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Project Gutenberg's Des homicides commis par les aliťnťs, by Emile Blanche

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Project Gutenberg's Des homicides commis par les aliťnťs, by Emile Blanche This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: Des homicides commis par les aliťnťs Author: Emile Blanche Release Date: August 18, 2008 [EBook #26353] Language: French Character set encoding: ISO-8859-1 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK DES HOMICIDES COMMIS PAR LES *** Produced by Mireille Harmelin, Eric Vautier and the Online Distributed Proofreaders Europe at http://dp.rastko.net. This file was produced from images generously made available by the BibliothŤque nationale de France (BnF/Gallica) DES HOMICIDES COMMIS PAR LES ALI…N…S PAR LE DOCTEUR …. BLANCHE MEMBRE DE L'ACAD…MIE DE M…DECINE, DE LA SOCI…T… M…DICO-PSYCHOLOGIQUE ET DE LA SOCI…T… DE M…DECINE L…GALE. Non quod fieri debet Non quod fieri potest Sed quod fieri solet. STOLL. PARIS LIBRAIRIE DE P. ASSELIN Place de l'…cole-de-Mťdecine. Lorsqu'il s'agit de juger un criminel, la premiŤre pensťe qui vienne ŗ l'esprit, c'est que la gravitť du crime qu'il a commis doit correspondre au degrť de sa dťpravation morale. Lorsqu'un aliťnť commet un attentat, le premier sentiment est ťgalement que le dťlire doit Ítre conforme et proportionnť ŗ la violence de l'acte. Dans le premier cas, cette impression sommaire n'est pas toujours justifiťe par l'ťtude ultťrieure des mobiles auxquels le coupable a cťdť; dans le second, elle est absolument contraire ŗ l'observation des faits, et la gravitť de l'attentat commis par l'aliťnť est le plus souvent en proportion inverse de l'ťtendue du trouble intellectuel dont il est atteint. Le mťmoire que j'ai l'honneur de soumettre ŗ l'Acadťmie a pour objet d'indiquer les rapports des actes accomplis par les aliťnťs, et qui chez un homme responsable s'appellent des crimes, avec les formes d'aliťnation dans le cours desquelles ces actes sont survenus. C'est un chapitre dťtachť de l'histoire des Folies dangereuses. Pour rendre l'exposť plus simple et plus clair, il ne sera question ici que des aliťnťs qui tuent, mais ces considťrations pourraient s'appliquer aussi aux fous qui incendient et ŗ ceux qui volent. Si on admet l'existence d'une monomanie homicide, la question devient relativement facile ŗ ťtudier. Les impulsions dťlirantes sont continues, elles concordent avec les conceptions qui semblent les avoir inspirťes. Le mťdecin averti a l'attention ťveillťe, et le jour oý le malade passe de l'idťe ŗ l'acte, le seul ťtonnement qu'il soit en droit d'ťprouver, c'est que l'attentat se soit fait attendre si longtemps. Si au contraire l'homicide, au lieu d'appartenir exclusivement ŗ une espŤce, peut Ítre accompli par des aliťnťs reprťsentant des types variťs de la maladie, si la violence peut ťclater ŗ l'improviste ou Ítre prťparťe par de longues hťsitations, si elle rťsulte aussi bien de la mťlancolie anxieuse et sombre que de l'excitation maniaque, il importe de rechercher comment et ŗ quelles conditions ces ťtats dissemblables peuvent aboutir ŗ la mÍme consťquence. Il m'a paru que le meilleur mode d'investigation ťtait de passer en revue les formes d'aliťnation oý l'homicide se produit le plus souvent; j'espŤre dťmontrer ainsi que des malades diffťrents les uns des autres pour le mťdecin qui se borne ŗ constater les idťes dťlirantes prťdominantes, peuvent offrir des analogies saisissantes ŗ l'observateur qui pťnŤtre plus avant dans l'analyse de la maladie. Le dťlire de persťcution est certainement celui oý la tendance ŗ l'homicide semble le plus logiquement commandťe; l'aliťnť est sous le coup d'une pression irritante ou terrible; ses ennemis l'obsŤdent, sans qu'il ait fourni le plus lťger prťtexte ŗ leur hostilitť, ils s'acharnent contre lui, le calomnient, le menacent, l'empÍchent de jouir de la vie, s'il est riche, de gagner son pain, s'il est pauvre; ses nuits sont troublťes par les propos injurieux des voisins, ses journťes s'ťcoulent dans les mÍmes angoisses; tous les moyens sont bons ŗ ses persťcuteurs qui disposent de ressources mystťrieuses, qui, non contents de le perdre au dehors, pťnŤtrent jusque dans l'intimitť de sa pensťe, le forcent ŗ vouloir ce qu'il ne voudrait pas, et ne lui accordent pas une heure de rťpit. En pareil cas, il semble que le meurtre s'excuse par les droits de la lťgitime dťfense, et il n'est pas un de nous qui, se reprťsentant par la pensťe une situation si douloureuse, ne se demande s'il ne se dťlivrerait pas ŗ tout prix d'une telle angoisse. Et cependant, ce n'est pas parmi les persťcutťs que se rencontrent le plus grand nombre d'aliťnťs homicides. Pourquoi? C'est parce qu'avant de subir l'entraÓnement qui dťtermine les attentats contre les personnes, il faut qu'il intervienne un ťlťment nouveau. Les persťcutťs inertes, rťsignťs ŗ leur sort, n'ont pas l'ťnergie de commencer la lutte; c'est souvent en souriant qu'ils racontent leurs infortunes auxquelles ils ťchappent par la fuite, si mÍme ils essaient de s'y soustraire. On trouve ŗ cŰtť, et comme types tout diffťrents, des malades atteints du mÍme dťlire de persťcution, mais sujets ŗ des exaltations critiques. Calmes habituellement, ils s'excitent, sans autre cause qu'une modification cťrťbrale dont ils n'ont pas conscience. Ces attaques se rťpŤtent plus ou moins, avec des durťes variables et surtout des intensitťs inťgales. Quand la crise est peu accentuťe, elle se traduit par un besoin de mouvement ou par une anxiťtť vague; plus elle augmente, plus elle devient menaÁante; si une circonstance quelconque l'arrÍte dans son ťvolution, les aliťnťs ne sont qu'inquiťtants, ils restent inoffensifs; mais si la crise atteint son paroxysme, ils vont jusqu'ŗ l'acte, et se vengent ou se prťservent d'un danger imaginaire en frappant celui qu'ils supposent Ítre l'auteur de leurs maux. Chez les uns, la crise se manifeste sous une forme visible, traduite par les gestes et les paroles; chez les autres, elle se dissimule sous une agitation latente qui couve sans ťclater. Quel que soit le mode d'expression, le fond est le mÍme. L'excitation cťrťbrale ťteinte, les malades rentrent dans la passivitť et cessent d'Ítre dangereux, jusqu'au retour, souvent possible ŗ prťvoir, de commotions semblables. L'homicide est provoquť par une impulsion soudaine en apparence, mais prťparťe en rťalitť, par l'accroissement des phťnomŤnes d'irritation encťphalique, et destinťe ŗ s'effacer si l'occasion a fait dťfaut, ou si le calme est revenu. Les alcooliques, et ils sont presque tous, ŗ de certains moments et ŗ des degrťs divers, des persťcutťs, fournissent l'exemple le plus complet de ces ťbranlements critiques; eux aussi sont tourmentťs par des ennemis; au lieu de les entendre, ils les voient; on ne se contente pas de les obsťder, on en veut ŗ leur vie. Toujours agitťs, ils le deviennent ŗ l'excŤs sous l'influence d'un progrŤs de l'intoxication; intermittente, nocturne ou diurne, et d'autant plus marquť qu'il se continue le jour et la nuit. La maladie procŤde lŗ, et c'est sa loi pathologique, par accŤs de courte durťe en gťnťral; l'homicide est une des consťquences ordinaires et faciles ŗ prťvoir de cette marche du mal; tout le monde sait comment il s'accomplit; l'alcoolique, errant, incertain de sa direction matťrielle et morale, torturť par des hallucinations terrifiantes, frappe ŗ la maniŤre des bÍtes fauves quand la peur les envahit. Il existe incontestablement des persťcutťs non intoxiquťs qui ont par intervalles des affinitťs avec les alcoolisťs persťcutťs. L'hallucination de la vue se mÍle chez eux avec celle de l'ouÔe, parfois elle la domine, donnant ainsi la preuve d'une excitation cťrťbrale plus vive. Sous la pression de cette poussťe congestive, ils se transforment, et franchissent l'intervalle de la passivitť ŗ l'activitť et par consťquent de la pensťe ŗ l'acte. Quand on cherche ŗ quel degrť un malade peut Ítre dangereux, on doit l'ťtudier au point de vue tout spťcial de ces crises si mobiles, d'aspect si variť, mais pourtant possibles ŗ reconnaÓtre lorsqu'on s'y applique attentivement. Les ťpileptiques que tant de symptŰmes analogues rapprochent des alcooliques, en dehors de l'attaque, les ťpileptiques deviennent souvent des meurtriers. L'analyse des troubles cťrťbraux par lesquels ils passent fournit les mÍmes donnťes, sans qu'on soit autorisť ŗ dire que l'impulsion obťit ŗ des rŤgles prťcises. Quelques exemples tirťs surtout de l'ťtude des faits judiciaires permettent de signaler les procťdťs les plus habituels par lesquels l'homicide est accompli. Dans une premiŤre catťgorie, on peut ranger les ťpileptiques impulsifs qui, l'oeil ardent, le visage en feu, la vue troublťe, ŗ peine assez conscients de leurs actes pour les mener ŗ fin, se prťcipitent sur le passant inconnu, le couteau, le marteau ou le b‚ton ŗ la main, et le tuent, si le hasard ne permet pas qu'il ťchappe ŗ cet assaut inattendu. ņ une seconde classe appartiendraient les ťpileptiques ŗ crise non convulsive, latente, prolongťe, qui ťpient et semblent combiner leur agression, mais qui, en rťalitť, ne sont pas encore arrivťs au point oý, selon l'expression de M. le professeur LasŤgue, ils seront mŻrs pour la violence; ce sont ceux qu'on voit se promener pendant des heures avant d'agir, ŗ l'aspect ťtrange plutŰt qu'effrayant, et doublement dangereux parce qu'ils sont demi-maÓtres d'eux-mÍmes. Dans une troisiŤme division se placent les ťpileptiques ŗ petit mal, chez lesquels, en dehors des attaques ťclamptiques, il s'est produit une perversion mentale durable. Ceux-ci, les plus redoutables de tous, agissent en vertu d'une dťlibťration poursuivie, patiente, et ne faisant explosion que si l'ťtat congestif du cerveau, manifestť par ses signes habituels, a acquis une intensitť suffisante pour dťterminer la violence terminale. C'est ťgalement ŗ un entraÓnement devenu irrťsistible que cŤdent certains aliťnťs suicides qui tuent pour Ítre tuťs; ils ont souvent fait sur eux-mÍmes de nombreuses tentatives qui ont plus ou moins approchť du but; enfin arrive le moment oý l'impulsion est plus forte que leur rťsistance, et ils commettent un meurtre. Il n'y a pas ŗ tenir compte des mobiles qu'ils allŤguent aprŤs coup pour expliquer leur acte; en rťalitť, ils ont obťi ŗ une impulsion produite par une surexcitation cťrťbrale momentanťment plus intense et dont ils n'ont pas eu conscience. Dans d'autres conditions pathologiques, un homme, sous le coup d'une lťsion cťrťbrale chronique, est sujet ŗ des exacerbations plus ou moins passagŤres et qui rentrent dans les conditions aiguŽs de l'ťpilepsie et de l'alcoolisme. En fait, il n'est ni un buveur, ni un comitial, mais dŻt-il, dans ses intervalles rťputťs lucides, n'avoir jamais ťnoncť une conception dťlirante, le jour oý l'accŤs aigu ou subaigu se produit, il se dťveloppe en lui une aptitude transitoire aux plus terribles attentats. Les malades de cette espŤce ne sont pas rares, et ce sont eux qui crťent les plus grandes difficultťs aux mťdecins consultťs par la justice. Pour comprendre la marche et la nature de leur maladie, pour oser les exonťrer d'une responsabilitť qui semblerait si justifiťe, il faut se reprťsenter l'ťvolution des impulsions homicides dans les cas oý l'aliťnation remplit les intervalles qui sťparent les crises; on voit alors que les symptŰmes sont les mÍmes, et que l'ťtat continu, uniforme, du trouble mental, occupant une place restreinte, n'a qu'une valeur secondaire. Quelques observations choisies parmi les faits les plus intťressants qu'il m'a ťtť donnť d'observer pendant ma longue carriŤre de mťdecin d'aliťnťs et de mťdecin lťgiste prouvent qu'il ne s'agit pas d'une visťe plus ou moins ingťnieuse de l'esprit. Ces faits, classťs dans l'ordre que je viens de suivre, serviront de piŤces ŗ l'appui et d'arguments ŗ la dťmonstration. J'aurais craint d'abuser de la bienveillante attention de l'Acadťmie en rapportant ici ces observations, et je me suis bornť ŗ donner les conclusions auxquelles elles conduisent. En rťsumť, il n'existe pas de forme spťciale d'aliťnation mentale qui doive porter le nom de Monomanie homicide. L'homicide peut Ítre commis par des aliťnťs atteints d'affections mentales diverses, ŗ la condition que les malades soient sujets ŗ des crises d'excitation dite congestive assez intenses pour qu'ils n'en restent pas ŗ la pensťe et qu'ils en viennent ŗ l'acte. Ces crises, d'intensitť et de durťes variables, s'accusent par des signes qui doivent ťveiller la dťfiance. Lors mÍme qu'elles se dissiperaient sans avoir abouti ŗ un meurtre ou ŗ des violences graves, le devoir du mťdecin est de se tenir sur ses gardes. L'alcoolisme et l'ťpilepsie reprťsentent les maladies ŗ perversions mentales dans lesquelles on observe le plus communťment l'invasion de ces crises portťes ŗ leur plus grande puissance; ce sont aussi les espŤces oý on voit le plus souvent survenir les homicides; le dťlire de persťcution et la monomanie suicide en offrent ťgalement des exemples assez frťquents. Enfin, des malades atteints d'affections cťrťbrales congťnitales ou acquises, caractťrisťes d'abord par des accidents physiques et plus tard par des troubles plus ou moins vagues du caractŤre ou de l'intelligence, peuvent Ítre disposťs ŗ subir des crises d'excitation, et ŗ commettre, sous cette influence passagŤre, des meurtres ou des actes de violence en dťsaccord avec leur ťtat pathologique pendant les longues intermissions qui sťparent les crises. D…LIRE DE PERS…CUTION.--ILLUSIONS DES SENS.--TENTATIVE DE MEURTRE SUR UN ECCL…SIASTIQUE.--IRRESPONSABILIT…. Nous soussignťs, docteurs en mťdecine de la Facultť de Paris, commis le 13 septembre 1871, par une Ordonnance de M. Blain des Cormiers, juge d'instruction prŤs le Tribunal de premiŤre instance du dťpartement de la Seine, ŗ l'effet de constater l'ťtat mental de la nommťe C... (Anne-Josťphine), inculpťe d'avoir, ŗ Paris, le 6 aoŻt 1871, commis une tentative d'assassinat sur la personne de M. l'abbť B...; aprŤs avoir prÍtť serment, consultť les piŤces du dossier, recueilli tous les renseignements de nature ŗ nous ťclairer, et visitť la prťvenue ŗ diffťrentes reprises, avons consignť, dans le prťsent Rapport, les rťsultats de notre examen: La fille C... est nťe en Belgique; ‚gťe d'environ 48 ans, elle est douťe d'une constitution robuste; une surditť assez prononcťe est la seule infirmitť dont elle soit atteinte. Si l'on s'en rapporte aux renseignements qu'elle donne sur ses antťcťdents, il n'y aurait pas eu d'aliťnťs dans sa famille; son pŤre est mort ŗ 80 ans; sa mŤre a succombť ŗ la suite d'un accouchement. Les antťcťdents tels que le dossier nous les fait connaÓtre sont les suivants. La fille C... a ťtť condamnťe pour vol en 1855, ŗ cinq ans de prison. ņ l'expiration de sa peine, elle est revenue ŗ Paris, et, depuis cette ťpoque, plus particuliŤrement dans ces derniŤres annťes, elle a menť une existence tourmentťe, sur laquelle elle nous donne des renseignements prťcis. Les dťtails dans lesquels elle est entrťe nous ont paru d'une trŤs-grande importance dans l'apprťciation de son ťtat mental. Nous les exposerons tels qu'ils se sont prťsentťs dans le long et minutieux examen auquel nous avons soumis la fille C... Ses rťponses que nous reproduirons textuellement, pour ne rien leur enlever de leur caractŤre de sincťritť absolue, sont conformes ŗ celles qui ont ťtť consignťes dans ses diffťrents interrogatoires; toutefois, elles traduisent d'une maniŤre plus complŤte, plus fidŤle, les prťoccupations, les conceptions dťlirantes de la fille C... D. Depuis quand Ítes-vous ici? R. Il y a un mois ŗ peu prŤs. D. Pourquoi vous y a-t-on amenťe? R. J'ai ťtť arrÍtťe parce que j'avais tirť deux coups de revolver sur le curť de Montmartre pendant la grand'messe. D. Que vous avait-il fait? R. Messieurs, je vais vous dire; j'ai eu un malheur pendant que j'ťtais domestique chez M. L..., j'ai volť de l'argent dans son bureau, et j'ai ťtť condamnťe ŗ cinq ans de prison. Quand je suis sortie de prison, j'avais pris de bonnes rťsolutions de travailler; j'ai eu la bÍtise de me mettre dans la religion, et ma cause a ťtť divulguťe; ce sont les prÍtres qui ont fait cela par intťrÍt; alors tout le monde a su que j'avais volť. D. Comment vous Ítes-vous aperÁue de cela? R. Ce n'ťtait pas difficile; en chaire c'ťtait de moi qu'on parlait. D. Est-ce que vous avez entendu le prťdicateur vous dťsigner par votre nom? R. Non; quand il parlait de moi, il le mettait au masculin, ainsi il disait les mots: forÁat, galťrien, en me montrant, et un jour il me dit entre les dents: ęVous en avez assez.Ľ Il y a eu un missionnaire, l'abbť M..., qui est venu prÍcher ŗ Montmartre; c'est le premier sermon oý l'on s'est occupť de moi. Il a parlť de ęl'or de CarthageĽ, c'ťtait pour moi qu'il disait cela, et comme une autre fois le curť, dans un sermon, a dit: ęQu'on se trompait, si l'on croyait que ceux qui volaient se corrigeaient tout ŗ coup, qu'il leur fallait longtemps pour se corriger,Ľ j'ai cru que c'ťtait lui qui avait divulguť ma cause et qui avait dit ŗ l'abbť M... de faire son sermon sur moi. D. Qu'est-ce que cela signifiait pour vous _l'or de Carthage_? R. Cela signifiait que j'ťtais une voleuse, car on dit que les Carthaginois ťtaient des voleurs, D. Est-ce qu'on vous accusait aussi en dehors de l'ťglise? R. Je crois bien, Messieurs, c'ťtait la mÍme chose ŗ l'atelier. Je travaillais ŗ la maison G... Dans le commencement, cela allait bien; les contre-maÓtres ťtaient bons pour moi d'abord; on me donnait de l'ouvrage, et puis au bout de quelques jours on m'en refusait par taquinerie. Quand j'arrivais ŗ l'atelier, c'ťtait comme un enfer; j'ai ťtť bien malheureuse; pourtant le courage ne me manquait pas, mais quand on est rťsolu ŗ bien faire, c'est un martyre d'endurer ce que j'ai endurť. Chaque fois que j'y allais, il y avait _des huťes, des gestes_. D. Depuis quand? R. C'est depuis que le curť est arrivť en 1867. Il voulait m'avoir. D. Pourquoi voulait-il vous avoir? R. Par intťrÍt. J'avais ŗ peu prŤs 1,200 francs d'ťconomies; j'ai eu des difficultťs avec un vicaire ŗ ce sujet-lŗ; c'est de lŗ que tout cela vient. D. Monsieur le curť de Montmartre passe pour un excellent homme? R. Oui, il passe pour un trŤs-brave homme, mais il est _pťtri de perfidie_ ŗ mon endroit; c'est _une surfine canaille_. D. Qu'est-ce qui vous a donnť la preuve qu'il s'occupait de vous? R. Une fois, sur les buttes, je le rencontre; je le traite de l‚che, de prÍtre indigne. Il me dit: ęNous allons vous faire chaisiŤre.Ľ C'ťtait certainement ŗ moi qu'il s'adressait. D. Est-ce que M. le Curť vous a toujours donnť sujet de vous plaindre de lui? R. Non, il y a eu un temps oý il avait encore des ťgards pour moi; mais un dimanche, je me suis aperÁue que les ťlŤves d'un pensionnat qui ťtaient ŗ cŰtť de moi ŗ l'ťglise se retournaient pour me regarder pendant le sermon, elles avaient _l'air de me dire_: ęC'est pour vous qu'on parle, vous faites trop de toilette.Ľ AprŤs, elles m'ont laissťe tranquille. Elles avaient _l'air de dire_: ęPuisqu'il ne faut pas la regarder, laissons-la.Ľ D. Qu'est-ce qui a fait changer M. le curť? R. Je crois que ce sont les marguilliers, le personnel rapace. Tous se sont mÍlťs de me faire de petites taquineries. Ainsi, le gardien du Calvaire avait dressť son chien ŗ courir aprŤs moi quand je passais. La chaisiŤre disait au donneur d'eau bťnite, d'une voix forte: ęHuez la donc.Ľ D. Comment vous, qui Ítes un peu sourde, entendez-vous si bien ce que l'on dit de vous? R. On peut facilement distinguer. Les personnes qui sont sourdes, quand elles regardent ceux qui parlent, comprennent facilement au mouvement des lŤvres. D. Alors vous pensez que c'ťtait le personnel de l'ťglise qui avait indisposť le curť contre vous? R. Le gardien du Calvaire surtout. Les vicaires aussi. Il y en avait un, l'abbť J..., qui _me huait, me conspuait dans l'ťglise_. Plus il y avait de monde, moins il se gÍnait; en passant ŗ cŰtť de moi, il faisait: ęPschitt!Ľ en signe de mťpris. Un autre vicaire encore davantage. Il venait se mettre ŗ cŰtť de moi, et il faisait le signe de cracher. Je me suis plainte du donneur d'eau bťnite ŗ l'ambassadeur belge. Il a ťtť conduit trois fois au violon, et, comme il continuait, on a employť quelqu'un d'en haut pour le surveiller; il a disparu pendant une journťe, et quand il est revenu, il ťtait encore plus acharnť. D. Comment en Ítes-vous venue ŗ la rťsolution de tuer M. le curť? R. Je ne voulais pas le tuer, je voulais seulement le blesser, je voulais tirer dans les fesses, parce que j'ai entendu dire que dans les chairs ce n'est pas mortel. Je savais qu'on m'arrÍterait, que je passerais aux assises, parce qu'il y aurait eu des journaux, et que j'aurais pu faire connaÓtre que si j'ťtais venue une seconde fois en prison, c'ťtait leur faute, aux curťs. Je voulais qu'on voie bien clairement que c'est l'argent qui les fait agir. D. Vous rappelez-vous ŗ quelle ťpoque vous avez conÁu le projet de tirer sur M. le curť? R. Il y a dťjŗ quelque temps, mais je lui avais pardonnť parce qu'il avait trŤs-bien soignť son vieux pŤre. Je lui ai ťcrit ŗ ce sujet lŗ. D. Combien de temps avant cette tentative avez-vous achetť votre revolver? R. En 1860, c'ťtait pour me dťfendre des attaques d'un voisin qui ne me laissait pas une minute de repos. Il avait ameutť tout le quartier contre moi. Je n'osais plus sortir de chez moi. On me traitait de voleuse, toujours ŗ cause des prÍtres qui avaient divulguť ma cause. J'ai quittť Paris, je me suis trouvťe ŗ Reischoffen, dans les ambulances, puis j'ai ťtť ŗ Marseille; enfin, je suis revenue ŗ Paris le 23 juillet dernier. J'avais ťcrit ŗ l'ambassade belge que je donnais au curť de Montmartre jusqu'au 1er aoŻt pour me rendre justice et me donner la place de chaisiŤre pour m'indemniser. Le lundi, 6 aoŻt, je voulais tirer sur lui aux vÍpres, pas ŗ la grand'messe, pour ne pas faire de scandale. Voilŗ que le dimanche, le curť a fait la quÍte; je savais bien que ce n'ťtait pas ŗ lui de la faire; il l'a faite par taquinerie; il est passť devant moi, sans me prťsenter la bourse, il a fait exprŤs d'aller causer avec des dames qui ťtaient ŗ cŰtť de moi. Alors moi, exaspťrťe, j'ai pris mon revolver sous mon caraco, j'ai dťchargť mon coup sur lui. J'ai ťtť trŤs-agitťe parce que ce n'ťtait pas le moment que j'avais choisi; si j'avais eu le temps de me prťparer, j'aurais ťtť plus calme. D. Que s'est-il passť ensuite? R. AprŤs, je n'ai pas dit une parole, je me recueillais, j'ťtais convaincue qu'ils allaient me tuer. D. Qui ęilsĽ? R. Le suisse, le bedeau, qui s'ťtaient prťcipitťs sur moi. D. Regrettez-vous ce que vous avez fait; Ítes-vous inquiŤte de ce qui peut vous arriver? R. Non, je ne suis pas inquiŤte. D. Vous nous disiez que vous aviez fait quelques ťconomies, vous reste-t-il encore un peu d'argent? R. J'ai tout dťpensť. Quand je suis allťe ŗ Marseille, j'avais achetť une petite voiture et de la mercerie pour vendre dans les rues; c'ťtait la mÍme chose qu'ŗ Paris; j'ai vu des personnes dans la banlieue qui chuchotaient et disaient: ęIl ne faut rien lui acheter.Ľ J'ai vu que cela venait encore des prÍtres. J'ai ťcrit au curť pour le supplier de ne pas me montrer au doigt, il n'en a pas tenu compte. Je lui prťdisais malheur, il a continuť. Quand je suis revenue, c'ťtait encore pire qu'avant. Ainsi, quand j'allais faire mon heure d'adoration, il le savait, et venait tout exprŤs dans l'ťglise pour me narguer. Je suis certaine qu'il avait divulguť ma cause partout. Ainsi, ŗ Lyon, en venant par le chemin de fer, j'ai trŤs-bien vu deux jeunes gens, sur le quai de la Gare, qui ont chuchotť en me regardant, je me suis dit tout de suite: ęMe voilŗ encore reconnue.Ľ Maintenant, je suis dťpouillťe, je n'ai plus rien, et je ne peux plus trouver de travail nulle part. D'abord on me reÁoit, puis deux ou trois jours aprŤs on me refuse. C'est toujours la mÍme chose. D. Vous nous avez parlť de votre condamnation, avez-vous ťtť prise sur le fait? R. Non, Monsieur, ce n'est que quelque temps aprŤs. J'avais pu m'en aller en Belgique oý j'ai un frŤre officier. Il est un peu fier, il ne m'a pas bien reÁue. Je suis revenue ŗ Paris, et l'idťe m'est venue d'acheter des vÍtements d'homme, puis de repartir pour la Belgique, habillťe en homme. Je voulais aller dans le cafť oý il va d'habitude, je l'aurais provoquť en lui jetant un verre de biŤre ŗ la figure. Mais il y avait des agents ŗ la gare, ils ont regardť dans mon paquet que j'avais laissť un moment, il y avait des vÍtements de femme; quand je suis venue pour le prendre, ils m'ont arrÍtťe, c'est comme cela que j'ai ťtť reconnue et passťe en jugement. D. Pourquoi ne pas garder vos vÍtements de femme pour aller jeter un verre de biŤre ŗ la figure de votre frŤre? R. C'est que je ne voulais pas que dans le cafť on me prÓt pour sa maÓtresse. D. Avez-vous eu quelque liaison dans votre vie? R. Jamais, Messieurs, je n'ai eu de rapports avec un homme; je n'ai jamais aimť personne. On me faisait rougir rien qu'en me parlant mariage. Ce n'ťtait pas dans mes idťes. D. Vous nous dites que le curť avait indisposť tout le voisinage contre vous par ses rťvťlations; vous poursuivait-on jusque dans votre chambre? R. Pas directement, mais ils cherchaient ŗ savoir ce que je faisais chez moi. Ils montaient sur la tour Solfťrino pour plonger dans ma chambre. Ils se mÍlaient de tout. Je ne pouvais pas sortir sans qu'ils soient ŗ me guetter. Un soir, je rentrais avec un journal ŗ la main; l'abbť M... passe ŗ cŰtť de moi, et il dit: ęVoilŗ-t-il pas qu'elle va lire le journal, maintenant,Ľ et il fait un geste de mťpris. J'ai eu envie de lui dire: ęEst-ce que je ne l'ai pas payť?Ľ Mais je me suis retenue pour ne pas faire de discussion dans la rue. Je sais bien ce qu'ils veulent ŗ prťsent. Ils vont faire tout ce qu'ils pourront pour prouver que j'ai eu un accŤs de fiŤvre chaude. Le directeur et les soeurs d'ici sont d'accord avec eux. Quand ils ont su que vous ťtiez venus me voir, ils ont dit: Il faut lui fermer la bouche. Le directeur a voulu m'interroger, j'ai refusť de rťpondre. Je les tiens. Ah! J'ai suppliť le curť ŗ mains jointes de ne pas me faire connaÓtre, il n'en a pas tenu compte. Je ne prierai plus maintenant. Il faut que l'on sache tout. D. Avez-vous entendu des personnes parler de vous quand vous ťtiez seule dans votre chambre? R. Non, il n'y a que les voisins qui me taquinaient, qui me guettaient, et qui faisaient des saletťs devant ma porte, mais ils ne me parlaient pas. Ma chambre donnait sur le cimetiŤre; j'ai vu le gardien du Calvaire qui dressait son vieux chien ŗ aboyer aprŤs moi. Il en avait un plus jeune qui a disparu, aprŤs que je me suis plainte au commissaire de police et ŗ l'ambassadeur belge. Cette fois lŗ, il s'est aperÁu que je le surveillais; alors il s'est faufilť le long de la muraille comme quelqu'un qui se cache, et je ne l'ai plus vu. D. Alors, vous voyiez les personnes qui s'occupaient de vous? R. Messieurs, c'ťtait bien facile. Depuis qu'il y a eu du bruit sur mon compte, je suis certaine que je ne faisais pas un pas sans Ítre suivie. J'avais cessť de me confesser au curť de Montmartre, et j'allais ŗ confesse, tantŰt dans un endroit, tantŰt dans un autre. Le curť voulait savoir oý j'allais, il aurait voulu que je vienne ŗ la paroisse, moi, je m'y refusais. Ils m'ont fait suivre pendant deux bonnes annťes au moins; j'ai tout fait pour les dťpister, je les retrouvais toujours; ils ťtaient acharnťs aprŤs moi. D. Quelles espŤces de gens ťtaient-ce? R. J'ai bien fait attention. Il y avait surtout un homme gros, et le gardien du Calvaire. Un jour, je descendais de chez moi, je m'aperÁois qu'ils me suivent: je me dis, je vais les tromper. Je descends jusqu'aux halles, je passe ŗ travers les voitures, je me sauve jusque dans le faubourg Saint-Germain. J'entre dans une ťglise, je ne sais plus laquelle. Il y avait un prÍtre au confessionnal, avec une pťnitente d'un cŰtť, je me mets de l'autre cŰtť, J'attends dix minutes, et le prÍtre m'entend. Quand je sors de l'ťglise, le gros homme ťtait lŗ, il avait l'air trŤs-contrariť. Alors je voulus m'amuser ŗ leurs dťpens; je ne sortais plus qu'avec une grosse Bible sous mon bras. Ils disaient: la voilŗ encore, elle va se confesser, suivons-la. Un jour, j'ai descendu les buttes en courant. En bas, je me retourne, je revois encore le mÍme homme, il ťtait trŤs-essoufflť et paraissait trŤs-contrariť. Je l'ai pris pour un inspecteur des moeurs. J'ai ťcrit cela ŗ l'ambassadeur belge. D. Comment viviez-vous? R. TrŤs-simplement. On disait que je faisais trop de toilette; j'achetais de bonnes choses pour que cela dure plus longtemps, voilŗ tout. D. Comment vous nourrissiez-vous? R. Je prťparais mes aliments moi-mÍme. Je suis trŤs-sobre, je ne bois presque pas de vin. Je suis sŻre que je n'en bois pas 20 litres par an. Je prťfŤre le cafť, j'en prenais pas mal; quelquefois cela me portait un peu sur les nerfs. D. Depuis que vous Ítes ici, Ítes vous plus tranquille, a-t-on cessť de vous tourmenter? R. Oui, je suis tranquille; pourtant les soeurs sont contrariťes que je n'aie pas voulu rťpondre au directeur. Mais je ne dois de rťponse qu'au juge d'instruction. Je vois bien qu'on cherche ŗ me gagner; le curť de Montmartre est dťjŗ en communication avec les soeurs d'ici. Ils vont faire tout ce qu'ils pourront pour mettre cela sur le compte de la folie; c'est qu'il faudra prÍter serment, et ils savent bien que je ne vais pas me prťsenter bouche close ŗ la Cour d'assises. Oui, je dirai devant tout le monde que s'il y a tant de repris de justice qui ne reviennent pas au bien, c'est la faute des prÍtres; Ils sucent jusqu'ŗ la derniŤre goutte de notre sang. Je ne suis pas inquiŤte, allez, je les tiens. Nous avons tenu ŗ reproduire fidŤlement les paroles de la fille C...; mais ce que nous ne pouvons rendre, c'est l'accent de conviction avec lequel ses rťponses nous ont ťtť faites. Nous aurions pu insister sur quelques dťtails qui l'auraient montrťe laborieuse, ťconome, d'une piťtť exagťrťe peut-Ítre, mais correspondant ŗ un sentiment ťlevť, celui de sa rťhabilitation: nous avons pensť que nous devions nous en tenir exclusivement ŗ l'apprťciation des faits qui ont prťcťdť la tentative de meurtre ŗ laquelle elle s'est livrťe, et qui, pour nous, n'est qu'une des manifestations de l'ťtat morbide qu'il nous reste ŗ dťfinir. La fille C... est atteinte de dťlire lypťmaniaque avec prťdominance d'idťes de persťcution. Si l'on cherchait ŗ prťciser le dťbut des troubles, on pourrait le faire remonter ŗ l'ťpoque oý elle allait quitter Paris, sous des vÍtements d'homme, avec l'intention d'aller provoquer son frŤre ŗ Bruxelles. Si nous la perdons de vue pendant les cinq annťes qu'elle a passťes en prison, il nous est facile de rťtablir ŗ partir de ce moment l'enchaÓnement des faits, de constater les illusions du sens de la vue, et surtout de l'ouÔe, de suivre les dťterminations dťraisonnables, mais logiques, qu'elles entraÓnent. La vie de la fille C... n'est plus, comme elle le dit elle-mÍme, qu'un martyre; et ne se rendant pas compte de l'origine mÍme de ce martyre, qui est son propre ouvrage, elle ne vit plus que pour trouver aux faits les plus simples, les plus habituels de son existence, une interprťtation fausse. Chaque jour, ses griefs prťtendus augmentent; chaque jour, un incident nouveau vient grossir le nombre des _taquineries_ dont elle se croit la victime. Ses imaginaires persťcuteurs sont des prÍtres, qu'elle accuse d'avoir divulguť sa cause; et, sans prendre garde que c'est la prťoccupation constante de la tenir cachťe, qui s'est transformťe en elle, elle ne voit plus dans les attitudes, dans les gestes, dans les paroles de ceux qu'elle soupÁonne, que des allusions blessantes qui l'irritent. Tout son dťlire s'alimente de ces illusions incessantes; la surditť dont elle est atteinte en favorise encore le retour. Elle cherche ŗ lire sur les lŤvres, et ce qu'elle surprend, ce sont toujours de nouvelles insultes. Elle n'a pas conscience de la part active qu'elle prend ŗ la crťation de ces interprťtations fausses; et c'est avec ces ťlťments que se constitue un dťlire, en apparence si complexe, au fond si prťcis et si net, qui devait aboutir aux violences sur le curť de Montmartre, organisateur, selon elle, du complot tramť contre son repos, contre sa rťputation. Rien ne manque dans ses rťponses, qui sont pour nous absolument significatives, ni ces expressions qu'adoptent les aliťnťs de ce genre, qui reviennent ŗ chaque instant dans leurs discours, qui sont caractťristiques d'un trouble mental essentiellement chronique, Il n'y manque pas mÍme la prťmťditation, dont, bien ŗ tort, on ne suppose pas les aliťnťs capables; mais cette prťmťditation mÍme a son caractŤre spťcial. La fille C... ne cache pas ses projets; il y a deux ans qu'elle avertit le curť lui-mÍme, l'ambassadeur de Belgique, le commissaire de police, et il n'eŻt fallu qu'un peu plus de clairvoyance pour empÍcher un attentat dont les suites pouvaient Ítre plus graves. Plus nous avons examinť cette fille, plus s'est faite claire, certaine, absolue, la conviction d'une aliťnation mentale dťjŗ ancienne; et, si nous n'avions eu dťjŗ l'examen direct pour nous ťclairer, nous aurions trouvť, dans le dossier, une lettre adressťe au curť de Montmartre, ŗ la date du 7 septembre 1868, et qui ne permet aucun doute; nous en extrayons les passages suivants: ęMonsieur, ťcrit-elle, je veux vous dire ce que j'ai sur le coeur. Le jour de l'Adoration vous faisiez l'innocent, vous veniez de bonne heure, comme pour me donner le change, comme pour dire, je ne vois pas le prťdicateur, je ne puis donc pas lui raconter votre histoire, comme si je ne savais pas qu'avant d'arriver le prÍtre me connaissait; je n'ai qu'ŗ me prťsenter dans l'une des ťglises qui s'ouvrent ŗ la neuvaine de Mai pour apprendre combien vous Ítes habile ŗ donner les signalements. Mais pour les deux premiers prÍtres qui sont venus prÍcher, c'est autre chose, vous les avez fait venir pour me montrer ŗ eux, vous m'avez parfaitement bien fait espionner. ę... Vous avez dťtruit par vos paroles le peu de confiance que l'on pouvait avoir encore en moi. Monsieur le curť, je ne mettrai plus les pieds dans votre ťglise; vous avez comblť la mesure. Je vous ai priť, je vous ai suppliť de ne pas me forcer ŗ courir ŗ l'autre bout de Paris pour sanctifier mon Dimanche, je n'ai pu l'obtenir. ęEh bien, s'il faut se tuer de fatigue, on se tuera, voilŗ tout. Du reste, je ne tiens pas ŗ la vie, car vous en avez fait un long martyre; ma rťputation, vous vous en Ítes jouť; mon existence, vous l'avez compromise; vous m'avez fait au coeur une plaie incurable, car, quand bien mÍme je partirais, et ce ne sera pas long, je penserai toujours avec une grande douleur que ceux-lŗ mÍme qui devaient Ítre bienveillants pour moi, qui auraient dŻ me protťger, qui auraient dŻ donner l'exemple et cacher ma faute, que ce sont ceux-lŗ mÍme qui ont ťtť les plus pressťs de la divulguer, qui ont ťtť mes ennemis les plus acharnťs... Je me dis, les prÍtres voyagent, les soeurs de charitť, les frŤres ignorantins aussi, et comme je ne suis pas pour rester ŗ Paris, si, n'importe oý j'irai, je venais ŗ rencontrer un prÍtre, soit un frŤre, soit une soeur, et que ces trois diffťrentes personnes me connaissent, je serais sŻre d'Ítre trahie lŗ oý je serais rencontrťe, comme je suis sŻre d'Ítre trahie dans tout Paris, car quand le curť et le clergť donnent l'exemple, les paroissiens ont carte blanche, etc.Ľ En effet, elle quitte Paris, mais ses prťoccupations dťlirantes la suivent partout. Elle se croit reconnue, espionnťe, et, reprenant au loin le systŤme organisť par elle, elle ne doute pas que les machinations odieuses dont elle ťtait victime ŗ Paris sont continuťes en province. Il semble que ce soit ŗ Marseille, que le projet de blesser M. le curť de Montmartre ait ťtť conÁu, et cela ęparce que dans la banlieue elle a vu des gens qui chuchotaient et qui disaient: la voilŗ, il ne faut rien lui acheter.Ľ Elle n'a pas plus conscience de la valeur morale de cet acte, qu'elle n'a conscience de l'ťtat de trouble intellectuel permanent dans lequel elle vit. Elle est calme, sans inquiťtude; ce qu'elle a fait, elle est prÍte encore ŗ le faire; ce n'ťtait pour elle, et ce n'est aussi pour nous, que le complťment de ses conceptions dťlirantes. Ce dťnouement nťcessaire, malheureusement non prťvu par tous ceux qui ont mťconnu son ťtat, se serait produit beaucoup plus tŰt peut-Ítre, si cette femme, au lieu de n'avoir que des illusions, eŻt ťtť sollicitťe par des hallucinations. Mais il ne semble pas que ce phťnomŤne ait existť chez elle; elle parle bien des moyens ŗ l'aide desquels on parvient ŗ savoir la pensťe, mais elle ne donne ŗ ce sujet que des renseignements un peu vagues; elle affirme qu'elle n'a rien vu, rien entendu, rien senti d'extraordinaire dans sa chambre; seulement ses voisins, pour la taquiner, parce qu'elle est trŤs-propre, s'amusaient ŗ cracher devant sa porte. Pour elle, il y a toujours un fait extťrieur, dťnaturť, interprťtť dans le sens de son dťlire, qui sert de point de dťpart ŗ ses dťterminations. Dans la prison, son attitude n'est pas moins caractťristique; mťfiante et soupÁonneuse, elle est dťjŗ convaincue que les soeurs de Saint-Lazare l'espionnent pour le compte du curť de Montmartre. Elle est en garde contre le directeur, auquel elle refuse de rťpondre, parce que deux religieuses l'ont conduite auprŤs de lui. On veut lui fermer la bouche, mais ęje les tiensĽ, nous rťpŤte-t-elle, avec cette satisfaction ŗ la fois vaniteuse et naÔve des aliťnťs atteints de dťlires systťmatisťs. De tous ces faits, de l'ťtude attentive ŗ laquelle nous nous sommes livrťs, nous nous croyons autorisťs ŗ conclure: 1į Que la nommťe C... (Anne-Josťphine) est atteinte d'aliťnation mentale. 2į Que les troubles intellectuels qu'elle prťsente appartiennent au genre des dťlires de persťcution avec illusions des sens. 3į Que le dťbut de cette affection remonte ŗ plusieurs annťes dťjŗ. S'il ne nous a pas ťtť possible de prťciser la date de son apparition, il est restť, du moins, ťvident pour nous, que le dťlire existait en 1868, avec les caractŤres que nous lui retrouvons encore aujourd'hui. 4į Qu'ŗ l'ťpoque et au moment oý la fille C... a commis l'acte dont elle est inculpťe, elle ťtait dominťe par des conceptions dťlirantes qui lui ťtaient la conscience, et par consťquent, la responsabilitť de ses actions. 5į Que la fille C..., obťissant aux suggestions de son dťlire, est absolument incapable de se diriger; que, de plus, ayant perdu toute conscience de la valeur morale de ses actes, en tant qu'ils ont rapport ŗ ses conceptions dťlirantes, elle est depuis longtemps et restera dťsormais une aliťnťe dangereuse. 6į Qu'il y a lieu, au point de vue de sa propre sťcuritť et dans un intťrÍt d'ordre et de sťcuritť publies, de la placer et de la maintenir dans un ťtablissement spťcialement consacrť aux aliťnťs. ņ Paris, le 27 septembre 1871. Signť: A. MOTET, …. BLANCHE. Dans ce fait significatif, deux crises plus manifestes et des accŤs de moindre intensitť attirent l'attention. La fille C... est prise d'une impulsion au vol qui contraste avec sa conduite habituelle. Les dťtails de cette poussťe impulsive ne nous sont pas assez connus pour que nous y insistions. La vie ultťrieure de la malade se passe dans une sorte de vagabondage moral familier aux aliťnťs de cette catťgorie, interdit aux persťcutťs passifs qui sont exempts d'attaques congestives et qui ne commettent pas d'actes dangereux. ņ en croire son rťcit, le dťcouragement moral, l'impossibilitť de trouver du secours, l'abandon du clergť auquel elle s'ťtait adressťe, expliquent et justifient la diversitť de ses ťtats psychologiques: si on rťdige les observations des maladies mentales sous la dictťe des malades raisonneurs, la formule est toujours la mÍme; il est naturel que de telles causes provoquent de tels effets, et la folie devient la rťsultante logique des ťvťnements. En rťalitť, il n'en est pas ainsi, et ce qui le prouve, c'est que les impulsions violentes naissent sans provocation, lentes ou instantanťes, passant ou non de la pensťe ŗ l'acte, suivant que l'excitation cťrťbrale varie de degrť. Chez la fille C... aucun incident exceptionnel ne s'est produit. ņ ses pťriodes multiples d'excitations physico-morales, tantŰt elle part en voyage ŗ la recherche d'un parent, tantŰt elle fuit au hasard pour se soustraire aux persťcutions; plus calme, elle revient et se rassťrŤne. Comment a-t-elle pu suffire, avec ses ressources plus que restreintes, ŗ cette vie errante, nul ne le sait. Un jour, pendant la messe, ayant hťsitť si longtemps, elle tire deux coups de pistolet sur le curť de sa paroisse. L'accŤs s'ťpuise rapidement, comme il arrive presque toujours en pareil cas. La fille C..., arrÍtťe sans rťsistance, plaide les circonstances plus qu'attťnuantes qui ont motivť sa violence. Elle se fait, ŗ l'usage des juges, le roman psychologique qu'elle s'est rťpťtť tant de fois. Un ťlťment nouveau vient cependant s'y ajouter: ce n'est pas pour elle, c'est pour le droit qu'elle a combattu. ņ la fois hťroÔne et victime, elle tťmoigne par le mťlange des aspirations vaniteuses avec la dťpression mťlancolique, qu'elle appartient au type des persťcutťs ŗ crises impulsives. Dans la prison, nouvelle attaque d'excitation cťrťbrale, sans rťsultat cette fois, mais qui se traduit par la terreur intermittente des religieuses qui la surveillent. On voit ainsi l'appťtit du meurtre et du vol ťclater comme par hasard, au cours d'un dťlire continu mais inoffensif dans ses phases de mťlancolie. D…LIRE DE PERS…CUTION.--HALLUCINATIONS.--ILLUSIONS DES SENS.--ACC»S D'AGITATION MANIAQUE AIGUň.--GU…RISON DE L'ACC»S MANIAQUE.--PERSISTANCE DE CONCEPTIONS D…LIRANTES ET DES HALLUCINATIONS.--M…GALOMANIE.--MEURTRE.--IRRESPONSABILIT…. B..., Jean, ‚gť de 30 ans, nť ŗ Metz (Moselle), terrassier, est un homme d'une haute stature, et qui a toutes les apparences d'une grande force physique. La physionomie a une expression ťtrange et qui annonce des prťoccupations incessantes; il parle avec lenteur, avec hťsitation mÍme, non comme s'il cherchait ŗ dissimuler, mais comme s'il craignait de rťvťler des secrets qui ne lui appartiennent pas; il a mÍme un accent de parfaite sincťritť et des formules de politesse naÔve qui font contraste avec son aspect grossier. Sa tÍte, mal conformťe, est garnie d'une chevelure ťpaisse, inculte, mal plantťe, qui contribue encore ŗ donner ŗ l'ensemble de sa personne un air sauvage. B..., d'une santť habituellement bonne, n'avait pas d'habitudes d'ivrognerie. Il ťtait seulement sujet ŗ des ťrysipŤles de la face et du cuir chevelu, et c'est ŗ la suite du dernier, dont il a ťtť atteint dans le courant du mois de juin 1869, qu'il a prťsentť les symptŰmes, d'abord d'une affection cťrťbrale aiguŽ, puis d'une aliťnation mentale avec accŤs de fureur. Conduit au dťpŰt de la Prťfecture de police, il est dťclarť atteint de mťlancolie anxieuse, et envoyť d'abord ŗ Sainte-Anne, puis dans un autre asile oý il entre le 15 juin, et d'oý il sort le 10 juillet suivant, avec la mention qu'il est actuellement guťri de l'aliťnation mentale qui avait motivť sa sťquestration, et qu'il y a lieu de le mettre en libertť. B... revient chez lui. Depuis ce moment jusqu'au 4 septembre, il ne semble pas que B... ait attirť l'attention par des allures et des actes excentriques. Nous nous l'expliquons d'ailleurs par les maniŤres rťservťes et discrŤtes de l'inculpť qui paraÓt sans cesse absorbť dans ses rťflexions, et qui ne parle que difficilement et peu. Mais si l'enquÍte ne nous apprend rien de positif sur ce qui s'est passť dans ce laps de temps, B... nous le fait savoir par ce qu'il raconte de tout ce qu'il a souffert depuis son retour chez lui. Nous allons reproduire textuellement le rťcit de B..., rťcit qui a ťtť fait en plusieurs fois, sans que jamais aucune trace de simulation ait pu nous inspirer le moindre doute sur sa sincťritť, rťcit dans lequel il n'a jamais variť, et qui montre ŗ quel point B... a la raison troublťe: Voici ce que B... nous a dit: ęIl s'est mariť il y a 13 ans; il a toujours aimť sa femme; c'est elle qui n'ťtait pas bonne pour lui; elle voulait se remarier; si elle avait pensť ŗ la Providence divine, elle n'aurait pas fait ce qu'elle a fait; elle n'aurait pas dťbauchť autant de peuple; il ne l'a jamais surprise, mais il l'a su tout de mÍme par beaucoup de monde; il a trouvť des signalements contre elle qui lui faisaient des injustices. ęElle ne le trouvait pas assez bel homme. Il ne veut pas parler; ce serait trop long; il faut connaÓtre la maniŤre de comprendre le secret; c'est un secret qu'il a dans l'estomac. Il faut qu'il parle lentement; c'est la Providence qui le protŤge. ęIl entend bien le secret, lui, mais il ne peut pas le dire; il pourrait bien le faire entendre d'ici au Palais-Royal ŗ quelqu'un qu'il voudrait; mais il ne le dirait pas ŗ son frŤre: il ne peut pas le dire; c'est pour la vie; ce doit Ítre la Providence qui lui a donnť cela. Il y a au moins deux mois qu'il a vťcu de poison, du verre pilť que sa belle-soeur mettait dans son vin; ses cousins ťtaient complices; il a ťtť averti par des personnages somnambules; il avait tout cela sur les ťpaules, ils l'ont assez travaillť; il croit qu'il en est dťbarrassť; il a dťcouvert et Űtť les secrets aux somnambules; il croit qu'ils n'embarrasseront plus beaucoup Paris en ce moment. Il est arrivť beaucoup de choses par lui dans ces derniers temps; nous devons le savoir, Áa doit Ítre connu; il doit y avoir de l'argent de rentrť par son ordre, parce que la Providence le protŤge; l'argent appartient ŗ la France; dans une cellule il ne peut pas savoir la somme; il peut ťteindre les incendies dans toutes les villes d'Europe; il peut se promener partout sans quitter l'endroit oý il est; il ne peut pas rester en cellule; la Providence lui annonce qu'il va Ítre empereur; avant-hier il a arrÍtť la colŤre de Dieu qui voulait punir le peuple pour ses mťchancetťs; il serait bien content de connaÓtre l'empereur de France. Sa femme vit; ce n'est pas elle qui a ťtť tuťe; ils disent que c'est la femme d'un des hommes qui sont dans la cellule; c'est une somnambule qui a tuť la femme; elle a voulu le tuer aussi; il a reÁu quatre coups de poignard. (Il nous montre les cicatrices sur son ventre, et nous ne voyons qu'une trŤs-ancienne et trŤs-petite cicatrice, produite probablement par une piqŻre de sangsue.) ęC'est une nommťe FranÁoise qui a fait tuer la femme par un homme; il se souvient que la femme a ťtť prise par le col, et ensuite on lui a coupť le col avec un rasoir; elle n'ťtait pas encore ťtranglťe; il ťtait couchť dans le mÍme lit, il n'a pas pu l'empÍcher; il ne peut pas couvrir tout contre les somnambules; il en a eu jusqu'ŗ vingt aprŤs lui, mais ils n'ťtaient pas assez forts, c'ťtaient surtout des femmes. On lui mouillait son pantalon, on voulait l'enlever pour le conduire dans son pays. On l'a fait passer pour fou; on l'a fait mener ŗ Sainte-Anne, de lŗ dans un autre asile; sa femme est venue le chercher en pleurant. Sa femme l'a fait sortir pour le faire assassiner par les somnambules; elle a pleurť devant les pieds de ces messieurs qu'elle avait besoin de lui. ęAprŤs son retour chez lui, les somnambules ont commencť ŗ le tourmenter; sa femme et ses complices ont commencť ŗ lui donner du verre pilť; elle mangeait au dehors avec ses compagnons, et lui, mangeait son pain sec; c'ťtait dans le vin qu'ťtait le poison.Ľ Tel a ťtť le rťcit de B... Dans toutes les visites que nous lui avons faites, il a constamment rťpťtť les mÍmes phrases en se servant des mÍmes expressions. Il lui est arrivť parfois de nous ťconduire, toujours avec les mÍmes formes de politesse, assurant qu'il ne pouvait pas parler. Cependant il a fini par nous avouer que les somnambules continuaient ŗ le tourmenter; que la nuit on l'empÍchait de dormir, qu'on le soulevait dans son lit, que le matelas lui donnait des secousses; et, en effet, le surveillant nous apprend que B... a rejetť le matelas tout neuf sur lequel il couchait, se plaignant qu'il avait une mauvaise odeur et qu'il contenait du poison; il a ťgalement rendu les draps, il s'enveloppe dans une couverture et s'ťtend sur la paillasse. On nous informe aussi qu'un jour il a eu un accŤs d'emportement; il menaÁait de tout briser si on ne voulait pas laisser venir sa femme qu'il entendait l'appeler; il murmure des mots inintelligibles et il semble ťcouter des voix qui lui parlent; quand il se dťcide ŗ rťpondre, il tient les discours les plus incohťrents et les plus insensťs; il croit que tout est dťtruit dans Paris, que la colonne de Juillet est renversťe; il nous dit tantŰt que la Seine est gelťe, tantŰt que l'eau est changťe en sang; il voit Dieu et cause avec lui; il a vu aussi la sainte Vierge et l'enfant Jťsus dans sa maison; Dieu lui parle et lui fait connaÓtre ses volontťs; c'est lui, B..., qui doit sauver le monde. Il dit tantŰt que c'est sa femme qui a ťtť tuťe, tantŰt que c'est une inconnue; il accuse toujours les somnambules de le travailler; B... est tellement dominť par ses hallucinations, qu'il ne prend aucun soin de sa personne, qu'il satisfait ses besoins personnels dans son lit ou dans ses vÍtements, et qu'il rťsiste quand on veut le nettoyer; il est constamment absorbť dans ses pensťes; il passe ses journťes entiŤres ŗ ťcouter les voix qui lui parlent. Ainsi que nous l'avons dťjŗ dit, rien dans la tenue, ni dans l'accent de B... n'annonce la moindre idťe de simulation; toute sa personne, au contraire, l'expression de sa physionomie, sa voix, tout est marquť au sceau de la plus parfaite sincťritť. D'ailleurs, la forme mÍme des conceptions dťlirantes que l'on trouve chez B... est caractťristique, et ne pourrait Ítre imaginťe et rťalisťe par un homme sain d'esprit qui voudrait en imposer et simuler la folie. Pour aller au-devant de l'objection de la simulation, nous avons soumis B... ŗ une trŤs-longue observation, et, dans les nombreuses visites que nous lui avons faites, nous n'avons jamais surpris le moindre indice qui pŻt nous faire douter de la rťalitť de l'aliťnation mentale dont il prťsente les symptŰmes. ņ l'appui de cette opinion, nous pouvons encore invoquer la tenue et la conduite de B... pendant et aprŤs le meurtre de sa femme. Un enfant dťjŗ d'un certain ‚ge, un tťmoin, par consťquent, est lŗ dans la mÍme chambre; il dort, il est vrai, mais il peut se rťveiller, et, en effet, il se rťveille, puisqu'il demande ŗ B... ce qu'il scie pendant que celui-ci coupe le col de sa femme avec le rasoir; eh bien, B... ne choisit pas un moment oý l'enfant serait absent, et la prťsence de cet enfant ne l'arrÍte pas. Le meurtre accompli, il recouvre le corps de sa femme avec le drap, et il reste paisiblement ŗ cŰtť du lit; le matin, il emmŤne l'enfant faire une promenade, aprŤs lui avoir dit que sa mŤre dormait; il rentre avec l'enfant, puis il l'envoie dťjeuner au dehors, et lui, reste lŗ, dans la chambre, et le soir, quand les voisins arrivent avec le commissaire de police, il ne paraÓt pas ťmu, il montre oý est sa femme, et il se laisse emmener, sans avoir pendant toute la journťe fait aucune tentative pour se soustraire aux consťquences de son action. Ce n'est certes pas ainsi que se conduisent les criminels, et la maniŤre d'Ítre de B... dans la matinťe et dans la journťe du 5 septembre est certainement celle d'un homme qui n'a pas conscience de ses actes. De tout ce qui prťcŤde, nous concluons que: 1į B... (Jean) est atteint d'aliťnation mentale, et le dťbut de sa maladie remonte probablement ŗ une ťpoque dťjŗ assez ťloignťe; 2į Au moment oý il a commis le meurtre dont il est inculpť, B... ťtait dominť par des conceptions dťlirantes et des hallucinations qui lui Űtaient la conscience de ses actes; 3į B... ne saurait Ítre dťclarť responsable du meurtre qui lui est imputť; 4į B... (Jean) est un aliťnť des plus dangereux, et il y a nťcessitť de le sťquestrer dans un asile spťcial, oý il devra Ítre entourť de la surveillance la plus rigoureuse. ņ Paris, le 18 octobre 1869. Signť: G. BERGERON, …. BLANCHE. J'ai reproduit entiŤrement ce rapport, parce que le cas de B... me paraÓt offrir plusieurs points intťressants. Les renseignements sur les antťcťdents hťrťditaires manquent, mais B... a une malformation congťnitale de la tÍte. B... n'a pas d'habitudes d'ivrognerie; il est habituellement d'une trŤs-bonne santť, sauf qu'il est sujet ŗ des ťrysipŤles de la face et du cuir chevelu. La crise d'agitation maniaque aiguŽ qui a nťcessitť son placement dans un asile est survenu vers la fin d'un ťrysipŤle. Cette crise n'a ťtť que de courte durťe, et B... est redevenu promptement calme, d'un caractŤre concentrť, taciturne, ne communiquant pas ses pensťes, rťgulier dans sa tenue, bref, mais correct dans ses rťponses, il a pu dissimuler le vťritable ťtat de son esprit, et sur les instances de sa femme, il a ťtť remis en libertť. ņ peine rentrť chez lui, B... est retombť sous l'empire de conceptions dťlirantes et d'hallucinations qui ne lui ont presque plus laissť de rťpit; il a luttť pendant quelques semaines contre les suggestions de son dťlire; puis, une nouvelle crise de surexcitation cťrťbrale s'est produite, et B... a tuť sa femme; le meurtre accompli, il est demeurť absolument tranquille, et s'est laissť arrÍter sans rťsistance. Ainsi qu'on l'observe ordinairement, B... a ťprouvť comme un soulagement aprŤs avoir commis l'acte qu'il considťrait comme le ch‚timent mťritť de ses justes griefs; mais le dťlire a persistť, et dans la prison, il y a eu un nouvel accŤs de surexcitation maniaque. B..., dťclarť irresponsable, a ťtť placť de nouveau dans un asile; j'ai eu occasion de l'y voir plusieurs fois, et ŗ une de mes visites je l'ai trouvť trŤs-excitť et trŤs-irritť, et on a dŻ prendre ŗ son ťgard des mesures exceptionnelles de surveillance; il ťtait certainement sollicitť par une nouvelle impulsion ŗ des actes de violence. D…BILIT… INTELLECTUELLE CONG…NITALE.--D…LIRE DE PERS…CUTION.--ILLUSIONS DES SENS.--ID…ES DE SUICIDE.--ACC»S D'EMPORTEMENT.--MEURTRE.--IRRESPONSABILIT…. Nous, soussignťs, …. Blanche et A. Motet, docteurs en mťdecine de la Facultť de Paris, commis le 20 novembre 1871, par ordonnance de M. Perrot de Chezelles, juge d'instruction prŤs le tribunal de premiŤre instance du dťpartement de la Seine, ŗ l'effet de constater l'ťtat mental du nommť L... Antoine, ‚gť de 53 ans, inculpť d'assassinat commis le 7 octobre sur la personne du sieur M...; aprŤs avoir prÍtť serment, pris connaissance du dossier, visitť le prťvenu, et recueilli tous les renseignements de nature ŗ nous ťclairer, avons consignť dans le prťsent rapport les rťsultats de notre examen: L... est un homme de 53 ans, bien constituť, qui n'a jamais prťsentť d'autres troubles dans sa santť que des accidents fťbriles ŗ forme intermittente, sans caractŤre pernicieux d'ailleurs. Son existence a ťtť assez aventureuse. Jeune, il est allť en Californie avec M..., alors son ami, plus tard son associť; il ne fit pas aux placers une brillante fortune, mais il en revint avec une vingtaine de mille francs. AprŤs avoir passť quelque temps dans sa famille, il se maria, revint ŗ Paris, et s'associa avec M... pour l'exploitation d'une maison de commerce: les affaires furent assez prospŤres pour qu'ŗ la fin de son contrat, L... put aller vivre ŗ E... de ses revenus, laissant M... continuer la gestion de la maison de commerce. Nous insistons sur ces dťtails; ils ont une importance sťrieuse pour nous; les mobiles du crime dont L... est inculpť, doivent Ítre recherchťs jusque dans les relations qui existaient ŗ cette ťpoque et qui se sont maintenues depuis entre les deux associťs. Tant qu'ils vťcurent l'un prŤs de l'autre, L... et M... n'eurent pas de difficultťs. La maison marchait bien, et les discussions qui pouvaient naÓtre au sujet des affaires, ťtaient vite apaisťes. Cependant, dŤs cette ťpoque, on reconnaissait ŗ L... un caractŤre mťfiant, soupÁonneux; comme il n'avait pas de sujet sťrieux de plaintes, qu'il pouvait facilement contrŰler lui-mÍme la gestion de la maison, la tenue des livres, comme d'un autre cŰtť il trouvait dans ses occupations au dehors une diversion assez puissante, il n'y eut jamais de scŤnes de violences, ni mÍme de rťcriminations trŤs-vives. Il n'en fut plus ainsi quand L... quitta la maison de commerce, laissant M... seul ŗ la tÍte des affaires. Sa situation avait ťtť nettement ťtablie, la liquidation s'ťtait faite rťguliŤrement; les termes de paiement des sommes et des intťrÍts dus ŗ L... avaient ťtť convenus, rien, en un mot, n'avait ťtť nťgligť, et il eŻt dŻ trouver dans l'exactitude avec laquelle ces conventions furent exťcutťes en 1800 et 1870 une sťcuritť entiŤre. Il n'en fut rien. Il se produisit chez lui ce qui se voit trop frťquemment chez les hommes qui passent tout ŗ coup d'une vie laborieuse et active ŗ une vie oisive. Il prit ombrage de tout. Il se figura que son associť ne lui rendait pas de comptes fidŤles, il vťcut avec cette idťe, sans cesse prťsente ŗ son esprit, assez inquiet pour en parler souvent ŗ sa femme, assez maÓtre encore de lui, dans les premiers temps, pour ne pas venir lui-mÍme ŗ Paris, pour y envoyer sa femme ŗ l'ťpoque des ťchťances. Peu ŗ peu les prťoccupations, de vagues qu'elles ťtaient, prennent une forme plus prťcise: ęIl a entendu dire que son associť M... prťtendait que lui, L..., ťtait mort dans une maison de fous.Ľ Par qui a-t-il entendu tenir ce propos? ęC'est un homme ‚gť qu'il ne connaÓt pas, qui doit demeurer dans un village voisin, qui est venu pour l'avertir; il a d'autres indices: M... lui a ťcrit une lettre ŗ laquelle il ne comprend rien, on lui a dit d'apporter du papier timbrť, qu'est-ce que cela veut dire? Ce sont des ťnigmes pour lui.Ľ Jusque-lŗ encore L... reste dans cet ťtat d'indťcision, d'incertitude, qui appartient aux pťriodes initiales des dťlires; mais il y apporte un caractŤre particulier qui nous semble important ŗ signaler. Il oublie pendant de longs mois ses inquiťtudes; il vit, calme en apparence, partage entre des occupations d'une extrÍme simplicitť, il va ŗ la pÍche tous les jours, rentre paisiblement chez lui, n'a pas d'habitudes alcooliques, est, en un mot, pour tout le monde, un de ces hommes inoffensifs qui ne donnent aucun prťtexte ŗ la malignitť publique de s'occuper d'eux. Et cependant, en y regardant d'un peu plus prŤs, on trouve dans le dossier mÍme des renseignements curieux: le brigadier du gendarmerie, le maire de la commune dťclarent que L... est trŤs faible d'esprit, que ses idťes sont souvent dťcousues, qu'il n'a pas toujours la tÍte ŗ lui, que du reste, il n'a jamais donnť lieu ŗ des plaintes, que, s'il a parfois le caractŤre emportť, il ne s'est livrť sur personne ŗ des violences. Le rapport ajoute qu'il parlait volontiers de ses affaires et de l'irrťgularitť avec laquelle M... tenait ses engagements vis-ŗ-vis de lui. Son dťpart pour Paris dans les premiers jours d'octobre ne fut pas annoncť. Sa femme ťtait venue comme d'habitude, quelques jours auparavant, elle n'avait pas terminť le rŤglement des comptes. L..., mťcontent, rťsolut de faire lui-mÍme le voyage, et sans laisser soupÁonner qu'il eŻt de mauvais desseins, il s'exprima, cependant, dŤs ce moment, sur le compte de M... avec une vive animositť. Arrivť ŗ Paris, il visite quelques personnes; partout il se montre excitť contre M..., on prťvoit une discussion, on ne prťvoyait pas cependant qu'un meurtre en serait la consťquence derniŤre. Le troisiŤme jour de son arrivťe, L... se prťsente le matin chez son associť; ne le trouvant pas, il va dťjeuner; ce dťjeuner n'est pour lui l'occasion d'aucun excŤs, et vers deux heures de l'aprŤs-midi, il se prťsente de nouveau chez M..., qui l'attendait. Lŗ, sans discussion, sans provocation d'aucune sorte, comme l'affirment les tťmoins. L... frappe M... d'un coup de couteau dans le ventre, en prťsence du caissier, de deux jeunes gens, employťs de la maison, qui se trouvaient ŗ quelques pas de lui dans le magasin. Tel est l'acte sur le caractŤre duquel nous avons ŗ nous prononcer. A-t-il ťtť commis avec conscience, avec une entiŤre libertť morale? Est-ce au contraire un acte qui ne saurait Ítre considťrť comme entraÓnant la responsabilitť du prťvenu? C'est dans l'examen attentif de L..., dans l'observation prolongťe ŗ laquelle nous l'avons soumis, dans les rťponses qu'il a faites ŗ nos questions, dans les piŤces mÍme du dossier, que nous trouvons les ťlťments d'une conviction absolue, et les conclusions qui nous sont demandťes. L... est dťtenu depuis le 7 octobre; nous le trouvons ŗ la prison de Mazas, et dŤs notre premiŤre visite, nous pouvons constater combien son intelligence est peu active, combien sa mťmoire est affaiblie. Il a peine ŗ se souvenir du nombre de jours ťcoulťs depuis son arrivťe ŗ la prison, et nos tentatives pour l'amener ŗ faire un calcul d'une extrÍme simplicitť n'aboutissent qu'ŗ cette rťponse: ęVoyez-vous, messieurs, les chiffres, ce n'est pas mon fort.Ľ Nous l'avons visitť un grand nombre de fois, et voici le rťsumť de nos longues entrevues avec lui. Il nous est impossible de laisser aux discours de L... leur physionomie rťelle; avec quelque soin que nous ayons cherchť ŗ les reproduire, ils sont tellement diffus, incohťrents mÍme, que rien n'est plus difficile que de les fixer, et, involontairement nous leur donnons une suite qu'ils n'ont pas, et qui ne peut manquer de les faire considťrer comme moins dťraisonnables qu'ils ne le sont en rťalitť. Cependant, il y a, dans le courant de ces rťcits, qui nous transportent tout ŗ coup de Paris jusqu'en Californie, des expressions caractťristiques, des phrases qui traduisent un ťtat mental tout spťcial, et qui ont ťtť pour nous une nouvelle source de convictions. D. Depuis combien de temps Ítes-vous ici? R. Je suis ŗ la prťfecture depuis le 7 octobre. D. Combien cela fait-il de temps? R. Je ne sais pas, un mois et quelques jours. D. De quel mois? R. (Avec hťsitation), de dťcembre, non, de novembre. D. Pourquoi avez-vous ťtť arrÍtť? R. J'ai eu des disputes avec mon associť, il m'a tendu des guet-apens, c'est ŗ propos de nos affaires, quand je me suis retirť, il me devait de l'argent; je n'ai pas d'instruction, je ne savais pas bien faire les comptes, notre dernier inventaire n'avait pas ťtť fait comme il faut. Ma femme a fait venir une demoiselle qui connaÓt trŤs-bien la tenue des livres, elle m'a dit, mais est-ce que les crťances mauvaises ou douteuses ne sont pas comptťes? Je lui ai dit que si, mais je me doutais de quelque chose, parce que j'avais trouvť dans le coffre ŗ bois du magasin une feuille de papier oý il y avait une signature. On m'avait fait signer un soir, je n'avais pas fait attention, mais ce n'est pas comme cela qu'on fait un inventaire. Moi, je suis trŤs-bon commerÁant; je faisais la place avec le cheval et la voiture. J'avais toujours mes factures prÍtes, dans cette poche lŗ, par ici l'argent, et puis dans les poches de mon pantalon; je les faisais faire en cuir, c'est plus solide. J'allais chez un client M. B..., facteur d'orgues, je lui disais: Monsieur, c'est moi j'ai de bonnes marchandises ŗ vous offrir; et nous nous entendions sur le prix; j'achetais des peaux, du cŰtť de la rue Montorgueil. J'arrive un jour chez M. L..., il me dit: ęEst-ce que vous Ítes bien avec votre associť? Mais oui, lui rťpondis-je, c'est un trŤs-bon garÁon. --Ah bien! tant mieux pour vous.Ľ M... ne lui revenait pas; il ne connaissait pas bien la peau, il a vendu une fois pour quatre francs du maroquin qui valait dix francs. Moi, c'ťtait mon affaire,--par exemple je ne suis pas fort sur les chiffres, mais on ne m'attrape pas facilement, un coup d'oeil ŗ droite, un coup d'oeil ŗ gauche, l'oeil amťricain, je vois tout, et malheur ŗ qui me tromperait, je lui ferais sortir les boyaux du ventre pour les jeter aux vautours du la Californie. (ņ ces paroles, L..., qui jusque-lŗ s'ťtait tenu tranquillement assis prŤs de nous, se lŤve, la physionomie altťrťe, menaÁante, le bras ťtendu, comme s'il eŻt devant lui un ennemi.) Nous le laissons se calmer, et nous essayons encore de le ramener aux jours qui ont prťcťdť le meurtre. Il nous rťpond en ces termes: ęJe n'ťtais pas mal avec M..., c'ťtait un vieux camarade, nous ťtions ensemble en Californie, c'est lŗ que nous avons ťtť malheureux; pas de pain ŗ se mettre sous la dent, le blť valait 500 francs le sac, et avec cela, il fallait toujours se dťfier. Les Indiens ťtaient lŗ qui nous guettaient, j'ai reÁu une flŤche ici dans la joue, mais je crois bien que j'ai dťmoli celui qui me l'a envoyťe.Ľ D. Avez-vous cherchť ŗ vous en assurer? R. Vous savez, on ne s'aventure pas; quand on en tue, on les laisse lŗ, les bÍtes les dťvorent, mais quand vous tombez, vous les blancs, vous Ítes sŻrs d'Ítre mangťs. Une fois nous ťtions partis une douzaine, ils voulaient aller trop avant, moi je n'ai pas voulu, je suis revenu au placer. D. Laissons un moment la Californie. Quand vous Ítes revenu ŗ Paris, le 5 octobre, Ítes-vous allť chez M... dŤs votre arrivťe? B. Non, j'avais des ťcrevisses dans mon panier, je suis allť les porter chez Mme T..., mais il m'est arrivť en y allant une drŰle d'affaire; je rencontre en face du jardin du Temple un jeune homme que je ne connaissais pas, et qui me dit: Bonjour, M. L..., vous voilŗ?--Oui monsieur. Vous allez bien, M. L...? Pas mal, merci. Vous allez chez M...;--et puis il se met ŗ ricaner, et il me dit: ęEh bien, mťfiez-vous, ils vont vous faire votre affaire.Ľ ęC'est drŰle, que je me dis, est-ce qu'il y a un guet-apens, ouvrons l'oeil.Ľ ņ partir de ce moment, tout lui est suspect. Dans le cafť oý on ne l'a pas vu depuis longtemps, l'accueil d'anciennes connaissances excite sa mťfiance, il est en garde contre tout le monde, et sans faire part ŗ personne de ses soupÁons, il observe; il trouve extraordinaires les choses les plus simples; cependant il n'est pas menaÁant encore pour M...; il parle de lui avec une ťvidente animositť, mais si l'on craint une discussion un peu vive, rien ne fait prťvoir la scŤne violente, le meurtre du 7 octobre. Ce jour-lŗ L... arrive vers onze heures au magasin, M... est absent; Mme M... reÁoit l'ancien associť de son mari, et lui donne rendez-vous pour deux heures. L... va dťjeuner au cafť T..., le repas est sobre; vers une heure et demie M..., de retour ŗ son magasin, envoie prťvenir L...; ici se place un dťtail qui dans l'apprťciation des faits nous paraÓt avoir la plus sťrieuse importance. L'employť de M..., par un mouvement tout naturel d'ailleurs, regarda peut-Ítre ŗ travers les vitres du cafť avant d'entrer; ce qu'il y a de certain, c'est que L... vit dans cet acte si simple, un espionnage, ęils me guettaient, nous dit-il, car je n'avais pas bu la derniŤre goutte de mon cafť que Mme T... me dit: ęM. L..., on vous demande au magasin,Ľ--et en disant cela, elle avait un air triste comme je ne lui avais jamais vu. Elle n'est pas gaie de caractŤre, mais jamais je ne lui avais vu une figure comme cela. Ce n'ťtait pas naturel. Je me lŤve, je prends mon chapeau, et je vais chez M... J'arrive. Il ťtait dans le magasin,--je lui dis bonjour, il me dit, que me veux-tu?--Autrefois, s'il m'avait dit cela, comme cela, j'aurais pris mon chapeau, et je lui aurais rťpondu, prends le cheval et la voiture, fais la place si tu veux, moi, je m'en vais, parce que cela ne me va pas qu'on me parle comme cela. Je lui rťponds, je viens rťgler nos comptes, et nous passons dans le bureau. J'ťtais du cŰtť de la porte du couloir; aussitŰt je reÁois un coup de poing lŗ, sur le derriŤre de la tÍte, et je me sens empoignť par les deux commis, je me dťbats, et j'envoie ŗ M... qui ťtait devant moi, un coup de couteau; je ne sais pas oý je l'ai attrapť.Ľ D. Vous aviez donc votre couteau ouvert sur vous? R. Oui, je le portais toujours dans la poche de ma redingote. D. Pourquoi ťtait-il enveloppť avec du papier? R. C'ťtait pour ne pas me couper, et pour ne pas couper ma poche. D. Mais on ne porte pas un couteau ouvert dans sa poche. R. C'ťtait pour me dťfendre si on m'attaquait. Je ne sortais pas sans cela, on ne peut pas savoir; il y a des communeux qui rŰdent le soir, et qui vous attaqueraient trŤs-bien. D. Mais enfin, M... ne vous avait rien fait? R. C'ťtait un coup montť: je l'ai bien vu quand on est venu me chercher au cafť. Je ne me suis dťfendu qu'aprŤs le coup du guet-apens de la porte du couloir de la cuisine. D. Avez-vous vu quoiqu'un? R. Non. Quand je me suis retournť, je n'ai vu personne, c'est un peu sombre, mais j'ai bien senti le coup de poing sur le derriŤre de la tÍte: Áa m'a fait baisser. C'est terrible d'Ítre comme cela! ņ partir de ce moment, L... entre dans une phase d'excitation violente, il se frappe la tÍte en disant: ęIl y a des moments oý je n'ai plus ma tÍte ŗ moi.Ľ Il pleure; il n'exprime pas de regrets, cependant, au sujet du meurtre qu'il a commis; au contraire, au souvenir des injures qu'il est convaincu qu'on lui a faites, de sa haine contre M..., il en arrive ŗ un ťtat d'extrÍme agitation, que nous avons beaucoup de peine ŗ calmer, et qui nous inspire de telles craintes que L... ne se livre soit contre lui-mÍme ŗ quelque acte de dťsespoir, soit contre ses codťtenus ŗ des violences, qu'un mot, une plaisanterie auraient pu provoquer, que nous nous rendons auprŤs du directeur de la prison pour le prťvenir de l'ťtat dans lequel nous laissons L..., et pour lui recommander de redoubler de surveillance. Dans toutes nos visites, nous avons toujours insistť prŤs de L... pour savoir quels ťtaient au juste ses griefs contre M...; nous croyons devoir reproduire encore quelques-unes de ses rťponses sur ce sujet. D. Pendant que vous ťtiez l'associť de M..., avez-vous eu avec lui des discussions un peu vives? R. Je n'ai pas eu un mot avec lui pendant onze ans, nous ťtions trŤs-bien ensemble. D. Vous n'avez jamais pensť qu'il voulŻt vous faire du mal? R. Non, mais depuis, cela m'est revenu: j'ai oubliť de vous dire cela; je me suis rappelť qu'il y a quelques annťes, en 1867, je crois, M... me fit cadeau de plusieurs bouteilles d'eau-de-vie. Un matin, avant de partir pour mon travail, j'en pris un petit verre; je ne me suis senti de rien d'abord; un quart d'heure aprŤs, voilŗ qu'il me pousse des sueurs, je me sens un grand malaise, et je vomis dans la rue. Je m'arrÍte chez un marchand de vin, oý je prends un verre d'eau sucrťe; j'arrive au magasin, M..., me dit: ęqu'est-ce que tu as, tu es tout p‚le, tu as l'air maladeĽ, j'avais un mal de tÍte ťpouvantable, puis Áa s'est passť.Ľ D. Avez-vous cru que l'eau-de-vie ťtait empoisonnťe? R. Sur le premier moment, je n'y ai pas pensť, mais aprŤs, j'ai eu des doutes, parce qu'il m'avait demandť ce que j'avais, d'un drŰle d'air. Je me suis rappelť qu'il m'avait dťjŗ, dit: ęas-tu goŻtť l'eau-de-vie?Ľ C'est depuis ce moment-lŗ. que j'ai un peu perdu la boule--je me suis aperÁu que je n'ťtais plus comme avant--je n'avais plus de mťmoire. D. Est-ce que vous avez remarquť chez d'autres personnes des dispositions malveillantes pour vous? R. Il y avait l'emballeur, M. A..., qui me regardait souvent en ricanant; un jour il me dit: ęvous avez beaucoup d'argent, vous?Ľ qui vous a dit cela? ęJe le sais, M. L...Ľ. Eh bien, je lui rťponds, cela ne vous regarde pas. Tout cela, ce n'ťtait pas naturel. Il y a longtemps qu'on manigance Áa. Tel est le rťsumť de nos longues conversations avec L... Les indications les plus importantes que nous y ayons trouvťes au point de vue de nos recherches sont confirmťes par des indications semblables que nous relevons dans l'examen attentif, et fait au point de vue mťdical, des documents du dossier. Voici, en effet, ce qui ressort pour nous de cet examen: c'est que L... nourrissait depuis longtemps une haine profonde contre M... Mais les motifs de cette haine sont insensťs, ils sont ťclos de toutes piŤces, pour ainsi dire, dans une tÍte faible, chez un homme d'une intelligence au-dessous de la moyenne, et qui, dans une petite ville, oý l'on est volontiers indulgent pour un individu aisť, passe pour un faible d'esprit, dont la conversation est nulle, les idťes souvent dťcousues. Calme, sans excitation d'aucune sorte, L... reste inoffensif; mais qu'ŗ certains moments l'idťe lui soit venue de se venger de M... qu'il accuse de le tromper, cela ne saurait faire doute pour nous. Cependant de la conception ŗ l'exťcution il y avait loin, et nous ne pensons pas que cette rťsolution ait ťtť le motif rťel du dťpart de L... pour Paris. Une fois en prťsence de M..., il s'est passť dans son esprit ce qui se passe dans l'esprit de tous les dťlirants persťcutťs: L..., aprŤs une longue pťriode de calme apparent, de vague, d'incertitude, a ťtť poussť au meurtre par un mot, un regard, un geste, qui, en le confirmant dans les soupÁons dont il ťtait poursuivi depuis longtemps, ont tout ŗ coup fait ťclater la dťtermination homicide. Cet acte ťtait donc prťparť, et il a ťtť accompli sous l'influence d'une surexcitation cťrťbrale momentanťment plus intense; il peut Ítre directement rattachť ŗ une disposition morbide antťrieure, qui est restťe, peut-Ítre ŗ l'ťtat latent, ne donnant lieu qu'ŗ des manifestations dans le langage, dans le tenue, dont la cause ťtait inconnue; et cependant ces manifestations ťtaient assez caractťristiques pour que, dans le pays qu'habitait L... elles aient ťtť remarquťes et lui aient valu la rťputation d'un homme dont la tÍte ťtait faible, d'un homme sujet ŗ des emportements et dont les idťes ťtaient souvent dťcousues. Voici les piŤces que nous croyons devoir reproduire; elles nous ont semblť n'avoir pas moins d'intťrÍt que les rťponses mÍme de L... ęNous, brigadier de gendarmerie, nous sommes rendu au domicile du sieur L..., oý nous avons trouvť sa femme, qui nous a fait la dťclaration suivante: ęLe 5 octobre dernier, mon mari est parti pour Paris, pour t‚cher de rťgler des comptes avec un nommť M..., son associť, lesquels nous ne pouvions depuis longtemps rťgler ŗ cause du mauvais vouloir continuel dudit M..., quand, le 7 ou le 8, j'appris par les journaux le crime qu'avait commis mon mari. Je vous dťclare que j'ignore complŤtement ce qui s'est passť et qu'au moment du dťpart de mon mari il n'avait contre M... aucune idťe de lui faire du mal; mais il a la tÍte si faible que depuis longtemps je crains de sa part un suicide; _il me parle souvent de se tuer_.Ľ ęQuant aux autres renseignements que nous avons pu obtenir auprŤs des personnes notables du pays qui connaissent le sieur L... depuis son arrivťe dans la commune, on s'accorde ŗ dire qu'il vivait d'une maniŤre trŤs-sobre, ne frťquentant intimement personne et n'entrant jamais dans les lieux publics, ne s'occupant que de la pÍche. ęIl rťsulte de notre enquÍte, qui a ťtť trŤs-minutieuse, que nous n'avons pu trouver une seule personne ayant entendu L... tenir contre son associť des propos menaÁants. Une seule personne n'a pas pu non plus dire si L... portait ou avait portť sur lui un couteau poignard. ęNous connaissons L..., et depuis que nous l'avons connu, nous l'avons toujours considťrť pour une tÍte trŤs-faible et sujette aux ťgarements. Le 1er novembre 1871, le maire d'E..., dans une lettre, dont nous reproduisons textuellement la plus grande partie, signale l'ťtat d'exultation de L... au moment de son dťpart; il n'a pu toutefois obtenir l'assurance, qu'avant son dťpart, L... ait tenu des propos menaÁants contre M...; il ťcrit: ęSoit par habitude, soit qu'il ait conservť ici la dťfiance soupÁonneuse de la profession qu'il a exercťe en Californie, soit par manie, L... avait continuť ŗ porter en tout temps sur lui un couteau poignard. Je n'ai encore pu savoir s'il ťtait porteur de cette arme en partant le 5 octobre. D'un autre cŰtť, je n'ai que de bons renseignements ŗ vous fournir sur la tenue de L... dans la commune, et sur ses relations avec les habitants..., sa probitť, ses moeurs, ont toujours ťtť irrťprochables, les garanties offertes par sa famille, composťe de sa femme et d'une jeune fille de 12 ans, n'ont jusqu'ŗ prťsent rien laissť ŗ dťsirer. L... n'ťtait ici intimement liť avec personne, peut-Ítre ŗ cause du peu de fonds de son caractŤre; assez communicatif pourtant, il confiait facilement ses affaires, et il a conservť de nombreuses sympathies dans le village. Il a dťcelť en plusieurs circonstances un tempťrament irascible, attribuť ŗ son sťjour en Californie, et surtout ŗ une faiblesse intellectuelle qu'on a pu constater en maintes circonstances. L... ne frťquentait jamais les ťtablissements publics, et il n'a non plus montrť en aucune occasion une violence de caractŤre qui ait pu inspirer des craintes ŗ qui que ce fŻt. ęL... est connu dans le pays, comme ayant une intelligence ťtroite et peu entendue. Ses voisins ont pu remarquer frťquemment chez lui des moments d'ťgarement dans lesquels il perdait le fil de ses idťes.Ľ L... ťtait donc pour les gens au milieu desquels il vivait, qui ne savaient ŗ quoi rapporter les bizarreries de son caractŤre, les emportements subits auxquels il se livrait, et qui ne les pouvaient juger qu'avec leur simple bon sens, L..., disons-nous, ťtait un faible d'esprit: mais pour nous, il ťtait, de plus, tourmentť par des idťes de persťcution. Ces conceptions dťlirantes se sont dťveloppťes peu ŗ peu, elles se sont imposťes et ont fini par dominer L... complŤtement. Qu'on ne s'ťtonne pas de n'y retrouver ni la cohťsion, ni la systťmatisation rigoureuse de la plupart des aliťnťs persťcutťs; la condition intellectuelle de L... est trop restreinte pour qu'il lui soit possible de s'ťlever ŗ une combinaison compliquťe; il n'a pas longtemps guettť sa victime, et s'il est impossible d'ťcarter toute prťmťditation, il est au moins permis de faire ressortir toute l'insanitť des motifs d'un meurtre, accompli en plein jour, devant des tťmoins, lesquels, tout ťmus encore de ce qui s'est passť sous leurs yeux, ne peuvent s'empÍcher de remarquer et de trouver ťtrange le calme du meurtrier. Cette attitude, d'ailleurs, sans forfanterie, sans cynisme, ne s'est pas dťmentie un seul jour dans la prison, et les surveillants de Mazas qui n'ont pu nous donner aucun renseignement au sujet des conceptions dťlirantes de L..., n'hťsitent pas pourtant ŗ le considťrer ęcomme un homme qui n'a pas sa tÍte ŗ luiĽ. Il vit insouciant, souvent gai, accomplissant avec une satisfaction puťrile une besogne d'une extrÍme simplicitť et qui n'exige que de l'agilitť dans les doigts; il n'est pas malheureux, ęil a du gaz toute la nuit, suffisamment ŗ manger; il travaille pour se distraire, il ne demande rien de plus;Ľ quant ŗ sa libertť, il n'en est pas trop privť, nous dit-il: ęen Californie, il fallait toujours Ítre sur le qui-vive, on n'ťtait pas si tranquille qu'ici.Ľ Aux nombreuses visites que nous lui avons faites, que notre observation ait ťtť directe, ou qu'elle ait portť sur lui, sans qu'il s'en dout‚t, nous l'avons toujours trouvť le mÍme, inconscient et de la valeur morale de l'acte qu'il a commis, et de sa situation prťsente. De tout ce qui prťcŤde, nous concluons que: 1į L... (Antoine), ‚gť de 53 ans, est un homme d'une intelligence originellement faible; d'un caractŤre mťfiant et soupÁonneux. 2į Les prťdispositions dťlirantes ont pu rester latentes au milieu d'une vie aventureuse, mais toujours occupťe, pendant laquelle le souci des affaires, l'activitť qu'exigeait une clientŤle nombreuse, apportaient une diversion puissante aux prťoccupations maladives. Sous l'influence du passage d'une vie de travail ŗ une vie de loisir, L... s'est trouvť tout entier livrť ŗ ses rťflexions; les retournant sans cesse dans son esprit, il est arrivť peu ŗ peu ŗ un ťtat de vťritable obsession. Ses mťfiances, ses soupÁons, d'abord mal dťterminťs, se sont traduits ensuite par des bizarreries, des tristesses, des emportements, puis encore, par la croyance absolue ŗ des complots contre sa fortune, contre sa sťcuritť personnelle. Ces conceptions dťlirantes ont prťsentť tous les caractŤres scientifiquement reconnus du dťlire de persťcution; elles ont abouti enfin ŗ une exaltation violente, elles ont amenť L... ŗ un ťtat de trouble mental tel, que toute rťsistance aux impulsions morbides est devenue impossible. 3į Au moment oý il a commis le meurtre dont il est inculpť, L... avait perdu toute conscience de la valeur de ses actes, toute libertť morale, et, consťquemment, on n'en saurait faire peser sur lui la responsabilitť. 4į L... est un aliťnť des plus dangereux. Nous pensons que, dans l'intťrÍt de l'ordre public et de la sťcuritť des personnes, il est nťcessaire de le placer et de le maintenir dans un ťtablissement spťcialement consacrť aux aliťnťs. En foi de quoi nous avons rťdigť le prťsent rapport pour valoir ce que de droit. Paris, le 25 dťcembre 1871. Signť: A. MOTET, …. BLANCHE. Il m'a semblť utile de reproduire en entier ce rapport, afin que l'on pŻt bien suivre toutes les phases par lesquelles L... a passť avant la crise qui a abouti au meurtre. D'une intelligence faible, d'un tempťrament nerveux, L... avait conservť de son sťjour en Californie et des aventures ťmouvantes dans lesquelles il avait ťtť, soit acteur, soit tťmoin, une tendance trŤs-prononcťe au soupÁon, ŗ la dťfiance, en mÍme temps qu'une grande disposition ŗ la violence et aux idťes de vengeance. Pendant qu'il fut absorbť par les affaires, L... ne manifesta ces penchants que par de l'irritabilitť et un ťtat habituel de surveillance sournoise ŗ l'ťgard de son associť. AprŤs avoir quittť la maison de commerce, livrť ŗ une oisivetť complŤte, L... n'ayant plus le contre-poids des soucis du commerce, fut progressivement dominť et enfin envahi par ses pensťes de mťfiance; il en arriva ŗ la conviction que M... l'avait trompť et l'avait lťsť dans ses intťrÍts. Il en conÁut d'abord du chagrin, puis un ressentiment de plus en plus vif, et les conceptions dťlirantes, qui n'avaient ťtť jadis que fugitives et lťgŤres, s'emparŤrent complŤtement de son esprit; il lutta encore cependant, et s'en remit ŗ sa femme du soin de faire valoir ses rťclamations. N'obtenant pas la satisfaction ŗ laquelle il croyait avoir des droits, il se dťcide ŗ venir lui-mÍme l'exiger. Arrivť ŗ Paris, il hťsite encore; il ne se rend pas tout de suite chez M...; il fait des visites; il rencontre des gens de connaissance avec lesquels il cause; il s'informe indirectement, et il interprŤte dans le sens de sa prťoccupation les paroles et les faits les plus simples et les plus naturels. Enfin, la crise ťclate, et, sous l'influence immťdiate d'illusions des sens et de conceptions dťlirantes, L... entre chez M..., et presqu'aussitŰt le frappe, sans qu'il n'y ait eu entre eux que l'ťchange de quelques mois de politesse banale. Le meurtre accompli, L... redevient calme. ņ Mazas, oý nous l'avons visitť souvent, L... est insouciant, presque gai; il ne se trouve pas malheureux; il ne semble avoir aucune conscience ni de la gravitť de l'acte qu'il a commis, ni de sa situation. Il a toutefois des accŤs d'excitation, et une fois, devant nous, il a eu une vťritable crise d'agitation furieuse au souvenir des mauvais traitements dont il prťtend avoir ťtť l'objet, et nous avons dŻ recommander des mesures exceptionnelles de surveillance. L... a ťtť dťclarť par le jury irresponsable, et placť dans une Maison d'aliťnťs. D…LIRE DE PERS…CUTION AVEC ACC»S IMPULSIFS. M. A... est fils d'une mŤre aliťnťe, et son frŤre est mort aliťnť dans une maison de santť spťciale. DŤs son enfance, il s'est montrť sombre, taciturne, soupÁonneux, irritable, violent. Un jour, dans un accŤs d'emportement dont il n'a pas voulu dire le motif, il tire un coup de fusil sur son pŤre, qui est lťgŤrement blessť; il en tťmoigne sur le moment quelque repentir, mais son humeur redevient bientŰt la mÍme. Sa famille habitait la province; il demande ŗ venir demeurer ŗ Paris; on le lui accorde, et on l'y installe largement, avec tout le luxe qu'autorise une grande fortune; il reÁoit autant d'argent qu'il en dťsire, mais, malgrť de sages remontrances, il le gaspille au lieu de payer le propriťtaire, les fournisseurs et les domestiques. Dans une conversation sur ce sujet avec un de ses amis, il se prťcipite sur lui et le menace de le jeter par la fenÍtre si celui-ci continue ŗ le _vexer_. Un jour, un huissier se prťsente accompagnť d'un commissaire de police; il s'arme de son fusil, et, les couchant en joue, leur ordonne de se retirer. Son pŤre, averti, se h‚te d'accourir, et M. A... lui dťclare qu'il est fatiguť des plaisanteries _dont les Parisiens l'accablent, qu'il ne peut vivre ainsi, qu'on l'empÍche de garder ses domestiques, que l'on rend ses chevaux malades, que l'on brise les essieux de ses voitures, que dans les rues on lui fait des grimaces, qu'il a ťtť dťjŗ plusieurs fois sur le point de souffleter les impertinents qui rient en le regardant, et qu'il est dťcidť ŗ ne plus supporter ces ennuis_. Placť dans une maison de santť, peu de jours aprŤs son entrťe, il saute un matin, par la fenÍtre, non pour se tuer, mais pour ťchapper aux visions qu'on fait passer devant ses yeux et aux mauvaises odeurs avec lesquelles on cherche ŗ l'asphyxier. Un peu plus tard, il se plaint qu'on lui serve ŗ ses repas de la viande d'animaux fťroces et de la chair humaine; mais, malgrť ses griefs, il ne se livre ŗ aucune violence, ni sur les mťdecins de la maison, ni sur les serviteurs. Seulement il veut qu'on le change de maison et qu'on le place dans celle oý son frŤre est mort, ce qui a lieu. M. A... se montre d'abord content de son changement de rťsidence; calme, de bonne humeur, il s'occupe, il dessine, mais il redevient bientŰt sombre, taciturne; ses yeux sont menaÁants, et il annonce sa rťsolution de tuer le mťdecin dont il avait rťclamť les soins, auquel il avait presque tťmoignť de l'affection, et ŗ qui il reproche maintenant de vouloir l'empoisonner, comme il a dťjŗ empoisonnť son frŤre. Ces accŤs d'emportement se renouvellent ŗ des ťpoques plus ou moins ťloignťes. Dťjŗ plusieurs fois M. A... s'est prťcipitť pour frapper; retenu par les gardiens, il a exprimť le chagrin _d'avoir manquť son coup_, se promettant _d'Ítre plus adroit une autre fois_. Dans les intervalles des accŤs, il est trŤs-paisible, et il reprend sa physionomie souriante et douce. M. A... est un type d'aliťnť persťcutť ŗ accŤs impulsifs. Chez lui, pas d'interruption dans les conceptions dťlirantes et dans les hallucinations, et malgrť cette continuitť de trouble mental, il est le plus habituellement calme, doux, aimable, affable mÍme, et on pourrait le considťrer comme ťtant absolument inoffensif. Sans aucun motif extťrieur apprťciable, sans qu'on ait eu ŗ lui imposer un refus, une contrariťtť, sans discussion prťalable, il change de physionomie, devient menaÁant, et serait capable des plus extrÍmes violences. AprŤs une crise de quelques jours, M. A... retombe dans l'inertie, jusqu'ŗ ce qu'il ťprouve une autre commotion cťrťbrale qui dťtermine les mÍmes symptŰmes de surexcitation transitoire. LYP…MANIE.--D…LIRE DE PERS…CUTION.--ILLUSIONS DES SENS.--ACC»S DE VIOLENCE.--ABUS ALCOOLIQUES.--ALCOOLISME.--HALLUCINATIONS.--MEURTRE.--IRRESPONSABILIT…. Commis par ordonnance de M. Blanquart des Salines, juge d'instruction prŤs le tribunal de la Seine, en date du 3 dťcembre 1877, ŗ l'effet d'examiner, au point de vue de l'ťtat mental, le nommť D..., inculpť d'assassinat sur la personne de sa femme, et de dire s'il paraÓt jouir de ses facultťs, et s'il doit Ítre rťputť responsable de l'acte qui lui est reprochť, nous, soussignťs, docteurs en mťdecine de la Facultť de Paris, aprŤs avoir prÍtť serment, avoir pris connaissance des piŤces du dossier, et avoir fait plusieurs longues visites ŗ l'inculpť dans la prison de Mazas, avons consignť le rťsultat de nos investigations et de notre examen dans le prťsent rapport: D..., nť ŗ R..., mariť ŗ Euphrasie L..., pŤre d'un enfant, p‚tissier, demeurant ŗ Boulogne-sur-Seine, est un homme de taille ťlevťe, d'une constitution vigoureuse, qui n'offre aucun signe de malformation congťnitale, et qui paraÓt avoir toujours ťtť d'une bonne santť, sauf qu'il ťtait sujet ŗ de violents maux de tÍte. Nous n'avons rien trouvť qui fŻt ŗ noter dans ses antťcťdents hťrťditaires, si ce n'est qu'il est le fils d'un pŤre qui ťtait dťjŗ assez avancť en ‚ge ŗ l'ťpoque oý il est nť, mais aucun de ses parents ne semble avoir ťtť atteint d'affections cťrťbrales. L'expression de sa physionomie est sťrieuse, rťflťchie, et annonce un caractŤre triste et concentrť. Il parle avec lenteur et prťcision; on voit qu'il tient ŗ dire exactement ce qu'il pense, et qu'il ne veut rien avancer dont il ne soit certain. S'il s'aperÁoit qu'on ne l'a pas bien compris, ou qu'il l'a ťtť au delŗ de sa pensťe, il rectifie avec un soin qui tťmoigne de son dťsir de ne dire que ce qu'il considŤre comme ťtant la vťritť. Les renseignements recueillis sur son compte jusqu'en 1876 sont favorables, et il avait la rťputation d'un bon travailleur, ťconome, et d'habitudes sobres. Quoi qu'il en soit, il n'a jamais prospťrť dans ses affaires, et en a ressenti un grand chagrin. Bien que sa femme eŻt une conduite irrťprochable et lui donn‚t toute l'aide dont elle ťtait capable, il eut toujours une tendance ŗ lui attribuer son peu de succŤs dans ses entreprises. Irritť de perdre de l'argent, alors que par son travail il pouvait espťrer en gagner, dominť par la passion de l'avarice, il a toujours rejetť la responsabilitť de ses contrariťtťs sur sa femme, avec injustice, et avec une violence parfois terrible, comme ŗ l'ťpoque oý elle devint grosse de son second enfant; en effet, redoutant le surcroÓt de dťpenses qui rťsulterait de la naissance de cet enfant, il prťtendit qu'il n'en ťtait pas le pŤre, et lanÁa un coup de pied dans le ventre de sa femme, espťrant sans doute la faire avorter. Son irritation se rťvťlait d'ailleurs en toutes choses. DŤs les premiers temps de son mariage, il s'emportait sans motif plausible contre sa femme, et la frappait, ou, se livrant ŗ des colŤres furieuses, il brisait les objets qu'il avait sous la main. Il n'avait pas d'amis, vivait comme _un sauvage_, dit un des tťmoins; pendant le siŤge de Paris, il faisait son service de garde national, sans jamais causer avec ses camarades, ne buvant pas, prenant ses repas seul, et paraissant toujours plongť dans de sombres rťflexions. AprŤs plusieurs tentatives infructueuses, las de rťaliser des pertes au lieu de bťnťfices, il vendit son fonds, et se mit ŗ travailler de son mťtier chez les autres, tandis que sa femme faisait de la broderie, lorsqu'au mois de mars 1875, sur le conseil d'un blanchisseur de Boulogne, il se dťcida ŗ louer une boutique, route de la Reine, et y ouvrit une p‚tisserie. Lŗ, les choses n'allŤrent pas beaucoup mieux qu'ŗ Paris; malgrť beaucoup d'activitť et de travail, les ťpoux D..., s'ils ne perdaient pas d'argent, ne gagnaient pas assez pour faire des ťconomies. Aussi D... ťtait-il toujours d'humeur sombre et chagrine et maltraitait-il de plus en plus sa femme. Celle-ci ne se plaignit pas et supporta avec rťsignation tous les mauvais traitements dont elle ťtait victime. On peut croire qu'elle avait reconnu que son mari avait la raison souvent troublťe, que, peut-Ítre mÍme, elle s'ťtait aperÁue qu'il buvait, car il rťsulte de la dťposition d'un apprenti de D..., que celui-ci faisait acheter de l'absinthe, en prenant toutes sortes de prťcautions pour qu'on ne le sŻt pas, et qu'il en absorbait de grandes quantitťs. Mais, par affection pour son mari, elle ne voulait pas faire de rťvťlations auxquelles on aurait pu ne pas ajouter foi, et qui n'auraient apportť aucun soulagement ŗ sa dťtresse. Toutefois, les scŤnes se multipliaient; non seulement D... frappait sa femme, mais il l'accablait des soupÁons les plus injurieux, et la malheureuse, poussťe plus encore par l'humiliation des reproches de son mari au sujet de sa prťtendue lťgŤretť de conduite, que par la terreur de ses menaces et de ses violences, fit enfin quelques confidences ŗ la concierge de la maison et ŗ une parente qui l'avait ťlevťe, qui l'avait mariťe, qui ťtait comme une mŤre pour elle, et que D... avait suppliťe de venir demeurer prŤs d'eux, ŗ Boulogne, sans doute avec la pensťe qu'elle l'aiderait ŗ surveiller sa femme; mais malgrť toute leur bonne volontť, la concierge et la parente ne purent lui Ítre d'aucun secours, et ce n'est qu'aprŤs l'ťvťnement, que l'on a su par elles le long martyre de la femme D... Si la vie commune n'avait jamais cessť d'Ítre trŤs-pťnible pour la femme D..., la situation devint plus douloureuse dans le courant de l'annťe 1877, par la jalousie insensťe dont son mari fut, dŤs lors, incessamment dominť. Nous disons _insensťe_, parce que les tťmoignages sont unanimes sur la parfaite honnÍtetť et la tenue irrťprochable de sa femme; nťanmoins, les dťmarches les plus simples, les courses les plus nťcessaires, les paroles les plus innocentes, devenaient l'occasion d'outrages et de voies de fait. Un jour, la parente, toute ťmue de qu'elle apprenait de l'attitude et du langage de D..., vint lui en faire des observations; celui-ci lui rťpondit qu'il allait lui placer sous les yeux la preuve de la mauvaise conduite de sa femme, et allant chercher des torchons sales qu'il avait mis de cotť, il les lui montra, en lui disant: _tenez, voyez!_ et ce qu'il montrait, c'ťtait des graines et des pellicules de tomates: on s'ťtait servi des torchons pour ťcraser des tomates. Ils ne purent s'empÍcher de rire, et D... embrassa sa femme; mais il revint bientŰt ŗ son idťe fixe. Depuis plus de deux mois il ne dormait plus; il se plaignait de grandes douleurs de tÍte; il ťtait toujours agitť; il voyait dans chaque homme du pays un amant de sa femme. Un jour, il engagea un de ses voisins ŗ se promener avec lui, l'emmena sur le bord de la Seine, voulut l'y retenir jusqu'ŗ la nuit, et c'ťtait certainement avec l'intention de le jeter ŗ l'eau. Il suppliait sa femme de lui avouer ses intrigues, affectant d'avoir reÁu des avis sur ses rendez-vous, sur les rencontres qu'elle faisait, comme par hasard, dans ses courses; puis, il confessait que personne ne lui en avait dit un mot, que tout ťtait de son invention; il lui demandait pardon, la couvrait de caresses, et le lendemain il redoublait d'injures et de colŤre; il emportait les chemises de sa femme pour les montrer ŗ des mťdecins, qui y constateraient les signes de ses infidťlitťs. ņ ces idťes de folle jalousie, vinrent bientŰt s'ajouter des idťes d'empoisonnement: il ťtait un obstacle aux mauvaises passions de sa femme, et naturellement, elle voulait se dťbarrasser de lui; il l'en accusa d'abord directement elle-mÍme, puis il alla le dťclarer au commissaire de police. Dans le courant de novembre 1877, il dit au docteur que sa femme voulait l'empoisonner, et, quelques jours plus tard, ayant pris des pilules et quelques cuillerťes d'une potion qui lui avaient ťtť prescrites, il s'imagina que le mťdecin ťtait d'accord avec sa femme, et que les mťdicaments qu'il lui avait donnťs ťtaient du poison; il s'adressa alors ŗ un autre mťdecin, auquel il fit le mÍme tableau de ses malheurs et des tentatives d'empoisonnement dont il ťtait l'objet. D... n'avait plus un seul instant de repos; obsťdť par les soupÁons et les inquiťtudes, il ťtait en outre souvent dans un ťtat de surexcitation produite par les excŤs d'absinthe auxquels il se livrait. Nous savons dťjŗ par un tťmoin qu'il en buvait d'une faÁon immodťrťe; il nous a avouť que dans les mois d'octobre et de novembre, il en avait pris beaucoup plus encore; il l'avalait pure, et il en absorbait environ un tiers de litre par jour. _Autrefois_, nous dit-il, _je n'y avais presque jamais touchť, mais depuis tous mes ennuis, il est vrai que j'en ai beaucoup bu_. D... craignait ťgalement que sa femme voulŻt le quitter, en emmenant sa fille, et il se rendit ŗ Montreuil, oý cette enfant ťtait en pension, pour dťfendre qu'on la remÓt ŗ sa mŤre. Ne trouvant aucun appui, ni aucun soulagement auprŤs de toutes les personnes auxquelles il racontait ses souffrances morales et physiques, D... rťsolut d'en faire part ŗ sa mŤre, qui habite R...; le 21 novembre, il partit donc de chez lui, sans dire ŗ sa femme oý il allait; celle-ci ne le voyant pas rentrer le soir, en fut mÍme trŤs-inquiŤte, et pria un de ses voisins d'aller ŗ sa recherche, laissant percer dans son langage ses prťoccupations sur l'ťtat d'esprit de son mari, et exprimant la crainte qu'il n'eŻt ťtť arrÍtť, ou qu'il lui fŻt arrivť un accident. Il ťtait allť ŗ R... D'abord, ne voulant pas affliger sa mŤre, il ne lui dit rien, mais pressť de questions sur le but de son voyage inattendu et inexplicable, il finit par lui faire la confidence de ses malheurs. Nous allons maintenant reproduire textuellement le rťcit qu'il nous a fait ŗ notre premiŤre visite: ęDans mon voyage, il y a eu une chose extraordinaire; j'ai couchť chez ma mŤre, je suis reparti le jeudi matin, et je suis arrivť ŗ CompiŤgne de bonne heure. Je suis entrť chez un cafetier, j'ai pris un petit verre, et je suis allť me promener jusqu'au pont, en attendant le train. Je vois une personne qui me regardait, je ne la reconnaissais pas, elle vient ŗ moi et me dit: c'est vous, mon oncle! C'ťtait, en effet, ma niŤce; elle m'invite ŗ dťjeuner; je n'ai pas acceptť; Áa m'ťtonnait; j'ai trouvť que c'ťtait un peu hardi de la part d'une niŤce; elle m'offre le cafť; je ne voulus pas refuser; elle revint avec moi et m'emmena chez le cafetier oý j'avais ťtť le matin. Elle se fit servir du cafť; moi, je n'en voulais pas; j'ai dit que j'aimais mieux la biŤre; on m'apporta un verre de biŤre; j'en ai bu le tiers ŗ peu prŤs. On sonne pour le dťpart du train; elle me dit qu'elle va payer, que je finisse vite mon verre. Je me dťpÍche; je monte en wagon, j'ťtais gai, bien portant. Il n'y avait pas un quart d'heure que nous marchions, que le mal de tÍte me prend: plus de gaietť, un grand malaise. ņ Creil, voilŗ un ťraillement sur la colonne vertťbrale; je n'en pense pas plus long. En arrivant ŗ Paris, voilŗ le coeur qui me bat; je me dis: c'est drŰle, je n'ai pris qu'un verre de biŤre avec ma niŤce, et en y rťflťchissant, je me rappelle qu'il y avait des graines qui sautaient dans la biŤre; c'est Áa, que je me suis dit: c'est donc que ma femme lui aurait ťcrit de me donner quelque chose qui me fasse mal. Je reviens ŗ pied rue des Abbesses, ŗ Montmartre, j'entre dans une crťmerie, je bois une tasse de lait; un peu plus loin, j'en reprends une autre; je me suis trouvť mieux; Áa a lavť soit la poudre, soit l'estomac; un peu plus tard, je reprends une troisiŤme tasse de lait. Je monte dans l'omnibus et j'arrive au Point du Jour, oý je descends; je prends une quatriŤme tasse de lait, et je rentre ŗ pied chez nous. Quand j'arrive, ma femme me dit: On ne m'embrasse pas! tout en me regardant fixement. C'est ŗ toi de venir, que je lui dis. Alors, elle est venue, il n'en a ťtť que Áa. Pour savoir si elle avait ťcrit ŗ sa niŤce, je lui dis: j'ai vu le facteur ŗ CompiŤgne; il m'a dit qu'il avait portť une lettre ŗ la tante Lisa; tu lui as donc ťcrit. Ah! mais non, qu'elle me rťpond, c'est ŗ ta mŤre que j'ai ťcrit; je lui ai dit qu'elle vienne tout de suite, parce que tu es trŤs-malade. «a m'ťtonne que tu aies ťcrit cela. Tu as ťcrit ŗ ta niŤce? Mais non. C'ťtait le jeudi. Le soir, je suis allť chez le commissaire; il n'y ťtait pas; il y avait un employť; j'espťrais qu'il ťcrirait mieux la SOLUTION que l'autre jour; il me dit de revenir le lendemain.Ľ (ņ ce moment D..., qui parle du ton le plus paisible et le plus naturel, cherche son mouchoir dans sa poche; ne le trouvant pas, il se lŤve, nous quitte, va dans sa cellule, revient, se rassied et reprend son rťcit.) ęEn rentrant de chez le commissaire, je prends encore du lait chez nous; je me fais un lavement; je ne me suis pas couchť, je me suis soignť toute la nuit; je comptais ťcrire ŗ ma mŤre ce qui s'ťtait passť ŗ CompiŤgne. ņ dix heures du soir, j'entends rŰder devant la boutique; j'ai reconnu le pas d'un monsieur qui allait avec ma femme; il savait sans doute cet empoisonnement, il ťtait lŗ pour la protťger, si j'avais des raisons avec elle. Ma femme se couche dans la chambre ŗ cŰtť; elle veut fermer sa porte, moi je ne veux pas; l'autre ťtait toujours lŗ ŗ rŰder, Áa m'ennuyait. J'ai dit au petit apprenti: va donc avertir le commissaire de police, et dis-lui d'envoyer deux agents; je croyais qu'il y avait dans la rue des individus armťs de revolvers pour me tuer, et je me suis enfermť dans la boutique. Je voulais qu'on arrÍt‚t ces individus, ainsi que ma femme. ęņ cinq heures et demie du matin, je sors pour aller chercher du lait. Je rencontre le laitier et je lui dis que ma femme se conduisait mal, qu'elle voulait m'empoisonner. Il me rťpond: c'est ŗ peu prŤs comme Áa avec toutes les femmes, quand elles voient que Áa ne convient pas ŗ leur mari. Je m'en vais ŗ une crťmerie, elle n'ťtait pas ouverte; je vois un petit marchand de vins qui ouvrait sa boutique; je lui demande s'il connaissait un hŰtel, je fuyais la maison, j'avais peur que l'individu que j'avais entendu rŰder vienne m'attaquer. Le marchand de vins m'indique un petit hŰtel; j'y vais, je demande un cabinet et une seringue; le maÓtre de l'hŰtel a ťtť assez bon pour me donner ce que je lui demandais; j'ai pris un lavement; j'ai gardť dans un vase et dans une assiette l'urine et les matiŤres que j'avais rendues; je suis restť lŗ jusqu'ŗ dix heures et demie; je suis sorti pour aller chez le commissaire: je l'ai trouvť, je lui ai dit que ma femme avait voulu m'empoisonner, il m'a donnť une lettre pour qu'elle vienne quand elle voudrait. Je suis retournť ŗ l'hŰtel, oý je me suis encore reposť; je suis rentrť chez moi ŗ midi. Je me suis mis dans la salle ŗ manger; j'ai repris des lavements; le corps se resserrait; _c'ťtait vraiment servi_; c'ťtait la troisiŤme fois qu'elle m'empoisonnait: la premiŤre fois Áa avait ťtť avec un morceau de porc que je n'avais pas voulu manger; une seconde fois en me faisant prendre des pilules et une potion; cette troisiŤme fois, en faisant jeter du poison dans le verre de biŤre que j'avais pris ŗ CompiŤgne. Je souffrais beaucoup; j'ai renvoyť mon petit apprenti me chercher quatre litres de lait et de la farine de graines de lin; quand il revint, je fis un cataplasme que je me mis sur le ventre; je me couchai. J'avais donnť des ordres au petit, et je lui avais dit de ne pas me dťranger. Alors, j'ai ťcrit une lettre ŗ mon beau-frŤre; on peut bien voir dans cette lettre que je ne pensais pas, ŗ ce moment, ŗ tuer ma femme, vers cinq heures et demie, elle est entrťe et m'a dit: je vais ŗ Vincennes. Comme nous n'y avons ni parents, ni amis, j'ai pensť qu'elle allait encore faire mal, ou qu'elle ne voulait pas Ítre tťmoin de ma mort qu'elle savait Ítre prochaine. «a m'a fait un tel effet que je me suis prťcipitť sur elle, je l'ai frappťe ŗ coups de poings, elle est tombťe, puis j'ai pris, sur le lavabo, un rasoir qui se trouvait lŗ, j'ai saisi ma femme par le col, et j'ai coupť. L'individu qui ťtait chez le concierge est arrivť tout de suite; j'ai envoyť le petit me chercher du tabac, et lorsque les gendarmes sont venus, je fumais ma pipe, et aprŤs avoir rťpondu aux questions du commissaire, je me suis ťtendu sur un matelas, et je me suis endormi. J'ai dit au commissaire que je ne regrettais pas ce que j'avais fait, que je le ferais encore, si c'ťtait ŗ recommencer, que j'aurais dŻ le faire six mois plus tŰt. C'ťtaient les douleurs que je ressentais au coeur, ŗ la tÍte, aux reins et au ventre qui me faisaient croire qu'elle avait cherchť ŗ m'empoisonner. Il y avait deux rasoirs sur la table: j'ai montrť celui dont je m'ťtais servi. On a trouvť un revolver chargť; j'ai dit que c'ťtait pour la tuer si je l'avais surprise en flagrant dťlit, ayant la conviction qu'elle me trompait toujours; il y avait longtemps qu'on le disait. Quand nous sommes venus nous ťtablir ŗ Boulogne, le charcutier avait dit aux voisins, ce n'est pas D... qu'il doit s'appeler, c'est _cocu_. ņ ce moment lŗ, je n'ai pas fait attention, je pensais que c'ťtait peut-Ítre de la jalousie, parce qu'il avait idťe que nous lui ferions du tort. Le lendemain, chez le commissaire, comme j'ai vu que je n'ťtais pas empoisonnť, et que j'allais beaucoup mieux, j'ai dit que je regrettais de l'avoir tuťe. ęJe ne suis pas d'un mauvais caractŤre; je n'ai jamais eu de raisons avec personne; je n'ai jamais fait une heure de poste: avec ma femme, quand nous avions quelque chose ensemble, c'ťtait moi qui revenais le premier; au bout d'une heure, je n'y pensais plus.Ľ Pendant ce rťcit D... ne s'est pas animť un instant; il l'a dťbitť avec l'accent de la sincťritť, sans aucune passion, ne paraissant prťoccupť que du dťsir d'Ítre exact, et de prouver que ses convictions ťtaient fondťes sur des faits positifs, s'attachant aux plus petits dťtails, avec cette prťcision de mťmoire que l'on rencontre chez les aliťnťs dont l'esprit est dominť par un nombre restreint de conceptions dťlirantes, cherchant ŗ expliquer ce qu'il avait fait, mais non ŗ s'en disculper, finissant seulement par dire qu'il regrettait d'avoir cťdť ŗ un mouvement de fureur, mais ne tťmoignant pas du moindre doute ni de la moindre hťsitation sur la vťritť absolue de tout ce qu'il avait dit. Nous lui demandons alors comment il se porte depuis qu'il est en prison. ę«a ne va pas bien, nous dit-il; je ne sais pas ce qu'il y a dans ce que je mange et ce que je bois, mais Áa me donne des constipations; je voudrais prendre des lavements, mais je ne peux pas les avoir comme je les dťsirerais.Ľ Les gardiens nous disent que D... est trŤs mťfiant et trŤs-inquiet, qu'il croit qu'on veut l'empoisonner, qu'il voudrait toujours s'administrer des remŤdes, prťtendant qu'il ne peut pas aller ŗ la garde-robe, qu'il refuse les aliments qu'on lui apporte, qu'il ne veut manger que des pommes, et qu'il se plaint sans cesse de tout. Quelques jours plus tard, nous le revoyons; il a la mÍme attitude triste et sombre; il parle du mÍme ton paisible; il nous dit cette fois qu'il y a certainement quelque chose de _pas bon_ dans le tabac qu'il fume, que ce tabac lui donne des maux de tÍte; nous lui faisons remarquer qu'on lui apporte les paquets tels que la rťgie les livre, fermťs et scellťs; ęil n'y a pas ŗ discuter, reprend-il, c'est comme on voudra, mais je n'en ai pas moins mal ŗ la tÍte quand j'ai fumť, et ce n'est pas naturel; c'est comme mes entrailles, on peut me dire ce qu'on voudra, mais, moi, je sens bien ce que je sens; je sens bien que mes boyaux sont collťs; j'ai beau prendre des lavements, je ne peux rien faire; expliquez Áa.Ľ ņ notre troisiŤme visite, nous apprenons que depuis trois jour D... paraissait plus tourmentť, plus irascible, qu'il ne dormait pas, qu'il marchait dans sa cellule pendant toute la nuit, et que le matin mÍme, il avait griŤvement blessť un de ses codťtenus, en le frappant violemment sur la tÍte avec une bouteille, et alors que cet homme dormait, et sans qu'il y ait eu de discussion, ni de provocation. Nous le trouvons dans le prťau, marchant la tÍte baissťe, et comme plongť dans des rťflexions pťnibles; quand nous lui demandons pourquoi il a frappť son camarade, il nous rťpond: ęIl me taquinait, il me reprochait de l'empÍcher de dormir la nuit, en marchant dans la cellule.Ľ Puis, il ajoute: ęIl ťtait d'accord avec les gardiens pour me tuer, il me l'avait dit, _sans me le dire prťcisťment_.Ľ D... ne s'excite pas en nous parlant; il dit bien quelques mots de pitiť sur l'homme qu'il a blessť, mais il est manifeste qu'il croit avoir accompli un acte de juste vengeance. ņ notre visite suivante, D... avait la camisole de force, et nous sommes informťs qu'il avait cachť dans son lit le couvercle du siŤge des commoditťs, morceau de bois trŤs-lourd, avec lequel il avait certainement le projet d'exercer quelque nouvelle vengeance; il avait d'ailleurs menacť de tuer le premier gardien qui lui adresserait la parole. Quand nous l'abordons, il nous fait un accueil qui dťnote une vive irritation; il rťcrimine amŤrement contre les mauvais traitements dont il est l'objet: ęPourquoi ne me juge-t-on pas? Eh bien! oui, je l'ai tuťe; si je suis coupable, qu'on me condamne, mais pourquoi vouloir m'ouvrir le ventre? Je sais bien que c'est pour ce soir; j'ai entendu aujourd'hui le directeur qui le disait; les gardiens chuchotaient entre eux, quand ils passaient devant ma cellule; je sais bien ce qu'ils disent; d'ailleurs, dimanche j'ai bien vu leurs ťpťes qui ťtaient derriŤre la porte; qu'on en finisse donc!Ľ Ce jour-lŗ, les craintes d'empoisonnement ne semblent plus le prťoccuper; il ne nous dit plus que le tabac lui fait mal ŗ la tÍte, que les aliments lui collent les intestins; il ne pense plus qu'au supplice qu'il doit subir le soir, et nous le quittons sans avoir rťussi ŗ le rassurer. Ce long exposť ťtait nťcessaire pour bien faire connaÓtre D...; nous allons maintenant l'analyser pour en dťduire ensuite nos conclusions. D... a toujours ťtť d'un caractŤre triste et peu expansif; dŤs sa jeunesse, il songeait ŗ gagner de l'argent et ŗ en amasser; il travaillait beaucoup et dťpensait le moins possible; un tťmoin a dit qu'il ťtait le bourreau de son corps. Malgrť son ardeur au travail, et sa stricte ťconomie, il n'a pas fait fortune, il vivait avec peine, et presque jamais il n'a recueilli de rťsultats de ses efforts. Une seule fois il a rťalisť quelques bťnťfices; c'est pendant qu'il exploitait, sans sa femme, un petit commerce de p‚tisserie, dans lequel il n'ťtait aidť que par une servante. Ce fait, qui ťtait assurťment de pur hasard, l'a confirmť dans l'opinion qu'il semble avoir eue dŤs le commencement de son mariage, que sa femme n'ťtait pas aussi ťconome qu'elle aurait dŻ l'Ítre. Il n'avait pas attendu jusque lŗ pour lui marquer son mťcontentement par ses reproches et ses violences; mais aprŤs, il se montra encore plus irritť et plus injuste. Dťjŗ cependant, ŗ l'ťpoque oý elle ťtait grosse pour la seconde fois, il lui avait laissť entendre qu'il n'ťtait peut-Ítre pas le pŤre de l'enfant qu'elle portait; il tťmoignait ainsi de ses sentiments de jalousie insensťe, et de son ennui du surcroÓt de dťpenses qu'entraÓnerait un second enfant; c'est ici que nous trouvons la premiŤre manifestation de conceptions dťlirantes, engendrťes par des prťoccupations d'avarice, poussťes jusqu'ŗ l'obsession. Pendant quelques annťes, D... se maintient sans se montrer ni plus dťraisonnable, ni plus violent, mais ayant toujours au fond de son coeur et dans son esprit les mÍmes ressentiments et les mÍmes convictions erronťes. Le mťnage vient s'ťtablir ŗ Boulogne, les choses vont d'abord assez bien, mais bientŰt, au contraire, la situation s'aggrave; D... se montre plus sombre, plus mťfiant, il se met ŗ boire de l'absinthe, et il en arrive ŗ un ťtat presque constant de surexcitation et de colŤre; il perd le sommeil, n'a presque plus d'empire sur lui-mÍme, et n'est plus maÓtre de contenir l'expression des inquiťtudes et des frayeurs qui l'obsŤdent; il accable sa femme des reproches les plus outrageants; il l'accuse de le tromper, il le proclame, il va se plaindre ŗ l'autoritť, il colporte les prťtendues preuves de son dťshonneur, et enfin, apparaissent les idťes d'empoisonnement. Un jour, on lui sert un morceau de porc, qui n'ťtait peut-Ítre pas trŤs-frais; il y trouve un goŻt particulier; il ne le mange pas; sa femme jette l'os aux ordures dans la rue; la pensťe lui vient que si elle n'a pas gardť cet os pour le vendre avec les autres, c'est qu'elle a voulu se dťfaire d'une piŤce ŗ conviction. Sa femme, inquiŤte des maux de tÍte de son mari, de ses insomnies, de ses malaises, appelle un mťdecin; celui-ci prescrit des pilules et une potion; D... se trouve plus souffrant aprŤs avoir pris les pilules et la potion, il en conclut que le mťdecin est de complicitť avec sa femme pour l'empoisonner. Ne voyant autour de lui que des ennemis, ne trouvant d'assistance auprŤs de personne, D... pense ŗ s'adresser ŗ sa mŤre, et, sans en rien dire, il se rend auprŤs d'elle, et lui raconte ses malheurs. La mŤre accueille, probablement avec incrťdulitť, ses confidences; il revient ŗ CompiŤgne, il y rencontre sa niŤce qui y demeure; elle lui offre ŗ dťjeuner; quoi de plus naturel? Il n'accepte qu'un verre de biŤre; on sonne pour le dťpart du train; il n'a que juste le temps de monter en wagon; sa niŤce le presse d'achever son verre, lui dit qu'elle paiera, et il la quitte. ņ peine en chemin de fer, il ressent des malaises: il se croit empoisonnť; c'est la biŤre qu'il a bue; en effet, il se rappelle qu'il y avait _comme des graines qui sautaient dans la biŤre_; c'est sa femme qui a ťcrit ŗ sa niŤce de lui donner quelque chose qui lui fasse du mal; de retour ŗ Paris, il avale plusieurs tasses de lait; arrivť chez lui, il s'informe, cherche ŗ dťcouvrir des preuves de la vťritť qu'il soupÁonne; il est trŤs-agitť; il passe la nuit ŗ se soigner; il entend et il voit devant sa maison des individus armťs qui le guettent pour le tuer; il veut les faire arrÍter; le matin il se sauve de chez lui, va se rťfugier dans un hŰtel, oý il continue ŗ prendre des lavements et ŗ s'appliquer des cataplasmes; enfin, aprŤs une dťmarche chez le commissaire, il revient chez lui et se couche; sa femme se prťsente, lui dit qu'elle part pour Vincennes, et saisi d'un accŤs de fureur, convaincu qu'elle va ŗ un rendez-vous, ou qu'elle ne veut pas assister ŗ sa mort, il se prťcipite sur elle et l'ťgorge. Le meurtre accompli, la crise est momentanťment ťpuisťe, il reste calme et insouciant, se met ŗ fumer, et se laisse arrÍter, sans chercher ŗ se disculper, donnant lui-mÍme tous les dťtails, indiquant le rasoir dont il s'est servi, n'exprimant aucun regret, disant au contraire que si c'ťtait ŗ recommencer il le referait, et montrant ainsi sa conviction qu'il avait usť du droit de lťgitime dťfense. Ce n'est que le lendemain que, reposť par un sommeil paisible, n'ťprouvant plus de malaise, ni de douleur, voyant par consťquent qu'il n'est pas empoisonnť, il exprime le regret d'avoir tuť sa femme. ņ Mazas, nous le trouvons prťoccupť des mÍmes conceptions dťlirantes, des mÍmes illusions des sens; il se croit encore empoisonnť; _les boissons lui collent les intestins, le tabac lui donne des maux de tÍte; ce n'est pas naturel_; il est sombre, inquiet, exigeant, il se plaint, il rťcrimine, mais il se contient; survient une nouvelle crise; il perd le sommeil, il passe les nuits ŗ marcher dans sa cellule, il se montre plus tourmentť, plus soupÁonneux, plus irritable, et un matin, sans querelle prťalable, sans discussion, il assomme un de ses camarades et le blesse griŤvement; puis, il reste comme affaissť, inerte, et se contente de dire que cet homme le taquinait et ťtait d'accord avec les gardions pour l'assassiner. Cette fois, la crise dure aprŤs l'acte de violence, ou du moins, la dťtente n'est que de quelques instants, et D..., obsťdť des mÍmes frayeurs, des mÍmes hallucinations, prťpare une nouvelle vengeance contre ses persťcuteurs, contre les gardiens qu'il a entendus chuchoter, dont il a vu les ťpťes, contre ses codťtenus qui sont les complices des gardiens, et contre le directeur dont il a reconnu la voix, et qui a dit que c'ťtait le soir qu'on devait en finir. Pour ťviter un nouvel accident, on doit priver D... de l'usage de ses mains et le revÍtir de la camisole. Il ne paraÓt plus avoir de craintes d'empoisonnement, ne songe plus qu'aux ťpťes avec lesquelles les gardiens vont lui ouvrir le ventre, de mÍme que dans la nuit qui a prťcťdť le meurtre il croyait Ítre menacť d'Ítre tuť par des individus armťs de revolvers. L'ťtat mental dans lequel est D... depuis trois semaines, est analogue ŗ celui dans lequel il ťtait ŗ l'ťpoque oý il a tuť sa femme; les manifestations dťlirantes, les illusions des sens, les hallucinations que nous constatons aujourd'hui chez D..., sont la confirmation la plus ťvidente du dťlire, sous l'empire duquel il a agi le 23 novembre dernier. De tout ce qui prťcŤde, nous tirons les conclusions suivantes: 1į D... est atteint de lypťmanie avec prťdominance de dťlire de persťcution, craintes d'empoisonnement, frayeur de mort violente, illusions et hallucinations. 2į D... a donnť, il y a dťjŗ bien des annťes, des signes de dťrangement de l'esprit, mais c'est seulement dans le courant de 1876 que les conceptions dťlirantes se sont montrťes clairement dans son langage et dans ses actes. 3į DŤs les premiers mois de 1877, D... n'a presque plus cessť d'avoir la raison troublťe, et sous l'influence des excŤs d'absinthe auxquels il se livrait, les crises d'agitation sont devenues de plus en plus frťquentes et de plus en plus violentes; des hallucinations de la vue se sont produites, et une vťritable folie alcoolique est venue se greffer sur la lypťmanie qui existait dťjŗ depuis longtemps. 4į Le 23 novembre dernier, D... ťtait sous l'empire d'une surexcitation maniaque et de conceptions dťlirantes, d'illusions des sens et d'hallucinations, qui le privaient de la conscience, et, par consťquent, de la responsabilitť de ses actes. 5į D... est un aliťnť des plus dangereux, qu'il est urgent de placer dans un asile spťcial, oý il devra Ítre l'objet de la surveillance la plus rigoureuse. En foi de quoi, nous avons rťdigť le prťsent rapport pour valoir ce que de droit. Paris, le 16 janvier 1878. A. MOTET, …. BLANCHE. Dans ce fait, comme dans les prťcťdents, on observe des crises d'intensitť diffťrente et en rapport avec des variations dans les conditions cťrťbrales, et en plus, l'intoxication alcoolique comme cause dťterminante de la crise au cours de laquelle a lieu le meurtre. D... est un bon ouvrier, un travailleur plein d'ťnergie, d'un caractŤre sombre, peu communicatif, trŤs-ťconome, et qui n'admet pas que son travail puisse Ítre sans rťcompense. Malgrť toute son activitť, loin de prospťrer dans ses affaires, il vťgŤte, et quand il avait le droit d'espťrer le succŤs, il ne rencontre que les revers. Sa femme le seconde de toutes ses forces, mais en vain; alors D... lui reproche, sans aucune justice, de manquer d'ordre, et la rend responsable de ce qu'il ne rťussit pas. Il a un enfant; loin de s'en rťjouir, ce n'est pour lui qu'une dťpense de plus dans le mťnage. Un second enfant va naÓtre; D... ne peut supporter la pensťe de ce surcroÓt de charge; ŗ cette pensťe vient se joindre le soupÁon qu'il pourrait bien avoir ťtť trompť par sa femme et ne pas Ítre le pŤre de l'enfant qu'elle porte; il frappe violemment sa femme dans l'espoir de la faire avorter. Puis, succŤde une pťriode de calme relatif. Plus tard, les idťes de jalousie reparaissent; D... est convaincu que sa femme a une mauvaise conduite; et un jour il se promŤne longtemps sur le bord de la Seine avec un de ses voisins qu'il considŤre comme un de ceux qui le trompent, et il avoue qu'il avait l'intention de le jeter dans l'eau. Cette fois, il en reste ŗ la pensťe, et ne va pas jusqu'ŗ l'acte. Obsťdť de soucis, D... demande ŗ l'alcool l'oubli de ses chagrins. Il devient alors de plus en plus soupÁonneux, irritable, emportť; les hallucinations de la vue apparaissent; il ne dort plus, n'a plus un moment de repos ni le jour ni la nuit, et enfin la crise ťclate, le meurtre est accompli. D... redevient aussitŰt calme; il attend, en fumant, qu'on vienne l'arrÍter, et il n'exprime aucun regret de ce qu'il a fait, tant il est persuadť que sa vengeance ťtait juste. Le lendemain, n'ťprouvant aucun malaise, il pense qu'il n'ťtait pas empoisonnť et regrette d'avoir tuť sa femme. En prison, il a deux nouvelles crises; dans la premiŤre, il assomme un de ses codťtenus; dans la seconde, il est rťduit ŗ l'impuissance par les mesures de surveillance exceptionnelle dont il est l'objet. Constatons encore ici des analogies frappantes entre ce fait et le fait de la femme C... Elle ne doute pas de son droit de se venger des mauvais traitements dont elle est victime; D..., aprŤs avoir tuť sa femme, conserve le calme d'un homme qui a satisfait ŗ une vengeance lťgitime. On pourrait croire que c'est une apprťciation aprŤs coup, un moyen de dťfense; ce sentiment existait peut-Ítre chez la femme C... et chez D..., mais il y avait certainement aussi conviction sincŤre de leur part. Dans sa prison, la femme C... a de nouveau des conceptions dťlirantes relatives aux religieuses qu'elle considŤre comme des complices gagnťes ŗ la cause du clergť; ŗ Mazas, D..., aprŤs Ítre restť calme pendant quelques jours, prťsente les signes d'un dťlire avec hallucinations, absolument semblable ŗ celui qui l'a poussť au meurtre de sa femme. Il n'y a de diffťrence que dans la cause de l'accŤs de dťlire avec hallucinations, l'alcoolisme, qui joue dans ce cas le principal rŰle et qui manquait absolument chez la femme C...; mais dans l'un et dans l'autre, on voit des impulsions irrťsistibles surgir au cours d'un dťlire mťlancolique qui n'avait ťtť longtemps que menaÁant, qui avait donnť lieu ŗ quelques violences sans rťsultats, et qui ťclate enfin par des actes terribles. …PILEPSIE.--ATTAQUES VERTIGINEUSES AVEC HALLUCINATIONS VISUELLES ET PERVERSIONS INTELLECTUELLES.--ABSENCE D'ATTAQUES CONVULSIVES.--INCONTINENCE NOCTURNE DES URINES.--ACC»S DE D…LIRE IMPULSIF.--MEURTRE.--SOUVENIR EXACT DES FAITS ACCOMPLIS PENDANT L'ACC»S.--IRRESPONSABILIT…. Nous soussignťs, LasŤgue, Blanche et Motet, docteurs en mťdecine, commis par une ordonnance en date du 20 fťvrier 1868 de M. Dubard, juge d'instruction prŤs le tribunal de premiŤre instance du dťpartement de la Seine, ęŗ l'effet d'examiner le nommť R..., inculpť d'assassinat, de rechercher et d'ťtablir quel a ťtť son ťtat mental au moment du crime, et quel il est actuellement;Ľ aprŤs avoir prÍtť serment, avons pris connaissance du dossier, avons examinť l'inculpť ŗ plusieurs reprises, et consignons dans le prťsent rapport les rťsultats de notre expertise: Le 24 janvier 1868, R... se prťsentait au presbytŤre de la Loupe et demandait avec instance ŗ parler ŗ M. le curť. ęIl venait, disait-il, chercher des consolations, et se plaignait des mauvaises gens qui voulaient lui faire du mal.Ľ La servante qui lui avait ouvert la porte lui dit que le curť ťtait ŗ l'ťglise, qu'il le trouverait au confessionnal. R... suivit les indications qui lui ťtaient donnťes; il se rendit ŗ l'ťglise, frappa au guichet du confessionnal, et rťclama les consolations qu'il ťtait venu chercher. Soit que ses paroles eussent paru ťtranges au curť, soit que R... ait ŗ ce moment dťjŗ profťrť des menaces, le prÍtre ne crut pas devoir l'entendre et l'invita ŗ se retirer. R... insista. Le curť sortit alors du confessionnal; l'accusť le suivit dans l'ťglise, et n'obtenant pour rťponses ŗ ses demandes qu'un refus absolu, avec menaces de le faire arrÍter s'il ne s'ťloignait pas, R... prit son couteau et frappa le curť avec une telle violence que la lame pťnťtra tout entiŤre dans la cavitť du petit bassin et dťtermina une hťmorrhagie rapidement mortelle. R... rentre immťdiatement ŗ l'auberge, oý il est arrÍtť. Il avoue le meurtre qu'il vient de commettre, et, bien que dŤs ce moment ses rťponses soient assez prťcises, elles tťmoignent encore des prťoccupations sous l'empire desquelles il a agi. Nous avons ŗ dťterminer: 1į quels sont les antťcťdents de l'inculpť; 2į quel ťtait son ťtat mental au moment du crime. R... est un homme de 34 ans, d'une taille ťlevťe; son aspect extťrieur rťvŤle la prťdominance du tempťrament lymphatique; il est atteint d'une blťpharite ciliaire chronique. Son enfance a ťtť maladive; il eut, dit-il, les fiŤvres pendant trŤs-longtemps, mais il ne paraÓt pas avoir eu d'accidents convulsifs. Il se dťveloppa lentement et fut sujet jusqu'ŗ 18 ans ŗ de l'incontinence nocturne des urines. Il n'apprit jamais ŗ lire ni ŗ ťcrire, et put cependant faire sa premiŤre communion. Sa physionomie est peu intelligente; l'ensemble de sa personne, son attitude, annoncent une simplicitť, une franchise, dont nous avons ťtť frappťs dŤs notre premier examen, et qui ne se sont pas dťmenties depuis. Il travailla de trŤs-bonne heure; placť ŗ l'‚ge de 13 ans comme domestique dans une ferme, il y resta cinq ans, et n'en sortit qu'ŗ la mort de ses maÓtres. ņ cette ťpoque, son caractŤre se modifie; R... est pris comme d'un incessant besoin de changement; il ne reste nulle part, s'en allant sans prťtexte, pour rentrer quelque temps aprŤs dans la place qu'il a volontairement quittťe. Il est inquiet, soupÁonneux; il croit, si l'on parle ŗ voix basse auprŤs de lui, que c'est de lui qu'on s'occupe; si on lui fait une observation, il la prend toujours en mal; sans Ítre habituellement querelleur ni violent, il a parfois des moments de vivacitť, d'entÍtement, _il se bute_, et l'on n'en peut rien obtenir. D'autres fois, il est sombre, taciturne, ne parle plus, et cet ťtat de tristesse se montre assez souvent chez lui pour qu'on dise dans le pays que R... ęest un songeurĽ. Il ne se lie avec personne, ne se montra guŤre ni au cabaret ni dans les fÍtes; son caractŤre, mobile ŗ l'excŤs, ťloigne de lui. Cependant, il ne manque jamais de travail; on lui reconnaÓt une certaine habiletť dans le commerce des bestiaux; on lui confie des sommes assez importantes, et jamais sa probitť n'a ťtť suspectťe. Il est ťconome, et, si peu qu'il gagne, il contribue pour sa part ŗ soutenir une de ses soeurs qui est aveugle. Cet homme est, depuis l'‚ge de 18 ans, sujet ŗ des accidents qui revenaient ŗ des ťpoques plus ou moins ťloignťes; il ťtait pris de maux de tÍte violents dont l'apparition semble avoir coÔncidť avec les modifications signalťes dans son caractŤre. Depuis huit mois surtout les maux de tÍte ont ťtť plus frťquents; ils se sont compliquťs de troubles de l'intelligence, d'hallucinations de la vue, et les renseignements qu'il nous donne ŗ ce sujet, que nous reproduisons presque textuellement, sont d'accord en tous points avec les dťpositions recueillies par les magistrats chargťs de l'enquÍte. ęSouvent, dit-il, Áa me prenait, j'avais tout ŗ fait mal ŗ la tÍte, je n'y voyais plus clair; Áa me montait ŗ l'estomac, et puis Áa me serrait au cou: je ne pouvais plus respirer. Je ne dormais guŤre jamais, mais, dans le mois d'aoŻt, je ne dormais presque plus. Je me faisais un tas de fantŰmes, j'avais comme peur de moi-mÍme. Jamais je ne m'ťtais vantť de Áa ŗ personne. Une nuit, j'ťtais dans mon lit, j'aperÁois quelque chose contre la porte de l'ťcurie; Áa avait une figure tout ŗ fait drŰle. Je me suis levť, je suis allť voir, il n'y avait plus rien. Je me suis recouchť et Áa est revenu. Je me suis relevť trois fois, et je me disais: Mon dieu, je suis-t-y drŰle! J'ai pensť que c'ťtait quelque chose qui me tourmentait dans moi, qu'on voulait me faire du mal, je n'ai pas dormi du tout. Le matin je me suis levť comme d'habitude, j'ai ťtť mener les vaches dans le prť, je n'ai rien dit ŗ ma patronne; je suis allť trouver le curť de Pontgoin, je lui ai tout racontť; je lui ai dit que je croyais qu'on voulait me faire du mal; je croyais sans croire; je pensais bien qu'il y avait quelque chose tout de mÍme, mais je ne supposais sur personne. Le curť de Pontgoin m'a rassurť, il m'a conseillť un bain de pieds et du tilleul; je me suis trouvť mieux aprŤs cela. J'ai eu cela encore une autre nuit que je me suis levť. Je voyais tout rouge; j'ai cru qu'il y avait le feu; j'ai manquť l'ťchelle et je suis tombť; cette fois-lŗ, ma patronne peut le savoir.Ľ Il est impossible de mťconnaÓtre dans ces faits l'existence d'hallucinations de la vue, se manifestant tout ŗ coup chez un individu qui se plaint en mÍme temps d'un malaise qui, de la rťgion de l'estomac, s'ťtend vers l'oesophage, remonte jusqu'ŗ l'arriŤre-gorge et dťtermine une sensation de constriction nettement exprimťe par les mots: ęCela me serrait, je ne pouvais plus respirer.Ľ Cette anxiťtť extrÍme, nous la retrouvons, non pas la veille, mais l'avant-veille du jour du meurtre. ęDans la nuit du mercredi au jeudi (22 au 23 janvier), je n'ai pas pu dormir. J'avais un tas de rÍves; il me semblait toujours voir quelque chose, des formes de rien; c'ťtait dans ma vue, mais j'avais comme peur. Je ne me suis pas levť, j'ai appelť le tondeur ŗ cŰtť de moi pour lui demander l'heure. Je m'ennuyais dans le lit, j'ťtais tout ŗ fait fatiguť; souvent Áa m'arrivait de ne pas pouvoir dormir; mais la nuit suivante j'ai tout ŗ fait bien dormi; Áa ne m'a pris que le matin aprŤs que j'ai eu mangť le cafť. ęIl s'est trouvť que j'allais ŗ la Loupe; je ne sais pas ce qui m'a pris. Je me suis levť bien tranquille ŗ sept heures; j'ai sorti dehors, et la maÓtresse d'auberge ťtait lŗ, en train de faire du cafť. Elle me dit: en voulez-vous?--«a m'est ťgal, que je lui rťpondis, si vous en avez de trop, je veux bien. Quand j'ai eu mangť ce malheureux cafť, Áa m'a montť ŗ l'estomac. ņ ce moment lŗ, il y a un homme qui est venu avec un coq d'Inde. ęIl y avait longtemps que j'avais la tÍte toute drŰle par moments; Áa m'a impressionnť de voir ce dindon; il ťtait dans un panier au milieu de la route, et plus je le regardais, plus il me semblait drŰle; je ne pouvais pas m'Űter les yeux de dessus; je ne peux pas vous expliquer cela. Je me suis retournť et c'est lŗ que j'ai vu l'image du cŰtť du lit au petit C...; il y avait comme deux tÍtes: Áa dansait. C'est lŗ que je suis parti. J'ťtais impressionnť et tournť je ne sais pas comment. Alors j'ai ťtť trouver le curť; il n'ťtait pas lŗ, il ťtait ŗ l'ťglise. J'avais sonnť, la domestique m'avait demandť ce que je voulais, je lui rťpondis que je voulais parler ŗ M. le curť. Elle me dit qu'il ťtait ŗ l'ťglise. J'entrai. J'ai pris de l'eau bťnite comme on fait toujours, j'ai tapť au guichet du confessionnal; il m'a demandť ce que je voulais, je lui ai dit que je voulais des consolations; j'ai encore frappť, il m'a dit de m'en aller; puis il est sorti dans l'ťglise, il m'a dit qu'il allait chercher les gendarmes. J'avais mon couteau dans ma poche, je lui en ai donnť un coup. C'est lŗ qu'ils sont venus m'arrÍter.Ľ Ces dťtails nous permettent de dire que le dťlire a ťclatť tout ŗ coup sous forme d'accŤs avec impulsion irrťsistible; et, loin de trouver dans la prťcision des rťponses de R... des ťlťments de doute sur la rťalitť d'un trouble de ses facultťs intellectuelles, nous dťclarons que l'intťgritť des souvenirs, l'exposť minutieux de tous les faits qui ont prťcťdť le meurtre, sont pour nous caractťristiques; ils sont l'expression d'une prťoccupation maladive. R... s'est en quelque sorte observť lui-mÍme, rien ne lui a ťchappť dans la succession des troubles qu'il nous rťvŤle. Des faits qui eussent passť inaperÁus pour un homme sain d'esprit, se sont gravťs dans sa mťmoire avec d'autant plus de prťcision qu'il a ťtť plus inquiet. Il n'a rien oubliť; mais, bien diffťrent des autres criminels qui essayent de mettre leurs actes au compte de la folie et de les attťnuer, il raconte ce qu'il a ťprouvť, sans chercher jamais ŗ s'excuser, exprimant plutŰt le regret du meurtre qu'il a commis. Il n'exagŤre rien; il dit avec une simplicitť et une sincťritť parfaites; il n'a jamais variť dans ses rťponses; ses actes, ses prťoccupations dťlirantes s'enchaÓnent de la maniŤre la plus rigoureuse et appartiennent ŗ un ťtat pathologique nettement dťterminť. Pour nous, R... est atteint d'ťpilepsie, non pas de celle qu'on observe le plus communťment, mais bien de la forme rťduite aux vertiges fugaces, ŗ ces modifications instantanťes si soudaines et parfois si rapidement disparues qu'elles ne seraient mÍme pas soupÁonnťes si les actes qui les suivent n'en venaient pas rťvťler la nature. Cette opinion est d'autant plus certaine en ce qui regarde R..., qu'il est d'expťrience que les actes dťlirants prennent plus vite le caractŤre de la plus aveugle violence lorsque la manifestation ťpileptique a ťtť rťduite ŗ sa plus simple expression. Et, comme ces troubles ne sont jamais isolťs, comme leur apparition, leur retour, apportent dans le caractŤre, dans les habitudes, dans les tendances, des modifications profondes, on peut, lorsqu'on n'en mťconnaÓt plus la nature, les suivre en quelque sorte ŗ la trace. TantŰts frťquents, tantŰt revenant ŗ de longs intervalles, ils laissent toujours une impression plus ou moins profonde, se rťvťlant par des symptŰmes ŗ l'ensemble desquels on a scientifiquement donnť le nom de ęcaractŤre des ťpileptiquesĽ. Ces malades, d'une mobilitť extrÍme, sont tour ŗ tour soupÁonneux, mťfiants, querelleurs, violents, puis faciles, serviables, obsťquieux mÍme. Leur intelligence pendant longtemps n'est pas amoindrie, elle n'est que momentanťment troublťe, jusqu'au jour oý, par suite de la rťpťtition des accŤs, elle s'affaiblit et enfin s'ťteint. Chez les malades qui prťsentent seulement l'ťtat vertigineux, le caractŤre ťpileptique est tout aussi tranchť que dans l'ťpilepsie convulsive. Mais ce qu'on trouve chez eux bien plus souvent, ce sont les hallucinations de la vue, les dťterminations violentes, non motivťes, l'agression instantanťe, automatique, pour ainsi dire, de vťritables accŤs s'ťpuisant parfois ŗ la suite d'un seul meurtre, ou bien, ce qui malheureusement n'est pas rare, durant assez longtemps pour Ítre l'occasion d'une sťrie de meurtres dont on chercherait en vain les motifs. R... nous prťsente tous les caractŤres de cette affection. Depuis l'‚ge de 18 ans, il est connu comme un individu mobile, ayant des alternatives d'une tristesse profonde et d'un ťtat plus calme pendant lequel il est capable de se livrer aux travaux de la ferme. On ne s'explique pas ses brusques changements d'humeur: c'est qu'on ne sait pas qu'il a peu de sommeil, que des visions effrayantes, ędes fantŰmes, des images de rienĽ, comme il les appelle, le tourmentent souvent. Il est soupÁonneux, mťfiant; il se figure qu'on s'occupe de lui, qu'on lui veut du mal. Quand il est sous l'influence de ses prťoccupations tristes, il n'accepte aucune observation, ęil part, dit-il, pour un oui, pour un nonĽ, et, la pťriode de calme revenue, il cherche ŗ rentrer dans la maison qu'il a quittťe sans motifs. Bien des faits qui auraient eu pour nous une haute importance ont pu passer inaperÁus, mais ce que nous savons ne peut laisser aucun doute dans notre esprit, et surtout les hallucinations du mois d'aoŻt. R... ťtait aussi malade le jour oý il est allť trouver M. le curť de Pontgoin que le jour oý il est allť trouver M. le curť de la Loupe. Les symptŰmes de l'accŤs sont les mÍmes; et si le curť de Pontgoin n'a pas ťtť la victime de R..., c'est que l'accŤs du mois d'aoŻt s'ťtait passť pendant la nuit, que dťjŗ un intervalle de temps assez considťrable s'ťtait ťcoulť entre les troubles hallucinatoires et le moment de la visite au curť; c'est qu'aussi, peut-Ítre, R... n'a pas, ce jour-lŗ, rencontrť d'obstacles dans la rťalisation de ses projets; il a trouvť ce qu'il venait chercher: des consolations. Dans le fait de la Loupe, nous constatons les caractŤres du vertige plus tranchťs encore: dťbut brusque par une sensation de malaise au creux de l'estomac, sorte ęd'auraĽ qui remonte ŗ l'arriŤre-gorge et l'ťtouffe, hallucinations de la vue, ťblouissements, et, enfin, conceptions dťlirantes tristes: ce sont elles qui le poussent. R... a besoin d'aller chercher auprŤs de quelqu'un ce qu'il appelle ędes consolationsĽ; et, comme il avait ťtť trouver le curť de Pontgoin, il s'en va trouver le curť de la Loupe. Il ne le connaissait pas, mais il avait ťtť soulagť, dit-il, par le premier, il pouvait l'Ítre par le second. Profondťment troublť ŗ ce moment, il n'est plus maÓtre de se diriger; il obťit ŗ une impulsion; il rencontre un obstacle, il le renverse; il frappe, il tue, sans prťmťditation, sans conscience, un prÍtre qu'il n'a jamais vu, qu'il n'a pas, mÍme un instant, pensť ŗ mettre au nombre de ses imaginaires persťcuteurs. En consťquence, les mťdecins soussignťs se croient autorisťs ŗ conclure que: 1į R... est atteint d'une affection encťphalique caractťrisťe essentiellement par des accŤs subits ťpileptiformes, avec impulsions irrťflťchies et irrťsistibles. 2į En dehors de ces attaques s'accompagnant d'hallucinations visuelles, de vertiges, ou de perversions intellectuelles, R... n'a jamais ťtť sujet ŗ des attaques ťpileptiques convulsives, se produisant sous la forme d'accŤs d'ťpilepsie classique. 3į L'absence de convulsions ťpileptiques, non-seulement n'exclut pas la possibilitť d'ťpilepsie ŗ prťdominance de propulsions instinctives et de dťsordres de l'intelligence; au contraire, il est d'expťrience que la plupart des malades entraÓnťs ŗ commettre des actes de violence dans le cours d'un vertige ťpileptique de nature spťciale ne sont que rarement, sinon exceptionnellement, sujets ŗ des attaques ťclamptiques d'ťpilepsie. 4į Dans ces conditions, le malade, dominť par la plus invincible de toutes les influences, perd toute responsabilitť de ses actes, lors mÍme que ces actes sembleraient ŗ premiŤre vue Ítre commandťs par une intention, et Ítre soumis ŗ l'influence de la volontť. 5į Si R... doit Ítre considťrť comme irresponsable, et si les accŤs de l'aliťnation passagŤre ne sont survenus et ne doivent prťalablement survenir qu'ŗ des pťriodes ťloignťes, R... est, nťanmoins, pendant les accŤs, dont le retour pťriodique est impossible ŗ dťterminer, un homme tellement dangereux, qu'il y a lieu de le placer dans un asile d'aliťnťs. Paris, le 9 avril 1868. Signť: CH. LAS»GUE, …. BLANCHE, A. MOTET. Ce fait vient ŗ l'appui de l'opinion, aujourd'hui consacrťe par l'expťrience, que les troubles intellectuels chez les ťpileptiques sont beaucoup plus intenses dans les cas oý il y a seulement des vertiges que dans ceux oý existent des attaques ťclamptiques. L'ťlťment _dťlire_ semble en raison inverse de l'ťlťment _convulsion_. On observe chez R... des crises d'inťgale intensitť; d'abord, c'est un besoin irrťsistible de changement et de condition; puis, se montrent des soupÁons, des inquiťtudes, des moments de tristesse, des vivacitťs, des emportements; viennent ensuite des hallucinations, principalement la nuit, des terreurs, des insomnies. AprŤs une nuit passťe dans le dťlire, R... se rend chez le curť de P... et lui raconte ses tourments; celui-ci le rassure et lui donne quelques conseils. R... se retire content et calme; la crise s'arrÍte lŗ. Notons ici que la dťmarche auprŤs de curť de P... avait ťtť sťparťe par quelques heures des accidents cťrťbraux qui l'avaient prťcťdťe, et que par consťquent l'influence de ces accidents en avait ťtť amoindrie. Au contraire, le jour oý R... a tuť le curť de la Loupe, c'est dans la matinťe et presque immťdiatement avant d'aller au presbytŤre qu'il avait eu une crise sur laquelle il a fourni les dťtails les plus prťcis. Il ťtait donc, en arrivant auprŤs du curť, sous l'influence directe de cette crise de dťlire et d'hallucinations. Enfin, ŗ rencontre de ce que l'on observe le plus habituellement chez les ťpileptiques, R... s'est rappelť avec une prťcision minutieuse tout ce qu'il avait pensť, tout ce qu'il avait vu, et tout ce qu'il avait fait, jusqu'aprŤs le meurtre, ce qui s'explique par la prťdominance qu'offre dans ce cas l'intensitť de la prťoccupation dťlirante sur les troubles comitiaux. L'attaque est incomplŤte chez lui comme chez un grand nombre d'ťpileptiques ŗ crises plus mentales que convulsives. Elle a en moins l'absence de conscience, les spasmes toniques ou cloniques; elle a en plus la tension impulsive. C'est une sorte d'ťtat intermťdiaire entre la grande attaque ou le grand mal, et le vertige. Conformťment aux conclusions du rapport, R... a ťtť dťclarť irresponsable et placť dans un asile d'aliťnťs. La nommťe R... est une enfant non-seulement par son ‚ge, mais par la lenteur de son dťveloppement physique et moral; sa tÍte a des dimensions au-dessous de la moyenne. ņ l'‚ge de 2 ans, elle a fait une chute suivie d'accidents cťrťbraux sur lesquels il est impossible d'Ítre renseignť. Depuis lors, des accŤs ťpileptiques ou ťpileptoÔdes rares se sont produits. Elle est sujette ŗ des impulsions violentes, soudaines, sans provocation, et sans cause apprťciable. Un jour, elle se jette, armťe d'un couteau, sur sa mŤre et lui fait une blessure sans gravitť. Une autre fois, elle se prťcipite sur sa grand'mŤre, une corde ŗ la main, roule la corde autour de son cou et tire violemment; la grand'mŤre est ŗ demi ťtranglťe, elle tombe ŗ terre, ne pouvant plus crier; le bruit attire l'attention et on accourt ŗ temps pour la sauver. Ces attaques de courte durťe sont sťparťes, par des intervalles de raison relative, d'autres accŤs pendant lesquels l'enfant est dominťe par des idťes vaniteuses. Elle s'habille avec une prťtention de mauvais goŻt, se dťclare riche ou prŤs de le devenir, habile ŗ tout, bien qu'elle n'ait pu en rťalitť apprendre un ťtat. Le nommť F..., ‚gť de 35 ans, est arrÍtť dans la boutique d'un marchand de vins, s'ťtant jetť sur un consommateur, armť d'un couteau, et aprŤs avoir errť longtemps sur le trottoir en profťrant des menaces. Le lendemain de son arrestation, il dťclare se rappeler le fait, sans savoir quels mobiles l'ont fait agir. Il boit peu, et n'a pas de tremblement caractťristique. Six mois avant, il s'ťtait prťcipitť sur sa logeuse avec laquelle il n'avait eu que les plus honnÍtes relations; il veut l'embrasser, la coucher sur son lit; elle rťsiste; appelle au secours, F... descend dans la rue, se met ŗ danser, remonte et s'enferme ŗ clef chez lui. Un mois plus tard, il frappe ŗ coups redoublťs ŗ la porte d'une maison oý d'ailleurs il ťtait connu, au milieu de la nuit, on lui refuse l'entrťe; sa fureur redouble; les agents de police accourus, le maintiennent aprŤs une rťsistance terrible. Au poste, il s'endort, et le lendemain il se rťveille assez remis pour qu'on le reconduise, sans autre formalitť, ŗ son domicile. Lŗ encore, on assiste ŗ des phases qui varient par leur intensitť plutŰt que par leur nature. En poursuivant plus loin la recherche, on apprend que F..., employť comme homme de peine dans une administration publique, y est trŤs-estimť, mais que de temps en temps il devient singulier, morne ou menaÁant, et aprŤs quelque repos, il reprend son ouvrage ŗ la satisfaction de tous. On apprend aussi qu'il n'a pas d'habitudes d'ivrognerie et qu'il se dťfend de boire, sachant combien la boisson l'agite. La nommťe M..., domestique, ‚gťe de 24 ans, est nťe dans la Meurthe; elle habite Paris depuis son enfance. Petite, blonde, d'une physionomie assez fine, elle a ťtť arrÍtťe pour un infanticide accompli dans les conditions que rťvŤle suffisamment son interrogatoire. Nous avons cru devoir nous borner ŗ reproduire ses paroles, rapportťes presque textuellement: ęMon enfant ťtait en nourrice, il avait six mois. J'ai ťtť le chercher au bureau, j'ai payť ses mois. Je savais que je ne pouvais pas continuer, je l'ai emportť. ęJe suis revenue tranquillement ŗ la Seine, portant l'enfant sur les bras; je me suis promenťe un bon moment sur le bord de la Seine, je ne savais pas quoi faire, si je devais rentrer chez mes patrons; il ťtait prŤs de minuit, j'ai marchť pendant prŤs de deux ou trois heures, je me suis assise sur un banc. ęJe ne pourrais pas dire ce qui m'a passť par l'esprit; j'ťtais comme perdue, je ne pourrais pas expliquer. Je l'ai pris, je l'ai jetť par-dessus le pont; je l'ai jetť avec douceur. Le pauvre enfant, je pensais en faire tout autant pour moi que j'en ai fait ŗ mon enfant, je ne pourrais pas dire; Áa m'a pris tout d'un coup. Mes parents savaient que j'avais un enfant, mes maÓtres, non; j'aurais rťflťchi, que j'aurais compris que mes parents m'auraient aidťe. Ce n'est pas par mťchancetť, c'est je ne sais comment que j'ai fait le coup. ęSon pŤre ťtait commis dans un magasin, j'avais fait sa connaissance par une autre jeune fille; je ne l'ai pas revu aprŤs un mois que j'ťtais enceinte; il y avait peut-Ítre cinq mois que je le connaissais. ęJ'ai ťtť au commencement que j'ťtais grosse en rapport avec un autre individu qui devait m'ťpouser; il a refusť, le jour de l'accouchement, en faisant le calcul qu'il ne pouvait pas Ítre le pŤre.Ľ L... est plus franchement ťpileptique. Venu ŗ Paris de son pays par un coup de tÍte, il se fait arrÍter au bois de Boulogne, brisant avec les pieds et les poings un tableau indicateur qu'il vient d'arracher de son poteau. Au moment oý l'on veut s'emparer de lui, il tire son couteau et en frappe un agent; la blessure est insignifiante. On le dťsarme, et le lendemain, il est conduit ŗ l'infirmerie de la Prťfecture de police. Lŗ, il est pris de deux accŤs d'ťpilepsie type avec cris, menaces, injures, bris de vitres, puis convulsions toniques et cloniques, ťcume, asphyxie incomplŤte suivie de sommeil stertoreux et presque de coma. Les observations d'ťpileptoÔdes et d'ťpileptiques, dans lesquelles l'impulsion, variant de degrť, se traduit tantŰt par un bris de meubles ou de vitres, tantŰt par des violences, tantŰt par une tentative de meurtre ou par un meurtre lui-mÍme, sont nombreuses. Je dois ŗ l'obligeance de mon excellent ami, M. le professeur LasŤgue, la communication des quatre faits prťcťdents dont chacun offre des variťtťs en rapport soit avec le hasard des circonstances, soit avec la vivacitť dťrťglťe des excitations. Dans le premier, on peut plutŰt supposer la nature vraiment ťpileptique des attaques que l'affirmer avec preuves ŗ l'appui, mais on trouverait difficilement un type mieux accusť d'impulsions passagŤres aboutissant ŗ une tentative d'homicide ou ŗ un homicide, ce qui est la mÍme chose au point de vue de l'impulsion, et sous quelque nom qu'on le classe, le _raptus_ cťrťbral ne peut laisser aucun doute. Ces faits sont tellement caractťristiques, l'attaque impulsive ŗ forme cťrťbrale est si ťvidente, qu'ils peuvent se passer de commentaires. ACC»S DE M…LANCOLIE.--SEMI-GU…RISON.--PERSISTANCE DE TRISTESSE SANS D…LIRE.--SECOND ACC»S DE M…LANCOLIE.--SUICIDE AVEC TENTATIVES NON S…RIEUSES.--PENS…ES D'HOMICIDE SUR LA PERSONNE DU MARI, SANS EFFET.--AGGRAVATION DE L'EXCITATION.--IMPULSIONS IRR…SISTIBLES QUI ABOUTISSENT AU MEURTRE DE L'ENFANT.--IRRESPONSABILIT…. Nous, soussignťs, docteurs en mťdecine, chargťs d'examiner la nommťe Sophie B..., femme M..., inculpťe d'assassinat commis sur la personne de son fils, ‚gť de moins de 4 ans; de rechercher quel ťtait son ťtat mental au moment du crime qui lui est imputť, quel est son ťtat mental actuel, et de dťterminer si elle doit Ítre considťrťe comme responsable de ses actes, avons consignť dans le prťsent rapport le rťsultat de notre examen: Sophie B..., femme M..., ‚gťe de 45 ans, s'est mariťe au mois de novembre 1861. ņ la suite de la mort de son premier enfant, en 1862, elle fut atteinte d'un accŤs de dťlire mťlancolique; pendant trois semaines, elle resta dans un ťtat voisin de la stupeur, ne parlant pas, ne voulant plus manger, indiffťrente ŗ tout, ne prenant aucun soin d'elle-mÍme, ne se souvenant de rien, et son mari nous affirme qu'elle ťtait alors beaucoup plus malade, en apparence du moins, qu'elle ne l'est aujourd'hui. Cet accŤs dura six semaines environ. En 1864, elle accoucha d'un garÁon qu'elle nourrit elle-mÍme, ce qui la fatigua beaucoup; elle fui assez triste pendant quelque temps, mais elle n'eut pas de dťlire. Le mari travaillait beaucoup, le mťnage ťtait dans l'aisance, et, de son propre aveu, elle ťtait heureuse. En 1866, elle eut au mois d'avril une hťmorrhagie utťrine trŤs-abondante et qui la laissa longtemps dans un ťtat de faiblesse extrÍme, que vint accroÓtre encore une cholťrine ŗ la fin du mois d'aoŻt. L'hiver fut pťnible ŗ passer pour elle; elle ne put travailler, elle en conÁut une tristesse profonde, mais sa raison ne fut point troublťe; elle n'avait qu'une crainte exagťrťe d'Ítre un jour complŤtement incapable d'ťlever son enfant auquel elle tťmoignait une vive affection et dont elle prenait le plus grand soin. Vers le mois de juillet 1867, sa santť s'altťra et dťclina de plus en plus jusqu'au mois de janvier 1868, oý elle donna de nouveaux signes de mťlancolie. Affaissťe, languissante, incapable de toute occupation, inaccessible ŗ toute distraction, elle se plaignait d'Ítre fatiguťe de vivre, et plus d'une fois elle dit ŗ son mari, ŗ quelques amis: ęJe voudrais mettre ma tÍte dans un trouĽ ajoutant: ęPauvre homme, je ne suis bonne ŗ rien, je voudrais mourir. Je ne peux pas m'occuper de l'enfant, le laver, il est malpropre.Ľ Puis, elle prenait son petit garÁon dans ses bras, le caressait et le repoussait tout ŗ coup, en disant: ęTout me fatigue, tout m'ennuie.Ľ Le sommeil devint irrťgulier et se perdit tout ŗ fait. Le 4 mai, son mari se rťveille ŗ 4 heures du matin, il trouve sa femme assise dans le lit, il lui demande si elle a dormi, elle lui rťpond: ęJe ne peux pas: si tu savais quelle idťe me passe par la tÍte, _il faut que je te tue_; c'est une idťe qui me vient; que je suis malheureuse! Si je pouvais dťchirer ce drap.Ľ Et en parlant ainsi, elle chiffonnait et tordait les draps du lit, elle se frappait le front sur la muraille. Vers 7 heures du matin elle se calme, se lŤve, fait son mťnage. ņ 9 heures une de ses amies vient la voir; dŤs qu'elle l'aperÁoit elle la prend par le bras, la supplie de l'aider:--ęSauvez-moi, aidez-moi, lui dit-elle, tout le monde me dťteste, je vois l'ťchafaud devant moi.Ľ Elle dit au mťdecin: ęSauvez-moi, Monsieur, je sens que je perds la tÍte. Mon pauvre homme, que va-t-il devenir?Ľ Pendant huit jours, elle reste dans une profonde mťlancolie; puis elle semble aller mieux, et le jour du meurtre, elle ťtait mÍme sortie pour se promener. ņ six heures elle rentra chez elle et prťpara le dÓner; son mari ne s'aperÁut pas qu'elle fŻt prťoccupťe. L'enfant jouait dans la chambre avec un maillet en bois. ņ huit heures et demie, elle coucha le petit garÁon, et l'embrassa. Le pŤre qui avait ŗ porter son travail de la journťe chez son patron, crut pouvoir laisser sa femme seule, elle lui paraissait bien, il n'avait, nous dit-il, aucun pressentiment. ņ peine ťtait-il parti que la femme M... prenait le maillet, et frappait ŗ la tÍte son enfant endormi. Tels sont les faits qui ont prťcťdť le meurtre. DŤs le lendemain, la femme M... fut conduite ŗ l'asile Sainte-Anne; c'est lŗ que nous l'avons examinťe ŗ plusieurs reprises: nous reproduisons textuellement ses rťponses, afin de leur laisser le caractŤre de sincťritť qui nous a frappťs. --Comment vous appelez-vous? --Sophie B..., femme M... --Vous Ítes allemande? --Je suis nťe dans le duchť de Bade. --En quelle annťe? --En 1823. --Depuis quand Ítes-vous ŗ Paris? --Depuis douze ou treize ans, je ne me rappelle plus bien. --Vous Ítes-vous mariťe ŗ Paris? --Oui, Monsieur. --Que fait votre mari? --Il est confectionneur pour Dames. --…tiez-vous heureuse, ťtait-il bon pour vous? --TrŤs-heureuse, il ťtait trŤs-bon pour moi. --Votre mťnage ťtait trŤs-tranquille? --Oui, trŤs-tranquille. --Avez-vous des enfants? --Oui, j'en avais un, un fils. --Qu'est-il devenu? --Je l'ai fait mourir. (Cette rťponse est faite avec le plus grand calme). --Avec quoi l'avez-vous tuť? --Avec un martinet. --Qu'est-ce qu'un martinet? --C'est gros comme un manche en bois. --Comment avez-vous fait? --J'ai frappť sur sa tÍte avec Áa. --Combien de coups? --J'ai frappť trois fois, je crois, trŤs-fort. --Pourquoi l'avez-vous frappť? --Je ne l'aimais plus, sans cela je ne l'aurais pas frappť. --Pourquoi ne l'aimiez-vous plus? --Je l'aimais bien au commencement, puis, j'ai cessť de l'aimer. C'est cet hiver que cela m'a pris, je n'ai jamais ťtť pareille; j'ai souffert tout l'hiver; il n'y avait pas d'ouvrage comme il devait y en avoir; j'ťtais toujours chagrine, toujours triste, il m'est venu cette idťe comme Áa de le frapper pour le tuer. --Pourquoi? pour vous en dťbarrasser? --Oui je voulais m'en dťbarrasser. --Aviez-vous de la peine ŗ le nourrir? --Non, ce n'ťtait pas une charge. «a m'est venu de le tuer. Je savais bien que c'ťtait mal, mais je me suis dit: ęOn va me tuer aprŤsĽ. J'avais dťjŗ pensť ŗ me tuer depuis cet hiver, mais pas mon enfant. Je me sentais malheureuse, sans motif de l'Ítre. --Vous n'avez jamais ťtť maltraitťe par votre mari? --Oh non, au contraire. --L'enfant n'ťtait pas mťchant? --Oh non. --D'oý venait votre tristesse? --J'ai eu un mal au pied. Je ne suis pas sortie de l'hiver; j'ťtais toujours triste, mon mari me disait de sortir, je ne voulais pas. Avant l'hiver je n'ťtais pas comme cela. --Y a-t-il eu d'autres ťpoques dans votre vie oý vous avez ťtť triste? --Oui, j'ai ťtť une fois trŤs-triste, ŗ la mort de mon premier enfant. --ņ ce moment-lŗ, avez-vous eu la pensťe de vous faire mourir? --Non, pas cette fois-lŗ. --Cette pensťe de tuer l'enfant est-elle venue tout ŗ coup? --Non, je l'ai eue plusieurs jours, je me disais, il ne faut pas, c'est mal. --Quand vous le voyiez, l'idťe de le frapper vous revenait-elle? --Oui, pour la plus petite chose, j'avais envie de le frapper. --Avez-vous essayť de vous tuer vous-mÍme? --Oui, cet hiver, j'ai voulu me jeter par la fenÍtre, je l'ai ouverte et je me suis dit: ęil ne faut pas faire cela.Ľ --Aviez-vous peur de vous blesser sans vous tuer? --Oui, je me disais, je ne vais pas me tuer, je vais rester accrochťe. --ņ quel ťtage demeuriez-vous? --Au troisiŤme sur la rue. --Vous rappelez-vous ŗ quelle ťpoque? --Non, je ne me souviens plus bien. --Est-ce la seule fois que vous aviez voulu vous tuer? --Non, cette pensťe-lŗ m'est venue plusieurs fois. --Quand vous avez frappť l'enfant, qu'avez-vous ťprouvť? --Quand l'enfant a ťtť mort je me suis dit: ę«a n'est pas bien, puis je me disais aussi: Mon Dieu, je voudrais bien qu'il ne souffre pas longtemps.Ľ --Qui est-ce qui est venu chez vous aprŤs cela? --Un monsieur qui demeure chez nous; je lui ai dit: ęJ'ai tuť l'enfant.Ľ J'ťtais agitťe, je ne pouvais presque pas parler. Le monsieur m'a dit; ęVous, une si bonne mŤre,Ľ et il est parti chercher le mťdecin. --A-t-il envoyť quelqu'un prŤs de vous? --Oui, puis le mťdecin est venu, et aprŤs, on m'a conduite au poste. --ņ quelle heure est-ce arrivť? --C'est aprŤs que mon mari a ťtť parti, vers 8 heures et demie. --Quel jour ťtait-ce? --Il y a aujourd'hui huit jours. --Qu'est-ce que vous avez fait depuis? --J'ai racontť cela comme ŗ vous ŗ des messieurs, je ne me rappelle pas oý. --Oý Ítes-vous ici? --On m'a dit ŗ Sainte-Anne. --Qu'est-ce que cette maison? --C'est une maison de santť. --Quelle espŤce de malades y a-t-il? --Ceux qui ont la tÍte dťrangťe. --Et vous, est-ce que vous avez la tÍte dťrangťe? --Je n'ai pas la tÍte dťrangťe, mais je ne peux plus rťflťchir comme autrefois. Je me rappelle que cet hiver j'ai senti comme tous les fils cassťs dans ma tÍte, pendant cinq minutes; je me rappelle trŤs-bien cela. J'ťtais comme perdue tout ŗ fait. J'ťtais toute seule, c'ťtait ŗ la nuit; le lendemain, j'ai dit ŗ mon mari: ęje suis comme une imbťcile, je ne sais plus faire ce que je faisais;Ľ j'ťtais toute ťtourdie; c'ťtait avant l'hiver que Áa a commencť. --Avez-vous eu d'autres fois l'idťe de tuer quelqu'un? --Oui, une fois, le matin avant 5 heures; je ne pouvais pas dormir, j'ťtais toute agitťe, j'ťtais couchťe ŗ cŰtť de mon mari qui dormait; je l'ai tirť par sa manche pour le rťveiller, et je lui ai dit que j'avais de mauvaises idťes, que je voulais le tuer. --Et l'hiver prťcťdent, comment ťtiez-vous? --L'autre hiver, j'ai ťtť prise comme cela, je ne pouvais plus lire, j'aimais bien lire autrefois. --Etes-vous trŤs-malheureuse de la mort de votre enfant? --Oh oui, trŤs-malheureuse, j'ai mal fait. (Ceci est dit avec la plus grand calme, sans apparence d'ťmotion.) Mais je n'ai pas pu pleurer. Autrefois je pleurais pour un rien, maintenant je ne peux plus du tout; j'ťtais trŤs-sensible, on se moquait de moi parce que je pleurais quand je lisais quoique chose; je ne suis plus sensible du tout maintenant. --Vous rappelez-vous ce qui s'est passť le jour oý vous avez tuť l'enfant? --Je ne me rappelle pas tout, mais bien des choses. J'ai frappť sur sa tÍte avec un martinet en bois. --Quand vous avez, cessť de frapper vivait-il encore? --Oui, il remuait, mais je pensais tout de mÍme qu'il ťtait mort, je ne voulais pas le faire souffrir. --Dans les nuits qui ont prťcťdť, avez-vous entendu des voix qui vous disaient de le tuer? --Non, je ne pensais pas ŗ le tuer avant, je l'aimais bien, et son pŤre aussi. C'est dans l'hiver que je me suis trouvťe trŤs-malheureuse que l'idťe m'est venue, je la repoussais, et elle est revenue, je ne sais pourquoi. -- tes-vous bien sŻre de n'avoir pas entendu des voix qui vous disaient: ęTue-leĽ? --Non, jamais. --Et pour votre mari? --Non plus; je n'ai jamais pensť ŗ tuer quoiqu'un avant cet hiver; c'est moi-mÍme que je voulais tuer. --Vous n'avez pas pu rťsister ŗ votre idťe de tuer l'enfant? --Non. --Dans cette journťe-lŗ, vous ne vous rappelez pas d'avoir eu des bruits dans les oreilles, des ťtourdissements? --Non, pas des ťtourdissements, mais j'avais mal ŗ la tÍte, je n'avais plus de mťmoire, j'oubliais les objets, une fois je pensais ŗ une chose, et puis j'oubliais, je pensais ŗ une autre. Quelquefois je me souviens de mon enfant, je me dis que je l'ai tuť, que c'est trŤs-mal, et puis je n'y pense plus. L'idťe me vient que j'ai rendu mon mari malheureux, qu'il ne mťritait pas cela, parce que c'est un brave homme, et puis tout d'un coup je n'y pense plus. --Quand vous y pensez, l'avez-vous devant les yeux? --Non, je ne le vois plus bien, je ne me rappelle plus sa figure, je l'aimais pourtant bien. --De quelle couleur ťtaient ses cheveux? --Bruns. --Quel ‚ge avait-il? --Quatre ans le 28 juin. --Depuis que vous Ítes ici, que faites-vous? --Je ne fais rien, je ne peux pas travailler. Depuis longtemps je suis comme cela, c'est Áa qui m'a emmenťe dans ces idťes lŗ. Je croyais que je ne pourrais plus travailler autant; j'ťtais trŤs-faible, je ne pouvais plus aider mon mari. Cela me faisait dťsirer de mourir, me faisais des reproches pour tout, pour tout. --Avez-vous revu votre mari? --Oui, il est venu dimanche, c'est la premiŤre fois que j'ai pu pleurer un peu. Il a ťtť trŤs-bon pour moi, mais je n'ai pas pleurť depuis, je ne peux plus rťflťchir. ņ toutes nos visites, la femme M..., s'est montrťe la mÍme. Son ťtat ne s'est pas modifiť depuis son entrťe. Sa physionomie est triste, toute son attitude est celle d'une lypťmaniaque. Elle s'isole, ne parle jamais, ne recherche aucune occupation; elle dit qu'elle est incapable de tout travail. Ses idťes sont trŤs-confuses. Elle essaye de ressaisir quelques souvenirs, ils lui ťchappent, et elle reste dans un ťtat d'incertitude, de vague, dont parfois elle a conscience. Depuis longtemps dťjŗ sa mťmoire est profondťment troublťe; elle s'inquiťtait de son ťtat. Son regard est sans expression, son visage impassible. Notre prťsence lui est presque indiffťrente, elle ne songe pas ŗ nous demander ce que nous venons faire auprŤs d'elle. Nos questions rťveillent en elle des souvenirs qu'elle n'eŻt pas retrouvťs seule. ęQuand on me dit les choses, je me souviens, rťpond-elle,Ľ et, c'est parfois avec un peu d'hťsitation, mais toujours avec une extrÍme sincťritť qu'elle nous donne des dťtails sur les faits passťs. Elle n'essaie pas d'excuser le meurtre qu'elle a commis, elle ne cherche pas mÍme ŗ donner une explication de cet acte qu'elle dit regretter aujourd'hui, elle a tuť parce qu'elle a ťtť poussťe ŗ tuer, et qu'elle a ťtť dominťe par une irrťsistible impulsion. Elle s'est servie du maillet avec lequel l'enfant avait jouť dans la soirťe, parce que cet instrument s'est trouvť lŗ, sous ses yeux, sous sa main. ņ ce moment, elle n'a pas eu la pensťe qu'elle serait condamnťe ŗ mort aprŤs avoir tuť son enfant, elle a ťtť fatalement poussťe au meurtre. Depuis plusieurs jours elle nourrissait cette idťe, elle avait pu jusqu'alors la repousser; elle l'avait combattue, et elle a fini par y cťder. Il est arrivť chez elle ce qui arrive chez ces malades, la prťoccupation dťlirante a dominť tout ŗ coup ses sentiments, sa volontť, et elle n'a pas ťtť capable de rťsister ŗ l'impulsion. La femme M... est atteinte d'un accŤs de dťlire mťlancolique, des longtemps prťparť, et dans lequel la lutte contre les idťes d'homicide et de suicide a ťtť longue. ęAidez-moi, sauvez-moi, je vois l'ťchafaud devant moi, disait-elle.Ľ Elle a ťtť vaincue, et rien n'a manquť pour caractťriser aussi complŤtement que possible l'acte dťlirant. Elle a ťprouvť le sentiment comme d'une dťtente aprŤs avoir tuť; elle est restťe calme, au milieu de l'ťmotion de tous ceux qui l'entouraient; ŗ ce moment, elle n'avait ni regrets, ni craintes; seule, elle est restťe impassible. Elle s'approche du berceau de l'enfant, elle veut le toucher pour voir s'il est mort. ęJe ne voudrais pas qu'il souffre trop longtemps, dit-elle.Ľ Elle le regarde, les yeux secs, et comme on lui demandait pourquoi elle, une si bonne mŤre, elle avait frappť l'enfant qu'elle aimait tant, elle rťpond: ęC'est moi qui ai fait cela, je ne sais pas pourquoi; je ne voulais plus vivre.Ľ De ces faits, de l'examen attentif et prolongť auquel nous nous sommes livrťs, nous nous croyons autorisťs ŗ conclure que: 1į La femme M..., nťe Sophie B..., ťtait atteinte d'un accŤs de dťlire mťlancolique avec impulsions homicides et suicides le 12 mai 1808; 2į L'accŤs n'est pas encore terminť aujourd'hui, et s'il est vrai que la femme M... a pu rťpondre d'une maniŤre assez prťcise aux questions qui lui ťtalent adressťes par nous, il est vrai aussi qu'en prolongeant l'examen, nous avons constatť un affaiblissement ťvident de la mťmoire, de la confusion dans les idťes, et provoquť une vťritable fatigue. 3į Cet accŤs dont le dťbut remonte ŗ quelques mois et qui dure encore aujourd'hui, avait ťtť prťcťdť, en 1868, d'un accŤs analogue dont les traces n'avaient jamais complŤtement disparu. Nous dťclarons donc que la femme M... est depuis longtemps aliťnťe, qu'elle ne saurait Ítre considťrťe comme responsable de ses actes, et qu'elle doit Ítre maintenue dans un asile spťcial. Paris, le 20 juillet 1868. _Signť_: CH. LAS»GUE, A. MOTET, …. BLANCHE. Ce fait est un de ceux qui viennent le plus manifestement ŗ l'appui de la proposition que je cherche ŗ ťtablir dans ce travail. On peut y suivre les progrŤs du mal, depuis le premier accŤs jusqu'ŗ la crise finale. D'abord, de simples prťoccupations mťlancoliques, sans idťes apparentes de suicide; puis une tendance habituelle ŗ la tristesse, mais sans dťlire. Enfin, survient la crise qui s'est terminťe par le meurtre, et dans le cours de cette crise, les pensťes de suicide se montrent les premiŤres, mais jamais assez dominantes pour dťterminer une tentative sťrieuse; ŗ ces pensťes de suicide, succŤde l'idťe de meurtre; la femme M... avoue ŗ son mari qu'elle a le dťsir de le tuer; l'impulsion est encore assez faible pour que la malade n'y cŤde pas; enfin, le mal monte, la surexcitation cťrťbrale augmente, et l'impulsion devient irrťsistible; la femme M... tue son enfant. Le processus morbide est ici des plus clairs, des plus ťclatants, et l'enseignement que ce fait porte en lui-mÍme me paraÓt sans contestation possible. Conformťment ŗ nos conclusions, une ordonnance de non-lieu est intervenue, et la femme M... a ťtť maintenue dans un asile d'aliťnťs. M…LANCOLIE SUICIDE.--ACTES DE VIOLENCE.--TENTATIVES D'HOMICIDE. Mademoiselle X... compte parmi ses ascendants plusieurs aliťnťs dont deux ont pťri de mort volontaire. ņ l'‚ge de 20 ans, elle a une premiŤre crise de mťlancolie qui nťcessite son placement dans une maison de santť spťciale. Au cours de cette crise, elle fait plusieurs tentatives de suicide; aprŤs quelques mois de traitement, elle se rťtablit assez pour pouvoir rentrer dans sa famille. L'annťe suivante, nouvelle crise, tentatives de suicide plus graves. Mlle X... s'ouvre une veine du bras gauche et est sur le point de mourir d'hťmorrhagie. D'autres crises se succŤdent, avec des intervalles de deux ou trois annťes, et chaque fois les tentatives de suicide sont plus sťrieuses. Mlle X... a recours ŗ tous les moyens pour se tuer. AprŤs avoir cherchť ŗ se pendre, ŗ s'ťtrangler, elle cherche ŗ s'ťtouffer, soit avec les aliments, soit avec les objets qu'elle peut atteindre avec ses mains, ou avec sa bouche et ses dents; ŗ la promenade, elle se jette ŗ terre et se remplit la bouche de sable et de cailloux, ou d'herbe et de feuilles; elle arrache avec ses dents les boutons des vÍtements et les ťtoffes des meubles qui sont ŗ sa portťe, et cherche ŗ les avaler; elle refuse de manger, et on doit la nourrir avec la sonde oesophagienne. De plus en plus agitťe, elle injurie, frappe, pince et mord ses gardiennes et voudrait provoquer une lutte dans laquelle elle espŤre Ítre tuťe. Elle fait plus encore. Elle combine une tentative de meurtre avec guet-apens, et se lamente d'avoir ťchouť, parce qu'elle comptait que la justice la dťclarerait responsable et la condamnerait ŗ mort. Mlle X... a succombť ŗ une pneumonie. Madame L... prťsente tous les mÍmes symptŰmes, et depuis vingt-cinq ans que je lui donne des soins, elle a eu plusieurs crises de mťlancolie et a fait de trŤs-nombreuses et trŤs-sťrieuses tentatives de suicide. Comme Mlle X..., madame L... a eu des accŤs de surexcitation pendant lesquels elle a commis des actes de violence et fait des tentatives de meurtre sur les personnes qui la gardaient. Depuis deux ans, elle est habituellement assez calme, elle a toujours le dťsir de mourir, elle a mÍme parfois encore des moments d'agitation dans lesquels elle se montre disposťe ŗ la violence, mais elle est le plus souvent dans un ťtat de passivitť; elle croit qu'elle ne peut succomber que dans un cataclysme universel; pleut-il pendant une journťe entiŤre, lit-elle dans un journal qu'il y a eu dans tel pays des secousses de tremblement de terre, sa figure s'ťpanouit, et elle dit, avec une joie mal dissimulťe, que c'est le commencement d'un nouveau dťluge, que nous allons tous Ítre engloutis dans les eaux, ou dans les profondeurs de la terre. Pendant le SiŤge et pendant la Commune, Madame L... n'a cessť d'Ítre parfaitement tranquille; elle a dťclarť depuis qu'elle ťtait absorbťe dans l'espoir d'Ítre atteinte et tuťe par un des obus qu'elle entendait ťclater nuit et jour. Ce qu'il importe de relever dans ces deux observations, c'est le progrŤs constant de la surexcitation et l'intensitť de plus en plus grande des accŤs impulsifs qui se bornent d'abord ŗ des tentatives de suicide pour aboutir ŗ des tentatives d'homicide. Dans ces deux cas, l'impulsion au suicide ťtait devenue la disposition d'esprit habituelle et pour ainsi dire normale des malades; l'impulsion au meurtre est apparue et a ťtť la manifestation d'une surexcitation cťrťbrale plus prononcťe. Les faits de ce genre ne sont pas rares dans la science, mais je n'ai voulu rapporter ici que deux des plus saillants parmi ceux que j'ai observťs dans ma pratique personnelle. Quoique les deux rapports qui vont suivre aient ťtť dťjŗ publiťs dans les _Archives gťnťrales de mťdecine_ (numťros de janvier 1875 et 1878), je vais les reproduire. Ces deux documents ont, en effet, leur place marquťe ici, puis qu'ils retracent deux des faits principaux qui ont inspirť le travail que j'ai eu l'honneur de soumettre ŗ l'Acadťmie: Le premier est relatif au nommť Th..., inculpť d'un meurtre commis le 12 juin 1874 sur la personne de la nommťe Marie C..., dans un restaurant de la rue Cujas. Th..., arrÍtť immťdiatement, avait avouť Ítre l'auteur du meurtre, et les conditions dans lesquelles il avait agi ťtaient telles que la justice crut devoir faire procťder ŗ une expertise mťdicale sur son ťtat intellectuel. MM. les Drs LasŤgue, Bergeron, et moi, nous fŻmes chargťs de cette expertise, par ordonnance de M. de Baillehache, juge d'instruction au Tribunal de la Seine, en date du 12 aoŻt 1874, et le 13 novembre suivant, nous dťposions le rapport qu'on va lire et qui renferme, avec l'exposť des circonstances dans lesquelles le meurtre a ťtť commis, l'histoire pathologique complŤte de l'inculpť, et les dťductions scientifiques qui en dťcoulent. Conformťment ŗ nos conclusions, Th..., a ťtť dťclarť irresponsable et transfťrť ŗ BicÍtre. Th... est de taille moyenne, d'une physionomie assez intelligente, et qui ne prťsente aucune expression particuliŤre. La longue dťtention ŗ laquelle il a dŻ Ítre soumis l'a peu ťprouvť, il l'a supportťe et la supporte avec plus d'insouciance que de rťsignation. Dans la prison, oý il vit en cellule avec deux autres dťtenus, il lit, dessine assez correctement et ťcrit beaucoup. Sa vie est rťguliŤre et on n'a eu ni ŗ le soigner pour un malaise intercurrent, ni ŗ le punir pour une infraction ŗ la discipline. Ses ťcrits, dont nous reparlerons, consistent en lettres ayant trait pour la plupart ŗ des demandes de vÍtements, de tabac. Dans une d'elles, il rťclame une chemise blanche afin d'Ítre plus prťsentable quand le photographe de l'administration viendra; dans une autre, adressťe ŗ sa mŤre, il lui recommande de ne pas s'effrayer, et il termine en rťclamant des mouchoirs. L'orthographe est incorrecte, et l'ťcriture trŤs-variable. Th... a rťdigť des manuscrits auxquels il attache plus d'importance. C'est d'abord un rťsumť de sa vie, destinť au juge d'instruction chargť de son affaire; c'est ensuite une page romanesque et sentimentale sur les avantages de la vertu. Nous extrayons de ces deux piŤces quelques passages significatifs, qui nous dispenseront d'ailleurs d'un exposť biographique. ęJe suis nť ŗ Paris, ŗ la maison de correction des femmes de Saint-Lazare (sa mŤre avait ŗ peine 15 ans). Sur mon bas ‚ge je ne ferai remarquer qu'une particularitť: ma mŤre disparut tout d'un coup de la maison oý habitait ma grand'mŤre. Tout d'un beau jour, j'ťtais bien petit et ne marchais pas encore. Dans quatre ans plus tard ma grand'mŤre reÁut une lettre avec un mandat sur la poste de 500 francs...; au bout de huit jours, nous reÁŻmes une autre lettre qui nous disait de l'attendre ŗ la gare Saint-Lazare...Ľ ęņ quelque temps de lŗ je suis rentrť chez M. B..., instituteur, et au bout de cinq ou six ans je suis sorti, ayant une bonne instruction primaire. ęEn 1862, je suis rentrť au pensionnat des frŤres de P..., oý je suis restť un an et oý j'ai fait ma premiŤre communion. Les vacances sont arrivťes sans que l'annťe puisse se signaler par quelque chose de remarquable.Ľ En 1868, Th... est placť comme externe au collťge Ch..., et c'est lŗ, dit-il, en parlant de sa mŤre dont il incrimine longuement la conduite, qu'il a ťtť bien ŗ mÍme d'apprťcier le bien et le mal. Les ressources de la famille ayant diminuť, Th... quitte le collťge, revient habiter prŤs de sa mŤre et est placť, en 1865, chez un fabricant d'instruments de prťcision, oý il reste six mois. ęJ'ťtais tellement malmenť, je fus tout de suite dťgoŻtť, et je me trouvai placť ŗ demeure chez M. V..., ťditeur d'imagerie religieuse, oý je suis restť quatorze mois. Au bout de quatorze mois, je quittai M. V..., avec qui je ne m'ťtais pas entendu pour les appointements, et je suis entrť chez M..., libraire-ťditeur, oý je ne suis restť que peu de temps. ęUne voisine, qui avait un frŤre sculpteur, donnait ŗ ma mŤre le conseil de me faire apprendre la partie: elle se chargeait de me prťsenter au patron. Ce qui fut dit fut fait, et quelques jours aprŤs j'entrais chez M. C..., oý je suis restť six mois, encore ŗ cause des mauvaises maniŤres de ma mŤre ŗ mon ťgard... Si bien qu'un beau matin, trŤs-exaspťrť, je finis par lui dire que je ne voulais plus travailler et ne pensais qu'ŗ m'engager dans la marine. Trois jours aprŤs, je partais pour le Havre, oý je suis restť quatre jours, et, n'ayant plus d'argent, je suis revenu ŗ Paris ŗ pied en cinq jours. Je n'avais pas pu m'engager au Havre.Ľ AprŤs un long exposť des difficultťs que ce retour prťcipitť lui suscite prŤs de sa mŤre, Th... raconte qu'il se place d'abord chez un fabricant de biscuit, puis chez un crťmier. ęLa, j'eus une grande envie pendant prŤs d'un mois d'assassiner la bonne. Je m'arrangeai de maniŤre ŗ la faire venir ŗ la cave au moins sept ou huit fois, sans jamais pouvoir me dťcider. Je ne lui en voulais cependant pas; nous ťtions trŤs-bien ensemble. Enfin, ŗ partir de ce moment, j'avais la tÍte tournťe; c'est ce qui fait que je suis parti comme un fou, et je restai cinq jours dehors, vivant de quelques sous que j'avais sur moi et couchant dehors.Ľ Il revient prendre ses effets, se replace chez un restaurateur, et au bout de quinze jours il entre ŗ l'hŰpital de la Charitť pour se faire traiter d'un rhumatisme articulaire qui se prolonge pendant deux mois et demi. ņ sa sortie de l'hŰpital, il est admis dans un pensionnat comme domestique et y sťjourne prŤs de huit mois. ęJ'ťtais, dit-il, trŤs-bien considťrť; malgrť cela, mon idťe criminelle me poursuivait toujours et ne me laissait pas tranquille. Un ťlŤve avait un couteau poignard, j'eus envie bien souvent de le lui prendre et de me sauver. ęņ cette ťpoque, j'avais l'idťe d'assassiner ma mŤre, et c'est, je crois, l'idťe qui m'a tenu le plus longtemps et ne me laissait pas un moment de repos du cŰtť de l'esprit.Ľ Il s'enfuit du pensionnat, retourne au Havre pour s'engager dans la marine marchande, revient ŗ Paris oý il est arrÍtť et condamnť ŗ trois mois de prison (octobre 1867), pour n'avoir pu payer sa dťpense dans un restaurant et avoir refusť d'indiquer son domicile. ņ sa sortie de prison, et aprŤs un court sťjour dans un ťtablissement de patronage, il s'engage dans le corps des zouaves pontificaux. Il dťserte aprŤs quatorze mois de service, revient ŗ Paris et trouve un emploi de garÁon d'office dans un restaurant. ęJ'avais fait la connaissance d'une fleuriste; nous nous aimions bien et j'ťtais heureux, quand l'idťe du crime me revint. Tous les jours j'ťtais prÍt ŗ prendre un couteau de cuisine chez mon patron, et cette fois j'avais grande envie de frapper ma mŤre; je restai dans cette alternative pendant quinze jours.Ľ Nouveau dťpart et nouveau voyage au Havre, oý il est occupť dans divers restaurants. Il passe l'hiver ŗ Honfleur, revient encore ŗ Paris en mars 1870, et est occupť comme homme de peine chez un brocheur, qu'il quitte bientŰt pour devenir ouvrier champignonniste aux environs de Meulan. De lŗ il rentre ŗ Paris pour s'engager dans un rťgiment de zouaves qu'il va rejoindre ŗ Alger. Rentrť en France, il est libťrť le 16 mars 1871. Pendant la Commune, il sert dans les vengeurs de Paris et trouve plus tard une place chez un fabricant de cols. Nouvel engagement dans les zouaves, dont le rťgiment tenait garnison en Afrique. Il fait la connaissance d'une fille R..., dont il a un enfant. Il quitte rťguliŤrement le service, rentre ŗ Paris avec sa maÓtresse, qu'il voulait ťpouser. Sa mŤre le dťtourne de ce mariage, et il perd de vue la femme et l'enfant. ęTout cela revint me retourner l'esprit, et aprŤs vingt-quatre heures de rťsistance contre moi-mÍme, j'assassinai la fille C... Le malheur que m'avait prťdit R... et d'autres personnes le voici: c'est d'avoir assassinť une pauvre femme que je ne connais pas et d'aller passer vingt ans, peut-Ítre ma vie, dans les bagnes. ęFait ŗ Mazas en attendant jugement, Henri Th..., _l'assassin_.Ľ L'autre ťcrit dťbute par cette phrase sentencieuse: ęQuand l'homme vient au monde, la destinťe s'empare de lui: elle le suit dans toutes les ťtapes de la vie, elle en fait un honnÍte homme ou un malfaiteur, et quelquefois ce qui est pire, un assassin.Ľ Suit un exposť de la vie heureuse de l'ouvrier vertueux. La destinťe a voulu qu'il fŻt un assassin, qui donc devait-il assassiner? Sa mŤre, et il termine par le regret de ne pas s'Ítre arrÍtť, comme il dit, ŗ l'idťe prťcťdente. L'exposť biographique de Th... est exact et n'a ťtť contredit qu'en un point par l'enquÍte. Son instabilitť date presque de l'enfance, et l'excŤs de mťmoire dont il fait preuve dans ses ťcrits comme dans ses rťcits, a un caractŤre pathologique. Il omet seulement une seconde condamnation ŗ 25 francs d'amende pour rťsistance aux agents et ivresse supposťe. Ces deux condamnations sont d'ailleurs les seuls antťcťdents judiciaires du prťvenu. L'interrogatoire de Th... a eu lieu presque immťdiatement aprŤs l'accomplissement du crime. Le procŤs-verbal du commissaire de police du quartier de la Sorbonne fournit les renseignements les plus explicites que l'instruction judiciaire confirme et complŤte. Il est ainsi possible de suivre pas ŗ pas le prťvenu depuis son enfance jusqu'au jour, 26 novembre 1874, oý la justice dťcida de son sort. Th... entre au restaurant de la rue Cujas pour y prendre un repas. En traversant de la piŤce du fond oý il avait dťjeunť dans celle du devant, il passe prŤs de la fille C... assise ŗ une table et occupťe ŗ nettoyer les couteaux. Il met la main gauche sur l'ťpaule droite de la victime et la frappe en pleine poitrine avec son couteau qu'il tenait de la main droite; le couteau ensanglantť tombe ŗ terre et le coupable sort de la boutique. B..., qui passait dans la rue Cujas, raconte que Th..., en sortant promptement de la boutique dont il avait fermť la porte avec violence, a commencť par s'enfuir, puis il a marchť tranquillement; le tťmoin et son frŤre l'ont saisi par le bras en lui disant: ęVenez, une dame de la rue Cujas veut vous parler.Ľ Th... s'est retournť et a rťpondu: ęLaissez-moi tranquille, je ne vous connais pas.Ľ Puis il s'est dťcidť ŗ suivre le tťmoin. Arrivť rue Cujas, il a regardť la femme qu'il venait d'assassiner et a dit: ęEh bien oui, c'est moi, ne me laissez pas au milieu de la foule, emmenez-moi au poste de police.Ľ Il a prťtendu, ajoute B..., que c'est une monomanie qu'il avait depuis six ans, et que les femmes avec lesquelles il vivait ne se doutaient pas de ce qui les attendait. Fouillť au moment de son arrestation, Th... est porteur d'un carnet oý sont consignťes les notes suivantes: ęDepuis longtemps, j'ai l'idťe du crime. L'envie de donner un coup de couteau date de 65; je voudrais n'Ítre connu de personne et que personne ne se soit jamais intťressť ŗ moi. ęJe suis le plus grand _ipocrite_ que la terre ait supportť; ŗ quoi ai-je ťtť bon jusqu'ŗ ce jour? ŗ rien, c'est le mot. ęTout le monde se demande pourquoi j'ai assassinť! Tout simplement pour sortir de la situation oý je me trouve. J'ai essayť de travailler, de me bien conduire; en un mot, j'aurais voulu Ítre heureux; mais il est ťcrit dans ma destinťe que je dois aller au bagne ou sur l'ťchafaud. Ainsi, en ce moment, je dťjeune et, en mÍme temps, de deux femmes qui se trouvent dans l'ťtablissement, je me demande laquelle je vais frapper. AprŤs le coup fait, je ne demande ŗ mes juges qu'une chose, c'est de me faire couper la tÍte immťdiatement. Le dťfinitif de tout est que, s'il y a un Dieu, il est bien injuste. J'ai voulu bien faire; mais je n'ai jamais pu chasser toutes ces idťes de crime!!!Ľ Interrogť par le commissaire de police, il rťpond ŗ la question qui lui est posťe sur le mobile du crime: ęC'est la satisfaction d'une idťe que j'ai depuis longtemps.Ľ ęJe n'avais pas choisi de victime spťciale J'ai passť la nuit avec une femme; si je n'en ai pas fait ma victime, c'est par suite de circonstances qu'il m'est impossible d'indiquer, car j'avais dťjŗ ouvert mon couteau et le lui ai montrť. Elle l'a trouvť joli, et je n'ai pas osť mettre mon projet ŗ exťcution.Ľ Plus tard, Th... expliquera avec moins de rťserves les motifs qui l'ont retenu, et la dťposition de la fille avec laquelle il a passť, en effet, la nuit prťcťdente, fournira d'utiles ťclaircissements. Th... continue: ęJ'ai achetť le couteau hier, et j'avoue l'avoir acquis exprŤs pour satisfaire mes idťes de meurtre. ęJ'ai ťcrit les notes que vous me reprťsentez avant et pendant mon dťjeuner, et j'ai taillť le crayon avec mon couteau.Ľ Confrontť le soir mÍme avec le cadavre de la fille C..., il indique froidement dans quelles conditions il l'a frappťe, et il sourit quand on lui demande si c'est bien lui qui est l'auteur du meurtre. Le commissaire de police a cru remarquer sur le visage de Th... une expression de satisfaction sensuelle en regardant le cadavre et le sang. Tout au moins, ce magistrat ne retrouve pas, chez le prťvenu, la tenue accoutumťe des coupables dont le crime vient d'Ítre dťcouvert. La dťposition de M. C..., son patron, nous ťclaire sur l'attitude de Th... pendant les quelques jours qui ont prťcťdť le 12 juin. Son humeur s'ťtait assombrie, il parlait moins, semblait _Ítre plus en lui-mÍme_, il avait fait une visite ŗ sa mŤre et avait eu quelques dťmÍlťs avec elle. Le 11 juin, jour oý il est sorti de chez son patron pour faire des courses, il avait l'air prťoccupť, absorbť, ne paraissant pas comprendre, faisant rťpťter les questions. On n'a jamais remarquť qu'il fŻt enclin ŗ la boisson ou ŗ une excitation quelconque, ni qu'il eŻt, dans ses actes ou dans ses paroles, la moindre tendance ŗ un dťrangement de l'esprit. Le tťmoin rappelle incidemment un fait important. Th... lui aurait racontť qu'il aurait dťsertť, ťtant aux zouaves pontificaux; qu'un jour ayant ťtť arrÍtť pour ivresse et mis ŗ la salle de police, il avait simulť un accŤs de folie, qu'on l'avait transportť ŗ l'hŰpital et qu'il avait obtenu un congť de trois mois. La fille S..., avec laquelle il a passť, en effet, la nuit du 11 au 12 juin, dťpose que, pendant la nuit, Th... avait, par intervalles, le sommeil agitť. Le 12, au matin, ils ont dťjeunť ensemble de pain, de vin blanc et de cafť au lait que Th... ťtait allť chercher. Puis, sans motif, il a tirť un couteau de sa poche, qui ťtait neuf et joli, ce qu'elle n'a pu s'empÍcher de lui dire, ŗ quoi il a rťpondu que ce couteau lui avait ťtť donnť la veille par un de ses anciens camarades de rťgiment. Comme la fille S... ne pouvait ouvrir le couteau, il l'ouvrit. Elle ťtait couchťe, il ťtait assis au pied de son lit, tenant toujours le couteau ŗ sa main; puis il l'a refermť et remis dans sa poche en disant qu'il servirait. J'ťtais un peu ťmue, ajoute la fille S...; mais il ne fut plus question du couteau et, ŗ 10 heures et demie du matin, il me quitta. ņ propos de cette dťposition, Th... explique que, s'il n'a pas dit ŗ la fille S... qu'il avait achetť le couteau la veille, c'ťtait pour ne pas lui laisser craindre, de but en blanc, le dessein qu'il avait de l'en frapper. Il n'a pas dit que le couteau servirait. Le soir, son projet ťtait de tuer la fille S...; mais il y a renoncť le matin parce qu'il ťtait dans une maison vaste et habitťe oý il ne voulait pas risquer d'Ítre arrÍtť; il ne voulait pas surtout Ítre soupÁonnť d'avoir tuť pour voler, ce qui n'ťtait pas son intention. Depuis lors, Th... est revenu, ŗ diverses reprises et avec une insistance marquťe, sur cette crainte de passer pour un voleur. Le logis de la fille ťtait convenablement meublť, l'armoire ťtait pleine d'effets et, malgrť ses dťnťgations, on aurait eu peine ŗ reconnaÓtre si quelques objets avaient ťtť dťrobťs. Il se complaÓt d'ailleurs, en toute occasion, ŗ discuter dans leurs dťtails les plus insignifiants les dťpositions des tťmoins, ŗ rectifier ce qu'il appelle leurs erreurs, et ŗ exposer lui-mÍme les faits tels qu'ils se sont passťs, dans leurs moindres circonstances. C'est ainsi qu'on prťsence du commissaire de police, trouvant que ses explications n'ont pas ťtť suffisamment comprises, il prend une rŤgle et s'en sort comme d'un couteau pour bien montrer comment a eu lieu l'assassinat, Au dťpŰt de la prťfecture, oý il est ťcrouť, le prťvenu conserve le sang-froid qui avait tout d'abord ťtonnť les magistrats, et la conscience vaniteuse de sa personnalitť. Le 16 juin il ťcrit ŗ sa mŤre: ęJe te demande mille pardons si j'ose t'ťcrire aprŤs le coup que je viens de faire. En attendant que je sois expťdiť ŗ Cayenne ou ŗ la Nouvelle-Calťdonie, trŤs-chŤre mŤre, tu voudras bien m'envoyer quelques petites choses dont j'ai besoin. Ce sont les derniŤres choses que je te demande, ne me les _refusent_ pas, d'abord du papier ŗ ťcolier, une main si tu le peux, des plumes, un porte-plumes, de l'encre, etc. Je voudrais bien avoir mes souliers napolitains. Ton fils, Henri Th...Ľ Le 18 juin, il ťcrit de Mazas une plus longue lettre oý se trouve cette phrase: ęCrois ŗ une chose, c'est que je ne suis pas fou.Ľ Le 19, il s'excuse prŤs de son patron d'avoir emportť 40 f., et termine en disant: ęJe croyais porter ma tÍte sur l'ťchafaud mais je n'aurai que les travaux forcťs.Ľ ņ partir de cette date et pendant le long espace de temps oý il est soumis ŗ l'enquÍte judiciaire et ŗ notre examen, Th... reste identique ŗ lui-mÍme. Pas une crise ťpileptiforme, pas un malaise ne vient troubler sa santť physique, et rien n'aurait ťchappť ŗ l'observation intťressťe et assidue de ses deux compagnons de captivitť. Une seule fois, il aurait commencť une tentative de suicide. AprŤs le dťpart de M. J., un de ses anciens protecteurs, qui lui avait adressť quelques reproches, Th..., dit le directeur de Mazas, s'est mis ŗ pleurer. Tout d'un coup, il a voulu s'ťtrangler avec son mouchoir. Les dťtenus qui sont prŤs de lui l'ont empÍchť, en se jetant sur lui, d'exťcuter son projet. La pťriode de sa longue dťtention prťventive ŗ Mazas, du 18 juin au 26 novembre 1874, s'ťcoule sans incidents sous la plus attentive surveillance. Il passe son temps ŗ ťcrire des lettres au juge d'instruction, demandant qu'on lui fournisse les menus objets dont il a besoin, ťcrivant, dessinant, et il dessine avec quelque facilitť, causant avec ses codťtenus et prenant le rŰle de chef de la chambrťe. Jamais une plainte n'est portťe contre lui pour une infraction ŗ la discipline. Les surveillants le trouvent docile et dťclarent qu'ils n'ont rien ŗ lui reprocher. Jamais ils n'ont eu ŗ signaler une crise d'excitation ou de dťpression exceptionnelle. On nous saura grť d'avoir exposť avec un excŤs de dťtails l'histoire de Th... Il est rare qu'on puisse suivre ainsi pas ŗ pas toute la vie intime d'un malade. Ces observations prises sur le fait et indťfiniment poursuivies deviennent de vťritables matťriaux scientifiques. L'opinion que nous avons exprimťe dans notre rapport pourra trouver des contradicteurs ou soulever des objections, mais l'approbation ou la critique portera sur une base solide. [M. le Dr Legrand du Saulle ne partage pas l'opinion que nous avons ťmise sur la nature de la maladie de Th... (Voir _…tude mťdico-lťgale sur les ťpileptiques_. Paris, 1877. Page 164).] De ce rapport trŤs-dťveloppť, nous extrayons la partie relative ŗ l'ťtude pathologique, sans revenir sur les faits que nous venons d'exposer. Il est ťvident que, pendant la surveillance prolongťe ŗ laquelle il a ťtť soumis, Th... n'a donnť aucun signe d'aliťnation de nature ŗ justifier une expertise mťdicale. C'est le fait seul, accompli en dehors de ce qu'on appellerait la _technique du crime_, qui a ťveillť la sollicitude des magistrats. Mesurer la sanitť intellectuelle d'un homme d'aprŤs un seul de ses actes est un problŤme toujours dťlicat et souvent insoluble. Le mťdecin expert doit, en principe, faire abstraction du fait et chercher ses ťlťments de dťcision dans l'examen direct du prťvenu. S'il est dťmontrť qu'il existe une perversion pathologique, le crime ou le dťlit, quel qu'il soit, cesse d'Ítre le rťsultat d'une libre dťlibťration, et la responsabilitť passe du malade ŗ la maladie. Il n'est pas toujours vrai que plus un crime est ťnorme, plus la moralitť de celui qui s'en est rendu volontairement coupable est abaissťe; il est encore moins conforme ŗ l'observation que l'ťnormitť de l'acte commis par l'aliťnť et qui serait criminel pour tout autre, corresponde ŗ l'intensitť et surtout ŗ la continuitť de la folie. La proposition inverse se rapprocherait davantage de la vťritť. C'est par une rare exception que les aliťnťs qui reprťsentent le dernier degrť de la dťchťance intellectuelle se livrent ŗ des actes graves, de nature ŗ appeler l'intervention de la justice. Il convient donc de se dťgager de ce prťjugť instinctif, mais en contradiction avec l'expťrience que la profondeur des troubles intellectuels est en proportion avec les agissements nuisibles qu'ils ont entraÓnťs. L'ťtude des rapports de l'acte avec l'ťtat mental de celui qui l'a perpťtrť a, dans le cas de Th..., une telle importance, que nous nous sommes crus obligťs d'exposer les donnťes acquises ŗ la science avant de les appliquer. En limitant la recherche ŗ l'homicide, les meurtres commis par les aliťnťs peuvent Ítre classťs dans les catťgories suivantes: 1į Le malade agit conformťment ŗ ses convictions dťlirantes. Il suppose, par exemple, qu'il est persťcutť par un individu dťnommť, que cette poursuite sans excuse menace sa vie, et, se considťrant dans le cas de lťgitime dťfense, il va au-devant d'un assassinat dont il serait victime. Le point de dťpart a ťtť une conception maladive, mais l'ťlaboration logique de l'idťe s'est faite presque rťguliŤrement. Th... semble avoir, par intervalles, cŰtoyť cette forme d'impulsion dťlirante. Sa mŤre ťtait, ŗ ses yeux, responsable de ses dťcouragements, de l'infťrioritť de sa situation, et mÍme de son instabilitť de caractŤre. L'idťe d'en finir avec cet ennemi intime se serait plusieurs fois prťsentťe ŗ son esprit, mais elle n'a jamais reÁu que des commencements douteux d'exťcution. Ces accŤs confus, racontťs par l'inculpť, ťchappent ŗ notre contrŰle. En tout cas, il est certain que le meurtre de la fille C... ne se rattache ŗ aucune des modalitťs pathologiques dťsignťes sous le nom de dťlire de persťcution. 2į L'aliťnť faible d'esprit, imbťcile, et par suite incapable de rťsister aux propensions, quelles qu'elles soient, est ou croit Ítre insultť, menacť, violentť, par un tiers. Il obťit ŗ l'instinct brutal, frappe, tue, sans Ítre arrÍtť par une dťlibťration intťrieure au-dessus de ses forces intellectuelles. Lŗ, encore, le crime s'explique par une provocation imaginaire ou vraie. Le tout se fŻt rťduit pour un homme sain ŗ une querelle, mais l'aliťnť a perdu le sens de la mesure. De mÍme qu'il eŻt pu supporter, sans se plaindre, des violences extrÍmes, il repousse, par un assassinat, des offenses prťtendues ou insignifiantes. Th... n'est pas davantage dans cette condition. Bien que son intelligence rťelle soit fort au-dessous de l'opinion qu'il en a, elle rentre dans une moyenne qui suffit, et au delŗ, ŗ la gouverne de la vie. Dans ces deux espŤces de meurtre, l'aliťnť reste aprŤs le crime ce qu'il ťtait auparavant: que le fait nuisible ait eu lieu ou non, l'aliťnation se reconnaÓt, indťpendamment des consťquences, aux caractŤres sťmťiotiques qui lui sont propres. 3į Il existe des types de folie d'un diagnostic plus complexe et qui fournissent au meurtre l'appoint le plus considťrable. Le dťlire est intermittent, il apparaÓt par crises plus ou moins prolongťes, et ne laisse pas de traces durant les intervalles. De ce nombre sont les folies toxiques et au premier rang l'alcoolisme aigu. C'est d'ailleurs aux intoxications alcooliques qu'il faut recourir toutes les fois qu'on veut pťnťtrer dans l'ťtude approfondie des dťlires impulsifs se rťpťtant par accŤs. Le malade, sous l'influence de l'empoisonnement alcoolique aigu, est pris d'entraÓnements soudains qui le portent ŗ l'assassinat ou au suicide. L'idťe de la mort domine son trouble intellectuel, et mÍme, s'il est inoffensif, il a encore peur de l'ťchafaud, de la condamnation ŗ une peine capitale, etc. L'acte succŤde ŗ la pensťe, plus ou moins soudain, plus ou moins conforme aux conceptions dominantes qui agitent l'aliťnť, mais souvent en dťsaccord avec l'excitation apparente. On voit alors combien les entraÓnements maladifs comptent peu avec les lois physiologiques de la moralitť humaine; l'alcoolique commet indiffťremment un meurtre ou un suicide, et son ťclair de violence porte ťgalement sur un objet inanimť et sur un Ítre vivant. Th... n'a pas d'habitudes de boisson, ou tout du moins on ne trouve chez lui aucun des signes pathognomoniques qui persistent si longtemps, mÍme aprŤs la cessation de l'accŤs. D'ailleurs, si rťduite que puisse Ítre la durťe d'une crise d'alcoolisme aigu, elle ne s'ťpuise pas par le fait du crime accompli, et on n'eŻt pas manquť de noter, au moment de l'arrestation, un trouble manifeste de l'intelligence. Les affections cťrťbrales dťterminent des attaques encore moins durables, avec tendance impulsive au meurtre; tel est le cas de certains dťlires aigus et de l'ťpilepsie.--L'ťpileptique frappe sans raison; il tue pour tuer, et ne semble mÍme pas avoir ťtť dominť par la pensťe de nuire. Bien que les violences comitiales prťsentent le plus souvent des caractŤres distinctifs, il se peut que, dans la prťcipitation de l'enquÍte immťdiate, ces indices aient ťchappť. …tant donnť un crime sans motifs, sans explication, et dont l'ťtrangetť avait frappť les magistrats expťrimentťs en ces matiŤres, nous avons dŻ rechercher les moindres symptŰmes d'une maladie cťrťbrale ŗ attaques ťpileptiques ou ťpileptiformes, et la plus minutieuse investigation n'a fourni que les donnťes suivantes: Th... n'a ni insomnie, ni tremblements, ni embarras de la parole, ni trouble fonctionnel intermittent ou durable du systŤme nerveux. Sous ce rapport, il est absolument explicite, et, d'ailleurs, il ne paraÓt pas supposer qu'on puisse jamais tenir pour aliťnť un homme tel que lui. Les pupilles sont inťgalement dilatťes, la vision de l'oeil gauche est affaiblie, mais l'examen ophthalmoscopique, qu'il serait inutile de reproduire, a permis d'exclure une lťsion encťphalique se propageant ŗ la trame nerveuse du fond de l'oeil. En remontant dans le passť, Th... raconte qu'ŗ diverses reprises il a ťtť frappť d'un vertige subit avec perte de connaissance. Une attaque de ce genre aurait eu lieu pendant une revue, ŗ l'ťpoque oý il servait comme zouave en Algťrie. De pareilles dťfaillances se seraient produites depuis lors, mais ŗ de rares intervalles, moins intenses, et n'entraÓnant ŗ leur suite aucun dťsordre physique ni moral, mÍme passager. Bien que ces indications, les seules que nous ayons ťtť ŗ mÍme de recueillir, ne soient pas sans valeur, elles ne suffiraient pas ŗ motiver le diagnostic d'une ťpilepsie larvťe, si tant est que ce diagnostic puisse Ítre, dans l'ťtat actuel de la science, sŻrement ťtabli. Il resta acquis seulement que Th... a prťsentť des phťnomŤnes cťrťbraux qui, pour Ítre accidentels et transitoires, n'en ont pas moins de gravitť et constituaient une vague menace pour l'avenir. 4į Est-on autorisť ŗ admettre une derniŤre classe de malades poussťs au meurtre par une violence irrťsistible et passagŤre, sans autres perversions physiques ou psychiques constatables durant l'accŤs, sans troubles caractťrisťs de l'intelligence aprŤs la crise? ņ cette question, aucun mťdecin ne peut hťsiter ŗ rťpondre par l'affirmative. Des exemples nombreux, observťs, analysťs, commentťs par les plus ťminents observateurs, ont ťtť publiťs, et quelques doutes qui s'ťlŤvent sur leur interprťtation, leur authenticitť est restťe hors de discussion. Il nous serait aisť de rapporter une sťrie de ces faits probants, si les preuves de ce genre n'excťdaient l'ťtendue d'un rapport mťdico-lťgal. Les aliťnťs qui rentrent dans cette catťgorie obťissent ŗ des impulsions limitťes. Aucun n'agit sans la pression d'une vague tendance qui le porterait, comme dans les espŤces prťcťdemment ťnoncťes, ŗ n'importe quelles violences. Chaque fois que la crise se rťpŤte, elle a lieu sous la mÍme forme, avec les mÍmes appťtits et les mÍmes aboutissants. TantŰt moins intense, elle s'ťpuise d'elle-mÍme; tantŰt elle s'ťteint aprŤs un commencement d'exťcution avortťe; tantŰt, au contraire, portťe ŗ son maximum, elle ne cesse qu'aprŤs l'accomplissement de l'acte commandť par ce dťlire de sentiments. Il en est ainsi, d'ailleurs, de l'ťpilepsie, des folies toxiques et de la plupart des maladies ŗ accŤs, qui varient de degrťs sans changer de types. Si les attaques sont plus ou moins intenses, elles sont ťgalement plus ou moins frťquentes et plus ou moins durables. De longues pťriodes, des annťes, peuvent s'ťcouler sans qu'elles se renouvellent; elles sont instantanťes, fugaces, ou au contraire elles se prolongent pendant des journťes et des semaines, croissant par une progression continue ou soumises ŗ des oscillations. Elles diffŤrent des crises ťpileptiques par un caractŤre essentiel: les malades n'ont pas perdu la conscience, ils se souviennent, et ils sont en mesure de raconter leur accŤs souvent jusque dans les moindres circonstances, Leur description uniforme permet d'instituer la sťmťiologie de ces attaques. L'impulsion consciente s'exprime tout d'abord ou par la pensťe obsťdante, ou mÍme par la crainte de commettre l'acte qui rťpond au dťlire. Peu ŗ peu s'adjoint ŗ cette idťe dominante une sorte d'ťtat vertigineux qu'on retrouve dans tous les appťtits maladifs, mais qui n'abolit pas l'intelligence. Aux premiers stades, le moindre obstacle peut devenir un empÍchement, une diversion puissante suspend ou supprime la crise; la moindre cause d'excitation, qu'elle soit morale ou physique, la redouble, et ces causes varient suivant l'objet spťcial de l'impulsion dťlirante. L'acte ainsi prťparť, mÍme dans les formes en apparence les plus instantanťes, prend un aspect de prťmťditation qui rťpond ŗ cette faÁon d'ťlaboration successive. La soudainetť de l'ťpilepsie, moins absolue d'ailleurs qu'on ne le suppose, n'admet pas au mÍme degrť ces indťcisions et surtout ces retardements dans l'exťcution de l'acte. L'action une fois commise, la crise non ťpileptique cesse d'ordinaire presque soudainement, et le malade, rentrť en possession de son activitť intellectuelle, peut Ítre assez maÓtre de lui-mÍme pour s'ťvader ou pour combiner les moyens d'ťchapper aux recherches. On s'explique ainsi comment dans les faits d'impulsions incendiaires ou de kleptomanie, le coupable se soustrait si souvent mÍme aux soupÁons. On aura complťtť la caractťristique sommaire de l'accŤs propulsif en ajoutant qu'il aboutit presque toujours ŗ un crime ou ŗ un dťlit inexplicable. L'aliťnť n'ťtait animť ni par une passion, ni par un intťrÍt, et le hasard seul a dťsignť la victime. Pour l'homicide tout au moins, les choses se passent ainsi, sauf de rares et contestables exceptions. Qu'on relŤve les faits consignťs dans la science, et on sera frappť de la part qui revient ŗ l'imprťvu; il suffit que l'occasion soit venue au moment oý, pour ainsi parler, la crise ťtait mŻre. Si l'appťtit du meurtre procťdait seul par accŤs, l'analyse en serait contestable, mais il existe des propulsions moins violentes, et qui, ne sollicitant l'ťmotion ni du malade ni de l'observateur, s'arrÍtent ŗ mi-route ou se rťsolvent en des actions moralement insignifiantes, et se prÍtent ŗ un facile examen. Or, conformťment ŗ la rŤgle que nous avons rappelťe et qui trouve ici son application, l'ťnormitť de l'acte n'a, malgrť son importance sociale, aucune signification pathologique. Pour citer une preuve: que de fois il arrive, et en particulier dans les dťlires toxiques ou ťpileptiques, que dans le cours de crises successives, le mÍme malade soit entraÓnť tantŰt ŗ l'homicide et tantŰt au suicide. Pourvu qu'il y ait mort d'homme, son appťtit est satisfait. AprŤs la crise, la situation mentale ne prťsente rien de caractťristique. Il est certain que le mťdecin le plus expťrimentť, mis en prťsence d'un de ces aliťnťs intermittents, ne soupÁonnerait pas l'ťtendue du dťsordre latent ou expectant. Il en est de mÍme dans un si grand nombre d'affections, que ces suspensions complŤtes rentrent dans la dťfinition des intermittences pathologiques. Le crime ou la violence accomplie, on ne retrouve que des indices incertains dont la trace eŻt ťchappť sans ce solennel avertissement. Th... appartient ŗ la catťgorie dont nous venons de retracer successivement les principaux caractŤres. Son histoire mťdicale, jusqu'au jour de l'assassinat, s'est passťe sans tťmoins dans l'intimitť de son for intťrieur; force est donc de s'en rapporter aux renseignements qu'il fournit sur lui-mÍme. Nous n'hťsitons pas ŗ admettre la sincťritť de son dire, et parce qu'il n'essaie ni de se justifier, ni de s'excuser, et parce qu'il reproduit les formules accoutumťes des aliťnťs impulsifs. Les crises se sont reproduites ŗ d'assez rares intervalles; il en a ťtť exempt pendant les deux annťes qu'il a passťes en Afrique. ņ son jugement, sa mŤre aurait une large part de responsabilitť, ŗ cause de l'ťducation dťfectueuse qu'il a reÁue. Le contact avec sa mŤre entretiendrait chez lui une irritabilitť toute favorable au dťveloppement des accŤs. Ce sont lŗ de simples interprťtations qu'il n'invoque pas d'ailleurs pour s'excuser de son crime. Th..., raconte complaisamment l'ťvolution de la crise qui s'est terminťe par le meurtre de la fille C... Il en suit les pťripťties, on pourrait presque dire les ondulations. La veille, l'idťe d'assassiner une fille publique l'avait poursuivi; il en a ťtť dťtournť par la pensťe qu'on l'accuserait d'avoir tuť pour voler. Le lendemain, obsťdť comme la veille, mais sans avoir perdu la conscience, plus entraÓnť que vertigineux, capable d'ťcrire sur son carnet les lignes que nous avons reproduites, il a frappť au hasard. Le restaurant lui ťtait aussi inconnu que la victime; la jeune servante se prťsente et il ne rťsiste plus. C'est d'ailleurs un fait commun que ces meurtres aient pour objet un enfant, un individu jeune, exceptionnellement un vieillard. Th... ťtait conscient de l'impulsion avant le crime, il se souvient de ce qui s'est passť ŗ la suite, et ne conteste aucune des allťgations du procŤs-verbal. Si, laissant de cŰtť l'attaque et la pťriode qui l'a suivie immťdiatement, on ťtudie l'ťtat mental actuel du prťvenu, on s'ťtonne de voir combien il s'ťcarte des autres criminels ordinaires. Il cause du meurtre librement, sans ťmotion, sans repentir, comme s'il s'agissait d'un meurtre commis par un autre. Dans les longs entretiens que nous avons eus avec lui, il semble que son passť lui soit ťtranger, et la conception de l'avenir est encore plus confuse. Vaniteux, convaincu qu'il ťtait douť de qualitťs auxquelles on n'a pas donnť l'occasion de se dťvelopper, emphatique dans l'expression de ses vertus sentimentales, il est, lorsqu'on lui parle du lendemain, plus imprťvoyant qu'un enfant: la prťvision rťflťchie est ťvidemment au-dessus des forces de son intelligence. Son autobiographie, qu'il signe non sans quelque orgueil du nom de Th... _l'assassin_, donne, par certains cŰtťs, une notion vraie de son ťtat mental, ŗ l'exception de ses dťfaillances enfantines. Indiffťrent au crime, il ne l'est pas ŗ des caprices puťrils, et il demande avec plus d'instance une ťpreuve de sa photographie qu'un renseignement sur l'avenir qui lui est rťservť. Hors de lŗ, pas de traces de dťlire, pas d'indices de maladie physique; s'il avait ťtť arrÍtť sous l'inculpation d'un dťlit de vagabondage, on accorderait qu'il se maintient dans la mesure presque normale. En dťclarant Th... aliťnť sous la forme que nous avons longuement exposťe, en affirmant que, pendant la crise, il avait perdu son libre arbitre pour subir une impulsion maladive, nous ne nous rťfťrons pas seulement ŗ la saisissante bizarrerie du crime, mais nous empruntons ŗ l'observation du malade, prolongťe pendant des mois, les considťrants de notre opinion mťdicale. Th... nous a prťsentť les symptŰmes d'une maladie classique, dont nous avons cru devoir retracer les traits essentiels; il ťtait aliťnť quand il a accompli le crime; il est aujourd'hui dans une pťriode d'intermission et sous la menace de rechutes dont la date ŗ venir oý l'intensitť ťchappe ŗ toute prťvision. Pour rťsumer en peu de mots le diagnostic dont nous venons de reproduire les considťrants, Th... n'est pas atteint d'une ťpilepsie larvťe. Si on veut classer sa maladie sous la rubrique de cette espŤce morbide, il faut en ťtendre indťfiniment la dťfinition. En dehors de l'ťpilepsie, qui explique le plus grand nombre des cas de dťlire par accŤs aboutissant ŗ des violences, il est nťcessaire de maintenir le type, admis par tant de maÓtres ou d'observateurs ťminents, du dťlire impulsif non ťpileptique. AFFECTION C…R…BRALE GRAVE DANS LA PREMI»RE ENFANCE.--BIZARRERIES.--ID…ES D'EMPOISONNEMENT ET DE PERS…CUTION.--ACC»S D'INTENSIT… DIFF…RENTE S…PAR…S PAR DES INTERVALLES DE LUCIDIT… PRESQUE ABSOLUE.--CRISE ABOUTISSANT ņ UN MEURTRE.--RESPONSABILIT… ATT…NU…E. M. le Dr LasŤgue et moi, nous avons ťtť commis, par ordonnance de M. E. Saffers, juge d'instruction prŤs le Tribunal de premiŤre instance de la Seine, en date du 18 mai 1877, a l'effet de constater l'ťtat mental du nommť C..., Jules, ‚gť de 41 ans, inculpť d'avoir volontairement commis un homicide sur la personne de la veuve C..., sa mŤre lťgitime. Voici d'abord l'acte d'accusation, qui donne des faits un rťsumť succinct, mais complet: La dame C... est devenue veuve en 1857; elle avait quatre fils: Jules, l'accusť; EugŤne, Charles et …mile; Charles ťtait en ce moment ŗ l'armťe. Les deux frŤres, Jules et EugŤne, ont demeurť pendant sept annťes avec la mŤre de famille, l'aidant dans l'exploitation de son commerce de boucherie. …mile s'ťtait engagť de bonne heure, et il est encore musicien dans un rťgiment, EugŤne avant ťtť appelť au service militaire, l'accusť est restť seul auprŤs de la veuve C... jusqu'en 1872, ťpoque ŗ laquelle elle a vendu son fonds. En fťvrier 1876, EugŤne a achetť un ťtal, il a pris avec lui sa mŤre et son frŤre Charles. En 1873, de graves mťsintelligences se sont ťlevťes dans la famille: Jules et …mile, cťdant aux conseils d'un agent d'affaires, ont demandť la liquidation de la succession de leur pŤre, qui ťtait restťe indivise du consentement de tous. Cette opťration a ťtť terminťe le 14 mai 1875. Elle paraÓt avoir entraÓnť des frais considťrables et a donnť lieu ŗ de nombreuses difficultťs entre les co-partageants. Le notaire qui en a ťtť chargť affirme que dťjŗ, ŗ cette ťpoque, l'accusť avait manifestť des sentiments de vive animositť contre sa mŤre. Charles et EugŤne, qui ťtaient restťs en bons rapports avec la veuve C., ont renoncť ŗ prťlever ce qui leur revenait, Jules et …mile ont reÁu chacun 250 francs, montant de leur part hťrťditaire. ņ partir du rŤglement de leurs intťrÍts, toutes les relations avaient ŗ peu prŤs cessť entre l'accusť, sa mŤre et ses frŤres Charles et EugŤne. Sa haine avait persistť, et il ne craignait pas de dire ŗ un tťmoin qu'il en voulait ŗ sa mŤre jusqu'ŗ la mort. Il n'avait pas paru depuis six mois environ ŗ l'ťtal de la rue d'A., lorsqu'il s'y prťsenta le 7 mai dernier, vers 4 heures et demie du soir. Il resta d'abord silencieux, refusant de rťpondre aux questions qui lui ťtaient adressťes, et regardant ses frŤres vaquer ŗ leurs occupations. Pendant ce temps, la veuve C... ťtait assise ŗ la caisse, dans l'arriŤre-boutique. Au bout d'une demi-heure, il s'approcha de sa mŤre et se mit ŗ causer avec elle. La conversation ne paraissait pas fort animťe. ņ ce moment, EugŤne s'ťtait ťloignť pour faire une course aux environs. Charles ťtait seul et lisait un journal. Tout ŗ coup il entendit un bruit sourd, semblable ŗ celui que produit un coup portť avec violence. Il s'ťlanÁa dans l'arriŤre-boutique et trouva sa mŤre renversťe sur le cŰtť gauche, la tÍte appuyťe sur une chaise; elle venait d'Ítre frappťe ŗ la tempe par l'accusť. En mÍme temps, il arracha de la main droite de celui-ci une corde enroulťe autour du poignet, et ŗ l'extrťmitť de laquelle se trouvait attachť un poids d'un kilogramme. Aux reproches que lui adressait Charles, Jules rťpondit,: ęCe n'est pas ŗ toi ni ŗ mon frŤre que j'en veux, c'est ŗ ma mŤre; je m'en vais chez le commissaire de police.Ľ Charles courut chercher du secours; Jules sortit et fut, peu d'instants aprŤs, arrÍtť dans la rue. La veuve C... est morte le 11 mai des suites de ses blessures. Le mťdecin chargť de l'autopsie a constatť qu'elle avait succombť ŗ une fracture multiple de la rťgion pariťtale droite, compliquťe d'enfoncement des fragments, d'ťpanchement de sang intra-cranien, et de contusion cťrťbrale ťtendue. Mis en prťsence du cadavre de sa mŤre, l'accusť n'a manifestť aucune ťmotion. Il a reconnu qu'il avait prťmťditť son crime et qu'il avait achetť, ŗ la fin d'avril, un poids et une corde avec l'intention de s'en servir pour frapper sa mŤre. Il a ajoutť que celle-ci lui avait, le 7 mai, parlť d'affaires de famille, et l'avait provoquť en lui reprochant de l'avoir mise sur la paille. Dans son interrogatoire, il a modifiť ses premiŤres dťclarations. Il a prťtendu que, lorsqu'il s'ťtait procurť la corde et le poids, il n'ťtait pas animť d'intentions coupables. Il croyait la veuve C... propriťtaire du fonds de la rue d'A.; le 7 mai, il s'ťtait rendu aprŤs d'elle pour lui demander de le prendre avec elle, et il s'ťtait muni de son arme pour s'en servir si elle refusait. Cette idťe de meurtre, ajoute-t-il, l'avait abandonnť ŗ son arrivťe ŗ l'ťtal. Sa mŤre lui avait dit, dans leur conversation, que, par sa faute, elle ťtait sans ressources et obligťe de travailler chez les autres. Il avait cru qu'elle se moquait de lui, et il l'avait frappťe. ņ raison de certaines bizarreries, constatťes par l'information dans la vie de Jules C..., son ťtat mental a ťtť l'objet d'un examen mťdical. MM. les docteurs LasŤgue et Blanche ont reconnu chez lui tous les signes d'un trouble intellectuel rťel. Cependant, tout en faisant ŗ sa responsabilitť une part fort restreinte, ils ne vont pas jusqu'ŗ l'exonťrer complŤtement. Voici maintenant le rapport: C... est un homme robuste, qui ne prťsente, malgrť la recherche la plus attentive, aucun indice d'une malformation congťnitale. En le soumettant ŗ une inspection minutieuse, on ne trouve pas de traces d'affections antťcťdentes, mais on constate ŗ la nuque deux cicatrices produites par un sťton. L'inculpť dťclare avoir ťtť malade dans son enfance, et, une fois guťri de ces accidents, avoir joui d'une santť irrťprochable. L'enquÍte ŗ laquelle nous nous sommes livrťs apprend, en effet, conformťment ŗ l'instruction judiciaire, que tout enfant, vers l'‚ge de 2 ou 3 ans, C... a subi des accidents cťrťbraux graves, attribuťs ŗ une chute, et qui ont exigť un traitement de plusieurs annťes. Le sťton, et c'est un dťrivatif commandť seulement par des lťsions profondes et menaÁantes, aurait ťtť employť pour combattre cette affection rebelle. La vie pathologique de C... s'explique par cette premiŤre atteinte. Un long rťpit, simulant la guťrison rťelle, a succťdť aux manifestations initiales; l'inculpť a pu vivre de la vie commune, apprendre ŗ lire et ŗ ťcrire sans trop de difficultťs, mais il n'a jamais guťri complŤtement. De mÍme que les enfants dont le cerveau est mal conformť restent sujets pendant toute leur vie ŗ des troubles encťphaliques, de mÍme ceux qui ont traversť au premier ‚ge une maladie cťrťbrale indťlťbile, demeurent des infirmes intellectuels. C'est ŗ cette derniŤre catťgorie qu'appartient l'inculpť, et si on ne tenait compte de ses antťcťdents, son ťtat mental aťrait inintelligible. On retrouve, en effet, chez lui, les signes caractťristiques de ces perversions secondaires. Physiquement, son dťveloppement est normal; il semble qu'il se soit fait deux parts, l'une de l'ťvolution corporelle qui s'est poursuivie sans entrave, l'autre du dťveloppement des facultťs morales, tantŰt suffisant, tantŰt dťfectueux, mais toujours irrťgulier, et n'assurant, aucun moment de son existence, l'ťquilibre des fonctions. C... adolescent ou parvenu ŗ la pťriode stable de la vie, n'est ni un aliťnť, ni un homme semblable aux autres. Sobre en toutes choses, poussant, on pourrait dire, la sobriťtť ŗ un excŤs qui rťpond ŗ l'indiffťrence, il n'a jamais bu malgrť les entraÓnements de son milieu; on ne lui a pas connu de maÓtresse, et lui-mÍme dťclare, avec une sincťritť dťdaigneuse, n'en avoir jamais voulu. …tranger ŗ son alentour, il s'isole instinctivement pour obťir ŗ ses goŻts trŤs-limitťs, sans rien sacrifier aux aspirations des autres. Son appťtit dominant est de se livrer aux exercices gymnastiques qui tťmoignent de la force musculaire. DŤs son adolescence, il descend seul dans la cave de la maison et soulŤve des poids de plus en plus lourds; c'est la qu'il passe ses heures de loisir, acceptant de temps en temps la lutte avec de rares camarades pour avoir la mesure comparative de sa force. Encore aujourd'hui, on lui fait oublier la gravitť de sa situation en rappelant ces souvenirs. Plus ‚gť, il sollicite la permission de se produire dans les fÍtes publiques comme athlŤte. L'autorisation lui est refusťe parce que les renseignements recueillis n'inspirent pas confiance, et il a gardť, au fond de son coeur, rancune de ce refus. C... n'a pas d'amis, mÍme dans sa famille; il est sombre, taciturne, inquiťtant, au dire de tous les tťmoins, bien qu'il n'ait ťtť ni agressif, ni injurieux pour personne. Il dort peu et mal, sans qu'on puisse rapporter cette insomnie ŗ des habitudes alcooliques: le vin lui rťpugne, il n'en boit ni seul, ni en compagnie. Sur ce fond qui reprťsente dťjŗ un ťtat maladif, se dessinent de temps en temps des crises mal dťfinies, des absences, des frayeurs, des hallucinations confuses. Il reste absorbť pendant des heures ou des journťes, et semble sous le coup d'anxiťtťs dont la raison ťchappe, puisqu'il se refuse ŗ toute confidence. Ces accŤs surviennent la nuit comme le jour; tantŰt il s'enferme dans sa chambre avec un luxe de prťcautions, tantŰt il se lŤve ŗ des heures indues et sort vÍtu comme s'il allait ŗ l'abattoir. On cite dans l'instruction des singularitťs sans nombre et toutes significatives. Pendant la guerre il revÍt un costume bizarre, des guÍtres blanches avec des rubans noirs; aprŤs la commune, il ne se couche pas sans avoir une fourche dans sa chambre; un jour il lacŤre son portrait ŗ coups de couteau, une autre fois il passe la nuit ŗ laver son linge en chantant et en riant aux ťclats. On sent que C... se maintient en dťfiance contre des obsessions ou des dangers sur lesquels il ne s'explique pas. C'est au plein de ce dťsordre sournois, et par consťquent latent, de l'intelligence, que surviennent deux ťvťnements, l'un rťel, l'autre imaginaire, et qui paraissent avoir exercť sur l'esprit de C... une ťnorme influence. Son pŤre meurt, et l'inculpť reste avec sa mŤre qu'il seconde dans son commerce de boucherie et qui subvient ŗ tous ses besoins. Un jour, en 1864, C... se rappelle ŗ la fois la date et le fait, on lui sert une assiettťe de soupe d'un goŻt saum‚tre; ŗ peine en a-t-il goŻtť quelques cuillerťes qu'il reconnaÓt, dit-il, la saveur du vitriol. Il s'aperÁoit qu'on l'a servi ŗ part, que sa mŤre s'est rťservť une portion qu'elle n'a pas puisťe ŗ la soupiŤre; la soupe est jetťe aux ordures; mais la nuit, C... ťprouve de la diarrhťe, des douleurs d'entrailles; il a ťtť empoisonnť par sa mŤre. Six mois plus tard, on lui donne du vin qui contient encore du vitriol. Vers 1868, on lui sort une cŰtelette qu'il trouve toute prťparťe sur son assiette en venant dÓner. La viande recouverte d'une ťcume blanch‚tre a un goŻt particulier; on l'a arrosťe de nitrate d'argent achetť soi-disant pour nettoyer les couverts. Encore un empoisonnement organisť par sa mŤre! Ces prťtendues tentatives s'imposent ŗ son esprit sous la forme habituelle aux conceptions dťlirantes. ęJe n'ai pas de preuves, rťpŤte-t-il, et je le sais bien, mais ce sont des faits, puisque j'ai ťtť malade aprŤs le repas.Ľ ņ toute objection il rťpond: ęVous avez raison contre moi, je ne peux rien prouverĽ et n'en demeure pas moins convaincu. Les ťpreuves de ce genre ne se sont pas multipliťes; il cite les trois qui viennent d'Ítre rappelťes et pas une de plus. Leur souvenir ne l'obsŤde pas, mais ŗ son heure, quand vient la crise d'excitation haineuse, il utilise ses rťminiscences et s'en fait ŗ la fois un encouragement et un argument. Dix-sept ans aprŤs la mort du pŤre, C... qui a ruminť ses griefs, demande des comptes ŗ sa mŤre, soit spontanťment, soit incitť par des agens d'affaires. La succession est liquidťe aprŤs un assez long dťlai, sans querelles, sans violences de paroles incompatibles avec la froideur sŤche de l'inculpť. C... passe une annťe dans l'oisivetť, vivant de peu, presque de rien, ne demandant d'assistance ou de pitiť ŗ personne, et se suffisant avec une dťpense de quelques centimes chaque jour. ņ bout de ressources, il entre comme ouvrier dans une fabrique d'huile de pieds de boeufs ŗ Grenelle; son gain est limitť, son existence absolument solitaire et monotone. Les rťcits des voisins sont conformes ŗ ceux des habitants du quartier oý s'est passťe sa jeunesse. MÍme mutisme, mÍmes accŤs d'apprťhension, mÍmes actes de dťfiance inquiŤte; sa porte est verrouillťe chaque soir; il lui arrive de mettre la commode en travers pour dťfendre l'entrťe de sa chambre; il garde un nerf de boeuf ŗ la tÍte de son lit; on en a peur, bien qu'il ne donne prise ŗ aucun reproche. C'est ŗ la fin de cette longue pťriode d'ťloignement volontaire que C... achŤte la corde et les poids qui serviront ŗ commettre son crime. Il hťsite pendant des semaines, et son indťcision rappelle celles qui prťcťdent si souvent les suicides. Le samedi 5 mai, contrairement ŗ ses habitudes, il ne se rend pas le matin ŗ l'usine; l'aprŤs-midi, il fait rťgler son compte par le patron. Son idťe est, dit-il, de reprendre sa profession de boucher. Le dimanche il se promŤne au hasard dans Grenelle, pensant ŗ sa mŤre, ŗ ses diffťrends passťs, ŗ ses arrangements vagues d'avenir. Le lundi, il va ŗ la Villette, incertain de ses intentions, plaidant en lui-mÍme le pour et le contre, allongeant le chemin pour assurer ses idťes. C... raconte ses hťsitations avec une sorte d'insouciance, mais son rťcit est si conforme de tous points ŗ ce qu'enseigne l'observation, qu'il ne laisse pas matiŤre ŗ un doute. Le crime accompli, et nous n'avons pas ŗ redire comment il l'a ťtť, la crise est ťpuisťe. C... se dťnonce lui-mÍme. Confrontť avec le cadavre de sa mŤre, il ne marque aucune ťmotion et semble se complaire, alors comme aujourd'hui, ŗ ťnumťrer les motifs qui l'ont fait agir. Ajoutons que depuis 1875, C... a subi une transformation inconsciente dont tťmoignent des preuves positives. Jusque-lŗ, il avait vťcu correct dans la forme, ťtonnant par ses allures tous ceux qui se trouvaient en contact avec lui, mais ne donnant prise ŗ aucune plainte. En septembre 1875, il est arrÍtť et condamnť pour vagabondage; le 24 et le 28 dťcembre de la mÍme annťe, le 3 janvier 1878, nouvelles arrestations pour le mÍme dťlit. Pour qui a pu suivre l'existence de ces malades atteints d'une lťsion cťrťbrale larvťe et qui ne prend pas les aspects de la folie, ces dťfaillances rťpťtťes ŗ courts intervalles accusent un ťtat de mal et une prťparation ŗ des troubles plus menaÁants, sans que ni l'inconduite, ni la dťbauche, n'aient fourni leur appoint ou, pour ainsi dire, leur excuse. ņ Mazas, oý il est soumis ŗ une surveillance assidue, oý nous avons multipliť nos visites, C... ne se dťment pas. TantŰt parleur, tantŰt silencieux, sombre avec ses compagnons de captivitť qui s'en effrayent, incapable de mesurer la valeur et la portťe de ses actes, toujours sur la dťfensive, interrogeant du regard avant de rťpondre, ne questionnant jamais, convaincu ŗ la fois qu'il a eu tort en fait, mais qu'en principe il avait raison, nous ne l'avons pas surpris, plus que les surveillants, en proie ŗ un accŤs de dťlire, en dehors de ses rťminiscences d'empoisonnement. Est-ce ŗ dire que l'inculpť jouisse de sa raison pleine, et doive Ítre considťrť comme entiŤrement responsable? nous ne le croyons pas. C... rentre dans une catťgorie de malades qui reprťsentent une exception dans la population courante des asiles. Jusqu'au jour oý un acte ťtrange, un crime inexplicable a contraint de se poser la question de leur sanitť d'esprit, ils passent pour des gens bizarres et n'appellent pas de mesures coercitives. Expansifs, violents comme quelques-uns, ou sombres comme C..., ils ťveillent une impression vague, mais ne justifient pas une conviction prťcise. On a peur d'eux, sans savoir d'oý naÓt et oý peut aboutir cette crainte. Les mťdecins les plus expťrimentťs ne vont pas et ne doivent pas aller au delŗ. C'est quand l'explosion a eu lieu qu'on remonte vers le passť et qu'on dťcouvre la maladie qui a couvť ŗ l'insu du malade. Les ťpileptiques reprťsentent l'expression la plus achevťe de ces affections cťrťbrales impulsives revenant par accŤs, mais il s'en faut qu'ils en reprťsentent le seul type. C... n'est pas ťpileptique; ses crises cťrťbrales n'ont ni l'instantanťitť, ni l'inconscience, ni l'imprťvu des attaques comitiales. Lentes dans leur ťvolution, elles se prťparent plus ou moins longuement; beaucoup d'entre elles avortent, et le trouble se rťduit aux impulsions inoffensives que nous avons ťnumťrťes. Le jour oý la crise finale ťclate, aprŤs une incubation durable, elle emprunte ŗ l'ťpilepsie quelques-uns de ses caractŤres. Pour affirmer la maladie, il faut trouver rťunis les deux ťlťments; celui de la lťsion cťrťbrale permanente, et celui de la propulsion plus soudaine en rťalitť qu'en apparence, et qui clŰt l'accŤs. On ne saurait mťconnaÓtre que ces deux ordres de symptŰmes dťcisifs existent chez C..., et c'est pour en prouver l'existence que nous avons dŻ dresser le long exposť qui prťcŤde. L'affection cťrťbrale, traumatique ou non, mais qui a dťbutť dans la premiŤre enfance et s'est prolongťe pendant des annťes, a ťtť l'origine certaine du mal. ņ partir de son invasion, C... est devenu et est restť un malade. Dans les intervalles demi-lucides, on le trouve ombrageux, plus troublť de caractŤre que d'intelligence, capable de dissimuler ses tendances, ou incapable de les affirmer. Aux pťriodes critiques, il se laisse d'abord entraÓner ŗ un dťlire limitť de persťcutions, puis il s'excite ŗ froid, peu ŗ peu, au hasard des irritations, mťditant dans le vide les ťvťnements dont il se croit victime, plus ruminant que raisonnant, mais dans un stade comme dans l'autre, hors d'ťtat de prťserver absolument sa libertť de pensťe ou d'action. Ces oscillations confuses de l'intelligence excluent les dťlires continus, mais pour se produire sous un autre aspect, et tout en ne rťpondant pas ŗ la dťfinition populaire de la folie, le dťsordre n'en est pas moins profond. Notre avis formel est que la maladie cťrťbrale dont C... est atteint, et dont nous avons ťnoncť les principaux signes, annule chez lui la responsabilitť presque complŤtement. CH. LAS»GUE, …. BLANCHE. Conformťment ŗ ces conclusions, C..., comparut devant les assises et fut condamnť ŗ huit ans de travaux forcťs, le jury et la cour ayant admis, suivant notre avis, la maladie ŗ titre d'attťnuation. Voici enfin quelques-unes des rťflexions si ťminemment instructives et intťressantes dont M. le Dr LasŤgue a accompagnť ce rapport: ęC... n'ťtait certainement pas dans un ťtat d'aliťnation continu tel que la vie sociale lui fŻt interdite. …tait-il sujet ŗ des crises qui le privaient ŗ des degrťs variables, ou de la conscience de ses actes, ou de la libre dťlibťration sans laquelle aucun acte n'est volontaire? Les perversions permanentes de l'intelligence prÍtent peu ŗ la discussion. Elles sont ou ne sont pas. ņ l'ťgal des affections organiques du coeur, elles appartiennent ŗ toute heure ŗ l'observation. Que la maladie soit aiguŽ ou chronique, qu'elle se montre dans un paroxysme ou durant une rťmission, ce sont des diffťrences de degrť; le fond demeure et se constate. Il en est autrement, au point de vue mťdico-lťgal, des formes intermittentes oý les accŤs sont sťparťs par des intervalles de santť morale, absolue ou relative. L'expert, qui n'est plus un tťmoin, ne dispose que de renseignements douteux, et son enquÍte rťtrospective n'a pas la certitude que comporte une constatation directe. L'ťpilepsie est le type suprÍme des dťlires ŗ brusque invasion et ŗ cessation non moins brusque; on a rendu ŗ la science un signalť service en l'ťtudiant sous ses modalitťs d'ailleurs peu variťes, mais on s'ťcarterait de la vťritť en la reprťsentant comme reprťsentant tous les cas possibles. Dťjŗ, ŗ l'occasion d'un procŤs criminel des plus dramatiques (affaire Th...; _Archives gťnťrales de mťdecine_, janvier 1875) nous avons, le Dr Blanche et moi, montrť que des crises impulsives, ťpileptoÔdes par quelques-uns de leurs caractŤres, plus soudaines en apparence qu'en rťalitť, se prolongeant pendant des heures et des journťes, pouvaient survenir en dehors de toute atteinte d'ťpilepsie vraie. Le cas de C... appartient ŗ une autre espŤce. Tous les mťdecins savent qu'un homme frappť par une affection cťrťbrale profonde se manifestant par des symptŰmes comateux, dťlirants, paralytiques, convulsifs, guťrit de la crise sans guťrir forcťment de la maladie. AprŤs des semaines, des mois, des annťes, apparaissent de nouveaux accidents reliťs ŗ l'attaque initiale par une attache pathologique incontestable. Ce ne serait pas excťder la vťritť que de dire que la guťrison absolue est plus prŤs de l'exception que de la rŤgle; la comparaison populaire du feu couvant sous la cendre s'applique ŗ merveille ŗ ces espŤces banales. C'est ŗ cette catťgorie qu'appartient C..., frappť d'une affection cťrťbrale ťnorme dans son enfance, ťtrange, incomplet, pendant sa vie, soumis ŗ des poussťes inťgales quant ŗ leur intensitť ou ŗ leur durťe, variables quant ŗ leur forme, et dont notre rapport donne un aperÁu sommaire. En rťsumť, l'espŤce dont je viens de rťsumer les principaux traits se reconnaÓt aux caractŤres suivants: ictus initial, rťpťtitions de crises sťparťes par des intermissions ou des rťmissions plus ou moins complŤtes et plus ou moins durables, ne se reproduisant pas sous un type et avec une durťe obligatoires, soit chez les divers individus ainsi frappťs, soit chez le mÍme malade.Ľ Dans ce fait, il ne s'agit pas, comme dans ceux qui prťcŤdent, d'un inculpť dont le trouble mental fŻt assez accentuť pour entraÓner l'irresponsabilitť. C... n'est certainement pas un homme dont les facultťs intellectuelles soient saines et normales; il a mÍme prťsentť de vťritables accŤs de dťlire, mais il ne nous a pas semblť qu'il ait agi sous l'influence exclusive et directe d'un trouble de la raison, et nous avons dŻ lui attribuer une responsabilitť attťnuťe. Cette observation sert de transition entre les irresponsables, et les inculpťs ŗ responsabilitť attťnuťe ou entiŤre, dont je vais citer encore quelques exemples pour complťter ce travail. TENTATIVE DE MEURTRE PAR UN JEUNE HOMME ¬G… DE MOINS DE 16 ANS SUR SON FR»RE CADET, AVEC PR…M…DITATION ET GUET-APENS.--H…R…DIT….--MALFORMATION C…R…BRALE CONG…NITALE.--…DUCATION D…FECTUEUSE.--RESPONSABILIT… LIMIT…E. Nous, mťdecins soussignťs, commis par ordonnance de M. A. Guillot, juge d'instruction prŤs le Tribunal de la Seine, en date du 7 mai 1877, ŗ l'effet d'examiner au point de vue de l'ťtat mental le nommť J..., Louis, inculpť de tentative d'homicide avec prťmťditation et guet-apens sur la personne de son frŤre, aprŤs avoir prÍtť serment, avoir souvent et longuement visitť l'inculpť ŗ la Petite-Roquette, avoir recueilli des renseignements sur ses antťcťdents personnels et de famille, et avoir lu attentivement toutes les piŤces du dossier, avons consignť le rťsultat de notre examen et de nos investigations dans le prťsent rapport: J..., Louis, nť le 16 septembre 1861, apprenti potier d'ťtain, est d'une famille oý se sont produits des cas nombreux d'aliťnation mentale et d'affections cťrťbrales. Sa grand'mŤre maternelle est morte aliťnťe ŗ la SalpÍtriŤre; une tante maternelle aliťnťe, placťe ŗ l'asile de M..., s'est pendue; un oncle maternel a ťtť atteint, l'annťe derniŤre, d'un accŤs de mťlancolie suicide pour lequel il a ťtť sur le point d'Ítre traitť dans une maison de santť spťciale; un frŤre de Louis J... est mort rťcemment d'une mťningite tuberculeuse; son autre frŤre, Alexandre, celui qui a ťtť frappť, a ťtť atteint ŗ l'‚ge de 3 ans 1/2 d'accidents cťrťbraux graves avec convulsions, ŗ la suite desquels il est restť affectť de surditť; cette infirmitť l'a rendu trŤs-irritable; n'entendant que difficilement et incomplŤtement, il s'imagine qu'on se moque de lui. La mŤre de Louis J... est une femme douce, d'un caractŤre facile, mais peu intelligente; c'est une tÍte faible, et ŗ la suite de la mort de son jeune enfant, on a craint qu'elle ne perdÓt la raison. Le pŤre, brave et honnÍte homme, est un type de soldat; gardien de la paix depuis longtemps, il jouit de l'estime de ses chefs, mais dans les derniŤres annťes il a donnť des signes de fatigue, et en rťcompense de sa bonne conduite, on le conserve dans un emploi qui est presque une sinťcure. Louis J... n'a pas eu une enfance particuliŤrement maladive; grÍle et d'une constitution dťbile, il porte des signes de malformations congťnitales. Sa tÍte est asymťtrique; les deux bosses frontales ne sont pas ťgales, la ligne mťdiane de la voŻte palatine est dťviťe, la face participe ŗ cette dťviation. On le reprťsente gťnťralement comme d'un caractŤre triste et sombre, quoique serviable et affectueux; ses parents n'ont jamais eu ŗ lui faire de reproches graves; une seule fois, il s'est enivrť, et comme on l'en rťprimandait vertement, il s'est sauvť de la maison, en criant qu'il n'y reviendrait plus. Plein d'attentions pour sa mŤre, respectueux vis-ŗ-vis de son pŤre, soigneux des intťrÍts de son patron, assidu et trŤs-exact ŗ sa besogne, il menait une existence correcte sous les yeux de ses parents. Bien que ses rapports avec son frŤre fussent en apparence satisfaisants, il s'ťlevait de frťquentes querelles entre eux, surtout ŗ l'atelier; la provocation venait souvent du plus jeune, et mÍme, dans une circonstance rťcente, celui-ci avait blessť son frŤre aÓnť d'un coup de pelle ŗ la tÍte. Louis abusait aussi parfois de la supťrioritť de sa force physique contre son frŤre cadet. Une certaine animositť latente semble s'Ítre dťveloppťe sourdement, peut-Ítre sans que ni l'un ni l'autre en eŻt conscience. Le plus jeune, et aussi le plus faible, se vengeait par des injures et des provocations des coups qu'il avait reÁus; il appelait son frŤre des noms d'assassins fameux; il n'est pas impossible que celui-ci ait puisť dans les souvenirs que ces noms lui rappelaient une incitation ŗ l'acte qu'il a commis. Les parents aimaient ťgalement leurs enfants, et s'il y avait eu une nuance de prťdilection, c'eŻt ťtť en faveur de Louis. Les deux frŤres allaient de temps en temps au spectacle; ils ont assistť ŗ la plupart des drames ŗ sensation; ils lisaient aussi des romans, le cadet plus que l'aÓnť; le dossier renferme des couvertures de publications illustrťes trouvťes chez eux, et reprťsentant des scŤnes de rixe et de meurtre. Ils couchaient dans le mÍme lit, travaillaient chez le mÍme patron; allant et revenant ensemble; toutefois, il arrivait que Louis partait le premier le matin, et se rendait seul ŗ l'atelier; c'est ce qui eut lieu le 5 mai. La veille, on les avait vus se disputer et se battre dans la cour de la maison oý ils travaillaient; Louis, en sa qualitť d'ancien, avait ťtť investi d'une certaine autoritť sur les autres apprentis; peut-Ítre n'exerÁait-il pas avec assez de mťnagements son semblant de pouvoir, et son frŤre n'ťtait pas plus ťpargnť que les autres. Cependant, le soir, chez leurs parents, on ne s'aperÁut de rien, et la nuit se passa sans discussions. Ces circonstances prťliminaires ont leur valeur, et il importait de les ťnoncer. Le 5 mai, Louis part seul, comme nous l'avons dit, pour l'atelier; en y arrivant, il aiguise son couteau. Alexandre vient un peu plus tard et lui demande pourquoi il repasse son couteau; _c'est parce qu'il ne coupe pas_, rťpond Louis. Alexandre descend ŗ la cave, suivant son habitude de chaque matin. Quelques instants aprŤs, son frŤre l'y rejoint et se cache derriŤre un pilier. Quand Alexandre passe ŗ cŰtť de lui avec un seau de charbon ŗ la main, il se prťcipite sur lui, sans querelle, sans provocation prťalable, et le frappe quatre fois de son couteau; puis il remonte promptement, et rencontrant un ouvrier qui accourait aux cris du blessť, il lui dit d'un ton tranquille qu'il allait chercher le pharmacien. Il erre toute la journťe dans les rues de Paris et dans le jardin du Luxembourg, et vers 5 heures il est arrÍtť, sans opposer aucune rťsistance. Interrogť dans la soirťe par M. le Juge d'Instruction, Louis rťcrimine d'abord contre son frŤre, prťtendant que celui-ci lui ęa fait des misŤres, qu'il l'accuse ŗ faux, qu'il n'est pas vrai qu'il ait aiguisť son couteau, que son frŤre l'a vu dans la cave, qu'ils y ont causť ensemble, qu'Alexandre l'a appelť vieux cochon et vieux chameau, que c'est alors qu'il l'a frappť, puis d'un ton irritť, il ajoute: Que voulez-vous que je vous dise? Vous prťtendez que je fais des mensonges; tout ce que dira mon frŤre sera la vťritť, si vous voulez; qu'avant de mourir, il me charge tant qu'il vous plaira.Ľ Puis conduit ŗ l'HŰtel-Dieu, et confrontť avec son frŤre qui semble Ítre sur le point de rendre le dernier soupir, il change d'attitude, flťchit sur ses jambes, s'arrache les cheveux, et montre le plus grand dťsespoir; il sa penche vers son frŤre, l'appelant, lui demandant pardon; Alexandre se soulŤve avec peine, lui rťpond d'une voix faible qu'il lui pardonne, et retombe ťpuisť. Louis est emmenť dans le cabinet du Directeur de l'HŰtel-Dieu, et lŗ, avec des cris, des sanglots, et des mouvements convulsifs, il rťtracte ses prťcťdentes dťclarations, et dit: ęTout ce que je vous ai dit tout ŗ l'heure est faux; mon frŤre ne m'a pas provoquť; c'est bien pour le frapper que j'ai repassť mon couteau. Papa, papa! Oh! mon Dieu, pardon, Alexandre; laisse moi t'embrasser, Alexandre, Alexandre, il ne me rťpond pas, il est mort! Ah! il m'avait fait des misŤres, mais pas assez pour le faire mourir; non, pas assez; j'ai eu tort, moi tout seul, moi tout seul. Assassin, assassin. J'ai tuť mon frŤre; Oh papa, il ne rťpondra jamais. A-lex-an-dre! qui ne m'a pas embrassť, puisqu'il va mourir, vous me l'avez dit. CaÔn! CaÔn a tuť son frŤre, moi, je lui ai donnť quatre coups de couteau.Ľ Puis, se tournant vers un des assistants: ęC'est mon pŤre, je le vois, mon pŤre, mon pŤre; ton fils, ton fils, vois-tu, c'est un assassin; et c'ťtait demain l'anniversaire de la mort de mon petit frŤre. Je lui avais achetť une couronne pour la dťposer sur sa tombe, et je n'irai pas; je serai ŗ la Roquette, dans un noir cachot. Oui, ŗ la Ro-quet-te. ęLe meurtrier frappe sa victime au grand jour, mais moi, misťrable, le fils d'un honnÍte homme, j'ai frappť dans l'ombre, par jalousie, oui, par jalousie. ęOh! Alexandre, mais laissez-moi l'embrasser, il est lŗ dans la cave obscure; je l'attends, je lui plonge mon couteau quatre fois, oui, quatre fois; je me sauve comme CaÔn, et je dis que je vais chez le pharmacien parce que mon frŤre s'est fait mal; ce n'ťtait pas vrai, je l'avais tuť. ęMeurtrier de ton frŤre! tu vas mourir; Alexandre, je te vengerai, et je saurai mourir; mon pŤre n'aura plus d'enfants.Ľ Cette scŤne, pťniblement dramatique, se prolonge plus d'une heure, et M. le Juge d'Instruction remarque que si, par intervalles, Louis paraÓt sincŤre dans l'expression de sa douleur, dans d'autres moments son dťbit emphatique et dťclamatoire rappelle celui d'un acteur rťcitant une scŤne de mťlodrame. Il se demande si Louis ne cherche pas ŗ cacher son indiffťrence sous des phrases sonores et des exclamations thť‚trales. L'interne de garde est mandť, et constate que l'inculpť a le pouls calme, qu'il est parfaitement lucide, quoique sous l'influence d'une surexcitation nerveuse. Ajoutons que ramenť au DťpŰt, ŗ la suite de cette scŤne, Louis ťtait redevenu lui-mÍme, et que le lendemain il demandait des livres et un jeu de cartes. Dix jours aprŤs, confrontť avec son pŤre, Louis dťclare que ęson frŤre ťtait mťchant, qu'il le taquinait, parce qu'ťtant sourd, il croyait toujours qu'on disait du mal de lui; il assure que l'idťe lui est venue de le frapper le matin quand il a repassť son couteau, qu'il a hťsitť, qu'enfin il s'y est dťcidť, qu'il a ťtť satisfait au moment oý il a portť le premier coup, qu'ensuite il a frappť sans savoir ce qu'il faisait, qu'aujourd'hui il en a bien du regret, qu'il mťrite le nom de Billoir que son frŤre lui donnait; il s'agenouille, pleure et demande pardon.Ľ Dans nos entrevues rťpťtťes nous avons trouvť le prťvenu, enfantin, obťissant pendant le cours de la visite ŗ des impressions mobiles et contradictoires, tantŰt dťprimť, tantŰt excitable, rťcriminant ou tťmoignant de son repentir. Il ťtait facile de faire varier ses dispositions apparentes sans qu'on pŻt discerner s'il obťissait ŗ un sentiment vrai, ou s'il cťdait ŗ l'arriŤre pensťe d'intťresser ses interlocuteurs. J... comprenait au mieux les questions, ses rťponses timidement articulťes tťmoignaient de la rťserve dťfiante qu'on constate si souvent chez les enfants. On comprend combien sont limitťs les interrogatoires qui s'adressent ŗ un jeune sujet dont l'intelligence ne dťpasse pas un ťtroit questionnaire. Une fois que nous ťtions partis, J... reprenait son indiffťrence et sa sťrťnitť, revenant ŗ ses goŻts de jeu et ŗ ses distractions favorites. Les surveillants ne se plaignaient ni de son obťissance, ni de sa conduite, mais il n'ťveillait en eux aucune sympathie. De fait, on avait peine, en causant avec lui, ŗ se fier ŗ la sincťritť de ses regrets ou de ses larmes; si peu favorable que fŻt notre impression, et tout en dťcouvrant le dessous d'une nature vicieuse, nous ne pouvions nous dissimuler les chances d'erreur, ni mťconnaÓtre les signes d'infťrioritť cťrťbrale, accusťs ŗ la fois par les antťcťdents hťrťditaires et par les malformations ťvidentes de la face et du cr‚ne. Ces dťfectuositťs, visibles et palpables, s'imposent au mťdecin, sans effort d'interprťtation, et sont d'une valeur irrťcusable. Leur existence ne permettrait pas d'affirmer que des troubles nerveux se produiront fatalement, encore moins d'en prťvoir la nature; mais quand un fait inattendu, ou une perversion ťtrange vient ťveiller l'attention, on doit scientifiquement en tenir compte. Les dťformations cr‚niennes reprťsentent un mode de transmission hťrťditaire tout particulier. Les ascendants n'ont pas transmis une maladie dťfinie, analogue ŗ celles dont ils pouvaient Ítre atteints, mais ils ont donnť le jour ŗ une progťniture dťgťnťrťe, infťrieure, dťpourvue d'ťquilibre nerveux, capable des pires entraÓnements, sans aboutir forcťment ŗ la folie confirmťe. Impulsifs ou instinctifs, ces infirmes de naissance viennent au monde avec des aptitudes pathologiques tantŰt durables, tantŰt passagŤres, qui ťchappent aussi bien ŗ la prťvision qu'au classement, et qui ne s'accommodent pas aux lois plus stables des maladies. J... rentre dans un de ces types. Peut-Ítre s'il n'avait pas ťtť provoquť par les injures de son frŤre, peut-Ítre mÍme s'il n'avait pas ťtť troublť profondťment par la mort de son frŤre le plus jeune, qui paraÓt lui avoir causť une excessive ťmotion, ces appťtits de violence n'auraient-ils pas fait explosion. Il fallait ŗ la prťdisposition dont tťmoignent et la conformation vicieuse et l'hťrťditť, l'appoint d'une excitation vive. Dans ces conditions qui ne sont rien moins qu'exceptionnelles, la question de responsabilitť prend une face toute spťciale. Il ne s'agit pas d'un aliťnť commandť par des conceptions dťlirantes invincibles, mais d'un demi-malade entraÓnť par des idťes passionnťes auxquelles il ne sait opposer qu'une rťsistance insuffisante, faute d'une conformation organique ťgale ŗ celle des autres hommes. J... a certainement prťmťditť l'agression, certainement il n'a pas subi une de ces impulsions instantanťes que la rťflexion n'a le temps ni de corriger ni mÍme d'amoindrir; il pouvait se dťfendre dans une certaine mesure, et il ne l'a pas fait. La responsabilitť de ses actes ne peut lui Ítre enlevťe, mais il nous semble qu'elle n'est pas entiŤre et que les antťcťdents que nous avons exposťs la diminuent notablement. Depuis qu'il est soumis au rťgime de la maison de dťtention correctionnelle, J... paraÓt s'Ítre amťliorť physiquement et mÍme moralement. On est en droit d'espťrer que sous l'influence d'une discipline ferme et ťclairťe, continuťe jusqu'ŗ ce qu'il ait atteint l'‚ge de 21 ans, J... peut gagner encore, l'infťrioritť de conformation dont on constate chez lui l'existence ťtant de celles qui s'attťnuent par le fait d'une ťvolution soigneusement et habilement dirigťe. ņ Paris, le 25 juillet 1877, CH. LAS»GUE, …. BLANCHE. Ce qu'il y a de remarquable et d'instructif dans cette affaire, c'est l'influence de l'hťrťditť et des malformations cťrťbrales congťnitales sur le degrť de rťsistance aux mauvaises tentations. J... compte plusieurs aliťnťs parmi ses ascendants; sa mŤre est une faible d'esprit; son pŤre est atteint d'un affaiblissement intellectuel prťmaturť; le frŤre qu'il a frappť est restť sourd ŗ la suite d'accidents cťrťbraux graves avec convulsions dans sa premiŤre enfance; un autre frŤre est mort d'une mťningite; lui-mÍme a la tÍte asymťtrique, et la face dťviťe ainsi que la scissure de la voŻte palatine. Les parents de J..., qui sont d'ailleurs de trŤs-braves gens, n'ont pas veillť avec une sollicitude ťclairťe sur l'ťducation de leurs enfants. Les deux frŤres J... ont lu beaucoup de mauvais romans ornťs d'images reprťsentant principalement des scŤnes de meurtre; ils allaient aux thť‚tres de drames, et ils avaient l'imagination farcie d'aventures romanesques et sanglantes. Le cadet, rendu soupÁonneux par sa surditť, ťtait susceptible et taquin; l'aÓnť abusait souvent avec lui de sa force physique, ce dont le cadet se vengeait en appelant son frŤre des noms d'assassins fameux; de lŗ des luttes frťquentes qui ne dťpassaient pas la limite des coups que l'on ťchange entre camarades, mais qui avaient fini par altťrer les sentiments d'affection rťciproque des deux frŤres. Les choses en seraient peut-Ítre restťes ŗ ce point si J... n'avait ťprouvť une commotion trŤs-violente de la mort de son jeune frŤre; depuis cet ťvťnement on avait remarquť un changement dans son humeur, et son systŤme nerveux avait certainement subi un profond ťbranlement. C'est dans cet ensemble de conditions que s'est produite la tentative de meurtre. Le fait accompli, J... n'en a d'abord qu'une conscience vague; il fuit, et erre toute la journťe; vers le soir, il se laisse arrÍter; il commence par chercher ŗ se disculper en rejetant la faute sur les provocations incessantes de son frŤre; son langage trahit encore la colŤre et la haine; puis, confrontť avec son frŤre qui semble menacť d'une mort prochaine, ses sentiments naturels se rťveillent, il ťclate en sanglots et en transports de dťsespoir; quelques instants aprŤs il redevient absolument calme et mange de bon appťtit. En somme, antťcťdents hťrťditaires f‚cheux, vices congťnitaux de conformation; pas d'actes qui excŤdent la moyenne de ceux auxquels se livrent les enfants vicieux. Grande perturbation attribuťe au chagrin que lui cause la mort de son frŤre, excitation cťrťbrale croissante caractťrisťe par de l'agitation, de l'irritabilitť, des inťgalitťs plus saillantes de caractŤre. Tentative de meurtre. La crise passťe, retour ŗ l'ťtat habituel; l'appoint de l'excitation cťrťbrale a seul disparu, mais rien n'est changť au fond de la nature, et dans nos nombreuses entrevues avec J... nous avons toujours ťtť frappťs de son accent peu sincŤre et de son ťgoÔsme, qu'il ne rťussissait pas ŗ dissimuler sous des expressions d'affection pour ses parents et de repentir. Toutefois, nous avions constatť que les soins physiques et moraux dont il ťtait l'objet dans la maison des jeunes dťtenus avaient sur lui une influence favorable, et en lui attribuant une responsabilitť limitťe, nous avions demandť qu'il fŻt maintenu jusqu'ŗ sa majoritť sous le rťgime correctionnel. Le jury l'a acquittť, et J... a ťtť rendu ŗ sa famille. H…R…DIT….--…PILEPSIE.--ALCOOLISME.--TENTATIVES DE SUICIDE.--VOL.--TENTATIVES D'HOMICIDE.--RESPONSABILIT… ATT…NU…E. G..., ‚gť de 45 ans, mariť, est fils d'un pŤre aliťnť et d'une mŤre morte d'apoplexie cťrťbrale. Un de ses enfants est ťpileptique, et un de ses neveux s'est brŻlť la cervelle. G... est atteint d'ťpilepsie; il a eu la premiŤre attaque ŗ l'‚ge de 15 ans; une seconde survint peu de temps aprŤs, et depuis, elles se sont reproduites 12 fois, avec des intervalles de deux, trois et quatre annťes. G... a fait deux tentatives sťrieuses de suicide; l'une en 1852 et l'autre en 1875. Au mois de janvier 1877, il a eu un accŤs d'alcoolisme aigu dont il a ťtť traitť ŗ l'asile de Ville-…vrard. Engagť volontaire, d'abord dans la marine, puis dans l'armťe de terre, il a ťtť griŤvement blessť devant Sťbastopol. Mis ŗ la retraite, il a reÁu la mťdaille militaire. Depuis, son existence a ťtť des plus dťsordonnťes: successivement inspecteur de commissariat de police, garde-champÍtre, reprťsentant de commerce, employť dans diverses administrations publiques, expťditionnaire dans une ťtude de notaire, planton ŗ la Banque de France, il ne peut conserver aucune position, tantŰt rťvoquť, tantŰt dťmissionnaire, et enfin il en est rťduit ŗ sa pension militaire. Mariť deux fois, sťparť judiciairement de sa femme qu'il avait abandonnťe avec cinq enfants, il rencontre une fille B..., pour laquelle il conÁoit une violente passion, dont il a un enfant, et qu'il rend si malheureuse qu'elle rompt avec lui; il la poursuit de ses instances, mais sans rťussir ŗ la ramener. Exaspťrť, il la menace de l'assassiner. Sans emploi, presque dťnuť de ressources, ne vivant que d'expťdients et d'emprunts, le plus souvent ivre, il commet un vol. Pris de remords, il ne voit pour lui de refuge que dans la mort; il achŤte un couteau, bien dťcidť, dit-il, ŗ en finir avec une vie qui lui est insupportable. Toutefois, avant de mourir, il veut avoir une derniŤre entrevue avec sa maÓtresse; il lui ťcrit pour la supplier de le recevoir, et dans sa lettre, aprŤs l'avoir rassurťe sur ses intentions ŗ son ťgard, il lui avoue le vol qu'il a commis, et lui annonce sa rťsolution de se tuer. La fille B..., terrifiťe par les menaces de son amant et incrťdule ŗ ses promesses, le dťnonce ŗ la police comme un voleur, et demande ŗ Ítre protťgťe contre ses poursuites. G... la guette, et au moment oý elle sort de chez elle, il s'approche pour lui parler, et est arrÍtť; les agents les emmŤnent tous deux, et presqu'aussitŰt G... frappe la fille B... d'un coup de couteau. Quand je le visite ŗ Mazas, G... est calme et lucide; il ne cherche pas ŗ se disculper des actes qu'il a commis, en les attribuant ŗ un trouble de raison; il me dťclare qu'il savait parfaitement ce qu'il faisait quand il ŗ volť, et quand il a frappť la fille B... il s'est laissť emporter par l'indignation d'Ítre trahi par une femme qu'il aimait passionnťment, et qui pour se dťbarrasser de lui l'avait livrť ŗ la justice. Il se reconnaÓt coupable et ne demande que de l'indulgence. Cette observation est intťressante en ce qu'on y trouve rťunis l'hťrťditť, l'ťpilepsie, l'alcoolisme, deux tentatives de suicide, et comme crise finale, une tentative d'homicide, et qu'on peut y suivre les effets de ces diverses influences et l'intensitť de plus en plus marquťe des impulsions auxquelles G... a successivement cťdť, sans perdre toutefois conscience de ses actes. C'est d'abord une grande inconsistance d'esprit, l'inaptitude ŗ des occupations rťguliŤres, un besoin immodťrť de mouvement. Dans une seconde pťriode, des passions violentes, une existence aventureuse, des excŤs de boisson, le dťnŻment, la misŤre, des accŤs de dťsespoir, des tentatives de suicide; puis, une troisiŤme pťriode dans laquelle on trouve d'abord une impulsion au vol que rien dans les antťcťdents de G... ne pouvait faire prťvoir, et enfin, l'impulsion qui dťtermine une tentative d'homicide. Ainsi a vťcu, ainsi a agi G... D'une constitution cťrťbrale originellement dťfectueuse, ťpileptique, ivrogne, il ťtait prťdisposť aux impulsions contre lesquelles ses facultťs mal ťquilibrťes ne lui donnaient pas une force normale de rťsistance, mais, sauf un accŤs court de dťlire alcoolique, il n'a pas prťsentť de vťritables troubles de la raison; ce n'est pas un aliťnť. Il reconnaÓt d'ailleurs que dans les actes dont il est inculpť il savait ce qu'il faisait. Il n'y avait donc pas lieu ŗ le considťrer comme irresponsable, et je n'ai demandť pour lui qu'une attťnuation de responsabilitť, en me fondant sur ses antťcťdents hťrťditaires et sur la nťvrose dont il est atteint. G... a ťtť condamnť ŗ dix ans de rťclusion. CONDITIONS D…FECTUEUSES D'H…R…DIT… C…R…BRALE.--PARESSE--IVROGNERIE.--TROUBLES INTELLECTUELS ņ PEINE APPR…CIABLES ET S…PAR…S PAR DE LONGS INTERVALLES.--ABSENCE DE CRISES IMPULSIVES.--DOUBLE MEURTRE.--RESPONSABILIT… ATT…NU…E. Commis par arrÍt de la Cour d'assises de Seine-et-Marne, sťant ŗ Melun, en date du 11 mai 1877, ŗ l'effet d'examiner, au point de vue de l'ťtat mental, le nommť M... (Gťdťon), inculpť d'homicides, Nous, Mťdecins soussignťs, aprŤs avoir prÍtť serment entre les mains de M. Blanquart-des-Salines, juge d'instruction au tribunal de la Seine, aprŤs avoir pris connaissance des piŤces du dossier, et avoir longuement et ŗ plusieurs reprises, soit ensemble, soit sťparťment, visitť l'inculpť au dťpŰt de la Prťfecture de police, avons consignť le rťsultat de notre examen et de nos investigations dans le rapport suivant: M..., ‚gť de 27 ans, sabotier, demeurant au hameau de l'E..., commune de Saint-R..., Seine-et-Marne, a l'aspect d'un ouvrier de la campagne, robuste et bien portant. Son attitude et sa physionomie sont tristes, mais calmes; il se prťsente convenablement, et il rťpond avec beaucoup de nettetť et du ton le plus naturel aux questions que nous lui adressons. Sans les nombreuses entrevues que nous avons eues avec M..., nous n'avons remarquť chez lui ni le dťsir de se disculper des actes qu'il a commis, ni l'intention de cacher les sentiments qui l'y ont poussť. Nous allons reproduire exactement ce qu'il nous a dit: ęM... est sabotier de son ťtat; pendant la belle saison, il travaille aux champs; il a ťtť ŗ l'ťcole, il aime la lecture; il a gardť ses livres, et il les lit de temps en temps; c'est surtout l'histoire qui lui plaÓt. Il s'est mariť il y a trois ans. Quand il l'a ťpousťe, sa femme avait 17 ans; elle ťtait servante de ferme; elle ťtait gentille; il l'aimait bien; il n'avait pas eu de relations avec elle avant le mariage. Pendant les premiers mois ils ont fait bon mťnage. Ils sont restťs chez son pŤre jusqu'ŗ la naissance de leur fille; quand sa femme a ťtť accouchťe, ils se sont installťs chez eux ŗ l'E... C'est alors que sa femme a commencť ŗ ne plus travailler, et quand il lui faisait des observations, elle lui disait des sottises; elle lui fichait des injures, et lui disait de faire lui-mÍme de la cuisine, s'il voulait en manger; elle se portait bien, elle n'ťtait pas faible; elle ne faisait que s'occuper de son enfant et le promener; il ne trouvait jamais son repas prÍt en rentrant; il devait le prťparer lui-mÍme; Áa lui faisait perdre du temps; il y avait souvent des querelles, et toujours pour le mÍme motif; quand il lui faisait des reproches, elle parlait d'aller se noyer. Malgrť leurs querelles, ils couchaient toujours ensemble; sa femme ťtait enceinte de cinq mois environ, quand il l'a tuťe, et il l'a tuťe parce qu'elle ťtait une paresseuse; l'enfant, il l'a tuťe, parce qu'elle aurait ťtť dťshonorťe par la sociťtť, comme ťtant la fille d'un meurtrier. Il y a cinq ou six mois, un homme avec qui il avait fait des affaires lui a donnť une paire de pistolets; il les a rapportťs chez lui, et les a serrťs aprŤs les avoir montrťs ŗ sa femme; ŗ ce moment il n'avait pas la pensťe de s'en servir pour tuer sa femme; ce n'est que deux ou trois mois plus tard que la pensťe lui en est venue; il avait le dťsir de la tuer, mais il n'osait pas le faire; l'idťe lui est venue _de long_, et elle est devenue de plus en plus habituelle; ŗ la fin, il ne pensait plus qu'ŗ cela. Le 5 fťvrier, sans qu'il y ait eu plus de discussion qu'ŗ l'ordinaire, il s'est dťcidť ŗ faire le coup; sa petite fille ťtait malade, elle avait la diarrhťe et elle vomissait; il a ťtť chez le pharmacien chercher des mťdicaments pour l'enfant; le soir, il a ťtť demander du lait ŗ un voisin pour faire un cataplasme ŗ sa fille; il est rentrť sur les huit heures; il a soignť l'enfant avec sa femme jusqu'ŗ minuit; ŗ cette heure-lŗ, il a dit ŗ sa femme de se coucher, que lui, veillerait l'enfant; sa femme s'est couchťe; il s'est mis ŗ lire l'histoire de Napolťon Ier, et quand il a vu sa femme bien endormie, sur les deux heures du matin, il est allť prendre les deux pistolets dans un placard prŤs de la cheminťe, il est revenu prŤs du lit oý sa femme ťtait, et il lui a dťchargť un coup de pistolet dans la tÍte, derriŤre l'oreille droite; elle a poussť un petit cri, mais n'a pas bougť; ensuite, il a ťtť vers l'enfant qui dormait dans son berceau, et lui a ťgalement tirť un coup de pistolet dans la tÍte; puis, il s'est sauvť en courant, sans regarder ni la mŤre ni l'enfant; il est allť ŗ Coulommiers pour se rendre ŗ la justice, mais il n'a pas osť se prťsenter, il a errť toute la journťe dans la ville; le garde-champÍtre l'a arrÍtť vers les quatre heures; il n'a fait aucune rťsistance.Ľ Tel est le rťcit que M... nous a fait, chaque fois que nous l'avons visitť, et toujours identiquement dans les mÍmes termes, et du mÍme accent calme et impassible. Son rťcit est d'ailleurs absolument conforme ŗ ses dťpositions dans le cours de l'instruction judiciaire, ainsi qu'on en pourra juger par les extraits que nous allons donner, et elles le complŤtent sans le modifier: ęJe ne vivais pas en bonne intelligence avec ma femme, qui refusait de travailler et qui dťpensait beaucoup d'argent; je le lui disais, mais nous ne nous sommes jamais frappťs; je n'ai jamais menacť ma femme de la tuer; la veille, je n'avais pas eu de discussion avec elle; quand j'ai vu que ma femme dťpensait, je me suis mis ŗ manger ťgalement de l'argent; je m'enivrais quelquefois.--Ma femme ne pouvait pas se corriger de ses mauvaises habitudes; elle ne travaillait pas bien dans son mťnage; nous avions quelques lapins, j'ťtais obligť d'aller leur chercher moi-mÍme ŗ manger; je ne gagnais pas beaucoup d'argent; j'ťtais toujours dťrangť dans mon mťnage; j'ťtais mÍme obligť de faire ma soupe. Il y a environ huit jours que me voyant ŗ bout de ressources, je formais tous les jours la rťsolution d'accomplir mon dessein; la veille au soir, il n'y avait plus d'argent ŗ la maison; je n'avais bu que deux ou trois verres de petit vin chez nos voisins; je n'ťtais pas ivre; j'avais chargť les pistolets il y a trois ou quatre semaines, mais je ne savais pas encore que je tuerais ma femme et mon enfant. J'ai prťparť moi-mÍme le cataplasme et l'ai posť ŗ ma fille; si je ne l'avais pas tuťe ce jour-lŗ, cela lui aurait fait du bien pour plusieurs jours. J'ai pris la prťcaution de ne pas me coucher pour ne pas m'endormir afin d'accomplir mon dessein. J'avais prťparť le grand couteau pour les achever, si je ne les avais pas tuťes du coup. J'ai tuť ma fille, parce que j'avais peur qu'elle tombe dans de mauvaises mains aprŤs la mort de ma femme, et qu'elle soit mal gouvernťe. J'ai ťtť ŗ Coulommiers pour me livrer ŗ la justice; si je ne me suis pas rendu, c'est que je me suis dit que je serais pris dans la journťe. Je connais la gravitť du crime que j'ai commis; je m'en repens; je n'ťtais point en ťtat d'ivresse lorsque je l'ai commis; si c'ťtait ŗ recommencer, je ne le ferais pas; pendant la conversation que j'ai eue la veille au soir chez le voisin, je pensais au crime que j'allais commettre.Ľ Voici ce que M... avait dit ŗ son voisin: ęJe suis dans une maison de malheur; il a failli y avoir un assassin. Ferais-tu comme moi? Pardonnerais-tu ŗ ceux qui font de mauvaises choses et qui ont de mauvais penchants?Ľ Cette conversation avait paru _peu ordinaire_ au voisin, qui avait trouvť M... triste et _pas comme d'habitude_, mais pas en ťtat d'ivresse. Quant ŗ l'attitude, ŗ la conduite, et au langage de M... pendant la journťe qui a suivi la nuit dans laquelle il avait tuť sa femme et sa fille, ajoutons ŗ ce qu'il nous en dit lui-mÍme, les renseignements fournis par l'instruction: ęLe double meurtre accompli, M... quitte aussitŰt sa maison et se rend ŗ Coulommiers; il y arrive de grand matin; c'ťtait en fťvrier; il entre dans le premier cabaret qui s'ouvre; on remarque le dťsordre de ses vÍtements et son air fatiguť et abattu; il mange et boit, paie sa dťpense, et comme il n'a plus d'argent et qu'il est connu, on lui en offre; il rťpond: je n'ai plus besoin d'argent, je n'ai plus besoin de travail, je n'ai plus besoin d'emprunt; je vivrai et je serai plus tranquille que toi. Il boit la goutte et dit en souriant: j'ai tuť ma femme et mon enfant; puis, s'adressant ŗ voix basse ŗ un de ses parents: si tu savais ce que j'ai fait chez nous, tu me ficherais un coup de couteau; tu entendras demain, mercredi, le nom de M... voler de bouche en bouche, car j'ai tuť ma femme et mon enfant. Paie-moi encore une goutte, c'est la derniŤre que tu me paieras, je viens pour me rendre. On dira que je suis une canaille; je ne ferai pas mes vingt-huit jours de rťserviste cette annťe. Je savais bien que quand je dirais la chose, on ne me croirait pas. Toi, comme ami, je te ferai quelque chose; ŗ toi, comme cousin, je te ferai quelque chose, et je ferai quoique chose ŗ tous mes camarades.Ľ ęPuis M... se met ŗ plaisanter; il dit qu'il est en noce, qu'il est parti en bordťe avec des camarades; qu'il est venu ŗ Coulommiers pour des affaires assez graves, qu'il a femme et enfant, mais qu'il n'est pas mariť; il ne paraÓt Ítre ni ťmu, ni tourmentť; il mange de bon appťtit, et cependant on lui entend dire qu'il a perdu son repos, et avec un de ses cousins il s'exalte, il dťclame ŗ tort et ŗ travers, il parle de justice, de Melun, et il le quitte en lui disant: je ne te verrai plus ni toi ni mon pays; mais malgrť son air ťgarť, son cousin ne le croit pas. On lui demande si sa femme ne sera pas inquiŤte de ne pas le voir rentrer le soir. Ah! rťpond-il, ma femme est bien tranquille, elle ne se tourmente pas; elle et mon enfant sont plus tranquilles que toi et moi; elles sortiront de la maison, quand on viendra les chercher, je les ai tuťes; on ne peut Ítre deux dans le mÍme mťnage. Au moment de son arrestation dans la journťe, il rťpond au garde champÍtre: _c'est moi qui ai fait le fait_, et il le suit de bonne volontť; quand on l'interroge sur les motifs de son action, il se tait, et demande ŗ manger, parce qu'il n'a pas mangť depuis le matin, et qu'il a faim.Ľ Pour achever l'exposť de l'affaire, il nous reste ŗ donner quelques dťtails sur le caractŤre, les habitudes et la maniŤre de vivre de M... et de sa femme, ainsi que sur sa famille, et sur les conditions hťrťditaires dans lesquelles il est nť. M... ťtait gťnťralement considťrť comme un homme d'un caractŤre doux; certains cependant disaient qu'il ťtait taciturne et sournois. Jusqu'ŗ son mariage, il ne semble pas avoir eu une mauvaise conduite; ce n'est que depuis environ deux ans qu'il a commencť ŗ boire, et qu'il est devenu paresseux et oisif. Les tťmoins disent de lui qu'il aimait _ŗ s'amuser_; il rentrait souvent ivre le dimanche, et trŤs-tard; il fallait parfois que sa femme all‚t le chercher au cabaret; elle le grondait, il y avait des disputes, mais l'un et l'autre semblaient s'attacher ŗ cacher ce qui se passait dans le mťnage, et ils avaient la rťputation de vivre en bonne intelligence. On s'accorde ŗ reprťsenter la femme comme une personne douce, laborieuse, ťconome, sans grande _expťrience_, ce qui peut signifier qu'elle n'ťtait pas trŤs-intelligente, mais trŤs-bonne pour son mari, ne se plaignant jamais, de moeurs irrťprochables, ce que M... dťclare aussi lui-mÍme. M... dťpensait beaucoup d'argent pour subvenir ŗ ses goŻts, et il s'en procurait en vendant les biens appartenant ŗ sa femme; celle-ci ne s'y opposait pas, et probablement pour ťviter des querelles, qui n'ťtaient dťjŗ que trop frťquentes, elle donnait son consentement ŗ toutes les ventes pour lesquelles il lui demandait sa signature. Il voyait avec regret cette ressource s'ťpuiser assez vite, et ŗ quelques observations de son beau-pŤre sur ses dťpenses exagťrťes, il avait rťpondu par des rťcriminations ŗ l'adresse de son beau-frŤre, ŗ propos d'un compte de tutelle, dans lequel lui, M..., prťtendait avoir ťtť lťsť; ce beau-frŤre ťtait le tuteur de la femme M..., et M... ťtait alors irritť ŗ ce point contre lui qu'il avait dit que ęs'il le rencontrait, il lui donnerait un coup de couteauĽ. Dans cette mÍme conversation, M... parla d'un homme qui avait fait tuer sa femme par son batteur, et dit ęque lui, ne ferait pas cela, que s'il ťtait mal avec elle, il aimerait mieux la quitterĽ. M... traitait ses affaires au cabaret; il avait la tÍte lťgŤre, il buvait volontiers, on le grisait pour le rendre plus accommodant, et on lui achetait au-dessous de leur valeur les terres de sa femme. M... s'amusait souvent, quand il rentrait ivre dans la nuit, ŗ tirer des coups de pistolet _pour rťveiller le monde_, disait-il; il tirait aussi par maniŤre de plaisanterie sur sa femme et son enfant et les effrayait en brŻlant des capsules. Il semblerait toutefois que depuis quelque temps M... avait renoncť ŗ ces jeux, et qu'il faisait moins d'excŤs; sa femme a mÍme dťclarť qu'_il ne s'ťtait pas dťrangť_ depuis le mois de novembre dernier. D'aprŤs ce que nous avons appris en dehors de l'instruction judiciaire, M... est d'une famille dans laquelle il y a eu, depuis plusieurs gťnťrations, de nombreux mariages consanguins. Son pŤre et sa mŤre sont de braves gens, mais ŗ l'intelligence lente et courte. Sa soeur est atteinte d'une affection nerveuse chronique; elle souffre de dyspepsie, d'entťralgie et de vertiges causťs par des troubles fonctionnels de l'estomac; elle est incapable de tout travail, mais elle n'a jamais prťsentť de dťsordres intellectuels. Un de ses cousins germains, qui est en mÍme temps son beau-frŤre, a l'esprit trŤs-bornť, et est absolument dťnuť de mťmoire. Enfin, un oncle de M... est mort de paralysie agitante, sans avoir jamais eu la raison troublťe. Quant ŗ M... lui-mÍme, depuis qu'il se livrait ŗ des excŤs alcooliques, on avait remarquť chez lui comme une surexcitation de la personnalitť; il avait une opinion exagťrťe de son importance; il semblait convaincu que tout devait cťder devant sa volontť, et que chacun devait se sacrifier pour lui; il manifestait parfois des inquiťtudes au sujet de sa propre sťcuritť, et il ne serait pas impossible que ce fŻt cette prťoccupation qui l'eŻt engagť ŗ accepter les pistolets, lorsque son camarade les lui offrit, et qui expliqu‚t aussi pourquoi il lui arrivait assez souvent de tirer des coups de feu pendant la nuit; enfin, d'aprŤs la dťclaration de son pŤre, M..., depuis deux mois, se plaignait de ne pouvoir travailler, parce qu'il avait le sang ŗ la tÍte, peut-Ítre trois ou quatre fois par mois. Telles sont les informations que nous avons recueillies sur M..., sur son caractŤre, sur ses habitudes, sur ses antťcťdents de famille et personnels, et sur les circonstances qui ont prťcťdť, accompagnť et suivi le double meurtre dont il est inculpť. Il nous reste maintenant ŗ les considťrer au point de vue de la mission qui nous est confiťe. Lorsque les magistrats et les jurťs sont en prťsence d'un homme qui dťclare tranquillement qu'il a tuť sa femme, parce qu'elle ne lui prťparait pas rťguliŤrement sa soupe, et qu'il a tuť sa fille parce qu'elle aurait ťtť dťshonorťe comme ťtant la fille d'un meurtrier, il est impossible qu'ils ne pensent pas que l'inculpť est un insensť dont il est nťcessaire de faire examiner l'ťtat mental. Cet examen, nous l'avons fait avec l'attention la plus scrupuleuse; nous l'avons poursuivi pendant de longues sťances, et nous n'avons plus qu'ŗ en faire connaÓtre le rťsultat. M... est un homme d'une constitution physique vigoureuse; il a la tÍte bien conformťe; ni dans sa figure, ni dans sa physionomie, ni dans ses yeux, on n'observe rien d'anormal; son intelligence, originellement peu ťtendue, n'a pas ťtť dťveloppťe par la lecture qui est un de ses passe-temps favoris; il n'est cependant pas absolument sans instruction. C'est un caractŤre concentrť; il parle peu, mais il s'exprime avec nettetť. Nous avons exposť plus haut quelles ťtaient les conditions de santť de sa famille et ses antťcťdents hťrťditaires. Quant ŗ lui, si depuis qu'il se livrait ŗ des excŤs alcooliques on avait remarquť un certain changement dans ses idťes, une certaine exaltation, et mÍme quelques inquiťtudes chimťriques; si, d'un autre cŰtť, depuis deux mois, suivant le dire de son pŤre, il se plaignait parfois d'avoir le sang ŗ la tÍte. Nous devons dťclarer que dans toutes nos entrevues avec lui il ne s'est jamais plaint de s'Ítre mal portť; il nous a, au contraire, assurť que sa santť ťtait trŤs-bonne; il n'a ni maux de tÍte, ni ťtourdissements, et si, sous l'influence de ses excŤs, il a tťmoignť d'une certaine excitation mentale, soit en parlant avec exagťration de son importance et de sa valeur personnelles, soit en exprimant des craintes pour sa propre sťcuritť, cette modification dans son ťtat cťrťbral habituel n'a jamais ťtť assez prononcťe pour que nous puissions y voir un trouble quelque peu notable et durable de la raison, causť par l'intoxication alcoolique. D'ailleurs, il paraÓtrait que depuis quelque temps, il ťtait devenu plus sobre, et tous les tťmoins sont unanimes ŗ dťclarer que la veille de la nuit oý il a tuť sa femme et sa fille il n'ťtait dans un ťtat ni d'ivresse, ni mÍme de surexcitation. Nous n'avons dťcouvert chez M... aucune trace de conceptions dťlirantes, ni d'illusions des sens, ni d'hallucinations; il n'a pas non plus cťdť ŗ un de ces entraÓnements instantanťs, irrťsistibles, tels qu'on en observe chez les ťpileptiques, chez les vertigineux, et aussi chez certains malades qui prťsentent des symptŰmes d'affections cťrťbrales ŗ ťvolution pťriodique ou rťmittente, puisque de son propre aveu, il pensait depuis plusieurs semaines ŗ faire ce qu'il a fait. M... n'ťtant ni un idiot, ni un imbťcile, ni un ťpileptique, ni un vertigineux, ni un impulsif, ni un hallucinť, ni un alcoolisť, qu'est-il donc? C'est un paresseux d'une intelligence limitťe, ombrageux, aimant, comme disent les tťmoins, _ŗ s'amuser_, avide d'argent, et dťpensier quand il s'agissait de se procurer un plaisir, travaillant ŗ son heure, mťcontent d'un gain qui lui semblait au-dessous de sa peine, et prťfťrant ťpuiser son capital en vendant les biens de sa femme. Il avait contractť des habitudes de cabaret auxquelles il lui aurait ťtť incommode de renoncer, et il voyait avec chagrin son avoir diminuer, en mÍme temps que s'augmentait sa responsabilitť de pŤre de famille. Si sa femme le laissait libre de disposer de ce qu'elle possťdait, et si elle se rťsignait, non sans querelles, ŗ son inconduite, elle se bornait ŗ soigner son enfant, et ne travaillait pas assez pour remplir le vide que faisait l'oisivetť de son mari. Elle devenait ainsi pour M... une charge, et non une source de produits; un enfant ťtait dťjŗ onťreux, et un second enfant n'allait pas tarder ŗ naÓtre. Voilŗ, autant qu'on peut l'induire de ses rťponses laconiques, les pensťes qui dominaient l'esprit de M..., et avec lesquelles il vivait constamment depuis quelques mois. Ses excŤs avaient bien pu affaiblir ses facultťs, morales et affectives, sans cependant provoquer une maladie caractťrisťe. M... a rťsistť pendant quelque temps; il a luttť contre l'idťe du meurtre, il l'a repoussťe, puis enfin, un jour, il a rťsolu d'en finir. Il n'a pas demandť au vin une excitation passagŤre pour lui rendre plus facile l'accomplissement de son dessein. C'est au moment oý sa fille ťtait malade, ŗ la fin d'une journťe exempte de tout excŤs, et d'une soirťe employťe aux soins qu'exigeait la maladie de sa fille, aprŤs avoir engagť sa femme ŗ se reposer, en lui promettant de veiller sur l'enfant, et aprŤs avoir lu paisiblement pendant deux heures un livre d'histoire, qu'il a ťtť chercher ses pistolets, et les a dťchargťs sur sa femme et sur son enfant. Le lendemain, M... est moins calme que la veille; il manifeste par instants, du trouble et de l'ťmotion, mais il conserve encore cependant une tranquillitť extraordinaire; il a conscience de ce qu'il a fait, et parle de lui comme d'un homme qui n'existe plus pour le monde, acceptant d'avance la peine qui doit lui Ítre infligťe et ŗ laquelle il ne cherche pas ŗ se soustraire. Assurťment, quand on envisage le mobile auquel a cťdť M..., quand on considŤre sa quiťtude avant le meurtre, au moment oý il le commet, et son attitude dans les heures qui le suivent, on ne peut se dťfendre d'une profonde impression d'ťtonnement; il n'y a lŗ ni colŤre, ni convoitise, ni un de ces ťclats de passion qui dťterminent le plus habituellement les crimes et les expliquent, et cependant aucune condition pathologique manifeste n'apparaÓt comme ayant ťtť la cause et, pour ainsi dire, la raison du double meurtre commis par M..., et nous en sommes rťduits ŗ ne pouvoir le rattacher qu'ŗ une succession d'idťes ťtranges, qui ne tťmoignent ni d'un sens droit, ni d'une raison ťquilibrťe, mais qui ne prťsentent pas les caractŤres de la folie, et qui ont pu germer dans l'esprit d'un homme, nť dans des conditions dťfectueuses d'hťrťditť cťrťbrale, ťgoÔste, ivrogne, ami du plaisir autant qu'ennemi du travail, moralement affaibli par les excŤs mais ayant cependant conservť son libre arbitre et la conscience de ses actes. Une derniŤre conclusion peut rťsumer ce travail: si M... n'avait pas commis le double meurtre pour lequel il a ťtť l'objet d'un examen au point de vue de son ťtat mental, aucun mťdecin ne songerait ŗ l'interner comme aliťnť dans un asile, soit ŗ cause de son ťtat actuel, soit en invoquant des troubles antťrieurs de santť, continus ou intermittents. Signť: CH. LAS»GUE, A. MOTET, …. BLANCHE. Nous n'avons pas ŗ faire ici ŗ un homme prťsentant les caractŤres de la folie. M... est nť dans des conditions dťfectueuses d'hťrťditť cťrťbrale, son intelligence n'est pas grande, sans Ítre notablement au-dessous du niveau des gens de sa classe; il a mÍme un certain goŻt pour la lecture des livres sťrieux et une certaine instruction, principalement dans les choses de l'histoire. M... n'est pas non plus un alcoolisť, ŗ proprement parler; si depuis son mariage il frťquentait volontiers les cabarets, s'il s'enivrait assez souvent, ses excŤs de boisson n'ont produit chez lui que des troubles trŤs-lťgers et trŤs-passagers, et si ses facultťs morales, originellement peu dťveloppťes, en ont ťtť encore affaiblies, ce n'a jamais ťtť au point de le priver de la facultť d'apprťcier ses actes. D'un autre cŰtť, si M... n'est pas aliťnť, ce n'est ťvidemment pas non plus un homme dont le jugement soit parfaitement sain, et aprŤs avoir lu les dťtails du double meurtre qu'il a commis, les mobiles qui semblent seuls l'avoir inspirť, les circonstances qui l'ont prťcťdť et suivi, on ne peut s'ťtonner que les magistrats et les jurťs aient dťsirť que M... fŻt examinť au point de vue de l'ťtat mental. Cet examen ne pouvait pas aboutir ŗ un rťsultat plus net et plus positif que ne l'ťtait l'ťtat mental de l'inculpť. En effet, si nous avions trouvť chez M... de ces crises cťrťbrales dťcisives et qui ont pour consťquence l'homicide, nous n'aurions pas hťsitť ŗ le dťclarer irresponsable, mais en l'absence de ces crises significatives, nous avons dŻ conclure qu'il n'ťtait pas aliťnť, et nous nous sommes bornťs ŗ des considťrations tirťes de son ťtat habituel et qui ťtaient de nature ŗ amoindrir sa responsabilitť. Le jury, adoptant nos conclusions, a accordť ŗ M... les circonstances attťnuantes. En consťquence, M... a ťtť condamnť aux travaux forcťs ŗ perpťtuitť. Dans le courant d'avril dernier, un assassinat commis au milieu de la journťe, dans une rue trŤs-frťquentťe, causait une immense ťmotion dans Paris. Un marchand avait fait entrer un garÁon de recettes dans son magasin et l'avait tuť pour le voler. ArrÍtť immťdiatement, l'assassin avait avouť son crime. Au cours de l'information, et dans des circonstances que le rapport fait connaÓtre, nous avons ťtť chargťs, M. le Dr Motet et moi, de constater l'ťtat mental du prťvenu. ņ la suite d'un examen minutieux, nous avons dťclarť M... responsable de ses actes. Le jury a rapportť un verdict de culpabilitť, en accordant les circonstances attťnuantes. M... a ťtť condamnť aux travaux forcťs ŗ perpťtuitť. Le 20 avril 1878, ŗ 1 heure de l'aprŤs-midi, un homme, la tÍte nue, sort en courant d'une boutique de la rue Saint-Lazare, nį 50; presqu'au mÍme instant, un autre homme sort de la mÍme boutique, pousse le cri: _ArrÍtez-le! assassin!_ chancŤle, et tombe sur le trottoir. On arrÍte immťdiatement celui qui fuyait, c'ťtait M..., marchand brocanteur, locataire de la boutique nį 50. On s'approche de l'homme qui ťtait tombť; il ťtait couvert de sang; on le relŤve et on le transporte dans une pharmacie voisine oý il expire presqu'aussitŰt. C'ťtait S..., garÁon de recettes de la Sociťtť gťnťrale. Le concierge de la maison de la rue Saint-Lazare, nį 50, attirť par le bruit, vient dans la rue, voit un attroupement, y va, et reconnaÓt son locataire M... que des gardiens de la paix emmenaient au commissariat de police; il l'y suit, et lŗ lui dit: Malheureux, qu'avez-vous fait? M... rťpond d'abord: ęMa femme et mes enfantsĽ. Puis, ęJ'avais besoin d'argentĽ. Quatre heures plus tard, interrogť par M. le juge d'instruction, M... ęreconnaÓt qu'il frappť S... avec le couteau qu'on lui reprťsente,Ľ et il ajoute: ęJ'ťtais dans le besoin, ayant des dettes; privť de l'argent nťcessaire pour payer mon loyer ťchu depuis le quinze de ce mois, j'ai vu passer le nommť S..., garÁon de recettes, que je ne connaissais pas; je l'ai priť d'entrer chez moi pour me donner la monnaie de billets que je n'avais pas. AprŤs Ítre entrť, S... a fermť la porte de mon magasin; je lui ai demandť, je crois, la monnaie de mille francs; pendant qu'il ťtait en train de la compter sur mon petit bureau, je suis allť dans ma cuisine chercher le couteau que vous me reprťsentez, et je suis revenu prŤs de S..., et, sans rien dire, je lui ai portť le coup qui lui a donnť la mort. ęJe n'ai fait entrer S... chez moi que pour le voler et me procurer l'argent dont j'avais besoin. Quand j'ai vu S... tomber sur les tapisseries qui ťtaient au milieu de mon magasin, j'ai ouvert ma porte, et je me suis sauvť.Ľ Telles sont les circonstances dans lesquelles a ťtť commis l'assassinat dont M... est inculpť; telle a ťtť l'attitude, telles ont ťtť les dťclarations de M..., au moment mÍme de l'assassinat, et dans les premiŤres heures qui l'ont suivi ces dťclarations, il les a renouvelťes et les a mÍme complťtťes au cours de l'instruction. AprŤs avoir dit que la pensťe de tuer S... pour le voler lui ťtait venue ŗ l'esprit au moment oý il avait aperÁu le garÁon de recettes dans la rue, il a avouť qu'il avait formť ce projet depuis quelques jours, poussť qu'il ťtait par son besoin d'argent, et par la nťcessitť de s'en procurer ŗ tout prix pour ťviter les poursuites et la saisie. Dans les dťpositions des tťmoins, dans le langage et la tenue de M..., rien n'ťtait apparu qui fŻt de nature ŗ faire suspecter l'intťgritť de la raison de l'inculpť; ses rťponses avaient toujours ťtť nettes et prťcises; ses aveux ťtaient complets; il n'allťguait aucune excuse, aucune circonstance attťnuante. L'information touchait donc ŗ son terme, lorsque la femme de M... apporta au magistrat-instructeur une note dans laquelle elle affirmait qu'a des ťpoques, dťjŗ assez ťloignťes d'ailleurs, son mari avait donnť des signes de trouble mental dont elle n'avait jamais parlť ni ŗ lui ni ŗ d'autres, et qu'elle croyait de son devoir de faire connaÓtre ŗ la justice: une premiŤre fois, il y a neuf ans, M... avait ťtť pris d'une attaque; il se serait mis ŗ courir dans le jardin avec un panier qu'il s'ťtait attachť au corps; puis, il serait tombť comme une masse se dťbattant un moment, et serait restť par terre environ une demi-heure sans qu'on pŻt le relever; avec l'aide de voisins, on l'aurait portť dans sa chambre, oý il se serait agenouillť devant le lit de ses enfants en pleurant et en leur demandant pardon. Le lendemain, il serait restť abattu, ne se rappelant rien, et on ne lui en avait pas parlť pour ne pas lui faire de la peine. Second fait: En 1875, ŗ Dieppe, M... se serait mis ŗ bousculer des caisses ťnormes dans son magasin, il aurait saisi un grand couteau qui se trouvait accrochť ŗ une planche de la cuisine, et s'en serait donnť un coup dans la poitrine, si sa femme n'avait pu saisir le couteau ŗ temps; elle se serait ensuite sauvťe avec ses enfants, en poussant un cri qui avait attirť un passant auquel elle aurait dit, comme explication, que c'ťtaient des caisses qui avaient failli les ťcraser. Dans une troisiŤme occasion, au mois de dťcembre 1877, ťtant allť sur la tombe de sa mŤre qu'il aimait tendrement, au moment de se recueillir, il se serait mis ŗ rire avec une physionomie ťgarťe. Enfin, ťtant en bateau avec son fils, il aurait fait des contorsions et des mouvements saccadťs qui auraient effrayť l'enfant, au point que celui-ci n'aurait plus aimť ŗ sortir seul avec son pŤre. C'est alors que nous avons ťtť chargťs d'examiner l'ťtat mental de M... Pour que cet examen fat complet, nous ne nous sommes pas bornťs ŗ rechercher si les faits allťguťs par la femme M... s'ťtaient passťs comme elle le prťtendait, s'ils avalent prťsentť le caractŤre qu'elle leur donnait, si on pouvait les rattacher ŗ un ťtat morbide se manifestant par accŤs, et, comme consťquence, si l'acte du 20 avril pouvait avoir quelque analogie d'origine avec les actes qui avaient eu lieu notamment en 1869 et 1875; nous avons ťtudiť M..., ses antťcťdents de famille, ses antťcťdents personnels, son caractŤre, ses penchants, ses goŻts, ses habitudes, et nous avons cherchť ŗ bien prťciser quel ťtait son ťtat mental ŗ l'ťpoque oý a eu lieu le meurtre dont il est inculpť. M... est fils d'un pŤre qui vit encore et qui n'a jamais ťtť atteint de troubles cťrťbraux; il a perdu sa mŤre, il y a dix-huit mois; elle a succombť ŗ une affection organique de l'estomac; elle ťtait, dit-on, peu intelligente, se laissait absolument dominer par son mari, mais son infťrioritť mentale n'ťtait pas telle qu'il y ait lieu d'en tenir compte comme prťdisposition hťrťditaire. Un cousin germain de M..., ‚gť de 22 ans, est ťpileptique. M... est ‚gť de 41 ans, de taille moyenne, bien constituť, et de tempťrament nerveux. D'un caractŤre trŤs-vif, il ťtait cependant d'humeur facile dans son intťrieur, plein d'affection pour sa femme et ses enfants. Rťputť trŤs-habile connaisseur en objets d'art, c'ťtait chez lui une vťritable passion, et jadis il lui est parfois arrivť de s'imposer des privations pour devenir possesseur d'un tableau qu'il dťsirait. D'habitudes sombres, sa grande distraction ťtait la promenade sur la riviŤre. Dans notre premiŤre entrevue, il nous dit qu'il jouit d'une excellente santť; que depuis une fiŤvre typhoÔde qu'il a eue vers l'‚ge de 15 ans, et dont il s'est rťtabli rapidement, il ne se rappelle pas avoir ťtť malade, qu'il a seulement de temps en temps des maux de tÍte, de courte durťe, mais jamais ni ťtourdissements, ni vertiges, ni pertes de connaissance, qu'autrefois il avait quelques douleurs de rhumatisme, mais qu'il n'en a pas souffert l'hiver dernier. Interrogť sur la disposition d'esprit dans laquelle il ťtait ŗ l'ťpoque du meurtre, il nous rťpond qu'il ťtait triste et prťoccupť parce qu'il se voyait dans l'impossibilitť de faire face ŗ ses engagements; il n'avait pas pu payer le terme du 15 avril, et il demandait des remises de jour en jour. Le 19, il ťtait moins tourmentť, nous dit-il, parce qu'il espťrait faire une vente dans la matinťe du 20; il avait bien dormi, et ťtait venu de bonne heure ŗ Paris, comptant sur un acheteur qui devait le tirer d'embarras, mais le client espťrť ne se prťsenta pas; M... avait promis de payer son terme dans la journťe, et il n'en avait pas l'argent. C'est alors que voyant venir le garÁon de recettes, il eut, nous dit-il, la pensťe de le faire entrer dans sa boutique, sous prťtexte de lui demander de la monnaie, et avec l'intention de le tuer pour le voler. Telles sont exactement les premiŤres rťponses que M... nous fit. Il ne nous avait rien dit des faits mentionnťs par sa femme; mais comme il ťtait allťguť, au moins pour un de ces faits que M... ne se l'ťtait pas rappelť, et qu'on ne lui en avait pas parlť; avant d'interroger de nouveau M... nous voulŻmes entendre sa femme. Elle nous rťpťta ce que contient sa note ťcrite et qui est reproduit plus haut. Elle ajouta qu'il ťtait tombť deux fois ŗ l'eau. Nous lui avons demandť en outre si son mari n'avait pas quelquefois urinť au lit la nuit sans s'en apercevoir et s'il ne se plaignait pas d'ťtourdissements. Elle nous rťpondit qu'elle se souvenait qu'il avait urinť une fois au lit, et qu'il s'ťtait plaint quelquefois d'ťtourdissements. Lorsque nous revÓmes M..., notre but principal ťtait de bien constater s'il n'avait aucun souvenir des faits dont sa femme nous avait informťs, et nous dirons tout de suite que si M... n'en avait gardť aucune trace dans la mťmoire, ces faits auraient eu, ŗ nos yeux, une valeur que ne leur ont pas laissťe les explications qu'il nous a donnťes dans la seconde conversation que nous avons eue avec lui. Voici, en effet, ce que M... nous a dit dans cette seconde conversation: ęJe me souviens trŤs-bien d'avoir eu un malaise ŗ Argenteuil; c'ťtait ŗ la suite d'une discussion avec ma femme. Je me suis mis en colŤre (je suis assez vif); je suis restť par terre dans le jardin pendant quelque temps, mais je n'ai pas ťtť malade ŗ la suite de cela; je suis venu le lendemain ŗ Paris comme d'habitude. ęQuant ŗ l'affaire de Dieppe, je m'en souviens trŤs-bien aussi. C'ťtait ŗ cause d'un objet que j'avais achetť. Ma femme m'a reprochť de l'avoir payť trop cher; il y a eu une discussion; j'ai eu une scŤne avec ma femme, et, dans un mouvement de vivacitť, j'ai brisť diffťrentes choses, et j'ai voulu me frapper avec un couteau. Cela a attirť du monde dans la maison, et, pour ne pas dire ce qui en ťtait, on a dit que je voulais mettre des caisses en ordre et que j'ťtais tombť. Je me rappelle trŤs-bien maintenant. ęVous me demandez si j'ai eu des ťtourdissements lorsque je suis tombť ŗ l'eau. Une fois, je suis tombť en retirant l'ancre de mon canot; j'ai fait un faux mouvement; une autre fois, il faisait grand vent, mon canot a chavirť.--J'ai eu de la peine ŗ gagner le bord, parce que le courant ťtait trŤs-fort, que j'avais des bottes et un vÍtement trŤs-ťpais; j'ťtais ťpuisť en arrivant sur la berge; c'ťtait un accident. Quant ŗ avoir urinť au lit la nuit, il me semble bien qu'on m'a dit un jour qu'on avait du faire sťcher mes draps que j'avais mouillťs.Ľ Nous interrogeons alors de nouveau M. sur les circonstances dans lesquelles s'est accompli le meurtre dont il est inculpť. Il nous avoue qu'il avait des dettes qu'il ne pouvait acquitter, qu'il avait promis le jeudi 18, ŗ deux de ses crťanciers de leur donner un fort ŗ-compte le surlendemain, 20 avril, et qu'il s'ťtait en outre engagť ŗ payer le mÍme jour son propriťtaire; que c'est la nťcessitť absolue de se procurer de l'argent qui lui a inspirť la pensťe de ce qu'il a fait, qu'il n'a d'abord pensť qu'a s'emparer de l'argent, aprŤs avoir tuť l'homme, et qu'il aurait songť plus tard ŗ se dťbarrasser du cadavre. ņ ce qu'il nous avait dťjŗ dit, il ajoute qu'il se rappelle avoir rencontrť le matin un de ses amis sur le boulevard, mais qu'il ne se souvient pas bien de leur conversation, qui a ťtť trŤs-courte; il nous parle de la visite qu'il a faite en arrivant chez lui au concierge de la maison, et de sa promesse de payer son terme dans la journťe; il nous raconte tous les dťtails du meurtre, la lutte qu'il a eue avec S..., et comment, saisi de frayeur, il s'est sauvť dans la rue. Ses souvenirs sont trŤs-prťcis, et il nous a donnť toutes ces explications, simplement, sans efforts et presque sans rťticences. Les dťclarations et les aveux de M... constituent un ensemble de circonstances et de faits qui ne comportent pas l'existence, le jour oý a eu lieu l'acte incriminť, d'un trouble de l'intelligence, si subit et si passager qu'il eŻt pu Ítre, et qui prouvent, au contraire, que M... ťtait en pleine possession de ses facultťs, maÓtre de ses dťterminations, et non dominť par une influence morbide irrťsistible. AprŤs les dťclarations de la femme M..., c'ťtait cette influence morbide qu'il ťtait de notre devoir de rechercher, et les faits qui nous ťtaient rťvťlťs et prťsentťs avec une apparition soudaine, imprťvue, une ťvolution rapide, suivis d'une perte complŤte de mťmoire, nous indiquaient suffisamment dans quelle voie devaient Ítre dirigťes nos investigations. Les ťpileptiques seuls ont de ces crises qui se bornent parfois ŗ des actes excentriques et bizarres, qui dťterminent d'autres fois des scŤnes de violence, et qui n'aboutissent que trop souvent ŗ des meurtres. Nous devions donc examiner scrupuleusement quel aurait ťtť le vťritable caractŤre des accŤs qui nous ťtaient signalťs, si anciens qu'ils fussent, si rares et si ťloignťs les uns des autres qu'ils eussent ťtť. C'est M... qui nous a donnť lui-mÍme les explications dont il ne soupÁonnait pas l'importance et qui rťduisent ťnormťment la valeur des troubles passagers qu'il aurait ťprouvťs en 1869 et en 1875. Mais, en admettant mÍme que ces troubles aient eu l'importance qu'on voudrait leur attribuer, ils n'ont certainement exercť aucune influence notable sur les facultťs intellectuelles de M..., et on ne saurait trouver dans les circonstances oý a ťtť accompli le meurtre dont il est inculpť aucun des caractŤres que l'on observe dans les homicides commis par les ťpileptiques. Les ťpileptiques meurtriers appartiennent en effet ŗ trois classes distinctes: Les uns, soit avant, soit aprŤs une attaque convulsive ou simplement vertigineuse, sont pris tout ŗ coup d'un accŤs de fureur aveugle, et poussťs par une force irrťsistible, se prťcipitent, frappent au hasard le premier venu, et le tuent, puis, tombent dans un anťantissement profond, et ne se rappellent pas ce qu'ils ont fait. Ils ne savent ni pourquoi ils ont frappť, ni qui ils ont tuť. Chez d'autres ŗ crise non convulsive, l'impulsion n'ťclate pas aussi soudainement et n'est pas aussi rapide dans son ťvolution; ceux-ci hťsitant, luttent contre l'entraÓnement qui les sollicite, semblent combiner leur agression, et en rťalitť ne font que parcourir en quelques heures les phases de l'accŤs qui doit aboutir ŗ l'acte de violence. D'autres enfin, en dehors des attaques ťclamptiques, ont subi une perversion mentale qui s'ťtablit et devient permanente. Ils repassent incessamment dans leur esprit troublť les conceptions dťlirantes qui les dominent, ils dťlibŤrent longtemps et patiemment, et n'en arrivent ŗ l'acte que lorsque la congestion cťrťbrale, reconnaissable ŗ ses signes habituels, a acquis une intensitť suffisante pour dťterminer la violence terminale. Nous n'avons rien observť chez M... qui put le faire rattacher ŗ une de ces classes de malades. D'aprŤs ses propres dťclarations et ses aveux, il a ťtť poussť, dans l'acte dont il est inculpť, par des mobiles parfaitement raisonnťs; il avait besoin d'argent, et ne savait oý en trouver; il a prťmťditť et combinť le moyen auquel il a eu recours pour s'en procurer. L'avant-veille et la veille, et le matin mÍme du jour du meurtre, il n'a pas eu l'esprit troublť; il se rappelle tout ce qu'il a fait, sauf peut-Ítre les dťtails exacts d'une conversation avec un de ses amis, mais cette lťgŤre lacune dans ses souvenirs peut Ítre facilement expliquťe par la prťoccupation oý il ťtait. Il se souvient ťgalement de tous les dťtails de l'accomplissement du meurtre, et des circonstances qui l'ont suivi. On est donc lŗ en prťsence d'un acte rťflťchi, voulu, et qui n'a offert, ŗ aucun moment, le caractŤre des impulsions irrťsistibles, ou provoquťes, par des conceptions dťlirantes. En consťquence de tout ce qui prťcŤde, nous concluons que: 1į Le 20 avril 1878, M... (Louis-Adolphe), ťtait dans un ťtat mental qui lui laissait le libre exercice de sa volontť et la conscience de ses actes. 2į Les troubles passagers de l'intelligence que M... aurait prťsentťs en 1869, en 1875 et en 1877, n'ont pas pour nous l'importance que la femme M... semble leur donner. En admettant mÍme que M... eŻt ťtť atteint ŗ plusieurs reprises d'incontinence nocturne des urines, il n'est pas dťmontrť qu'elle puisse Ítre rattachťe ŗ des accŤs de mal comitial. Nous ne pensons pas que des accidents aussi rares, sťparťs par des intervalles aussi longs, dont M... a conservť le souvenir, dont il donne une explication acceptable, et auxquels manquent la plupart des caractŤres habituels des attaques convulsives ou vertigineuses, aient pu avoir une influence sur ses facultťs intellectuelles. 3į En consťquence, M... (Louis-Adolphe) doit Ítre considťrť comme responsable des actes dont il est inculpť. Paris, le 27 mai 1878. Signť: A. MOTET, …. BLANCHE. End of the Project Gutenberg EBook of Des homicides commis par les aliťnťs, by Emile Blanche *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK DES HOMICIDES COMMIS PAR LES *** ***** This file should be named 26353-8.txt or 26353-8.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: https://www.gutenberg.org/2/6/3/5/26353/ Produced by Mireille Harmelin, Eric Vautier and the Online Distributed Proofreaders Europe at http://dp.rastko.net. 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55,351 words • 922h 31m read

— End of Des homicides commis par les aliénés —

Book Information

Title
Des homicides commis par les aliénés
Author(s)
Blanche, Émile
Language
French
Type
Text
Release Date
August 18, 2008
Word Count
55,351 words
Library of Congress Classification
BF; HV
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