Project Gutenberg's Des homicides commis par les aliťnťs, by Emile Blanche
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Title: Des homicides commis par les aliťnťs
Author: Emile Blanche
Release Date: August 18, 2008 [EBook #26353]
Language: French
Character set encoding: ISO-8859-1
*** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK DES HOMICIDES COMMIS PAR LES ***
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DES HOMICIDES COMMIS PAR LES ALI…N…S
PAR
LE DOCTEUR …. BLANCHE
MEMBRE DE L'ACAD…MIE DE M…DECINE, DE LA SOCI…T… M…DICO-PSYCHOLOGIQUE ET
DE LA SOCI…T… DE M…DECINE L…GALE.
Non quod fieri debet
Non quod fieri potest
Sed quod fieri solet.
STOLL.
PARIS
LIBRAIRIE DE P. ASSELIN
Place de l'…cole-de-Mťdecine.
Lorsqu'il s'agit de juger un criminel, la premiŤre pensťe qui vienne ŗ
l'esprit, c'est que la gravitť du crime qu'il a commis doit correspondre
au degrť de sa dťpravation morale.
Lorsqu'un aliťnť commet un attentat, le premier sentiment est ťgalement
que le dťlire doit Ítre conforme et proportionnť ŗ la violence de
l'acte.
Dans le premier cas, cette impression sommaire n'est pas toujours
justifiťe par l'ťtude ultťrieure des mobiles auxquels le coupable a
cťdť; dans le second, elle est absolument contraire ŗ l'observation des
faits, et la gravitť de l'attentat commis par l'aliťnť est le plus
souvent en proportion inverse de l'ťtendue du trouble intellectuel dont
il est atteint.
Le mťmoire que j'ai l'honneur de soumettre ŗ l'Acadťmie a pour objet
d'indiquer les rapports des actes accomplis par les aliťnťs, et qui chez
un homme responsable s'appellent des crimes, avec les formes
d'aliťnation dans le cours desquelles ces actes sont survenus.
C'est un chapitre dťtachť de l'histoire des Folies dangereuses. Pour
rendre l'exposť plus simple et plus clair, il ne sera question ici que
des aliťnťs qui tuent, mais ces considťrations pourraient s'appliquer
aussi aux fous qui incendient et ŗ ceux qui volent.
Si on admet l'existence d'une monomanie homicide, la question devient
relativement facile ŗ ťtudier. Les impulsions dťlirantes sont continues,
elles concordent avec les conceptions qui semblent les avoir inspirťes.
Le mťdecin averti a l'attention ťveillťe, et le jour oý le malade passe
de l'idťe ŗ l'acte, le seul ťtonnement qu'il soit en droit d'ťprouver,
c'est que l'attentat se soit fait attendre si longtemps.
Si au contraire l'homicide, au lieu d'appartenir exclusivement ŗ une
espŤce, peut Ítre accompli par des aliťnťs reprťsentant des types variťs
de la maladie, si la violence peut ťclater ŗ l'improviste ou Ítre
prťparťe par de longues hťsitations, si elle rťsulte aussi bien de la
mťlancolie anxieuse et sombre que de l'excitation maniaque, il importe
de rechercher comment et ŗ quelles conditions ces ťtats dissemblables
peuvent aboutir ŗ la mÍme consťquence.
Il m'a paru que le meilleur mode d'investigation ťtait de passer en
revue les formes d'aliťnation oý l'homicide se produit le plus souvent;
j'espŤre dťmontrer ainsi que des malades diffťrents les uns des autres
pour le mťdecin qui se borne ŗ constater les idťes dťlirantes
prťdominantes, peuvent offrir des analogies saisissantes ŗ l'observateur
qui pťnŤtre plus avant dans l'analyse de la maladie.
Le dťlire de persťcution est certainement celui oý la tendance ŗ
l'homicide semble le plus logiquement commandťe; l'aliťnť est sous le
coup d'une pression irritante ou terrible; ses ennemis l'obsŤdent, sans
qu'il ait fourni le plus lťger prťtexte ŗ leur hostilitť, ils
s'acharnent contre lui, le calomnient, le menacent, l'empÍchent de jouir
de la vie, s'il est riche, de gagner son pain, s'il est pauvre; ses
nuits sont troublťes par les propos injurieux des voisins, ses journťes
s'ťcoulent dans les mÍmes angoisses; tous les moyens sont bons ŗ ses
persťcuteurs qui disposent de ressources mystťrieuses, qui, non contents
de le perdre au dehors, pťnŤtrent jusque dans l'intimitť de sa pensťe,
le forcent ŗ vouloir ce qu'il ne voudrait pas, et ne lui accordent pas
une heure de rťpit.
En pareil cas, il semble que le meurtre s'excuse par les droits de la
lťgitime dťfense, et il n'est pas un de nous qui, se reprťsentant par la
pensťe une situation si douloureuse, ne se demande s'il ne se
dťlivrerait pas ŗ tout prix d'une telle angoisse.
Et cependant, ce n'est pas parmi les persťcutťs que se rencontrent le
plus grand nombre d'aliťnťs homicides. Pourquoi? C'est parce qu'avant de
subir l'entraÓnement qui dťtermine les attentats contre les personnes,
il faut qu'il intervienne un ťlťment nouveau. Les persťcutťs inertes,
rťsignťs ŗ leur sort, n'ont pas l'ťnergie de commencer la lutte; c'est
souvent en souriant qu'ils racontent leurs infortunes auxquelles ils
ťchappent par la fuite, si mÍme ils essaient de s'y soustraire.
On trouve ŗ cŰtť, et comme types tout diffťrents, des malades atteints
du mÍme dťlire de persťcution, mais sujets ŗ des exaltations critiques.
Calmes habituellement, ils s'excitent, sans autre cause qu'une
modification cťrťbrale dont ils n'ont pas conscience. Ces attaques se
rťpŤtent plus ou moins, avec des durťes variables et surtout des
intensitťs inťgales.
Quand la crise est peu accentuťe, elle se traduit par un besoin de
mouvement ou par une anxiťtť vague; plus elle augmente, plus elle
devient menaÁante; si une circonstance quelconque l'arrÍte dans son
ťvolution, les aliťnťs ne sont qu'inquiťtants, ils restent inoffensifs;
mais si la crise atteint son paroxysme, ils vont jusqu'ŗ l'acte, et se
vengent ou se prťservent d'un danger imaginaire en frappant celui qu'ils
supposent Ítre l'auteur de leurs maux. Chez les uns, la crise se
manifeste sous une forme visible, traduite par les gestes et les
paroles; chez les autres, elle se dissimule sous une agitation latente
qui couve sans ťclater. Quel que soit le mode d'expression, le fond est
le mÍme. L'excitation cťrťbrale ťteinte, les malades rentrent dans la
passivitť et cessent d'Ítre dangereux, jusqu'au retour, souvent possible
ŗ prťvoir, de commotions semblables. L'homicide est provoquť par une
impulsion soudaine en apparence, mais prťparťe en rťalitť, par
l'accroissement des phťnomŤnes d'irritation encťphalique, et destinťe ŗ
s'effacer si l'occasion a fait dťfaut, ou si le calme est revenu.
Les alcooliques, et ils sont presque tous, ŗ de certains moments et ŗ
des degrťs divers, des persťcutťs, fournissent l'exemple le plus complet
de ces ťbranlements critiques; eux aussi sont tourmentťs par des
ennemis; au lieu de les entendre, ils les voient; on ne se contente pas
de les obsťder, on en veut ŗ leur vie. Toujours agitťs, ils le
deviennent ŗ l'excŤs sous l'influence d'un progrŤs de l'intoxication;
intermittente, nocturne ou diurne, et d'autant plus marquť qu'il se
continue le jour et la nuit.
La maladie procŤde lŗ, et c'est sa loi pathologique, par accŤs de courte
durťe en gťnťral; l'homicide est une des consťquences ordinaires et
faciles ŗ prťvoir de cette marche du mal; tout le monde sait comment il
s'accomplit; l'alcoolique, errant, incertain de sa direction matťrielle
et morale, torturť par des hallucinations terrifiantes, frappe ŗ la
maniŤre des bÍtes fauves quand la peur les envahit.
Il existe incontestablement des persťcutťs non intoxiquťs qui ont par
intervalles des affinitťs avec les alcoolisťs persťcutťs.
L'hallucination de la vue se mÍle chez eux avec celle de l'ouÔe, parfois
elle la domine, donnant ainsi la preuve d'une excitation cťrťbrale plus
vive. Sous la pression de cette poussťe congestive, ils se transforment,
et franchissent l'intervalle de la passivitť ŗ l'activitť et par
consťquent de la pensťe ŗ l'acte.
Quand on cherche ŗ quel degrť un malade peut Ítre dangereux, on doit
l'ťtudier au point de vue tout spťcial de ces crises si mobiles,
d'aspect si variť, mais pourtant possibles ŗ reconnaÓtre lorsqu'on s'y
applique attentivement.
Les ťpileptiques que tant de symptŰmes analogues rapprochent des
alcooliques, en dehors de l'attaque, les ťpileptiques deviennent souvent
des meurtriers. L'analyse des troubles cťrťbraux par lesquels ils
passent fournit les mÍmes donnťes, sans qu'on soit autorisť ŗ dire que
l'impulsion obťit ŗ des rŤgles prťcises.
Quelques exemples tirťs surtout de l'ťtude des faits judiciaires
permettent de signaler les procťdťs les plus habituels par lesquels
l'homicide est accompli.
Dans une premiŤre catťgorie, on peut ranger les ťpileptiques impulsifs
qui, l'oeil ardent, le visage en feu, la vue troublťe, ŗ peine assez
conscients de leurs actes pour les mener ŗ fin, se prťcipitent sur le
passant inconnu, le couteau, le marteau ou le b‚ton ŗ la main, et le
tuent, si le hasard ne permet pas qu'il ťchappe ŗ cet assaut inattendu.
ņ une seconde classe appartiendraient les ťpileptiques ŗ crise non
convulsive, latente, prolongťe, qui ťpient et semblent combiner leur
agression, mais qui, en rťalitť, ne sont pas encore arrivťs au point oý,
selon l'expression de M. le professeur LasŤgue, ils seront mŻrs pour la
violence; ce sont ceux qu'on voit se promener pendant des heures avant
d'agir, ŗ l'aspect ťtrange plutŰt qu'effrayant, et doublement dangereux
parce qu'ils sont demi-maÓtres d'eux-mÍmes.
Dans une troisiŤme division se placent les ťpileptiques ŗ petit mal,
chez lesquels, en dehors des attaques ťclamptiques, il s'est produit une
perversion mentale durable. Ceux-ci, les plus redoutables de tous,
agissent en vertu d'une dťlibťration poursuivie, patiente, et ne faisant
explosion que si l'ťtat congestif du cerveau, manifestť par ses signes
habituels, a acquis une intensitť suffisante pour dťterminer la violence
terminale.
C'est ťgalement ŗ un entraÓnement devenu irrťsistible que cŤdent
certains aliťnťs suicides qui tuent pour Ítre tuťs; ils ont souvent fait
sur eux-mÍmes de nombreuses tentatives qui ont plus ou moins approchť du
but; enfin arrive le moment oý l'impulsion est plus forte que leur
rťsistance, et ils commettent un meurtre. Il n'y a pas ŗ tenir compte
des mobiles qu'ils allŤguent aprŤs coup pour expliquer leur acte; en
rťalitť, ils ont obťi ŗ une impulsion produite par une surexcitation
cťrťbrale momentanťment plus intense et dont ils n'ont pas eu
conscience.
Dans d'autres conditions pathologiques, un homme, sous le coup d'une
lťsion cťrťbrale chronique, est sujet ŗ des exacerbations plus ou moins
passagŤres et qui rentrent dans les conditions aiguŽs de l'ťpilepsie et
de l'alcoolisme.
En fait, il n'est ni un buveur, ni un comitial, mais dŻt-il, dans ses
intervalles rťputťs lucides, n'avoir jamais ťnoncť une conception
dťlirante, le jour oý l'accŤs aigu ou subaigu se produit, il se
dťveloppe en lui une aptitude transitoire aux plus terribles attentats.
Les malades de cette espŤce ne sont pas rares, et ce sont eux qui crťent
les plus grandes difficultťs aux mťdecins consultťs par la justice. Pour
comprendre la marche et la nature de leur maladie, pour oser les
exonťrer d'une responsabilitť qui semblerait si justifiťe, il faut se
reprťsenter l'ťvolution des impulsions homicides dans les cas oý
l'aliťnation remplit les intervalles qui sťparent les crises; on voit
alors que les symptŰmes sont les mÍmes, et que l'ťtat continu, uniforme,
du trouble mental, occupant une place restreinte, n'a qu'une valeur
secondaire.
Quelques observations choisies parmi les faits les plus intťressants
qu'il m'a ťtť donnť d'observer pendant ma longue carriŤre de mťdecin
d'aliťnťs et de mťdecin lťgiste prouvent qu'il ne s'agit pas d'une visťe
plus ou moins ingťnieuse de l'esprit. Ces faits, classťs dans l'ordre
que je viens de suivre, serviront de piŤces ŗ l'appui et d'arguments ŗ
la dťmonstration.
J'aurais craint d'abuser de la bienveillante attention de l'Acadťmie en
rapportant ici ces observations, et je me suis bornť ŗ donner les
conclusions auxquelles elles conduisent.
En rťsumť, il n'existe pas de forme spťciale d'aliťnation mentale qui
doive porter le nom de Monomanie homicide.
L'homicide peut Ítre commis par des aliťnťs atteints d'affections
mentales diverses, ŗ la condition que les malades soient sujets ŗ des
crises d'excitation dite congestive assez intenses pour qu'ils n'en
restent pas ŗ la pensťe et qu'ils en viennent ŗ l'acte.
Ces crises, d'intensitť et de durťes variables, s'accusent par des
signes qui doivent ťveiller la dťfiance. Lors mÍme qu'elles se
dissiperaient sans avoir abouti ŗ un meurtre ou ŗ des violences graves,
le devoir du mťdecin est de se tenir sur ses gardes.
L'alcoolisme et l'ťpilepsie reprťsentent les maladies ŗ perversions
mentales dans lesquelles on observe le plus communťment l'invasion de
ces crises portťes ŗ leur plus grande puissance; ce sont aussi les
espŤces oý on voit le plus souvent survenir les homicides; le dťlire de
persťcution et la monomanie suicide en offrent ťgalement des exemples
assez frťquents.
Enfin, des malades atteints d'affections cťrťbrales congťnitales ou
acquises, caractťrisťes d'abord par des accidents physiques et plus tard
par des troubles plus ou moins vagues du caractŤre ou de l'intelligence,
peuvent Ítre disposťs ŗ subir des crises d'excitation, et ŗ commettre,
sous cette influence passagŤre, des meurtres ou des actes de violence en
dťsaccord avec leur ťtat pathologique pendant les longues intermissions
qui sťparent les crises.
D…LIRE DE PERS…CUTION.--ILLUSIONS DES SENS.--TENTATIVE DE MEURTRE SUR UN
ECCL…SIASTIQUE.--IRRESPONSABILIT….
Nous soussignťs, docteurs en mťdecine de la Facultť de Paris,
commis le 13 septembre 1871, par une Ordonnance de M. Blain des
Cormiers, juge d'instruction prŤs le Tribunal de premiŤre instance
du dťpartement de la Seine, ŗ l'effet de constater l'ťtat mental de
la nommťe C... (Anne-Josťphine), inculpťe d'avoir, ŗ Paris, le 6
aoŻt 1871, commis une tentative d'assassinat sur la personne de M.
l'abbť B...; aprŤs avoir prÍtť serment, consultť les piŤces du
dossier, recueilli tous les renseignements de nature ŗ nous
ťclairer, et visitť la prťvenue ŗ diffťrentes reprises, avons
consignť, dans le prťsent Rapport, les rťsultats de notre examen:
La fille C... est nťe en Belgique; ‚gťe d'environ 48 ans, elle est
douťe d'une constitution robuste; une surditť assez prononcťe est
la seule infirmitť dont elle soit atteinte. Si l'on s'en rapporte
aux renseignements qu'elle donne sur ses antťcťdents, il n'y aurait
pas eu d'aliťnťs dans sa famille; son pŤre est mort ŗ 80 ans; sa
mŤre a succombť ŗ la suite d'un accouchement.
Les antťcťdents tels que le dossier nous les fait connaÓtre sont
les suivants. La fille C... a ťtť condamnťe pour vol en 1855, ŗ
cinq ans de prison. ņ l'expiration de sa peine, elle est revenue ŗ
Paris, et, depuis cette ťpoque, plus particuliŤrement dans ces
derniŤres annťes, elle a menť une existence tourmentťe, sur
laquelle elle nous donne des renseignements prťcis. Les dťtails
dans lesquels elle est entrťe nous ont paru d'une trŤs-grande
importance dans l'apprťciation de son ťtat mental. Nous les
exposerons tels qu'ils se sont prťsentťs dans le long et minutieux
examen auquel nous avons soumis la fille C... Ses rťponses que nous
reproduirons textuellement, pour ne rien leur enlever de leur
caractŤre de sincťritť absolue, sont conformes ŗ celles qui ont ťtť
consignťes dans ses diffťrents interrogatoires; toutefois, elles
traduisent d'une maniŤre plus complŤte, plus fidŤle, les
prťoccupations, les conceptions dťlirantes de la fille C...
D. Depuis quand Ítes-vous ici?
R. Il y a un mois ŗ peu prŤs.
D. Pourquoi vous y a-t-on amenťe?
R. J'ai ťtť arrÍtťe parce que j'avais tirť deux coups de revolver
sur le curť de Montmartre pendant la grand'messe.
D. Que vous avait-il fait?
R. Messieurs, je vais vous dire; j'ai eu un malheur pendant que
j'ťtais domestique chez M. L..., j'ai volť de l'argent dans son
bureau, et j'ai ťtť condamnťe ŗ cinq ans de prison.
Quand je suis sortie de prison, j'avais pris de bonnes rťsolutions
de travailler; j'ai eu la bÍtise de me mettre dans la religion, et
ma cause a ťtť divulguťe; ce sont les prÍtres qui ont fait cela par
intťrÍt; alors tout le monde a su que j'avais volť.
D. Comment vous Ítes-vous aperÁue de cela?
R. Ce n'ťtait pas difficile; en chaire c'ťtait de moi qu'on
parlait.
D. Est-ce que vous avez entendu le prťdicateur vous dťsigner par
votre nom?
R. Non; quand il parlait de moi, il le mettait au masculin, ainsi
il disait les mots: forÁat, galťrien, en me montrant, et un jour il
me dit entre les dents: ęVous en avez assez.Ľ Il y a eu un
missionnaire, l'abbť M..., qui est venu prÍcher ŗ Montmartre; c'est
le premier sermon oý l'on s'est occupť de moi. Il a parlť de ęl'or
de CarthageĽ, c'ťtait pour moi qu'il disait cela, et comme une
autre fois le curť, dans un sermon, a dit: ęQu'on se trompait, si
l'on croyait que ceux qui volaient se corrigeaient tout ŗ coup,
qu'il leur fallait longtemps pour se corriger,Ľ j'ai cru que
c'ťtait lui qui avait divulguť ma cause et qui avait dit ŗ l'abbť
M... de faire son sermon sur moi.
D. Qu'est-ce que cela signifiait pour vous _l'or de Carthage_?
R. Cela signifiait que j'ťtais une voleuse, car on dit que les
Carthaginois ťtaient des voleurs,
D. Est-ce qu'on vous accusait aussi en dehors de l'ťglise?
R. Je crois bien, Messieurs, c'ťtait la mÍme chose ŗ l'atelier. Je
travaillais ŗ la maison G... Dans le commencement, cela allait
bien; les contre-maÓtres ťtaient bons pour moi d'abord; on me
donnait de l'ouvrage, et puis au bout de quelques jours on m'en
refusait par taquinerie. Quand j'arrivais ŗ l'atelier, c'ťtait
comme un enfer; j'ai ťtť bien malheureuse; pourtant le courage ne
me manquait pas, mais quand on est rťsolu ŗ bien faire, c'est un
martyre d'endurer ce que j'ai endurť. Chaque fois que j'y allais,
il y avait _des huťes, des gestes_.
D. Depuis quand?
R. C'est depuis que le curť est arrivť en 1867. Il voulait m'avoir.
D. Pourquoi voulait-il vous avoir?
R. Par intťrÍt. J'avais ŗ peu prŤs 1,200 francs d'ťconomies; j'ai
eu des difficultťs avec un vicaire ŗ ce sujet-lŗ; c'est de lŗ que
tout cela vient.
D. Monsieur le curť de Montmartre passe pour un excellent homme?
R. Oui, il passe pour un trŤs-brave homme, mais il est _pťtri de
perfidie_ ŗ mon endroit; c'est _une surfine canaille_.
D. Qu'est-ce qui vous a donnť la preuve qu'il s'occupait de vous?
R. Une fois, sur les buttes, je le rencontre; je le traite de
l‚che, de prÍtre indigne. Il me dit: ęNous allons vous faire
chaisiŤre.Ľ C'ťtait certainement ŗ moi qu'il s'adressait.
D. Est-ce que M. le Curť vous a toujours donnť sujet de vous
plaindre de lui?
R. Non, il y a eu un temps oý il avait encore des ťgards pour moi;
mais un dimanche, je me suis aperÁue que les ťlŤves d'un pensionnat
qui ťtaient ŗ cŰtť de moi ŗ l'ťglise se retournaient pour me
regarder pendant le sermon, elles avaient _l'air de me dire_:
ęC'est pour vous qu'on parle, vous faites trop de toilette.Ľ AprŤs,
elles m'ont laissťe tranquille. Elles avaient _l'air de dire_:
ęPuisqu'il ne faut pas la regarder, laissons-la.Ľ
D. Qu'est-ce qui a fait changer M. le curť?
R. Je crois que ce sont les marguilliers, le personnel rapace. Tous
se sont mÍlťs de me faire de petites taquineries. Ainsi, le gardien
du Calvaire avait dressť son chien ŗ courir aprŤs moi quand je
passais. La chaisiŤre disait au donneur d'eau bťnite, d'une voix
forte: ęHuez la donc.Ľ
D. Comment vous, qui Ítes un peu sourde, entendez-vous si bien ce
que l'on dit de vous?
R. On peut facilement distinguer. Les personnes qui sont sourdes,
quand elles regardent ceux qui parlent, comprennent facilement au
mouvement des lŤvres.
D. Alors vous pensez que c'ťtait le personnel de l'ťglise qui avait
indisposť le curť contre vous?
R. Le gardien du Calvaire surtout. Les vicaires aussi. Il y en
avait un, l'abbť J..., qui _me huait, me conspuait dans l'ťglise_.
Plus il y avait de monde, moins il se gÍnait; en passant ŗ cŰtť de
moi, il faisait: ęPschitt!Ľ en signe de mťpris. Un autre vicaire
encore davantage. Il venait se mettre ŗ cŰtť de moi, et il faisait
le signe de cracher. Je me suis plainte du donneur d'eau bťnite ŗ
l'ambassadeur belge. Il a ťtť conduit trois fois au violon, et,
comme il continuait, on a employť quelqu'un d'en haut pour le
surveiller; il a disparu pendant une journťe, et quand il est
revenu, il ťtait encore plus acharnť.
D. Comment en Ítes-vous venue ŗ la rťsolution de tuer M. le curť?
R. Je ne voulais pas le tuer, je voulais seulement le blesser, je
voulais tirer dans les fesses, parce que j'ai entendu dire que dans
les chairs ce n'est pas mortel. Je savais qu'on m'arrÍterait, que
je passerais aux assises, parce qu'il y aurait eu des journaux, et
que j'aurais pu faire connaÓtre que si j'ťtais venue une seconde
fois en prison, c'ťtait leur faute, aux curťs. Je voulais qu'on
voie bien clairement que c'est l'argent qui les fait agir.
D. Vous rappelez-vous ŗ quelle ťpoque vous avez conÁu le projet de
tirer sur M. le curť?
R. Il y a dťjŗ quelque temps, mais je lui avais pardonnť parce
qu'il avait trŤs-bien soignť son vieux pŤre. Je lui ai ťcrit ŗ ce
sujet lŗ.
D. Combien de temps avant cette tentative avez-vous achetť votre
revolver?
R. En 1860, c'ťtait pour me dťfendre des attaques d'un voisin qui
ne me laissait pas une minute de repos.
Il avait ameutť tout le quartier contre moi. Je n'osais plus sortir
de chez moi. On me traitait de voleuse, toujours ŗ cause des
prÍtres qui avaient divulguť ma cause.
J'ai quittť Paris, je me suis trouvťe ŗ Reischoffen, dans les
ambulances, puis j'ai ťtť ŗ Marseille; enfin, je suis revenue ŗ
Paris le 23 juillet dernier. J'avais ťcrit ŗ l'ambassade belge que
je donnais au curť de Montmartre jusqu'au 1er aoŻt pour me rendre
justice et me donner la place de chaisiŤre pour m'indemniser.
Le lundi, 6 aoŻt, je voulais tirer sur lui aux vÍpres, pas ŗ la
grand'messe, pour ne pas faire de scandale. Voilŗ que le dimanche,
le curť a fait la quÍte; je savais bien que ce n'ťtait pas ŗ lui de
la faire; il l'a faite par taquinerie; il est passť devant moi,
sans me prťsenter la bourse, il a fait exprŤs d'aller causer avec
des dames qui ťtaient ŗ cŰtť de moi. Alors moi, exaspťrťe, j'ai
pris mon revolver sous mon caraco, j'ai dťchargť mon coup sur lui.
J'ai ťtť trŤs-agitťe parce que ce n'ťtait pas le moment que j'avais
choisi; si j'avais eu le temps de me prťparer, j'aurais ťtť plus
calme.
D. Que s'est-il passť ensuite?
R. AprŤs, je n'ai pas dit une parole, je me recueillais, j'ťtais
convaincue qu'ils allaient me tuer.
D. Qui ęilsĽ?
R. Le suisse, le bedeau, qui s'ťtaient prťcipitťs sur moi.
D. Regrettez-vous ce que vous avez fait; Ítes-vous inquiŤte de ce
qui peut vous arriver?
R. Non, je ne suis pas inquiŤte.
D. Vous nous disiez que vous aviez fait quelques ťconomies, vous
reste-t-il encore un peu d'argent?
R. J'ai tout dťpensť. Quand je suis allťe ŗ Marseille, j'avais
achetť une petite voiture et de la mercerie pour vendre dans les
rues; c'ťtait la mÍme chose qu'ŗ Paris; j'ai vu des personnes dans
la banlieue qui chuchotaient et disaient: ęIl ne faut rien lui
acheter.Ľ J'ai vu que cela venait encore des prÍtres. J'ai ťcrit au
curť pour le supplier de ne pas me montrer au doigt, il n'en a pas
tenu compte.
Je lui prťdisais malheur, il a continuť.
Quand je suis revenue, c'ťtait encore pire qu'avant. Ainsi, quand
j'allais faire mon heure d'adoration, il le savait, et venait tout
exprŤs dans l'ťglise pour me narguer. Je suis certaine qu'il avait
divulguť ma cause partout. Ainsi, ŗ Lyon, en venant par le chemin
de fer, j'ai trŤs-bien vu deux jeunes gens, sur le quai de la Gare,
qui ont chuchotť en me regardant, je me suis dit tout de suite: ęMe
voilŗ encore reconnue.Ľ Maintenant, je suis dťpouillťe, je n'ai
plus rien, et je ne peux plus trouver de travail nulle part.
D'abord on me reÁoit, puis deux ou trois jours aprŤs on me refuse.
C'est toujours la mÍme chose.
D. Vous nous avez parlť de votre condamnation, avez-vous ťtť prise
sur le fait?
R. Non, Monsieur, ce n'est que quelque temps aprŤs. J'avais pu m'en
aller en Belgique oý j'ai un frŤre officier.
Il est un peu fier, il ne m'a pas bien reÁue.
Je suis revenue ŗ Paris, et l'idťe m'est venue d'acheter des
vÍtements d'homme, puis de repartir pour la Belgique, habillťe en
homme. Je voulais aller dans le cafť oý il va d'habitude, je
l'aurais provoquť en lui jetant un verre de biŤre ŗ la figure. Mais
il y avait des agents ŗ la gare, ils ont regardť dans mon paquet
que j'avais laissť un moment, il y avait des vÍtements de femme;
quand je suis venue pour le prendre, ils m'ont arrÍtťe, c'est comme
cela que j'ai ťtť reconnue et passťe en jugement.
D. Pourquoi ne pas garder vos vÍtements de femme pour aller jeter
un verre de biŤre ŗ la figure de votre frŤre?
R. C'est que je ne voulais pas que dans le cafť on me prÓt pour sa
maÓtresse.
D. Avez-vous eu quelque liaison dans votre vie?
R. Jamais, Messieurs, je n'ai eu de rapports avec un homme; je n'ai
jamais aimť personne. On me faisait rougir rien qu'en me parlant
mariage. Ce n'ťtait pas dans mes idťes.
D. Vous nous dites que le curť avait indisposť tout le voisinage
contre vous par ses rťvťlations; vous poursuivait-on jusque dans
votre chambre?
R. Pas directement, mais ils cherchaient ŗ savoir ce que je faisais
chez moi.
Ils montaient sur la tour Solfťrino pour plonger dans ma chambre.
Ils se mÍlaient de tout. Je ne pouvais pas sortir sans qu'ils
soient ŗ me guetter.
Un soir, je rentrais avec un journal ŗ la main; l'abbť M... passe ŗ
cŰtť de moi, et il dit: ęVoilŗ-t-il pas qu'elle va lire le journal,
maintenant,Ľ et il fait un geste de mťpris. J'ai eu envie de lui
dire: ęEst-ce que je ne l'ai pas payť?Ľ Mais je me suis retenue
pour ne pas faire de discussion dans la rue. Je sais bien ce qu'ils
veulent ŗ prťsent. Ils vont faire tout ce qu'ils pourront pour
prouver que j'ai eu un accŤs de fiŤvre chaude. Le directeur et les
soeurs d'ici sont d'accord avec eux. Quand ils ont su que vous ťtiez
venus me voir, ils ont dit: Il faut lui fermer la bouche.
Le directeur a voulu m'interroger, j'ai refusť de rťpondre. Je les
tiens. Ah! J'ai suppliť le curť ŗ mains jointes de ne pas me faire
connaÓtre, il n'en a pas tenu compte. Je ne prierai plus
maintenant. Il faut que l'on sache tout.
D. Avez-vous entendu des personnes parler de vous quand vous ťtiez
seule dans votre chambre?
R. Non, il n'y a que les voisins qui me taquinaient, qui me
guettaient, et qui faisaient des saletťs devant ma porte, mais ils
ne me parlaient pas.
Ma chambre donnait sur le cimetiŤre; j'ai vu le gardien du Calvaire
qui dressait son vieux chien ŗ aboyer aprŤs moi. Il en avait un
plus jeune qui a disparu, aprŤs que je me suis plainte au
commissaire de police et ŗ l'ambassadeur belge. Cette fois lŗ, il
s'est aperÁu que je le surveillais; alors il s'est faufilť le long
de la muraille comme quelqu'un qui se cache, et je ne l'ai plus vu.
D. Alors, vous voyiez les personnes qui s'occupaient de vous?
R. Messieurs, c'ťtait bien facile. Depuis qu'il y a eu du bruit sur
mon compte, je suis certaine que je ne faisais pas un pas sans Ítre
suivie.
J'avais cessť de me confesser au curť de Montmartre, et j'allais ŗ
confesse, tantŰt dans un endroit, tantŰt dans un autre. Le curť
voulait savoir oý j'allais, il aurait voulu que je vienne ŗ la
paroisse, moi, je m'y refusais. Ils m'ont fait suivre pendant deux
bonnes annťes au moins; j'ai tout fait pour les dťpister, je les
retrouvais toujours; ils ťtaient acharnťs aprŤs moi.
D. Quelles espŤces de gens ťtaient-ce?
R. J'ai bien fait attention. Il y avait surtout un homme gros, et
le gardien du Calvaire. Un jour, je descendais de chez moi, je
m'aperÁois qu'ils me suivent: je me dis, je vais les tromper. Je
descends jusqu'aux halles, je passe ŗ travers les voitures, je me
sauve jusque dans le faubourg Saint-Germain. J'entre dans une
ťglise, je ne sais plus laquelle. Il y avait un prÍtre au
confessionnal, avec une pťnitente d'un cŰtť, je me mets de l'autre
cŰtť, J'attends dix minutes, et le prÍtre m'entend. Quand je sors
de l'ťglise, le gros homme ťtait lŗ, il avait l'air trŤs-contrariť.
Alors je voulus m'amuser ŗ leurs dťpens; je ne sortais plus qu'avec
une grosse Bible sous mon bras.
Ils disaient: la voilŗ encore, elle va se confesser, suivons-la. Un
jour, j'ai descendu les buttes en courant. En bas, je me retourne,
je revois encore le mÍme homme, il ťtait trŤs-essoufflť et
paraissait trŤs-contrariť. Je l'ai pris pour un inspecteur des
moeurs. J'ai ťcrit cela ŗ l'ambassadeur belge.
D. Comment viviez-vous?
R. TrŤs-simplement. On disait que je faisais trop de toilette;
j'achetais de bonnes choses pour que cela dure plus longtemps,
voilŗ tout.
D. Comment vous nourrissiez-vous?
R. Je prťparais mes aliments moi-mÍme. Je suis trŤs-sobre, je ne
bois presque pas de vin. Je suis sŻre que je n'en bois pas 20
litres par an. Je prťfŤre le cafť, j'en prenais pas mal;
quelquefois cela me portait un peu sur les nerfs.
D. Depuis que vous Ítes ici, Ítes vous plus tranquille, a-t-on
cessť de vous tourmenter?
R. Oui, je suis tranquille; pourtant les soeurs sont contrariťes que
je n'aie pas voulu rťpondre au directeur. Mais je ne dois de
rťponse qu'au juge d'instruction. Je vois bien qu'on cherche ŗ me
gagner; le curť de Montmartre est dťjŗ en communication avec les
soeurs d'ici. Ils vont faire tout ce qu'ils pourront pour mettre
cela sur le compte de la folie; c'est qu'il faudra prÍter serment,
et ils savent bien que je ne vais pas me prťsenter bouche close ŗ
la Cour d'assises. Oui, je dirai devant tout le monde que s'il y a
tant de repris de justice qui ne reviennent pas au bien, c'est la
faute des prÍtres; Ils sucent jusqu'ŗ la derniŤre goutte de notre
sang. Je ne suis pas inquiŤte, allez, je les tiens.
Nous avons tenu ŗ reproduire fidŤlement les paroles de la fille
C...; mais ce que nous ne pouvons rendre, c'est l'accent de
conviction avec lequel ses rťponses nous ont ťtť faites.
Nous aurions pu insister sur quelques dťtails qui l'auraient
montrťe laborieuse, ťconome, d'une piťtť exagťrťe peut-Ítre, mais
correspondant ŗ un sentiment ťlevť, celui de sa rťhabilitation:
nous avons pensť que nous devions nous en tenir exclusivement ŗ
l'apprťciation des faits qui ont prťcťdť la tentative de meurtre ŗ
laquelle elle s'est livrťe, et qui, pour nous, n'est qu'une des
manifestations de l'ťtat morbide qu'il nous reste ŗ dťfinir.
La fille C... est atteinte de dťlire lypťmaniaque avec prťdominance
d'idťes de persťcution. Si l'on cherchait ŗ prťciser le dťbut des
troubles, on pourrait le faire remonter ŗ l'ťpoque oý elle allait
quitter Paris, sous des vÍtements d'homme, avec l'intention d'aller
provoquer son frŤre ŗ Bruxelles. Si nous la perdons de vue pendant
les cinq annťes qu'elle a passťes en prison, il nous est facile de
rťtablir ŗ partir de ce moment l'enchaÓnement des faits, de
constater les illusions du sens de la vue, et surtout de l'ouÔe, de
suivre les dťterminations dťraisonnables, mais logiques, qu'elles
entraÓnent. La vie de la fille C... n'est plus, comme elle le dit
elle-mÍme, qu'un martyre; et ne se rendant pas compte de l'origine
mÍme de ce martyre, qui est son propre ouvrage, elle ne vit plus
que pour trouver aux faits les plus simples, les plus habituels de
son existence, une interprťtation fausse. Chaque jour, ses griefs
prťtendus augmentent; chaque jour, un incident nouveau vient
grossir le nombre des _taquineries_ dont elle se croit la victime.
Ses imaginaires persťcuteurs sont des prÍtres, qu'elle accuse
d'avoir divulguť sa cause; et, sans prendre garde que c'est la
prťoccupation constante de la tenir cachťe, qui s'est transformťe
en elle, elle ne voit plus dans les attitudes, dans les gestes,
dans les paroles de ceux qu'elle soupÁonne, que des allusions
blessantes qui l'irritent. Tout son dťlire s'alimente de ces
illusions incessantes; la surditť dont elle est atteinte en
favorise encore le retour. Elle cherche ŗ lire sur les lŤvres, et
ce qu'elle surprend, ce sont toujours de nouvelles insultes. Elle
n'a pas conscience de la part active qu'elle prend ŗ la crťation de
ces interprťtations fausses; et c'est avec ces ťlťments que se
constitue un dťlire, en apparence si complexe, au fond si prťcis et
si net, qui devait aboutir aux violences sur le curť de Montmartre,
organisateur, selon elle, du complot tramť contre son repos, contre
sa rťputation.
Rien ne manque dans ses rťponses, qui sont pour nous absolument
significatives, ni ces expressions qu'adoptent les aliťnťs de ce
genre, qui reviennent ŗ chaque instant dans leurs discours, qui
sont caractťristiques d'un trouble mental essentiellement
chronique, Il n'y manque pas mÍme la prťmťditation, dont, bien ŗ
tort, on ne suppose pas les aliťnťs capables; mais cette
prťmťditation mÍme a son caractŤre spťcial.
La fille C... ne cache pas ses projets; il y a deux ans qu'elle
avertit le curť lui-mÍme, l'ambassadeur de Belgique, le commissaire
de police, et il n'eŻt fallu qu'un peu plus de clairvoyance pour
empÍcher un attentat dont les suites pouvaient Ítre plus graves.
Plus nous avons examinť cette fille, plus s'est faite claire,
certaine, absolue, la conviction d'une aliťnation mentale dťjŗ
ancienne; et, si nous n'avions eu dťjŗ l'examen direct pour nous
ťclairer, nous aurions trouvť, dans le dossier, une lettre adressťe
au curť de Montmartre, ŗ la date du 7 septembre 1868, et qui ne
permet aucun doute; nous en extrayons les passages suivants:
ęMonsieur, ťcrit-elle, je veux vous dire ce que j'ai sur le coeur.
Le jour de l'Adoration vous faisiez l'innocent, vous veniez de
bonne heure, comme pour me donner le change, comme pour dire, je ne
vois pas le prťdicateur, je ne puis donc pas lui raconter votre
histoire, comme si je ne savais pas qu'avant d'arriver le prÍtre me
connaissait; je n'ai qu'ŗ me prťsenter dans l'une des ťglises qui
s'ouvrent ŗ la neuvaine de Mai pour apprendre combien vous Ítes
habile ŗ donner les signalements. Mais pour les deux premiers
prÍtres qui sont venus prÍcher, c'est autre chose, vous les avez
fait venir pour me montrer ŗ eux, vous m'avez parfaitement bien
fait espionner.
ę... Vous avez dťtruit par vos paroles le peu de confiance que l'on
pouvait avoir encore en moi. Monsieur le curť, je ne mettrai plus
les pieds dans votre ťglise; vous avez comblť la mesure. Je vous ai
priť, je vous ai suppliť de ne pas me forcer ŗ courir ŗ l'autre
bout de Paris pour sanctifier mon Dimanche, je n'ai pu l'obtenir.
ęEh bien, s'il faut se tuer de fatigue, on se tuera, voilŗ tout. Du
reste, je ne tiens pas ŗ la vie, car vous en avez fait un long
martyre; ma rťputation, vous vous en Ítes jouť; mon existence, vous
l'avez compromise; vous m'avez fait au coeur une plaie incurable,
car, quand bien mÍme je partirais, et ce ne sera pas long, je
penserai toujours avec une grande douleur que ceux-lŗ mÍme qui
devaient Ítre bienveillants pour moi, qui auraient dŻ me protťger,
qui auraient dŻ donner l'exemple et cacher ma faute, que ce sont
ceux-lŗ mÍme qui ont ťtť les plus pressťs de la divulguer, qui ont
ťtť mes ennemis les plus acharnťs... Je me dis, les prÍtres
voyagent, les soeurs de charitť, les frŤres ignorantins aussi, et
comme je ne suis pas pour rester ŗ Paris, si, n'importe oý j'irai,
je venais ŗ rencontrer un prÍtre, soit un frŤre, soit une soeur, et
que ces trois diffťrentes personnes me connaissent, je serais sŻre
d'Ítre trahie lŗ oý je serais rencontrťe, comme je suis sŻre d'Ítre
trahie dans tout Paris, car quand le curť et le clergť donnent
l'exemple, les paroissiens ont carte blanche, etc.Ľ
En effet, elle quitte Paris, mais ses prťoccupations dťlirantes la
suivent partout. Elle se croit reconnue, espionnťe, et, reprenant
au loin le systŤme organisť par elle, elle ne doute pas que les
machinations odieuses dont elle ťtait victime ŗ Paris sont
continuťes en province. Il semble que ce soit ŗ Marseille, que le
projet de blesser M. le curť de Montmartre ait ťtť conÁu, et cela
ęparce que dans la banlieue elle a vu des gens qui chuchotaient et
qui disaient: la voilŗ, il ne faut rien lui acheter.Ľ Elle n'a pas
plus conscience de la valeur morale de cet acte, qu'elle n'a
conscience de l'ťtat de trouble intellectuel permanent dans lequel
elle vit. Elle est calme, sans inquiťtude; ce qu'elle a fait, elle
est prÍte encore ŗ le faire; ce n'ťtait pour elle, et ce n'est
aussi pour nous, que le complťment de ses conceptions dťlirantes.
Ce dťnouement nťcessaire, malheureusement non prťvu par tous ceux
qui ont mťconnu son ťtat, se serait produit beaucoup plus tŰt
peut-Ítre, si cette femme, au lieu de n'avoir que des illusions,
eŻt ťtť sollicitťe par des hallucinations. Mais il ne semble pas
que ce phťnomŤne ait existť chez elle; elle parle bien des moyens ŗ
l'aide desquels on parvient ŗ savoir la pensťe, mais elle ne donne
ŗ ce sujet que des renseignements un peu vagues; elle affirme
qu'elle n'a rien vu, rien entendu, rien senti d'extraordinaire dans
sa chambre; seulement ses voisins, pour la taquiner, parce qu'elle
est trŤs-propre, s'amusaient ŗ cracher devant sa porte. Pour elle,
il y a toujours un fait extťrieur, dťnaturť, interprťtť dans le
sens de son dťlire, qui sert de point de dťpart ŗ ses
dťterminations.
Dans la prison, son attitude n'est pas moins caractťristique;
mťfiante et soupÁonneuse, elle est dťjŗ convaincue que les soeurs de
Saint-Lazare l'espionnent pour le compte du curť de Montmartre.
Elle est en garde contre le directeur, auquel elle refuse de
rťpondre, parce que deux religieuses l'ont conduite auprŤs de lui.
On veut lui fermer la bouche, mais ęje les tiensĽ, nous
rťpŤte-t-elle, avec cette satisfaction ŗ la fois vaniteuse et naÔve
des aliťnťs atteints de dťlires systťmatisťs.
De tous ces faits, de l'ťtude attentive ŗ laquelle nous nous sommes
livrťs, nous nous croyons autorisťs ŗ conclure:
1į Que la nommťe C... (Anne-Josťphine) est atteinte d'aliťnation
mentale.
2į Que les troubles intellectuels qu'elle prťsente appartiennent au
genre des dťlires de persťcution avec illusions des sens.
3į Que le dťbut de cette affection remonte ŗ plusieurs annťes dťjŗ.
S'il ne nous a pas ťtť possible de prťciser la date de son
apparition, il est restť, du moins, ťvident pour nous, que le
dťlire existait en 1868, avec les caractŤres que nous lui
retrouvons encore aujourd'hui.
4į Qu'ŗ l'ťpoque et au moment oý la fille C... a commis l'acte dont
elle est inculpťe, elle ťtait dominťe par des conceptions
dťlirantes qui lui ťtaient la conscience, et par consťquent, la
responsabilitť de ses actions.
5į Que la fille C..., obťissant aux suggestions de son dťlire, est
absolument incapable de se diriger; que, de plus, ayant perdu toute
conscience de la valeur morale de ses actes, en tant qu'ils ont
rapport ŗ ses conceptions dťlirantes, elle est depuis longtemps et
restera dťsormais une aliťnťe dangereuse.
6į Qu'il y a lieu, au point de vue de sa propre sťcuritť et dans un
intťrÍt d'ordre et de sťcuritť publies, de la placer et de la
maintenir dans un ťtablissement spťcialement consacrť aux aliťnťs.
ņ Paris, le 27 septembre 1871.
Signť: A. MOTET, …. BLANCHE.
Dans ce fait significatif, deux crises plus manifestes et des accŤs de
moindre intensitť attirent l'attention. La fille C... est prise d'une
impulsion au vol qui contraste avec sa conduite habituelle. Les dťtails
de cette poussťe impulsive ne nous sont pas assez connus pour que nous y
insistions. La vie ultťrieure de la malade se passe dans une sorte de
vagabondage moral familier aux aliťnťs de cette catťgorie, interdit aux
persťcutťs passifs qui sont exempts d'attaques congestives et qui ne
commettent pas d'actes dangereux. ņ en croire son rťcit, le
dťcouragement moral, l'impossibilitť de trouver du secours, l'abandon du
clergť auquel elle s'ťtait adressťe, expliquent et justifient la
diversitť de ses ťtats psychologiques: si on rťdige les observations des
maladies mentales sous la dictťe des malades raisonneurs, la formule est
toujours la mÍme; il est naturel que de telles causes provoquent de tels
effets, et la folie devient la rťsultante logique des ťvťnements.
En rťalitť, il n'en est pas ainsi, et ce qui le prouve, c'est que les
impulsions violentes naissent sans provocation, lentes ou instantanťes,
passant ou non de la pensťe ŗ l'acte, suivant que l'excitation cťrťbrale
varie de degrť.
Chez la fille C... aucun incident exceptionnel ne s'est produit. ņ ses
pťriodes multiples d'excitations physico-morales, tantŰt elle part en
voyage ŗ la recherche d'un parent, tantŰt elle fuit au hasard pour se
soustraire aux persťcutions; plus calme, elle revient et se rassťrŤne.
Comment a-t-elle pu suffire, avec ses ressources plus que restreintes, ŗ
cette vie errante, nul ne le sait.
Un jour, pendant la messe, ayant hťsitť si longtemps, elle tire deux
coups de pistolet sur le curť de sa paroisse. L'accŤs s'ťpuise
rapidement, comme il arrive presque toujours en pareil cas.
La fille C..., arrÍtťe sans rťsistance, plaide les circonstances plus
qu'attťnuantes qui ont motivť sa violence. Elle se fait, ŗ l'usage des
juges, le roman psychologique qu'elle s'est rťpťtť tant de fois. Un
ťlťment nouveau vient cependant s'y ajouter: ce n'est pas pour elle,
c'est pour le droit qu'elle a combattu. ņ la fois hťroÔne et victime,
elle tťmoigne par le mťlange des aspirations vaniteuses avec la
dťpression mťlancolique, qu'elle appartient au type des persťcutťs ŗ
crises impulsives.
Dans la prison, nouvelle attaque d'excitation cťrťbrale, sans rťsultat
cette fois, mais qui se traduit par la terreur intermittente des
religieuses qui la surveillent. On voit ainsi l'appťtit du meurtre et du
vol ťclater comme par hasard, au cours d'un dťlire continu mais
inoffensif dans ses phases de mťlancolie.
D…LIRE DE PERS…CUTION.--HALLUCINATIONS.--ILLUSIONS DES SENS.--ACC»S
D'AGITATION MANIAQUE AIGUň.--GU…RISON DE L'ACC»S MANIAQUE.--PERSISTANCE
DE CONCEPTIONS D…LIRANTES ET DES
HALLUCINATIONS.--M…GALOMANIE.--MEURTRE.--IRRESPONSABILIT….
B..., Jean, ‚gť de 30 ans, nť ŗ Metz (Moselle), terrassier, est un
homme d'une haute stature, et qui a toutes les apparences d'une
grande force physique. La physionomie a une expression ťtrange et
qui annonce des prťoccupations incessantes; il parle avec lenteur,
avec hťsitation mÍme, non comme s'il cherchait ŗ dissimuler, mais
comme s'il craignait de rťvťler des secrets qui ne lui
appartiennent pas; il a mÍme un accent de parfaite sincťritť et des
formules de politesse naÔve qui font contraste avec son aspect
grossier. Sa tÍte, mal conformťe, est garnie d'une chevelure
ťpaisse, inculte, mal plantťe, qui contribue encore ŗ donner ŗ
l'ensemble de sa personne un air sauvage.
B..., d'une santť habituellement bonne, n'avait pas d'habitudes
d'ivrognerie. Il ťtait seulement sujet ŗ des ťrysipŤles de la face
et du cuir chevelu, et c'est ŗ la suite du dernier, dont il a ťtť
atteint dans le courant du mois de juin 1869, qu'il a prťsentť les
symptŰmes, d'abord d'une affection cťrťbrale aiguŽ, puis d'une
aliťnation mentale avec accŤs de fureur. Conduit au dťpŰt de la
Prťfecture de police, il est dťclarť atteint de mťlancolie
anxieuse, et envoyť d'abord ŗ Sainte-Anne, puis dans un autre asile
oý il entre le 15 juin, et d'oý il sort le 10 juillet suivant, avec
la mention qu'il est actuellement guťri de l'aliťnation mentale qui
avait motivť sa sťquestration, et qu'il y a lieu de le mettre en
libertť. B... revient chez lui. Depuis ce moment jusqu'au 4
septembre, il ne semble pas que B... ait attirť l'attention par des
allures et des actes excentriques. Nous nous l'expliquons
d'ailleurs par les maniŤres rťservťes et discrŤtes de l'inculpť qui
paraÓt sans cesse absorbť dans ses rťflexions, et qui ne parle que
difficilement et peu.
Mais si l'enquÍte ne nous apprend rien de positif sur ce qui s'est
passť dans ce laps de temps, B... nous le fait savoir par ce qu'il
raconte de tout ce qu'il a souffert depuis son retour chez lui.
Nous allons reproduire textuellement le rťcit de B..., rťcit qui a
ťtť fait en plusieurs fois, sans que jamais aucune trace de
simulation ait pu nous inspirer le moindre doute sur sa sincťritť,
rťcit dans lequel il n'a jamais variť, et qui montre ŗ quel point
B... a la raison troublťe:
Voici ce que B... nous a dit: ęIl s'est mariť il y a 13 ans; il a
toujours aimť sa femme; c'est elle qui n'ťtait pas bonne pour lui;
elle voulait se remarier; si elle avait pensť ŗ la Providence
divine, elle n'aurait pas fait ce qu'elle a fait; elle n'aurait pas
dťbauchť autant de peuple; il ne l'a jamais surprise, mais il l'a
su tout de mÍme par beaucoup de monde; il a trouvť des signalements
contre elle qui lui faisaient des injustices.
ęElle ne le trouvait pas assez bel homme. Il ne veut pas parler; ce
serait trop long; il faut connaÓtre la maniŤre de comprendre le
secret; c'est un secret qu'il a dans l'estomac. Il faut qu'il parle
lentement; c'est la Providence qui le protŤge.
ęIl entend bien le secret, lui, mais il ne peut pas le dire; il
pourrait bien le faire entendre d'ici au Palais-Royal ŗ quelqu'un
qu'il voudrait; mais il ne le dirait pas ŗ son frŤre: il ne peut
pas le dire; c'est pour la vie; ce doit Ítre la Providence qui lui
a donnť cela. Il y a au moins deux mois qu'il a vťcu de poison, du
verre pilť que sa belle-soeur mettait dans son vin; ses cousins
ťtaient complices; il a ťtť averti par des personnages somnambules;
il avait tout cela sur les ťpaules, ils l'ont assez travaillť; il
croit qu'il en est dťbarrassť; il a dťcouvert et Űtť les secrets
aux somnambules; il croit qu'ils n'embarrasseront plus beaucoup
Paris en ce moment. Il est arrivť beaucoup de choses par lui dans
ces derniers temps; nous devons le savoir, Áa doit Ítre connu; il
doit y avoir de l'argent de rentrť par son ordre, parce que la
Providence le protŤge; l'argent appartient ŗ la France; dans une
cellule il ne peut pas savoir la somme; il peut ťteindre les
incendies dans toutes les villes d'Europe; il peut se promener
partout sans quitter l'endroit oý il est; il ne peut pas rester en
cellule; la Providence lui annonce qu'il va Ítre empereur;
avant-hier il a arrÍtť la colŤre de Dieu qui voulait punir le
peuple pour ses mťchancetťs; il serait bien content de connaÓtre
l'empereur de France. Sa femme vit; ce n'est pas elle qui a ťtť
tuťe; ils disent que c'est la femme d'un des hommes qui sont dans
la cellule; c'est une somnambule qui a tuť la femme; elle a voulu
le tuer aussi; il a reÁu quatre coups de poignard.
(Il nous montre les cicatrices sur son ventre, et nous ne voyons
qu'une trŤs-ancienne et trŤs-petite cicatrice, produite
probablement par une piqŻre de sangsue.)
ęC'est une nommťe FranÁoise qui a fait tuer la femme par un homme;
il se souvient que la femme a ťtť prise par le col, et ensuite on
lui a coupť le col avec un rasoir; elle n'ťtait pas encore
ťtranglťe; il ťtait couchť dans le mÍme lit, il n'a pas pu
l'empÍcher; il ne peut pas couvrir tout contre les somnambules; il
en a eu jusqu'ŗ vingt aprŤs lui, mais ils n'ťtaient pas assez
forts, c'ťtaient surtout des femmes. On lui mouillait son pantalon,
on voulait l'enlever pour le conduire dans son pays. On l'a fait
passer pour fou; on l'a fait mener ŗ Sainte-Anne, de lŗ dans un
autre asile; sa femme est venue le chercher en pleurant. Sa femme
l'a fait sortir pour le faire assassiner par les somnambules; elle
a pleurť devant les pieds de ces messieurs qu'elle avait besoin de
lui.
ęAprŤs son retour chez lui, les somnambules ont commencť ŗ le
tourmenter; sa femme et ses complices ont commencť ŗ lui donner du
verre pilť; elle mangeait au dehors avec ses compagnons, et lui,
mangeait son pain sec; c'ťtait dans le vin qu'ťtait le poison.Ľ
Tel a ťtť le rťcit de B... Dans toutes les visites que nous lui
avons faites, il a constamment rťpťtť les mÍmes phrases en se
servant des mÍmes expressions. Il lui est arrivť parfois de nous
ťconduire, toujours avec les mÍmes formes de politesse, assurant
qu'il ne pouvait pas parler. Cependant il a fini par nous avouer
que les somnambules continuaient ŗ le tourmenter; que la nuit on
l'empÍchait de dormir, qu'on le soulevait dans son lit, que le
matelas lui donnait des secousses; et, en effet, le surveillant
nous apprend que B... a rejetť le matelas tout neuf sur lequel il
couchait, se plaignant qu'il avait une mauvaise odeur et qu'il
contenait du poison; il a ťgalement rendu les draps, il s'enveloppe
dans une couverture et s'ťtend sur la paillasse. On nous informe
aussi qu'un jour il a eu un accŤs d'emportement; il menaÁait de
tout briser si on ne voulait pas laisser venir sa femme qu'il
entendait l'appeler; il murmure des mots inintelligibles et il
semble ťcouter des voix qui lui parlent; quand il se dťcide ŗ
rťpondre, il tient les discours les plus incohťrents et les plus
insensťs; il croit que tout est dťtruit dans Paris, que la colonne
de Juillet est renversťe; il nous dit tantŰt que la Seine est
gelťe, tantŰt que l'eau est changťe en sang; il voit Dieu et cause
avec lui; il a vu aussi la sainte Vierge et l'enfant Jťsus dans sa
maison; Dieu lui parle et lui fait connaÓtre ses volontťs; c'est
lui, B..., qui doit sauver le monde.
Il dit tantŰt que c'est sa femme qui a ťtť tuťe, tantŰt que c'est
une inconnue; il accuse toujours les somnambules de le travailler;
B... est tellement dominť par ses hallucinations, qu'il ne prend
aucun soin de sa personne, qu'il satisfait ses besoins personnels
dans son lit ou dans ses vÍtements, et qu'il rťsiste quand on veut
le nettoyer; il est constamment absorbť dans ses pensťes; il passe
ses journťes entiŤres ŗ ťcouter les voix qui lui parlent.
Ainsi que nous l'avons dťjŗ dit, rien dans la tenue, ni dans
l'accent de B... n'annonce la moindre idťe de simulation; toute sa
personne, au contraire, l'expression de sa physionomie, sa voix,
tout est marquť au sceau de la plus parfaite sincťritť. D'ailleurs,
la forme mÍme des conceptions dťlirantes que l'on trouve chez B...
est caractťristique, et ne pourrait Ítre imaginťe et rťalisťe par
un homme sain d'esprit qui voudrait en imposer et simuler la folie.
Pour aller au-devant de l'objection de la simulation, nous avons
soumis B... ŗ une trŤs-longue observation, et, dans les nombreuses
visites que nous lui avons faites, nous n'avons jamais surpris le
moindre indice qui pŻt nous faire douter de la rťalitť de
l'aliťnation mentale dont il prťsente les symptŰmes.
ņ l'appui de cette opinion, nous pouvons encore invoquer la tenue
et la conduite de B... pendant et aprŤs le meurtre de sa femme. Un
enfant dťjŗ d'un certain ‚ge, un tťmoin, par consťquent, est lŗ
dans la mÍme chambre; il dort, il est vrai, mais il peut se
rťveiller, et, en effet, il se rťveille, puisqu'il demande ŗ B...
ce qu'il scie pendant que celui-ci coupe le col de sa femme avec le
rasoir; eh bien, B... ne choisit pas un moment oý l'enfant serait
absent, et la prťsence de cet enfant ne l'arrÍte pas. Le meurtre
accompli, il recouvre le corps de sa femme avec le drap, et il
reste paisiblement ŗ cŰtť du lit; le matin, il emmŤne l'enfant
faire une promenade, aprŤs lui avoir dit que sa mŤre dormait; il
rentre avec l'enfant, puis il l'envoie dťjeuner au dehors, et lui,
reste lŗ, dans la chambre, et le soir, quand les voisins arrivent
avec le commissaire de police, il ne paraÓt pas ťmu, il montre oý
est sa femme, et il se laisse emmener, sans avoir pendant toute la
journťe fait aucune tentative pour se soustraire aux consťquences
de son action.
Ce n'est certes pas ainsi que se conduisent les criminels, et la
maniŤre d'Ítre de B... dans la matinťe et dans la journťe du 5
septembre est certainement celle d'un homme qui n'a pas conscience
de ses actes. De tout ce qui prťcŤde, nous concluons que:
1į B... (Jean) est atteint d'aliťnation mentale, et le dťbut de sa
maladie remonte probablement ŗ une ťpoque dťjŗ assez ťloignťe;
2į Au moment oý il a commis le meurtre dont il est inculpť, B...
ťtait dominť par des conceptions dťlirantes et des hallucinations
qui lui Űtaient la conscience de ses actes;
3į B... ne saurait Ítre dťclarť responsable du meurtre qui lui est
imputť;
4į B... (Jean) est un aliťnť des plus dangereux, et il y a
nťcessitť de le sťquestrer dans un asile spťcial, oý il devra Ítre
entourť de la surveillance la plus rigoureuse.
ņ Paris, le 18 octobre 1869.
Signť: G. BERGERON, …. BLANCHE.
J'ai reproduit entiŤrement ce rapport, parce que le cas de B... me
paraÓt offrir plusieurs points intťressants. Les renseignements sur les
antťcťdents hťrťditaires manquent, mais B... a une malformation
congťnitale de la tÍte. B... n'a pas d'habitudes d'ivrognerie; il est
habituellement d'une trŤs-bonne santť, sauf qu'il est sujet ŗ des
ťrysipŤles de la face et du cuir chevelu. La crise d'agitation maniaque
aiguŽ qui a nťcessitť son placement dans un asile est survenu vers la
fin d'un ťrysipŤle. Cette crise n'a ťtť que de courte durťe, et B... est
redevenu promptement calme, d'un caractŤre concentrť, taciturne, ne
communiquant pas ses pensťes, rťgulier dans sa tenue, bref, mais correct
dans ses rťponses, il a pu dissimuler le vťritable ťtat de son esprit,
et sur les instances de sa femme, il a ťtť remis en libertť.
ņ peine rentrť chez lui, B... est retombť sous l'empire de conceptions
dťlirantes et d'hallucinations qui ne lui ont presque plus laissť de
rťpit; il a luttť pendant quelques semaines contre les suggestions de
son dťlire; puis, une nouvelle crise de surexcitation cťrťbrale s'est
produite, et B... a tuť sa femme; le meurtre accompli, il est demeurť
absolument tranquille, et s'est laissť arrÍter sans rťsistance.
Ainsi qu'on l'observe ordinairement, B... a ťprouvť comme un soulagement
aprŤs avoir commis l'acte qu'il considťrait comme le ch‚timent mťritť de
ses justes griefs; mais le dťlire a persistť, et dans la prison, il y a
eu un nouvel accŤs de surexcitation maniaque.
B..., dťclarť irresponsable, a ťtť placť de nouveau dans un asile; j'ai
eu occasion de l'y voir plusieurs fois, et ŗ une de mes visites je l'ai
trouvť trŤs-excitť et trŤs-irritť, et on a dŻ prendre ŗ son ťgard des
mesures exceptionnelles de surveillance; il ťtait certainement sollicitť
par une nouvelle impulsion ŗ des actes de violence.
D…BILIT… INTELLECTUELLE CONG…NITALE.--D…LIRE DE PERS…CUTION.--ILLUSIONS
DES SENS.--ID…ES DE SUICIDE.--ACC»S
D'EMPORTEMENT.--MEURTRE.--IRRESPONSABILIT….
Nous, soussignťs, …. Blanche et A. Motet, docteurs en mťdecine de
la Facultť de Paris, commis le 20 novembre 1871, par ordonnance de
M. Perrot de Chezelles, juge d'instruction prŤs le tribunal de
premiŤre instance du dťpartement de la Seine, ŗ l'effet de
constater l'ťtat mental du nommť L... Antoine, ‚gť de 53 ans,
inculpť d'assassinat commis le 7 octobre sur la personne du sieur
M...; aprŤs avoir prÍtť serment, pris connaissance du dossier,
visitť le prťvenu, et recueilli tous les renseignements de nature ŗ
nous ťclairer, avons consignť dans le prťsent rapport les rťsultats
de notre examen:
L... est un homme de 53 ans, bien constituť, qui n'a jamais
prťsentť d'autres troubles dans sa santť que des accidents fťbriles
ŗ forme intermittente, sans caractŤre pernicieux d'ailleurs. Son
existence a ťtť assez aventureuse. Jeune, il est allť en Californie
avec M..., alors son ami, plus tard son associť; il ne fit pas aux
placers une brillante fortune, mais il en revint avec une vingtaine
de mille francs. AprŤs avoir passť quelque temps dans sa famille,
il se maria, revint ŗ Paris, et s'associa avec M... pour
l'exploitation d'une maison de commerce: les affaires furent assez
prospŤres pour qu'ŗ la fin de son contrat, L... put aller vivre ŗ
E... de ses revenus, laissant M... continuer la gestion de la
maison de commerce.
Nous insistons sur ces dťtails; ils ont une importance sťrieuse
pour nous; les mobiles du crime dont L... est inculpť, doivent Ítre
recherchťs jusque dans les relations qui existaient ŗ cette ťpoque
et qui se sont maintenues depuis entre les deux associťs.
Tant qu'ils vťcurent l'un prŤs de l'autre, L... et M... n'eurent
pas de difficultťs. La maison marchait bien, et les discussions qui
pouvaient naÓtre au sujet des affaires, ťtaient vite apaisťes.
Cependant, dŤs cette ťpoque, on reconnaissait ŗ L... un caractŤre
mťfiant, soupÁonneux; comme il n'avait pas de sujet sťrieux de
plaintes, qu'il pouvait facilement contrŰler lui-mÍme la gestion de
la maison, la tenue des livres, comme d'un autre cŰtť il trouvait
dans ses occupations au dehors une diversion assez puissante, il
n'y eut jamais de scŤnes de violences, ni mÍme de rťcriminations
trŤs-vives. Il n'en fut plus ainsi quand L... quitta la maison de
commerce, laissant M... seul ŗ la tÍte des affaires. Sa situation
avait ťtť nettement ťtablie, la liquidation s'ťtait faite
rťguliŤrement; les termes de paiement des sommes et des intťrÍts
dus ŗ L... avaient ťtť convenus, rien, en un mot, n'avait ťtť
nťgligť, et il eŻt dŻ trouver dans l'exactitude avec laquelle ces
conventions furent exťcutťes en 1800 et 1870 une sťcuritť entiŤre.
Il n'en fut rien.
Il se produisit chez lui ce qui se voit trop frťquemment chez les
hommes qui passent tout ŗ coup d'une vie laborieuse et active ŗ une
vie oisive. Il prit ombrage de tout. Il se figura que son associť
ne lui rendait pas de comptes fidŤles, il vťcut avec cette idťe,
sans cesse prťsente ŗ son esprit, assez inquiet pour en parler
souvent ŗ sa femme, assez maÓtre encore de lui, dans les premiers
temps, pour ne pas venir lui-mÍme ŗ Paris, pour y envoyer sa femme
ŗ l'ťpoque des ťchťances. Peu ŗ peu les prťoccupations, de vagues
qu'elles ťtaient, prennent une forme plus prťcise: ęIl a entendu
dire que son associť M... prťtendait que lui, L..., ťtait mort dans
une maison de fous.Ľ
Par qui a-t-il entendu tenir ce propos? ęC'est un homme ‚gť qu'il
ne connaÓt pas, qui doit demeurer dans un village voisin, qui est
venu pour l'avertir; il a d'autres indices: M... lui a ťcrit une
lettre ŗ laquelle il ne comprend rien, on lui a dit d'apporter du
papier timbrť, qu'est-ce que cela veut dire? Ce sont des ťnigmes
pour lui.Ľ Jusque-lŗ encore L... reste dans cet ťtat d'indťcision,
d'incertitude, qui appartient aux pťriodes initiales des dťlires;
mais il y apporte un caractŤre particulier qui nous semble
important ŗ signaler. Il oublie pendant de longs mois ses
inquiťtudes; il vit, calme en apparence, partage entre des
occupations d'une extrÍme simplicitť, il va ŗ la pÍche tous les
jours, rentre paisiblement chez lui, n'a pas d'habitudes
alcooliques, est, en un mot, pour tout le monde, un de ces hommes
inoffensifs qui ne donnent aucun prťtexte ŗ la malignitť publique
de s'occuper d'eux. Et cependant, en y regardant d'un peu plus
prŤs, on trouve dans le dossier mÍme des renseignements curieux: le
brigadier du gendarmerie, le maire de la commune dťclarent que L...
est trŤs faible d'esprit, que ses idťes sont souvent dťcousues,
qu'il n'a pas toujours la tÍte ŗ lui, que du reste, il n'a jamais
donnť lieu ŗ des plaintes, que, s'il a parfois le caractŤre
emportť, il ne s'est livrť sur personne ŗ des violences. Le rapport
ajoute qu'il parlait volontiers de ses affaires et de
l'irrťgularitť avec laquelle M... tenait ses engagements vis-ŗ-vis
de lui.
Son dťpart pour Paris dans les premiers jours d'octobre ne fut pas
annoncť. Sa femme ťtait venue comme d'habitude, quelques jours
auparavant, elle n'avait pas terminť le rŤglement des comptes.
L..., mťcontent, rťsolut de faire lui-mÍme le voyage, et sans
laisser soupÁonner qu'il eŻt de mauvais desseins, il s'exprima,
cependant, dŤs ce moment, sur le compte de M... avec une vive
animositť.
Arrivť ŗ Paris, il visite quelques personnes; partout il se montre
excitť contre M..., on prťvoit une discussion, on ne prťvoyait pas
cependant qu'un meurtre en serait la consťquence derniŤre. Le
troisiŤme jour de son arrivťe, L... se prťsente le matin chez son
associť; ne le trouvant pas, il va dťjeuner; ce dťjeuner n'est pour
lui l'occasion d'aucun excŤs, et vers deux heures de l'aprŤs-midi,
il se prťsente de nouveau chez M..., qui l'attendait. Lŗ, sans
discussion, sans provocation d'aucune sorte, comme l'affirment les
tťmoins. L... frappe M... d'un coup de couteau dans le ventre, en
prťsence du caissier, de deux jeunes gens, employťs de la maison,
qui se trouvaient ŗ quelques pas de lui dans le magasin.
Tel est l'acte sur le caractŤre duquel nous avons ŗ nous prononcer.
A-t-il ťtť commis avec conscience, avec une entiŤre libertť morale?
Est-ce au contraire un acte qui ne saurait Ítre considťrť comme
entraÓnant la responsabilitť du prťvenu?
C'est dans l'examen attentif de L..., dans l'observation prolongťe
ŗ laquelle nous l'avons soumis, dans les rťponses qu'il a faites ŗ
nos questions, dans les piŤces mÍme du dossier, que nous trouvons
les ťlťments d'une conviction absolue, et les conclusions qui nous
sont demandťes. L... est dťtenu depuis le 7 octobre; nous le
trouvons ŗ la prison de Mazas, et dŤs notre premiŤre visite, nous
pouvons constater combien son intelligence est peu active, combien
sa mťmoire est affaiblie. Il a peine ŗ se souvenir du nombre de
jours ťcoulťs depuis son arrivťe ŗ la prison, et nos tentatives
pour l'amener ŗ faire un calcul d'une extrÍme simplicitť
n'aboutissent qu'ŗ cette rťponse: ęVoyez-vous, messieurs, les
chiffres, ce n'est pas mon fort.Ľ Nous l'avons visitť un grand
nombre de fois, et voici le rťsumť de nos longues entrevues avec
lui. Il nous est impossible de laisser aux discours de L... leur
physionomie rťelle; avec quelque soin que nous ayons cherchť ŗ les
reproduire, ils sont tellement diffus, incohťrents mÍme, que rien
n'est plus difficile que de les fixer, et, involontairement nous
leur donnons une suite qu'ils n'ont pas, et qui ne peut manquer de
les faire considťrer comme moins dťraisonnables qu'ils ne le sont
en rťalitť.
Cependant, il y a, dans le courant de ces rťcits, qui nous
transportent tout ŗ coup de Paris jusqu'en Californie, des
expressions caractťristiques, des phrases qui traduisent un ťtat
mental tout spťcial, et qui ont ťtť pour nous une nouvelle source
de convictions.
D. Depuis combien de temps Ítes-vous ici?
R. Je suis ŗ la prťfecture depuis le 7 octobre.
D. Combien cela fait-il de temps?
R. Je ne sais pas, un mois et quelques jours.
D. De quel mois?
R. (Avec hťsitation), de dťcembre, non, de novembre.
D. Pourquoi avez-vous ťtť arrÍtť?
R. J'ai eu des disputes avec mon associť, il m'a tendu des
guet-apens, c'est ŗ propos de nos affaires, quand je me suis
retirť, il me devait de l'argent; je n'ai pas d'instruction, je ne
savais pas bien faire les comptes, notre dernier inventaire n'avait
pas ťtť fait comme il faut. Ma femme a fait venir une demoiselle
qui connaÓt trŤs-bien la tenue des livres, elle m'a dit, mais
est-ce que les crťances mauvaises ou douteuses ne sont pas
comptťes? Je lui ai dit que si, mais je me doutais de quelque
chose, parce que j'avais trouvť dans le coffre ŗ bois du magasin
une feuille de papier oý il y avait une signature. On m'avait fait
signer un soir, je n'avais pas fait attention, mais ce n'est pas
comme cela qu'on fait un inventaire.
Moi, je suis trŤs-bon commerÁant; je faisais la place avec le
cheval et la voiture. J'avais toujours mes factures prÍtes, dans
cette poche lŗ, par ici l'argent, et puis dans les poches de mon
pantalon; je les faisais faire en cuir, c'est plus solide. J'allais
chez un client M. B..., facteur d'orgues, je lui disais: Monsieur,
c'est moi j'ai de bonnes marchandises ŗ vous offrir; et nous nous
entendions sur le prix; j'achetais des peaux, du cŰtť de la rue
Montorgueil. J'arrive un jour chez M. L..., il me dit: ęEst-ce que
vous Ítes bien avec votre associť? Mais oui, lui rťpondis-je, c'est
un trŤs-bon garÁon.
--Ah bien! tant mieux pour vous.Ľ
M... ne lui revenait pas; il ne connaissait pas bien la peau, il a
vendu une fois pour quatre francs du maroquin qui valait dix
francs.
Moi, c'ťtait mon affaire,--par exemple je ne suis pas fort sur les
chiffres, mais on ne m'attrape pas facilement, un coup d'oeil ŗ
droite, un coup d'oeil ŗ gauche, l'oeil amťricain, je vois tout, et
malheur ŗ qui me tromperait, je lui ferais sortir les boyaux du
ventre pour les jeter aux vautours du la Californie.
(ņ ces paroles, L..., qui jusque-lŗ s'ťtait tenu tranquillement
assis prŤs de nous, se lŤve, la physionomie altťrťe, menaÁante, le
bras ťtendu, comme s'il eŻt devant lui un ennemi.) Nous le laissons
se calmer, et nous essayons encore de le ramener aux jours qui ont
prťcťdť le meurtre.
Il nous rťpond en ces termes:
ęJe n'ťtais pas mal avec M..., c'ťtait un vieux camarade, nous
ťtions ensemble en Californie, c'est lŗ que nous avons ťtť
malheureux; pas de pain ŗ se mettre sous la dent, le blť valait 500
francs le sac, et avec cela, il fallait toujours se dťfier. Les
Indiens ťtaient lŗ qui nous guettaient, j'ai reÁu une flŤche ici
dans la joue, mais je crois bien que j'ai dťmoli celui qui me l'a
envoyťe.Ľ
D. Avez-vous cherchť ŗ vous en assurer?
R. Vous savez, on ne s'aventure pas; quand on en tue, on les laisse
lŗ, les bÍtes les dťvorent, mais quand vous tombez, vous les
blancs, vous Ítes sŻrs d'Ítre mangťs. Une fois nous ťtions partis
une douzaine, ils voulaient aller trop avant, moi je n'ai pas
voulu, je suis revenu au placer.
D. Laissons un moment la Californie. Quand vous Ítes revenu ŗ
Paris, le 5 octobre, Ítes-vous allť chez M... dŤs votre arrivťe?
B. Non, j'avais des ťcrevisses dans mon panier, je suis allť les
porter chez Mme T..., mais il m'est arrivť en y allant une drŰle
d'affaire; je rencontre en face du jardin du Temple un jeune homme
que je ne connaissais pas, et qui me dit: Bonjour, M. L..., vous
voilŗ?--Oui monsieur. Vous allez bien, M. L...? Pas mal, merci.
Vous allez chez M...;--et puis il se met ŗ ricaner, et il me dit:
ęEh bien, mťfiez-vous, ils vont vous faire votre affaire.Ľ ęC'est
drŰle, que je me dis, est-ce qu'il y a un guet-apens, ouvrons
l'oeil.Ľ
ņ partir de ce moment, tout lui est suspect.
Dans le cafť oý on ne l'a pas vu depuis longtemps, l'accueil
d'anciennes connaissances excite sa mťfiance, il est en garde
contre tout le monde, et sans faire part ŗ personne de ses
soupÁons, il observe; il trouve extraordinaires les choses les plus
simples; cependant il n'est pas menaÁant encore pour M...; il parle
de lui avec une ťvidente animositť, mais si l'on craint une
discussion un peu vive, rien ne fait prťvoir la scŤne violente, le
meurtre du 7 octobre.
Ce jour-lŗ L... arrive vers onze heures au magasin, M... est
absent; Mme M... reÁoit l'ancien associť de son mari, et lui donne
rendez-vous pour deux heures.
L... va dťjeuner au cafť T..., le repas est sobre; vers une heure
et demie M..., de retour ŗ son magasin, envoie prťvenir L...; ici
se place un dťtail qui dans l'apprťciation des faits nous paraÓt
avoir la plus sťrieuse importance.
L'employť de M..., par un mouvement tout naturel d'ailleurs,
regarda peut-Ítre ŗ travers les vitres du cafť avant d'entrer; ce
qu'il y a de certain, c'est que L... vit dans cet acte si simple,
un espionnage, ęils me guettaient, nous dit-il, car je n'avais pas
bu la derniŤre goutte de mon cafť que Mme T... me dit: ęM. L..., on
vous demande au magasin,Ľ--et en disant cela, elle avait un air
triste comme je ne lui avais jamais vu. Elle n'est pas gaie de
caractŤre, mais jamais je ne lui avais vu une figure comme cela. Ce
n'ťtait pas naturel.
Je me lŤve, je prends mon chapeau, et je vais chez M... J'arrive.
Il ťtait dans le magasin,--je lui dis bonjour, il me dit, que me
veux-tu?--Autrefois, s'il m'avait dit cela, comme cela, j'aurais
pris mon chapeau, et je lui aurais rťpondu, prends le cheval et la
voiture, fais la place si tu veux, moi, je m'en vais, parce que
cela ne me va pas qu'on me parle comme cela.
Je lui rťponds, je viens rťgler nos comptes, et nous passons dans
le bureau. J'ťtais du cŰtť de la porte du couloir; aussitŰt je
reÁois un coup de poing lŗ, sur le derriŤre de la tÍte, et je me
sens empoignť par les deux commis, je me dťbats, et j'envoie ŗ M...
qui ťtait devant moi, un coup de couteau; je ne sais pas oý je l'ai
attrapť.Ľ
D. Vous aviez donc votre couteau ouvert sur vous?
R. Oui, je le portais toujours dans la poche de ma redingote.
D. Pourquoi ťtait-il enveloppť avec du papier?
R. C'ťtait pour ne pas me couper, et pour ne pas couper ma poche.
D. Mais on ne porte pas un couteau ouvert dans sa poche.
R. C'ťtait pour me dťfendre si on m'attaquait. Je ne sortais pas
sans cela, on ne peut pas savoir; il y a des communeux qui rŰdent
le soir, et qui vous attaqueraient trŤs-bien.
D. Mais enfin, M... ne vous avait rien fait?
R. C'ťtait un coup montť: je l'ai bien vu quand on est venu me
chercher au cafť. Je ne me suis dťfendu qu'aprŤs le coup du
guet-apens de la porte du couloir de la cuisine.
D. Avez-vous vu quoiqu'un?
R. Non. Quand je me suis retournť, je n'ai vu personne, c'est un
peu sombre, mais j'ai bien senti le coup de poing sur le derriŤre
de la tÍte: Áa m'a fait baisser. C'est terrible d'Ítre comme cela!
ņ partir de ce moment, L... entre dans une phase d'excitation
violente, il se frappe la tÍte en disant: ęIl y a des moments oý je
n'ai plus ma tÍte ŗ moi.Ľ Il pleure; il n'exprime pas de regrets,
cependant, au sujet du meurtre qu'il a commis; au contraire, au
souvenir des injures qu'il est convaincu qu'on lui a faites, de sa
haine contre M..., il en arrive ŗ un ťtat d'extrÍme agitation, que
nous avons beaucoup de peine ŗ calmer, et qui nous inspire de
telles craintes que L... ne se livre soit contre lui-mÍme ŗ quelque
acte de dťsespoir, soit contre ses codťtenus ŗ des violences, qu'un
mot, une plaisanterie auraient pu provoquer, que nous nous rendons
auprŤs du directeur de la prison pour le prťvenir de l'ťtat dans
lequel nous laissons L..., et pour lui recommander de redoubler de
surveillance.
Dans toutes nos visites, nous avons toujours insistť prŤs de L...
pour savoir quels ťtaient au juste ses griefs contre M...; nous
croyons devoir reproduire encore quelques-unes de ses rťponses sur
ce sujet.
D. Pendant que vous ťtiez l'associť de M..., avez-vous eu avec lui
des discussions un peu vives?
R. Je n'ai pas eu un mot avec lui pendant onze ans, nous ťtions
trŤs-bien ensemble.
D. Vous n'avez jamais pensť qu'il voulŻt vous faire du mal?
R. Non, mais depuis, cela m'est revenu: j'ai oubliť de vous dire
cela; je me suis rappelť qu'il y a quelques annťes, en 1867, je
crois, M... me fit cadeau de plusieurs bouteilles d'eau-de-vie.
Un matin, avant de partir pour mon travail, j'en pris un petit
verre; je ne me suis senti de rien d'abord; un quart d'heure aprŤs,
voilŗ qu'il me pousse des sueurs, je me sens un grand malaise, et
je vomis dans la rue. Je m'arrÍte chez un marchand de vin, oý je
prends un verre d'eau sucrťe; j'arrive au magasin, M..., me dit:
ęqu'est-ce que tu as, tu es tout p‚le, tu as l'air maladeĽ, j'avais
un mal de tÍte ťpouvantable, puis Áa s'est passť.Ľ
D. Avez-vous cru que l'eau-de-vie ťtait empoisonnťe?
R. Sur le premier moment, je n'y ai pas pensť, mais aprŤs, j'ai eu
des doutes, parce qu'il m'avait demandť ce que j'avais, d'un drŰle
d'air. Je me suis rappelť qu'il m'avait dťjŗ, dit: ęas-tu goŻtť
l'eau-de-vie?Ľ C'est depuis ce moment-lŗ. que j'ai un peu perdu la
boule--je me suis aperÁu que je n'ťtais plus comme avant--je
n'avais plus de mťmoire.
D. Est-ce que vous avez remarquť chez d'autres personnes des
dispositions malveillantes pour vous?
R. Il y avait l'emballeur, M. A..., qui me regardait souvent en
ricanant; un jour il me dit: ęvous avez beaucoup d'argent, vous?Ľ
qui vous a dit cela? ęJe le sais, M. L...Ľ.
Eh bien, je lui rťponds, cela ne vous regarde pas. Tout cela, ce
n'ťtait pas naturel. Il y a longtemps qu'on manigance Áa.
Tel est le rťsumť de nos longues conversations avec L... Les
indications les plus importantes que nous y ayons trouvťes au point
de vue de nos recherches sont confirmťes par des indications
semblables que nous relevons dans l'examen attentif, et fait au
point de vue mťdical, des documents du dossier.
Voici, en effet, ce qui ressort pour nous de cet examen: c'est que
L... nourrissait depuis longtemps une haine profonde contre M...
Mais les motifs de cette haine sont insensťs, ils sont ťclos de
toutes piŤces, pour ainsi dire, dans une tÍte faible, chez un homme
d'une intelligence au-dessous de la moyenne, et qui, dans une
petite ville, oý l'on est volontiers indulgent pour un individu
aisť, passe pour un faible d'esprit, dont la conversation est
nulle, les idťes souvent dťcousues.
Calme, sans excitation d'aucune sorte, L... reste inoffensif; mais
qu'ŗ certains moments l'idťe lui soit venue de se venger de M...
qu'il accuse de le tromper, cela ne saurait faire doute pour nous.
Cependant de la conception ŗ l'exťcution il y avait loin, et nous
ne pensons pas que cette rťsolution ait ťtť le motif rťel du dťpart
de L... pour Paris. Une fois en prťsence de M..., il s'est passť
dans son esprit ce qui se passe dans l'esprit de tous les dťlirants
persťcutťs: L..., aprŤs une longue pťriode de calme apparent, de
vague, d'incertitude, a ťtť poussť au meurtre par un mot, un
regard, un geste, qui, en le confirmant dans les soupÁons dont il
ťtait poursuivi depuis longtemps, ont tout ŗ coup fait ťclater la
dťtermination homicide.
Cet acte ťtait donc prťparť, et il a ťtť accompli sous l'influence
d'une surexcitation cťrťbrale momentanťment plus intense; il peut
Ítre directement rattachť ŗ une disposition morbide antťrieure, qui
est restťe, peut-Ítre ŗ l'ťtat latent, ne donnant lieu qu'ŗ des
manifestations dans le langage, dans le tenue, dont la cause ťtait
inconnue; et cependant ces manifestations ťtaient assez
caractťristiques pour que, dans le pays qu'habitait L... elles
aient ťtť remarquťes et lui aient valu la rťputation d'un homme
dont la tÍte ťtait faible, d'un homme sujet ŗ des emportements et
dont les idťes ťtaient souvent dťcousues.
Voici les piŤces que nous croyons devoir reproduire; elles nous ont
semblť n'avoir pas moins d'intťrÍt que les rťponses mÍme de L...
ęNous, brigadier de gendarmerie, nous sommes rendu au domicile du
sieur L..., oý nous avons trouvť sa femme, qui nous a fait la
dťclaration suivante:
ęLe 5 octobre dernier, mon mari est parti pour Paris, pour t‚cher
de rťgler des comptes avec un nommť M..., son associť, lesquels
nous ne pouvions depuis longtemps rťgler ŗ cause du mauvais vouloir
continuel dudit M..., quand, le 7 ou le 8, j'appris par les
journaux le crime qu'avait commis mon mari. Je vous dťclare que
j'ignore complŤtement ce qui s'est passť et qu'au moment du dťpart
de mon mari il n'avait contre M... aucune idťe de lui faire du mal;
mais il a la tÍte si faible que depuis longtemps je crains de sa
part un suicide; _il me parle souvent de se tuer_.Ľ
ęQuant aux autres renseignements que nous avons pu obtenir auprŤs
des personnes notables du pays qui connaissent le sieur L... depuis
son arrivťe dans la commune, on s'accorde ŗ dire qu'il vivait d'une
maniŤre trŤs-sobre, ne frťquentant intimement personne et n'entrant
jamais dans les lieux publics, ne s'occupant que de la pÍche.
ęIl rťsulte de notre enquÍte, qui a ťtť trŤs-minutieuse, que nous
n'avons pu trouver une seule personne ayant entendu L... tenir
contre son associť des propos menaÁants. Une seule personne n'a pas
pu non plus dire si L... portait ou avait portť sur lui un couteau
poignard.
ęNous connaissons L..., et depuis que nous l'avons connu, nous
l'avons toujours considťrť pour une tÍte trŤs-faible et sujette aux
ťgarements.
Le 1er novembre 1871, le maire d'E..., dans une lettre, dont nous
reproduisons textuellement la plus grande partie, signale l'ťtat
d'exultation de L... au moment de son dťpart; il n'a pu toutefois
obtenir l'assurance, qu'avant son dťpart, L... ait tenu des propos
menaÁants contre M...; il ťcrit:
ęSoit par habitude, soit qu'il ait conservť ici la dťfiance
soupÁonneuse de la profession qu'il a exercťe en Californie, soit
par manie, L... avait continuť ŗ porter en tout temps sur lui un
couteau poignard. Je n'ai encore pu savoir s'il ťtait porteur de
cette arme en partant le 5 octobre. D'un autre cŰtť, je n'ai que de
bons renseignements ŗ vous fournir sur la tenue de L... dans la
commune, et sur ses relations avec les habitants..., sa probitť,
ses moeurs, ont toujours ťtť irrťprochables, les garanties offertes
par sa famille, composťe de sa femme et d'une jeune fille de 12
ans, n'ont jusqu'ŗ prťsent rien laissť ŗ dťsirer. L... n'ťtait ici
intimement liť avec personne, peut-Ítre ŗ cause du peu de fonds de
son caractŤre; assez communicatif pourtant, il confiait facilement
ses affaires, et il a conservť de nombreuses sympathies dans le
village. Il a dťcelť en plusieurs circonstances un tempťrament
irascible, attribuť ŗ son sťjour en Californie, et surtout ŗ une
faiblesse intellectuelle qu'on a pu constater en maintes
circonstances. L... ne frťquentait jamais les ťtablissements
publics, et il n'a non plus montrť en aucune occasion une violence
de caractŤre qui ait pu inspirer des craintes ŗ qui que ce fŻt.
ęL... est connu dans le pays, comme ayant une intelligence ťtroite
et peu entendue. Ses voisins ont pu remarquer frťquemment chez lui
des moments d'ťgarement dans lesquels il perdait le fil de ses
idťes.Ľ
L... ťtait donc pour les gens au milieu desquels il vivait, qui ne
savaient ŗ quoi rapporter les bizarreries de son caractŤre, les
emportements subits auxquels il se livrait, et qui ne les pouvaient
juger qu'avec leur simple bon sens, L..., disons-nous, ťtait un
faible d'esprit: mais pour nous, il ťtait, de plus, tourmentť par
des idťes de persťcution.
Ces conceptions dťlirantes se sont dťveloppťes peu ŗ peu, elles se
sont imposťes et ont fini par dominer L... complŤtement. Qu'on ne
s'ťtonne pas de n'y retrouver ni la cohťsion, ni la systťmatisation
rigoureuse de la plupart des aliťnťs persťcutťs; la condition
intellectuelle de L... est trop restreinte pour qu'il lui soit
possible de s'ťlever ŗ une combinaison compliquťe; il n'a pas
longtemps guettť sa victime, et s'il est impossible d'ťcarter toute
prťmťditation, il est au moins permis de faire ressortir toute
l'insanitť des motifs d'un meurtre, accompli en plein jour, devant
des tťmoins, lesquels, tout ťmus encore de ce qui s'est passť sous
leurs yeux, ne peuvent s'empÍcher de remarquer et de trouver
ťtrange le calme du meurtrier.
Cette attitude, d'ailleurs, sans forfanterie, sans cynisme, ne
s'est pas dťmentie un seul jour dans la prison, et les surveillants
de Mazas qui n'ont pu nous donner aucun renseignement au sujet des
conceptions dťlirantes de L..., n'hťsitent pas pourtant ŗ le
considťrer ęcomme un homme qui n'a pas sa tÍte ŗ luiĽ.
Il vit insouciant, souvent gai, accomplissant avec une satisfaction
puťrile une besogne d'une extrÍme simplicitť et qui n'exige que de
l'agilitť dans les doigts; il n'est pas malheureux, ęil a du gaz
toute la nuit, suffisamment ŗ manger; il travaille pour se
distraire, il ne demande rien de plus;Ľ quant ŗ sa libertť, il n'en
est pas trop privť, nous dit-il: ęen Californie, il fallait
toujours Ítre sur le qui-vive, on n'ťtait pas si tranquille
qu'ici.Ľ
Aux nombreuses visites que nous lui avons faites, que notre
observation ait ťtť directe, ou qu'elle ait portť sur lui, sans
qu'il s'en dout‚t, nous l'avons toujours trouvť le mÍme,
inconscient et de la valeur morale de l'acte qu'il a commis, et de
sa situation prťsente.
De tout ce qui prťcŤde, nous concluons que:
1į L... (Antoine), ‚gť de 53 ans, est un homme d'une intelligence
originellement faible; d'un caractŤre mťfiant et soupÁonneux.
2į Les prťdispositions dťlirantes ont pu rester latentes au milieu
d'une vie aventureuse, mais toujours occupťe, pendant laquelle le
souci des affaires, l'activitť qu'exigeait une clientŤle nombreuse,
apportaient une diversion puissante aux prťoccupations maladives.
Sous l'influence du passage d'une vie de travail ŗ une vie de
loisir, L... s'est trouvť tout entier livrť ŗ ses rťflexions; les
retournant sans cesse dans son esprit, il est arrivť peu ŗ peu ŗ un
ťtat de vťritable obsession.
Ses mťfiances, ses soupÁons, d'abord mal dťterminťs, se sont
traduits ensuite par des bizarreries, des tristesses, des
emportements, puis encore, par la croyance absolue ŗ des complots
contre sa fortune, contre sa sťcuritť personnelle.
Ces conceptions dťlirantes ont prťsentť tous les caractŤres
scientifiquement reconnus du dťlire de persťcution; elles ont
abouti enfin ŗ une exaltation violente, elles ont amenť L... ŗ un
ťtat de trouble mental tel, que toute rťsistance aux impulsions
morbides est devenue impossible.
3į Au moment oý il a commis le meurtre dont il est inculpť, L...
avait perdu toute conscience de la valeur de ses actes, toute
libertť morale, et, consťquemment, on n'en saurait faire peser sur
lui la responsabilitť.
4į L... est un aliťnť des plus dangereux.
Nous pensons que, dans l'intťrÍt de l'ordre public et de la
sťcuritť des personnes, il est nťcessaire de le placer et de le
maintenir dans un ťtablissement spťcialement consacrť aux aliťnťs.
En foi de quoi nous avons rťdigť le prťsent rapport pour valoir ce
que de droit.
Paris, le 25 dťcembre 1871.
Signť: A. MOTET, …. BLANCHE.
Il m'a semblť utile de reproduire en entier ce rapport, afin que l'on
pŻt bien suivre toutes les phases par lesquelles L... a passť avant la
crise qui a abouti au meurtre.
D'une intelligence faible, d'un tempťrament nerveux, L... avait conservť
de son sťjour en Californie et des aventures ťmouvantes dans lesquelles
il avait ťtť, soit acteur, soit tťmoin, une tendance trŤs-prononcťe au
soupÁon, ŗ la dťfiance, en mÍme temps qu'une grande disposition ŗ la
violence et aux idťes de vengeance.
Pendant qu'il fut absorbť par les affaires, L... ne manifesta ces
penchants que par de l'irritabilitť et un ťtat habituel de surveillance
sournoise ŗ l'ťgard de son associť. AprŤs avoir quittť la maison de
commerce, livrť ŗ une oisivetť complŤte, L... n'ayant plus le
contre-poids des soucis du commerce, fut progressivement dominť et enfin
envahi par ses pensťes de mťfiance; il en arriva ŗ la conviction que
M... l'avait trompť et l'avait lťsť dans ses intťrÍts. Il en conÁut
d'abord du chagrin, puis un ressentiment de plus en plus vif, et les
conceptions dťlirantes, qui n'avaient ťtť jadis que fugitives et
lťgŤres, s'emparŤrent complŤtement de son esprit; il lutta encore
cependant, et s'en remit ŗ sa femme du soin de faire valoir ses
rťclamations. N'obtenant pas la satisfaction ŗ laquelle il croyait avoir
des droits, il se dťcide ŗ venir lui-mÍme l'exiger. Arrivť ŗ Paris, il
hťsite encore; il ne se rend pas tout de suite chez M...; il fait des
visites; il rencontre des gens de connaissance avec lesquels il cause;
il s'informe indirectement, et il interprŤte dans le sens de sa
prťoccupation les paroles et les faits les plus simples et les plus
naturels.
Enfin, la crise ťclate, et, sous l'influence immťdiate d'illusions des
sens et de conceptions dťlirantes, L... entre chez M..., et
presqu'aussitŰt le frappe, sans qu'il n'y ait eu entre eux que l'ťchange
de quelques mois de politesse banale.
Le meurtre accompli, L... redevient calme. ņ Mazas, oý nous l'avons
visitť souvent, L... est insouciant, presque gai; il ne se trouve pas
malheureux; il ne semble avoir aucune conscience ni de la gravitť de
l'acte qu'il a commis, ni de sa situation.
Il a toutefois des accŤs d'excitation, et une fois, devant nous, il a eu
une vťritable crise d'agitation furieuse au souvenir des mauvais
traitements dont il prťtend avoir ťtť l'objet, et nous avons dŻ
recommander des mesures exceptionnelles de surveillance.
L... a ťtť dťclarť par le jury irresponsable, et placť dans une Maison
d'aliťnťs.
D…LIRE DE PERS…CUTION AVEC ACC»S IMPULSIFS.
M. A... est fils d'une mŤre aliťnťe, et son frŤre est mort aliťnť
dans une maison de santť spťciale. DŤs son enfance, il s'est montrť
sombre, taciturne, soupÁonneux, irritable, violent. Un jour, dans
un accŤs d'emportement dont il n'a pas voulu dire le motif, il tire
un coup de fusil sur son pŤre, qui est lťgŤrement blessť; il en
tťmoigne sur le moment quelque repentir, mais son humeur redevient
bientŰt la mÍme. Sa famille habitait la province; il demande ŗ
venir demeurer ŗ Paris; on le lui accorde, et on l'y installe
largement, avec tout le luxe qu'autorise une grande fortune; il
reÁoit autant d'argent qu'il en dťsire, mais, malgrť de sages
remontrances, il le gaspille au lieu de payer le propriťtaire, les
fournisseurs et les domestiques. Dans une conversation sur ce sujet
avec un de ses amis, il se prťcipite sur lui et le menace de le
jeter par la fenÍtre si celui-ci continue ŗ le _vexer_. Un jour, un
huissier se prťsente accompagnť d'un commissaire de police; il
s'arme de son fusil, et, les couchant en joue, leur ordonne de se
retirer.
Son pŤre, averti, se h‚te d'accourir, et M. A... lui dťclare qu'il
est fatiguť des plaisanteries _dont les Parisiens l'accablent,
qu'il ne peut vivre ainsi, qu'on l'empÍche de garder ses
domestiques, que l'on rend ses chevaux malades, que l'on brise les
essieux de ses voitures, que dans les rues on lui fait des
grimaces, qu'il a ťtť dťjŗ plusieurs fois sur le point de
souffleter les impertinents qui rient en le regardant, et qu'il est
dťcidť ŗ ne plus supporter ces ennuis_.
Placť dans une maison de santť, peu de jours aprŤs son entrťe, il
saute un matin, par la fenÍtre, non pour se tuer, mais pour
ťchapper aux visions qu'on fait passer devant ses yeux et aux
mauvaises odeurs avec lesquelles on cherche ŗ l'asphyxier. Un peu
plus tard, il se plaint qu'on lui serve ŗ ses repas de la viande
d'animaux fťroces et de la chair humaine; mais, malgrť ses griefs,
il ne se livre ŗ aucune violence, ni sur les mťdecins de la maison,
ni sur les serviteurs. Seulement il veut qu'on le change de maison
et qu'on le place dans celle oý son frŤre est mort, ce qui a lieu.
M. A... se montre d'abord content de son changement de rťsidence;
calme, de bonne humeur, il s'occupe, il dessine, mais il redevient
bientŰt sombre, taciturne; ses yeux sont menaÁants, et il annonce
sa rťsolution de tuer le mťdecin dont il avait rťclamť les soins,
auquel il avait presque tťmoignť de l'affection, et ŗ qui il
reproche maintenant de vouloir l'empoisonner, comme il a dťjŗ
empoisonnť son frŤre. Ces accŤs d'emportement se renouvellent ŗ des
ťpoques plus ou moins ťloignťes. Dťjŗ plusieurs fois M. A... s'est
prťcipitť pour frapper; retenu par les gardiens, il a exprimť le
chagrin _d'avoir manquť son coup_, se promettant _d'Ítre plus
adroit une autre fois_. Dans les intervalles des accŤs, il est
trŤs-paisible, et il reprend sa physionomie souriante et douce.
M. A... est un type d'aliťnť persťcutť ŗ accŤs impulsifs. Chez lui, pas
d'interruption dans les conceptions dťlirantes et dans les
hallucinations, et malgrť cette continuitť de trouble mental, il est le
plus habituellement calme, doux, aimable, affable mÍme, et on pourrait
le considťrer comme ťtant absolument inoffensif. Sans aucun motif
extťrieur apprťciable, sans qu'on ait eu ŗ lui imposer un refus, une
contrariťtť, sans discussion prťalable, il change de physionomie,
devient menaÁant, et serait capable des plus extrÍmes violences. AprŤs
une crise de quelques jours, M. A... retombe dans l'inertie, jusqu'ŗ ce
qu'il ťprouve une autre commotion cťrťbrale qui dťtermine les mÍmes
symptŰmes de surexcitation transitoire.
LYP…MANIE.--D…LIRE DE PERS…CUTION.--ILLUSIONS DES SENS.--ACC»S DE
VIOLENCE.--ABUS
ALCOOLIQUES.--ALCOOLISME.--HALLUCINATIONS.--MEURTRE.--IRRESPONSABILIT….
Commis par ordonnance de M. Blanquart des Salines, juge
d'instruction prŤs le tribunal de la Seine, en date du 3 dťcembre
1877, ŗ l'effet d'examiner, au point de vue de l'ťtat mental, le
nommť D..., inculpť d'assassinat sur la personne de sa femme, et de
dire s'il paraÓt jouir de ses facultťs, et s'il doit Ítre rťputť
responsable de l'acte qui lui est reprochť, nous, soussignťs,
docteurs en mťdecine de la Facultť de Paris, aprŤs avoir prÍtť
serment, avoir pris connaissance des piŤces du dossier, et avoir
fait plusieurs longues visites ŗ l'inculpť dans la prison de Mazas,
avons consignť le rťsultat de nos investigations et de notre examen
dans le prťsent rapport:
D..., nť ŗ R..., mariť ŗ Euphrasie L..., pŤre d'un enfant,
p‚tissier, demeurant ŗ Boulogne-sur-Seine, est un homme de taille
ťlevťe, d'une constitution vigoureuse, qui n'offre aucun signe de
malformation congťnitale, et qui paraÓt avoir toujours ťtť d'une
bonne santť, sauf qu'il ťtait sujet ŗ de violents maux de tÍte.
Nous n'avons rien trouvť qui fŻt ŗ noter dans ses antťcťdents
hťrťditaires, si ce n'est qu'il est le fils d'un pŤre qui ťtait
dťjŗ assez avancť en ‚ge ŗ l'ťpoque oý il est nť, mais aucun de ses
parents ne semble avoir ťtť atteint d'affections cťrťbrales.
L'expression de sa physionomie est sťrieuse, rťflťchie, et annonce
un caractŤre triste et concentrť. Il parle avec lenteur et
prťcision; on voit qu'il tient ŗ dire exactement ce qu'il pense, et
qu'il ne veut rien avancer dont il ne soit certain. S'il s'aperÁoit
qu'on ne l'a pas bien compris, ou qu'il l'a ťtť au delŗ de sa
pensťe, il rectifie avec un soin qui tťmoigne de son dťsir de ne
dire que ce qu'il considŤre comme ťtant la vťritť.
Les renseignements recueillis sur son compte jusqu'en 1876 sont
favorables, et il avait la rťputation d'un bon travailleur,
ťconome, et d'habitudes sobres. Quoi qu'il en soit, il n'a jamais
prospťrť dans ses affaires, et en a ressenti un grand chagrin. Bien
que sa femme eŻt une conduite irrťprochable et lui donn‚t toute
l'aide dont elle ťtait capable, il eut toujours une tendance ŗ lui
attribuer son peu de succŤs dans ses entreprises. Irritť de perdre
de l'argent, alors que par son travail il pouvait espťrer en
gagner, dominť par la passion de l'avarice, il a toujours rejetť la
responsabilitť de ses contrariťtťs sur sa femme, avec injustice, et
avec une violence parfois terrible, comme ŗ l'ťpoque oý elle devint
grosse de son second enfant; en effet, redoutant le surcroÓt de
dťpenses qui rťsulterait de la naissance de cet enfant, il
prťtendit qu'il n'en ťtait pas le pŤre, et lanÁa un coup de pied
dans le ventre de sa femme, espťrant sans doute la faire avorter.
Son irritation se rťvťlait d'ailleurs en toutes choses. DŤs les
premiers temps de son mariage, il s'emportait sans motif plausible
contre sa femme, et la frappait, ou, se livrant ŗ des colŤres
furieuses, il brisait les objets qu'il avait sous la main. Il
n'avait pas d'amis, vivait comme _un sauvage_, dit un des tťmoins;
pendant le siŤge de Paris, il faisait son service de garde
national, sans jamais causer avec ses camarades, ne buvant pas,
prenant ses repas seul, et paraissant toujours plongť dans de
sombres rťflexions.
AprŤs plusieurs tentatives infructueuses, las de rťaliser des
pertes au lieu de bťnťfices, il vendit son fonds, et se mit ŗ
travailler de son mťtier chez les autres, tandis que sa femme
faisait de la broderie, lorsqu'au mois de mars 1875, sur le conseil
d'un blanchisseur de Boulogne, il se dťcida ŗ louer une boutique,
route de la Reine, et y ouvrit une p‚tisserie. Lŗ, les choses
n'allŤrent pas beaucoup mieux qu'ŗ Paris; malgrť beaucoup
d'activitť et de travail, les ťpoux D..., s'ils ne perdaient pas
d'argent, ne gagnaient pas assez pour faire des ťconomies. Aussi
D... ťtait-il toujours d'humeur sombre et chagrine et
maltraitait-il de plus en plus sa femme.
Celle-ci ne se plaignit pas et supporta avec rťsignation tous les
mauvais traitements dont elle ťtait victime. On peut croire qu'elle
avait reconnu que son mari avait la raison souvent troublťe, que,
peut-Ítre mÍme, elle s'ťtait aperÁue qu'il buvait, car il rťsulte
de la dťposition d'un apprenti de D..., que celui-ci faisait
acheter de l'absinthe, en prenant toutes sortes de prťcautions pour
qu'on ne le sŻt pas, et qu'il en absorbait de grandes quantitťs.
Mais, par affection pour son mari, elle ne voulait pas faire de
rťvťlations auxquelles on aurait pu ne pas ajouter foi, et qui
n'auraient apportť aucun soulagement ŗ sa dťtresse.
Toutefois, les scŤnes se multipliaient; non seulement D... frappait
sa femme, mais il l'accablait des soupÁons les plus injurieux, et
la malheureuse, poussťe plus encore par l'humiliation des reproches
de son mari au sujet de sa prťtendue lťgŤretť de conduite, que par
la terreur de ses menaces et de ses violences, fit enfin quelques
confidences ŗ la concierge de la maison et ŗ une parente qui
l'avait ťlevťe, qui l'avait mariťe, qui ťtait comme une mŤre pour
elle, et que D... avait suppliťe de venir demeurer prŤs d'eux, ŗ
Boulogne, sans doute avec la pensťe qu'elle l'aiderait ŗ surveiller
sa femme; mais malgrť toute leur bonne volontť, la concierge et la
parente ne purent lui Ítre d'aucun secours, et ce n'est qu'aprŤs
l'ťvťnement, que l'on a su par elles le long martyre de la femme
D...
Si la vie commune n'avait jamais cessť d'Ítre trŤs-pťnible pour la
femme D..., la situation devint plus douloureuse dans le courant de
l'annťe 1877, par la jalousie insensťe dont son mari fut, dŤs lors,
incessamment dominť. Nous disons _insensťe_, parce que les
tťmoignages sont unanimes sur la parfaite honnÍtetť et la tenue
irrťprochable de sa femme; nťanmoins, les dťmarches les plus
simples, les courses les plus nťcessaires, les paroles les plus
innocentes, devenaient l'occasion d'outrages et de voies de fait.
Un jour, la parente, toute ťmue de qu'elle apprenait de l'attitude
et du langage de D..., vint lui en faire des observations; celui-ci
lui rťpondit qu'il allait lui placer sous les yeux la preuve de la
mauvaise conduite de sa femme, et allant chercher des torchons
sales qu'il avait mis de cotť, il les lui montra, en lui disant:
_tenez, voyez!_ et ce qu'il montrait, c'ťtait des graines et des
pellicules de tomates: on s'ťtait servi des torchons pour ťcraser
des tomates. Ils ne purent s'empÍcher de rire, et D... embrassa sa
femme; mais il revint bientŰt ŗ son idťe fixe. Depuis plus de deux
mois il ne dormait plus; il se plaignait de grandes douleurs de
tÍte; il ťtait toujours agitť; il voyait dans chaque homme du pays
un amant de sa femme. Un jour, il engagea un de ses voisins ŗ se
promener avec lui, l'emmena sur le bord de la Seine, voulut l'y
retenir jusqu'ŗ la nuit, et c'ťtait certainement avec l'intention
de le jeter ŗ l'eau. Il suppliait sa femme de lui avouer ses
intrigues, affectant d'avoir reÁu des avis sur ses rendez-vous, sur
les rencontres qu'elle faisait, comme par hasard, dans ses courses;
puis, il confessait que personne ne lui en avait dit un mot, que
tout ťtait de son invention; il lui demandait pardon, la couvrait
de caresses, et le lendemain il redoublait d'injures et de colŤre;
il emportait les chemises de sa femme pour les montrer ŗ des
mťdecins, qui y constateraient les signes de ses infidťlitťs.
ņ ces idťes de folle jalousie, vinrent bientŰt s'ajouter des idťes
d'empoisonnement: il ťtait un obstacle aux mauvaises passions de sa
femme, et naturellement, elle voulait se dťbarrasser de lui; il
l'en accusa d'abord directement elle-mÍme, puis il alla le dťclarer
au commissaire de police. Dans le courant de novembre 1877, il dit
au docteur que sa femme voulait l'empoisonner, et, quelques jours
plus tard, ayant pris des pilules et quelques cuillerťes d'une
potion qui lui avaient ťtť prescrites, il s'imagina que le mťdecin
ťtait d'accord avec sa femme, et que les mťdicaments qu'il lui
avait donnťs ťtaient du poison; il s'adressa alors ŗ un autre
mťdecin, auquel il fit le mÍme tableau de ses malheurs et des
tentatives d'empoisonnement dont il ťtait l'objet.
D... n'avait plus un seul instant de repos; obsťdť par les soupÁons
et les inquiťtudes, il ťtait en outre souvent dans un ťtat de
surexcitation produite par les excŤs d'absinthe auxquels il se
livrait. Nous savons dťjŗ par un tťmoin qu'il en buvait d'une faÁon
immodťrťe; il nous a avouť que dans les mois d'octobre et de
novembre, il en avait pris beaucoup plus encore; il l'avalait pure,
et il en absorbait environ un tiers de litre par jour. _Autrefois_,
nous dit-il, _je n'y avais presque jamais touchť, mais depuis tous
mes ennuis, il est vrai que j'en ai beaucoup bu_.
D... craignait ťgalement que sa femme voulŻt le quitter, en
emmenant sa fille, et il se rendit ŗ Montreuil, oý cette enfant
ťtait en pension, pour dťfendre qu'on la remÓt ŗ sa mŤre.
Ne trouvant aucun appui, ni aucun soulagement auprŤs de toutes les
personnes auxquelles il racontait ses souffrances morales et
physiques, D... rťsolut d'en faire part ŗ sa mŤre, qui habite R...;
le 21 novembre, il partit donc de chez lui, sans dire ŗ sa femme oý
il allait; celle-ci ne le voyant pas rentrer le soir, en fut mÍme
trŤs-inquiŤte, et pria un de ses voisins d'aller ŗ sa recherche,
laissant percer dans son langage ses prťoccupations sur l'ťtat
d'esprit de son mari, et exprimant la crainte qu'il n'eŻt ťtť
arrÍtť, ou qu'il lui fŻt arrivť un accident.
Il ťtait allť ŗ R... D'abord, ne voulant pas affliger sa mŤre, il
ne lui dit rien, mais pressť de questions sur le but de son voyage
inattendu et inexplicable, il finit par lui faire la confidence de
ses malheurs.
Nous allons maintenant reproduire textuellement le rťcit qu'il nous
a fait ŗ notre premiŤre visite:
ęDans mon voyage, il y a eu une chose extraordinaire; j'ai couchť
chez ma mŤre, je suis reparti le jeudi matin, et je suis arrivť ŗ
CompiŤgne de bonne heure. Je suis entrť chez un cafetier, j'ai pris
un petit verre, et je suis allť me promener jusqu'au pont, en
attendant le train. Je vois une personne qui me regardait, je ne la
reconnaissais pas, elle vient ŗ moi et me dit: c'est vous, mon
oncle! C'ťtait, en effet, ma niŤce; elle m'invite ŗ dťjeuner; je
n'ai pas acceptť; Áa m'ťtonnait; j'ai trouvť que c'ťtait un peu
hardi de la part d'une niŤce; elle m'offre le cafť; je ne voulus
pas refuser; elle revint avec moi et m'emmena chez le cafetier oý
j'avais ťtť le matin. Elle se fit servir du cafť; moi, je n'en
voulais pas; j'ai dit que j'aimais mieux la biŤre; on m'apporta un
verre de biŤre; j'en ai bu le tiers ŗ peu prŤs. On sonne pour le
dťpart du train; elle me dit qu'elle va payer, que je finisse vite
mon verre. Je me dťpÍche; je monte en wagon, j'ťtais gai, bien
portant. Il n'y avait pas un quart d'heure que nous marchions, que
le mal de tÍte me prend: plus de gaietť, un grand malaise. ņ Creil,
voilŗ un ťraillement sur la colonne vertťbrale; je n'en pense pas
plus long. En arrivant ŗ Paris, voilŗ le coeur qui me bat; je me
dis: c'est drŰle, je n'ai pris qu'un verre de biŤre avec ma niŤce,
et en y rťflťchissant, je me rappelle qu'il y avait des graines qui
sautaient dans la biŤre; c'est Áa, que je me suis dit: c'est donc
que ma femme lui aurait ťcrit de me donner quelque chose qui me
fasse mal. Je reviens ŗ pied rue des Abbesses, ŗ Montmartre,
j'entre dans une crťmerie, je bois une tasse de lait; un peu plus
loin, j'en reprends une autre; je me suis trouvť mieux; Áa a lavť
soit la poudre, soit l'estomac; un peu plus tard, je reprends une
troisiŤme tasse de lait. Je monte dans l'omnibus et j'arrive au
Point du Jour, oý je descends; je prends une quatriŤme tasse de
lait, et je rentre ŗ pied chez nous. Quand j'arrive, ma femme me
dit: On ne m'embrasse pas! tout en me regardant fixement. C'est ŗ
toi de venir, que je lui dis. Alors, elle est venue, il n'en a ťtť
que Áa. Pour savoir si elle avait ťcrit ŗ sa niŤce, je lui dis:
j'ai vu le facteur ŗ CompiŤgne; il m'a dit qu'il avait portť une
lettre ŗ la tante Lisa; tu lui as donc ťcrit. Ah! mais non, qu'elle
me rťpond, c'est ŗ ta mŤre que j'ai ťcrit; je lui ai dit qu'elle
vienne tout de suite, parce que tu es trŤs-malade. «a m'ťtonne que
tu aies ťcrit cela. Tu as ťcrit ŗ ta niŤce? Mais non. C'ťtait le
jeudi. Le soir, je suis allť chez le commissaire; il n'y ťtait pas;
il y avait un employť; j'espťrais qu'il ťcrirait mieux la SOLUTION
que l'autre jour; il me dit de revenir le lendemain.Ľ
(ņ ce moment D..., qui parle du ton le plus paisible et le plus
naturel, cherche son mouchoir dans sa poche; ne le trouvant pas, il
se lŤve, nous quitte, va dans sa cellule, revient, se rassied et
reprend son rťcit.)
ęEn rentrant de chez le commissaire, je prends encore du lait chez
nous; je me fais un lavement; je ne me suis pas couchť, je me suis
soignť toute la nuit; je comptais ťcrire ŗ ma mŤre ce qui s'ťtait
passť ŗ CompiŤgne. ņ dix heures du soir, j'entends rŰder devant la
boutique; j'ai reconnu le pas d'un monsieur qui allait avec ma
femme; il savait sans doute cet empoisonnement, il ťtait lŗ pour la
protťger, si j'avais des raisons avec elle. Ma femme se couche dans
la chambre ŗ cŰtť; elle veut fermer sa porte, moi je ne veux pas;
l'autre ťtait toujours lŗ ŗ rŰder, Áa m'ennuyait. J'ai dit au petit
apprenti: va donc avertir le commissaire de police, et dis-lui
d'envoyer deux agents; je croyais qu'il y avait dans la rue des
individus armťs de revolvers pour me tuer, et je me suis enfermť
dans la boutique. Je voulais qu'on arrÍt‚t ces individus, ainsi que
ma femme.
ęņ cinq heures et demie du matin, je sors pour aller chercher du
lait. Je rencontre le laitier et je lui dis que ma femme se
conduisait mal, qu'elle voulait m'empoisonner. Il me rťpond: c'est
ŗ peu prŤs comme Áa avec toutes les femmes, quand elles voient que
Áa ne convient pas ŗ leur mari. Je m'en vais ŗ une crťmerie, elle
n'ťtait pas ouverte; je vois un petit marchand de vins qui ouvrait
sa boutique; je lui demande s'il connaissait un hŰtel, je fuyais la
maison, j'avais peur que l'individu que j'avais entendu rŰder
vienne m'attaquer. Le marchand de vins m'indique un petit hŰtel;
j'y vais, je demande un cabinet et une seringue; le maÓtre de
l'hŰtel a ťtť assez bon pour me donner ce que je lui demandais;
j'ai pris un lavement; j'ai gardť dans un vase et dans une assiette
l'urine et les matiŤres que j'avais rendues; je suis restť lŗ
jusqu'ŗ dix heures et demie; je suis sorti pour aller chez le
commissaire: je l'ai trouvť, je lui ai dit que ma femme avait voulu
m'empoisonner, il m'a donnť une lettre pour qu'elle vienne quand
elle voudrait. Je suis retournť ŗ l'hŰtel, oý je me suis encore
reposť; je suis rentrť chez moi ŗ midi. Je me suis mis dans la
salle ŗ manger; j'ai repris des lavements; le corps se resserrait;
_c'ťtait vraiment servi_; c'ťtait la troisiŤme fois qu'elle
m'empoisonnait: la premiŤre fois Áa avait ťtť avec un morceau de
porc que je n'avais pas voulu manger; une seconde fois en me
faisant prendre des pilules et une potion; cette troisiŤme fois, en
faisant jeter du poison dans le verre de biŤre que j'avais pris ŗ
CompiŤgne. Je souffrais beaucoup; j'ai renvoyť mon petit apprenti
me chercher quatre litres de lait et de la farine de graines de
lin; quand il revint, je fis un cataplasme que je me mis sur le
ventre; je me couchai. J'avais donnť des ordres au petit, et je lui
avais dit de ne pas me dťranger. Alors, j'ai ťcrit une lettre ŗ mon
beau-frŤre; on peut bien voir dans cette lettre que je ne pensais
pas, ŗ ce moment, ŗ tuer ma femme, vers cinq heures et demie, elle
est entrťe et m'a dit: je vais ŗ Vincennes. Comme nous n'y avons ni
parents, ni amis, j'ai pensť qu'elle allait encore faire mal, ou
qu'elle ne voulait pas Ítre tťmoin de ma mort qu'elle savait Ítre
prochaine. «a m'a fait un tel effet que je me suis prťcipitť sur
elle, je l'ai frappťe ŗ coups de poings, elle est tombťe, puis j'ai
pris, sur le lavabo, un rasoir qui se trouvait lŗ, j'ai saisi ma
femme par le col, et j'ai coupť. L'individu qui ťtait chez le
concierge est arrivť tout de suite; j'ai envoyť le petit me
chercher du tabac, et lorsque les gendarmes sont venus, je fumais
ma pipe, et aprŤs avoir rťpondu aux questions du commissaire, je me
suis ťtendu sur un matelas, et je me suis endormi. J'ai dit au
commissaire que je ne regrettais pas ce que j'avais fait, que je le
ferais encore, si c'ťtait ŗ recommencer, que j'aurais dŻ le faire
six mois plus tŰt. C'ťtaient les douleurs que je ressentais au
coeur, ŗ la tÍte, aux reins et au ventre qui me faisaient croire
qu'elle avait cherchť ŗ m'empoisonner. Il y avait deux rasoirs sur
la table: j'ai montrť celui dont je m'ťtais servi. On a trouvť un
revolver chargť; j'ai dit que c'ťtait pour la tuer si je l'avais
surprise en flagrant dťlit, ayant la conviction qu'elle me trompait
toujours; il y avait longtemps qu'on le disait. Quand nous sommes
venus nous ťtablir ŗ Boulogne, le charcutier avait dit aux voisins,
ce n'est pas D... qu'il doit s'appeler, c'est _cocu_. ņ ce moment
lŗ, je n'ai pas fait attention, je pensais que c'ťtait peut-Ítre de
la jalousie, parce qu'il avait idťe que nous lui ferions du tort.
Le lendemain, chez le commissaire, comme j'ai vu que je n'ťtais pas
empoisonnť, et que j'allais beaucoup mieux, j'ai dit que je
regrettais de l'avoir tuťe.
ęJe ne suis pas d'un mauvais caractŤre; je n'ai jamais eu de
raisons avec personne; je n'ai jamais fait une heure de poste: avec
ma femme, quand nous avions quelque chose ensemble, c'ťtait moi qui
revenais le premier; au bout d'une heure, je n'y pensais plus.Ľ
Pendant ce rťcit D... ne s'est pas animť un instant; il l'a dťbitť
avec l'accent de la sincťritť, sans aucune passion, ne paraissant
prťoccupť que du dťsir d'Ítre exact, et de prouver que ses
convictions ťtaient fondťes sur des faits positifs, s'attachant aux
plus petits dťtails, avec cette prťcision de mťmoire que l'on
rencontre chez les aliťnťs dont l'esprit est dominť par un nombre
restreint de conceptions dťlirantes, cherchant ŗ expliquer ce qu'il
avait fait, mais non ŗ s'en disculper, finissant seulement par dire
qu'il regrettait d'avoir cťdť ŗ un mouvement de fureur, mais ne
tťmoignant pas du moindre doute ni de la moindre hťsitation sur la
vťritť absolue de tout ce qu'il avait dit.
Nous lui demandons alors comment il se porte depuis qu'il est en
prison. ę«a ne va pas bien, nous dit-il; je ne sais pas ce qu'il y
a dans ce que je mange et ce que je bois, mais Áa me donne des
constipations; je voudrais prendre des lavements, mais je ne peux
pas les avoir comme je les dťsirerais.Ľ
Les gardiens nous disent que D... est trŤs mťfiant et trŤs-inquiet,
qu'il croit qu'on veut l'empoisonner, qu'il voudrait toujours
s'administrer des remŤdes, prťtendant qu'il ne peut pas aller ŗ la
garde-robe, qu'il refuse les aliments qu'on lui apporte, qu'il ne
veut manger que des pommes, et qu'il se plaint sans cesse de tout.
Quelques jours plus tard, nous le revoyons; il a la mÍme attitude
triste et sombre; il parle du mÍme ton paisible; il nous dit cette
fois qu'il y a certainement quelque chose de _pas bon_ dans le
tabac qu'il fume, que ce tabac lui donne des maux de tÍte; nous lui
faisons remarquer qu'on lui apporte les paquets tels que la rťgie
les livre, fermťs et scellťs; ęil n'y a pas ŗ discuter, reprend-il,
c'est comme on voudra, mais je n'en ai pas moins mal ŗ la tÍte
quand j'ai fumť, et ce n'est pas naturel; c'est comme mes
entrailles, on peut me dire ce qu'on voudra, mais, moi, je sens
bien ce que je sens; je sens bien que mes boyaux sont collťs; j'ai
beau prendre des lavements, je ne peux rien faire; expliquez Áa.Ľ
ņ notre troisiŤme visite, nous apprenons que depuis trois jour D...
paraissait plus tourmentť, plus irascible, qu'il ne dormait pas,
qu'il marchait dans sa cellule pendant toute la nuit, et que le
matin mÍme, il avait griŤvement blessť un de ses codťtenus, en le
frappant violemment sur la tÍte avec une bouteille, et alors que
cet homme dormait, et sans qu'il y ait eu de discussion, ni de
provocation.
Nous le trouvons dans le prťau, marchant la tÍte baissťe, et comme
plongť dans des rťflexions pťnibles; quand nous lui demandons
pourquoi il a frappť son camarade, il nous rťpond: ęIl me
taquinait, il me reprochait de l'empÍcher de dormir la nuit, en
marchant dans la cellule.Ľ Puis, il ajoute: ęIl ťtait d'accord avec
les gardiens pour me tuer, il me l'avait dit, _sans me le dire
prťcisťment_.Ľ
D... ne s'excite pas en nous parlant; il dit bien quelques mots de
pitiť sur l'homme qu'il a blessť, mais il est manifeste qu'il croit
avoir accompli un acte de juste vengeance.
ņ notre visite suivante, D... avait la camisole de force, et nous
sommes informťs qu'il avait cachť dans son lit le couvercle du
siŤge des commoditťs, morceau de bois trŤs-lourd, avec lequel il
avait certainement le projet d'exercer quelque nouvelle vengeance;
il avait d'ailleurs menacť de tuer le premier gardien qui lui
adresserait la parole.
Quand nous l'abordons, il nous fait un accueil qui dťnote une vive
irritation; il rťcrimine amŤrement contre les mauvais traitements
dont il est l'objet: ęPourquoi ne me juge-t-on pas? Eh bien! oui,
je l'ai tuťe; si je suis coupable, qu'on me condamne, mais pourquoi
vouloir m'ouvrir le ventre? Je sais bien que c'est pour ce soir;
j'ai entendu aujourd'hui le directeur qui le disait; les gardiens
chuchotaient entre eux, quand ils passaient devant ma cellule; je
sais bien ce qu'ils disent; d'ailleurs, dimanche j'ai bien vu leurs
ťpťes qui ťtaient derriŤre la porte; qu'on en finisse donc!Ľ Ce
jour-lŗ, les craintes d'empoisonnement ne semblent plus le
prťoccuper; il ne nous dit plus que le tabac lui fait mal ŗ la
tÍte, que les aliments lui collent les intestins; il ne pense plus
qu'au supplice qu'il doit subir le soir, et nous le quittons sans
avoir rťussi ŗ le rassurer.
Ce long exposť ťtait nťcessaire pour bien faire connaÓtre D...;
nous allons maintenant l'analyser pour en dťduire ensuite nos
conclusions.
D... a toujours ťtť d'un caractŤre triste et peu expansif; dŤs sa
jeunesse, il songeait ŗ gagner de l'argent et ŗ en amasser; il
travaillait beaucoup et dťpensait le moins possible; un tťmoin a
dit qu'il ťtait le bourreau de son corps. Malgrť son ardeur au
travail, et sa stricte ťconomie, il n'a pas fait fortune, il vivait
avec peine, et presque jamais il n'a recueilli de rťsultats de ses
efforts. Une seule fois il a rťalisť quelques bťnťfices; c'est
pendant qu'il exploitait, sans sa femme, un petit commerce de
p‚tisserie, dans lequel il n'ťtait aidť que par une servante. Ce
fait, qui ťtait assurťment de pur hasard, l'a confirmť dans
l'opinion qu'il semble avoir eue dŤs le commencement de son
mariage, que sa femme n'ťtait pas aussi ťconome qu'elle aurait dŻ
l'Ítre. Il n'avait pas attendu jusque lŗ pour lui marquer son
mťcontentement par ses reproches et ses violences; mais aprŤs, il
se montra encore plus irritť et plus injuste. Dťjŗ cependant, ŗ
l'ťpoque oý elle ťtait grosse pour la seconde fois, il lui avait
laissť entendre qu'il n'ťtait peut-Ítre pas le pŤre de l'enfant
qu'elle portait; il tťmoignait ainsi de ses sentiments de jalousie
insensťe, et de son ennui du surcroÓt de dťpenses qu'entraÓnerait
un second enfant; c'est ici que nous trouvons la premiŤre
manifestation de conceptions dťlirantes, engendrťes par des
prťoccupations d'avarice, poussťes jusqu'ŗ l'obsession.
Pendant quelques annťes, D... se maintient sans se montrer ni plus
dťraisonnable, ni plus violent, mais ayant toujours au fond de son
coeur et dans son esprit les mÍmes ressentiments et les mÍmes
convictions erronťes. Le mťnage vient s'ťtablir ŗ Boulogne, les
choses vont d'abord assez bien, mais bientŰt, au contraire, la
situation s'aggrave; D... se montre plus sombre, plus mťfiant, il
se met ŗ boire de l'absinthe, et il en arrive ŗ un ťtat presque
constant de surexcitation et de colŤre; il perd le sommeil, n'a
presque plus d'empire sur lui-mÍme, et n'est plus maÓtre de
contenir l'expression des inquiťtudes et des frayeurs qui
l'obsŤdent; il accable sa femme des reproches les plus outrageants;
il l'accuse de le tromper, il le proclame, il va se plaindre ŗ
l'autoritť, il colporte les prťtendues preuves de son dťshonneur,
et enfin, apparaissent les idťes d'empoisonnement. Un jour, on lui
sert un morceau de porc, qui n'ťtait peut-Ítre pas trŤs-frais; il y
trouve un goŻt particulier; il ne le mange pas; sa femme jette l'os
aux ordures dans la rue; la pensťe lui vient que si elle n'a pas
gardť cet os pour le vendre avec les autres, c'est qu'elle a voulu
se dťfaire d'une piŤce ŗ conviction.
Sa femme, inquiŤte des maux de tÍte de son mari, de ses insomnies,
de ses malaises, appelle un mťdecin; celui-ci prescrit des pilules
et une potion; D... se trouve plus souffrant aprŤs avoir pris les
pilules et la potion, il en conclut que le mťdecin est de
complicitť avec sa femme pour l'empoisonner.
Ne voyant autour de lui que des ennemis, ne trouvant d'assistance
auprŤs de personne, D... pense ŗ s'adresser ŗ sa mŤre, et, sans en
rien dire, il se rend auprŤs d'elle, et lui raconte ses malheurs.
La mŤre accueille, probablement avec incrťdulitť, ses confidences;
il revient ŗ CompiŤgne, il y rencontre sa niŤce qui y demeure; elle
lui offre ŗ dťjeuner; quoi de plus naturel? Il n'accepte qu'un
verre de biŤre; on sonne pour le dťpart du train; il n'a que juste
le temps de monter en wagon; sa niŤce le presse d'achever son
verre, lui dit qu'elle paiera, et il la quitte. ņ peine en chemin
de fer, il ressent des malaises: il se croit empoisonnť; c'est la
biŤre qu'il a bue; en effet, il se rappelle qu'il y avait _comme
des graines qui sautaient dans la biŤre_; c'est sa femme qui a
ťcrit ŗ sa niŤce de lui donner quelque chose qui lui fasse du mal;
de retour ŗ Paris, il avale plusieurs tasses de lait; arrivť chez
lui, il s'informe, cherche ŗ dťcouvrir des preuves de la vťritť
qu'il soupÁonne; il est trŤs-agitť; il passe la nuit ŗ se soigner;
il entend et il voit devant sa maison des individus armťs qui le
guettent pour le tuer; il veut les faire arrÍter; le matin il se
sauve de chez lui, va se rťfugier dans un hŰtel, oý il continue ŗ
prendre des lavements et ŗ s'appliquer des cataplasmes; enfin,
aprŤs une dťmarche chez le commissaire, il revient chez lui et se
couche; sa femme se prťsente, lui dit qu'elle part pour Vincennes,
et saisi d'un accŤs de fureur, convaincu qu'elle va ŗ un
rendez-vous, ou qu'elle ne veut pas assister ŗ sa mort, il se
prťcipite sur elle et l'ťgorge.
Le meurtre accompli, la crise est momentanťment ťpuisťe, il reste
calme et insouciant, se met ŗ fumer, et se laisse arrÍter, sans
chercher ŗ se disculper, donnant lui-mÍme tous les dťtails,
indiquant le rasoir dont il s'est servi, n'exprimant aucun regret,
disant au contraire que si c'ťtait ŗ recommencer il le referait, et
montrant ainsi sa conviction qu'il avait usť du droit de lťgitime
dťfense. Ce n'est que le lendemain que, reposť par un sommeil
paisible, n'ťprouvant plus de malaise, ni de douleur, voyant par
consťquent qu'il n'est pas empoisonnť, il exprime le regret d'avoir
tuť sa femme.
ņ Mazas, nous le trouvons prťoccupť des mÍmes conceptions
dťlirantes, des mÍmes illusions des sens; il se croit encore
empoisonnť; _les boissons lui collent les intestins, le tabac lui
donne des maux de tÍte; ce n'est pas naturel_; il est sombre,
inquiet, exigeant, il se plaint, il rťcrimine, mais il se contient;
survient une nouvelle crise; il perd le sommeil, il passe les nuits
ŗ marcher dans sa cellule, il se montre plus tourmentť, plus
soupÁonneux, plus irritable, et un matin, sans querelle prťalable,
sans discussion, il assomme un de ses camarades et le blesse
griŤvement; puis, il reste comme affaissť, inerte, et se contente
de dire que cet homme le taquinait et ťtait d'accord avec les
gardions pour l'assassiner. Cette fois, la crise dure aprŤs l'acte
de violence, ou du moins, la dťtente n'est que de quelques
instants, et D..., obsťdť des mÍmes frayeurs, des mÍmes
hallucinations, prťpare une nouvelle vengeance contre ses
persťcuteurs, contre les gardiens qu'il a entendus chuchoter, dont
il a vu les ťpťes, contre ses codťtenus qui sont les complices des
gardiens, et contre le directeur dont il a reconnu la voix, et qui
a dit que c'ťtait le soir qu'on devait en finir.
Pour ťviter un nouvel accident, on doit priver D... de l'usage de
ses mains et le revÍtir de la camisole. Il ne paraÓt plus avoir de
craintes d'empoisonnement, ne songe plus qu'aux ťpťes avec
lesquelles les gardiens vont lui ouvrir le ventre, de mÍme que dans
la nuit qui a prťcťdť le meurtre il croyait Ítre menacť d'Ítre tuť
par des individus armťs de revolvers.
L'ťtat mental dans lequel est D... depuis trois semaines, est
analogue ŗ celui dans lequel il ťtait ŗ l'ťpoque oý il a tuť sa
femme; les manifestations dťlirantes, les illusions des sens, les
hallucinations que nous constatons aujourd'hui chez D..., sont la
confirmation la plus ťvidente du dťlire, sous l'empire duquel il a
agi le 23 novembre dernier.
De tout ce qui prťcŤde, nous tirons les conclusions suivantes:
1į D... est atteint de lypťmanie avec prťdominance de dťlire de
persťcution, craintes d'empoisonnement, frayeur de mort violente,
illusions et hallucinations.
2į D... a donnť, il y a dťjŗ bien des annťes, des signes de
dťrangement de l'esprit, mais c'est seulement dans le courant de
1876 que les conceptions dťlirantes se sont montrťes clairement
dans son langage et dans ses actes.
3į DŤs les premiers mois de 1877, D... n'a presque plus cessť
d'avoir la raison troublťe, et sous l'influence des excŤs
d'absinthe auxquels il se livrait, les crises d'agitation sont
devenues de plus en plus frťquentes et de plus en plus violentes;
des hallucinations de la vue se sont produites, et une vťritable
folie alcoolique est venue se greffer sur la lypťmanie qui existait
dťjŗ depuis longtemps.
4į Le 23 novembre dernier, D... ťtait sous l'empire d'une
surexcitation maniaque et de conceptions dťlirantes, d'illusions
des sens et d'hallucinations, qui le privaient de la conscience,
et, par consťquent, de la responsabilitť de ses actes.
5į D... est un aliťnť des plus dangereux, qu'il est urgent de
placer dans un asile spťcial, oý il devra Ítre l'objet de la
surveillance la plus rigoureuse.
En foi de quoi, nous avons rťdigť le prťsent rapport pour valoir ce
que de droit.
Paris, le 16 janvier 1878.
A. MOTET, …. BLANCHE.
Dans ce fait, comme dans les prťcťdents, on observe des crises
d'intensitť diffťrente et en rapport avec des variations dans les
conditions cťrťbrales, et en plus, l'intoxication alcoolique comme cause
dťterminante de la crise au cours de laquelle a lieu le meurtre. D...
est un bon ouvrier, un travailleur plein d'ťnergie, d'un caractŤre
sombre, peu communicatif, trŤs-ťconome, et qui n'admet pas que son
travail puisse Ítre sans rťcompense. Malgrť toute son activitť, loin de
prospťrer dans ses affaires, il vťgŤte, et quand il avait le droit
d'espťrer le succŤs, il ne rencontre que les revers.
Sa femme le seconde de toutes ses forces, mais en vain; alors D... lui
reproche, sans aucune justice, de manquer d'ordre, et la rend
responsable de ce qu'il ne rťussit pas. Il a un enfant; loin de s'en
rťjouir, ce n'est pour lui qu'une dťpense de plus dans le mťnage. Un
second enfant va naÓtre; D... ne peut supporter la pensťe de ce surcroÓt
de charge; ŗ cette pensťe vient se joindre le soupÁon qu'il pourrait
bien avoir ťtť trompť par sa femme et ne pas Ítre le pŤre de l'enfant
qu'elle porte; il frappe violemment sa femme dans l'espoir de la faire
avorter.
Puis, succŤde une pťriode de calme relatif. Plus tard, les idťes de
jalousie reparaissent; D... est convaincu que sa femme a une mauvaise
conduite; et un jour il se promŤne longtemps sur le bord de la Seine
avec un de ses voisins qu'il considŤre comme un de ceux qui le trompent,
et il avoue qu'il avait l'intention de le jeter dans l'eau. Cette fois,
il en reste ŗ la pensťe, et ne va pas jusqu'ŗ l'acte.
Obsťdť de soucis, D... demande ŗ l'alcool l'oubli de ses chagrins. Il
devient alors de plus en plus soupÁonneux, irritable, emportť; les
hallucinations de la vue apparaissent; il ne dort plus, n'a plus un
moment de repos ni le jour ni la nuit, et enfin la crise ťclate, le
meurtre est accompli. D... redevient aussitŰt calme; il attend, en
fumant, qu'on vienne l'arrÍter, et il n'exprime aucun regret de ce qu'il
a fait, tant il est persuadť que sa vengeance ťtait juste.
Le lendemain, n'ťprouvant aucun malaise, il pense qu'il n'ťtait pas
empoisonnť et regrette d'avoir tuť sa femme.
En prison, il a deux nouvelles crises; dans la premiŤre, il assomme un
de ses codťtenus; dans la seconde, il est rťduit ŗ l'impuissance par les
mesures de surveillance exceptionnelle dont il est l'objet.
Constatons encore ici des analogies frappantes entre ce fait et le fait
de la femme C... Elle ne doute pas de son droit de se venger des mauvais
traitements dont elle est victime; D..., aprŤs avoir tuť sa femme,
conserve le calme d'un homme qui a satisfait ŗ une vengeance lťgitime.
On pourrait croire que c'est une apprťciation aprŤs coup, un moyen de
dťfense; ce sentiment existait peut-Ítre chez la femme C... et chez
D..., mais il y avait certainement aussi conviction sincŤre de leur
part.
Dans sa prison, la femme C... a de nouveau des conceptions dťlirantes
relatives aux religieuses qu'elle considŤre comme des complices gagnťes
ŗ la cause du clergť; ŗ Mazas, D..., aprŤs Ítre restť calme pendant
quelques jours, prťsente les signes d'un dťlire avec hallucinations,
absolument semblable ŗ celui qui l'a poussť au meurtre de sa femme.
Il n'y a de diffťrence que dans la cause de l'accŤs de dťlire avec
hallucinations, l'alcoolisme, qui joue dans ce cas le principal rŰle et
qui manquait absolument chez la femme C...; mais dans l'un et dans
l'autre, on voit des impulsions irrťsistibles surgir au cours d'un
dťlire mťlancolique qui n'avait ťtť longtemps que menaÁant, qui avait
donnť lieu ŗ quelques violences sans rťsultats, et qui ťclate enfin par
des actes terribles.
…PILEPSIE.--ATTAQUES VERTIGINEUSES AVEC HALLUCINATIONS VISUELLES ET
PERVERSIONS INTELLECTUELLES.--ABSENCE D'ATTAQUES
CONVULSIVES.--INCONTINENCE NOCTURNE DES URINES.--ACC»S DE D…LIRE
IMPULSIF.--MEURTRE.--SOUVENIR EXACT DES FAITS ACCOMPLIS PENDANT
L'ACC»S.--IRRESPONSABILIT….
Nous soussignťs, LasŤgue, Blanche et Motet, docteurs en mťdecine,
commis par une ordonnance en date du 20 fťvrier 1868 de M. Dubard,
juge d'instruction prŤs le tribunal de premiŤre instance du
dťpartement de la Seine, ęŗ l'effet d'examiner le nommť R...,
inculpť d'assassinat, de rechercher et d'ťtablir quel a ťtť son
ťtat mental au moment du crime, et quel il est actuellement;Ľ aprŤs
avoir prÍtť serment, avons pris connaissance du dossier, avons
examinť l'inculpť ŗ plusieurs reprises, et consignons dans le
prťsent rapport les rťsultats de notre expertise:
Le 24 janvier 1868, R... se prťsentait au presbytŤre de la Loupe et
demandait avec instance ŗ parler ŗ M. le curť. ęIl venait,
disait-il, chercher des consolations, et se plaignait des mauvaises
gens qui voulaient lui faire du mal.Ľ La servante qui lui avait
ouvert la porte lui dit que le curť ťtait ŗ l'ťglise, qu'il le
trouverait au confessionnal. R... suivit les indications qui lui
ťtaient donnťes; il se rendit ŗ l'ťglise, frappa au guichet du
confessionnal, et rťclama les consolations qu'il ťtait venu
chercher. Soit que ses paroles eussent paru ťtranges au curť, soit
que R... ait ŗ ce moment dťjŗ profťrť des menaces, le prÍtre ne
crut pas devoir l'entendre et l'invita ŗ se retirer. R... insista.
Le curť sortit alors du confessionnal; l'accusť le suivit dans
l'ťglise, et n'obtenant pour rťponses ŗ ses demandes qu'un refus
absolu, avec menaces de le faire arrÍter s'il ne s'ťloignait pas,
R... prit son couteau et frappa le curť avec une telle violence que
la lame pťnťtra tout entiŤre dans la cavitť du petit bassin et
dťtermina une hťmorrhagie rapidement mortelle.
R... rentre immťdiatement ŗ l'auberge, oý il est arrÍtť. Il avoue
le meurtre qu'il vient de commettre, et, bien que dŤs ce moment ses
rťponses soient assez prťcises, elles tťmoignent encore des
prťoccupations sous l'empire desquelles il a agi. Nous avons ŗ
dťterminer: 1į quels sont les antťcťdents de l'inculpť; 2į quel
ťtait son ťtat mental au moment du crime.
R... est un homme de 34 ans, d'une taille ťlevťe; son aspect
extťrieur rťvŤle la prťdominance du tempťrament lymphatique; il est
atteint d'une blťpharite ciliaire chronique. Son enfance a ťtť
maladive; il eut, dit-il, les fiŤvres pendant trŤs-longtemps, mais
il ne paraÓt pas avoir eu d'accidents convulsifs. Il se dťveloppa
lentement et fut sujet jusqu'ŗ 18 ans ŗ de l'incontinence nocturne
des urines. Il n'apprit jamais ŗ lire ni ŗ ťcrire, et put cependant
faire sa premiŤre communion. Sa physionomie est peu intelligente;
l'ensemble de sa personne, son attitude, annoncent une simplicitť,
une franchise, dont nous avons ťtť frappťs dŤs notre premier
examen, et qui ne se sont pas dťmenties depuis. Il travailla de
trŤs-bonne heure; placť ŗ l'‚ge de 13 ans comme domestique dans une
ferme, il y resta cinq ans, et n'en sortit qu'ŗ la mort de ses
maÓtres. ņ cette ťpoque, son caractŤre se modifie; R... est pris
comme d'un incessant besoin de changement; il ne reste nulle part,
s'en allant sans prťtexte, pour rentrer quelque temps aprŤs dans la
place qu'il a volontairement quittťe. Il est inquiet, soupÁonneux;
il croit, si l'on parle ŗ voix basse auprŤs de lui, que c'est de
lui qu'on s'occupe; si on lui fait une observation, il la prend
toujours en mal; sans Ítre habituellement querelleur ni violent, il
a parfois des moments de vivacitť, d'entÍtement, _il se bute_, et
l'on n'en peut rien obtenir. D'autres fois, il est sombre,
taciturne, ne parle plus, et cet ťtat de tristesse se montre assez
souvent chez lui pour qu'on dise dans le pays que R... ęest un
songeurĽ. Il ne se lie avec personne, ne se montra guŤre ni au
cabaret ni dans les fÍtes; son caractŤre, mobile ŗ l'excŤs, ťloigne
de lui. Cependant, il ne manque jamais de travail; on lui reconnaÓt
une certaine habiletť dans le commerce des bestiaux; on lui confie
des sommes assez importantes, et jamais sa probitť n'a ťtť
suspectťe. Il est ťconome, et, si peu qu'il gagne, il contribue
pour sa part ŗ soutenir une de ses soeurs qui est aveugle.
Cet homme est, depuis l'‚ge de 18 ans, sujet ŗ des accidents qui
revenaient ŗ des ťpoques plus ou moins ťloignťes; il ťtait pris de
maux de tÍte violents dont l'apparition semble avoir coÔncidť avec
les modifications signalťes dans son caractŤre. Depuis huit mois
surtout les maux de tÍte ont ťtť plus frťquents; ils se sont
compliquťs de troubles de l'intelligence, d'hallucinations de la
vue, et les renseignements qu'il nous donne ŗ ce sujet, que nous
reproduisons presque textuellement, sont d'accord en tous points
avec les dťpositions recueillies par les magistrats chargťs de
l'enquÍte.
ęSouvent, dit-il, Áa me prenait, j'avais tout ŗ fait mal ŗ la tÍte,
je n'y voyais plus clair; Áa me montait ŗ l'estomac, et puis Áa me
serrait au cou: je ne pouvais plus respirer. Je ne dormais guŤre
jamais, mais, dans le mois d'aoŻt, je ne dormais presque plus. Je
me faisais un tas de fantŰmes, j'avais comme peur de moi-mÍme.
Jamais je ne m'ťtais vantť de Áa ŗ personne. Une nuit, j'ťtais dans
mon lit, j'aperÁois quelque chose contre la porte de l'ťcurie; Áa
avait une figure tout ŗ fait drŰle. Je me suis levť, je suis allť
voir, il n'y avait plus rien. Je me suis recouchť et Áa est revenu.
Je me suis relevť trois fois, et je me disais: Mon dieu, je
suis-t-y drŰle! J'ai pensť que c'ťtait quelque chose qui me
tourmentait dans moi, qu'on voulait me faire du mal, je n'ai pas
dormi du tout. Le matin je me suis levť comme d'habitude, j'ai ťtť
mener les vaches dans le prť, je n'ai rien dit ŗ ma patronne; je
suis allť trouver le curť de Pontgoin, je lui ai tout racontť; je
lui ai dit que je croyais qu'on voulait me faire du mal; je croyais
sans croire; je pensais bien qu'il y avait quelque chose tout de
mÍme, mais je ne supposais sur personne. Le curť de Pontgoin m'a
rassurť, il m'a conseillť un bain de pieds et du tilleul; je me
suis trouvť mieux aprŤs cela. J'ai eu cela encore une autre nuit
que je me suis levť. Je voyais tout rouge; j'ai cru qu'il y avait
le feu; j'ai manquť l'ťchelle et je suis tombť; cette fois-lŗ, ma
patronne peut le savoir.Ľ
Il est impossible de mťconnaÓtre dans ces faits l'existence
d'hallucinations de la vue, se manifestant tout ŗ coup chez un
individu qui se plaint en mÍme temps d'un malaise qui, de la rťgion
de l'estomac, s'ťtend vers l'oesophage, remonte jusqu'ŗ
l'arriŤre-gorge et dťtermine une sensation de constriction
nettement exprimťe par les mots: ęCela me serrait, je ne pouvais
plus respirer.Ľ Cette anxiťtť extrÍme, nous la retrouvons, non pas
la veille, mais l'avant-veille du jour du meurtre. ęDans la nuit du
mercredi au jeudi (22 au 23 janvier), je n'ai pas pu dormir.
J'avais un tas de rÍves; il me semblait toujours voir quelque
chose, des formes de rien; c'ťtait dans ma vue, mais j'avais comme
peur. Je ne me suis pas levť, j'ai appelť le tondeur ŗ cŰtť de moi
pour lui demander l'heure. Je m'ennuyais dans le lit, j'ťtais tout
ŗ fait fatiguť; souvent Áa m'arrivait de ne pas pouvoir dormir;
mais la nuit suivante j'ai tout ŗ fait bien dormi; Áa ne m'a pris
que le matin aprŤs que j'ai eu mangť le cafť.
ęIl s'est trouvť que j'allais ŗ la Loupe; je ne sais pas ce qui m'a
pris. Je me suis levť bien tranquille ŗ sept heures; j'ai sorti
dehors, et la maÓtresse d'auberge ťtait lŗ, en train de faire du
cafť. Elle me dit: en voulez-vous?--«a m'est ťgal, que je lui
rťpondis, si vous en avez de trop, je veux bien. Quand j'ai eu
mangť ce malheureux cafť, Áa m'a montť ŗ l'estomac.
ņ ce moment lŗ, il y a un homme qui est venu avec un coq d'Inde.
ęIl y avait longtemps que j'avais la tÍte toute drŰle par moments;
Áa m'a impressionnť de voir ce dindon; il ťtait dans un panier au
milieu de la route, et plus je le regardais, plus il me semblait
drŰle; je ne pouvais pas m'Űter les yeux de dessus; je ne peux pas
vous expliquer cela. Je me suis retournť et c'est lŗ que j'ai vu
l'image du cŰtť du lit au petit C...; il y avait comme deux tÍtes:
Áa dansait. C'est lŗ que je suis parti. J'ťtais impressionnť et
tournť je ne sais pas comment. Alors j'ai ťtť trouver le curť; il
n'ťtait pas lŗ, il ťtait ŗ l'ťglise. J'avais sonnť, la domestique
m'avait demandť ce que je voulais, je lui rťpondis que je voulais
parler ŗ M. le curť. Elle me dit qu'il ťtait ŗ l'ťglise. J'entrai.
J'ai pris de l'eau bťnite comme on fait toujours, j'ai tapť au
guichet du confessionnal; il m'a demandť ce que je voulais, je lui
ai dit que je voulais des consolations; j'ai encore frappť, il m'a
dit de m'en aller; puis il est sorti dans l'ťglise, il m'a dit
qu'il allait chercher les gendarmes. J'avais mon couteau dans ma
poche, je lui en ai donnť un coup. C'est lŗ qu'ils sont venus
m'arrÍter.Ľ
Ces dťtails nous permettent de dire que le dťlire a ťclatť tout ŗ
coup sous forme d'accŤs avec impulsion irrťsistible; et, loin de
trouver dans la prťcision des rťponses de R... des ťlťments de
doute sur la rťalitť d'un trouble de ses facultťs intellectuelles,
nous dťclarons que l'intťgritť des souvenirs, l'exposť minutieux de
tous les faits qui ont prťcťdť le meurtre, sont pour nous
caractťristiques; ils sont l'expression d'une prťoccupation
maladive.
R... s'est en quelque sorte observť lui-mÍme, rien ne lui a ťchappť
dans la succession des troubles qu'il nous rťvŤle. Des faits qui
eussent passť inaperÁus pour un homme sain d'esprit, se sont gravťs
dans sa mťmoire avec d'autant plus de prťcision qu'il a ťtť plus
inquiet. Il n'a rien oubliť; mais, bien diffťrent des autres
criminels qui essayent de mettre leurs actes au compte de la folie
et de les attťnuer, il raconte ce qu'il a ťprouvť, sans chercher
jamais ŗ s'excuser, exprimant plutŰt le regret du meurtre qu'il a
commis. Il n'exagŤre rien; il dit avec une simplicitť et une
sincťritť parfaites; il n'a jamais variť dans ses rťponses; ses
actes, ses prťoccupations dťlirantes s'enchaÓnent de la maniŤre la
plus rigoureuse et appartiennent ŗ un ťtat pathologique nettement
dťterminť. Pour nous, R... est atteint d'ťpilepsie, non pas de
celle qu'on observe le plus communťment, mais bien de la forme
rťduite aux vertiges fugaces, ŗ ces modifications instantanťes si
soudaines et parfois si rapidement disparues qu'elles ne seraient
mÍme pas soupÁonnťes si les actes qui les suivent n'en venaient pas
rťvťler la nature. Cette opinion est d'autant plus certaine en ce
qui regarde R..., qu'il est d'expťrience que les actes dťlirants
prennent plus vite le caractŤre de la plus aveugle violence lorsque
la manifestation ťpileptique a ťtť rťduite ŗ sa plus simple
expression. Et, comme ces troubles ne sont jamais isolťs, comme
leur apparition, leur retour, apportent dans le caractŤre, dans les
habitudes, dans les tendances, des modifications profondes, on
peut, lorsqu'on n'en mťconnaÓt plus la nature, les suivre en
quelque sorte ŗ la trace. TantŰts frťquents, tantŰt revenant ŗ de
longs intervalles, ils laissent toujours une impression plus ou
moins profonde, se rťvťlant par des symptŰmes ŗ l'ensemble desquels
on a scientifiquement donnť le nom de ęcaractŤre des ťpileptiquesĽ.
Ces malades, d'une mobilitť extrÍme, sont tour ŗ tour soupÁonneux,
mťfiants, querelleurs, violents, puis faciles, serviables,
obsťquieux mÍme. Leur intelligence pendant longtemps n'est pas
amoindrie, elle n'est que momentanťment troublťe, jusqu'au jour oý,
par suite de la rťpťtition des accŤs, elle s'affaiblit et enfin
s'ťteint. Chez les malades qui prťsentent seulement l'ťtat
vertigineux, le caractŤre ťpileptique est tout aussi tranchť que
dans l'ťpilepsie convulsive. Mais ce qu'on trouve chez eux bien
plus souvent, ce sont les hallucinations de la vue, les
dťterminations violentes, non motivťes, l'agression instantanťe,
automatique, pour ainsi dire, de vťritables accŤs s'ťpuisant
parfois ŗ la suite d'un seul meurtre, ou bien, ce qui
malheureusement n'est pas rare, durant assez longtemps pour Ítre
l'occasion d'une sťrie de meurtres dont on chercherait en vain les
motifs.
R... nous prťsente tous les caractŤres de cette affection. Depuis
l'‚ge de 18 ans, il est connu comme un individu mobile, ayant des
alternatives d'une tristesse profonde et d'un ťtat plus calme
pendant lequel il est capable de se livrer aux travaux de la ferme.
On ne s'explique pas ses brusques changements d'humeur: c'est qu'on
ne sait pas qu'il a peu de sommeil, que des visions effrayantes,
ędes fantŰmes, des images de rienĽ, comme il les appelle, le
tourmentent souvent. Il est soupÁonneux, mťfiant; il se figure
qu'on s'occupe de lui, qu'on lui veut du mal. Quand il est sous
l'influence de ses prťoccupations tristes, il n'accepte aucune
observation, ęil part, dit-il, pour un oui, pour un nonĽ, et, la
pťriode de calme revenue, il cherche ŗ rentrer dans la maison qu'il
a quittťe sans motifs. Bien des faits qui auraient eu pour nous une
haute importance ont pu passer inaperÁus, mais ce que nous savons
ne peut laisser aucun doute dans notre esprit, et surtout les
hallucinations du mois d'aoŻt. R... ťtait aussi malade le jour oý
il est allť trouver M. le curť de Pontgoin que le jour oý il est
allť trouver M. le curť de la Loupe. Les symptŰmes de l'accŤs sont
les mÍmes; et si le curť de Pontgoin n'a pas ťtť la victime de
R..., c'est que l'accŤs du mois d'aoŻt s'ťtait passť pendant la
nuit, que dťjŗ un intervalle de temps assez considťrable s'ťtait
ťcoulť entre les troubles hallucinatoires et le moment de la visite
au curť; c'est qu'aussi, peut-Ítre, R... n'a pas, ce jour-lŗ,
rencontrť d'obstacles dans la rťalisation de ses projets; il a
trouvť ce qu'il venait chercher: des consolations. Dans le fait de
la Loupe, nous constatons les caractŤres du vertige plus tranchťs
encore: dťbut brusque par une sensation de malaise au creux de
l'estomac, sorte ęd'auraĽ qui remonte ŗ l'arriŤre-gorge et
l'ťtouffe, hallucinations de la vue, ťblouissements, et, enfin,
conceptions dťlirantes tristes: ce sont elles qui le poussent. R...
a besoin d'aller chercher auprŤs de quelqu'un ce qu'il appelle ędes
consolationsĽ; et, comme il avait ťtť trouver le curť de Pontgoin,
il s'en va trouver le curť de la Loupe. Il ne le connaissait pas,
mais il avait ťtť soulagť, dit-il, par le premier, il pouvait
l'Ítre par le second. Profondťment troublť ŗ ce moment, il n'est
plus maÓtre de se diriger; il obťit ŗ une impulsion; il rencontre
un obstacle, il le renverse; il frappe, il tue, sans prťmťditation,
sans conscience, un prÍtre qu'il n'a jamais vu, qu'il n'a pas, mÍme
un instant, pensť ŗ mettre au nombre de ses imaginaires
persťcuteurs.
En consťquence, les mťdecins soussignťs se croient autorisťs ŗ
conclure que:
1į R... est atteint d'une affection encťphalique caractťrisťe
essentiellement par des accŤs subits ťpileptiformes, avec
impulsions irrťflťchies et irrťsistibles.
2į En dehors de ces attaques s'accompagnant d'hallucinations
visuelles, de vertiges, ou de perversions intellectuelles, R... n'a
jamais ťtť sujet ŗ des attaques ťpileptiques convulsives, se
produisant sous la forme d'accŤs d'ťpilepsie classique.
3į L'absence de convulsions ťpileptiques, non-seulement n'exclut
pas la possibilitť d'ťpilepsie ŗ prťdominance de propulsions
instinctives et de dťsordres de l'intelligence; au contraire, il
est d'expťrience que la plupart des malades entraÓnťs ŗ commettre
des actes de violence dans le cours d'un vertige ťpileptique de
nature spťciale ne sont que rarement, sinon exceptionnellement,
sujets ŗ des attaques ťclamptiques d'ťpilepsie.
4į Dans ces conditions, le malade, dominť par la plus invincible de
toutes les influences, perd toute responsabilitť de ses actes, lors
mÍme que ces actes sembleraient ŗ premiŤre vue Ítre commandťs par
une intention, et Ítre soumis ŗ l'influence de la volontť.
5į Si R... doit Ítre considťrť comme irresponsable, et si les accŤs
de l'aliťnation passagŤre ne sont survenus et ne doivent
prťalablement survenir qu'ŗ des pťriodes ťloignťes, R... est,
nťanmoins, pendant les accŤs, dont le retour pťriodique est
impossible ŗ dťterminer, un homme tellement dangereux, qu'il y a
lieu de le placer dans un asile d'aliťnťs.
Paris, le 9 avril 1868.
Signť: CH. LAS»GUE, …. BLANCHE, A. MOTET.
Ce fait vient ŗ l'appui de l'opinion, aujourd'hui consacrťe par
l'expťrience, que les troubles intellectuels chez les ťpileptiques sont
beaucoup plus intenses dans les cas oý il y a seulement des vertiges que
dans ceux oý existent des attaques ťclamptiques. L'ťlťment _dťlire_
semble en raison inverse de l'ťlťment _convulsion_.
On observe chez R... des crises d'inťgale intensitť; d'abord, c'est un
besoin irrťsistible de changement et de condition; puis, se montrent des
soupÁons, des inquiťtudes, des moments de tristesse, des vivacitťs, des
emportements; viennent ensuite des hallucinations, principalement la
nuit, des terreurs, des insomnies. AprŤs une nuit passťe dans le dťlire,
R... se rend chez le curť de P... et lui raconte ses tourments; celui-ci
le rassure et lui donne quelques conseils. R... se retire content et
calme; la crise s'arrÍte lŗ. Notons ici que la dťmarche auprŤs de curť
de P... avait ťtť sťparťe par quelques heures des accidents cťrťbraux
qui l'avaient prťcťdťe, et que par consťquent l'influence de ces
accidents en avait ťtť amoindrie. Au contraire, le jour oý R... a tuť le
curť de la Loupe, c'est dans la matinťe et presque immťdiatement avant
d'aller au presbytŤre qu'il avait eu une crise sur laquelle il a fourni
les dťtails les plus prťcis. Il ťtait donc, en arrivant auprŤs du curť,
sous l'influence directe de cette crise de dťlire et d'hallucinations.
Enfin, ŗ rencontre de ce que l'on observe le plus habituellement chez
les ťpileptiques, R... s'est rappelť avec une prťcision minutieuse tout
ce qu'il avait pensť, tout ce qu'il avait vu, et tout ce qu'il avait
fait, jusqu'aprŤs le meurtre, ce qui s'explique par la prťdominance
qu'offre dans ce cas l'intensitť de la prťoccupation dťlirante sur les
troubles comitiaux.
L'attaque est incomplŤte chez lui comme chez un grand nombre
d'ťpileptiques ŗ crises plus mentales que convulsives. Elle a en moins
l'absence de conscience, les spasmes toniques ou cloniques; elle a en
plus la tension impulsive. C'est une sorte d'ťtat intermťdiaire entre la
grande attaque ou le grand mal, et le vertige.
Conformťment aux conclusions du rapport, R... a ťtť dťclarť
irresponsable et placť dans un asile d'aliťnťs.
La nommťe R... est une enfant non-seulement par son ‚ge, mais par
la lenteur de son dťveloppement physique et moral; sa tÍte a des
dimensions au-dessous de la moyenne.
ņ l'‚ge de 2 ans, elle a fait une chute suivie d'accidents
cťrťbraux sur lesquels il est impossible d'Ítre renseignť. Depuis
lors, des accŤs ťpileptiques ou ťpileptoÔdes rares se sont
produits.
Elle est sujette ŗ des impulsions violentes, soudaines, sans
provocation, et sans cause apprťciable.
Un jour, elle se jette, armťe d'un couteau, sur sa mŤre et lui fait
une blessure sans gravitť. Une autre fois, elle se prťcipite sur sa
grand'mŤre, une corde ŗ la main, roule la corde autour de son cou
et tire violemment; la grand'mŤre est ŗ demi ťtranglťe, elle tombe
ŗ terre, ne pouvant plus crier; le bruit attire l'attention et on
accourt ŗ temps pour la sauver.
Ces attaques de courte durťe sont sťparťes, par des intervalles de
raison relative, d'autres accŤs pendant lesquels l'enfant est
dominťe par des idťes vaniteuses.
Elle s'habille avec une prťtention de mauvais goŻt, se dťclare
riche ou prŤs de le devenir, habile ŗ tout, bien qu'elle n'ait pu
en rťalitť apprendre un ťtat.
Le nommť F..., ‚gť de 35 ans, est arrÍtť dans la boutique d'un
marchand de vins, s'ťtant jetť sur un consommateur, armť d'un
couteau, et aprŤs avoir errť longtemps sur le trottoir en profťrant
des menaces. Le lendemain de son arrestation, il dťclare se
rappeler le fait, sans savoir quels mobiles l'ont fait agir. Il
boit peu, et n'a pas de tremblement caractťristique. Six mois
avant, il s'ťtait prťcipitť sur sa logeuse avec laquelle il n'avait
eu que les plus honnÍtes relations; il veut l'embrasser, la coucher
sur son lit; elle rťsiste; appelle au secours, F... descend dans la
rue, se met ŗ danser, remonte et s'enferme ŗ clef chez lui. Un mois
plus tard, il frappe ŗ coups redoublťs ŗ la porte d'une maison oý
d'ailleurs il ťtait connu, au milieu de la nuit, on lui refuse
l'entrťe; sa fureur redouble; les agents de police accourus, le
maintiennent aprŤs une rťsistance terrible. Au poste, il s'endort,
et le lendemain il se rťveille assez remis pour qu'on le
reconduise, sans autre formalitť, ŗ son domicile.
Lŗ encore, on assiste ŗ des phases qui varient par leur intensitť
plutŰt que par leur nature. En poursuivant plus loin la recherche,
on apprend que F..., employť comme homme de peine dans une
administration publique, y est trŤs-estimť, mais que de temps en
temps il devient singulier, morne ou menaÁant, et aprŤs quelque
repos, il reprend son ouvrage ŗ la satisfaction de tous. On apprend
aussi qu'il n'a pas d'habitudes d'ivrognerie et qu'il se dťfend de
boire, sachant combien la boisson l'agite.
La nommťe M..., domestique, ‚gťe de 24 ans, est nťe dans la
Meurthe; elle habite Paris depuis son enfance. Petite, blonde,
d'une physionomie assez fine, elle a ťtť arrÍtťe pour un
infanticide accompli dans les conditions que rťvŤle suffisamment
son interrogatoire. Nous avons cru devoir nous borner ŗ reproduire
ses paroles, rapportťes presque textuellement: ęMon enfant ťtait en
nourrice, il avait six mois. J'ai ťtť le chercher au bureau, j'ai
payť ses mois. Je savais que je ne pouvais pas continuer, je l'ai
emportť.
ęJe suis revenue tranquillement ŗ la Seine, portant l'enfant sur
les bras; je me suis promenťe un bon moment sur le bord de la
Seine, je ne savais pas quoi faire, si je devais rentrer chez mes
patrons; il ťtait prŤs de minuit, j'ai marchť pendant prŤs de deux
ou trois heures, je me suis assise sur un banc.
ęJe ne pourrais pas dire ce qui m'a passť par l'esprit; j'ťtais
comme perdue, je ne pourrais pas expliquer. Je l'ai pris, je l'ai
jetť par-dessus le pont; je l'ai jetť avec douceur. Le pauvre
enfant, je pensais en faire tout autant pour moi que j'en ai fait ŗ
mon enfant, je ne pourrais pas dire; Áa m'a pris tout d'un coup.
Mes parents savaient que j'avais un enfant, mes maÓtres, non;
j'aurais rťflťchi, que j'aurais compris que mes parents m'auraient
aidťe. Ce n'est pas par mťchancetť, c'est je ne sais comment que
j'ai fait le coup.
ęSon pŤre ťtait commis dans un magasin, j'avais fait sa
connaissance par une autre jeune fille; je ne l'ai pas revu aprŤs
un mois que j'ťtais enceinte; il y avait peut-Ítre cinq mois que je
le connaissais.
ęJ'ai ťtť au commencement que j'ťtais grosse en rapport avec un
autre individu qui devait m'ťpouser; il a refusť, le jour de
l'accouchement, en faisant le calcul qu'il ne pouvait pas Ítre le
pŤre.Ľ
L... est plus franchement ťpileptique.
Venu ŗ Paris de son pays par un coup de tÍte, il se fait arrÍter au
bois de Boulogne, brisant avec les pieds et les poings un tableau
indicateur qu'il vient d'arracher de son poteau.
Au moment oý l'on veut s'emparer de lui, il tire son couteau et en
frappe un agent; la blessure est insignifiante.
On le dťsarme, et le lendemain, il est conduit ŗ l'infirmerie de la
Prťfecture de police. Lŗ, il est pris de deux accŤs d'ťpilepsie
type avec cris, menaces, injures, bris de vitres, puis convulsions
toniques et cloniques, ťcume, asphyxie incomplŤte suivie de sommeil
stertoreux et presque de coma.
Les observations d'ťpileptoÔdes et d'ťpileptiques, dans lesquelles
l'impulsion, variant de degrť, se traduit tantŰt par un bris de meubles
ou de vitres, tantŰt par des violences, tantŰt par une tentative de
meurtre ou par un meurtre lui-mÍme, sont nombreuses.
Je dois ŗ l'obligeance de mon excellent ami, M. le professeur LasŤgue,
la communication des quatre faits prťcťdents dont chacun offre des
variťtťs en rapport soit avec le hasard des circonstances, soit avec la
vivacitť dťrťglťe des excitations.
Dans le premier, on peut plutŰt supposer la nature vraiment ťpileptique
des attaques que l'affirmer avec preuves ŗ l'appui, mais on trouverait
difficilement un type mieux accusť d'impulsions passagŤres aboutissant ŗ
une tentative d'homicide ou ŗ un homicide, ce qui est la mÍme chose au
point de vue de l'impulsion, et sous quelque nom qu'on le classe, le
_raptus_ cťrťbral ne peut laisser aucun doute.
Ces faits sont tellement caractťristiques, l'attaque impulsive ŗ forme
cťrťbrale est si ťvidente, qu'ils peuvent se passer de commentaires.
ACC»S DE M…LANCOLIE.--SEMI-GU…RISON.--PERSISTANCE DE TRISTESSE SANS
D…LIRE.--SECOND ACC»S DE M…LANCOLIE.--SUICIDE AVEC TENTATIVES NON
S…RIEUSES.--PENS…ES D'HOMICIDE SUR LA PERSONNE DU MARI, SANS
EFFET.--AGGRAVATION DE L'EXCITATION.--IMPULSIONS IRR…SISTIBLES QUI
ABOUTISSENT AU MEURTRE DE L'ENFANT.--IRRESPONSABILIT….
Nous, soussignťs, docteurs en mťdecine, chargťs d'examiner la
nommťe Sophie B..., femme M..., inculpťe d'assassinat commis sur la
personne de son fils, ‚gť de moins de 4 ans; de rechercher quel
ťtait son ťtat mental au moment du crime qui lui est imputť, quel
est son ťtat mental actuel, et de dťterminer si elle doit Ítre
considťrťe comme responsable de ses actes, avons consignť dans le
prťsent rapport le rťsultat de notre examen:
Sophie B..., femme M..., ‚gťe de 45 ans, s'est mariťe au mois de
novembre 1861. ņ la suite de la mort de son premier enfant, en
1862, elle fut atteinte d'un accŤs de dťlire mťlancolique; pendant
trois semaines, elle resta dans un ťtat voisin de la stupeur, ne
parlant pas, ne voulant plus manger, indiffťrente ŗ tout, ne
prenant aucun soin d'elle-mÍme, ne se souvenant de rien, et son
mari nous affirme qu'elle ťtait alors beaucoup plus malade, en
apparence du moins, qu'elle ne l'est aujourd'hui. Cet accŤs dura
six semaines environ.
En 1864, elle accoucha d'un garÁon qu'elle nourrit elle-mÍme, ce
qui la fatigua beaucoup; elle fui assez triste pendant quelque
temps, mais elle n'eut pas de dťlire.
Le mari travaillait beaucoup, le mťnage ťtait dans l'aisance, et,
de son propre aveu, elle ťtait heureuse. En 1866, elle eut au mois
d'avril une hťmorrhagie utťrine trŤs-abondante et qui la laissa
longtemps dans un ťtat de faiblesse extrÍme, que vint accroÓtre
encore une cholťrine ŗ la fin du mois d'aoŻt. L'hiver fut pťnible ŗ
passer pour elle; elle ne put travailler, elle en conÁut une
tristesse profonde, mais sa raison ne fut point troublťe; elle
n'avait qu'une crainte exagťrťe d'Ítre un jour complŤtement
incapable d'ťlever son enfant auquel elle tťmoignait une vive
affection et dont elle prenait le plus grand soin. Vers le mois de
juillet 1867, sa santť s'altťra et dťclina de plus en plus jusqu'au
mois de janvier 1868, oý elle donna de nouveaux signes de
mťlancolie. Affaissťe, languissante, incapable de toute occupation,
inaccessible ŗ toute distraction, elle se plaignait d'Ítre fatiguťe
de vivre, et plus d'une fois elle dit ŗ son mari, ŗ quelques amis:
ęJe voudrais mettre ma tÍte dans un trouĽ ajoutant: ęPauvre homme,
je ne suis bonne ŗ rien, je voudrais mourir. Je ne peux pas
m'occuper de l'enfant, le laver, il est malpropre.Ľ Puis, elle
prenait son petit garÁon dans ses bras, le caressait et le
repoussait tout ŗ coup, en disant: ęTout me fatigue, tout
m'ennuie.Ľ
Le sommeil devint irrťgulier et se perdit tout ŗ fait. Le 4 mai,
son mari se rťveille ŗ 4 heures du matin, il trouve sa femme assise
dans le lit, il lui demande si elle a dormi, elle lui rťpond: ęJe
ne peux pas: si tu savais quelle idťe me passe par la tÍte, _il
faut que je te tue_; c'est une idťe qui me vient; que je suis
malheureuse! Si je pouvais dťchirer ce drap.Ľ Et en parlant ainsi,
elle chiffonnait et tordait les draps du lit, elle se frappait le
front sur la muraille. Vers 7 heures du matin elle se calme, se
lŤve, fait son mťnage. ņ 9 heures une de ses amies vient la voir;
dŤs qu'elle l'aperÁoit elle la prend par le bras, la supplie de
l'aider:--ęSauvez-moi, aidez-moi, lui dit-elle, tout le monde me
dťteste, je vois l'ťchafaud devant moi.Ľ Elle dit au mťdecin:
ęSauvez-moi, Monsieur, je sens que je perds la tÍte. Mon pauvre
homme, que va-t-il devenir?Ľ
Pendant huit jours, elle reste dans une profonde mťlancolie; puis
elle semble aller mieux, et le jour du meurtre, elle ťtait mÍme
sortie pour se promener. ņ six heures elle rentra chez elle et
prťpara le dÓner; son mari ne s'aperÁut pas qu'elle fŻt prťoccupťe.
L'enfant jouait dans la chambre avec un maillet en bois. ņ huit
heures et demie, elle coucha le petit garÁon, et l'embrassa. Le
pŤre qui avait ŗ porter son travail de la journťe chez son patron,
crut pouvoir laisser sa femme seule, elle lui paraissait bien, il
n'avait, nous dit-il, aucun pressentiment. ņ peine ťtait-il parti
que la femme M... prenait le maillet, et frappait ŗ la tÍte son
enfant endormi.
Tels sont les faits qui ont prťcťdť le meurtre.
DŤs le lendemain, la femme M... fut conduite ŗ l'asile Sainte-Anne;
c'est lŗ que nous l'avons examinťe ŗ plusieurs reprises: nous
reproduisons textuellement ses rťponses, afin de leur laisser le
caractŤre de sincťritť qui nous a frappťs.
--Comment vous appelez-vous?
--Sophie B..., femme M...
--Vous Ítes allemande?
--Je suis nťe dans le duchť de Bade.
--En quelle annťe?
--En 1823.
--Depuis quand Ítes-vous ŗ Paris?
--Depuis douze ou treize ans, je ne me rappelle plus bien.
--Vous Ítes-vous mariťe ŗ Paris?
--Oui, Monsieur.
--Que fait votre mari?
--Il est confectionneur pour Dames.
--…tiez-vous heureuse, ťtait-il bon pour vous?
--TrŤs-heureuse, il ťtait trŤs-bon pour moi.
--Votre mťnage ťtait trŤs-tranquille?
--Oui, trŤs-tranquille.
--Avez-vous des enfants?
--Oui, j'en avais un, un fils.
--Qu'est-il devenu?
--Je l'ai fait mourir. (Cette rťponse est faite avec le plus grand
calme).
--Avec quoi l'avez-vous tuť?
--Avec un martinet.
--Qu'est-ce qu'un martinet?
--C'est gros comme un manche en bois.
--Comment avez-vous fait?
--J'ai frappť sur sa tÍte avec Áa.
--Combien de coups?
--J'ai frappť trois fois, je crois, trŤs-fort.
--Pourquoi l'avez-vous frappť?
--Je ne l'aimais plus, sans cela je ne l'aurais pas frappť.
--Pourquoi ne l'aimiez-vous plus?
--Je l'aimais bien au commencement, puis, j'ai cessť de l'aimer.
C'est cet hiver que cela m'a pris, je n'ai jamais ťtť pareille;
j'ai souffert tout l'hiver; il n'y avait pas d'ouvrage comme il
devait y en avoir; j'ťtais toujours chagrine, toujours triste, il
m'est venu cette idťe comme Áa de le frapper pour le tuer.
--Pourquoi? pour vous en dťbarrasser?
--Oui je voulais m'en dťbarrasser.
--Aviez-vous de la peine ŗ le nourrir?
--Non, ce n'ťtait pas une charge. «a m'est venu de le tuer. Je
savais bien que c'ťtait mal, mais je me suis dit: ęOn va me tuer
aprŤsĽ. J'avais dťjŗ pensť ŗ me tuer depuis cet hiver, mais pas mon
enfant. Je me sentais malheureuse, sans motif de l'Ítre.
--Vous n'avez jamais ťtť maltraitťe par votre mari?
--Oh non, au contraire.
--L'enfant n'ťtait pas mťchant?
--Oh non.
--D'oý venait votre tristesse?
--J'ai eu un mal au pied. Je ne suis pas sortie de l'hiver; j'ťtais
toujours triste, mon mari me disait de sortir, je ne voulais pas.
Avant l'hiver je n'ťtais pas comme cela.
--Y a-t-il eu d'autres ťpoques dans votre vie oý vous avez ťtť
triste?
--Oui, j'ai ťtť une fois trŤs-triste, ŗ la mort de mon premier
enfant.
--ņ ce moment-lŗ, avez-vous eu la pensťe de vous faire mourir?
--Non, pas cette fois-lŗ.
--Cette pensťe de tuer l'enfant est-elle venue tout ŗ coup?
--Non, je l'ai eue plusieurs jours, je me disais, il ne faut pas,
c'est mal.
--Quand vous le voyiez, l'idťe de le frapper vous revenait-elle?
--Oui, pour la plus petite chose, j'avais envie de le frapper.
--Avez-vous essayť de vous tuer vous-mÍme?
--Oui, cet hiver, j'ai voulu me jeter par la fenÍtre, je l'ai
ouverte et je me suis dit: ęil ne faut pas faire cela.Ľ
--Aviez-vous peur de vous blesser sans vous tuer?
--Oui, je me disais, je ne vais pas me tuer, je vais rester
accrochťe.
--ņ quel ťtage demeuriez-vous?
--Au troisiŤme sur la rue.
--Vous rappelez-vous ŗ quelle ťpoque?
--Non, je ne me souviens plus bien.
--Est-ce la seule fois que vous aviez voulu vous tuer?
--Non, cette pensťe-lŗ m'est venue plusieurs fois.
--Quand vous avez frappť l'enfant, qu'avez-vous ťprouvť?
--Quand l'enfant a ťtť mort je me suis dit: ę«a n'est pas bien,
puis je me disais aussi: Mon Dieu, je voudrais bien qu'il ne
souffre pas longtemps.Ľ
--Qui est-ce qui est venu chez vous aprŤs cela?
--Un monsieur qui demeure chez nous; je lui ai dit: ęJ'ai tuť
l'enfant.Ľ J'ťtais agitťe, je ne pouvais presque pas parler. Le
monsieur m'a dit; ęVous, une si bonne mŤre,Ľ et il est parti
chercher le mťdecin.
--A-t-il envoyť quelqu'un prŤs de vous?
--Oui, puis le mťdecin est venu, et aprŤs, on m'a conduite au
poste.
--ņ quelle heure est-ce arrivť?
--C'est aprŤs que mon mari a ťtť parti, vers 8 heures et demie.
--Quel jour ťtait-ce?
--Il y a aujourd'hui huit jours.
--Qu'est-ce que vous avez fait depuis?
--J'ai racontť cela comme ŗ vous ŗ des messieurs, je ne me rappelle
pas oý.
--Oý Ítes-vous ici?
--On m'a dit ŗ Sainte-Anne.
--Qu'est-ce que cette maison?
--C'est une maison de santť.
--Quelle espŤce de malades y a-t-il?
--Ceux qui ont la tÍte dťrangťe.
--Et vous, est-ce que vous avez la tÍte dťrangťe?
--Je n'ai pas la tÍte dťrangťe, mais je ne peux plus rťflťchir
comme autrefois. Je me rappelle que cet hiver j'ai senti comme tous
les fils cassťs dans ma tÍte, pendant cinq minutes; je me rappelle
trŤs-bien cela. J'ťtais comme perdue tout ŗ fait. J'ťtais toute
seule, c'ťtait ŗ la nuit; le lendemain, j'ai dit ŗ mon mari: ęje
suis comme une imbťcile, je ne sais plus faire ce que je faisais;Ľ
j'ťtais toute ťtourdie; c'ťtait avant l'hiver que Áa a commencť.
--Avez-vous eu d'autres fois l'idťe de tuer quelqu'un?
--Oui, une fois, le matin avant 5 heures; je ne pouvais pas dormir,
j'ťtais toute agitťe, j'ťtais couchťe ŗ cŰtť de mon mari qui
dormait; je l'ai tirť par sa manche pour le rťveiller, et je lui ai
dit que j'avais de mauvaises idťes, que je voulais le tuer.
--Et l'hiver prťcťdent, comment ťtiez-vous?
--L'autre hiver, j'ai ťtť prise comme cela, je ne pouvais plus
lire, j'aimais bien lire autrefois.
--Etes-vous trŤs-malheureuse de la mort de votre enfant?
--Oh oui, trŤs-malheureuse, j'ai mal fait. (Ceci est dit avec la
plus grand calme, sans apparence d'ťmotion.) Mais je n'ai pas pu
pleurer. Autrefois je pleurais pour un rien, maintenant je ne peux
plus du tout; j'ťtais trŤs-sensible, on se moquait de moi parce que
je pleurais quand je lisais quoique chose; je ne suis plus sensible
du tout maintenant.
--Vous rappelez-vous ce qui s'est passť le jour oý vous avez tuť
l'enfant?
--Je ne me rappelle pas tout, mais bien des choses. J'ai frappť sur
sa tÍte avec un martinet en bois.
--Quand vous avez, cessť de frapper vivait-il encore?
--Oui, il remuait, mais je pensais tout de mÍme qu'il ťtait mort,
je ne voulais pas le faire souffrir.
--Dans les nuits qui ont prťcťdť, avez-vous entendu des voix qui
vous disaient de le tuer?
--Non, je ne pensais pas ŗ le tuer avant, je l'aimais bien, et son
pŤre aussi. C'est dans l'hiver que je me suis trouvťe
trŤs-malheureuse que l'idťe m'est venue, je la repoussais, et elle
est revenue, je ne sais pourquoi.
-- tes-vous bien sŻre de n'avoir pas entendu des voix qui vous
disaient: ęTue-leĽ?
--Non, jamais.
--Et pour votre mari?
--Non plus; je n'ai jamais pensť ŗ tuer quoiqu'un avant cet hiver;
c'est moi-mÍme que je voulais tuer.
--Vous n'avez pas pu rťsister ŗ votre idťe de tuer l'enfant?
--Non.
--Dans cette journťe-lŗ, vous ne vous rappelez pas d'avoir eu des
bruits dans les oreilles, des ťtourdissements?
--Non, pas des ťtourdissements, mais j'avais mal ŗ la tÍte, je
n'avais plus de mťmoire, j'oubliais les objets, une fois je pensais
ŗ une chose, et puis j'oubliais, je pensais ŗ une autre.
Quelquefois je me souviens de mon enfant, je me dis que je l'ai
tuť, que c'est trŤs-mal, et puis je n'y pense plus.
L'idťe me vient que j'ai rendu mon mari malheureux, qu'il ne
mťritait pas cela, parce que c'est un brave homme, et puis tout
d'un coup je n'y pense plus.
--Quand vous y pensez, l'avez-vous devant les yeux?
--Non, je ne le vois plus bien, je ne me rappelle plus sa figure,
je l'aimais pourtant bien.
--De quelle couleur ťtaient ses cheveux?
--Bruns.
--Quel ‚ge avait-il?
--Quatre ans le 28 juin.
--Depuis que vous Ítes ici, que faites-vous?
--Je ne fais rien, je ne peux pas travailler. Depuis longtemps je
suis comme cela, c'est Áa qui m'a emmenťe dans ces idťes lŗ. Je
croyais que je ne pourrais plus travailler autant; j'ťtais
trŤs-faible, je ne pouvais plus aider mon mari. Cela me faisait
dťsirer de mourir, me faisais des reproches pour tout, pour tout.
--Avez-vous revu votre mari?
--Oui, il est venu dimanche, c'est la premiŤre fois que j'ai pu
pleurer un peu. Il a ťtť trŤs-bon pour moi, mais je n'ai pas pleurť
depuis, je ne peux plus rťflťchir.
ņ toutes nos visites, la femme M..., s'est montrťe la mÍme. Son
ťtat ne s'est pas modifiť depuis son entrťe.
Sa physionomie est triste, toute son attitude est celle d'une
lypťmaniaque. Elle s'isole, ne parle jamais, ne recherche aucune
occupation; elle dit qu'elle est incapable de tout travail. Ses
idťes sont trŤs-confuses. Elle essaye de ressaisir quelques
souvenirs, ils lui ťchappent, et elle reste dans un ťtat
d'incertitude, de vague, dont parfois elle a conscience. Depuis
longtemps dťjŗ sa mťmoire est profondťment troublťe; elle
s'inquiťtait de son ťtat. Son regard est sans expression, son
visage impassible. Notre prťsence lui est presque indiffťrente,
elle ne songe pas ŗ nous demander ce que nous venons faire auprŤs
d'elle. Nos questions rťveillent en elle des souvenirs qu'elle
n'eŻt pas retrouvťs seule. ęQuand on me dit les choses, je me
souviens, rťpond-elle,Ľ et, c'est parfois avec un peu d'hťsitation,
mais toujours avec une extrÍme sincťritť qu'elle nous donne des
dťtails sur les faits passťs. Elle n'essaie pas d'excuser le
meurtre qu'elle a commis, elle ne cherche pas mÍme ŗ donner une
explication de cet acte qu'elle dit regretter aujourd'hui, elle a
tuť parce qu'elle a ťtť poussťe ŗ tuer, et qu'elle a ťtť dominťe
par une irrťsistible impulsion. Elle s'est servie du maillet avec
lequel l'enfant avait jouť dans la soirťe, parce que cet instrument
s'est trouvť lŗ, sous ses yeux, sous sa main. ņ ce moment, elle n'a
pas eu la pensťe qu'elle serait condamnťe ŗ mort aprŤs avoir tuť
son enfant, elle a ťtť fatalement poussťe au meurtre. Depuis
plusieurs jours elle nourrissait cette idťe, elle avait pu
jusqu'alors la repousser; elle l'avait combattue, et elle a fini
par y cťder. Il est arrivť chez elle ce qui arrive chez ces
malades, la prťoccupation dťlirante a dominť tout ŗ coup ses
sentiments, sa volontť, et elle n'a pas ťtť capable de rťsister ŗ
l'impulsion. La femme M... est atteinte d'un accŤs de dťlire
mťlancolique, des longtemps prťparť, et dans lequel la lutte contre
les idťes d'homicide et de suicide a ťtť longue. ęAidez-moi,
sauvez-moi, je vois l'ťchafaud devant moi, disait-elle.Ľ Elle a ťtť
vaincue, et rien n'a manquť pour caractťriser aussi complŤtement
que possible l'acte dťlirant. Elle a ťprouvť le sentiment comme
d'une dťtente aprŤs avoir tuť; elle est restťe calme, au milieu de
l'ťmotion de tous ceux qui l'entouraient; ŗ ce moment, elle n'avait
ni regrets, ni craintes; seule, elle est restťe impassible. Elle
s'approche du berceau de l'enfant, elle veut le toucher pour voir
s'il est mort. ęJe ne voudrais pas qu'il souffre trop longtemps,
dit-elle.Ľ Elle le regarde, les yeux secs, et comme on lui
demandait pourquoi elle, une si bonne mŤre, elle avait frappť
l'enfant qu'elle aimait tant, elle rťpond:
ęC'est moi qui ai fait cela, je ne sais pas pourquoi; je ne voulais
plus vivre.Ľ
De ces faits, de l'examen attentif et prolongť auquel nous nous
sommes livrťs, nous nous croyons autorisťs ŗ conclure que:
1į La femme M..., nťe Sophie B..., ťtait atteinte d'un accŤs de
dťlire mťlancolique avec impulsions homicides et suicides le 12 mai
1808;
2į L'accŤs n'est pas encore terminť aujourd'hui, et s'il est vrai
que la femme M... a pu rťpondre d'une maniŤre assez prťcise aux
questions qui lui ťtalent adressťes par nous, il est vrai aussi
qu'en prolongeant l'examen, nous avons constatť un affaiblissement
ťvident de la mťmoire, de la confusion dans les idťes, et provoquť
une vťritable fatigue.
3į Cet accŤs dont le dťbut remonte ŗ quelques mois et qui dure
encore aujourd'hui, avait ťtť prťcťdť, en 1868, d'un accŤs analogue
dont les traces n'avaient jamais complŤtement disparu.
Nous dťclarons donc que la femme M... est depuis longtemps aliťnťe,
qu'elle ne saurait Ítre considťrťe comme responsable de ses actes,
et qu'elle doit Ítre maintenue dans un asile spťcial.
Paris, le 20 juillet 1868.
_Signť_: CH. LAS»GUE, A. MOTET, …. BLANCHE.
Ce fait est un de ceux qui viennent le plus manifestement ŗ l'appui de
la proposition que je cherche ŗ ťtablir dans ce travail. On peut y
suivre les progrŤs du mal, depuis le premier accŤs jusqu'ŗ la crise
finale.
D'abord, de simples prťoccupations mťlancoliques, sans idťes apparentes
de suicide; puis une tendance habituelle ŗ la tristesse, mais sans
dťlire. Enfin, survient la crise qui s'est terminťe par le meurtre, et
dans le cours de cette crise, les pensťes de suicide se montrent les
premiŤres, mais jamais assez dominantes pour dťterminer une tentative
sťrieuse; ŗ ces pensťes de suicide, succŤde l'idťe de meurtre; la femme
M... avoue ŗ son mari qu'elle a le dťsir de le tuer; l'impulsion est
encore assez faible pour que la malade n'y cŤde pas; enfin, le mal
monte, la surexcitation cťrťbrale augmente, et l'impulsion devient
irrťsistible; la femme M... tue son enfant.
Le processus morbide est ici des plus clairs, des plus ťclatants, et
l'enseignement que ce fait porte en lui-mÍme me paraÓt sans contestation
possible. Conformťment ŗ nos conclusions, une ordonnance de non-lieu est
intervenue, et la femme M... a ťtť maintenue dans un asile d'aliťnťs.
M…LANCOLIE SUICIDE.--ACTES DE VIOLENCE.--TENTATIVES D'HOMICIDE.
Mademoiselle X... compte parmi ses ascendants plusieurs aliťnťs
dont deux ont pťri de mort volontaire.
ņ l'‚ge de 20 ans, elle a une premiŤre crise de mťlancolie qui
nťcessite son placement dans une maison de santť spťciale. Au cours
de cette crise, elle fait plusieurs tentatives de suicide; aprŤs
quelques mois de traitement, elle se rťtablit assez pour pouvoir
rentrer dans sa famille.
L'annťe suivante, nouvelle crise, tentatives de suicide plus
graves. Mlle X... s'ouvre une veine du bras gauche et est sur le
point de mourir d'hťmorrhagie.
D'autres crises se succŤdent, avec des intervalles de deux ou trois
annťes, et chaque fois les tentatives de suicide sont plus
sťrieuses. Mlle X... a recours ŗ tous les moyens pour se tuer.
AprŤs avoir cherchť ŗ se pendre, ŗ s'ťtrangler, elle cherche ŗ
s'ťtouffer, soit avec les aliments, soit avec les objets qu'elle
peut atteindre avec ses mains, ou avec sa bouche et ses dents; ŗ la
promenade, elle se jette ŗ terre et se remplit la bouche de sable
et de cailloux, ou d'herbe et de feuilles; elle arrache avec ses
dents les boutons des vÍtements et les ťtoffes des meubles qui sont
ŗ sa portťe, et cherche ŗ les avaler; elle refuse de manger, et on
doit la nourrir avec la sonde oesophagienne.
De plus en plus agitťe, elle injurie, frappe, pince et mord ses
gardiennes et voudrait provoquer une lutte dans laquelle elle
espŤre Ítre tuťe. Elle fait plus encore. Elle combine une tentative
de meurtre avec guet-apens, et se lamente d'avoir ťchouť, parce
qu'elle comptait que la justice la dťclarerait responsable et la
condamnerait ŗ mort.
Mlle X... a succombť ŗ une pneumonie.
Madame L... prťsente tous les mÍmes symptŰmes, et depuis vingt-cinq
ans que je lui donne des soins, elle a eu plusieurs crises de
mťlancolie et a fait de trŤs-nombreuses et trŤs-sťrieuses
tentatives de suicide. Comme Mlle X..., madame L... a eu des accŤs
de surexcitation pendant lesquels elle a commis des actes de
violence et fait des tentatives de meurtre sur les personnes qui la
gardaient. Depuis deux ans, elle est habituellement assez calme,
elle a toujours le dťsir de mourir, elle a mÍme parfois encore des
moments d'agitation dans lesquels elle se montre disposťe ŗ la
violence, mais elle est le plus souvent dans un ťtat de passivitť;
elle croit qu'elle ne peut succomber que dans un cataclysme
universel; pleut-il pendant une journťe entiŤre, lit-elle dans un
journal qu'il y a eu dans tel pays des secousses de tremblement de
terre, sa figure s'ťpanouit, et elle dit, avec une joie mal
dissimulťe, que c'est le commencement d'un nouveau dťluge, que nous
allons tous Ítre engloutis dans les eaux, ou dans les profondeurs
de la terre. Pendant le SiŤge et pendant la Commune, Madame L...
n'a cessť d'Ítre parfaitement tranquille; elle a dťclarť depuis
qu'elle ťtait absorbťe dans l'espoir d'Ítre atteinte et tuťe par un
des obus qu'elle entendait ťclater nuit et jour.
Ce qu'il importe de relever dans ces deux observations, c'est le progrŤs
constant de la surexcitation et l'intensitť de plus en plus grande des
accŤs impulsifs qui se bornent d'abord ŗ des tentatives de suicide pour
aboutir ŗ des tentatives d'homicide. Dans ces deux cas, l'impulsion au
suicide ťtait devenue la disposition d'esprit habituelle et pour ainsi
dire normale des malades; l'impulsion au meurtre est apparue et a ťtť la
manifestation d'une surexcitation cťrťbrale plus prononcťe. Les faits de
ce genre ne sont pas rares dans la science, mais je n'ai voulu rapporter
ici que deux des plus saillants parmi ceux que j'ai observťs dans ma
pratique personnelle.
Quoique les deux rapports qui vont suivre aient ťtť dťjŗ publiťs dans
les _Archives gťnťrales de mťdecine_ (numťros de janvier 1875 et 1878),
je vais les reproduire. Ces deux documents ont, en effet, leur place
marquťe ici, puis qu'ils retracent deux des faits principaux qui ont
inspirť le travail que j'ai eu l'honneur de soumettre ŗ l'Acadťmie:
Le premier est relatif au nommť Th..., inculpť d'un meurtre commis le 12
juin 1874 sur la personne de la nommťe Marie C..., dans un restaurant de
la rue Cujas.
Th..., arrÍtť immťdiatement, avait avouť Ítre l'auteur du meurtre, et
les conditions dans lesquelles il avait agi ťtaient telles que la
justice crut devoir faire procťder ŗ une expertise mťdicale sur son ťtat
intellectuel.
MM. les Drs LasŤgue, Bergeron, et moi, nous fŻmes chargťs de cette
expertise, par ordonnance de M. de Baillehache, juge d'instruction au
Tribunal de la Seine, en date du 12 aoŻt 1874, et le 13 novembre
suivant, nous dťposions le rapport qu'on va lire et qui renferme, avec
l'exposť des circonstances dans lesquelles le meurtre a ťtť commis,
l'histoire pathologique complŤte de l'inculpť, et les dťductions
scientifiques qui en dťcoulent. Conformťment ŗ nos conclusions, Th..., a
ťtť dťclarť irresponsable et transfťrť ŗ BicÍtre.
Th... est de taille moyenne, d'une physionomie assez intelligente,
et qui ne prťsente aucune expression particuliŤre. La longue
dťtention ŗ laquelle il a dŻ Ítre soumis l'a peu ťprouvť, il l'a
supportťe et la supporte avec plus d'insouciance que de
rťsignation. Dans la prison, oý il vit en cellule avec deux autres
dťtenus, il lit, dessine assez correctement et ťcrit beaucoup. Sa
vie est rťguliŤre et on n'a eu ni ŗ le soigner pour un malaise
intercurrent, ni ŗ le punir pour une infraction ŗ la discipline.
Ses ťcrits, dont nous reparlerons, consistent en lettres ayant
trait pour la plupart ŗ des demandes de vÍtements, de tabac. Dans
une d'elles, il rťclame une chemise blanche afin d'Ítre plus
prťsentable quand le photographe de l'administration viendra; dans
une autre, adressťe ŗ sa mŤre, il lui recommande de ne pas
s'effrayer, et il termine en rťclamant des mouchoirs. L'orthographe
est incorrecte, et l'ťcriture trŤs-variable.
Th... a rťdigť des manuscrits auxquels il attache plus
d'importance. C'est d'abord un rťsumť de sa vie, destinť au juge
d'instruction chargť de son affaire; c'est ensuite une page
romanesque et sentimentale sur les avantages de la vertu. Nous
extrayons de ces deux piŤces quelques passages significatifs, qui
nous dispenseront d'ailleurs d'un exposť biographique.
ęJe suis nť ŗ Paris, ŗ la maison de correction des femmes de
Saint-Lazare (sa mŤre avait ŗ peine 15 ans). Sur mon bas ‚ge je ne
ferai remarquer qu'une particularitť: ma mŤre disparut tout d'un
coup de la maison oý habitait ma grand'mŤre. Tout d'un beau jour,
j'ťtais bien petit et ne marchais pas encore. Dans quatre ans plus
tard ma grand'mŤre reÁut une lettre avec un mandat sur la poste de
500 francs...; au bout de huit jours, nous reÁŻmes une autre lettre
qui nous disait de l'attendre ŗ la gare Saint-Lazare...Ľ
ęņ quelque temps de lŗ je suis rentrť chez M. B..., instituteur, et
au bout de cinq ou six ans je suis sorti, ayant une bonne
instruction primaire.
ęEn 1862, je suis rentrť au pensionnat des frŤres de P..., oý je
suis restť un an et oý j'ai fait ma premiŤre communion. Les
vacances sont arrivťes sans que l'annťe puisse se signaler par
quelque chose de remarquable.Ľ
En 1868, Th... est placť comme externe au collťge Ch..., et c'est
lŗ, dit-il, en parlant de sa mŤre dont il incrimine longuement la
conduite, qu'il a ťtť bien ŗ mÍme d'apprťcier le bien et le mal.
Les ressources de la famille ayant diminuť, Th... quitte le
collťge, revient habiter prŤs de sa mŤre et est placť, en 1865,
chez un fabricant d'instruments de prťcision, oý il reste six mois.
ęJ'ťtais tellement malmenť, je fus tout de suite dťgoŻtť, et je me
trouvai placť ŗ demeure chez M. V..., ťditeur d'imagerie
religieuse, oý je suis restť quatorze mois. Au bout de quatorze
mois, je quittai M. V..., avec qui je ne m'ťtais pas entendu pour
les appointements, et je suis entrť chez M..., libraire-ťditeur, oý
je ne suis restť que peu de temps.
ęUne voisine, qui avait un frŤre sculpteur, donnait ŗ ma mŤre le
conseil de me faire apprendre la partie: elle se chargeait de me
prťsenter au patron. Ce qui fut dit fut fait, et quelques jours
aprŤs j'entrais chez M. C..., oý je suis restť six mois, encore ŗ
cause des mauvaises maniŤres de ma mŤre ŗ mon ťgard... Si bien
qu'un beau matin, trŤs-exaspťrť, je finis par lui dire que je ne
voulais plus travailler et ne pensais qu'ŗ m'engager dans la
marine. Trois jours aprŤs, je partais pour le Havre, oý je suis
restť quatre jours, et, n'ayant plus d'argent, je suis revenu ŗ
Paris ŗ pied en cinq jours. Je n'avais pas pu m'engager au Havre.Ľ
AprŤs un long exposť des difficultťs que ce retour prťcipitť lui
suscite prŤs de sa mŤre, Th... raconte qu'il se place d'abord chez
un fabricant de biscuit, puis chez un crťmier.
ęLa, j'eus une grande envie pendant prŤs d'un mois d'assassiner la
bonne. Je m'arrangeai de maniŤre ŗ la faire venir ŗ la cave au
moins sept ou huit fois, sans jamais pouvoir me dťcider. Je ne lui
en voulais cependant pas; nous ťtions trŤs-bien ensemble. Enfin, ŗ
partir de ce moment, j'avais la tÍte tournťe; c'est ce qui fait que
je suis parti comme un fou, et je restai cinq jours dehors, vivant
de quelques sous que j'avais sur moi et couchant dehors.Ľ
Il revient prendre ses effets, se replace chez un restaurateur, et
au bout de quinze jours il entre ŗ l'hŰpital de la Charitť pour se
faire traiter d'un rhumatisme articulaire qui se prolonge pendant
deux mois et demi.
ņ sa sortie de l'hŰpital, il est admis dans un pensionnat comme
domestique et y sťjourne prŤs de huit mois. ęJ'ťtais, dit-il,
trŤs-bien considťrť; malgrť cela, mon idťe criminelle me
poursuivait toujours et ne me laissait pas tranquille. Un ťlŤve
avait un couteau poignard, j'eus envie bien souvent de le lui
prendre et de me sauver.
ęņ cette ťpoque, j'avais l'idťe d'assassiner ma mŤre, et c'est, je
crois, l'idťe qui m'a tenu le plus longtemps et ne me laissait pas
un moment de repos du cŰtť de l'esprit.Ľ
Il s'enfuit du pensionnat, retourne au Havre pour s'engager dans la
marine marchande, revient ŗ Paris oý il est arrÍtť et condamnť ŗ
trois mois de prison (octobre 1867), pour n'avoir pu payer sa
dťpense dans un restaurant et avoir refusť d'indiquer son domicile.
ņ sa sortie de prison, et aprŤs un court sťjour dans un
ťtablissement de patronage, il s'engage dans le corps des zouaves
pontificaux. Il dťserte aprŤs quatorze mois de service, revient ŗ
Paris et trouve un emploi de garÁon d'office dans un restaurant.
ęJ'avais fait la connaissance d'une fleuriste; nous nous aimions
bien et j'ťtais heureux, quand l'idťe du crime me revint. Tous les
jours j'ťtais prÍt ŗ prendre un couteau de cuisine chez mon patron,
et cette fois j'avais grande envie de frapper ma mŤre; je restai
dans cette alternative pendant quinze jours.Ľ
Nouveau dťpart et nouveau voyage au Havre, oý il est occupť dans
divers restaurants. Il passe l'hiver ŗ Honfleur, revient encore ŗ
Paris en mars 1870, et est occupť comme homme de peine chez un
brocheur, qu'il quitte bientŰt pour devenir ouvrier champignonniste
aux environs de Meulan.
De lŗ il rentre ŗ Paris pour s'engager dans un rťgiment de zouaves
qu'il va rejoindre ŗ Alger. Rentrť en France, il est libťrť le 16
mars 1871. Pendant la Commune, il sert dans les vengeurs de Paris
et trouve plus tard une place chez un fabricant de cols. Nouvel
engagement dans les zouaves, dont le rťgiment tenait garnison en
Afrique. Il fait la connaissance d'une fille R..., dont il a un
enfant. Il quitte rťguliŤrement le service, rentre ŗ Paris avec sa
maÓtresse, qu'il voulait ťpouser. Sa mŤre le dťtourne de ce
mariage, et il perd de vue la femme et l'enfant.
ęTout cela revint me retourner l'esprit, et aprŤs vingt-quatre
heures de rťsistance contre moi-mÍme, j'assassinai la fille C... Le
malheur que m'avait prťdit R... et d'autres personnes le voici:
c'est d'avoir assassinť une pauvre femme que je ne connais pas et
d'aller passer vingt ans, peut-Ítre ma vie, dans les bagnes.
ęFait ŗ Mazas en attendant jugement, Henri Th..., _l'assassin_.Ľ
L'autre ťcrit dťbute par cette phrase sentencieuse: ęQuand l'homme
vient au monde, la destinťe s'empare de lui: elle le suit dans
toutes les ťtapes de la vie, elle en fait un honnÍte homme ou un
malfaiteur, et quelquefois ce qui est pire, un assassin.Ľ Suit un
exposť de la vie heureuse de l'ouvrier vertueux. La destinťe a
voulu qu'il fŻt un assassin, qui donc devait-il assassiner? Sa
mŤre, et il termine par le regret de ne pas s'Ítre arrÍtť, comme il
dit, ŗ l'idťe prťcťdente.
L'exposť biographique de Th... est exact et n'a ťtť contredit qu'en
un point par l'enquÍte. Son instabilitť date presque de l'enfance,
et l'excŤs de mťmoire dont il fait preuve dans ses ťcrits comme
dans ses rťcits, a un caractŤre pathologique. Il omet seulement une
seconde condamnation ŗ 25 francs d'amende pour rťsistance aux
agents et ivresse supposťe. Ces deux condamnations sont d'ailleurs
les seuls antťcťdents judiciaires du prťvenu.
L'interrogatoire de Th... a eu lieu presque immťdiatement aprŤs
l'accomplissement du crime. Le procŤs-verbal du commissaire de
police du quartier de la Sorbonne fournit les renseignements les
plus explicites que l'instruction judiciaire confirme et complŤte.
Il est ainsi possible de suivre pas ŗ pas le prťvenu depuis son
enfance jusqu'au jour, 26 novembre 1874, oý la justice dťcida de
son sort.
Th... entre au restaurant de la rue Cujas pour y prendre un repas.
En traversant de la piŤce du fond oý il avait dťjeunť dans celle du
devant, il passe prŤs de la fille C... assise ŗ une table et
occupťe ŗ nettoyer les couteaux. Il met la main gauche sur l'ťpaule
droite de la victime et la frappe en pleine poitrine avec son
couteau qu'il tenait de la main droite; le couteau ensanglantť
tombe ŗ terre et le coupable sort de la boutique.
B..., qui passait dans la rue Cujas, raconte que Th..., en sortant
promptement de la boutique dont il avait fermť la porte avec
violence, a commencť par s'enfuir, puis il a marchť tranquillement;
le tťmoin et son frŤre l'ont saisi par le bras en lui disant:
ęVenez, une dame de la rue Cujas veut vous parler.Ľ Th... s'est
retournť et a rťpondu: ęLaissez-moi tranquille, je ne vous connais
pas.Ľ Puis il s'est dťcidť ŗ suivre le tťmoin.
Arrivť rue Cujas, il a regardť la femme qu'il venait d'assassiner
et a dit: ęEh bien oui, c'est moi, ne me laissez pas au milieu de
la foule, emmenez-moi au poste de police.Ľ Il a prťtendu, ajoute
B..., que c'est une monomanie qu'il avait depuis six ans, et que
les femmes avec lesquelles il vivait ne se doutaient pas de ce qui
les attendait.
Fouillť au moment de son arrestation, Th... est porteur d'un carnet
oý sont consignťes les notes suivantes: ęDepuis longtemps, j'ai
l'idťe du crime. L'envie de donner un coup de couteau date de 65;
je voudrais n'Ítre connu de personne et que personne ne se soit
jamais intťressť ŗ moi.
ęJe suis le plus grand _ipocrite_ que la terre ait supportť; ŗ quoi
ai-je ťtť bon jusqu'ŗ ce jour? ŗ rien, c'est le mot.
ęTout le monde se demande pourquoi j'ai assassinť! Tout simplement
pour sortir de la situation oý je me trouve. J'ai essayť de
travailler, de me bien conduire; en un mot, j'aurais voulu Ítre
heureux; mais il est ťcrit dans ma destinťe que je dois aller au
bagne ou sur l'ťchafaud. Ainsi, en ce moment, je dťjeune et, en
mÍme temps, de deux femmes qui se trouvent dans l'ťtablissement, je
me demande laquelle je vais frapper. AprŤs le coup fait, je ne
demande ŗ mes juges qu'une chose, c'est de me faire couper la tÍte
immťdiatement. Le dťfinitif de tout est que, s'il y a un Dieu, il
est bien injuste. J'ai voulu bien faire; mais je n'ai jamais pu
chasser toutes ces idťes de crime!!!Ľ
Interrogť par le commissaire de police, il rťpond ŗ la question qui
lui est posťe sur le mobile du crime: ęC'est la satisfaction d'une
idťe que j'ai depuis longtemps.Ľ
ęJe n'avais pas choisi de victime spťciale J'ai passť la nuit avec
une femme; si je n'en ai pas fait ma victime, c'est par suite de
circonstances qu'il m'est impossible d'indiquer, car j'avais dťjŗ
ouvert mon couteau et le lui ai montrť. Elle l'a trouvť joli, et je
n'ai pas osť mettre mon projet ŗ exťcution.Ľ
Plus tard, Th... expliquera avec moins de rťserves les motifs qui
l'ont retenu, et la dťposition de la fille avec laquelle il a
passť, en effet, la nuit prťcťdente, fournira d'utiles
ťclaircissements. Th... continue: ęJ'ai achetť le couteau hier, et
j'avoue l'avoir acquis exprŤs pour satisfaire mes idťes de meurtre.
ęJ'ai ťcrit les notes que vous me reprťsentez avant et pendant mon
dťjeuner, et j'ai taillť le crayon avec mon couteau.Ľ
Confrontť le soir mÍme avec le cadavre de la fille C..., il indique
froidement dans quelles conditions il l'a frappťe, et il sourit
quand on lui demande si c'est bien lui qui est l'auteur du meurtre.
Le commissaire de police a cru remarquer sur le visage de Th... une
expression de satisfaction sensuelle en regardant le cadavre et le
sang. Tout au moins, ce magistrat ne retrouve pas, chez le prťvenu,
la tenue accoutumťe des coupables dont le crime vient d'Ítre
dťcouvert.
La dťposition de M. C..., son patron, nous ťclaire sur l'attitude
de Th... pendant les quelques jours qui ont prťcťdť le 12 juin. Son
humeur s'ťtait assombrie, il parlait moins, semblait _Ítre plus en
lui-mÍme_, il avait fait une visite ŗ sa mŤre et avait eu quelques
dťmÍlťs avec elle.
Le 11 juin, jour oý il est sorti de chez son patron pour faire des
courses, il avait l'air prťoccupť, absorbť, ne paraissant pas
comprendre, faisant rťpťter les questions. On n'a jamais remarquť
qu'il fŻt enclin ŗ la boisson ou ŗ une excitation quelconque, ni
qu'il eŻt, dans ses actes ou dans ses paroles, la moindre tendance
ŗ un dťrangement de l'esprit.
Le tťmoin rappelle incidemment un fait important. Th... lui aurait
racontť qu'il aurait dťsertť, ťtant aux zouaves pontificaux; qu'un
jour ayant ťtť arrÍtť pour ivresse et mis ŗ la salle de police, il
avait simulť un accŤs de folie, qu'on l'avait transportť ŗ
l'hŰpital et qu'il avait obtenu un congť de trois mois.
La fille S..., avec laquelle il a passť, en effet, la nuit du 11 au
12 juin, dťpose que, pendant la nuit, Th... avait, par intervalles,
le sommeil agitť. Le 12, au matin, ils ont dťjeunť ensemble de
pain, de vin blanc et de cafť au lait que Th... ťtait allť
chercher. Puis, sans motif, il a tirť un couteau de sa poche, qui
ťtait neuf et joli, ce qu'elle n'a pu s'empÍcher de lui dire, ŗ
quoi il a rťpondu que ce couteau lui avait ťtť donnť la veille par
un de ses anciens camarades de rťgiment.
Comme la fille S... ne pouvait ouvrir le couteau, il l'ouvrit. Elle
ťtait couchťe, il ťtait assis au pied de son lit, tenant toujours
le couteau ŗ sa main; puis il l'a refermť et remis dans sa poche en
disant qu'il servirait.
J'ťtais un peu ťmue, ajoute la fille S...; mais il ne fut plus
question du couteau et, ŗ 10 heures et demie du matin, il me
quitta. ņ propos de cette dťposition, Th... explique que, s'il n'a
pas dit ŗ la fille S... qu'il avait achetť le couteau la veille,
c'ťtait pour ne pas lui laisser craindre, de but en blanc, le
dessein qu'il avait de l'en frapper. Il n'a pas dit que le couteau
servirait. Le soir, son projet ťtait de tuer la fille S...; mais il
y a renoncť le matin parce qu'il ťtait dans une maison vaste et
habitťe oý il ne voulait pas risquer d'Ítre arrÍtť; il ne voulait
pas surtout Ítre soupÁonnť d'avoir tuť pour voler, ce qui n'ťtait
pas son intention.
Depuis lors, Th... est revenu, ŗ diverses reprises et avec une
insistance marquťe, sur cette crainte de passer pour un voleur. Le
logis de la fille ťtait convenablement meublť, l'armoire ťtait
pleine d'effets et, malgrť ses dťnťgations, on aurait eu peine ŗ
reconnaÓtre si quelques objets avaient ťtť dťrobťs. Il se complaÓt
d'ailleurs, en toute occasion, ŗ discuter dans leurs dťtails les
plus insignifiants les dťpositions des tťmoins, ŗ rectifier ce
qu'il appelle leurs erreurs, et ŗ exposer lui-mÍme les faits tels
qu'ils se sont passťs, dans leurs moindres circonstances. C'est
ainsi qu'on prťsence du commissaire de police, trouvant que ses
explications n'ont pas ťtť suffisamment comprises, il prend une
rŤgle et s'en sort comme d'un couteau pour bien montrer comment a
eu lieu l'assassinat,
Au dťpŰt de la prťfecture, oý il est ťcrouť, le prťvenu conserve le
sang-froid qui avait tout d'abord ťtonnť les magistrats, et la
conscience vaniteuse de sa personnalitť.
Le 16 juin il ťcrit ŗ sa mŤre: ęJe te demande mille pardons si
j'ose t'ťcrire aprŤs le coup que je viens de faire. En attendant
que je sois expťdiť ŗ Cayenne ou ŗ la Nouvelle-Calťdonie,
trŤs-chŤre mŤre, tu voudras bien m'envoyer quelques petites choses
dont j'ai besoin. Ce sont les derniŤres choses que je te demande,
ne me les _refusent_ pas, d'abord du papier ŗ ťcolier, une main si
tu le peux, des plumes, un porte-plumes, de l'encre, etc. Je
voudrais bien avoir mes souliers napolitains. Ton fils, Henri
Th...Ľ
Le 18 juin, il ťcrit de Mazas une plus longue lettre oý se trouve
cette phrase: ęCrois ŗ une chose, c'est que je ne suis pas fou.Ľ
Le 19, il s'excuse prŤs de son patron d'avoir emportť 40 f., et
termine en disant: ęJe croyais porter ma tÍte sur l'ťchafaud mais
je n'aurai que les travaux forcťs.Ľ ņ partir de cette date et
pendant le long espace de temps oý il est soumis ŗ l'enquÍte
judiciaire et ŗ notre examen, Th... reste identique ŗ lui-mÍme. Pas
une crise ťpileptiforme, pas un malaise ne vient troubler sa santť
physique, et rien n'aurait ťchappť ŗ l'observation intťressťe et
assidue de ses deux compagnons de captivitť.
Une seule fois, il aurait commencť une tentative de suicide. AprŤs
le dťpart de M. J., un de ses anciens protecteurs, qui lui avait
adressť quelques reproches, Th..., dit le directeur de Mazas, s'est
mis ŗ pleurer. Tout d'un coup, il a voulu s'ťtrangler avec son
mouchoir. Les dťtenus qui sont prŤs de lui l'ont empÍchť, en se
jetant sur lui, d'exťcuter son projet.
La pťriode de sa longue dťtention prťventive ŗ Mazas, du 18 juin au
26 novembre 1874, s'ťcoule sans incidents sous la plus attentive
surveillance. Il passe son temps ŗ ťcrire des lettres au juge
d'instruction, demandant qu'on lui fournisse les menus objets dont
il a besoin, ťcrivant, dessinant, et il dessine avec quelque
facilitť, causant avec ses codťtenus et prenant le rŰle de chef de
la chambrťe. Jamais une plainte n'est portťe contre lui pour une
infraction ŗ la discipline. Les surveillants le trouvent docile et
dťclarent qu'ils n'ont rien ŗ lui reprocher. Jamais ils n'ont eu ŗ
signaler une crise d'excitation ou de dťpression exceptionnelle.
On nous saura grť d'avoir exposť avec un excŤs de dťtails
l'histoire de Th... Il est rare qu'on puisse suivre ainsi pas ŗ pas
toute la vie intime d'un malade. Ces observations prises sur le
fait et indťfiniment poursuivies deviennent de vťritables matťriaux
scientifiques.
L'opinion que nous avons exprimťe dans notre rapport pourra trouver
des contradicteurs ou soulever des objections, mais l'approbation
ou la critique portera sur une base solide. [M. le Dr Legrand du
Saulle ne partage pas l'opinion que nous avons ťmise sur la nature
de la maladie de Th... (Voir _…tude mťdico-lťgale sur les
ťpileptiques_. Paris, 1877. Page 164).]
De ce rapport trŤs-dťveloppť, nous extrayons la partie relative ŗ
l'ťtude pathologique, sans revenir sur les faits que nous venons
d'exposer.
Il est ťvident que, pendant la surveillance prolongťe ŗ laquelle il
a ťtť soumis, Th... n'a donnť aucun signe d'aliťnation de nature ŗ
justifier une expertise mťdicale. C'est le fait seul, accompli en
dehors de ce qu'on appellerait la _technique du crime_, qui a
ťveillť la sollicitude des magistrats.
Mesurer la sanitť intellectuelle d'un homme d'aprŤs un seul de ses
actes est un problŤme toujours dťlicat et souvent insoluble. Le
mťdecin expert doit, en principe, faire abstraction du fait et
chercher ses ťlťments de dťcision dans l'examen direct du prťvenu.
S'il est dťmontrť qu'il existe une perversion pathologique, le
crime ou le dťlit, quel qu'il soit, cesse d'Ítre le rťsultat d'une
libre dťlibťration, et la responsabilitť passe du malade ŗ la
maladie.
Il n'est pas toujours vrai que plus un crime est ťnorme, plus la
moralitť de celui qui s'en est rendu volontairement coupable est
abaissťe; il est encore moins conforme ŗ l'observation que
l'ťnormitť de l'acte commis par l'aliťnť et qui serait criminel
pour tout autre, corresponde ŗ l'intensitť et surtout ŗ la
continuitť de la folie. La proposition inverse se rapprocherait
davantage de la vťritť. C'est par une rare exception que les
aliťnťs qui reprťsentent le dernier degrť de la dťchťance
intellectuelle se livrent ŗ des actes graves, de nature ŗ appeler
l'intervention de la justice.
Il convient donc de se dťgager de ce prťjugť instinctif, mais en
contradiction avec l'expťrience que la profondeur des troubles
intellectuels est en proportion avec les agissements nuisibles
qu'ils ont entraÓnťs.
L'ťtude des rapports de l'acte avec l'ťtat mental de celui qui l'a
perpťtrť a, dans le cas de Th..., une telle importance, que nous
nous sommes crus obligťs d'exposer les donnťes acquises ŗ la
science avant de les appliquer.
En limitant la recherche ŗ l'homicide, les meurtres commis par les
aliťnťs peuvent Ítre classťs dans les catťgories suivantes:
1į Le malade agit conformťment ŗ ses convictions dťlirantes. Il
suppose, par exemple, qu'il est persťcutť par un individu dťnommť,
que cette poursuite sans excuse menace sa vie, et, se considťrant
dans le cas de lťgitime dťfense, il va au-devant d'un assassinat
dont il serait victime. Le point de dťpart a ťtť une conception
maladive, mais l'ťlaboration logique de l'idťe s'est faite presque
rťguliŤrement.
Th... semble avoir, par intervalles, cŰtoyť cette forme d'impulsion
dťlirante. Sa mŤre ťtait, ŗ ses yeux, responsable de ses
dťcouragements, de l'infťrioritť de sa situation, et mÍme de son
instabilitť de caractŤre.
L'idťe d'en finir avec cet ennemi intime se serait plusieurs fois
prťsentťe ŗ son esprit, mais elle n'a jamais reÁu que des
commencements douteux d'exťcution.
Ces accŤs confus, racontťs par l'inculpť, ťchappent ŗ notre
contrŰle. En tout cas, il est certain que le meurtre de la fille
C... ne se rattache ŗ aucune des modalitťs pathologiques dťsignťes
sous le nom de dťlire de persťcution.
2į L'aliťnť faible d'esprit, imbťcile, et par suite incapable de
rťsister aux propensions, quelles qu'elles soient, est ou croit
Ítre insultť, menacť, violentť, par un tiers. Il obťit ŗ l'instinct
brutal, frappe, tue, sans Ítre arrÍtť par une dťlibťration
intťrieure au-dessus de ses forces intellectuelles. Lŗ, encore, le
crime s'explique par une provocation imaginaire ou vraie. Le tout
se fŻt rťduit pour un homme sain ŗ une querelle, mais l'aliťnť a
perdu le sens de la mesure. De mÍme qu'il eŻt pu supporter, sans se
plaindre, des violences extrÍmes, il repousse, par un assassinat,
des offenses prťtendues ou insignifiantes.
Th... n'est pas davantage dans cette condition. Bien que son
intelligence rťelle soit fort au-dessous de l'opinion qu'il en a,
elle rentre dans une moyenne qui suffit, et au delŗ, ŗ la gouverne
de la vie.
Dans ces deux espŤces de meurtre, l'aliťnť reste aprŤs le crime ce
qu'il ťtait auparavant: que le fait nuisible ait eu lieu ou non,
l'aliťnation se reconnaÓt, indťpendamment des consťquences, aux
caractŤres sťmťiotiques qui lui sont propres.
3į Il existe des types de folie d'un diagnostic plus complexe et
qui fournissent au meurtre l'appoint le plus considťrable. Le
dťlire est intermittent, il apparaÓt par crises plus ou moins
prolongťes, et ne laisse pas de traces durant les intervalles.
De ce nombre sont les folies toxiques et au premier rang
l'alcoolisme aigu. C'est d'ailleurs aux intoxications alcooliques
qu'il faut recourir toutes les fois qu'on veut pťnťtrer dans
l'ťtude approfondie des dťlires impulsifs se rťpťtant par accŤs.
Le malade, sous l'influence de l'empoisonnement alcoolique aigu,
est pris d'entraÓnements soudains qui le portent ŗ l'assassinat ou
au suicide. L'idťe de la mort domine son trouble intellectuel, et
mÍme, s'il est inoffensif, il a encore peur de l'ťchafaud, de la
condamnation ŗ une peine capitale, etc. L'acte succŤde ŗ la pensťe,
plus ou moins soudain, plus ou moins conforme aux conceptions
dominantes qui agitent l'aliťnť, mais souvent en dťsaccord avec
l'excitation apparente. On voit alors combien les entraÓnements
maladifs comptent peu avec les lois physiologiques de la moralitť
humaine; l'alcoolique commet indiffťremment un meurtre ou un
suicide, et son ťclair de violence porte ťgalement sur un objet
inanimť et sur un Ítre vivant. Th... n'a pas d'habitudes de
boisson, ou tout du moins on ne trouve chez lui aucun des signes
pathognomoniques qui persistent si longtemps, mÍme aprŤs la
cessation de l'accŤs. D'ailleurs, si rťduite que puisse Ítre la
durťe d'une crise d'alcoolisme aigu, elle ne s'ťpuise pas par le
fait du crime accompli, et on n'eŻt pas manquť de noter, au moment
de l'arrestation, un trouble manifeste de l'intelligence.
Les affections cťrťbrales dťterminent des attaques encore moins
durables, avec tendance impulsive au meurtre; tel est le cas de
certains dťlires aigus et de l'ťpilepsie.--L'ťpileptique frappe
sans raison; il tue pour tuer, et ne semble mÍme pas avoir ťtť
dominť par la pensťe de nuire. Bien que les violences comitiales
prťsentent le plus souvent des caractŤres distinctifs, il se peut
que, dans la prťcipitation de l'enquÍte immťdiate, ces indices
aient ťchappť.
…tant donnť un crime sans motifs, sans explication, et dont
l'ťtrangetť avait frappť les magistrats expťrimentťs en ces
matiŤres, nous avons dŻ rechercher les moindres symptŰmes d'une
maladie cťrťbrale ŗ attaques ťpileptiques ou ťpileptiformes, et la
plus minutieuse investigation n'a fourni que les donnťes suivantes:
Th... n'a ni insomnie, ni tremblements, ni embarras de la parole,
ni trouble fonctionnel intermittent ou durable du systŤme nerveux.
Sous ce rapport, il est absolument explicite, et, d'ailleurs, il ne
paraÓt pas supposer qu'on puisse jamais tenir pour aliťnť un homme
tel que lui.
Les pupilles sont inťgalement dilatťes, la vision de l'oeil gauche
est affaiblie, mais l'examen ophthalmoscopique, qu'il serait
inutile de reproduire, a permis d'exclure une lťsion encťphalique
se propageant ŗ la trame nerveuse du fond de l'oeil.
En remontant dans le passť, Th... raconte qu'ŗ diverses reprises il
a ťtť frappť d'un vertige subit avec perte de connaissance. Une
attaque de ce genre aurait eu lieu pendant une revue, ŗ l'ťpoque oý
il servait comme zouave en Algťrie. De pareilles dťfaillances se
seraient produites depuis lors, mais ŗ de rares intervalles, moins
intenses, et n'entraÓnant ŗ leur suite aucun dťsordre physique ni
moral, mÍme passager.
Bien que ces indications, les seules que nous ayons ťtť ŗ mÍme de
recueillir, ne soient pas sans valeur, elles ne suffiraient pas ŗ
motiver le diagnostic d'une ťpilepsie larvťe, si tant est que ce
diagnostic puisse Ítre, dans l'ťtat actuel de la science, sŻrement
ťtabli. Il resta acquis seulement que Th... a prťsentť des
phťnomŤnes cťrťbraux qui, pour Ítre accidentels et transitoires,
n'en ont pas moins de gravitť et constituaient une vague menace
pour l'avenir.
4į Est-on autorisť ŗ admettre une derniŤre classe de malades
poussťs au meurtre par une violence irrťsistible et passagŤre, sans
autres perversions physiques ou psychiques constatables durant
l'accŤs, sans troubles caractťrisťs de l'intelligence aprŤs la
crise? ņ cette question, aucun mťdecin ne peut hťsiter ŗ rťpondre
par l'affirmative.
Des exemples nombreux, observťs, analysťs, commentťs par les plus
ťminents observateurs, ont ťtť publiťs, et quelques doutes qui
s'ťlŤvent sur leur interprťtation, leur authenticitť est restťe
hors de discussion.
Il nous serait aisť de rapporter une sťrie de ces faits probants,
si les preuves de ce genre n'excťdaient l'ťtendue d'un rapport
mťdico-lťgal.
Les aliťnťs qui rentrent dans cette catťgorie obťissent ŗ des
impulsions limitťes. Aucun n'agit sans la pression d'une vague
tendance qui le porterait, comme dans les espŤces prťcťdemment
ťnoncťes, ŗ n'importe quelles violences. Chaque fois que la crise
se rťpŤte, elle a lieu sous la mÍme forme, avec les mÍmes appťtits
et les mÍmes aboutissants. TantŰt moins intense, elle s'ťpuise
d'elle-mÍme; tantŰt elle s'ťteint aprŤs un commencement d'exťcution
avortťe; tantŰt, au contraire, portťe ŗ son maximum, elle ne cesse
qu'aprŤs l'accomplissement de l'acte commandť par ce dťlire de
sentiments. Il en est ainsi, d'ailleurs, de l'ťpilepsie, des folies
toxiques et de la plupart des maladies ŗ accŤs, qui varient de
degrťs sans changer de types.
Si les attaques sont plus ou moins intenses, elles sont ťgalement
plus ou moins frťquentes et plus ou moins durables.
De longues pťriodes, des annťes, peuvent s'ťcouler sans qu'elles se
renouvellent; elles sont instantanťes, fugaces, ou au contraire
elles se prolongent pendant des journťes et des semaines, croissant
par une progression continue ou soumises ŗ des oscillations.
Elles diffŤrent des crises ťpileptiques par un caractŤre essentiel:
les malades n'ont pas perdu la conscience, ils se souviennent, et
ils sont en mesure de raconter leur accŤs souvent jusque dans les
moindres circonstances,
Leur description uniforme permet d'instituer la sťmťiologie de ces
attaques. L'impulsion consciente s'exprime tout d'abord ou par la
pensťe obsťdante, ou mÍme par la crainte de commettre l'acte qui
rťpond au dťlire. Peu ŗ peu s'adjoint ŗ cette idťe dominante une
sorte d'ťtat vertigineux qu'on retrouve dans tous les appťtits
maladifs, mais qui n'abolit pas l'intelligence. Aux premiers
stades, le moindre obstacle peut devenir un empÍchement, une
diversion puissante suspend ou supprime la crise; la moindre cause
d'excitation, qu'elle soit morale ou physique, la redouble, et ces
causes varient suivant l'objet spťcial de l'impulsion dťlirante.
L'acte ainsi prťparť, mÍme dans les formes en apparence les plus
instantanťes, prend un aspect de prťmťditation qui rťpond ŗ cette
faÁon d'ťlaboration successive. La soudainetť de l'ťpilepsie, moins
absolue d'ailleurs qu'on ne le suppose, n'admet pas au mÍme degrť
ces indťcisions et surtout ces retardements dans l'exťcution de
l'acte. L'action une fois commise, la crise non ťpileptique cesse
d'ordinaire presque soudainement, et le malade, rentrť en
possession de son activitť intellectuelle, peut Ítre assez maÓtre
de lui-mÍme pour s'ťvader ou pour combiner les moyens d'ťchapper
aux recherches. On s'explique ainsi comment dans les faits
d'impulsions incendiaires ou de kleptomanie, le coupable se
soustrait si souvent mÍme aux soupÁons.
On aura complťtť la caractťristique sommaire de l'accŤs propulsif
en ajoutant qu'il aboutit presque toujours ŗ un crime ou ŗ un dťlit
inexplicable. L'aliťnť n'ťtait animť ni par une passion, ni par un
intťrÍt, et le hasard seul a dťsignť la victime. Pour l'homicide
tout au moins, les choses se passent ainsi, sauf de rares et
contestables exceptions. Qu'on relŤve les faits consignťs dans la
science, et on sera frappť de la part qui revient ŗ l'imprťvu; il
suffit que l'occasion soit venue au moment oý, pour ainsi parler,
la crise ťtait mŻre.
Si l'appťtit du meurtre procťdait seul par accŤs, l'analyse en
serait contestable, mais il existe des propulsions moins violentes,
et qui, ne sollicitant l'ťmotion ni du malade ni de l'observateur,
s'arrÍtent ŗ mi-route ou se rťsolvent en des actions moralement
insignifiantes, et se prÍtent ŗ un facile examen. Or, conformťment
ŗ la rŤgle que nous avons rappelťe et qui trouve ici son
application, l'ťnormitť de l'acte n'a, malgrť son importance
sociale, aucune signification pathologique.
Pour citer une preuve: que de fois il arrive, et en particulier
dans les dťlires toxiques ou ťpileptiques, que dans le cours de
crises successives, le mÍme malade soit entraÓnť tantŰt ŗ
l'homicide et tantŰt au suicide. Pourvu qu'il y ait mort d'homme,
son appťtit est satisfait.
AprŤs la crise, la situation mentale ne prťsente rien de
caractťristique. Il est certain que le mťdecin le plus expťrimentť,
mis en prťsence d'un de ces aliťnťs intermittents, ne soupÁonnerait
pas l'ťtendue du dťsordre latent ou expectant. Il en est de mÍme
dans un si grand nombre d'affections, que ces suspensions complŤtes
rentrent dans la dťfinition des intermittences pathologiques. Le
crime ou la violence accomplie, on ne retrouve que des indices
incertains dont la trace eŻt ťchappť sans ce solennel
avertissement.
Th... appartient ŗ la catťgorie dont nous venons de retracer
successivement les principaux caractŤres. Son histoire mťdicale,
jusqu'au jour de l'assassinat, s'est passťe sans tťmoins dans
l'intimitť de son for intťrieur; force est donc de s'en rapporter
aux renseignements qu'il fournit sur lui-mÍme. Nous n'hťsitons pas
ŗ admettre la sincťritť de son dire, et parce qu'il n'essaie ni de
se justifier, ni de s'excuser, et parce qu'il reproduit les
formules accoutumťes des aliťnťs impulsifs. Les crises se sont
reproduites ŗ d'assez rares intervalles; il en a ťtť exempt pendant
les deux annťes qu'il a passťes en Afrique. ņ son jugement, sa mŤre
aurait une large part de responsabilitť, ŗ cause de l'ťducation
dťfectueuse qu'il a reÁue. Le contact avec sa mŤre entretiendrait
chez lui une irritabilitť toute favorable au dťveloppement des
accŤs. Ce sont lŗ de simples interprťtations qu'il n'invoque pas
d'ailleurs pour s'excuser de son crime. Th..., raconte
complaisamment l'ťvolution de la crise qui s'est terminťe par le
meurtre de la fille C... Il en suit les pťripťties, on pourrait
presque dire les ondulations. La veille, l'idťe d'assassiner une
fille publique l'avait poursuivi; il en a ťtť dťtournť par la
pensťe qu'on l'accuserait d'avoir tuť pour voler. Le lendemain,
obsťdť comme la veille, mais sans avoir perdu la conscience, plus
entraÓnť que vertigineux, capable d'ťcrire sur son carnet les
lignes que nous avons reproduites, il a frappť au hasard. Le
restaurant lui ťtait aussi inconnu que la victime; la jeune
servante se prťsente et il ne rťsiste plus. C'est d'ailleurs un
fait commun que ces meurtres aient pour objet un enfant, un
individu jeune, exceptionnellement un vieillard. Th... ťtait
conscient de l'impulsion avant le crime, il se souvient de ce qui
s'est passť ŗ la suite, et ne conteste aucune des allťgations du
procŤs-verbal.
Si, laissant de cŰtť l'attaque et la pťriode qui l'a suivie
immťdiatement, on ťtudie l'ťtat mental actuel du prťvenu, on
s'ťtonne de voir combien il s'ťcarte des autres criminels
ordinaires. Il cause du meurtre librement, sans ťmotion, sans
repentir, comme s'il s'agissait d'un meurtre commis par un autre.
Dans les longs entretiens que nous avons eus avec lui, il semble
que son passť lui soit ťtranger, et la conception de l'avenir est
encore plus confuse. Vaniteux, convaincu qu'il ťtait douť de
qualitťs auxquelles on n'a pas donnť l'occasion de se dťvelopper,
emphatique dans l'expression de ses vertus sentimentales, il est,
lorsqu'on lui parle du lendemain, plus imprťvoyant qu'un enfant: la
prťvision rťflťchie est ťvidemment au-dessus des forces de son
intelligence. Son autobiographie, qu'il signe non sans quelque
orgueil du nom de Th... _l'assassin_, donne, par certains cŰtťs,
une notion vraie de son ťtat mental, ŗ l'exception de ses
dťfaillances enfantines. Indiffťrent au crime, il ne l'est pas ŗ
des caprices puťrils, et il demande avec plus d'instance une
ťpreuve de sa photographie qu'un renseignement sur l'avenir qui lui
est rťservť.
Hors de lŗ, pas de traces de dťlire, pas d'indices de maladie
physique; s'il avait ťtť arrÍtť sous l'inculpation d'un dťlit de
vagabondage, on accorderait qu'il se maintient dans la mesure
presque normale.
En dťclarant Th... aliťnť sous la forme que nous avons longuement
exposťe, en affirmant que, pendant la crise, il avait perdu son
libre arbitre pour subir une impulsion maladive, nous ne nous
rťfťrons pas seulement ŗ la saisissante bizarrerie du crime, mais
nous empruntons ŗ l'observation du malade, prolongťe pendant des
mois, les considťrants de notre opinion mťdicale.
Th... nous a prťsentť les symptŰmes d'une maladie classique, dont
nous avons cru devoir retracer les traits essentiels; il ťtait
aliťnť quand il a accompli le crime; il est aujourd'hui dans une
pťriode d'intermission et sous la menace de rechutes dont la date ŗ
venir oý l'intensitť ťchappe ŗ toute prťvision.
Pour rťsumer en peu de mots le diagnostic dont nous venons de
reproduire les considťrants, Th... n'est pas atteint d'une
ťpilepsie larvťe.
Si on veut classer sa maladie sous la rubrique de cette espŤce
morbide, il faut en ťtendre indťfiniment la dťfinition.
En dehors de l'ťpilepsie, qui explique le plus grand nombre des cas
de dťlire par accŤs aboutissant ŗ des violences, il est nťcessaire
de maintenir le type, admis par tant de maÓtres ou d'observateurs
ťminents, du dťlire impulsif non ťpileptique.
AFFECTION C…R…BRALE GRAVE DANS LA PREMI»RE ENFANCE.--BIZARRERIES.--ID…ES
D'EMPOISONNEMENT ET DE PERS…CUTION.--ACC»S D'INTENSIT… DIFF…RENTE
S…PAR…S PAR DES INTERVALLES DE LUCIDIT… PRESQUE ABSOLUE.--CRISE
ABOUTISSANT ņ UN MEURTRE.--RESPONSABILIT… ATT…NU…E.
M. le Dr LasŤgue et moi, nous avons ťtť commis, par ordonnance de
M. E. Saffers, juge d'instruction prŤs le Tribunal de premiŤre
instance de la Seine, en date du 18 mai 1877, a l'effet de
constater l'ťtat mental du nommť C..., Jules, ‚gť de 41 ans,
inculpť d'avoir volontairement commis un homicide sur la personne
de la veuve C..., sa mŤre lťgitime.
Voici d'abord l'acte d'accusation, qui donne des faits un rťsumť
succinct, mais complet:
La dame C... est devenue veuve en 1857; elle avait quatre fils:
Jules, l'accusť; EugŤne, Charles et …mile; Charles ťtait en ce
moment ŗ l'armťe. Les deux frŤres, Jules et EugŤne, ont demeurť
pendant sept annťes avec la mŤre de famille, l'aidant dans
l'exploitation de son commerce de boucherie.
…mile s'ťtait engagť de bonne heure, et il est encore musicien dans
un rťgiment, EugŤne avant ťtť appelť au service militaire, l'accusť
est restť seul auprŤs de la veuve C... jusqu'en 1872, ťpoque ŗ
laquelle elle a vendu son fonds. En fťvrier 1876, EugŤne a achetť
un ťtal, il a pris avec lui sa mŤre et son frŤre Charles.
En 1873, de graves mťsintelligences se sont ťlevťes dans la
famille: Jules et …mile, cťdant aux conseils d'un agent d'affaires,
ont demandť la liquidation de la succession de leur pŤre, qui ťtait
restťe indivise du consentement de tous. Cette opťration a ťtť
terminťe le 14 mai 1875. Elle paraÓt avoir entraÓnť des frais
considťrables et a donnť lieu ŗ de nombreuses difficultťs entre les
co-partageants. Le notaire qui en a ťtť chargť affirme que dťjŗ, ŗ
cette ťpoque, l'accusť avait manifestť des sentiments de vive
animositť contre sa mŤre. Charles et EugŤne, qui ťtaient restťs en
bons rapports avec la veuve C., ont renoncť ŗ prťlever ce qui leur
revenait, Jules et …mile ont reÁu chacun 250 francs, montant de
leur part hťrťditaire.
ņ partir du rŤglement de leurs intťrÍts, toutes les relations
avaient ŗ peu prŤs cessť entre l'accusť, sa mŤre et ses frŤres
Charles et EugŤne. Sa haine avait persistť, et il ne craignait pas
de dire ŗ un tťmoin qu'il en voulait ŗ sa mŤre jusqu'ŗ la mort. Il
n'avait pas paru depuis six mois environ ŗ l'ťtal de la rue d'A.,
lorsqu'il s'y prťsenta le 7 mai dernier, vers 4 heures et demie du
soir. Il resta d'abord silencieux, refusant de rťpondre aux
questions qui lui ťtaient adressťes, et regardant ses frŤres vaquer
ŗ leurs occupations. Pendant ce temps, la veuve C... ťtait assise ŗ
la caisse, dans l'arriŤre-boutique. Au bout d'une demi-heure, il
s'approcha de sa mŤre et se mit ŗ causer avec elle. La conversation
ne paraissait pas fort animťe. ņ ce moment, EugŤne s'ťtait ťloignť
pour faire une course aux environs. Charles ťtait seul et lisait un
journal. Tout ŗ coup il entendit un bruit sourd, semblable ŗ celui
que produit un coup portť avec violence. Il s'ťlanÁa dans
l'arriŤre-boutique et trouva sa mŤre renversťe sur le cŰtť gauche,
la tÍte appuyťe sur une chaise; elle venait d'Ítre frappťe ŗ la
tempe par l'accusť. En mÍme temps, il arracha de la main droite de
celui-ci une corde enroulťe autour du poignet, et ŗ l'extrťmitť de
laquelle se trouvait attachť un poids d'un kilogramme. Aux
reproches que lui adressait Charles, Jules rťpondit,: ęCe n'est pas
ŗ toi ni ŗ mon frŤre que j'en veux, c'est ŗ ma mŤre; je m'en vais
chez le commissaire de police.Ľ
Charles courut chercher du secours; Jules sortit et fut, peu
d'instants aprŤs, arrÍtť dans la rue.
La veuve C... est morte le 11 mai des suites de ses blessures. Le
mťdecin chargť de l'autopsie a constatť qu'elle avait succombť ŗ
une fracture multiple de la rťgion pariťtale droite, compliquťe
d'enfoncement des fragments, d'ťpanchement de sang intra-cranien,
et de contusion cťrťbrale ťtendue.
Mis en prťsence du cadavre de sa mŤre, l'accusť n'a manifestť
aucune ťmotion. Il a reconnu qu'il avait prťmťditť son crime et
qu'il avait achetť, ŗ la fin d'avril, un poids et une corde avec
l'intention de s'en servir pour frapper sa mŤre. Il a ajoutť que
celle-ci lui avait, le 7 mai, parlť d'affaires de famille, et
l'avait provoquť en lui reprochant de l'avoir mise sur la paille.
Dans son interrogatoire, il a modifiť ses premiŤres dťclarations.
Il a prťtendu que, lorsqu'il s'ťtait procurť la corde et le poids,
il n'ťtait pas animť d'intentions coupables. Il croyait la veuve
C... propriťtaire du fonds de la rue d'A.; le 7 mai, il s'ťtait
rendu aprŤs d'elle pour lui demander de le prendre avec elle, et il
s'ťtait muni de son arme pour s'en servir si elle refusait. Cette
idťe de meurtre, ajoute-t-il, l'avait abandonnť ŗ son arrivťe ŗ
l'ťtal. Sa mŤre lui avait dit, dans leur conversation, que, par sa
faute, elle ťtait sans ressources et obligťe de travailler chez les
autres. Il avait cru qu'elle se moquait de lui, et il l'avait
frappťe.
ņ raison de certaines bizarreries, constatťes par l'information
dans la vie de Jules C..., son ťtat mental a ťtť l'objet d'un
examen mťdical. MM. les docteurs LasŤgue et Blanche ont reconnu
chez lui tous les signes d'un trouble intellectuel rťel. Cependant,
tout en faisant ŗ sa responsabilitť une part fort restreinte, ils
ne vont pas jusqu'ŗ l'exonťrer complŤtement.
Voici maintenant le rapport:
C... est un homme robuste, qui ne prťsente, malgrť la recherche la
plus attentive, aucun indice d'une malformation congťnitale. En le
soumettant ŗ une inspection minutieuse, on ne trouve pas de traces
d'affections antťcťdentes, mais on constate ŗ la nuque deux
cicatrices produites par un sťton.
L'inculpť dťclare avoir ťtť malade dans son enfance, et, une fois
guťri de ces accidents, avoir joui d'une santť irrťprochable.
L'enquÍte ŗ laquelle nous nous sommes livrťs apprend, en effet,
conformťment ŗ l'instruction judiciaire, que tout enfant, vers
l'‚ge de 2 ou 3 ans, C... a subi des accidents cťrťbraux graves,
attribuťs ŗ une chute, et qui ont exigť un traitement de plusieurs
annťes. Le sťton, et c'est un dťrivatif commandť seulement par des
lťsions profondes et menaÁantes, aurait ťtť employť pour combattre
cette affection rebelle.
La vie pathologique de C... s'explique par cette premiŤre atteinte.
Un long rťpit, simulant la guťrison rťelle, a succťdť aux
manifestations initiales; l'inculpť a pu vivre de la vie commune,
apprendre ŗ lire et ŗ ťcrire sans trop de difficultťs, mais il n'a
jamais guťri complŤtement. De mÍme que les enfants dont le cerveau
est mal conformť restent sujets pendant toute leur vie ŗ des
troubles encťphaliques, de mÍme ceux qui ont traversť au premier
‚ge une maladie cťrťbrale indťlťbile, demeurent des infirmes
intellectuels. C'est ŗ cette derniŤre catťgorie qu'appartient
l'inculpť, et si on ne tenait compte de ses antťcťdents, son ťtat
mental aťrait inintelligible.
On retrouve, en effet, chez lui, les signes caractťristiques de ces
perversions secondaires. Physiquement, son dťveloppement est
normal; il semble qu'il se soit fait deux parts, l'une de
l'ťvolution corporelle qui s'est poursuivie sans entrave, l'autre
du dťveloppement des facultťs morales, tantŰt suffisant, tantŰt
dťfectueux, mais toujours irrťgulier, et n'assurant, aucun moment
de son existence, l'ťquilibre des fonctions.
C... adolescent ou parvenu ŗ la pťriode stable de la vie, n'est ni
un aliťnť, ni un homme semblable aux autres. Sobre en toutes
choses, poussant, on pourrait dire, la sobriťtť ŗ un excŤs qui
rťpond ŗ l'indiffťrence, il n'a jamais bu malgrť les entraÓnements
de son milieu; on ne lui a pas connu de maÓtresse, et lui-mÍme
dťclare, avec une sincťritť dťdaigneuse, n'en avoir jamais voulu.
…tranger ŗ son alentour, il s'isole instinctivement pour obťir ŗ
ses goŻts trŤs-limitťs, sans rien sacrifier aux aspirations des
autres. Son appťtit dominant est de se livrer aux exercices
gymnastiques qui tťmoignent de la force musculaire. DŤs son
adolescence, il descend seul dans la cave de la maison et soulŤve
des poids de plus en plus lourds; c'est la qu'il passe ses heures
de loisir, acceptant de temps en temps la lutte avec de rares
camarades pour avoir la mesure comparative de sa force. Encore
aujourd'hui, on lui fait oublier la gravitť de sa situation en
rappelant ces souvenirs. Plus ‚gť, il sollicite la permission de se
produire dans les fÍtes publiques comme athlŤte. L'autorisation lui
est refusťe parce que les renseignements recueillis n'inspirent pas
confiance, et il a gardť, au fond de son coeur, rancune de ce refus.
C... n'a pas d'amis, mÍme dans sa famille; il est sombre,
taciturne, inquiťtant, au dire de tous les tťmoins, bien qu'il
n'ait ťtť ni agressif, ni injurieux pour personne. Il dort peu et
mal, sans qu'on puisse rapporter cette insomnie ŗ des habitudes
alcooliques: le vin lui rťpugne, il n'en boit ni seul, ni en
compagnie. Sur ce fond qui reprťsente dťjŗ un ťtat maladif, se
dessinent de temps en temps des crises mal dťfinies, des absences,
des frayeurs, des hallucinations confuses. Il reste absorbť pendant
des heures ou des journťes, et semble sous le coup d'anxiťtťs dont
la raison ťchappe, puisqu'il se refuse ŗ toute confidence. Ces
accŤs surviennent la nuit comme le jour; tantŰt il s'enferme dans
sa chambre avec un luxe de prťcautions, tantŰt il se lŤve ŗ des
heures indues et sort vÍtu comme s'il allait ŗ l'abattoir.
On cite dans l'instruction des singularitťs sans nombre et toutes
significatives. Pendant la guerre il revÍt un costume bizarre, des
guÍtres blanches avec des rubans noirs; aprŤs la commune, il ne se
couche pas sans avoir une fourche dans sa chambre; un jour il
lacŤre son portrait ŗ coups de couteau, une autre fois il passe la
nuit ŗ laver son linge en chantant et en riant aux ťclats. On sent
que C... se maintient en dťfiance contre des obsessions ou des
dangers sur lesquels il ne s'explique pas.
C'est au plein de ce dťsordre sournois, et par consťquent latent,
de l'intelligence, que surviennent deux ťvťnements, l'un rťel,
l'autre imaginaire, et qui paraissent avoir exercť sur l'esprit de
C... une ťnorme influence. Son pŤre meurt, et l'inculpť reste avec
sa mŤre qu'il seconde dans son commerce de boucherie et qui
subvient ŗ tous ses besoins.
Un jour, en 1864, C... se rappelle ŗ la fois la date et le fait, on
lui sert une assiettťe de soupe d'un goŻt saum‚tre; ŗ peine en
a-t-il goŻtť quelques cuillerťes qu'il reconnaÓt, dit-il, la saveur
du vitriol. Il s'aperÁoit qu'on l'a servi ŗ part, que sa mŤre s'est
rťservť une portion qu'elle n'a pas puisťe ŗ la soupiŤre; la soupe
est jetťe aux ordures; mais la nuit, C... ťprouve de la diarrhťe,
des douleurs d'entrailles; il a ťtť empoisonnť par sa mŤre. Six
mois plus tard, on lui donne du vin qui contient encore du vitriol.
Vers 1868, on lui sort une cŰtelette qu'il trouve toute prťparťe
sur son assiette en venant dÓner. La viande recouverte d'une ťcume
blanch‚tre a un goŻt particulier; on l'a arrosťe de nitrate
d'argent achetť soi-disant pour nettoyer les couverts.
Encore un empoisonnement organisť par sa mŤre!
Ces prťtendues tentatives s'imposent ŗ son esprit sous la forme
habituelle aux conceptions dťlirantes. ęJe n'ai pas de preuves,
rťpŤte-t-il, et je le sais bien, mais ce sont des faits, puisque
j'ai ťtť malade aprŤs le repas.Ľ
ņ toute objection il rťpond: ęVous avez raison contre moi, je ne
peux rien prouverĽ et n'en demeure pas moins convaincu.
Les ťpreuves de ce genre ne se sont pas multipliťes; il cite les
trois qui viennent d'Ítre rappelťes et pas une de plus. Leur
souvenir ne l'obsŤde pas, mais ŗ son heure, quand vient la crise
d'excitation haineuse, il utilise ses rťminiscences et s'en fait ŗ
la fois un encouragement et un argument.
Dix-sept ans aprŤs la mort du pŤre, C... qui a ruminť ses griefs,
demande des comptes ŗ sa mŤre, soit spontanťment, soit incitť par
des agens d'affaires.
La succession est liquidťe aprŤs un assez long dťlai, sans
querelles, sans violences de paroles incompatibles avec la froideur
sŤche de l'inculpť. C... passe une annťe dans l'oisivetť, vivant de
peu, presque de rien, ne demandant d'assistance ou de pitiť ŗ
personne, et se suffisant avec une dťpense de quelques centimes
chaque jour. ņ bout de ressources, il entre comme ouvrier dans une
fabrique d'huile de pieds de boeufs ŗ Grenelle; son gain est limitť,
son existence absolument solitaire et monotone. Les rťcits des
voisins sont conformes ŗ ceux des habitants du quartier oý s'est
passťe sa jeunesse. MÍme mutisme, mÍmes accŤs d'apprťhension, mÍmes
actes de dťfiance inquiŤte; sa porte est verrouillťe chaque soir;
il lui arrive de mettre la commode en travers pour dťfendre
l'entrťe de sa chambre; il garde un nerf de boeuf ŗ la tÍte de son
lit; on en a peur, bien qu'il ne donne prise ŗ aucun reproche.
C'est ŗ la fin de cette longue pťriode d'ťloignement volontaire que
C... achŤte la corde et les poids qui serviront ŗ commettre son
crime. Il hťsite pendant des semaines, et son indťcision rappelle
celles qui prťcťdent si souvent les suicides. Le samedi 5 mai,
contrairement ŗ ses habitudes, il ne se rend pas le matin ŗ
l'usine; l'aprŤs-midi, il fait rťgler son compte par le patron. Son
idťe est, dit-il, de reprendre sa profession de boucher. Le
dimanche il se promŤne au hasard dans Grenelle, pensant ŗ sa mŤre,
ŗ ses diffťrends passťs, ŗ ses arrangements vagues d'avenir. Le
lundi, il va ŗ la Villette, incertain de ses intentions, plaidant
en lui-mÍme le pour et le contre, allongeant le chemin pour assurer
ses idťes. C... raconte ses hťsitations avec une sorte
d'insouciance, mais son rťcit est si conforme de tous points ŗ ce
qu'enseigne l'observation, qu'il ne laisse pas matiŤre ŗ un doute.
Le crime accompli, et nous n'avons pas ŗ redire comment il l'a ťtť,
la crise est ťpuisťe.
C... se dťnonce lui-mÍme. Confrontť avec le cadavre de sa mŤre, il
ne marque aucune ťmotion et semble se complaire, alors comme
aujourd'hui, ŗ ťnumťrer les motifs qui l'ont fait agir.
Ajoutons que depuis 1875, C... a subi une transformation
inconsciente dont tťmoignent des preuves positives.
Jusque-lŗ, il avait vťcu correct dans la forme, ťtonnant par ses
allures tous ceux qui se trouvaient en contact avec lui, mais ne
donnant prise ŗ aucune plainte.
En septembre 1875, il est arrÍtť et condamnť pour vagabondage; le
24 et le 28 dťcembre de la mÍme annťe, le 3 janvier 1878, nouvelles
arrestations pour le mÍme dťlit.
Pour qui a pu suivre l'existence de ces malades atteints d'une
lťsion cťrťbrale larvťe et qui ne prend pas les aspects de la
folie, ces dťfaillances rťpťtťes ŗ courts intervalles accusent un
ťtat de mal et une prťparation ŗ des troubles plus menaÁants, sans
que ni l'inconduite, ni la dťbauche, n'aient fourni leur appoint
ou, pour ainsi dire, leur excuse.
ņ Mazas, oý il est soumis ŗ une surveillance assidue, oý nous avons
multipliť nos visites, C... ne se dťment pas. TantŰt parleur,
tantŰt silencieux, sombre avec ses compagnons de captivitť qui s'en
effrayent, incapable de mesurer la valeur et la portťe de ses
actes, toujours sur la dťfensive, interrogeant du regard avant de
rťpondre, ne questionnant jamais, convaincu ŗ la fois qu'il a eu
tort en fait, mais qu'en principe il avait raison, nous ne l'avons
pas surpris, plus que les surveillants, en proie ŗ un accŤs de
dťlire, en dehors de ses rťminiscences d'empoisonnement.
Est-ce ŗ dire que l'inculpť jouisse de sa raison pleine, et doive
Ítre considťrť comme entiŤrement responsable? nous ne le croyons
pas.
C... rentre dans une catťgorie de malades qui reprťsentent une
exception dans la population courante des asiles.
Jusqu'au jour oý un acte ťtrange, un crime inexplicable a contraint
de se poser la question de leur sanitť d'esprit, ils passent pour
des gens bizarres et n'appellent pas de mesures coercitives.
Expansifs, violents comme quelques-uns, ou sombres comme C..., ils
ťveillent une impression vague, mais ne justifient pas une
conviction prťcise. On a peur d'eux, sans savoir d'oý naÓt et oý
peut aboutir cette crainte. Les mťdecins les plus expťrimentťs ne
vont pas et ne doivent pas aller au delŗ. C'est quand l'explosion a
eu lieu qu'on remonte vers le passť et qu'on dťcouvre la maladie
qui a couvť ŗ l'insu du malade.
Les ťpileptiques reprťsentent l'expression la plus achevťe de ces
affections cťrťbrales impulsives revenant par accŤs, mais il s'en
faut qu'ils en reprťsentent le seul type.
C... n'est pas ťpileptique; ses crises cťrťbrales n'ont ni
l'instantanťitť, ni l'inconscience, ni l'imprťvu des attaques
comitiales. Lentes dans leur ťvolution, elles se prťparent plus ou
moins longuement; beaucoup d'entre elles avortent, et le trouble se
rťduit aux impulsions inoffensives que nous avons ťnumťrťes. Le
jour oý la crise finale ťclate, aprŤs une incubation durable, elle
emprunte ŗ l'ťpilepsie quelques-uns de ses caractŤres.
Pour affirmer la maladie, il faut trouver rťunis les deux ťlťments;
celui de la lťsion cťrťbrale permanente, et celui de la propulsion
plus soudaine en rťalitť qu'en apparence, et qui clŰt l'accŤs. On
ne saurait mťconnaÓtre que ces deux ordres de symptŰmes dťcisifs
existent chez C..., et c'est pour en prouver l'existence que nous
avons dŻ dresser le long exposť qui prťcŤde. L'affection cťrťbrale,
traumatique ou non, mais qui a dťbutť dans la premiŤre enfance et
s'est prolongťe pendant des annťes, a ťtť l'origine certaine du
mal. ņ partir de son invasion, C... est devenu et est restť un
malade. Dans les intervalles demi-lucides, on le trouve ombrageux,
plus troublť de caractŤre que d'intelligence, capable de dissimuler
ses tendances, ou incapable de les affirmer. Aux pťriodes
critiques, il se laisse d'abord entraÓner ŗ un dťlire limitť de
persťcutions, puis il s'excite ŗ froid, peu ŗ peu, au hasard des
irritations, mťditant dans le vide les ťvťnements dont il se croit
victime, plus ruminant que raisonnant, mais dans un stade comme
dans l'autre, hors d'ťtat de prťserver absolument sa libertť de
pensťe ou d'action.
Ces oscillations confuses de l'intelligence excluent les dťlires
continus, mais pour se produire sous un autre aspect, et tout en ne
rťpondant pas ŗ la dťfinition populaire de la folie, le dťsordre
n'en est pas moins profond.
Notre avis formel est que la maladie cťrťbrale dont C... est
atteint, et dont nous avons ťnoncť les principaux signes, annule
chez lui la responsabilitť presque complŤtement.
CH. LAS»GUE, …. BLANCHE.
Conformťment ŗ ces conclusions, C..., comparut devant les assises et fut
condamnť ŗ huit ans de travaux forcťs, le jury et la cour ayant admis,
suivant notre avis, la maladie ŗ titre d'attťnuation.
Voici enfin quelques-unes des rťflexions si ťminemment instructives et
intťressantes dont M. le Dr LasŤgue a accompagnť ce rapport:
ęC... n'ťtait certainement pas dans un ťtat d'aliťnation continu tel que
la vie sociale lui fŻt interdite. …tait-il sujet ŗ des crises qui le
privaient ŗ des degrťs variables, ou de la conscience de ses actes, ou
de la libre dťlibťration sans laquelle aucun acte n'est volontaire?
Les perversions permanentes de l'intelligence prÍtent peu ŗ la
discussion. Elles sont ou ne sont pas. ņ l'ťgal des affections
organiques du coeur, elles appartiennent ŗ toute heure ŗ l'observation.
Que la maladie soit aiguŽ ou chronique, qu'elle se montre dans un
paroxysme ou durant une rťmission, ce sont des diffťrences de degrť; le
fond demeure et se constate.
Il en est autrement, au point de vue mťdico-lťgal, des formes
intermittentes oý les accŤs sont sťparťs par des intervalles de santť
morale, absolue ou relative. L'expert, qui n'est plus un tťmoin, ne
dispose que de renseignements douteux, et son enquÍte rťtrospective n'a
pas la certitude que comporte une constatation directe.
L'ťpilepsie est le type suprÍme des dťlires ŗ brusque invasion et ŗ
cessation non moins brusque; on a rendu ŗ la science un signalť service
en l'ťtudiant sous ses modalitťs d'ailleurs peu variťes, mais on
s'ťcarterait de la vťritť en la reprťsentant comme reprťsentant tous les
cas possibles.
Dťjŗ, ŗ l'occasion d'un procŤs criminel des plus dramatiques (affaire
Th...; _Archives gťnťrales de mťdecine_, janvier 1875) nous avons, le Dr
Blanche et moi, montrť que des crises impulsives, ťpileptoÔdes par
quelques-uns de leurs caractŤres, plus soudaines en apparence qu'en
rťalitť, se prolongeant pendant des heures et des journťes, pouvaient
survenir en dehors de toute atteinte d'ťpilepsie vraie.
Le cas de C... appartient ŗ une autre espŤce.
Tous les mťdecins savent qu'un homme frappť par une affection cťrťbrale
profonde se manifestant par des symptŰmes comateux, dťlirants,
paralytiques, convulsifs, guťrit de la crise sans guťrir forcťment de la
maladie. AprŤs des semaines, des mois, des annťes, apparaissent de
nouveaux accidents reliťs ŗ l'attaque initiale par une attache
pathologique incontestable. Ce ne serait pas excťder la vťritť que de
dire que la guťrison absolue est plus prŤs de l'exception que de la
rŤgle; la comparaison populaire du feu couvant sous la cendre s'applique
ŗ merveille ŗ ces espŤces banales. C'est ŗ cette catťgorie qu'appartient
C..., frappť d'une affection cťrťbrale ťnorme dans son enfance, ťtrange,
incomplet, pendant sa vie, soumis ŗ des poussťes inťgales quant ŗ leur
intensitť ou ŗ leur durťe, variables quant ŗ leur forme, et dont notre
rapport donne un aperÁu sommaire.
En rťsumť, l'espŤce dont je viens de rťsumer les principaux traits se
reconnaÓt aux caractŤres suivants: ictus initial, rťpťtitions de crises
sťparťes par des intermissions ou des rťmissions plus ou moins complŤtes
et plus ou moins durables, ne se reproduisant pas sous un type et avec
une durťe obligatoires, soit chez les divers individus ainsi frappťs,
soit chez le mÍme malade.Ľ
Dans ce fait, il ne s'agit pas, comme dans ceux qui prťcŤdent, d'un
inculpť dont le trouble mental fŻt assez accentuť pour entraÓner
l'irresponsabilitť. C... n'est certainement pas un homme dont les
facultťs intellectuelles soient saines et normales; il a mÍme prťsentť
de vťritables accŤs de dťlire, mais il ne nous a pas semblť qu'il ait
agi sous l'influence exclusive et directe d'un trouble de la raison, et
nous avons dŻ lui attribuer une responsabilitť attťnuťe.
Cette observation sert de transition entre les irresponsables, et les
inculpťs ŗ responsabilitť attťnuťe ou entiŤre, dont je vais citer encore
quelques exemples pour complťter ce travail.
TENTATIVE DE MEURTRE PAR UN JEUNE HOMME ¬G… DE MOINS DE 16 ANS SUR SON
FR»RE CADET, AVEC PR…M…DITATION ET GUET-APENS.--H…R…DIT….--MALFORMATION
C…R…BRALE CONG…NITALE.--…DUCATION D…FECTUEUSE.--RESPONSABILIT… LIMIT…E.
Nous, mťdecins soussignťs, commis par ordonnance de M. A. Guillot,
juge d'instruction prŤs le Tribunal de la Seine, en date du 7 mai
1877, ŗ l'effet d'examiner au point de vue de l'ťtat mental le
nommť J..., Louis, inculpť de tentative d'homicide avec
prťmťditation et guet-apens sur la personne de son frŤre, aprŤs
avoir prÍtť serment, avoir souvent et longuement visitť l'inculpť ŗ
la Petite-Roquette, avoir recueilli des renseignements sur ses
antťcťdents personnels et de famille, et avoir lu attentivement
toutes les piŤces du dossier, avons consignť le rťsultat de notre
examen et de nos investigations dans le prťsent rapport:
J..., Louis, nť le 16 septembre 1861, apprenti potier d'ťtain, est
d'une famille oý se sont produits des cas nombreux d'aliťnation
mentale et d'affections cťrťbrales. Sa grand'mŤre maternelle est
morte aliťnťe ŗ la SalpÍtriŤre; une tante maternelle aliťnťe,
placťe ŗ l'asile de M..., s'est pendue; un oncle maternel a ťtť
atteint, l'annťe derniŤre, d'un accŤs de mťlancolie suicide pour
lequel il a ťtť sur le point d'Ítre traitť dans une maison de santť
spťciale; un frŤre de Louis J... est mort rťcemment d'une mťningite
tuberculeuse; son autre frŤre, Alexandre, celui qui a ťtť frappť, a
ťtť atteint ŗ l'‚ge de 3 ans 1/2 d'accidents cťrťbraux graves avec
convulsions, ŗ la suite desquels il est restť affectť de surditť;
cette infirmitť l'a rendu trŤs-irritable; n'entendant que
difficilement et incomplŤtement, il s'imagine qu'on se moque de
lui.
La mŤre de Louis J... est une femme douce, d'un caractŤre facile,
mais peu intelligente; c'est une tÍte faible, et ŗ la suite de la
mort de son jeune enfant, on a craint qu'elle ne perdÓt la raison.
Le pŤre, brave et honnÍte homme, est un type de soldat; gardien de
la paix depuis longtemps, il jouit de l'estime de ses chefs, mais
dans les derniŤres annťes il a donnť des signes de fatigue, et en
rťcompense de sa bonne conduite, on le conserve dans un emploi qui
est presque une sinťcure.
Louis J... n'a pas eu une enfance particuliŤrement maladive; grÍle
et d'une constitution dťbile, il porte des signes de malformations
congťnitales. Sa tÍte est asymťtrique; les deux bosses frontales ne
sont pas ťgales, la ligne mťdiane de la voŻte palatine est dťviťe,
la face participe ŗ cette dťviation.
On le reprťsente gťnťralement comme d'un caractŤre triste et
sombre, quoique serviable et affectueux; ses parents n'ont jamais
eu ŗ lui faire de reproches graves; une seule fois, il s'est
enivrť, et comme on l'en rťprimandait vertement, il s'est sauvť de
la maison, en criant qu'il n'y reviendrait plus. Plein d'attentions
pour sa mŤre, respectueux vis-ŗ-vis de son pŤre, soigneux des
intťrÍts de son patron, assidu et trŤs-exact ŗ sa besogne, il
menait une existence correcte sous les yeux de ses parents.
Bien que ses rapports avec son frŤre fussent en apparence
satisfaisants, il s'ťlevait de frťquentes querelles entre eux,
surtout ŗ l'atelier; la provocation venait souvent du plus jeune,
et mÍme, dans une circonstance rťcente, celui-ci avait blessť son
frŤre aÓnť d'un coup de pelle ŗ la tÍte. Louis abusait aussi
parfois de la supťrioritť de sa force physique contre son frŤre
cadet. Une certaine animositť latente semble s'Ítre dťveloppťe
sourdement, peut-Ítre sans que ni l'un ni l'autre en eŻt
conscience. Le plus jeune, et aussi le plus faible, se vengeait par
des injures et des provocations des coups qu'il avait reÁus; il
appelait son frŤre des noms d'assassins fameux; il n'est pas
impossible que celui-ci ait puisť dans les souvenirs que ces noms
lui rappelaient une incitation ŗ l'acte qu'il a commis.
Les parents aimaient ťgalement leurs enfants, et s'il y avait eu
une nuance de prťdilection, c'eŻt ťtť en faveur de Louis.
Les deux frŤres allaient de temps en temps au spectacle; ils ont
assistť ŗ la plupart des drames ŗ sensation; ils lisaient aussi des
romans, le cadet plus que l'aÓnť; le dossier renferme des
couvertures de publications illustrťes trouvťes chez eux, et
reprťsentant des scŤnes de rixe et de meurtre. Ils couchaient dans
le mÍme lit, travaillaient chez le mÍme patron; allant et revenant
ensemble; toutefois, il arrivait que Louis partait le premier le
matin, et se rendait seul ŗ l'atelier; c'est ce qui eut lieu le 5
mai.
La veille, on les avait vus se disputer et se battre dans la cour
de la maison oý ils travaillaient; Louis, en sa qualitť d'ancien,
avait ťtť investi d'une certaine autoritť sur les autres apprentis;
peut-Ítre n'exerÁait-il pas avec assez de mťnagements son semblant
de pouvoir, et son frŤre n'ťtait pas plus ťpargnť que les autres.
Cependant, le soir, chez leurs parents, on ne s'aperÁut de rien, et
la nuit se passa sans discussions. Ces circonstances prťliminaires
ont leur valeur, et il importait de les ťnoncer.
Le 5 mai, Louis part seul, comme nous l'avons dit, pour l'atelier;
en y arrivant, il aiguise son couteau. Alexandre vient un peu plus
tard et lui demande pourquoi il repasse son couteau; _c'est parce
qu'il ne coupe pas_, rťpond Louis.
Alexandre descend ŗ la cave, suivant son habitude de chaque matin.
Quelques instants aprŤs, son frŤre l'y rejoint et se cache derriŤre
un pilier. Quand Alexandre passe ŗ cŰtť de lui avec un seau de
charbon ŗ la main, il se prťcipite sur lui, sans querelle, sans
provocation prťalable, et le frappe quatre fois de son couteau;
puis il remonte promptement, et rencontrant un ouvrier qui
accourait aux cris du blessť, il lui dit d'un ton tranquille qu'il
allait chercher le pharmacien.
Il erre toute la journťe dans les rues de Paris et dans le jardin
du Luxembourg, et vers 5 heures il est arrÍtť, sans opposer aucune
rťsistance.
Interrogť dans la soirťe par M. le Juge d'Instruction, Louis
rťcrimine d'abord contre son frŤre, prťtendant que celui-ci lui ęa
fait des misŤres, qu'il l'accuse ŗ faux, qu'il n'est pas vrai qu'il
ait aiguisť son couteau, que son frŤre l'a vu dans la cave, qu'ils
y ont causť ensemble, qu'Alexandre l'a appelť vieux cochon et vieux
chameau, que c'est alors qu'il l'a frappť, puis d'un ton irritť, il
ajoute: Que voulez-vous que je vous dise? Vous prťtendez que je
fais des mensonges; tout ce que dira mon frŤre sera la vťritť, si
vous voulez; qu'avant de mourir, il me charge tant qu'il vous
plaira.Ľ Puis conduit ŗ l'HŰtel-Dieu, et confrontť avec son frŤre
qui semble Ítre sur le point de rendre le dernier soupir, il change
d'attitude, flťchit sur ses jambes, s'arrache les cheveux, et
montre le plus grand dťsespoir; il sa penche vers son frŤre,
l'appelant, lui demandant pardon; Alexandre se soulŤve avec peine,
lui rťpond d'une voix faible qu'il lui pardonne, et retombe ťpuisť.
Louis est emmenť dans le cabinet du Directeur de l'HŰtel-Dieu, et
lŗ, avec des cris, des sanglots, et des mouvements convulsifs, il
rťtracte ses prťcťdentes dťclarations, et dit: ęTout ce que je vous
ai dit tout ŗ l'heure est faux; mon frŤre ne m'a pas provoquť;
c'est bien pour le frapper que j'ai repassť mon couteau. Papa,
papa! Oh! mon Dieu, pardon, Alexandre; laisse moi t'embrasser,
Alexandre, Alexandre, il ne me rťpond pas, il est mort! Ah! il
m'avait fait des misŤres, mais pas assez pour le faire mourir; non,
pas assez; j'ai eu tort, moi tout seul, moi tout seul. Assassin,
assassin. J'ai tuť mon frŤre; Oh papa, il ne rťpondra jamais.
A-lex-an-dre! qui ne m'a pas embrassť, puisqu'il va mourir, vous me
l'avez dit. CaÔn! CaÔn a tuť son frŤre, moi, je lui ai donnť quatre
coups de couteau.Ľ
Puis, se tournant vers un des assistants: ęC'est mon pŤre, je le
vois, mon pŤre, mon pŤre; ton fils, ton fils, vois-tu, c'est un
assassin; et c'ťtait demain l'anniversaire de la mort de mon petit
frŤre. Je lui avais achetť une couronne pour la dťposer sur sa
tombe, et je n'irai pas; je serai ŗ la Roquette, dans un noir
cachot. Oui, ŗ la Ro-quet-te.
ęLe meurtrier frappe sa victime au grand jour, mais moi, misťrable,
le fils d'un honnÍte homme, j'ai frappť dans l'ombre, par jalousie,
oui, par jalousie.
ęOh! Alexandre, mais laissez-moi l'embrasser, il est lŗ dans la
cave obscure; je l'attends, je lui plonge mon couteau quatre fois,
oui, quatre fois; je me sauve comme CaÔn, et je dis que je vais
chez le pharmacien parce que mon frŤre s'est fait mal; ce n'ťtait
pas vrai, je l'avais tuť.
ęMeurtrier de ton frŤre! tu vas mourir; Alexandre, je te vengerai,
et je saurai mourir; mon pŤre n'aura plus d'enfants.Ľ
Cette scŤne, pťniblement dramatique, se prolonge plus d'une heure,
et M. le Juge d'Instruction remarque que si, par intervalles, Louis
paraÓt sincŤre dans l'expression de sa douleur, dans d'autres
moments son dťbit emphatique et dťclamatoire rappelle celui d'un
acteur rťcitant une scŤne de mťlodrame. Il se demande si Louis ne
cherche pas ŗ cacher son indiffťrence sous des phrases sonores et
des exclamations thť‚trales. L'interne de garde est mandť, et
constate que l'inculpť a le pouls calme, qu'il est parfaitement
lucide, quoique sous l'influence d'une surexcitation nerveuse.
Ajoutons que ramenť au DťpŰt, ŗ la suite de cette scŤne, Louis
ťtait redevenu lui-mÍme, et que le lendemain il demandait des
livres et un jeu de cartes. Dix jours aprŤs, confrontť avec son
pŤre, Louis dťclare que ęson frŤre ťtait mťchant, qu'il le
taquinait, parce qu'ťtant sourd, il croyait toujours qu'on disait
du mal de lui; il assure que l'idťe lui est venue de le frapper le
matin quand il a repassť son couteau, qu'il a hťsitť, qu'enfin il
s'y est dťcidť, qu'il a ťtť satisfait au moment oý il a portť le
premier coup, qu'ensuite il a frappť sans savoir ce qu'il faisait,
qu'aujourd'hui il en a bien du regret, qu'il mťrite le nom de
Billoir que son frŤre lui donnait; il s'agenouille, pleure et
demande pardon.Ľ
Dans nos entrevues rťpťtťes nous avons trouvť le prťvenu, enfantin,
obťissant pendant le cours de la visite ŗ des impressions mobiles
et contradictoires, tantŰt dťprimť, tantŰt excitable, rťcriminant
ou tťmoignant de son repentir. Il ťtait facile de faire varier ses
dispositions apparentes sans qu'on pŻt discerner s'il obťissait ŗ
un sentiment vrai, ou s'il cťdait ŗ l'arriŤre pensťe d'intťresser
ses interlocuteurs.
J... comprenait au mieux les questions, ses rťponses timidement
articulťes tťmoignaient de la rťserve dťfiante qu'on constate si
souvent chez les enfants. On comprend combien sont limitťs les
interrogatoires qui s'adressent ŗ un jeune sujet dont
l'intelligence ne dťpasse pas un ťtroit questionnaire.
Une fois que nous ťtions partis, J... reprenait son indiffťrence et
sa sťrťnitť, revenant ŗ ses goŻts de jeu et ŗ ses distractions
favorites. Les surveillants ne se plaignaient ni de son obťissance,
ni de sa conduite, mais il n'ťveillait en eux aucune sympathie. De
fait, on avait peine, en causant avec lui, ŗ se fier ŗ la sincťritť
de ses regrets ou de ses larmes; si peu favorable que fŻt notre
impression, et tout en dťcouvrant le dessous d'une nature vicieuse,
nous ne pouvions nous dissimuler les chances d'erreur, ni
mťconnaÓtre les signes d'infťrioritť cťrťbrale, accusťs ŗ la fois
par les antťcťdents hťrťditaires et par les malformations ťvidentes
de la face et du cr‚ne.
Ces dťfectuositťs, visibles et palpables, s'imposent au mťdecin,
sans effort d'interprťtation, et sont d'une valeur irrťcusable.
Leur existence ne permettrait pas d'affirmer que des troubles
nerveux se produiront fatalement, encore moins d'en prťvoir la
nature; mais quand un fait inattendu, ou une perversion ťtrange
vient ťveiller l'attention, on doit scientifiquement en tenir
compte.
Les dťformations cr‚niennes reprťsentent un mode de transmission
hťrťditaire tout particulier. Les ascendants n'ont pas transmis une
maladie dťfinie, analogue ŗ celles dont ils pouvaient Ítre
atteints, mais ils ont donnť le jour ŗ une progťniture dťgťnťrťe,
infťrieure, dťpourvue d'ťquilibre nerveux, capable des pires
entraÓnements, sans aboutir forcťment ŗ la folie confirmťe.
Impulsifs ou instinctifs, ces infirmes de naissance viennent au
monde avec des aptitudes pathologiques tantŰt durables, tantŰt
passagŤres, qui ťchappent aussi bien ŗ la prťvision qu'au
classement, et qui ne s'accommodent pas aux lois plus stables des
maladies. J... rentre dans un de ces types. Peut-Ítre s'il n'avait
pas ťtť provoquť par les injures de son frŤre, peut-Ítre mÍme s'il
n'avait pas ťtť troublť profondťment par la mort de son frŤre le
plus jeune, qui paraÓt lui avoir causť une excessive ťmotion, ces
appťtits de violence n'auraient-ils pas fait explosion. Il fallait
ŗ la prťdisposition dont tťmoignent et la conformation vicieuse et
l'hťrťditť, l'appoint d'une excitation vive.
Dans ces conditions qui ne sont rien moins qu'exceptionnelles, la
question de responsabilitť prend une face toute spťciale. Il ne
s'agit pas d'un aliťnť commandť par des conceptions dťlirantes
invincibles, mais d'un demi-malade entraÓnť par des idťes
passionnťes auxquelles il ne sait opposer qu'une rťsistance
insuffisante, faute d'une conformation organique ťgale ŗ celle des
autres hommes.
J... a certainement prťmťditť l'agression, certainement il n'a pas
subi une de ces impulsions instantanťes que la rťflexion n'a le
temps ni de corriger ni mÍme d'amoindrir; il pouvait se dťfendre
dans une certaine mesure, et il ne l'a pas fait.
La responsabilitť de ses actes ne peut lui Ítre enlevťe, mais il
nous semble qu'elle n'est pas entiŤre et que les antťcťdents que
nous avons exposťs la diminuent notablement.
Depuis qu'il est soumis au rťgime de la maison de dťtention
correctionnelle, J... paraÓt s'Ítre amťliorť physiquement et mÍme
moralement. On est en droit d'espťrer que sous l'influence d'une
discipline ferme et ťclairťe, continuťe jusqu'ŗ ce qu'il ait
atteint l'‚ge de 21 ans, J... peut gagner encore, l'infťrioritť de
conformation dont on constate chez lui l'existence ťtant de celles
qui s'attťnuent par le fait d'une ťvolution soigneusement et
habilement dirigťe.
ņ Paris, le 25 juillet 1877,
CH. LAS»GUE, …. BLANCHE.
Ce qu'il y a de remarquable et d'instructif dans cette affaire, c'est
l'influence de l'hťrťditť et des malformations cťrťbrales congťnitales
sur le degrť de rťsistance aux mauvaises tentations.
J... compte plusieurs aliťnťs parmi ses ascendants; sa mŤre est une
faible d'esprit; son pŤre est atteint d'un affaiblissement intellectuel
prťmaturť; le frŤre qu'il a frappť est restť sourd ŗ la suite
d'accidents cťrťbraux graves avec convulsions dans sa premiŤre enfance;
un autre frŤre est mort d'une mťningite; lui-mÍme a la tÍte asymťtrique,
et la face dťviťe ainsi que la scissure de la voŻte palatine.
Les parents de J..., qui sont d'ailleurs de trŤs-braves gens, n'ont pas
veillť avec une sollicitude ťclairťe sur l'ťducation de leurs enfants.
Les deux frŤres J... ont lu beaucoup de mauvais romans ornťs d'images
reprťsentant principalement des scŤnes de meurtre; ils allaient aux
thť‚tres de drames, et ils avaient l'imagination farcie d'aventures
romanesques et sanglantes. Le cadet, rendu soupÁonneux par sa surditť,
ťtait susceptible et taquin; l'aÓnť abusait souvent avec lui de sa force
physique, ce dont le cadet se vengeait en appelant son frŤre des noms
d'assassins fameux; de lŗ des luttes frťquentes qui ne dťpassaient pas
la limite des coups que l'on ťchange entre camarades, mais qui avaient
fini par altťrer les sentiments d'affection rťciproque des deux frŤres.
Les choses en seraient peut-Ítre restťes ŗ ce point si J... n'avait
ťprouvť une commotion trŤs-violente de la mort de son jeune frŤre;
depuis cet ťvťnement on avait remarquť un changement dans son humeur, et
son systŤme nerveux avait certainement subi un profond ťbranlement.
C'est dans cet ensemble de conditions que s'est produite la tentative de
meurtre.
Le fait accompli, J... n'en a d'abord qu'une conscience vague; il fuit,
et erre toute la journťe; vers le soir, il se laisse arrÍter; il
commence par chercher ŗ se disculper en rejetant la faute sur les
provocations incessantes de son frŤre; son langage trahit encore la
colŤre et la haine; puis, confrontť avec son frŤre qui semble menacť
d'une mort prochaine, ses sentiments naturels se rťveillent, il ťclate
en sanglots et en transports de dťsespoir; quelques instants aprŤs il
redevient absolument calme et mange de bon appťtit.
En somme, antťcťdents hťrťditaires f‚cheux, vices congťnitaux de
conformation; pas d'actes qui excŤdent la moyenne de ceux auxquels se
livrent les enfants vicieux. Grande perturbation attribuťe au chagrin
que lui cause la mort de son frŤre, excitation cťrťbrale croissante
caractťrisťe par de l'agitation, de l'irritabilitť, des inťgalitťs plus
saillantes de caractŤre. Tentative de meurtre. La crise passťe, retour ŗ
l'ťtat habituel; l'appoint de l'excitation cťrťbrale a seul disparu,
mais rien n'est changť au fond de la nature, et dans nos nombreuses
entrevues avec J... nous avons toujours ťtť frappťs de son accent peu
sincŤre et de son ťgoÔsme, qu'il ne rťussissait pas ŗ dissimuler sous
des expressions d'affection pour ses parents et de repentir.
Toutefois, nous avions constatť que les soins physiques et moraux dont
il ťtait l'objet dans la maison des jeunes dťtenus avaient sur lui une
influence favorable, et en lui attribuant une responsabilitť limitťe,
nous avions demandť qu'il fŻt maintenu jusqu'ŗ sa majoritť sous le
rťgime correctionnel.
Le jury l'a acquittť, et J... a ťtť rendu ŗ sa famille.
H…R…DIT….--…PILEPSIE.--ALCOOLISME.--TENTATIVES DE
SUICIDE.--VOL.--TENTATIVES D'HOMICIDE.--RESPONSABILIT… ATT…NU…E.
G..., ‚gť de 45 ans, mariť, est fils d'un pŤre aliťnť et d'une mŤre
morte d'apoplexie cťrťbrale. Un de ses enfants est ťpileptique, et
un de ses neveux s'est brŻlť la cervelle. G... est atteint
d'ťpilepsie; il a eu la premiŤre attaque ŗ l'‚ge de 15 ans; une
seconde survint peu de temps aprŤs, et depuis, elles se sont
reproduites 12 fois, avec des intervalles de deux, trois et quatre
annťes. G... a fait deux tentatives sťrieuses de suicide; l'une en
1852 et l'autre en 1875.
Au mois de janvier 1877, il a eu un accŤs d'alcoolisme aigu dont il
a ťtť traitť ŗ l'asile de Ville-…vrard.
Engagť volontaire, d'abord dans la marine, puis dans l'armťe de
terre, il a ťtť griŤvement blessť devant Sťbastopol. Mis ŗ la
retraite, il a reÁu la mťdaille militaire.
Depuis, son existence a ťtť des plus dťsordonnťes: successivement
inspecteur de commissariat de police, garde-champÍtre, reprťsentant
de commerce, employť dans diverses administrations publiques,
expťditionnaire dans une ťtude de notaire, planton ŗ la Banque de
France, il ne peut conserver aucune position, tantŰt rťvoquť,
tantŰt dťmissionnaire, et enfin il en est rťduit ŗ sa pension
militaire.
Mariť deux fois, sťparť judiciairement de sa femme qu'il avait
abandonnťe avec cinq enfants, il rencontre une fille B..., pour
laquelle il conÁoit une violente passion, dont il a un enfant, et
qu'il rend si malheureuse qu'elle rompt avec lui; il la poursuit de
ses instances, mais sans rťussir ŗ la ramener. Exaspťrť, il la
menace de l'assassiner.
Sans emploi, presque dťnuť de ressources, ne vivant que
d'expťdients et d'emprunts, le plus souvent ivre, il commet un vol.
Pris de remords, il ne voit pour lui de refuge que dans la mort; il
achŤte un couteau, bien dťcidť, dit-il, ŗ en finir avec une vie qui
lui est insupportable.
Toutefois, avant de mourir, il veut avoir une derniŤre entrevue
avec sa maÓtresse; il lui ťcrit pour la supplier de le recevoir, et
dans sa lettre, aprŤs l'avoir rassurťe sur ses intentions ŗ son
ťgard, il lui avoue le vol qu'il a commis, et lui annonce sa
rťsolution de se tuer.
La fille B..., terrifiťe par les menaces de son amant et incrťdule
ŗ ses promesses, le dťnonce ŗ la police comme un voleur, et demande
ŗ Ítre protťgťe contre ses poursuites.
G... la guette, et au moment oý elle sort de chez elle, il
s'approche pour lui parler, et est arrÍtť; les agents les emmŤnent
tous deux, et presqu'aussitŰt G... frappe la fille B... d'un coup
de couteau.
Quand je le visite ŗ Mazas, G... est calme et lucide; il ne cherche
pas ŗ se disculper des actes qu'il a commis, en les attribuant ŗ un
trouble de raison; il me dťclare qu'il savait parfaitement ce qu'il
faisait quand il ŗ volť, et quand il a frappť la fille B... il
s'est laissť emporter par l'indignation d'Ítre trahi par une femme
qu'il aimait passionnťment, et qui pour se dťbarrasser de lui
l'avait livrť ŗ la justice. Il se reconnaÓt coupable et ne demande
que de l'indulgence.
Cette observation est intťressante en ce qu'on y trouve rťunis
l'hťrťditť, l'ťpilepsie, l'alcoolisme, deux tentatives de suicide, et
comme crise finale, une tentative d'homicide, et qu'on peut y suivre les
effets de ces diverses influences et l'intensitť de plus en plus marquťe
des impulsions auxquelles G... a successivement cťdť, sans perdre
toutefois conscience de ses actes.
C'est d'abord une grande inconsistance d'esprit, l'inaptitude ŗ des
occupations rťguliŤres, un besoin immodťrť de mouvement.
Dans une seconde pťriode, des passions violentes, une existence
aventureuse, des excŤs de boisson, le dťnŻment, la misŤre, des accŤs de
dťsespoir, des tentatives de suicide; puis, une troisiŤme pťriode dans
laquelle on trouve d'abord une impulsion au vol que rien dans les
antťcťdents de G... ne pouvait faire prťvoir, et enfin, l'impulsion qui
dťtermine une tentative d'homicide.
Ainsi a vťcu, ainsi a agi G...
D'une constitution cťrťbrale originellement dťfectueuse, ťpileptique,
ivrogne, il ťtait prťdisposť aux impulsions contre lesquelles ses
facultťs mal ťquilibrťes ne lui donnaient pas une force normale de
rťsistance, mais, sauf un accŤs court de dťlire alcoolique, il n'a pas
prťsentť de vťritables troubles de la raison; ce n'est pas un aliťnť. Il
reconnaÓt d'ailleurs que dans les actes dont il est inculpť il savait ce
qu'il faisait.
Il n'y avait donc pas lieu ŗ le considťrer comme irresponsable, et je
n'ai demandť pour lui qu'une attťnuation de responsabilitť, en me
fondant sur ses antťcťdents hťrťditaires et sur la nťvrose dont il est
atteint.
G... a ťtť condamnť ŗ dix ans de rťclusion.
CONDITIONS D…FECTUEUSES D'H…R…DIT…
C…R…BRALE.--PARESSE--IVROGNERIE.--TROUBLES INTELLECTUELS ņ PEINE
APPR…CIABLES ET S…PAR…S PAR DE LONGS INTERVALLES.--ABSENCE DE CRISES
IMPULSIVES.--DOUBLE MEURTRE.--RESPONSABILIT… ATT…NU…E.
Commis par arrÍt de la Cour d'assises de Seine-et-Marne, sťant ŗ
Melun, en date du 11 mai 1877, ŗ l'effet d'examiner, au point de
vue de l'ťtat mental, le nommť M... (Gťdťon), inculpť d'homicides,
Nous, Mťdecins soussignťs, aprŤs avoir prÍtť serment entre les
mains de M. Blanquart-des-Salines, juge d'instruction au tribunal
de la Seine, aprŤs avoir pris connaissance des piŤces du dossier,
et avoir longuement et ŗ plusieurs reprises, soit ensemble, soit
sťparťment, visitť l'inculpť au dťpŰt de la Prťfecture de police,
avons consignť le rťsultat de notre examen et de nos investigations
dans le rapport suivant:
M..., ‚gť de 27 ans, sabotier, demeurant au hameau de l'E...,
commune de Saint-R..., Seine-et-Marne, a l'aspect d'un ouvrier de
la campagne, robuste et bien portant. Son attitude et sa
physionomie sont tristes, mais calmes; il se prťsente
convenablement, et il rťpond avec beaucoup de nettetť et du ton le
plus naturel aux questions que nous lui adressons.
Sans les nombreuses entrevues que nous avons eues avec M..., nous
n'avons remarquť chez lui ni le dťsir de se disculper des actes
qu'il a commis, ni l'intention de cacher les sentiments qui l'y ont
poussť. Nous allons reproduire exactement ce qu'il nous a dit:
ęM... est sabotier de son ťtat; pendant la belle saison, il
travaille aux champs; il a ťtť ŗ l'ťcole, il aime la lecture; il a
gardť ses livres, et il les lit de temps en temps; c'est surtout
l'histoire qui lui plaÓt. Il s'est mariť il y a trois ans. Quand il
l'a ťpousťe, sa femme avait 17 ans; elle ťtait servante de ferme;
elle ťtait gentille; il l'aimait bien; il n'avait pas eu de
relations avec elle avant le mariage. Pendant les premiers mois ils
ont fait bon mťnage. Ils sont restťs chez son pŤre jusqu'ŗ la
naissance de leur fille; quand sa femme a ťtť accouchťe, ils se
sont installťs chez eux ŗ l'E... C'est alors que sa femme a
commencť ŗ ne plus travailler, et quand il lui faisait des
observations, elle lui disait des sottises; elle lui fichait des
injures, et lui disait de faire lui-mÍme de la cuisine, s'il
voulait en manger; elle se portait bien, elle n'ťtait pas faible;
elle ne faisait que s'occuper de son enfant et le promener; il ne
trouvait jamais son repas prÍt en rentrant; il devait le prťparer
lui-mÍme; Áa lui faisait perdre du temps; il y avait souvent des
querelles, et toujours pour le mÍme motif; quand il lui faisait des
reproches, elle parlait d'aller se noyer. Malgrť leurs querelles,
ils couchaient toujours ensemble; sa femme ťtait enceinte de cinq
mois environ, quand il l'a tuťe, et il l'a tuťe parce qu'elle ťtait
une paresseuse; l'enfant, il l'a tuťe, parce qu'elle aurait ťtť
dťshonorťe par la sociťtť, comme ťtant la fille d'un meurtrier. Il
y a cinq ou six mois, un homme avec qui il avait fait des affaires
lui a donnť une paire de pistolets; il les a rapportťs chez lui, et
les a serrťs aprŤs les avoir montrťs ŗ sa femme; ŗ ce moment il
n'avait pas la pensťe de s'en servir pour tuer sa femme; ce n'est
que deux ou trois mois plus tard que la pensťe lui en est venue; il
avait le dťsir de la tuer, mais il n'osait pas le faire; l'idťe lui
est venue _de long_, et elle est devenue de plus en plus
habituelle; ŗ la fin, il ne pensait plus qu'ŗ cela.
Le 5 fťvrier, sans qu'il y ait eu plus de discussion qu'ŗ
l'ordinaire, il s'est dťcidť ŗ faire le coup; sa petite fille ťtait
malade, elle avait la diarrhťe et elle vomissait; il a ťtť chez le
pharmacien chercher des mťdicaments pour l'enfant; le soir, il a
ťtť demander du lait ŗ un voisin pour faire un cataplasme ŗ sa
fille; il est rentrť sur les huit heures; il a soignť l'enfant avec
sa femme jusqu'ŗ minuit; ŗ cette heure-lŗ, il a dit ŗ sa femme de
se coucher, que lui, veillerait l'enfant; sa femme s'est couchťe;
il s'est mis ŗ lire l'histoire de Napolťon Ier, et quand il a vu sa
femme bien endormie, sur les deux heures du matin, il est allť
prendre les deux pistolets dans un placard prŤs de la cheminťe, il
est revenu prŤs du lit oý sa femme ťtait, et il lui a dťchargť un
coup de pistolet dans la tÍte, derriŤre l'oreille droite; elle a
poussť un petit cri, mais n'a pas bougť; ensuite, il a ťtť vers
l'enfant qui dormait dans son berceau, et lui a ťgalement tirť un
coup de pistolet dans la tÍte; puis, il s'est sauvť en courant,
sans regarder ni la mŤre ni l'enfant; il est allť ŗ Coulommiers
pour se rendre ŗ la justice, mais il n'a pas osť se prťsenter, il a
errť toute la journťe dans la ville; le garde-champÍtre l'a arrÍtť
vers les quatre heures; il n'a fait aucune rťsistance.Ľ
Tel est le rťcit que M... nous a fait, chaque fois que nous l'avons
visitť, et toujours identiquement dans les mÍmes termes, et du mÍme
accent calme et impassible. Son rťcit est d'ailleurs absolument
conforme ŗ ses dťpositions dans le cours de l'instruction
judiciaire, ainsi qu'on en pourra juger par les extraits que nous
allons donner, et elles le complŤtent sans le modifier:
ęJe ne vivais pas en bonne intelligence avec ma femme, qui refusait
de travailler et qui dťpensait beaucoup d'argent; je le lui disais,
mais nous ne nous sommes jamais frappťs; je n'ai jamais menacť ma
femme de la tuer; la veille, je n'avais pas eu de discussion avec
elle; quand j'ai vu que ma femme dťpensait, je me suis mis ŗ manger
ťgalement de l'argent; je m'enivrais quelquefois.--Ma femme ne
pouvait pas se corriger de ses mauvaises habitudes; elle ne
travaillait pas bien dans son mťnage; nous avions quelques lapins,
j'ťtais obligť d'aller leur chercher moi-mÍme ŗ manger; je ne
gagnais pas beaucoup d'argent; j'ťtais toujours dťrangť dans mon
mťnage; j'ťtais mÍme obligť de faire ma soupe. Il y a environ huit
jours que me voyant ŗ bout de ressources, je formais tous les jours
la rťsolution d'accomplir mon dessein; la veille au soir, il n'y
avait plus d'argent ŗ la maison; je n'avais bu que deux ou trois
verres de petit vin chez nos voisins; je n'ťtais pas ivre; j'avais
chargť les pistolets il y a trois ou quatre semaines, mais je ne
savais pas encore que je tuerais ma femme et mon enfant. J'ai
prťparť moi-mÍme le cataplasme et l'ai posť ŗ ma fille; si je ne
l'avais pas tuťe ce jour-lŗ, cela lui aurait fait du bien pour
plusieurs jours. J'ai pris la prťcaution de ne pas me coucher pour
ne pas m'endormir afin d'accomplir mon dessein. J'avais prťparť le
grand couteau pour les achever, si je ne les avais pas tuťes du
coup. J'ai tuť ma fille, parce que j'avais peur qu'elle tombe dans
de mauvaises mains aprŤs la mort de ma femme, et qu'elle soit mal
gouvernťe. J'ai ťtť ŗ Coulommiers pour me livrer ŗ la justice; si
je ne me suis pas rendu, c'est que je me suis dit que je serais
pris dans la journťe. Je connais la gravitť du crime que j'ai
commis; je m'en repens; je n'ťtais point en ťtat d'ivresse lorsque
je l'ai commis; si c'ťtait ŗ recommencer, je ne le ferais pas;
pendant la conversation que j'ai eue la veille au soir chez le
voisin, je pensais au crime que j'allais commettre.Ľ
Voici ce que M... avait dit ŗ son voisin: ęJe suis dans une maison
de malheur; il a failli y avoir un assassin. Ferais-tu comme moi?
Pardonnerais-tu ŗ ceux qui font de mauvaises choses et qui ont de
mauvais penchants?Ľ
Cette conversation avait paru _peu ordinaire_ au voisin, qui avait
trouvť M... triste et _pas comme d'habitude_, mais pas en ťtat
d'ivresse. Quant ŗ l'attitude, ŗ la conduite, et au langage de M...
pendant la journťe qui a suivi la nuit dans laquelle il avait tuť
sa femme et sa fille, ajoutons ŗ ce qu'il nous en dit lui-mÍme, les
renseignements fournis par l'instruction:
ęLe double meurtre accompli, M... quitte aussitŰt sa maison et se
rend ŗ Coulommiers; il y arrive de grand matin; c'ťtait en fťvrier;
il entre dans le premier cabaret qui s'ouvre; on remarque le
dťsordre de ses vÍtements et son air fatiguť et abattu; il mange et
boit, paie sa dťpense, et comme il n'a plus d'argent et qu'il est
connu, on lui en offre; il rťpond: je n'ai plus besoin d'argent, je
n'ai plus besoin de travail, je n'ai plus besoin d'emprunt; je
vivrai et je serai plus tranquille que toi. Il boit la goutte et
dit en souriant: j'ai tuť ma femme et mon enfant; puis, s'adressant
ŗ voix basse ŗ un de ses parents: si tu savais ce que j'ai fait
chez nous, tu me ficherais un coup de couteau; tu entendras demain,
mercredi, le nom de M... voler de bouche en bouche, car j'ai tuť ma
femme et mon enfant. Paie-moi encore une goutte, c'est la derniŤre
que tu me paieras, je viens pour me rendre. On dira que je suis une
canaille; je ne ferai pas mes vingt-huit jours de rťserviste cette
annťe. Je savais bien que quand je dirais la chose, on ne me
croirait pas. Toi, comme ami, je te ferai quelque chose; ŗ toi,
comme cousin, je te ferai quelque chose, et je ferai quoique chose
ŗ tous mes camarades.Ľ
ęPuis M... se met ŗ plaisanter; il dit qu'il est en noce, qu'il est
parti en bordťe avec des camarades; qu'il est venu ŗ Coulommiers
pour des affaires assez graves, qu'il a femme et enfant, mais qu'il
n'est pas mariť; il ne paraÓt Ítre ni ťmu, ni tourmentť; il mange
de bon appťtit, et cependant on lui entend dire qu'il a perdu son
repos, et avec un de ses cousins il s'exalte, il dťclame ŗ tort et
ŗ travers, il parle de justice, de Melun, et il le quitte en lui
disant: je ne te verrai plus ni toi ni mon pays; mais malgrť son
air ťgarť, son cousin ne le croit pas. On lui demande si sa femme
ne sera pas inquiŤte de ne pas le voir rentrer le soir. Ah!
rťpond-il, ma femme est bien tranquille, elle ne se tourmente pas;
elle et mon enfant sont plus tranquilles que toi et moi; elles
sortiront de la maison, quand on viendra les chercher, je les ai
tuťes; on ne peut Ítre deux dans le mÍme mťnage.
Au moment de son arrestation dans la journťe, il rťpond au garde
champÍtre: _c'est moi qui ai fait le fait_, et il le suit de bonne
volontť; quand on l'interroge sur les motifs de son action, il se
tait, et demande ŗ manger, parce qu'il n'a pas mangť depuis le
matin, et qu'il a faim.Ľ
Pour achever l'exposť de l'affaire, il nous reste ŗ donner quelques
dťtails sur le caractŤre, les habitudes et la maniŤre de vivre de
M... et de sa femme, ainsi que sur sa famille, et sur les
conditions hťrťditaires dans lesquelles il est nť.
M... ťtait gťnťralement considťrť comme un homme d'un caractŤre
doux; certains cependant disaient qu'il ťtait taciturne et
sournois. Jusqu'ŗ son mariage, il ne semble pas avoir eu une
mauvaise conduite; ce n'est que depuis environ deux ans qu'il a
commencť ŗ boire, et qu'il est devenu paresseux et oisif. Les
tťmoins disent de lui qu'il aimait _ŗ s'amuser_; il rentrait
souvent ivre le dimanche, et trŤs-tard; il fallait parfois que sa
femme all‚t le chercher au cabaret; elle le grondait, il y avait
des disputes, mais l'un et l'autre semblaient s'attacher ŗ cacher
ce qui se passait dans le mťnage, et ils avaient la rťputation de
vivre en bonne intelligence.
On s'accorde ŗ reprťsenter la femme comme une personne douce,
laborieuse, ťconome, sans grande _expťrience_, ce qui peut
signifier qu'elle n'ťtait pas trŤs-intelligente, mais trŤs-bonne
pour son mari, ne se plaignant jamais, de moeurs irrťprochables, ce
que M... dťclare aussi lui-mÍme. M... dťpensait beaucoup d'argent
pour subvenir ŗ ses goŻts, et il s'en procurait en vendant les
biens appartenant ŗ sa femme; celle-ci ne s'y opposait pas, et
probablement pour ťviter des querelles, qui n'ťtaient dťjŗ que trop
frťquentes, elle donnait son consentement ŗ toutes les ventes pour
lesquelles il lui demandait sa signature. Il voyait avec regret
cette ressource s'ťpuiser assez vite, et ŗ quelques observations de
son beau-pŤre sur ses dťpenses exagťrťes, il avait rťpondu par des
rťcriminations ŗ l'adresse de son beau-frŤre, ŗ propos d'un compte
de tutelle, dans lequel lui, M..., prťtendait avoir ťtť lťsť; ce
beau-frŤre ťtait le tuteur de la femme M..., et M... ťtait alors
irritť ŗ ce point contre lui qu'il avait dit que ęs'il le
rencontrait, il lui donnerait un coup de couteauĽ. Dans cette mÍme
conversation, M... parla d'un homme qui avait fait tuer sa femme
par son batteur, et dit ęque lui, ne ferait pas cela, que s'il
ťtait mal avec elle, il aimerait mieux la quitterĽ.
M... traitait ses affaires au cabaret; il avait la tÍte lťgŤre, il
buvait volontiers, on le grisait pour le rendre plus accommodant,
et on lui achetait au-dessous de leur valeur les terres de sa
femme.
M... s'amusait souvent, quand il rentrait ivre dans la nuit, ŗ
tirer des coups de pistolet _pour rťveiller le monde_, disait-il;
il tirait aussi par maniŤre de plaisanterie sur sa femme et son
enfant et les effrayait en brŻlant des capsules. Il semblerait
toutefois que depuis quelque temps M... avait renoncť ŗ ces jeux,
et qu'il faisait moins d'excŤs; sa femme a mÍme dťclarť qu'_il ne
s'ťtait pas dťrangť_ depuis le mois de novembre dernier.
D'aprŤs ce que nous avons appris en dehors de l'instruction
judiciaire, M... est d'une famille dans laquelle il y a eu, depuis
plusieurs gťnťrations, de nombreux mariages consanguins. Son pŤre
et sa mŤre sont de braves gens, mais ŗ l'intelligence lente et
courte. Sa soeur est atteinte d'une affection nerveuse chronique;
elle souffre de dyspepsie, d'entťralgie et de vertiges causťs par
des troubles fonctionnels de l'estomac; elle est incapable de tout
travail, mais elle n'a jamais prťsentť de dťsordres intellectuels.
Un de ses cousins germains, qui est en mÍme temps son beau-frŤre, a
l'esprit trŤs-bornť, et est absolument dťnuť de mťmoire. Enfin, un
oncle de M... est mort de paralysie agitante, sans avoir jamais eu
la raison troublťe.
Quant ŗ M... lui-mÍme, depuis qu'il se livrait ŗ des excŤs
alcooliques, on avait remarquť chez lui comme une surexcitation de
la personnalitť; il avait une opinion exagťrťe de son importance;
il semblait convaincu que tout devait cťder devant sa volontť, et
que chacun devait se sacrifier pour lui; il manifestait parfois des
inquiťtudes au sujet de sa propre sťcuritť, et il ne serait pas
impossible que ce fŻt cette prťoccupation qui l'eŻt engagť ŗ
accepter les pistolets, lorsque son camarade les lui offrit, et qui
expliqu‚t aussi pourquoi il lui arrivait assez souvent de tirer des
coups de feu pendant la nuit; enfin, d'aprŤs la dťclaration de son
pŤre, M..., depuis deux mois, se plaignait de ne pouvoir
travailler, parce qu'il avait le sang ŗ la tÍte, peut-Ítre trois ou
quatre fois par mois.
Telles sont les informations que nous avons recueillies sur M...,
sur son caractŤre, sur ses habitudes, sur ses antťcťdents de
famille et personnels, et sur les circonstances qui ont prťcťdť,
accompagnť et suivi le double meurtre dont il est inculpť. Il nous
reste maintenant ŗ les considťrer au point de vue de la mission qui
nous est confiťe.
Lorsque les magistrats et les jurťs sont en prťsence d'un homme qui
dťclare tranquillement qu'il a tuť sa femme, parce qu'elle ne lui
prťparait pas rťguliŤrement sa soupe, et qu'il a tuť sa fille parce
qu'elle aurait ťtť dťshonorťe comme ťtant la fille d'un meurtrier,
il est impossible qu'ils ne pensent pas que l'inculpť est un
insensť dont il est nťcessaire de faire examiner l'ťtat mental. Cet
examen, nous l'avons fait avec l'attention la plus scrupuleuse;
nous l'avons poursuivi pendant de longues sťances, et nous n'avons
plus qu'ŗ en faire connaÓtre le rťsultat.
M... est un homme d'une constitution physique vigoureuse; il a la
tÍte bien conformťe; ni dans sa figure, ni dans sa physionomie, ni
dans ses yeux, on n'observe rien d'anormal; son intelligence,
originellement peu ťtendue, n'a pas ťtť dťveloppťe par la lecture
qui est un de ses passe-temps favoris; il n'est cependant pas
absolument sans instruction. C'est un caractŤre concentrť; il parle
peu, mais il s'exprime avec nettetť.
Nous avons exposť plus haut quelles ťtaient les conditions de santť
de sa famille et ses antťcťdents hťrťditaires. Quant ŗ lui, si
depuis qu'il se livrait ŗ des excŤs alcooliques on avait remarquť
un certain changement dans ses idťes, une certaine exaltation, et
mÍme quelques inquiťtudes chimťriques; si, d'un autre cŰtť, depuis
deux mois, suivant le dire de son pŤre, il se plaignait parfois
d'avoir le sang ŗ la tÍte. Nous devons dťclarer que dans toutes nos
entrevues avec lui il ne s'est jamais plaint de s'Ítre mal portť;
il nous a, au contraire, assurť que sa santť ťtait trŤs-bonne; il
n'a ni maux de tÍte, ni ťtourdissements, et si, sous l'influence de
ses excŤs, il a tťmoignť d'une certaine excitation mentale, soit en
parlant avec exagťration de son importance et de sa valeur
personnelles, soit en exprimant des craintes pour sa propre
sťcuritť, cette modification dans son ťtat cťrťbral habituel n'a
jamais ťtť assez prononcťe pour que nous puissions y voir un
trouble quelque peu notable et durable de la raison, causť par
l'intoxication alcoolique. D'ailleurs, il paraÓtrait que depuis
quelque temps, il ťtait devenu plus sobre, et tous les tťmoins sont
unanimes ŗ dťclarer que la veille de la nuit oý il a tuť sa femme
et sa fille il n'ťtait dans un ťtat ni d'ivresse, ni mÍme de
surexcitation.
Nous n'avons dťcouvert chez M... aucune trace de conceptions
dťlirantes, ni d'illusions des sens, ni d'hallucinations; il n'a
pas non plus cťdť ŗ un de ces entraÓnements instantanťs,
irrťsistibles, tels qu'on en observe chez les ťpileptiques, chez
les vertigineux, et aussi chez certains malades qui prťsentent des
symptŰmes d'affections cťrťbrales ŗ ťvolution pťriodique ou
rťmittente, puisque de son propre aveu, il pensait depuis plusieurs
semaines ŗ faire ce qu'il a fait.
M... n'ťtant ni un idiot, ni un imbťcile, ni un ťpileptique, ni un
vertigineux, ni un impulsif, ni un hallucinť, ni un alcoolisť,
qu'est-il donc?
C'est un paresseux d'une intelligence limitťe, ombrageux, aimant,
comme disent les tťmoins, _ŗ s'amuser_, avide d'argent, et
dťpensier quand il s'agissait de se procurer un plaisir,
travaillant ŗ son heure, mťcontent d'un gain qui lui semblait
au-dessous de sa peine, et prťfťrant ťpuiser son capital en vendant
les biens de sa femme. Il avait contractť des habitudes de cabaret
auxquelles il lui aurait ťtť incommode de renoncer, et il voyait
avec chagrin son avoir diminuer, en mÍme temps que s'augmentait sa
responsabilitť de pŤre de famille. Si sa femme le laissait libre de
disposer de ce qu'elle possťdait, et si elle se rťsignait, non sans
querelles, ŗ son inconduite, elle se bornait ŗ soigner son enfant,
et ne travaillait pas assez pour remplir le vide que faisait
l'oisivetť de son mari. Elle devenait ainsi pour M... une charge,
et non une source de produits; un enfant ťtait dťjŗ onťreux, et un
second enfant n'allait pas tarder ŗ naÓtre.
Voilŗ, autant qu'on peut l'induire de ses rťponses laconiques, les
pensťes qui dominaient l'esprit de M..., et avec lesquelles il
vivait constamment depuis quelques mois. Ses excŤs avaient bien pu
affaiblir ses facultťs, morales et affectives, sans cependant
provoquer une maladie caractťrisťe. M... a rťsistť pendant quelque
temps; il a luttť contre l'idťe du meurtre, il l'a repoussťe, puis
enfin, un jour, il a rťsolu d'en finir. Il n'a pas demandť au vin
une excitation passagŤre pour lui rendre plus facile
l'accomplissement de son dessein. C'est au moment oý sa fille ťtait
malade, ŗ la fin d'une journťe exempte de tout excŤs, et d'une
soirťe employťe aux soins qu'exigeait la maladie de sa fille, aprŤs
avoir engagť sa femme ŗ se reposer, en lui promettant de veiller
sur l'enfant, et aprŤs avoir lu paisiblement pendant deux heures un
livre d'histoire, qu'il a ťtť chercher ses pistolets, et les a
dťchargťs sur sa femme et sur son enfant.
Le lendemain, M... est moins calme que la veille; il manifeste par
instants, du trouble et de l'ťmotion, mais il conserve encore
cependant une tranquillitť extraordinaire; il a conscience de ce
qu'il a fait, et parle de lui comme d'un homme qui n'existe plus
pour le monde, acceptant d'avance la peine qui doit lui Ítre
infligťe et ŗ laquelle il ne cherche pas ŗ se soustraire.
Assurťment, quand on envisage le mobile auquel a cťdť M..., quand
on considŤre sa quiťtude avant le meurtre, au moment oý il le
commet, et son attitude dans les heures qui le suivent, on ne peut
se dťfendre d'une profonde impression d'ťtonnement; il n'y a lŗ ni
colŤre, ni convoitise, ni un de ces ťclats de passion qui
dťterminent le plus habituellement les crimes et les expliquent, et
cependant aucune condition pathologique manifeste n'apparaÓt comme
ayant ťtť la cause et, pour ainsi dire, la raison du double meurtre
commis par M..., et nous en sommes rťduits ŗ ne pouvoir le
rattacher qu'ŗ une succession d'idťes ťtranges, qui ne tťmoignent
ni d'un sens droit, ni d'une raison ťquilibrťe, mais qui ne
prťsentent pas les caractŤres de la folie, et qui ont pu germer
dans l'esprit d'un homme, nť dans des conditions dťfectueuses
d'hťrťditť cťrťbrale, ťgoÔste, ivrogne, ami du plaisir autant
qu'ennemi du travail, moralement affaibli par les excŤs mais ayant
cependant conservť son libre arbitre et la conscience de ses actes.
Une derniŤre conclusion peut rťsumer ce travail: si M... n'avait
pas commis le double meurtre pour lequel il a ťtť l'objet d'un
examen au point de vue de son ťtat mental, aucun mťdecin ne
songerait ŗ l'interner comme aliťnť dans un asile, soit ŗ cause de
son ťtat actuel, soit en invoquant des troubles antťrieurs de
santť, continus ou intermittents.
Signť: CH. LAS»GUE, A. MOTET, …. BLANCHE.
Nous n'avons pas ŗ faire ici ŗ un homme prťsentant les caractŤres de la
folie. M... est nť dans des conditions dťfectueuses d'hťrťditť
cťrťbrale, son intelligence n'est pas grande, sans Ítre notablement
au-dessous du niveau des gens de sa classe; il a mÍme un certain goŻt
pour la lecture des livres sťrieux et une certaine instruction,
principalement dans les choses de l'histoire.
M... n'est pas non plus un alcoolisť, ŗ proprement parler; si depuis son
mariage il frťquentait volontiers les cabarets, s'il s'enivrait assez
souvent, ses excŤs de boisson n'ont produit chez lui que des troubles
trŤs-lťgers et trŤs-passagers, et si ses facultťs morales,
originellement peu dťveloppťes, en ont ťtť encore affaiblies, ce n'a
jamais ťtť au point de le priver de la facultť d'apprťcier ses actes.
D'un autre cŰtť, si M... n'est pas aliťnť, ce n'est ťvidemment pas non
plus un homme dont le jugement soit parfaitement sain, et aprŤs avoir lu
les dťtails du double meurtre qu'il a commis, les mobiles qui semblent
seuls l'avoir inspirť, les circonstances qui l'ont prťcťdť et suivi, on
ne peut s'ťtonner que les magistrats et les jurťs aient dťsirť que M...
fŻt examinť au point de vue de l'ťtat mental. Cet examen ne pouvait pas
aboutir ŗ un rťsultat plus net et plus positif que ne l'ťtait l'ťtat
mental de l'inculpť.
En effet, si nous avions trouvť chez M... de ces crises cťrťbrales
dťcisives et qui ont pour consťquence l'homicide, nous n'aurions pas
hťsitť ŗ le dťclarer irresponsable, mais en l'absence de ces crises
significatives, nous avons dŻ conclure qu'il n'ťtait pas aliťnť, et nous
nous sommes bornťs ŗ des considťrations tirťes de son ťtat habituel et
qui ťtaient de nature ŗ amoindrir sa responsabilitť. Le jury, adoptant
nos conclusions, a accordť ŗ M... les circonstances attťnuantes. En
consťquence, M... a ťtť condamnť aux travaux forcťs ŗ perpťtuitť.
Dans le courant d'avril dernier, un assassinat commis au milieu de la
journťe, dans une rue trŤs-frťquentťe, causait une immense ťmotion dans
Paris. Un marchand avait fait entrer un garÁon de recettes dans son
magasin et l'avait tuť pour le voler. ArrÍtť immťdiatement, l'assassin
avait avouť son crime.
Au cours de l'information, et dans des circonstances que le rapport fait
connaÓtre, nous avons ťtť chargťs, M. le Dr Motet et moi, de constater
l'ťtat mental du prťvenu. ņ la suite d'un examen minutieux, nous avons
dťclarť M... responsable de ses actes. Le jury a rapportť un verdict de
culpabilitť, en accordant les circonstances attťnuantes.
M... a ťtť condamnť aux travaux forcťs ŗ perpťtuitť.
Le 20 avril 1878, ŗ 1 heure de l'aprŤs-midi, un homme, la tÍte nue,
sort en courant d'une boutique de la rue Saint-Lazare, nį 50;
presqu'au mÍme instant, un autre homme sort de la mÍme boutique,
pousse le cri: _ArrÍtez-le! assassin!_ chancŤle, et tombe sur le
trottoir. On arrÍte immťdiatement celui qui fuyait, c'ťtait M...,
marchand brocanteur, locataire de la boutique nį 50.
On s'approche de l'homme qui ťtait tombť; il ťtait couvert de sang;
on le relŤve et on le transporte dans une pharmacie voisine oý il
expire presqu'aussitŰt. C'ťtait S..., garÁon de recettes de la
Sociťtť gťnťrale.
Le concierge de la maison de la rue Saint-Lazare, nį 50, attirť par
le bruit, vient dans la rue, voit un attroupement, y va, et
reconnaÓt son locataire M... que des gardiens de la paix emmenaient
au commissariat de police; il l'y suit, et lŗ lui dit: Malheureux,
qu'avez-vous fait? M... rťpond d'abord: ęMa femme et mes enfantsĽ.
Puis, ęJ'avais besoin d'argentĽ. Quatre heures plus tard, interrogť
par M. le juge d'instruction, M... ęreconnaÓt qu'il frappť S...
avec le couteau qu'on lui reprťsente,Ľ et il ajoute: ęJ'ťtais dans
le besoin, ayant des dettes; privť de l'argent nťcessaire pour
payer mon loyer ťchu depuis le quinze de ce mois, j'ai vu passer le
nommť S..., garÁon de recettes, que je ne connaissais pas; je l'ai
priť d'entrer chez moi pour me donner la monnaie de billets que je
n'avais pas. AprŤs Ítre entrť, S... a fermť la porte de mon
magasin; je lui ai demandť, je crois, la monnaie de mille francs;
pendant qu'il ťtait en train de la compter sur mon petit bureau, je
suis allť dans ma cuisine chercher le couteau que vous me
reprťsentez, et je suis revenu prŤs de S..., et, sans rien dire, je
lui ai portť le coup qui lui a donnť la mort.
ęJe n'ai fait entrer S... chez moi que pour le voler et me procurer
l'argent dont j'avais besoin. Quand j'ai vu S... tomber sur les
tapisseries qui ťtaient au milieu de mon magasin, j'ai ouvert ma
porte, et je me suis sauvť.Ľ
Telles sont les circonstances dans lesquelles a ťtť commis
l'assassinat dont M... est inculpť; telle a ťtť l'attitude, telles
ont ťtť les dťclarations de M..., au moment mÍme de l'assassinat,
et dans les premiŤres heures qui l'ont suivi ces dťclarations, il
les a renouvelťes et les a mÍme complťtťes au cours de
l'instruction.
AprŤs avoir dit que la pensťe de tuer S... pour le voler lui ťtait
venue ŗ l'esprit au moment oý il avait aperÁu le garÁon de recettes
dans la rue, il a avouť qu'il avait formť ce projet depuis quelques
jours, poussť qu'il ťtait par son besoin d'argent, et par la
nťcessitť de s'en procurer ŗ tout prix pour ťviter les poursuites
et la saisie.
Dans les dťpositions des tťmoins, dans le langage et la tenue de
M..., rien n'ťtait apparu qui fŻt de nature ŗ faire suspecter
l'intťgritť de la raison de l'inculpť; ses rťponses avaient
toujours ťtť nettes et prťcises; ses aveux ťtaient complets; il
n'allťguait aucune excuse, aucune circonstance attťnuante.
L'information touchait donc ŗ son terme, lorsque la femme de M...
apporta au magistrat-instructeur une note dans laquelle elle
affirmait qu'a des ťpoques, dťjŗ assez ťloignťes d'ailleurs, son
mari avait donnť des signes de trouble mental dont elle n'avait
jamais parlť ni ŗ lui ni ŗ d'autres, et qu'elle croyait de son
devoir de faire connaÓtre ŗ la justice: une premiŤre fois, il y a
neuf ans, M... avait ťtť pris d'une attaque; il se serait mis ŗ
courir dans le jardin avec un panier qu'il s'ťtait attachť au
corps; puis, il serait tombť comme une masse se dťbattant un
moment, et serait restť par terre environ une demi-heure sans qu'on
pŻt le relever; avec l'aide de voisins, on l'aurait portť dans sa
chambre, oý il se serait agenouillť devant le lit de ses enfants en
pleurant et en leur demandant pardon. Le lendemain, il serait restť
abattu, ne se rappelant rien, et on ne lui en avait pas parlť pour
ne pas lui faire de la peine.
Second fait: En 1875, ŗ Dieppe, M... se serait mis ŗ bousculer des
caisses ťnormes dans son magasin, il aurait saisi un grand couteau
qui se trouvait accrochť ŗ une planche de la cuisine, et s'en
serait donnť un coup dans la poitrine, si sa femme n'avait pu
saisir le couteau ŗ temps; elle se serait ensuite sauvťe avec ses
enfants, en poussant un cri qui avait attirť un passant auquel elle
aurait dit, comme explication, que c'ťtaient des caisses qui
avaient failli les ťcraser.
Dans une troisiŤme occasion, au mois de dťcembre 1877, ťtant allť
sur la tombe de sa mŤre qu'il aimait tendrement, au moment de se
recueillir, il se serait mis ŗ rire avec une physionomie ťgarťe.
Enfin, ťtant en bateau avec son fils, il aurait fait des
contorsions et des mouvements saccadťs qui auraient effrayť
l'enfant, au point que celui-ci n'aurait plus aimť ŗ sortir seul
avec son pŤre.
C'est alors que nous avons ťtť chargťs d'examiner l'ťtat mental de
M...
Pour que cet examen fat complet, nous ne nous sommes pas bornťs ŗ
rechercher si les faits allťguťs par la femme M... s'ťtaient passťs
comme elle le prťtendait, s'ils avalent prťsentť le caractŤre
qu'elle leur donnait, si on pouvait les rattacher ŗ un ťtat morbide
se manifestant par accŤs, et, comme consťquence, si l'acte du 20
avril pouvait avoir quelque analogie d'origine avec les actes qui
avaient eu lieu notamment en 1869 et 1875; nous avons ťtudiť M...,
ses antťcťdents de famille, ses antťcťdents personnels, son
caractŤre, ses penchants, ses goŻts, ses habitudes, et nous avons
cherchť ŗ bien prťciser quel ťtait son ťtat mental ŗ l'ťpoque oý a
eu lieu le meurtre dont il est inculpť.
M... est fils d'un pŤre qui vit encore et qui n'a jamais ťtť
atteint de troubles cťrťbraux; il a perdu sa mŤre, il y a dix-huit
mois; elle a succombť ŗ une affection organique de l'estomac; elle
ťtait, dit-on, peu intelligente, se laissait absolument dominer par
son mari, mais son infťrioritť mentale n'ťtait pas telle qu'il y
ait lieu d'en tenir compte comme prťdisposition hťrťditaire.
Un cousin germain de M..., ‚gť de 22 ans, est ťpileptique.
M... est ‚gť de 41 ans, de taille moyenne, bien constituť, et de
tempťrament nerveux. D'un caractŤre trŤs-vif, il ťtait cependant
d'humeur facile dans son intťrieur, plein d'affection pour sa femme
et ses enfants. Rťputť trŤs-habile connaisseur en objets d'art,
c'ťtait chez lui une vťritable passion, et jadis il lui est parfois
arrivť de s'imposer des privations pour devenir possesseur d'un
tableau qu'il dťsirait. D'habitudes sombres, sa grande distraction
ťtait la promenade sur la riviŤre.
Dans notre premiŤre entrevue, il nous dit qu'il jouit d'une
excellente santť; que depuis une fiŤvre typhoÔde qu'il a eue vers
l'‚ge de 15 ans, et dont il s'est rťtabli rapidement, il ne se
rappelle pas avoir ťtť malade, qu'il a seulement de temps en temps
des maux de tÍte, de courte durťe, mais jamais ni ťtourdissements,
ni vertiges, ni pertes de connaissance, qu'autrefois il avait
quelques douleurs de rhumatisme, mais qu'il n'en a pas souffert
l'hiver dernier.
Interrogť sur la disposition d'esprit dans laquelle il ťtait ŗ
l'ťpoque du meurtre, il nous rťpond qu'il ťtait triste et prťoccupť
parce qu'il se voyait dans l'impossibilitť de faire face ŗ ses
engagements; il n'avait pas pu payer le terme du 15 avril, et il
demandait des remises de jour en jour. Le 19, il ťtait moins
tourmentť, nous dit-il, parce qu'il espťrait faire une vente dans
la matinťe du 20; il avait bien dormi, et ťtait venu de bonne heure
ŗ Paris, comptant sur un acheteur qui devait le tirer d'embarras,
mais le client espťrť ne se prťsenta pas; M... avait promis de
payer son terme dans la journťe, et il n'en avait pas l'argent.
C'est alors que voyant venir le garÁon de recettes, il eut, nous
dit-il, la pensťe de le faire entrer dans sa boutique, sous
prťtexte de lui demander de la monnaie, et avec l'intention de le
tuer pour le voler.
Telles sont exactement les premiŤres rťponses que M... nous fit. Il
ne nous avait rien dit des faits mentionnťs par sa femme; mais
comme il ťtait allťguť, au moins pour un de ces faits que M... ne
se l'ťtait pas rappelť, et qu'on ne lui en avait pas parlť; avant
d'interroger de nouveau M... nous voulŻmes entendre sa femme. Elle
nous rťpťta ce que contient sa note ťcrite et qui est reproduit
plus haut. Elle ajouta qu'il ťtait tombť deux fois ŗ l'eau. Nous
lui avons demandť en outre si son mari n'avait pas quelquefois
urinť au lit la nuit sans s'en apercevoir et s'il ne se plaignait
pas d'ťtourdissements. Elle nous rťpondit qu'elle se souvenait
qu'il avait urinť une fois au lit, et qu'il s'ťtait plaint
quelquefois d'ťtourdissements.
Lorsque nous revÓmes M..., notre but principal ťtait de bien
constater s'il n'avait aucun souvenir des faits dont sa femme nous
avait informťs, et nous dirons tout de suite que si M... n'en avait
gardť aucune trace dans la mťmoire, ces faits auraient eu, ŗ nos
yeux, une valeur que ne leur ont pas laissťe les explications qu'il
nous a donnťes dans la seconde conversation que nous avons eue avec
lui.
Voici, en effet, ce que M... nous a dit dans cette seconde
conversation:
ęJe me souviens trŤs-bien d'avoir eu un malaise ŗ Argenteuil;
c'ťtait ŗ la suite d'une discussion avec ma femme. Je me suis mis
en colŤre (je suis assez vif); je suis restť par terre dans le
jardin pendant quelque temps, mais je n'ai pas ťtť malade ŗ la
suite de cela; je suis venu le lendemain ŗ Paris comme d'habitude.
ęQuant ŗ l'affaire de Dieppe, je m'en souviens trŤs-bien aussi.
C'ťtait ŗ cause d'un objet que j'avais achetť. Ma femme m'a
reprochť de l'avoir payť trop cher; il y a eu une discussion; j'ai
eu une scŤne avec ma femme, et, dans un mouvement de vivacitť, j'ai
brisť diffťrentes choses, et j'ai voulu me frapper avec un couteau.
Cela a attirť du monde dans la maison, et, pour ne pas dire ce qui
en ťtait, on a dit que je voulais mettre des caisses en ordre et
que j'ťtais tombť. Je me rappelle trŤs-bien maintenant.
ęVous me demandez si j'ai eu des ťtourdissements lorsque je suis
tombť ŗ l'eau. Une fois, je suis tombť en retirant l'ancre de mon
canot; j'ai fait un faux mouvement; une autre fois, il faisait
grand vent, mon canot a chavirť.--J'ai eu de la peine ŗ gagner le
bord, parce que le courant ťtait trŤs-fort, que j'avais des bottes
et un vÍtement trŤs-ťpais; j'ťtais ťpuisť en arrivant sur la berge;
c'ťtait un accident.
Quant ŗ avoir urinť au lit la nuit, il me semble bien qu'on m'a dit
un jour qu'on avait du faire sťcher mes draps que j'avais
mouillťs.Ľ
Nous interrogeons alors de nouveau M. sur les circonstances dans
lesquelles s'est accompli le meurtre dont il est inculpť.
Il nous avoue qu'il avait des dettes qu'il ne pouvait acquitter,
qu'il avait promis le jeudi 18, ŗ deux de ses crťanciers de leur
donner un fort ŗ-compte le surlendemain, 20 avril, et qu'il s'ťtait
en outre engagť ŗ payer le mÍme jour son propriťtaire; que c'est la
nťcessitť absolue de se procurer de l'argent qui lui a inspirť la
pensťe de ce qu'il a fait, qu'il n'a d'abord pensť qu'a s'emparer
de l'argent, aprŤs avoir tuť l'homme, et qu'il aurait songť plus
tard ŗ se dťbarrasser du cadavre.
ņ ce qu'il nous avait dťjŗ dit, il ajoute qu'il se rappelle avoir
rencontrť le matin un de ses amis sur le boulevard, mais qu'il ne
se souvient pas bien de leur conversation, qui a ťtť trŤs-courte;
il nous parle de la visite qu'il a faite en arrivant chez lui au
concierge de la maison, et de sa promesse de payer son terme dans
la journťe; il nous raconte tous les dťtails du meurtre, la lutte
qu'il a eue avec S..., et comment, saisi de frayeur, il s'est sauvť
dans la rue. Ses souvenirs sont trŤs-prťcis, et il nous a donnť
toutes ces explications, simplement, sans efforts et presque sans
rťticences.
Les dťclarations et les aveux de M... constituent un ensemble de
circonstances et de faits qui ne comportent pas l'existence, le
jour oý a eu lieu l'acte incriminť, d'un trouble de l'intelligence,
si subit et si passager qu'il eŻt pu Ítre, et qui prouvent, au
contraire, que M... ťtait en pleine possession de ses facultťs,
maÓtre de ses dťterminations, et non dominť par une influence
morbide irrťsistible.
AprŤs les dťclarations de la femme M..., c'ťtait cette influence
morbide qu'il ťtait de notre devoir de rechercher, et les faits qui
nous ťtaient rťvťlťs et prťsentťs avec une apparition soudaine,
imprťvue, une ťvolution rapide, suivis d'une perte complŤte de
mťmoire, nous indiquaient suffisamment dans quelle voie devaient
Ítre dirigťes nos investigations.
Les ťpileptiques seuls ont de ces crises qui se bornent parfois ŗ
des actes excentriques et bizarres, qui dťterminent d'autres fois
des scŤnes de violence, et qui n'aboutissent que trop souvent ŗ des
meurtres. Nous devions donc examiner scrupuleusement quel aurait
ťtť le vťritable caractŤre des accŤs qui nous ťtaient signalťs, si
anciens qu'ils fussent, si rares et si ťloignťs les uns des autres
qu'ils eussent ťtť.
C'est M... qui nous a donnť lui-mÍme les explications dont il ne
soupÁonnait pas l'importance et qui rťduisent ťnormťment la valeur
des troubles passagers qu'il aurait ťprouvťs en 1869 et en 1875.
Mais, en admettant mÍme que ces troubles aient eu l'importance
qu'on voudrait leur attribuer, ils n'ont certainement exercť aucune
influence notable sur les facultťs intellectuelles de M..., et on
ne saurait trouver dans les circonstances oý a ťtť accompli le
meurtre dont il est inculpť aucun des caractŤres que l'on observe
dans les homicides commis par les ťpileptiques.
Les ťpileptiques meurtriers appartiennent en effet ŗ trois classes
distinctes:
Les uns, soit avant, soit aprŤs une attaque convulsive ou
simplement vertigineuse, sont pris tout ŗ coup d'un accŤs de fureur
aveugle, et poussťs par une force irrťsistible, se prťcipitent,
frappent au hasard le premier venu, et le tuent, puis, tombent dans
un anťantissement profond, et ne se rappellent pas ce qu'ils ont
fait.
Ils ne savent ni pourquoi ils ont frappť, ni qui ils ont tuť.
Chez d'autres ŗ crise non convulsive, l'impulsion n'ťclate pas
aussi soudainement et n'est pas aussi rapide dans son ťvolution;
ceux-ci hťsitant, luttent contre l'entraÓnement qui les sollicite,
semblent combiner leur agression, et en rťalitť ne font que
parcourir en quelques heures les phases de l'accŤs qui doit aboutir
ŗ l'acte de violence.
D'autres enfin, en dehors des attaques ťclamptiques, ont subi une
perversion mentale qui s'ťtablit et devient permanente. Ils
repassent incessamment dans leur esprit troublť les conceptions
dťlirantes qui les dominent, ils dťlibŤrent longtemps et
patiemment, et n'en arrivent ŗ l'acte que lorsque la congestion
cťrťbrale, reconnaissable ŗ ses signes habituels, a acquis une
intensitť suffisante pour dťterminer la violence terminale.
Nous n'avons rien observť chez M... qui put le faire rattacher ŗ
une de ces classes de malades. D'aprŤs ses propres dťclarations et
ses aveux, il a ťtť poussť, dans l'acte dont il est inculpť, par
des mobiles parfaitement raisonnťs; il avait besoin d'argent, et
ne savait oý en trouver; il a prťmťditť et combinť le moyen auquel
il a eu recours pour s'en procurer.
L'avant-veille et la veille, et le matin mÍme du jour du meurtre,
il n'a pas eu l'esprit troublť; il se rappelle tout ce qu'il a
fait, sauf peut-Ítre les dťtails exacts d'une conversation avec un
de ses amis, mais cette lťgŤre lacune dans ses souvenirs peut Ítre
facilement expliquťe par la prťoccupation oý il ťtait. Il se
souvient ťgalement de tous les dťtails de l'accomplissement du
meurtre, et des circonstances qui l'ont suivi. On est donc lŗ en
prťsence d'un acte rťflťchi, voulu, et qui n'a offert, ŗ aucun
moment, le caractŤre des impulsions irrťsistibles, ou provoquťes,
par des conceptions dťlirantes. En consťquence de tout ce qui
prťcŤde, nous concluons que:
1į Le 20 avril 1878, M... (Louis-Adolphe), ťtait dans un ťtat
mental qui lui laissait le libre exercice de sa volontť et la
conscience de ses actes.
2į Les troubles passagers de l'intelligence que M... aurait
prťsentťs en 1869, en 1875 et en 1877, n'ont pas pour nous
l'importance que la femme M... semble leur donner. En admettant
mÍme que M... eŻt ťtť atteint ŗ plusieurs reprises d'incontinence
nocturne des urines, il n'est pas dťmontrť qu'elle puisse Ítre
rattachťe ŗ des accŤs de mal comitial.
Nous ne pensons pas que des accidents aussi rares, sťparťs par des
intervalles aussi longs, dont M... a conservť le souvenir, dont il
donne une explication acceptable, et auxquels manquent la plupart
des caractŤres habituels des attaques convulsives ou vertigineuses,
aient pu avoir une influence sur ses facultťs intellectuelles.
3į En consťquence, M... (Louis-Adolphe) doit Ítre considťrť comme
responsable des actes dont il est inculpť.
Paris, le 27 mai 1878.
Signť: A. MOTET, …. BLANCHE.
End of the Project Gutenberg EBook of Des homicides commis par les aliťnťs, by
Emile Blanche
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Des homicides commis par les aliénés
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Excerpt
Project Gutenberg's Des homicides commis par les aliťnťs, by Emile Blanche
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— End of Des homicides commis par les aliénés —
Book Information
- Title
- Des homicides commis par les aliénés
- Author(s)
- Blanche, Émile
- Language
- French
- Type
- Text
- Release Date
- August 18, 2008
- Word Count
- 55,351 words
- Library of Congress Classification
- BF; HV
- Bookshelves
- FR Droit et Justice, Browsing: Law & Criminology, Browsing: Psychiatry/Psychology
- Rights
- Public domain in the USA.
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