hui très-delabrée. Elle
ne fit plus que passer d'une maladie mortelle à une autre, toutes
causées par des douleurs insuportables dans l'estomac & dans les
entrailles, & surtout dans la gorge, qui étoit rétrécie & desséchée, ce
que les Médecins attribuoient au peu d'exercice & au peu de nourriture
qu'avoient ces parties par proportion à celle qu'elles avoient eu dans
l'usage des viandes crues. Ces douleurs lui causoient souvent des
contractions de nerfs dans tout le corps, & des épuisemens qu'aucune de
ces nourritures cuites ne pouvoient reparer. Ce fut peut-être par
quelques-uns de ces accidens qui la menaçoient d'une mort prochaine,
qu'on crut devoir avancer son _baptême_[5]. Elle n'a conservé aucun
souvenir de cette cérémonie; elle dit seulement avoir oüi dire depuis,
qu'elle devoit avoir pour Parrein & Marreine M. de Beaupré, Intendant de
Champagne, & une Dame qu'on appelloit Me. Dupin, ou M. l'Evêque de
Châlons (M. de Choiseul) & Me. de Beaupré, l'Intendante; mais qu'à leur
défaut, & en leur nom, ce fut l'Administrateur & la Supérieure de
l'Hôpital de St. Maur, qui la tinrent sur les fonds & la nommèrent,
ainsi qu'elle m'a dit, Marie-Angelique Memmie le Blanc. Le nom de
Memmie, qui est celui du premier Evêque de Châlons, lui fut donné,
dit-elle, parce qu'elle étoit venue de bien loin chercher la foi dans le
Diocèse où ce Saint l'avoit apportée autrefois; mais on voit par son
Extrait baptistaire que son Parrein portoit ce même nom.
Il y avoit peu d'apparence de sauver la vie de Mlle. le Blanc: son mieux
étoit une langueur qui la faisoit paroître comme mourante. Je tiens de
M. de L.. que M. d'Epinoy, qui la vouloit conserver à quelque prix que
ce fût, lui envoya un Médecin, qui ne sachant plus qu'ordonner, insinua
qu'il faloit de tems en tems & comme en cachette lui donner de la viande
crue. On lui en donnoit, dit-elle; mais elle ne faisoit que la mâcher
pour en tirer le suc & le jus, ne pouvant plus avaler la chair même.
Quelquefois une Dame de la maison qui l'aimoit beaucoup, lui apportoit
un poulet ou un pigeon vivant, duquel elle suçoit d'abord le sang tout
chaud, ce qui lui servoit, ajoute-t'elle, comme d'un baume qui
s'insinuoit partout, adoucissoit l'acreté de sa gorge desséchée, & lui
redonnoit des forces. Ce fut avec toutes ces peines & ces petites
échappées, que Mlle. le Blanc s'est peu à peu dèsaccoûtumée de viande
crue, & s'est enfin habituée aux viandes cuites, telles que nous les
mangeons, & si parfaitement, qu'elle a aujourd'hui de la répugnance pour
ce qui est crud.
[5] Voyez _l'Extrait baptistaire_ ci-après, Nº. 1.
Tant que vêcut M. le Vicomte d'Epinoy, qui vouloit toujours voir sa
petite Sauvage, lorsqu'il étoit à Songi, il la tint en Communauté, soit
à Châlons, soit à Vitri-le-François. Je juge qu'il ne vécut pas
long-temps après sa prise, puisqu'il n'est fait aucune mention de lui
entre les personnes désignées pour Parreins & Marreines de cette enfant,
qui fut baptisée sept ou huit mois après; & que s'il eût vêcu alors, il
y a bien de l'apparence qu'il en eût été le Parrein. Ce qu'il y a de
certain, au rapport de M. de L.. c'est qu'après la mort de M. d'Epinoy,
la petite le Blanc fut mise dans un Couvent à Chalons, & qu'au premier
voyage que Madame d'Epinoy la veuve, fit à Songi, ledit Sieur de L.. qui
l'y accompagnoit, lui persuada de retirer cette jeune fille auprès
d'elle où elle lui seroit moins à charge que de la tenir toujours dans
des Couvents; cette Dame fut à Châlons dans ce dessein avec M. de L..
Ils trouverent la Dlle le Blanc assez formée & assez adroite à plusieurs
ouvrages propres à son sexe, pour pouvoir rendre quelques petits
services à cette Dame; mais la Superieure de cette Maison, on ne sçait
par quel motif, si ce n'est par le danger du salut que cette enfant
pouvoit courir dans le grand monde, détourna Madame d'Epinoy de la
retirer, lui rapportant quelques petits traits qui ressentoient encore
l'ancien amour de la liberté pour courir dans l'eau & monter sur les
arbres. Cette Dame craignant que la petite fille ne fût de trop
difficile garde, ne songea plus à la prendre chez elle. Ce fut ensuite
M. de Choiseul, Evêque de Châlons, qui en prit soin dans une Communauté
où elle avoit déja été, & où ce Prélat chargea M. Cazotte, son grand
Vicaire, de veiller à son instruction.
Après y avoir passé plusieurs années & postulé pour s'y faire
Religieuse, Mlle le Blanc prit du dégoût pour cette maison, par une
sorte de honte d'y vivre avec des personnes qui se souvenoient de
l'avoir vue au sortir des Bois, avant qu'elle fut apprivoisée, & qui le
lui faisoient sentir durement. Elle obtint d'aller dans un autre Couvent
à Ste Menehould. A son arrivée en cette ville, au mois de Septembre
1747, M. de la Condamine de l'Académie des Sciences, la trouva dans
l'Hôtellerie où elle venoit de descendre; il y dina avec elle &
l'Hôtesse, & s'entretint avec la Dlle le Blanc, sans qu'elle sçût qu'il
la cherchoit, ni qu'elle fût l'objet de sa curiosité. Elle lui apprit
les obligations qu'elle avoit à Mgr. le Duc d'Orléans, qui payoit sa
pension depuis qu'il l'avoit vue en passant à Châlons au retour de Metz
en 1744. Elle témoigna beaucoup de regret d'avoir été détournée de
profiter des offres que ce Prince charitable lui avoit faites alors, de
la faire venir dans un Couvent de Paris. M. de la Condamine promit à
Mlle le Blanc d'être l'interprète de ses sentimens auprès de S. A. S. En
effet, le Prince informé par lui de la situation de la Dlle le Blanc, &
sur le témoignage que le grand Vicaire de Châlons rendit de sa conduite,
la fit venir à Paris, la plaça aux Nouvelles Catholiques de la rue
Sainte Anne, l'y alla voir & l'interrogea lui-même pour savoir si elle
étoit bien instruite. Ce fut là qu'elle fit sa première Communion &
qu'elle fut confirmée. Transferée depuis à la Visitation de Chaillot,
toujours sous les auspices de feu Mgr. le Duc d'Orléans, elle se
disposoit à se faire Religieuse, lorsqu'un coup qu'elle reçut à la tête,
par la chute d'une fenêtre, & une longue maladie qui suivit cet
accident, la mirent dans le plus grand danger. On désespéra de sa vie, &
sur l'avis du Médecin, envoyé par le Prince, elle fut transportée par
son ordre à Paris aux Hospitalieres du Faubourg S. Marceau, où elle
étoit plus à portée des secours qu'exigeoit son état. Mgr. le Duc
d'Orleans eut la bonté de la recommander à la Supérieure & aux
Infirmieres, & de s'engager à payer outre sa pension, tous les remèdes &
les secours qui seroient jugés nécessaires. Ce Prince a reçu sans doute
le prix de sa charité en l'autre monde; mais Mlle le Blanc n'en a pas
beaucoup profité en celui-ci. Elle se trouvoit en quelque sorte
abandonnée dans une maison où l'on avoit eu l'espérance d'avoir par son
moyen un Prince pour Protecteur, & en lui une bonne caution pour la
pension; mais restée infirme & languissante dans ce même lieu, où l'on
avoit perdu ces points-de-vûe, sans aucune ressource de famille ni
d'amis, pour l'assister pendant sa maladie, ni même au cas qu'elle
revint en santé, je laisse à juger quelles pouvoient être ses
refléxions, & combien d'inattentions, de mortifications même, elle eut à
essuyer de la part de ceux qui craignoient de n'être pas payés de ce
qu'ils avançoient pour elle. C'est dans de si tristes circonstances que
je la vis pour la première fois au mois de Novembre 1752. Elles
n'étoient guères plus favorables, lorsqu'ayant recouvré un peu de force,
elle put me venir dire elle-même que Mgr. le Duc d'Orléans, héritier des
vertus de son pere, s'étoit chargé de payer les neuf mois de sa pension
échus depuis la mort de ce Prince, & qu'on lui faisoit espérer qu'elle
seroit comprise sur l'état de S. A. S. pour 200 liv. de pension viagère;
à quoi elle ajouta, que comme ce dernier article ne seroit décidé que
dans le mois de Janvier suivant, elle avoit accepté en attendant une
petite chambre, qu'une personne qu'elle me nomma lui avoit offerte.
Mais, lui dis-je, de quoi vivre dans cette chambre pendant deux mois, &
peut-être plus, convalescente comme vous êtes? Pourquoi, dit-elle, avec
une confiance qui m'étonna, Dieu me seroit-il venu chercher & tirer
d'entre les bêtes farouches, & me faire Chrétienne? Seroit-ce pour
m'abandonner quand je le suis, & pour me laisser mourir de faim? Cela
n'est pas possible. Je ne connois que lui; il est mon pere; la Ste.
Vierge est ma mere: ils auront soin de moi. Le plaisir que j'ai à
rapporter cette réponse, me paye avec usure de la peine que j'ai prise à
mettre en ordre tout ce que l'on vient de lire, & que je terminerai par
donner un extrait des réponses de Mlle le Blanc aux différentes
questions que je lui ai faites depuis que je la connois, sur ce qu'elle
a pû se rappeller de ses premières années. J'y joindrai les conjectures
que j'ai promises sur le païs où elle est née, & sur les événemens qui
ont pû la conduire en France, & préparer l'avanture singulière de sa
découverte & de sa prise.
Mlle le Blanc avoue qu'elle n'a commencé à réfléchir que depuis qu'elle
a reçu quelque éducation; & que tout le temps qu'elle a passé dans les
bois, elle n'avoit presque d'autres idées que le sentiment de ses
besoins, & le désir de les satisfaire. Elle n'a mémoire ni de pere ni de
mere, ni d'aucune personne de sa Patrie, ni presque de ton païs même; si
ce n'est, qu'elle ne se rappelle point d'y avoir vû des maisons, mais
seulement des trous en terre, & des espèces de huttes comme des baraques
(c'est son terme) où l'on entroit à quatre pattes; elle a même idée que
ces huttes étoient couvertes de neige. Elle ajoute qu'elle étoit souvent
sur les arbres, soit pour se garantir des bêtes féroces, soit pour mieux
découvrir de loin les animaux proportionnés à ses forces & à ses
besoins, & de-là se jetter dessus pour en faire sa nourriture. Ces
premières traces, cette idée de sa première habitation, étoient si
fortement gravées dans son cerveau, que dans le temps où elle commençoit
à entendre le François, mais où elle ne pouvoit encore s'exprimer; ce
qui ne lui arriva que long-temps après sa prise, lorsqu'on lui demandoit
d'où elle étoit, & qui étoient ses pere & mere, elle montroit un arbre,
si elle étoit à portée de le faire, & la terre qui étoit au pied. Le
seul événement de son enfance dont elle ait conservé un léger souvenir,
c'est que lorsqu'elle étoit, dit-elle, bien petite, elle avoit vû dans
la mer ou dans la rivière, elle n'a pû me dire lequel, une grosse bête
qui nageoit avec deux pattes comme un chien, que sa tête étoit ronde
comme celle d'un dogue, avec de grands yeux étincellans; que la voyant
venir à elle comme pour la dévorer, elle s'étoit sauvée à terre, &
s'étoit enfuie bien loin. Je lui demandai si cette bête n'avoit que deux
pattes; si elle avoit du poil, & de quelle couleur elle étoit: elle me
dit, qu'elle ne s'étoit pas donné le temps de la bien examiner, mais
qu'elle n'avoit vû que deux pattes dont la bête battoit l'eau; qu'elle
sembloit dehors à mi-corps, tout le reste étant sous l'eau; qu'il lui
paroissoit qu'elle avoit vû du poil qui étoit gris-noirâtre & court, à
peu-près, ajouta-t-elle, comme ces chiens qui ont le poil raz.
Cette description, si ressemblante à celle du Loup marin[6], cette forte
inclination que Mlle le Blanc a conservé pendant plusieurs années depuis
son séjour en France, pour se jetter dans l'eau, d'y pêcher à la main,
d'y nager comme un poisson malgré le froid & la glace, de ne manger rien
que de crud; les défaillances & les évanouissemens qu'elle éprouvoit
dans les premiers temps à la chaleur du feu ou du soleil, me paroissent
des preuves certaines qu'elle est née dans le Nord aux environs de la
mer glaciale, où se fait la pêche des Loups marins. Et plusieurs autres
observations, dont je ferai le Lecteur juge, me font soupçonner qu'elle
est de la nation des Esquimaux, qui habitent la terre de Labrador, au
nord du Canada.
[6] Voyez l'_Extrait des Voyages_ de la Hontan, Nº. 6.
Mlle le Blanc convient qu'il y a plusieurs choses, dans ce qu'elle m'a
raconté à diverses reprises, dont elle n'oseroit assurer avoir conservé
un souvenir distinct & sans mêlange des connoissances qu'elle a acquises
depuis qu'elle a commencé à réfléchir sur les questions qu'on lui fit
alors, & qu'on a continué de lui faire depuis.
Cependant elle a toujours dit ou fait entendre, lorsqu'elle parloit à
peine François, qu'elle avoit passé deux fois la mer; elle l'assura
positivement à M. de la Condamine en 1747. Quant à ce qu'elle a dit
quelquefois qu'elle a été long-temps sur mer, parce que le Vaisseau
s'arrêtoit en différentes Isles, elle sent bien aujourd'hui que ce ne
peut être là qu'une répétition de quelque commentaire qu'elle a entendu
faire sur ses avantures. Je tiens de M. de L.. qu'il a oui dire chez M.
le Vicomte d'Epinoy, que les deux petites Sauvages avoient même été
vendues dans quelqu'une des Isles d'Amérique; qu'elles faisoient le
plaisir d'une Maîtresse, mais que le mari ne pouvant les souffrir, la
Maîtresse avoit été obligée de les revendre & de les laisser rembarquer,
soit dans leur premier Vaisseau, soit dans quelqu'autre. Ces
circonstances cadrent assez à celles qui sont rapportées dans la Lettre
déja citée, imprimée dans le Mercure de France; mais on voit bien,
encore une fois, que ces détails ne peuvent être que le résultat des
conjectures, plus ou moins probables, que l'on forma sur les premiers
signes & les premiers discours qu'on put tirer de la jeune Fille quand
elle commença de parler François, quelques mois après qu'elle eut été
trouvée, & qu'il est bien difficile de compter sur les circonstances
d'un récit aussi détaillé, qui ne pourroit avoir été fait que par
signes.
Je ne sais si on doit faire beaucoup plus de fond sur le prétendu
souvenir de Mlle le Blanc, qu'il y avoit sur le Vaisseau qui l'a
transportée, des gens qui entendoient son langage, qui ne consistoit
qu'en cris aigus & perçans, formés dans la gorge, sans aucune
articulation ni mouvement de lèvres. Quant à ses deux embarquemens dont
elle a conservé une idée assez distincte, & sur quoi elle n'a jamais
varié; ce qui semble confirmer leur réalité, ainsi que celle de quelque
séjour dans un païs chaud, tel que nos Isles de l'Amérique, c'est que
les cannes de sucre & la cassave ou le manioc, que l'on sçait être des
productions des climats les plus chauds, ne lui sont pas des objets
inconnus; qu'elle se rappelle d'en avoir mangé, & qu'elle les saisit
avidement lorsqu'on les lui présenta la première fois en France[7].
J'insiste sur ces circonstances, parce qu'elles rendent plus compliquées
les avantures qui ont pû conduire Mlle le Blanc des terres Arctiques,
dont il paroît qu'elle est originaire, dans les Isles Antilles, & de là
en Europe sur la frontière de France.
[7] Voyez la Lettre du Mercure de Decembre 1731. Nº. 2.
Elle & sa compagne attrapoient elles-mêmes le poisson, soit dans la mer,
soit dans les lacs ou rivières; car Mlle le Blanc n'a pû m'en faire la
distinction, ni m'en dire autre chose, si ce n'est que quand elles
appercevoient dans l'eau quelques poissons, ayant la vûe très-perçante
en cet élément, elles s'y jettoient, & remontoient sur l'eau avec le
poisson pour l'éventrer, le laver & le manger tout de suite, &
retournoient en chercher d'autre. C'étoit donc au bord d'une rivière,
ou, si c'est en mer, ce ne pouvoit être que lorsque le vaisseau étoit à
l'ancre dans un port, ou dans une rade, qu'elles pêchoient de la sorte;
& une de ses avantures me le confirme; car elle me dit, qu'un jour elle
se jetta dans la mer, non pour pêcher, comme il paroît, puisqu'elle ne
vouloit pas revenir, mais pour s'enfuir à cause de quelques mauvais
traitemens; & qu'après avoir nâgé bien longtemps, elle gagna enfin un
rocher escarpé, où elle grimpa, dit-elle, comme un chat; on l'y suivit
en chaloupe ou en canot, & on eut bien de la peine à la reprendre, après
l'avoir trouvé cachée dans des buissons. Toutes ces circonstances
désignent que le Vaisseau étoit près de terre, si toutefois cette
avanture n'est pas cette échappée dont nous avons parlé plus haut, &
dont M. de L.. fut témoin à Songi.
Il paroît qu'à cause de cette fuite ou d'autres pareilles, on renferma
les petites Sauvages au fond de calle du Vaisseau; mais cette précaution
pensa leur devenir funeste, & à tout l'équipage. Se sentant si près de
l'eau, leur élément favori, elles s'avisèrent de gratter avec leurs
ongles pour faire un trou au Navire, & pouvoir s'enfuïr par-là dans
l'eau; on s'apperçut assez-tôt de ce bel ouvrage pour y remédier, &
éviter un naufrage certain. Cette tentative fit qu'on enchaîna les deux
petites Sauvages, de manière qu'elles ne pussent recommencer leur
manoeuvre.
De-là on peut juger que la garde de ces enfans demandoit bien des soins,
qu'augmentoient sans doute leur aversion d'être touchées. Selon ce que
dit Mlle le Blanc, leur approche n'étoit pas aisée à ceux qui les
gouvernoient; car soit qu'elles tinssent d'origine cette horreur
qu'elles avoient d'être touchées[8], ou du souvenir de leur enlévement
ou de la crainte de mauvais traitemens, elles entroient en fureur
lorsqu'elles voyoient quelqu'un approcher d'elles, & il falloit se
précautionner contre leurs armes & leurs ongles, ou à leur défaut,
contre les coups de poings assenés avec une force de bras bien
supérieure à celle des enfans de leur âge.
[8] Voyez _Relation de la Hontan sur les Esquimaux_; ci-après Nº. 5.
Lorsqu'elles arrivèrent en Champagne, elles avoient pour armes, au
rapport de Mlle le Blanc, un bâton court d'une grosseur proportionnée à
la force de leurs mains au bout duquel étoit une boule de bois très-dur;
le tout en forme de masse d'armes, & une espéce de serpette crochue de
Jardinier, ainsi qu'elle a pu me le figurer, mais à deux lames plus
larges, se repliant chacune de leur côté sur un manche de bois: celle-ci
leur servoit particulièrement à dépecer & éventrer les animaux qu'elles
prenoient, ou à se défendre de près. Elles portoient ces armes,
dit-elle, dans une espèce de sac[9], ou pôche attachée à une large
ceinture de peau, qui leur venoit jusques près les genoux. Sur ce que je
lui demandai si cet habillement ne l'empêchoit pas de monter sur les
arbres dont elle m'avoit parlé, elle me dit que non, parce qu'en pareil
cas elles tenoient le derrière de cet habit avec leurs dents. Comme je
m'informai plus curieusement de cet habit & de ses autres ornemens pour
les mieux reconnoitre dans les desseins que j'ai qui représentent des
Esquimaux, elle me dit qu'on lui avoit ôté chez M. le Vicomte d'Epinoy
ses premiers habits, ses armes, son collier & pendans; qu'il y avoit
quelques caractères inconnus imprimés sur ces armes, qui auroient pû
faire mieux reconnoître sa Nation; mais que tout cela avoit été gardé
comme une curiosité chez le Vicomte d'Epinoy, où elle a continué de les
voir & même de les porter plusieurs fois. Cependant M. de L.. m'a dit
qu'il n'avoit point eu connoissance de ces armes; mais j'ai déja
remarqué qu'il ne la vit pour la première fois dans cette même maison
que deux ans après sa prise. Elle avoit alors pour habit une espèce de
tunique; ou, comme elle dit elle-même, une jacquette de toile qui, selon
M. de L.. ne l'empêcha pas, voyant une porte ouverte, de prendre sa
course, & s'aller jetter dans un étang de plusieurs arpens, de s'y
promener en nageant de tous les côtés, & de s'y arrêter, sur un peu de
terre à sec qu'elle y trouva, pour y manger des grénouilles.
[9] Voyez _l'Extrait de la lettre de Me. Duplessis_, Nº. 4.
Il paroit qu'après l'évasion de ces deux enfans, de tel endroit que ce
soit, encore incapables d'autres vûes & desseins, que de conserver leur
vie & leur liberté, elles ne suivirent d'autres routes que celles que le
hazard ou le besoin leur présentoient. La nuit où, selon Mlle le Blanc,
elles voyoient bien plus clair que le jour; ce qui ne doit pas être pris
au pied de la lettre (& ses yeux ont encore un peu de cette propriété)
elles couroient pour chercher à manger ou à boire. Le petit gibier au
gîte, & les racines d'arbres, étoient leurs provisions, leurs armes &
leurs ongles leur servant de pourvoyeur & de cuisinier. Elles passoient
le jour, selon les lieux, dans des trous ou buissons, ou sur des arbres;
c'étoit leur refuge contre les bêtes sauvages, quand elles en
appercevoient; c'étoit leur donjon ou gueritte pour regarder au loin
s'il n'y avoit pas quelques-uns de leurs ennemis à craindre en
descendant: & c'étoit là qu'elles attendoient, comme à l'affut, qu'il
passât quelque gibier, pour s'élancer dessus, ou le poursuivre. La
Providence qui fournit à toutes les créatures tous les instincts &
propriétés naturelles pour la conservation de leur espèce, avoit donné à
celles-ci une mobilité d'yeux inconcevable; leurs mouvemens étoient si
prompts & si rapides, qu'on peut dire que dans un même moment elles
voyoient de tous les côtés, sans presque remuer la tête. Le peu qui
reste de cette habitude à Mlle le Blanc est encore étonnant lorsqu'elle
le veut montrer; car le reste du temps ses yeux sont comme les nôtres;
par bonheur, dit-elle, car on a eu bien de la peine à leur ôter ce
mouvement, & on a souvent perdu l'espérance d'y réussir.
Les arbres étoient aussi leurs lits de repos, ou plutôt leurs berceaux;
car, selon ce qu'elle m'en a dépeint, elles y dormoient tranquillement,
se tenant assises, & vraisemblablement à cheval sur quelques branches,
se laissant bercer par les vents, & exposées à toutes les injures de
l'air, sans autre précaution que celle de se servir d'une de leurs mains
pour s'arcbouter ou s'affermir, tandis que l'autre main leur servoit de
chevet.
Les rivières les plus larges n'interrompoient point leur course, soit de
jour ou de nuit; elles les traversoient sans crainte; elles y entroient
d'autres fois seulement pour boire, ce qu'elles faisoient en mettant
leur menton dans l'eau jusqu'à la bouche, & humant ou suçant l'eau à la
façon des chevaux; le plus souvent c'étoit pour y pêcher à la main les
poissons qu'elles voyoient au fond: elles les apportoient à terre dans
leurs mains & dans leur bouche pour les vuider, les écorcher & les
manger, comme je l'ai rapporté plus haut.
Comme je laissai voir à Mlle. le Blanc que j'avois peine à croire qu'on
put se retirer d'une riviere profonde, ainsi qu'elle me l'assuroit, sans
s'aider des mains & du souffle, elle me répondit qu'indépendamment de
cela elle revenoit toujours sur l'eau,[10] & qu'elle n'avoit besoin pour
y réussir, que du plus petit souffle, comme elle l'avoit encore éprouvé
il n'y avoit qu'environ 4 ans. Elle m'en dépeignoit la maniere, en se
tenant debout les deux bras étendus & élevés, comme si elle eût tenu
quelque chose hors de l'eau, le bout de son mouchoir dans ses dents en
guise de poisson, & avec cela soufflant alternativement, mais doucement
& sans discontinuer des deux coins de sa bouche, ainsi à peu près que
fait un fumeur par un seul coin lorsqu'il tient sa pipe en l'autre. Ce
fut ainsi, selon que Mlle. le Blanc le raconte, qu'elle & sa compagne
traversèrent la Marne pour arriver à Songi, où elle fut prise de la
maniere que je l'ai rapporté.
[10] _Extrait de Lettre de Me. Duplessis._ Nº. 4.
Il reste à tirer de tous ces faits, qui ne sont pas également certains,
des conjectures vraisemblables sur la maniere dont les deux petites
sauvages ont pu être transportées dans notre continent & n'être
découvertes qu'auprès de Châlons en Champagne.
Indépendamment de l'aversion naturelle qu'avoit Mlle. le Blanc pour le
feu, de son inclination à se plonger dans l'eau par le tems le plus
froid, de son goût dominant pour le poisson crud, qui faisoit son
aliment favori, & des autres remarques précédentes qui ne permettent pas
de douter qu'elle ne soit née dans les pays septentrionaux voisins de la
mer glacialle, sa couleur blanche & semblable à la notre achève de
décider la question sans équivoque, puisqu'il est constant que tous les
peuples originaires de l'intérieur de l'Afrique & des climats chauds ou
temperés de l'Amérique sont ou noirs ou rougeatres ou bazanez. S'il
n'étoit question que d'imaginer comment deux jeunes sauvages des terres
Arctiques ont pu passer en France, mille conjectures différentes,
également probables, pourroient satisfaire à cette question. Ce qui la
rend plus difficile à résoudre ce sont non-seulement les deux divers
embarquemens dont Mlle. le Blanc a conservé le souvenir, mais encore son
passage & son séjour en des pays où il y avoit des cannes de sucre & de
la cassave; aussi bien que la couleur noire artificielle dont on la
trouva peinte. Il n'est pas ici question de faire un Roman ni d'imaginer
des avantures, mais où la certitude manque on doit chercher la
vraisemblance. Parmi les différentes conjectures que l'on peut faire
pour lier ces différens faits, voici ce me semble une des plus simples &
des plus vraisemblables.
On sçait que presque toutes les nations de l'Europe qui ont des colonies
en Amérique, sont obligées d'y transporter des esclaves pour la culture
des terres & la préparation des productions qu'on en retire, telles que
le sucre, l'indigo, le tabac, le cacao, le café &c. Les Negres
transportés d'Afrique en Amérique, dans un climat semblable au leur
n'ont aucune peine à s'y accoutumer & y réussissent très bien; mais on a
tenté sans succès d'y naturaliser des sauvages des pays septentrionaux.
Les Anglois, les Hollandois, les Danois ont comme nous des colonies dans
plusieurs des Isles Antilles, & ils ont plus d'une fois enlevé des
sauvages Esquimaux qui habitent la terre de Labrador au nord du Canada.
Je supose qu'un Capitaine de navire parti de la Nort-Hollande, du nord
de l'Ecosse ou de quelque port de Norvége, ait enlevé des esclaves dans
les terres Arctiques, ou dans la terre de Labrador, & qu'il les ait
transportés pour les vendre dans quelqu'une des colonies Européenes des
Isles Antilles, elles y auront vû & mangé des cannes de sucre & du
manioc. Le même Capitaine peut avoir ramené quelques uns de ces esclaves
en Europe, soit qu'il n'eut pas trouvé à s'en defaire avantageusement,
soit par caprice ou par curiosité, & la jeunesse de nos deux petites
sauvages peut fort naturellement leur avoir valu cette préférence; dans
ce cas il est probable qu'il les aura vendues ou données en présent, à
son arrivée en Europe. Il est encore assez vraisemblable que par
plaisanterie ou par fraude on se soit avisé de les peindre en noir:
c'étoit le moyen de les faire passer pour esclaves de Guinée, & de
n'avoir point de compte à rendre de leur enlevement. Il y a en Amérique
une plante dont on tire une eau claire & transparente qui appliquée sur
la peau la noircit parfaitement, il est vrai que cette couleur se passe
au bout de neuf ou dix jours, mais on peut la rendre plus durable en
mettant plusieurs couches & en y mêlant divers ingrédients. Jusqu'ici
nous n'avons rien suposé que de plausible, le reste approche beaucoup
plus de la certitude & même de l'évidence.
Il est incontestable que de façon ou d'autre ces deux enfans ont été
transportés en Europe par mer. Or plus on suposera le lieu de leur
débarquement voisin de celui où elles ont été trouvées, plus on
retranchera du merveilleux de leur histoire. Qu'elles ayent été vendues
dans quelque Port du Zuyder-zée, & de-là transportées par l'Issel, ou
par les canaux, dont le païs est coupé, à l'habitation de leurs nouveaux
Maîtres, par exemple en Gueldre ou dans le païs de Clèves sur les bords
de la Moselle, on peut juger par ce qu'on a raconté de la petite le
Blanc, long-temps après sa prise, combien elle & sa compagne devoient
être de difficile garde, & qu'au premier moment qu'elles auront trouvé
le moyen de s'échapper, elles n'en auront pas manqué l'occasion. Le païs
est fort couvert: une fois qu'elles auront pû gagner la forêt des
Ardennes, le reste s'explique de lui-même. On a vû qu'elles passoient
les journées sur les arbres, qu'elles savoient se procurer leur
nourriture, & qu'elles ne marchoient que la nuit. Elles auront erré au
hazard, ou plutôt leur instinct les aura portées à s'avancer du côté où
elles avoient vû le soleil pendant le jour, & sur-tout vers le point de
l'horison, où elles le perdoient de vûe le soir, & où un reste de
lumière, après son coucher, les guidoit, à l'heure où elles avoient
coûtume de se mettre en chemin, comme lorsqu'elles passèrent la Marne à
la nage. Cette marche pendant plusieurs mois, sans avoir fait peut-être
50 lieues en droite ligne, dans un païs de bois, les aura conduites vers
le Midi & le Couchant en Lorraine, & de Lorraine en Champagne, dans le
canton où on les a trouvées: & tout ce qu'on a vû dans les récits de
Mlle le Blanc s'expliquera facilement.
On pourroit encore simplifier les conjectures précédentes, en supposant
les deux petites Sauvages, transportées des terres Artiques aux Antilles
Françoises, comme à Saint Domingue, à la Guadaloupe, ou à la Martinique,
ont été achêtées là par quelque François, qui peu de temps après sera
repassé en France avec sa famille, se sera établi en Lorraine, & y aura
conduit ces deux enfans. Il est clair qu'elles n'auront pas tardé à
s'échapper. On expliqueroit par-là fort naturellement comment la petite
le Blanc a paru entendre quelques mots François, & en estropier quelques
autres presqu'aussi-tôt après sa prise; comment on a pû conjecturer par
ses signes, & ensuite par ses discours, qu'elle avoit été auprès d'une
Dame; qu'elle avoit vû faire de la tapisserie. Enfin, cette nouvelle
supposition n'éxige qu'un assez court intervalle de temps, comme de
douze ou quinze jours entre son évasion de chez ses Maîtres en Lorraine,
& sa rencontre à Châlons, & l'on en expliquera d'autant mieux comment sa
couleur noire duroit encore, quoiqu'elle eût passé au moins une rivière
à la nâge. Je ne trouve plus qu'une difficulté. Il seroit bien
surprenant que ces deux enfans ayant été trouvées si près du lieu d'où
elles s'étoient enfuies; & le fait étant devenu public, leurs Maîtres ne
se fussent pas fait connoître: cependant cette objection n'est pas sans
réplique. Peut-être leur Maître ou leur Maîtresse, degoûtés d'elles, &
ayant perdu l'espérance de les apprivoiser, ne furent-ils pas fâchés
d'en être debarrassés, & ne firent aucune demarche pour les retrouver,
ou du moins n'insistèrent pas sur la restitution. Ceci devient plus
qu'une conjecture, depuis que j'ai appris par M. de L.. qu'on avoit
réellement fait des perquisitions du côté de la Hollande, autant qu'il
s'en peut souvenir, & fait redemander la jeune Sauvage à feu M.
d'Epinoy, qui ne voulut pas la rendre; ce qui prouve toujours qu'elle ne
fut pas reclamée avec beaucoup de vivacité.
Si on connoissoit une Nation à qui les cris de gorge aigus & perçans,
familiers à Mlle le Blanc, tint lieu de langage, on connoîtroit
précisément sa Patrie; mais elle ne pourroit avoir été transférée de-là
en France que par quelque évènement semblable à ceux que nous venons
d'indiquer. On prétend que ce fut à l'occasion de la Lettre publiée dans
le Mercure, que la petite Sauvage fut redemandée; mais je n'ai pû
découvrir précisément de quelle part. Il n'eût pas été difficile alors
de remonter à la source, & l'on eût été beaucoup plus exactement informé
de son histoire. Il est peut-être encore temps; & cette Relation en
devenant publique, pourra donner de nouvelles lumières. C'est une des
raisons qui m'ont déterminée à la rediger.
J'ai prouvé qu'il y avoit beaucoup d'apparence que Mlle le Blanc est de
la Nation des Esquimaux; mais comme les preuves que j'ai alléguées
pourroient presque également convenir aux Sauvages de Groënland, du
Spitzberg & de la nouvelle Zemble, s'il importoit de sçavoir précisément
si elle est née dans le continent de l'Amérique ou dans le nôtre
d'Europe, cela seroit encore très-possible. On sait que les Sauvages
Américains, hommes & femmes (_glabri_) ont un caractère distinctif, qui
ne permet pas de les confondre avec les Européens, les Africains, ni les
Asiatiques.
_EXTRAIT_
Des Registres des Baptêmes de l'Eglise Paroissiale
de St. Sulpice de la Ville de Châlons
en Champagne.
Nº. 1.
_L'An de grace mil sept cent trente-deux, le 16e jour de Juin, a été
baptisée par moi soussigné, Prêtre, Chanoine-Regulier, Prieur, Curé de
St. Sulpice de Châlons en Champagne, Marie-Angelique-Memmie, âgée
d'environ onze ans, dont le pere & la mere sont inconnus, comme ils le
sont même à cette fille, qui est née ou qui a été transportée dès son
bas âge dans quelque Isle de l'Amérique; d'où par les soins d'une
Providence pleine de miséricorde, elle est venue débarquer en France, &
conduite encore par la même bonté de Dieu en ce Diocèze; placée enfin
sous les auspices de Monseigneur notre Illustrissime Evêque, à
l'Hôpital-Général de St. Maur, où elle est entrée le 30 Octobre de la
précédente année. Son Parrein a été M. _Memmie le Moine_, Administrateur
dudit Hôpital; & la Marreine, Damoiselle _Marie-Nicole d'Halle_,
Supérieure du même Hôpital de S. Maur; lesquels ont signé les jours & an
que dessus. Ainsi signé, _Memmie le Moine. D'Halle. F. Couterot_,
Chanoine-Reg. Prieur, Curé._
Je, soussigné, Prêtre, Chanoine-Regulier, Prieur, Curé de St. Sulpice,
certifie le présent Extrait conforme à son original. Délivré à Châlons
ce 21 Octobre 1750. Signé DANSAIS, Prieur, Curé de Saint Sulpice.
_Lettre écrite de Châlons en Champagne le 9 Déc. 1731, par M. A M. N...
au sujet de la Fille Sauvage trouvée aux environs de cette Ville.[11]_
[11] Cette Lettre est imprimée dans le Mercure de France de Decembre
1731.
Nº. 2.
Persuadé, Monsieur, que vous ne cherchez qu'à contribuer, par vos
Mémoires, à satisfaire la curiosité du Public en tout ce qui peut
l'intéresser agréablement & utilement, j'aurai l'honneur de répondre à
votre Lettre du 2 de ce mois sur l'état de la Sauvage, qui a été trouvée
aux environs de Châlons, tant sur ce que j'en ai appris, que sur ce que
j'en ai connu moi-même, pour l'avoir fait venir chez moi. Je vous dirai
d'abord, que pour le peu de fréquentation qu'elle a eûe avec le monde,
ne sachant encore que quelques mots François mal articulés, on ne peut
presque pas conjecturer dans quel païs elle est née; mais certainement,
par les circonstances dont je vais vous entretenir, elle n'est point de
Norvège, (comme on l'a dit) on croit plutôt qu'elle est née dans les
Isles Antilles de l'Amérique, qui appartiennent aux François, comme la
Guadaloupe, la Martinique, S. Christophe, S. Domingue, &c. parce qu'un
particulier de Châlons qui a été à la Guadaloupe, lui ayant montré de la
_cassave_, ou _manioc_, qui est un pain dont se nourrissent les Sauvages
des Antilles, elle s'écria de joie sur ce pain; & en ayant pris un
morceau, elle le mangea avec grand appetit: il lui fit voir aussi
d'autres curiosités du même païs, à quoi elle prit un plaisir
extraordinaire, faisant connoître qu'elle avoit vû de semblables choses;
de sorte qu'il est à présumer qu'elle vient plutôt de ces païs-là que de
la Norvège.
A force de la faire parler, on a sçu qu'elle a passé les mers;
qu'ensuite une Dame de qualité a pris soin de son éducation, l'ayant
faite habiller; car auparavant elle n'avoit qu'une peau qui la couvroit.
Cette Dame la tenoit enfermée dans sa maison sans la laisser voir à
personne; mais le mari de la Dame ne voulant plus la voir chez lui, pour
ne point laisser trop long-temps un objet semblable devant les yeux de
son épouse, cette Fille fut obligée de se sauver. Enfin, à la faveur de
la Lune, qu'elle appelle _la lumière de la bonne Vierge_, ne marchant
que la nuit, elle est parvenue au mois de Septembre dernier jusqu'à
Songi, Village à 4 lieues de Châlons, lequel appartient à M. d'Epinoy,
dont vous avez, depuis peu, annoncé le mariage avec Mlle de Lannoy,
fille de M. le Comte de Lannoy.
On sait d'ailleurs qu'avant qu'elle fût arrivée à Songi, on l'avoit vûe
au-dessus de Vitri-le-François, accompagnée d'une Négre, avec laquelle
elle se battit, parce que la Négre ne vouloit pas qu'elle portât sur
elle un Chapelet, qu'elle appelle _un grand Chime_: que la Sauvage
s'étant trouvée la plus forte, la Négre la quitta; & depuis, la Négre a
été vûe auprès du Village de Cheppe proche Songi, d'où elle a ensuite
disparu. Pour notre Sauvage, le Berger de Songi l'ayant apperçue dans
les vignes, écorchant des grenouilles, & les mangeant avec des feuilles
d'arbres, elle fut amenée par ce Berger au Château de M. d'Epinoy, qui
donna ordre au Berger de la loger, ajoutant qu'il auroit soin de sa
nourriture, &c. L'attention que ce Seigneur a eu pour elle pendant près
de deux mois, la souffrant la plus grande partie du jour à son Château,
la laissant pêcher dans ses fossés, & chercher des racines dans ses
jardins, a attiré beaucoup de monde chez lui. On remarquoit que tout ce
qu'elle mangeoit, elle le mangeoit crud, ainsi que des Lapins qu'elle
dépouilloit avec ses doigts aussi habilement qu'un cuisinier. On la
voyoit grimper sur les arbres plus facilement que les plus agiles
Bucherons; & quand elle étoit au haut, elle contrefaisoit le chant de
différens oiseaux de son païs. Je l'ai vû moi-même dans un jardin de
Châlons, cherchant des racines dans la terre, avec l'usage seul de son
pouce & du doigt suivant, faisant ainsi des trous comme des terriers en
un moment de temps, aussi habilement que si on se fût servi d'un hoyau.
M. l'Evêque de Châlons & M. l'Intendant l'ont vûe dans ces sortes
d'exercices. M. l'Evêque a pris soin depuis de la placer dans
l'Hôpital-général de cette Ville, où l'on reçoit les enfans des pauvres
habitans, de l'un & de l'autre sexe, pour les y nourrir jusqu'à l'âge de
15 à 16 ans, qu'on leur fait apprendre des mêtiers. C'est-là qu'on tâche
de l'humaniser tout-à-fait & de l'instruire. Elle mange quelquefois du
pain, ce qu'elle fait par complaisance; car il lui fait mal au coeur,
aussi-bien que tout ce qui est salé. Le biscuit & la viande cuite la
font vomir: elle ne peut enfin rien souffrir où il entre de la farine.
M. l'Intendant voulut lui faire manger des bicgnets, elle n'a pû en
goûter par cette raison. Elle trouve le macaron bon, & aime
l'eau-de-vie, l'appellant un _brûle-ventre_. Pour l'eau, sa boisson
ordinaire, elle la boit dans un seau, la tirant comme une vache, & étant
à genoux. Elle ne veut point coucher sur des matelats, le plancher lui
suffit. Elle nage fort bien, & pêche dans le fond des rivières. Elle
appelle un filet _debily_, dans le patois de son païs. Pour dire, bon
jour fille, on dit, selon elle, _yas yas, fioul_, ajoutant que quand on
l'appelloit, on disoit, _riam riam, fioul_; c'est ce qui fait connoitre
qu'elle commence à entendre la signification des termes François, les
interprétant par ceux de son païs.
Au reste, elle paroît âgée d'environ 18 ans[12], étant de moyenne
taille, avec le teint un peu bazanné: cependant sa peau au haut du bras
paroit blanche aussi-bien que la gorge; elle a les yeux vifs & bleus;
son parler est clair & brusque; elle paroit avoir de l'esprit, car elle
apprend aisément ce qu'on lui montre; cousant assez proprement. Elle
fait connoitre qu'elle sçait travailler à la tapisserie au petit point,
par la manière dont elle indique qu'il s'y faut prendre, en faisant
passer l'aiguille de dessus en dessous, & du dessous en dessus. La
Supérieure de l'Hôpital dit, qu'elle sçait bien broder; ce qu'elle a
appris de la Dame qui en avoit pris soin: mais la Fille ne peut dire
dans quel Païs ce pouvoit être, parce qu'elle ne parloit à personne, &
ne sortoit point. On l'instruit cependant dans la Religion Chrétienne;
elle dit qu'elle veut être baptisée dans le _Paradis terrestre_; terme
dont elle se sert pour signifier nos Eglises. Les Curés du voisinage de
Songy lui ont fait comprendre par des signes, qu'il ne falloit point
grimper sur les arbres, cela étant indécent à une fille, aussi s'en
abstient-elle présentement. Le bruit a couru qu'il y avoit des ordres
pour la faire venir à la Cour; on ne sait comment elle l'a pû apprendre;
mais depuis, quand on vient la voir à l'Hôpital, elle n'ose presque
paroitre, pleure & s'afflige, craignant que ce ne soit pour l'en faire
sortir, parce qu'elle s'y plaît fort, & qu'on a beaucoup d'attention
pour elle.
[12] Il y a sûrement ici une erreur ou d'impression ou de copiste. On
voit par l'extrait de son baptême en Juin 1732, on ne lui donnoit
qu'onze ans; & elle devoit paroitre plus formée qu'une enfant de son
âge, son temperament s'étant fortifié par la vie dure qu'elle
menoit, exposée continuellement aux injures de l'air. Enfin
aujourd'hui en 1754, elle ne paroit pas avoir plus de 33 ou 34 ans,
quoiqu'elle ait eu de longues & de fréquentes maladies.
Voilà, Monsieur, tout ce que j'ai pû savoir sur l'état de cette fille.
J'aurai soin de vous apprendre ses progrès spirituels, & la cérémonie de
son Baptême quand il en sera temps. J'ai l'honneur d'être, &c.
_Extrait d'une Lettre sur le même sujet._
Dans le séjour qu'elle a fait au Château & au Village de M. d'Epinoy, on
a observé que la sagesse de cette jeune Fille est à toute épreuve;
l'argent dont elle ignore la valeur & peut-être l'usage, les ménaces &
les caresses n'ont rien pû sur elle; l'approche seule d'un homme qui
veut la toucher, lui fait jetter des cris perçans, & jette dans ses yeux
& dans tout son maintien un trouble que l'on ne peut assurement pas
imiter.
On trouve que M. l'Intendant a très-sagement fait de la faire transférer
dans un des Hôpitaux de Châlons, qu'on nomme la _Renfermerie_, pour être
plus à portée d'approfondir son état & son origine, & pour lui donner
l'éducation & les instructions dont elle paroit déja capable.
Avant cette retraite elle étoit beaucoup plus Sauvage: ceux qui l'ont vû
courir à la campagne disent, que sa course a quelque chose d'extrêmement
singulier; son pas est court & peu avancé, mais si précipité & redoublé
avec tant de vîtesse, qu'elle suivroit l'homme le plus léger, & le
meilleur coureur Basque.
Cependant on l'emploie aux ouvrages de la maison; elle se prête à tout
de bonne grace; rien ne paroit au-dessus de ses forces, ni contre sa
volonté, persuadée qu'elle est, qu'il faut qu'elle obéïsse pour aller
voir un jour la Sainte Vierge sa mere.
M. l'Archevêque de Vienne passant dernièrement par cette Ville, voulut
la voir. Elle fut menée pour cela chez M. l'Intendant par des Soeurs de
la maison. Nous vîmes ce jour-là, avec une espéce d'horreur, cette fille
manger plus d'une livre & demie de boeuf crud, sans y donner un coup de
dent, puis se jetter avec une espéce de fureur sur un lapreau qu'on mit
devant elle, qu'elle dèshabilla en un clin d'oeil avec une facilité qui
suppose un grand usage, puis le dévorer en un instant sans le vuider. M.
l'Archevêque lui fit beaucoup de questions auxquelles elle répondit
comme elle avoit déja fait à d'autres personnes, sans oublier l'avanture
d'une Moresse, sa compagne de voyage, qu'on a revûe depuis, mais qu'on
n'a pû encore joindre. Les Soeurs dirent que depuis quelque temps on
travailloit à la rapprocher par degrés de notre façon ordinaire de
vivre, malgré l'anthipatie de son estomac pour la viande cuite & le
pain; ce qui la fait vomir jusqu'au sang. On travaille singulièrement à
lui apprendre les principes de la Religion, pour la mettre en état de
recevoir le premier Sacrement.
_Fondemens des conjectures qui font juger que Mlle le Blanc étoit de la
nation des Esquimaux, Sauvages habitans la terre de Labrador, dans le
Nord du Canada._
Nº. 3.
Madame Duplessis de Sainte Helène, Parisienne de naissance, mais
Religieuse depuis 46 ans à l'Hôtel-Dieu de Quebec en Canada, & mon
intime amie, m'a fait un présent que j'ai reçu cette année 1752. Ce sont
plusieurs figures des Sauvages avec lesquels les François & les
Missionnaires de la nouvelle France ont quelques relations. Ces figures,
dont plusieurs forment des ménages complets, sont habillées
différemment, chacune selon la mode de leur nation; car quoiqu'ils
soient presqu'entièrement nuds chez eux, ils ont quelques espèces
d'habits ou de couvertures pour leurs jours de Fête; & quand ils
viennent commercer avec les Européens. Entre ces figures sont celles des
Esquimaux, homme & femme, portant son enfant, & avec cela une ample
relation des moeurs de tous.
Les habillemens de peaux de ces Esquimaux, joint à ce que ma Relation
porte de leur païs, figure & moeurs particuliers, me parut si
ressemblant à ce que Mlle le Blanc & autres disoient à son sujet, que je
soupçonnai dans le moment qu'elle étoit de cette nation. Pour m'en
assurer davantage, je voulus sonder la nature en elle, & après lui avoir
dit qu'on m'avoit envoyé du Canada plusieurs sortes de figures que je
lui voulois faire voir, je fis apporter la boëte aux poupées sauvages. A
l'ouverture, je m'attachai à examiner ses mouvemens & ce qui frapperoit
d'abord ses yeux. Quoiqu'il y en eût plusieurs plus agréables, & bien
plus enjolivées que celles des Esquimaux, qui ont à peine figure
d'homme, elle porta tout d'un coup la main sur la femme Esquimaude, prit
ensuite l'homme, les considéra l'un après l'autre en silence, non comme
ceux à qui quelque chose paroit nouveau & extraordinaire, mais comme
chose qu'ils ont déja vûe, sans savoir où, & qu'ils cherchent à
reconnoitre. La voyant si attentive à ces deux Figures, je lui demandai
en riant pour la faire parler, si elle reconnoissoit là quelqu'un de ses
parens; elle répondit: je n'en sais rien; mais il me semble avoir vû
cela quelque part. Quoi, repris-je, des hommes & des femmes bâtis comme
ceux-là? A peu-près, dit-elle; mais ils n'avoient pas de cela: [c'étoit
des espèces de mouffles ou gands de peaux qu'ont mes figures] nous
n'avions rien dans nos mains, continua-t-elle, si ce n'est lorsque nous
avions attrapé quelques grosses anguilles, ou autres semblables
poissons, & que nous l'avions écorché, nous fourrions [c'est son terme]
nos mains & nos bras dans la peau, qui s'y colloit jusqu'au coude. Quels
plaisans habits, repris-je! Ceux dont vous avez idée, n'étoient-ils pas
plus longs que ceux-là? [Les miens ne descendent qu'environ à
mi-cuisse.] Non, ce me semble, répondit-elle; mais le poil n'étoit pas
par-dessus, comme à ceux-ci[13]. Je levai pour lors quelques figures de
mes autres Sauvages, lui faisant remarquer la bizarrerie de leurs
pendant d'oreilles. A peine ôtoit-elle les yeux de dessus celles qu'elle
tenoit toujours, & qui n'avoient aucun pendant d'oreilles, pour dire;
oh, les nôtres n'étoient pas, comme ceux-là, ni pendus au bas de
l'oreille; ils prenoient dès le bas & par derrière. Comme je n'ai rien
vû dans mes figures, ni dans mes Relations qui me puisse figurer cette
différence, & qui ait pû la porter à la faire, j'ai pensé qu'elle ne
l'avoit faite que sur un souvenir dont l'origine ne peut être que dans
ce qu'elle a vû dans ses premières années, & dont elle n'a plus qu'une
idée confuse: aussi, ajouta-t-elle tout de suite, au reste ce sont des
idées si éloignées, qu'il n'y faut pas compter beaucoup.
[13] Extrait de Me. Duplessis.
Aussi ne fut-ce pas ses paroles qui fortifièrent le plus mes
conjectures; mais cet instinct ou sentiment naturel & non refléchi qui
la fixa sur ces deux figures seules, & ne lui laissa que de
l'indifférence pour toutes les autres, comme si la nature lui eût fait
sentir qu'elles ne lui touchoient pas de si près que celles-ci; au moins
fut-ce l'induction que je tirai de la distinction qu'elle en faisoit, &
de ces paroles dites fort naturellement, _nous n'avions rien dans nos
mains_, que la vérité seule, quoique inconnue, lui fit dire.
Non contente de ces premières épreuves, je me fis apporter un petit
canot d'écorce d'arbre, qui m'avoit été envoyé avec les Sauvages, pour
me faire voir ce qui leur tenoit lieu de nos grands vaisseaux pour
voyager sur mer & sur les lacs. C'est une manière de petite chaloupe ou
flobard fort étroit & comme pincé par les deux bouts, comme pour mieux
couper l'eau de quel côté qu'il tourne; la plus grande partie ne pouvant
contenir qu'une personne. En lui faisant voir celui-ci, long de plus de
deux pieds, je lui demandai si elle connoissoit cela: oh oui, dit-elle,
j'en ai bien idée; mais il me semble qu'ils n'étoient pas tout-à-fait
comme celui-là; ils étoient comme couverts tout-à-fait, & il me semble
qu'il n'y avoit qu'un trou au milieu, où on étoit jusqu'au milieu du
corps, & qu'on couroit comme cela [figurant le mouvement pour ramer des
deux côtés] de côté & d'autre sans avoir peur. Comme cette description
du canot étoit toute conforme à celle que Me. Duplessis me donne du
canot des Esquimaux, de laquelle sûrement, Mlle. le Blanc n'avoit aucune
connoissance, je ne doutai plus qu'elle ne fût de cette nation, &
qu'elle ne tint d'origine la description qu'elle me fit du canot couvert
des Esquimaux. On en jugera comme moi en lisant les extraits de mes
Relations en l'autre part.
_Extrait de la Lettre de Me. Duplessis de Sainte Helène, à Me. H....t,
en date du 30 Octobre 1751, où il est parlé de la nation des Esquimaux._
Nº. 4.
Vous aurez enfin vos Sauvages cette année, Madame & très-chère amie, &c.
Les Esquimaux sont les Sauvages des Sauvages. On voit dans les autres
nations des manières humaines quoiqu'extraordinaires; mais dans ceux-ci
tout est féroce & presque incroyable. Le fort de leur nation est vers la
baye d'Hudson dans le nord; il y en a sur les côtes de la terre de
Labrador, (qui confine ladite baye, & borde une partie du fleuve St.
Laurent) païs extrêmement froid. Ce sont des Antropophages qui mangent
les hommes quand ils les peuvent attraper. Ils sont petits, blancs &
fort gras. Malgré la rigueur du climat, ils n'allument presque jamais de
feu; on croit qu'ils adorent cet élément. Ils mangent la viande crue, &
leur nourriture plus ordinaire est la chair de loups marins. Ils
s'habillent de la peau de ces animaux; ils en font aussi des sacs où ils
serrent pour le mauvais temps provision de cette chair coupée par
morceaux. Ils sont aussi friands de l'huile qu'on en fait, que les
yvrognes le sont du vin. Ils ont des trous souterrains où ils se
fourrent, & y entrent à 4 pattes comme des bêtes; & quelquefois l'hyver
ils se font des cabanes de neige sur la glace de quelques bayes, où il y
a plus de cent pieds d'eau sous eux: ils demeurent là sans se chauffer,
mais ils mettent double robbe de peaux de loups marins. Les femmes, qui
cousent très-proprement se font de petites tuniques de peaux d'oiseaux,
la plume en dedans, qui les échauffe, & d'autres tuniques de boyeaux
d'ours blancs, qu'elles ouvrent après les avoir grattés comme pour faire
du boudin; elles assemblent ces bandes en forme de chemises, qu'elles
mettent sur leur tunique de peau, pour que la pluye ne les pénètre
point. Elles mettent leurs petits enfans dans leur dos, entre la chair &
la tunique, en sorte qu'elles tirent ces pauvres innocens par dessous le
bras, ou par dessus l'épaule pour les faire tetter: elles leur mettent
seulement une espèce de braye qu'elles changent lorsqu'elles sont sales.
Ce qui sert de culotte aux hommes n'a point d'ouverture, cela est fait à
peu-près comme un tablier de Brasseur, mais plus étroit; ils le lient à
leur ceinture avec une corde. Celle des femmes est ouverte; & quand
elles s'asséyent à terre, leur siége ordinaire, elles tirent la queue de
leur habit, qui est longue, entre leurs jambes, par un instinct de
modestie.
Depuis que les Basques, les Mallouins & les Négocians François de ce
Païs-ci ont des postes établis à Labrador pour la pêche du Loup marin,
les Esquimaux les approchent quelquefois, & même traitent avec eux.
Personne n'entend leur Langue; mais ils sont fort ingénieux pour se
faire entendre par signes. Ils sont adroits & font eux-mêmes les outils
qui leur sont propres. Ils travaillent le fer, & passent les peaux. Ils
construisent des canots avec des cuirs qui ne prennent point l'eau, &
ils les couvrent par-dessus de manière qu'il y a au milieu une ouverture
comme à une bourse, dans laquelle un homme seul se met, & liant à sa
ceinture cette espèce de bourse, prend un aviron à deux pêles, comme il
y en a un ci-joint, & affrontent avec cela les plus mauvais temps & les
poissons les plus forts. Ils ont beau tourner dans ce canot, ils se
retrouvent toujours droits. Ils nagent à droite & à gauche également
selon la nécessité. Ils font aussi de petites chaloupes de bois, que les
femmes menent en ramant à reculons comme les matelots.
Quand ils viennent la nuit près les habitations des François, on fait
tirer sur eux deux ou trois coups de pierriers; cela les fait fuïr comme
des oiseaux; car ils craignent le feu & tous les autres hommes, c'est ce
qui fait qu'ils ne font point de feu de peur que la lueur ou la fumée ne
les fassent découvrir. Ils ont mangé autrefois plusieurs de nos
François; mais je sçais de quelques autres, qui en ayant été attaqués,
s'étoient trouvés les plus forts, & en avoient tué quelques-uns, que
pour cacher leur meurtre, & ne pas s'attirer la vengeance de cette
nation ils avoient jetté ces corps morts à la mer; mais que ces hommes
n'enfoncent jamais dans l'eau, mais flottent dessus comme du liége. On
attribue cette propriété à ce qu'ils ne se nourrissent que de graisse &
d'huile de poissons.
On a pris quelques petites Esquimaudes que l'on a apprivoisées ici; j'en
ai vû mourir dans notre Hôpital; c'étoit des filles fort gentilles,
blanches, propres & bien chrétiennes, qui ne conservoient rien de
sauvage. Elles parloient bon François, & quoiqu'elles se plussent dans
les maisons où elles demeuroient, elles ne vêcurent pas long-temps, non
plus que les autres Sauvages qui sont chez les François. On achête ici
ces sortes d'esclaves bien chers, à cause de la rareté des domestiques,
& l'on n'en est pas mieux, car ils meurent bien-tôt.
_Extrait de la Relation du Baron de la Hontan, Officier François,
Voyageur dans tout le nord du Canada depuis 1683 jusqu'en 1694._ Pag. 6
& suiv. _Des Esquimaux._
Nº. 5.
La source du Fleuve St. Laurent, &c. Ce Fleuve a 20 ou 22 lieues de
large à son embouchure, &c. D'un côté l'Isle percée; c'est un gros
rocher percé à jour..... Les Basques & les Malloüins (ou Normands) y
font la pêche de la Morue en temps de paix, &c. De l'autre côté du
Fleuve on voit la grande terre de Labrador ou des Esquimaux, qui sont
des peuples si féroces, qu'on n'a jamais pû les humaniser..... Les
Danois sont les premiers qui ont découvert cette nation..... Elle est
remplie de Ports, de Bayes, où les barques de Quebec ont accoutumé
d'aller troquer les peaux de loups marins que leur apportent ces
Sauvages pendant l'été..... Voici comment cela se fait.
Dès que ces barques ont mouillé l'anchre... ces Sauvages viennent dans
des petits canots de peaux de Loups marins, qui sont cousues ensemble,
qui sont faits à peu-près comme des navettes de Tisserand, au milieu
desquels on voit un trou... où ils se renferment, assis sur leurs talons
au moyen d'une corde. Ils rament de cette manière avec des palettes...
sans se pancher crainte de renverser. Dès qu'ils arrivent... ils
montrent leurs pelleteries au bout de l'aviron, & marquent en même-temps
ce qu'ils demandent.... Couteaux, poudre, balles, fusils, haches,
chaudières, &c. Enfin chacun montre ce qu'il a, & ce qu'il prétend avoir
en échange. Le marché conclu, ils reçoivent & donnent au bout d'un
bâton. Si ces Sauvages ont la précaution de ne pas entrer dans nos
bâtimens, nous avons aussi celle de ne nous pas laisser investir par une
trop grande quantité de canots; car ils ont enlevé assez souvent de
petits vaisseaux pendant que les Matelots étoient occupés à manier &
remuer les pelleteries & les marchandises. Il faut bien se tenir sur ses
gardes avec eux pendant la nuit; car ils ont des chaloupes qui vont
aussi vîte que le vent, & dans lesquelles ils se mettent trente ou
quarante hommes. C'est par cette raison que les Malouins qui pêchent la
morue dans le petit Nord, & les Espagnols à Portochoua, sont obligés
d'armer des barques longues pour courir la côte & les poursuivre; car il
n'y a guères d'année qu'ils ne surprennent à terre quelques équipages, &
qu'ils ne les tuent..... Il est constant qu'ils sont plus de trente
mille combattans; mais si lâches & si poltrons, que 500 Clistinos de la
Baye d'Hudson ont accoûtumé d'en battre cinq ou six mille. Leur païs est
grand, car il s'étend depuis la côte vis-à-vis l'Isle de Minguan (au
nord de l'embouchure du Fleuve St. Laurent) jusqu'au détroit d'Hudson.
Ils passent tous les jours à l'Isle de Terre-neuve par le détroit de
Bellisle, qui n'a que sept lieues.
_Mémoires de l'Amérique septentrionale_, ou _Suite des Voyages du Baron
de la Hontan_, Tom. II. Pag. 42 & 43, édition d'Hollande.
Nº. 6.
Les Écureuils volans sont de la grosseur d'un gros rat, couleur de gris
blanc.... On les appelle volans, parce qu'ils volent d'un arbre à
l'autre par le moyen d'une certaine peau qui s'étend en forme d'aîle
lorsqu'ils font ces petits vols.
Les Loups marins, que quelques-uns appellent veaux marins, sont gros
comme des dogues. Ils se tiennent quasi toujours dans l'eau, ne
s'écartent jamais de la mer. Ces animaux rampent plus qu'ils ne
marchent.... Leur tête est faite comme celle d'une Loutre, & leurs pieds
sans jambes sont comme la patte d'une Oye.... Ils cherchent les païs
froids, &c.
FIN.
----------------------
NOTES DU TRANSCRIPTEUR
On a conservé l'orthographe original, y compris les variantes
(par exemple: espece/espèce/espéce).
On a corrigé un mot coupé par erreur en fin de ligne:
comme au lieu de com- (gros comme des dogues)
End of the Project Gutenberg EBook of Histoire d'une jeune fille sauvage
trouvée dans les bois à l'âge de dix ans, by Charles-Marie de La Condamine
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Histoire d'une jeune fille sauvage trouvée dans les bois à l'âge de dix ans
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The Project Gutenberg EBook of Histoire d'une jeune fille sauvage trouvée
dans les bois à l'âge de dix ans, by Charles-Marie de La Condamine
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Title: Histoire d'une jeune fille sauvage trouvée dans les bois à l'âge de dix ans
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— End of Histoire d'une jeune fille sauvage trouvée dans les bois à l'âge de dix ans —
Book Information
- Title
- Histoire d'une jeune fille sauvage trouvée dans les bois à l'âge de dix ans
- Author(s)
- Hecquet, Mme., active 1755, La Condamine, Charles-Marie de
- Language
- French
- Type
- Text
- Release Date
- November 28, 2006
- Word Count
- 17,248 words
- Library of Congress Classification
- GN
- Bookshelves
- FR Education et Enseignement, Browsing: Culture/Civilization/Society, Browsing: Sociology, Browsing: Teaching & Education
- Rights
- Public domain in the USA.