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Aventures de l'abbé de Choisy habillé en femme

French 32,836 words 547h 16m read Jan 21, 2017

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femme, by François-TimolÊon de Choisy

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ďťżThe Project Gutenberg EBook of Aventures de l'abbĂŠ de Choisy habillĂŠ en femme, by François-TimolĂŠon de Choisy This eBook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you'll have to check the laws of the country where you are located before using this ebook. Title: Aventures de l'abbĂŠ de Choisy habillĂŠ en femme Author: François-TimolĂŠon de Choisy Editor: Marc de Montifaud Illustrator: Jules-Armand Hanriot Release Date: January 21, 2017 [EBook #54035] Language: French Character set encoding: UTF-8 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK AVENTURES DE L'ABBE DE CHOISY *** Produced by Clarity, HĂŠlène de Mink, and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive/American Libraries.) Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont ĂŠtĂŠ corrigĂŠes. L'orthographe d'origine a ĂŠtĂŠ conservĂŠe et n'a pas ĂŠtĂŠ harmonisĂŠe. MÉMOIRES DE L'ABBÉ DE CHOISY HABILLÉ EN FEMME [Illustration: _Il a ĂŠtĂŠ tirĂŠ de cet ouvrage dix exemplaires sur Papier ImpĂŠrial du Japon numĂŠrotĂŠs de 1 Ă  10, et mille exemplaires sur pur fil Lafuma ancien numĂŠrotĂŠs de 11 Ă  1010_ No 994 ] LE LIVRE DU BOUDOIR MÉMOIRES DE L'ABBÉ DE CHOISY HABILLÉ EN FEMME _Avec Notice et Bibliographie_ PAR LE CHEVALIER DE PERCEFLEUR Membre Correspondant de l'AcadĂŠmie des Dames [Illustration: dĂŠco] SE VEND A PARIS A LA BIBLIOTHÈQUE DES CURIEUX 4, RUE DE FURSTENBERG, 4 (Derrière l'Abbaye St-Germain-des-PrĂŠs) 1920 MÉMOIRES DE L'ABBÉ DE CHOISY NOTICE SUR L'ABBÉ DE CHOISY _ÂŤChoisi n'est icy qu'ĂŠbauchĂŠ: Sa vie on devrait bien ĂŠcrire, Mais jamais on ne pourra dire S'il fut plus fou que dĂŠbauchĂŠ[1]Âť_ [1] Quatrain manuscrit, de la main de Clairambault, Ă  la fin de la PrĂŠface des _MĂŠmoires pour servir Ă  l'Histoire de Louis XIV_, Utrecht, 1727, Bibl. Nation. Lb, {37} 140. B. François-TimolĂŠon de Choisy naquit Ă  Paris le 16 aoĂťt 1644. Son père ĂŠtait intendant du Languedoc quand il fut chargĂŠ d'arrĂŞter Ă  Montpellier M. de Cinq-Mars et de se saisir de ses papiers. Il le trouva occupĂŠ Ă  en brĂťler une grande partie: les lettres de la princesse Marie et de Mme de Choisy, leur confidente, et il eut la complaisance de le laisser faire. ÂŤVous avez raison, Monsieur, dit Cinq-Mars, vous seriez bien fâchĂŠ de trouver ce que je viens de brĂťler...Âť Ce Choisy dut aux intrigues de sa femme de devenir Conseiller d'État, puis Chancelier de Monsieur, duc d'OrlĂŠans et frère de Louis XIII. Mme de Choisy[2] ĂŠtait fille aĂŽnĂŠe de M. de Belesbat, de la maison de Hurault, et petite-fille du Chancelier de l'Hospital. Elle avait eu dĂŠjĂ  trois fils, quand, Ă  plus de cinquante ans, ĂŠtant toujours belle et coquette, elle s'avisa d'en faire un quatrième. Elle pensait ainsi prolonger de deux lustres l'apparence de sa jeunesse. Elle joignait Ă  la beautĂŠ, Ă  l'ambition, Ă  l'intrigue et Ă  la coquetterie, un esprit sans lequel ces grâces et ces aspirations ne leur eussent servi que de peu. Car cet esprit plut tant Ă  Louis XIV qu'il lui donnait deux audiences par semaine, et qu'il la pourvut d'une pension de 8.000 livres afin de se conserver les charmes de sa conversation, et dans l'espoir de devenir ÂŤhonnĂŞte hommeÂť Ă  son commerce, comme elle le lui avait fait accroire après avoir gagnĂŠ la confiance d'Anne d'Autriche. En outre, elle correspondait avec Marie de Gonzague, reine de Pologne, Madame Royale de Savoie, Christine de Suède et plusieurs princesses d'Allemagne. Par un effet de la politique pitoyable de Mazarin, l'on ĂŠlevait Monsieur, frère de Louis XIV, d'une manière effĂŠminĂŠe, propre Ă  le rendre incapable et pusillanime; Mme de Choisy, pour faire sa cour Ă  tout le monde, le Roi, Mazarin et Monsieur, fit prendre Ă  son fils, âgĂŠ de cinq ans, les mĂŞmes habitudes. ÂŤOn m'habilloit en fille, dit l'abbĂŠ, toutes les fois que Monsieur venoit au logis, et il y venoit au moins deux ou trois fois par semaine... Dès qu'il arrivoit, suivi des nièces du Cardinal Mazarin et de quelques filles de la reine, on le mettoit Ă  sa toilette, on le coiffoit. Il avoit un corps pour conserver sa taille... on lui Ă´toit son justaucorps pour lui mettre des manteaux de femme et des jupes... Quand Monsieur ĂŠtoit habillĂŠ et parĂŠ, on jouoit Ă  la petite prime... et sur les sept heures on apportoit la collation...Âť [2] Voir ce qu'en disent Tallemant des RĂŠaux, VII, 162; Segrais, _MĂŠmoires anecdotes_, p. 26; Somaize: _Dict. des PrĂŠcieuses_, sous le nom de _CĂŠlie_, p. 55, ĂŠd. Jannet, t. I, 1856. Peu Ă  peu, Mme de Choisy prit goĂťt Ă  cette courtisanerie ridicule: que Monsieur vĂŽnt ou ne vĂŽnt pas, François-TimolĂŠon resta vĂŞtu en fille, serrĂŠ dans un corset qui lui fit Ă  la longue _ĂŠlever la chair_, et frottĂŠ tous les jours avec de l'eau de veau et de la pommade de pied de mouton! On lui enduisait encore le visage d'une mixture propre Ă  dĂŠtruire les germes pileux; enfin, quand il eut l'âge oĂš l'esprit vient aux filles, il trompa les connaisseurs, et jusqu'aux femmes elles-mĂŞmes... A l'âge de dix-huit ans, ayant perdu sa mère, dont il n'avait hĂŠritĂŠ que l'esprit, la voluptueuse mollesse, la beautĂŠ et les diamants, il essaya du costume viril; mais, sur le conseil de Mme de La Fayette, il reprit bientĂ´t les jupes, les volants et les mouches. On le voyait au spectacle, jouant de l'ĂŠventail, et mĂŞme aux offices de sa paroisse, qu'il suivait rĂŠgulièrement, lisant sa messe dans un livre d'heures Ă  miroir carrĂŠ. Montausier l'ayant morigĂŠnĂŠ devant le Dauphin, un jour qu'il se pavanait Ă  l'OpĂŠra dans une robe blanche Ă  fleurs d'or, ornĂŠe de parements de satin noir et d'une ĂŠchelle de rubans couleur de rose, il prit le parti de se retirer en province sous le nom de _Comtesse des Barres_. Il acheta donc le château de CrĂŠpon, aux environs de Bourges, paraĂŽt-il, et devint une femme Ă  la mode Ă  qui les mamans confiaient leurs filles. Une intrigue avec une comĂŠdienne le ramène Ă  Paris, puis l'exile Ă  Bordeaux, avatar mystĂŠrieux dont le rĂŠcit ne nous a pas ĂŠtĂŠ conservĂŠ, et qui fut le plus piquant de sa vie, si l'on en juge par une brève allusion. ÂŤJ'ai jouĂŠ, dit-il, la comĂŠdie sur le thÊâtre d'une grande ville comme une fille: tout le monde y ĂŠtoit trompĂŠ. J'avois des amants Ă  qui j'accordois de petites faveurs, fort rĂŠservĂŠ sur les grandes; on parloit de ma sagesse...Âť On voit que l'abbĂŠ, dans son incroyable inconscience, identifiait son sexe au sexe supposĂŠ de la _Comtesse des Barres_, de _Mme de Ganzi_, ou de _Mlle de Sancy_, ses divers pseudonymes: il croit avoir ĂŠtĂŠ sage en n'accordant Ă  ses dupes que de petites faveurs!... Ces dĂŠbordements publics amenèrent ses frères Ă  exiger qu'il reprĂŽt le costume convenable, et qu'il allât prendre au loin l'habitude de le porter. Choisy s'en fut Ă  Venise, oĂš il perdit au jeu l'argent qui lui restait. Croyant sans doute avoir contrariĂŠ la Fortune ou n'ĂŞtre pas reconnu d'elle--bien qu'il la sĂťt aveugle--, il reprit ses atours et revint Ă  Paris. LĂ , trop certain que la DĂŠesse mondaine l'abandonnait, il se souvint qu'il ĂŠtait abbĂŠ, et, rendant infidĂŠlitĂŠ pour infidĂŠlitĂŠ, il se retira dans l'abbaye de Sainte-Seine, dont il avait ĂŠtĂŠ gratifiĂŠ en 1663, et qui lui rapportait 6.000 livres. Les revenus du prieurĂŠ de Saint-LĂ´, et le doyennĂŠ de la cathĂŠdrale de Bayeux, ajoutĂŠs Ă  cette rente, lui composaient une mense annuelle de 14.000 livres, insuffisante pour une coquette, mais considĂŠrable pour un ermite. A Sainte-Seine commença sa liaison avec Bussy-Rabutin, exilĂŠ dans ses terres, qui lui conseilla d'ĂŠcrire des livres de dĂŠvotion Ă  l'usage des gens du monde, conseil qu'il ne devait mettre Ă  profit que quelques annĂŠes après. En attendant, il revient derechef Ă  Paris gaspiller ses ĂŠconomies, et trouve un sauveur dans le cardinal de Bouillon, qui lui propose de le suivre Ă  Rome en qualitĂŠ de conclaviste pour l'ĂŠlection de ClĂŠment X (1676). A Rome, le cardinal de Retz le fait nommer conclaviste gĂŠnĂŠral des cardinaux français. Cependant, le singulier abbĂŠ n'ĂŠtait pas encore prĂŞtre et ne connaissait Dieu que par ouĂŻ-dire... Une maladie, qui le mit Ă  deux doigts de la mort, lui fit entrevoir un enfer peuplĂŠ de polissons habillĂŠs en femme et des conclavistes sans croyance. L'abbĂŠ Dangeau, son ami, acheva de l'ĂŠclairer sur la Foi, et le vit si ĂŠtourdi de l'existence de Dieu qu'il s'apprĂŞtait Ă  croire au baptĂŞme des cloches. Ils commĂŠmorèrent tous deux cette importante conversion et le retour Ă  la vie par _Quatre Dialogues sur l'immortalitĂŠ de l'âme, l'existence de Dieu, la Providence et la Religion_, dont deux au moins sont superfĂŠtatoires. L'annĂŠe suivante (1685), Choisy s'offre pour une ambassade Ă  Siam. La mission se trouvant dĂŠjĂ  donnĂŠe au chevalier de Chaumont, il rĂŠclame le titre de _coadjuteur_, reprĂŠsentant que l'envoyĂŠ du Roi pouvait succomber, soit dans les pĂŠrils de la traversĂŠe, soit sous l'ardeur du soleil ou la mâchoire d'un crocodile... Parti _coadjuteur_, il revint prĂŞtre[3], consacrĂŠ en deux heures par un ĂŠvĂŞque _in partibus_ ignorant de son passĂŠ, et quelque peu ĂŠbloui par sa foi de nĂŠophyte, son titre, et peut-ĂŞtre aussi les connaissances miraculeuses qu'il avait acquises durant son pĂŠriple marin, Ă  savoir: le portugais, le siamois et l'astronomie... [3] Dans l'ĂŠdition citĂŠe des _MĂŠmoires_ annotĂŠe par Clairambault, on lit cette note manuscrite, dont nous mettons en doute la vĂŠracitĂŠ, et qui n'a ĂŠtĂŠ relevĂŠe par personne: ÂŤIl fut mariĂŠ sur terre Ă  Mlle GardeblĂŠ et de laquelle il avoit au moins un enfant; et il se fit faire prestre sur un vaisseau passant Ă  Siam. Cela donne lieu de l'appeler: mariĂŠ sur terre et prestre sur mer.Âť Il amusa quelque peu la cour et la ville du rĂŠcit de son grand voyage, et la relation qu'il en fit paraĂŽtre lui ouvrit les portes de l'AcadĂŠmie. Le reste de son existence, partagĂŠ entre le sĂŠminaire des Missions ĂŠtrangères et la rĂŠdaction de ses ouvrages, est sans incidents ni grand intĂŠrĂŞt. Les preuves de l'existence de Dieu ne lui avaient cependant pas fait perdre sa frivolitĂŠ, tĂŠmoin la belle planche gravĂŠe qui ornait sa _Traduction de l'Imitation de JĂŠsus-Christ_, dĂŠdiĂŠe Ă  Mme de Maintenon. On y voyait la pieuse maĂŽtresse Ă  genoux au pied d'un crucifix, avec ce verset de David, en dessous: _Audi, filia, Rex concupiscet decorem tuum..._ L'application scandalisa tout le monde, et l'on invita l'abbĂŠ de Choisy Ă  retrancher cette image des exemplaires qui lui restaient Ă  dĂŠbiter. Il faillit ĂŞtre ĂŠvĂŞque: on craignit qu'il n'eĂťt encore de ces rencontres, dont la naĂŻve justesse n'est pas toujours rĂŠparable... Sur la fin de sa vie, obĂŠissant Ă  Mme de Lambert, il rĂŠdigea les mĂŠmoires qu'il aimait Ă  raconter et qui faisaient le rĂŠgal des rouĂŠs de la RĂŠgence. Il ignorait encore la pudeur!... Ce rĂŠcit de sa jeunesse, unique dans notre littĂŠrature, et qui donna, plus d'un siècle après, l'idĂŠe de Faublas au citoyen Louvet, appartenait aux _MĂŠmoires pour servir Ă  l'histoire de Louis XIV_, ouvrage ĂŠcrit avec agrĂŠment dans un style de caillette. Les manuscrits en furent lĂŠguĂŠs par l'auteur Ă  son parent, le marquis d'Argenson, Ă  qui l'abbĂŠ d'Olivet en dĂŠroba une copie pour la faire imprimer en Hollande en n'en prenant que la fleur. L'abbĂŠ d'Olivet, que Choisy avait reçu Ă  l'AcadĂŠmie française, en publia Ă  part la partie galante Ă  Lausanne et Genève en 1742, et peut-ĂŞtre mĂŞme avant, en 1733, soit trois livres sur cinq, tous trois fort attĂŠnuĂŠs ou incomplets. L'abbĂŠ de Choisy ĂŠtait mort depuis 1724, Ă  l'âge de quatre-vingts ans. Ses travaux, tant historiques que religieux, plus trois histoires romanesques, forment une quinzaine d'ouvrages. Son _Histoire de l'Eglise_ fut entreprise sur les conseils de Bossuet, qui trouvait celle de Fleury peu abordable. Elle forme onze tomes in-4Âş, qui ont moins fait pour sa rĂŠputation qu'une centaine de pages licencieuses, ĂŠcrites d'une plume enjouĂŠe. De tous les abbĂŠs galants, Choisy partage seul avec l'abbĂŠ d'Entragues l'audace d'avoir poussĂŠ le libertinage jusqu'Ă  provoquer la curiositĂŠ publique; mais d'Entragues, qui recevait les visites dans son lit, coiffĂŠ d'une cornette de dentelle, et les oreilles ornĂŠes de pendeloques, n'a pas eu le cynique naturel de rendre ses comptes Ă  la PostĂŠritĂŠ. Aurait-il su se faire pardonner comme notre charmant ĂŠtourdi?... LE CHEVR DE PERCEFLEUR, _Membre Correspondant de l'AcadĂŠmie des Dames_. OUVRAGES A CONSULTER.--Voisenon, _Anecdotes littĂŠraires, Œuvres complètes_, 1781, t. IV. D'Alembert, _Éloge de l'AbbĂŠ de Choisy. Lettres de L. B. Lauraguais Ă  madame_*** (Lettre II), Paris, 1802. AimĂŠ Champollion, _Notice sur l'AbbĂŠ de Choisy_, nouv. coll. des MĂŠm. relat. Ă  l'hist. de France, t. VI, 1839. Sainte-Beuve, _Causeries du Lundi_, t. III. D'Argenson, _MĂŠmoires_, Plon, 1857, t. I. MonmerquĂŠ, _Notice sur l'AbbĂŠ de Choisy et sur les MĂŠmoires_, en tĂŞte des MĂŠmoires de l'AbbĂŠ, dans la collect. Petitot des mĂŠm. relat. Ă  l'Hist. de France, t. LXIII, 2e sĂŠrie, Paris, 1828. Paul Lacroix, _Avant-Propos_, ĂŠd. Gay, 1862; Kistemaeker, 1880. Lesuire, _MĂŠmoires de l'AbbĂŠ de Choisy, pour servir Ă  l'Histoire de Louis XIV_, Paris, 1888, prĂŠface. Gustave Desnoiresterres, _Les Originaux, Choisy_, Revue franç. aoĂťt et sept. 1856. _Trois Faublas de ce temps-lĂ _, publ. par Servin, _manuscrit trouvĂŠ dans les panneaux d'une voiture de la cour_, Paris, Barba, 1803, 4 vol. in-12. (Les trois hĂŠros de ce roman sont le comte de Guiche, le peintre Ferdinand et l'AbbĂŠ de Choisy). Roger de Beauvoir, _l'AbbĂŠ de Choisy_ (roman), Paris, 1848, 3 vol. in-8. [Illustration: dĂŠco] I PREMIÈRES INTRIGUES DE L'ABBÉ DE CHOISY SOUS LE NOM DE MADAME DE SANCY Vous m'ordonnez, Madame, d'ĂŠcrire l'histoire de ma vie; en vĂŠritĂŠ, vous n'y songez pas. Vous n'y verrez assurĂŠment ni villes prises ni batailles gagnĂŠes; la politique n'y brillera pas plus que la guerre. Bagatelles, petits plaisirs, enfantillages, ne vous attendez pas Ă  autre chose; un naturel assez heureux, des inclinations douces, rien de noir dans l'esprit, joie partout, envie de plaire, passions vives, dĂŠfauts dans un homme, vertus du beau sexe, vous en serez honteuse en lisant, que serai-je donc en ĂŠcrivant? J'aurai beau chercher des excuses dans la mauvaise ĂŠducation, on ne m'excusera point. VoilĂ  bien des discours inutiles; vous commandez: j'obĂŠis; mais trouvez bon, Madame, que je ne vous obĂŠisse que par parties; j'ĂŠcrirai quelque acte de ma comĂŠdie, qui n'aura aucune liaison avec le reste; par exemple, il me prend envie de vous conter les grandes et mĂŠmorables aventures du faubourg Saint-Marceau. C'est une ĂŠtrange chose qu'une habitude d'enfance, il est impossible de s'en dĂŠfaire: ma mère, presque en naissant, m'a accoutumĂŠ aux habillements des femmes; j'ai continuĂŠ Ă  m'en servir dans ma jeunesse; j'ai jouĂŠ la comĂŠdie cinq mois durant sur le thÊâtre d'une grande ville, comme une fille; tout le monde y ĂŠtoit trompĂŠ; j'avois des amants Ă  qui j'accordois de petites faveurs, fort rĂŠservĂŠ sur les grandes; on parloit de ma sagesse. Je jouissois du plus grand plaisir qu'on puisse goĂťter en cette vie. Le jeu, qui m'a toujours persĂŠcutĂŠ, m'a guĂŠri de ces bagatelles pendant plusieurs annĂŠes, mais toutes les fois que je me suis ruinĂŠ et que j'ai voulu quitter le jeu, je suis retombĂŠ dans mes anciennes faiblesses et suis redevenu femme. J'ai achetĂŠ dans ce dessein une maison au faubourg Saint-Marceau, au milieu de la bourgeoisie et du peuple, afin de m'y pouvoir habiller Ă  ma fantaisie parmi des gens qui ne trouveroient point Ă  redire Ă  tout ce que je ferois. J'ai commencĂŠ par me faire repercer les oreilles, les anciens trous s'ĂŠtant rebouchĂŠs; j'ai mis des corsets brodĂŠs et des robes de chambre or et noir, avec des parements de satin blanc, avec une ceinture busquĂŠe et un gros nœud de rubans sur le derrière pour marquer la taille, une grande queue traĂŽnante, une perruque fort poudrĂŠe, des pendants d'oreilles, des mouches, un petit bonnet avec une fontange. D'abord j'avois seulement une robe de chambre de drap noir, fermĂŠe par-devant avec des boutonnières noires qui alloient jusques en bas, et une queue d'une demi-aune, qu'un laquais me portoit, une petite perruque peu poudrĂŠe, des boucles d'oreilles fort simples, et deux grandes mouches de velours aux tempes. J'allai voir monsieur le curĂŠ de Saint-MĂŠdard, qui loua fort ma robe, et me dit que cela avoit bien meilleure grâce que tous ces petits abbĂŠs avec leurs justaucorps et leurs petits manteaux qui n'imprimoient point de respect; c'est Ă  peu près l'habit de plusieurs curĂŠs de Paris. J'allai ensuite voir les marguilliers qui m'avoient louĂŠ un banc vis-Ă -vis la chaire du prĂŠdicateur, et puis je fis toutes les visites de mon quartier, la marquise d'Usson, la marquise de Menières et toutes mes autres voisines; je ne me mis point d'autres habillements pendant un mois, et ne manquai point d'aller tous les dimanches Ă  la grand'messe et au prĂ´ne de M. le curĂŠ, ce qui lui fit grand plaisir. J'allois, une fois la semaine, avec monsieur le vicaire, ou monsieur Garnier, que j'avois choisi pour mon confesseur, visiter les pauvres honteux, et leur faire quelques charitĂŠs. Mais, au bout d'un mois, je dĂŠfis trois ou quatre boutonnières du haut de ma robe, pour laisser entrevoir un corps de moire d'argent, que j'avois par-dessous; je mis des boucles d'oreilles de diamants, que j'avois achetĂŠes, il y avoit cinq ou six ans, de monsieur Lambert, joaillier; ma perruque devint un peu plus longue et plus poudrĂŠe et taillĂŠe en sorte qu'elle laissoit voir tout Ă  plein mes boucles d'oreilles, et je mis trois ou quatre petites mouches autour de la bouche ou sur le front. Je demeurai encore un mois sans m'ajuster davantage, afin que le monde s'y accoutumât insensiblement et crĂťt m'avoir vu toujours de mĂŞme; ce qui ne manqua pas d'arriver. Quand je vis que mon dessein rĂŠussissoit, j'ouvris aussitĂ´t cinq ou six boutonnières du bas de ma robe, pour laisser voir une robe de satin noir mouchetĂŠ, dont la queue n'ĂŠtoit pas si longue que celle de ma robe; j'avois encore par-dessous un jupon de damas blanc, qu'on ne voyoit que quand on me portoit la queue. Je ne mettois plus de haut-de-chausse; il me sembloit que cela ressembloit davantage Ă  une femme, et ne craignois point d'avoir froid: nous ĂŠtions en ĂŠtĂŠ. J'avois une cravate de mousseline, dont les glands venoient tomber sur un grand nœud de ruban noir, qui ĂŠtoit attachĂŠ au haut de mon corps de robe, ce qui n'empĂŞchoit pas qu'on ne me vĂŽt le haut des ĂŠpaules qui s'ĂŠtoient conservĂŠes assez blanches par le grand soin que j'en avois eu toute ma vie; je me lavois tous les soirs le col et le haut de la gorge avec de l'eau de veau et de la pommade de pieds de mouton, ce qui faisoit que la peau ĂŠtoit douce et blanche. Ainsi, peu Ă  peu, j'accoutumai le monde Ă  me voir ajustĂŠ. Je donnois Ă  souper Ă  madame d'Usson et Ă  cinq ou six de mes voisines, lorsque monsieur le curĂŠ me vint voir Ă  7 heures du soir; nous le priâmes de souper avec nous; il est bon homme, il demeura. --DĂŠsormais, me dit madame d'Usson, je vous appellerai madame. Elle me tourna et retourna devant monsieur le curĂŠ, en lui disant: --N'est-ce pas lĂ  une belle dame? --Il est vrai, dit-il; mais elle est en masque. --Non, monsieur, lui dis-je, non; Ă  l'avenir, je ne m'habillerai plus autrement; je ne porte que des robes noires doublĂŠes de blanc, ou des robes blanches doublĂŠes de noir; on ne me sauroit rien reprocher. Ces dames me conseillent, comme vous voyez, cet habillement, et m'assurent qu'il ne me sied pas mal; d'ailleurs, je vous dirai que je soupai, il y a deux jours, chez madame la marquise de Noailles; monsieur son beau-frère y vint en visite, et loua fort mon habillement, et, devant lui, toute la compagnie m'appeloit _madame_. --Ah! dit monsieur le curĂŠ, je me rends Ă  une pareille autoritĂŠ, et j'avoue, madame, que vous ĂŞtes fort bien. On vint avertir que le souper ĂŠtoit servi; on demeura Ă  table jusqu'Ă  11 heures, et mes gens reconduisirent monsieur le curĂŠ. Depuis ce temps-lĂ , je l'allai voir et ne fis plus de façon d'aller partout en robe de chambre, et tout le monde s'y accoutuma. J'ai cherchĂŠ d'oĂš me vient un plaisir si bizarre, le voici: le propre de Dieu est d'ĂŞtre aimĂŠ, adorĂŠ; l'homme, autant que sa faiblesse le permet, ambitionne la mĂŞme chose; or, comme c'est la beautĂŠ qui fait naĂŽtre l'amour, et qu'elle est ordinairement le partage des femmes, quand il arrive que des hommes ont ou croient avoir quelques traits de beautĂŠ qui peuvent les faire aimer, ils tâchent de les augmenter par les ajustements des femmes, qui sont fort avantageux. Ils sentent alors le plaisir inexprimable d'ĂŞtre aimĂŠ. J'ai senti plus d'une fois ce que je dis par une douce expĂŠrience, et quand je me suis trouvĂŠ Ă  des bals et Ă  des comĂŠdies, avec de belles robes de chambre, des diamants et des mouches, et que j'ai entendu dire tout bas auprès de moi: ÂŤVoilĂ  une belle personneÂť, j'ai goĂťtĂŠ en moi-mĂŞme un plaisir qui ne peut ĂŞtre comparĂŠ Ă  rien, tant il est grand. L'ambition, les richesses, l'amour mĂŞme ne l'ĂŠgalent pas, parce que nous nous aimons toujours mieux que nous n'aimons les autres. Je donnois de temps en temps et assez souvent Ă  souper Ă  mes voisines; je ne me piquois point de faire des festins; c'ĂŠtoit ordinairement les dimanches et les fĂŞtes; les bourgeois sont plus propres ces jours-lĂ  et n'ont qu'Ă  se rĂŠjouir. Un jour que j'avois priĂŠ madame Dupuis et ses deux filles, monsieur Renard, sa femme, sa petite-fille qu'on appeloit mademoiselle Charlotte, et son petit-fils qu'on appeloit monsieur de la Neuville, il ĂŠtoit 6 heures du soir, nous ĂŠtions dans ma bibliothèque qui ĂŠtoit fort ĂŠclairĂŠe; un lustre de cristal, bien des miroirs, des tables de marbre, des tableaux, des porcelaines: le lieu ĂŠtoit magnifique. Je m'ĂŠtois fort ajustĂŠ ce jour-lĂ ; j'avois une robe de damas blanc, doublĂŠe de taffetas noir, la queue traĂŽnoit d'une demi-aune; un corps de grosse moire d'argent qu'on voyoit entièrement, un gros nœud de ruban noir au haut du corps, sur lequel pendoit une cravate de mousseline avec des glands, une jupe de velours noir, dont la queue n'ĂŠtoit pas si longue que celle de la robe, deux jupons blancs par-dessous, qu'on ne voyoit point--c'ĂŠtoit pour n'avoir pas froid, car depuis que je portois des jupes, je ne me servois plus de haut-de-chausse, je me croyois vĂŠritablement femme.--J'avois ce jour-lĂ  mes belles boucles d'oreilles de diamants brillants, une perruque bien poudrĂŠe et douze ou quinze mouches. Monsieur le curĂŠ arriva pour me rendre visite; tout le monde fut gai de le voir: il est fort aimĂŠ dans la paroisse. --Ah! madame, me dit-il en entrant, vous voilĂ  bien parĂŠe! Allez-vous au bal? --Non, monsieur, lui dis-je, mais je donne Ă  souper Ă  mes belles voisines, et serois bien aise de leur plaire. On s'assit, on dit des nouvelles (monsieur le curĂŠ les aime fort). On trouvoit toujours sur ma table les _Gazettes_, les _Journaux des Savants_, les _TrĂŠvoux_ et les _Mercure galant_, et chacun prenoit ce qu'il aimoit le mieux. Je lui fis lire une petite histoire qui ĂŠtoit dans le _Mercure_ du dernier mois, oĂš il ĂŠtoit parlĂŠ d'un homme de qualitĂŠ qui vouloit ĂŞtre femme Ă  cause qu'il ĂŠtoit beau, Ă  qui on faisoit plaisir de l'appeler madame, qui mettoit de belles robes d'or, des jupes, des pendants d'oreilles, des mouches, qui avoit des amants. --Je vois bien, leur dis-je, que cela me ressemble, mais je ne sais si je dois m'en fâcher. --Ah! pourquoi, madame, dit mademoiselle Dupuis, pourquoi vous en fâcher? Cela n'est-il pas vrai? D'ailleurs, dit-il du mal de vous? Au contraire, il dit que vous ĂŞtes belle. Pour moi, je voudrois qu'Ă  la franquette il eĂťt mis votre nom, afin que tout le monde parlât davantage de vous, et j'ai envie de l'aller trouver et de lui en donner l'avis. --Gardez-vous en bien, lui dis-je, je veux bien ĂŞtre belle parmi vous, mais je ne vais dans la ville, parĂŠe comme je suis, que le moins qu'il m'est possible; le monde est si mĂŠchant, et c'est une chose si rare de voir un homme souhaiter d'ĂŞtre femme, qu'on est exposĂŠ souvent Ă  de mauvaises plaisanteries. --Que dites-vous lĂ , madame? interrompit monsieur le curĂŠ; avez-vous jamais trouvĂŠ personne qui ait condamnĂŠ votre conduite Ă  cet ĂŠgard? --Oui dĂ ! monsieur, j'en ai trouvĂŠ; j'avois un oncle conseiller d'État, nommĂŠ monsieur ***, qui, sachant que je m'habillois en femme, me vint trouver un matin pour me bien gronder; j'ĂŠtois Ă  ma toilette et venois de prendre ma chemise; je me levai. ÂŤNon, dit-il, asseyez-vous et vous habillez.Âť Il s'assit aussitĂ´t vis-Ă -vis de moi. ÂŤPuisque vous me l'ordonnez, lui dis-je, mon cher oncle, je vous obĂŠis. Il est 11 heures, et il faut aller Ă  la messe.Âť On me mit un corps lacĂŠ par derrière, et ensuite une robe de velours noir ciselĂŠ, une jupe de mĂŞme, par-dessus un jupon ordinaire, une cravate de mousseline et une stinquerque or et noir; j'avois gardĂŠ jusque-lĂ  mes cornettes de nuit; je mis une perruque fort frisĂŠe et fort poudrĂŠe. Le bonhomme ne disoit mot. ÂŤCela sera bientĂ´t fait, cher oncle, lui dis-je; je n'ai plus qu'Ă  mettre mes pendants d'oreilles et cinq ou six mouchesÂť; ce que je fis en ce moment. ÂŤA ce que je vois, me dit-il, il faut que je t'appelle ma nièce. En vĂŠritĂŠ, tu es bien jolie.Âť Je lui sautai au col, et le baisai deux ou trois fois; il ne me fit point d'autres rĂŠprimandes, me fit monter dans son carrosse, et me mena Ă  la messe et dĂŽner chez lui. La petite historiette fit plaisir Ă  la compagnie. Monsieur le curĂŠ fit semblant de s'en aller, et demeura. On soupa bien, avec joie et innocence, on but Ă  la fin du vin brĂťlĂŠ; j'avois priĂŠ tout bas mademoiselle Dupuis de proposer Ă  la compagnie d'aller au petit cabinet du jardin, je dis que je le voulois bien. Monsieur de la Neuville me donna la main pour m'y conduire; j'appelai un laquais pour prendre mes queues. --Non, non, dit mademoiselle Dupuis, je les veux porter; les filles d'honneur portent les queues des princesses. --Mais, lui dis-je, je ne suis pas princesse! --Eh bien! madame, vous le serez ce soir, et moi fille d'honneur. --Ne la serez-vous que ce soir? dit en riant monsieur de la Neuville. Je me mis Ă  rire aussi, et lui dis gravement: --Puisque je suis princesse, je vous fais l'une de mes filles d'honneur; prenez ma queue. Nous descendĂŽmes au cabinet, et Ă  peine la compagnie put-elle tenir, tant il est petit. On se mit sur des canapĂŠs qui sont tout autour, et pour rĂŠjouir mes amies, je leur dis que je leur permettois de me venir saluer et baiser; tout le monde y passa en revue, et sur ce que monsieur le curĂŠ, par modestie, ne venoit pas Ă  son tour, je me levai et l'allai embrasser de tout mon cœur. J'avois un banc vis-Ă -vis la chaire du prĂŠdicateur; les marguilliers m'envoyoient toujours un cierge allumĂŠ pour aller Ă  la procession, et je les suivois immĂŠdiatement; un laquais me portoit la queue, et le jour du Saint-Sacrement, comme la procession faisoit un grand tour, elle alloit jusques aux Gobelins; monsieur de la Neuville me donnoit la main, et me servoit d'ĂŠcuyer. Au bout de cinq Ă  six mois, on m'apporta le chanteau pour rendre le pain bĂŠnit; je fis la chose fort magnifiquement, mais je ne voulus point de trompettes. Ces marguilliers me dirent qu'il falloit qu'une femme prĂŠsentât le pain bĂŠnit, et quĂŞtât, et qu'ils se flattoient que je voudrois bien leur faire cet honneur-lĂ . Je ne savois ce que je devois faire; madame la marquise d'Usson me dĂŠtermina et me dit qu'elle avoit quĂŞtĂŠ elle-mĂŞme, et que cela feroit plaisir Ă  toute la paroisse. Je ne me fis pas prier davantage, mais je m'y prĂŠparai comme Ă  une fĂŞte qui devoit me montrer en spectacle Ă  tout un grand peuple. Je fis faire une robe de chambre de damas blanc de la Chine, doublĂŠe de taffetas noir: j'avois une ĂŠchelle de rubans noirs, des rubans sur les manches, et derrière, une grande touffe de rubans noirs pour marquer la taille. Je crus qu'en cette occasion il falloit une jupe de velours noir; nous ĂŠtions au mois d'octobre, le velours ĂŠtoit de saison. J'ai toujours depuis portĂŠ deux jupes, et j'ai fait retrousser mes manteaux avec de gros nœuds de rubans. Ma coiffure ĂŠtoit fort galante: un petit bonnet de taffetas noir chargĂŠ de rubans ĂŠtoit attachĂŠ sur une perruque qui ĂŠtoit fort poudrĂŠe; madame de Noailles m'avoit prĂŞtĂŠ ses grands pendants d'oreilles de diamants brillants, et dans le cĂ´tĂŠ gauche de mes cheveux j'avois cinq ou six poinçons de diamants et de rubis; trois ou quatre grandes mouches, et plus d'une grande douzaine de petites. J'ai toujours fort aimĂŠ les mouches, et je trouve qu'il n'y a rien qui sied si bien. J'avois une stinquerque de Malines, qui faisoit semblant de cacher une gorge; enfin j'ĂŠtois bien parĂŠe; je prĂŠsentai le pain bĂŠnit, et j'allai Ă  l'offrande d'assez bonne grâce, Ă  ce qu'on m'a dit, et puis je quĂŞtai. Ce n'est pas pour me vanter, mais jamais on n'a fait tant d'argent Ă  Saint-MĂŠdard. Je quĂŞtai le matin Ă  la grand'messe, et l'après-dĂŽnĂŠe Ă  vĂŞpres et au salut; j'avois un ĂŠcuyer qui ĂŠtoit monsieur de la Neuville, une femme de chambre qui me suivoit, et trois laquais, dont un me portoit la queue. On me fit la guerre que j'avois ĂŠtĂŠ un peu coquette, sur ce qu'en passant sur les chaises je m'arrĂŞtois quelquefois pendant que le bedeau me faisoit faire place, et m'amusois Ă  me mirer pour rajuster quelque chose Ă  mes pendants d'oreilles ou Ă  ma stinquerque, mais je ne le fis que le soir au salut, et peu de gens s'en aperçurent. Je fatiguai beaucoup toute la journĂŠe, mais j'avois eu tant de plaisir de me voir applaudir de tout le monde, que je ne me sentis lasse que quand je fus couchĂŠe. J'oubliois de dire que je fis deux cent soixante et douze livres. Il y eut trois jeunes hommes fort bien faits, que je ne connaissois point, qui me donnèrent chacun un louis d'or; je crus que c'ĂŠtoient des ĂŠtrangers; il est certain qu'il y vint beaucoup de gens d'autres paroisses, sachant que j'y devois quĂŞter, et j'avoue que le soir, au salut, j'eus un grand plaisir. Il ĂŠtoit nuit, on parle plus librement; j'entendis, Ă  deux ou trois reprises, en diffĂŠrents endroits de l'ĂŠglise, des gens qui disoient: --Mais est-il bien vrai que ce soit lĂ  un homme? Il a bien raison de vouloir passer pour une femme. Je me retournai de leur cĂ´tĂŠ, et fis semblant de demander Ă  quelqu'un, afin de leur donner le plaisir de me voir. On peut juger que cela me confirma ĂŠtrangement dans le goĂťt d'ĂŞtre traitĂŠ comme une femme. Ces louanges me paraissoient des vĂŠritĂŠs qui n'ĂŠtoient point mendiĂŠes: ces gens-lĂ  ne m'avoient jamais vu, et ne songeoient point Ă  me faire plaisir. La vie que je menois dans ma petite maison du faubourg Saint-Marceau ĂŠtoit assez douce. Mes affaires ĂŠtoient en bon ĂŠtat, mon frère venoit de mourir, et m'avoit laissĂŠ, toutes dettes payĂŠes, près de cinquante mille ĂŠcus; j'avois d'assez beaux meubles, de la vaisselle d'argent, un peu de vermeil dorĂŠ, des boucles d'oreilles de diamants brillants, deux bagues qui valoient bien quatre mille francs, une boucle de ceinture et des bracelets de perles et de rubis. Ma maison ĂŠtoit fort commode; j'avois un carrosse Ă  quatre personnes et un Ă  deux, quatre chevaux de carrosse, un cocher et un postillon qui servoit de portier, un aumĂ´nier, un valet de chambre dont la sœur faisoit ma dĂŠpense et avoit soin de m'habiller, trois laquais, un cuisinier, une laveuse d'ĂŠcuelles, et un savoyard pour frotter mon appartement. Je donnois Ă  souper fort souvent Ă  mes voisines, et quelquefois Ă  monsieur le curĂŠ et Ă  monsieur Garnier, et sans me piquer de faire grande chère, je la faisois assez bonne; j'avois quelquefois des concerts, j'envoyois mon carrosse Ă  Descotaux, mon ancien ami; je faisois le soir des petites loteries de bagatelles: cela avoit un air de magnificence; je menois mes voisines Ă  l'OpĂŠra, Ă  la ComĂŠdie; on trouvoit toujours chez moi du cafĂŠ, du thĂŠ et du chocolat, je faisois dire tous les jours la messe Ă  mon aumĂ´nier, Ă  la prĂŠsentation, Ă  midi et demi; toutes les paresseuses du quartier n'y manquoient pas, et comme je me couchois fort tard, on venoit m'ĂŠveiller souvent pour m'avertir que la messe sonnoit; je mettois vite une robe de chambre, une jupe et une coiffe de taffetas pour cacher mes cornettes de nuit, et courois l'entendre; je n'aimois pas Ă  la perdre. Enfin, il me sembloit que tout le monde ĂŠtoit content de moi, lorsque l'amour vint troubler mon bonheur. Deux demoiselles mes voisines me tĂŠmoignoient beaucoup d'amitiĂŠ et ne faisoient aucune façon de me baiser; c'ĂŠtoit Ă  qui m'ajusteroit; je leur donnois assez souvent Ă  souper, elles venoient toujours de bonne heure, et ne songeoient qu'Ă  me parer; l'une m'accommodoit mon bonnet, et l'autre redressoit mes pendants d'oreilles; chacune demandoit comme une grande faveur l'intendance des mouches; elles n'ĂŠtoient jamais placĂŠes Ă  leur grĂŠ, et en les changeant de place, elles me baisoient Ă  la joue ou au front; elles s'ĂŠmancipèrent un jour Ă  me baiser Ă  la bouche d'une manière si pressante et si tendre, que j'ouvris les yeux et m'aperçus que cela partoit de plus que de la bonne amitiĂŠ; je dis tout bas Ă  celle qui me plaisoit davantage (c'ĂŠtoit mademoiselle Charlotte): --Mademoiselle, serois-je assez heureux pour ĂŞtre aimĂŠ de vous? --Ah! madame, me rĂŠpondit-elle en me serrant la main, peut-on vous voir sans vous aimer! Nous eĂťmes bientĂ´t fait nos conditions; nous nous promĂŽmes un secret et une fidĂŠlitĂŠ inviolables. --Je ne me suis point dĂŠfendue, me disoit-elle un jour, comme j'aurois fait contre un homme: je ne voyois qu'une belle dame, et pourquoi se dĂŠfendre de l'aimer? Quels avantages vous donnent les habits de femme! Le cœur de l'homme y est qui fait ses impressions sur nous, et d'un autre cĂ´tĂŠ, les charmes du beau sexe nous enlèvent tout d'un coup et nous empĂŞchent de prendre nos sĂťretĂŠs. Je rĂŠpondois Ă  sa tendresse de toute la mienne; mais quoique que je l'aimasse beaucoup, je m'aimois encore davantage, et ne songeois qu'Ă  plaire au genre humain. Nous nous ĂŠcrivions tous les jours, mademoiselle Charlotte et moi, et nous nous voyions Ă  tous moments: la fenĂŞtre de sa chambre ĂŠtoit vis-Ă -vis de la mienne, le petite rue de Sainte-Geneviève entre deux. Ses lettres ĂŠtoient ĂŠcrites avec une simplicitĂŠ charmante; je lui en ai rendu plus de cent, comme je le dirai dans la suite; il ne m'en reste que deux, par hasard. PREMIÈRE LETTRE ÂŤQue vous ĂŠtiez aimable hier au soir, madame! J'eus bien du plaisir, et j'eus envie cent fois de vous aller baiser devant tout le monde. Eh bien! on eĂťt dit que je vous aime, cela n'est-il pas vrai? Je ne veux point le cacher, et si vous ne le dites pas, je le dirai, moi. Mon grand-papa me dit tout bas: ÂŤMa fille, je crois que madame de Sancy t'aime: tu serais bien heureuse. Oh! dame! je ne puis pas me retenir et je lui dis: ÂŤMon papa, nous nous aimons de tout notre cœur, mais madame ne veut pas qu'on le sache.Âť Adieu, voilĂ  ma belle-mère qui entre.Âť (Cette belle-mère la tourmentait.) DEUXIÈME LETTRE ÂŤEn vĂŠritĂŠ, monsieur, je suis au dĂŠsespoir; je voudrais ne vous avoir jamais connu, qu'il m'en eĂťt coĂťtĂŠ grand'chose pour le chagrin que vous me causez. Je crois que l'on a dĂŠcouvert quelque chose de notre petite amitiĂŠ; c'est vous seul qui en ĂŞtes la cause: pourquoi me parlez-vous tout bas Ă  l'oreille? Il y a du temps que l'on m'espionne. Je ne sais pas si c'est que l'on m'a vue aller au cabinet, mais l'on m'a fait des rĂŠprimandes qui ne me plaisent pas. Quand vous viendrez, ne cessez pas de me parler; ne faites pas semblant de rien, afin que l'on croie s'ĂŞtre trompĂŠ. Le Saint-Esprit m'a inspirĂŠ de ne point aller chez vous. Je fus chez mademoiselle Dupuis, l'on m'y vint chercher; je fus après cela chez ma tante, l'on y vint encore; donnez-vous bien de garde de ne me point jeter rien par la fenĂŞtre. En vĂŠritĂŠ, monsieur, je suis bien malheureuse de vous aimer. Je vous ĂŠcris cette lettre avec toutes les peines du monde: je ne suis pas un moment dans ma chambre que l'on ne vienne voir ce que j'y fais. Ne m'attendez plus au pavillon. Pour moi, je ne sais pas si l'on se doute que vous me donnez des lettres; quand vous m'en donnerez, ne m'en donnez qu'Ă  bonnes enseignes, que l'on ne s'en aperçoive pas. Je vous avoue que j'ai bien du chagrin; si ce n'ĂŠtait pour un peu, je m'en irais passer trois mois dans un couvent. Qu'en dites-vous? Ne me demandez point: N'avez-vous rien Ă  me donner? Quand j'aurai quelque lettre, je vous la donnerai quand j'en pourrai trouver les occasions.Âť On fit, en ce temps-lĂ , une noce chez une personne de qualitĂŠ de mes parentes et de mes bonnes amies; j'y avois dĂŽnĂŠ, et je rĂŠsolus d'y aller en masque après souper; il devoit y avoir des violons. J'allai aussitĂ´t chez moi, et proposai Ă  mes belles voisines de leur donner Ă  souper, et de se masquer ensuite. De jeunes personnes ne demandent pas mieux. Je fis habiller mademoiselle Charlotte en garçon, je louai un habit complet, fort propre, avec une belle perruque; c'ĂŠtait un fort joli cavalier. On me reconnut d'abord, parce qu'on y avoit vu souvent ma robe de chambre; ainsi je fus obligĂŠ d'Ă´ter mon masque et de me mettre dans le rang des dames du bal; le reste de la troupe demeura masquĂŠ. Charlotte me prit pour danser; la compagnie fut assez contente du menuet que nous dansâmes ensemble; l'agitation ne me fit point de tort, et je revins Ă  ma place avec un rouge que je n'avois pas avant que de danser. La maĂŽtresse du logis qui n'est pas louangeuse, me vint embrasser et me dit tout bas: --J'avoue, ma chère cousine, que cet habillement vous sied bien; vous ĂŞtes, ce soir, belle comme un ange. Je changeai de discours, et appelai Charlotte qui Ă´ta son masque et laissa voir un petit minois fort aimable. --VoilĂ , madame, lui dis-je, mon petit amant; n'est-il pas bien joli? On vit bien que c'ĂŠtoit une fille; elle remit son masque et me donna la main pour nous en aller. La petite Charlotte me servit d'ĂŠcuyer pendant toute la soirĂŠe, et nous nous en aimions bien mieux; elle s'en aperçut et me dit tendrement: --HĂŠlas! madame, je m'aperçois que vous m'aimez davantage en justaucorps; que ne m'est-il permis d'en porter toujours! J'achetai dès le lendemain l'habit que j'avois louĂŠ pour elle et qui sembloit fait exprès; je le fis mettre dans une armoire avec la perruque, les gants, la cravate et le chapeau, et lorsque mes voisines me vinrent voir, le hasard fit qu'on ouvrit cette armoire et qu'on vit cet habit; aussitĂ´t on se jeta dessus, et c'est ce que je demandois: on le mit Ă  la petite fille, et la voilĂ  redevenue un beau garçon. Après la visite, elle voulut se dĂŠshabiller; je ne voulus jamais le souffrir, et lui dis que je lui en faisois prĂŠsent, qu'aussi bien je ne le mettrois jamais, et que, pour me le payer, je lui demandois seulement qu'elle le mĂŽt toutes les fois que mes voisines me feroient l'honneur de venir souper chez moi. La tante de Charlotte, car elle n'avoit plus ni père ni mère, fit quelques façons, et puis se rendit, toutes les autres lui ayant protestĂŠ qu'elles feroient un pareil marchĂŠ quand je voudrois. Ainsi j'eus le plaisir de l'avoir souvent garçon, et comme j'ĂŠtois femme, cela faisoit le vĂŠritable mariage. J'avois un cabinet au bout de mon jardin, et il y avoit une porte de derrière par oĂš elle venoit me voir le plus souvent qu'elle pouvoit, et nous avions des signaux pour nous entendre. Quand elle ĂŠtoit entrĂŠe dans le cabinet, je lui mettois une perruque afin de m'imaginer que c'ĂŠtoit un garçon; elle n'avoit pas de peine, de son cĂ´tĂŠ, Ă  s'imaginer que j'ĂŠtois une femme; ainsi tous deux contents, nous avions bien du plaisir. J'avois dans mon cabinet beaucoup de beaux portraits; je proposai Ă  mes deux jeunes voisines de les faire peindre, mais Ă  condition que Charlotte seroit peinte en cavalier. Sa tante qui mouroit d'envie d'avoir son portrait, y consentit; je voulus en mĂŞme temps me faire peindre en femme, afin de faire un regard avec ma petite amie; je n'avois point de vanitĂŠ, elle ĂŠtoit bien plus belle que moi. Je fis venir monsieur de Troyes, qui nous peignit dans mon cabinet; cela dura un mois, et quand les deux portraits furent faits, et dans de belles bordures, on les pendit dans mon cabinet l'un auprès de l'autre, et chacun disoit: ÂŤVoilĂ  un beau couple; il faudroit les marier, ils s'aimeroient bien.Âť Mes voisins et voisines rioient en disant cela et ne croyoient pas si bien dire; les mères, en mille ans, ne se seroient pas dĂŠfiĂŠes de moi, et je crois,--Dieu me veuille pardonner!--que sans aucun scrupule elles m'auroient laissĂŠ coucher avec leurs filles; nous nous baisions Ă  tous moments, sans qu'elles le trouvassent mauvais. Une vie si douce fut troublĂŠe par la jalousie. Mademoiselle ***--elle m'aimoit aussi,--s'aperçut bientĂ´t que je ne l'aimois pas; je ne me pressois pas de la faire peindre; elle observa sa compagne, et la vit entrer dans mon cabinet par la petite porte de derrière. Elle courut en avertir la tante qui d'abord voulut gronder sa nièce, mais la pauvre enfant lui parla avec tant de simplicitĂŠ qu'elle n'en eut pas le courage. --Ma chère tante, lui dit-elle en l'embrassant, il est bien vrai que Madame m'aime; elle m'a fait cent petits prĂŠsents, et peut faire ma fortune; vous savez, ma chère tante, que nous ne sommes pas riches; elle me prie de la venir voir toute seule dans son cabinet; j'y ai ĂŠtĂŠ cinq ou six fois, mais Ă  quoi croyez-vous que nous passions le temps? Ă  habiller madame, qui veut aller faire quelque visite, Ă  la coiffer, Ă  mettre ses pendants d'oreilles et ses mouches, Ă  parler de sa beautĂŠ. Je vous assure, ma chère tante, qu'elle ne songe qu'Ă  cela; je lui dis sans cesse, ÂŤMadame, que vous ĂŞtes belle aujourd'hui!Âť elle m'embrasse lĂ -dessus, et me dit: ÂŤMa chère Charlotte, si tu pouvois toujours ĂŞtre habillĂŠe en garçon, je t'en aimerois bien mieux, et nous nous marierions; il faut que nous trouvions le moyen de coucher ensemble sans que Dieu y soit offensĂŠ. Ma famille n'y consentiroit jamais, mais nous pourrions faire un mariage de conscience. Si la tante veut venir demeurer avec moi, je lui donnerai un appartement dans ma maison, et ma table; mais je veux que tu sois toujours habillĂŠe en garçon; un de mes laquais te servira.Âť VoilĂ , ma chère tante, de quoi nous nous entretenons; or, voyez vous-mĂŞme, si cela arrivoit, si nous ne serions pas bien heureuses? A ces douces paroles, la tante s'apaisa, et ma petite amie, pour mieux jouer son jeu, la mena au petit cabinet. La première fois qu'elle y vint, je l'accablai d'amitiĂŠs, et lui offris de faire avec sa nièce une simple alliance fort innocente. Elle dit qu'elle feroit tout ce que je voudrois. Je fis donc prĂŠparer toutes choses pour faire la fĂŞte le jeudi gras. Je priai tous les parents de Charlotte; elle avoit deux cousins germains, corroyeurs et tanneurs, leurs femmes et trois de leurs enfants; tout cela vint souper chez moi. Je me parai de toutes mes pierreries et eus une robe neuve; j'avois fait faire un habit neuf Ă  la petite fille, que je fis appeler monsieur de Maulny, du nom d'une terre de deux mille livres de rente, que je voulois lui donner. Nous fĂŽmes la cĂŠrĂŠmonie avant souper, afin de nous mieux rĂŠjouir toute la soirĂŠe; j'avois une robe de moire d'argent et un petit bouquet de fleurs d'oranger derrière la tĂŞte comme la mariĂŠe; je dis tout haut, devant tous les parents, que je prenois monsieur de Maulny ci-prĂŠsent pour mon mari, et il dit qu'il prenoit madame de Sancy pour sa femme; nous nous touchâmes dans la main, il me mit au doigt une petite bague d'argent, et nous nous baisâmes; j'appelai aussitĂ´t les corroyeurs mes cousins, et les corroyeuses mes cousines; ils croyoient que je leur faisois beaucoup d'honneur. Nous soupâmes ensuite fort bien, on se promena dans le jardin, on dansa aux chansons. Je fis des petits prĂŠsents Ă  la compagnie, des tabatières, des cravates brodĂŠes, des coiffes, des gants, des stinquerques; je donnai Ă  la tante une bague de cinquante louis, et quand tous les esprits furent bien disposĂŠs, mon valet de chambre, qui avoit le mot, vint dire tout haut qu'il ĂŠtoit près de minuit; chacun dit qu'il falloit coucher les mariĂŠs; le lit ĂŠtoit tout prĂŞt et la chambre fort ĂŠclairĂŠe; je me mis Ă  ma toilette; on me coiffa de nuit avec de belles cornettes et force rubans sur la tĂŞte; on me mit au lit. Monsieur de Maulny, Ă  ma prière, s'ĂŠtoit fait couper les cheveux en homme, de sorte qu'après que je fus couchĂŠe, il parut en robe de chambre, son bonnet de nuit Ă  la main, et ses cheveux attachĂŠs par derrière avec un ruban de couleur feu; il fit quelque façon pour se coucher, et puis se vint mettre auprès de moi. Tous les parents vinrent nous baiser, la bonne tante nous tira le rideau, et chacun s'en alla chez soi. C'est alors que nous nous abandonnâmes Ă  la joie, sans sortir des bornes de l'honnĂŞtetĂŠ; ce qui est difficile Ă  croire et ce qui est pourtant vrai. Le lendemain de notre alliance ou de notre prĂŠtendu mariage, j'avois fait mettre Ă  ma porte un ĂŠcriteau Ă  louer au deuxième ĂŠtage; la tante le loua et y vint demeurer avec Charlotte qui ĂŠtoit toujours habillĂŠe en homme dans la maison, parce que cela me faisoit plaisir; mes valets n'osoient pas la nommer autrement que monsieur de Maulny. J'envoyois quelquefois le matin chercher des marchands pour me montrer des ĂŠtoffes, afin qu'ils me vissent dans mon lit avec mon cher mari; on nous apportoit devant eux des croĂťtes pour dĂŠjeuner, et nous nous donnions une petite marque d'amitiĂŠ; ensuite monsieur prenoit sa robe de chambre et s'alloit habiller dans son appartement, et je demeurois avec mes marchands Ă  choisir mes ĂŠtoffes. Il se trouve quelquefois des garçons qui ont de l'esprit et qui me parloient de la bonne mine et des grâces de monsieur de Maulny, quand il ĂŠtoit sorti: --Ne suis-je pas heureuse, leur disois-je, d'avoir un mari si bien fait et si doux? car il ne me contredit en rien; aussi je l'aime de tout mon cœur. --Madame, me rĂŠpliquoient-ils, vous n'en mĂŠritez pas moins. Une belle dame demande un beau cavalier. Au reste, notre maison ĂŠtoit fort bien rĂŠglĂŠe; Ă  la rĂŠserve de la petite foiblesse que j'avois de vouloir passer pour femme, on ne me pouvoit rien reprocher. J'allois tous les jours Ă  la messe Ă  pied, dans un des petits couvents qui sont autour de ma maison; un laquais me portoit mes queues, et les autres un tabouret de velours noir pour m'agenouiller, et mon sac aux heures. J'allois une fois la semaine avec monsieur le curĂŠ ou monsieur Garnier, visiter les pauvres honteux et leur faire des charitĂŠs; cela me faisoit connoĂŽtre dans toute la paroisse, et j'entendois les porteuses d'eau et les fruitières qui disoient assez haut derrière nous: --VoilĂ  une bonne dame; Dieu la bĂŠnisse! --Pourquoi, disoit l'une un jour, quand elles sont si belles, a n'aiment qu'elles, a n'aiment point les pauvres? Une autre fois, une vendeuse de pommes Ă  qui j'achetai tout le devanteau pour le donner Ă  une pauvre famille, me dit en joignant les mains: --Dieu soit avec vous! ma bonne dame, et vous conserve encore cinquante ans aussi fraĂŽche que vous ĂŞtes! Ces sortes de louanges naĂŻves font grand plaisir, et mĂŞme je m'aperçus que monsieur le curĂŠ n'y ĂŠtoit pas insensible: --Vous voyez, madame, me disoit-il, que Dieu rĂŠcompense les bonnes œuvres par de petits plaisirs humains; vous aimez un peu votre personne, il faut que vous en tombiez d'accord, et parce que vous faites des bonnes œuvres, vous en ĂŞtes rĂŠcompensĂŠe par les acclamations du peuple, et nous sommes forcĂŠs d'applaudir nous-mĂŞmes Ă  ce que nous appellerions foiblesse dans un autre. Nous achevions ainsi en discourant nos petites courses, et puis nous venions Ă  la paroisse entendre la messe, et j'y retrouvois mes laquais Ă  qui je donnois ordre de s'y trouver Ă  une certaine heure pour me reconduire au logis. Je hasardai un jour d'aller Ă  la comĂŠdie avec mon cher Maulny et sa tante, mais je fus trop regardĂŠe, trop considĂŠrĂŠe; vingt personnes par curiositĂŠ vinrent m'attendre Ă  la porte lorsque nous remontâmes en carrosse. Quelques-uns furent assez insolents pour me faire des compliments sur ma beautĂŠ, Ă  quoi je ne rĂŠpondis que par une mine modeste et dĂŠdaigneuse; mais je n'y retournai pas de longtemps, pour ĂŠviter scandale. L'opĂŠra n'est pas de mĂŞme; comme les places y sont chères et qu'on veut profiter du spectacle, chacun s'y tient en respect, et j'y ai ĂŠtĂŠ vingt fois sans qu'on m'ait jamais rien dit. Je pris alors la rĂŠsolution de demeurer souvent dans ma maison, ou du moins dans mon quartier du faubourg, oĂš je pouvois faire tout ce qui me plaisoit sans qu'on y trouvât Ă  redire. Il m'arriva un petit accident en me promenant dans mon jardin. Je me donnai une entorse si violente qu'il me fallut garder le lit huit ou dix jours, et la chambre plus de trois semaines. Je tâchai de m'amuser; mon appartement ĂŠtoit magnifique, mon lit ĂŠtoit de damas cramoisi et blanc, la tapisserie, les rideaux des fenĂŞtres et les portières de mĂŞme, un grand trumeau de glace, trois grands miroirs, une glace sur la cheminĂŠe, des porcelaines, des cabinets du Japon, quelques tableaux Ă  bordures dorĂŠes, la cheminĂŠe de marbre blanc, un chandelier de cristal, sept ou huit plaques oĂš, le soir, on allumoit des bougies; mon lit ĂŠtoit Ă  la duchesse, les rideaux rattachĂŠs avec des rubans de taffetas blanc; mes draps ĂŠtoient Ă  dentelles, trois gros oreillers, et trois ou quatre petits attachĂŠs dans les coins avec des rubans couleur de feu. J'ĂŠtois ordinairement Ă  mon sĂŠant avec un corset de Marseille et une ĂŠchelle de rubans noirs, une cravate de mousseline et un gros nœud de rubans sous le col, une petite perruque fort poudrĂŠe qui laissoit voir mes pendants d'oreilles de diamants, cinq ou six mouches et beaucoup de gaietĂŠ, parce que je n'ĂŠtois point malade. Mes voisins et mes voisines me tenoient compagnie toutes les après-dĂŽnĂŠes, et j'en retenois les soirs cinq ou six Ă  souper; j'avois quelquefois de la musique, et jamais de jeu, je ne pouvois pas souffrir les cartes; je reçus en cet ĂŠtat beaucoup de visites, et chacun me faisoit compliment sur mon ajustement, oĂš l'on ne trouva rien que de modeste, car il est bon de remarquer que je ne portois jamais que des rubans noirs. Dès que mon pied fut un peu remis, je me levai et passai les journĂŠes sur un canapĂŠ avec des robes de chambre plus propres que magnifiques. On ne laissa pas d'aller conter Ă  monsieur le cardinal que j'avois des robes toutes d'or, toutes couvertes de rubans couleur de feu, avec des mouches et des pendants d'oreilles de diamants brillants, et que j'allois ainsi parĂŠe et ajustĂŠe Ă  la grand'messe de ma paroisse, oĂš je donnois des distractions Ă  tous ceux qui me voyoient. Son Éminence, qui veut que tout soit dans l'ordre, envoya un abbĂŠ de mes amis, en qui il avoit confiance, me rendre visite pour voir ce qui en ĂŠtoit; il me le dit avec amitiĂŠ et m'assura qu'il diroit Ă  son Éminence que mon habillement n'ĂŠtoit que propre et point magnifique, que ma robe ĂŠtoit noire avec des petites fleurs d'or qu'Ă  peine on voyoit, et doublĂŠe de satin noir; que j'avois des boucles d'oreilles de diamants brillants assez beaux, et trois ou quatre petites mouches; qu'il m'avoit justement trouvĂŠ dans le temps que j'allois Ă  la messe, et qu'enfin c'ĂŠtoit pure mĂŠdisance que ce qu'on lui avoit rapportĂŠ. Ainsi je demeurai tranquille et continuai Ă  passer une vie fort agrĂŠable. On ne laissa pas de faire des chansons sur moi, et je les laissai chanter. J'ai mĂŞme envie d'en rapporter ici quelques couplets. Les voici: SUR L'AIR: _Votre jeu fait beaucoup de bruit_ Sancy, au faubourg Saint-Marceau, Est habillĂŠ comme une fille; Il ne paroĂŽtroit pas si beau, S'il ĂŠtoit encor dans la ville. Il est aimable, il est galant: Il aura bientĂ´t des amants. Tout le peuple de Saint-MĂŠdard Admire comme une merveille Ses robes d'or et de brocard, Ses mouches, ses pendants d'oreille, Son teint vif et ses yeux brillants: Il aura bientĂ´t des amants. Qu'on a de plaisir Ă  le voir Dans un ajustement extrĂŞme, A la main son petit miroir Dont il s'idolâtre lui-mĂŞme, Sa douceur, ses airs complaisants: Il aura bientĂ´t des amants. Il est ĂŠtalĂŠ dans son banc, Ainsi qu'une jeune ĂŠpousĂŠe Qui cherche Ă  voir en se mirant Si ses mouches sont bien placĂŠes; Il voudroit plaire Ă  tous venants: Il aura bientĂ´t des amants. Quand il rendit le pain bĂŠni, Il n'ĂŠpargna pas la dĂŠpense, Sans faire la chose Ă  demi, Il montra sa magnificence, CurĂŠ, bedeaux furent contents: Il aura bientĂ´t des amants. Les quĂŞteuses ne manquoint pas De lui prĂŠsenter leur requĂŞte. Elles disoient Ă  demi-bas: Madame est l'honneur de la fĂŞte. Il avaloit tous leurs encens: Il aura bientĂ´t des amants. Il ne sauroit rien refuser Pourvu qu'on l'appelle madame, Pourvu qu'on daigne l'encenser, Il donneroit jusqu'Ă  son âme, Il aime Ă  faire des prĂŠsents: Il aura bientĂ´t des amants. Il rassemble dans sa maison Et le berger et la bergère, On y trouve tout Ă  foison, La musique et la bonne chère, Des tabatières et des gants: Il aura bientĂ´t des amants. Chez lui sans qu'il en coĂťte rien, On peut mettre Ă  la loterie, Tout ce qu'il fait, il le fait bien, Il veut qu'on chante, il veut qu'on rie, Il songe Ă  nous rendre contents: Il aura bientĂ´t des amants. N'a-t-il pas lieu d'ĂŞtre content Du parti qu'il a bien su prendre? Puisque son visage y consent, Quel compte nous en doit-il rendre? Il a mille et mille agrĂŠments: Il aura bientĂ´t des amants. S'il est foible sur sa beautĂŠ, S'il se croit ĂŞtre l'amour mĂŞme, Il faut dire la vĂŠritĂŠ, Il mĂŠrite d'ailleurs qu'on l'aime; Il a des vertus, des talents: Il aura bientĂ´t des amants. Il aime les pauvres honteux, Il les cherche au troisième ĂŠtage; Notre curĂŠ se trouve heureux De le suivre dans ce voyage; Il caresse jusqu'aux enfants: Il aura bientĂ´t des amants. [Illustration: dĂŠco] II LES AMOURS DE M. DE MAULNY.--RUPTURE.--MADEMOISELLE DANY. J'avois bien du plaisir, mais Ă  dire la vĂŠritĂŠ, nous en fĂŽmes un peu trop; on nous voyoit tous les jours, monsieur de Maulny et moi, Ă  la comĂŠdie, Ă  l'opĂŠra, au bal, aux promenades, aux Cours, et mĂŞme aux Tuileries, et j'entendis plus d'une fois des gens qui disoient, en nous voyant passer: ÂŤLa femme est bien faite, mais le mari est bien plus beau.Âť Cela ne me fâchoit pas. J'y rencontrai un jour monsieur de Caumartin, qui est mon neveu; il se promena longtemps avec nous, mais le lendemain il me vint voir et me reprĂŠsenta assez vivement que je me donnois trop en spectacle. Il n'eut d'autres rĂŠponses sinon que je lui ĂŠtois obligĂŠ. Monsieur le curĂŠ, Ă  qui sans doute mes parents avoient parlĂŠ, me parla aussi, et ne fut pas mieux ĂŠcoutĂŠ. On m'ĂŠcrivit aussi des lettres anonymes dont je ne fis pas plus de cas; en voici une que je gardai pour faire voir comment s'y prennent les gens d'esprit pour donner des avis: LETTRE ÂŤJe n'ai point l'honneur, madame, d'ĂŞtre connue de vous, mais je vous vois souvent Ă  l'ĂŠglise, et mĂŞme dans des maisons particulières. Je sais tout le bien, toutes les charitĂŠs que vous faites dans notre paroisse j'avoue que vous ĂŞtes belle, et ne m'ĂŠtonne pas que vous aimiez les ajustements des femmes, qui vous conviennent extrĂŞmement; mais je ne puis vous passer l'alliance, j'ose dire scandaleuse, que vous avez faite, Ă  la face du soleil et de notre curĂŠ, avec une demoiselle notre voisine, que vous faites habiller en homme pour avoir plus de ragoĂťt avec elle. Encore si vous cachiez votre faiblesse, mais vous en triomphez: on vous voit dans votre carrosse aux promenades publiques avec votre prĂŠtendu mari, et je ne dĂŠsespère pas qu'un de ces jours, vous ne jouiez la femme grosse. Songez-y, ma chère dame, rentrez en vous-mĂŞme; je veux croire que vous ĂŞtes dans l'innocence, mais on juge sur les apparences, et quand on voit que ce petit mari loge chez vous et qu'il n'y a qu'un lit dans votre chambre, oĂš vos amis vous voient tous les jours couchĂŠs ensemble, comme le mari et la femme, est-ce faire une mĂŠdisance que de croire que vous ne vous refusez rien l'un Ă  l'autre? On ne trouve point Ă  redire que vous soyez habillĂŠ en femme, cela ne fait mal Ă  personne; soyez coquette, j'y consens, mais ne couchez pas avec une personne que vous n'avez point ĂŠpousĂŠe; cela choque toutes les règles de la biensĂŠance, et quand il n'y aurait point d'offense envers Dieu, il y en aurait toujours devant les hommes. Au reste, ma belle dame, n'attribuez point ma remontrance Ă  une humeur chagrine, c'est pure amitiĂŠ pour vous, on ne peut pas vous voir sans vous aimer.Âť Je relus cette lettre plusieurs fois, et j'en fis mon profit; si toutes les remontrances ĂŠtoient aussi bien assaisonnĂŠes, on en profiteroit plus qu'on ne fait; je ne sortis plus au grand jour et gardai plus de mesures qu'auparavant. Je l'aimois toujours, et nous ne nous serions jamais sĂŠparĂŠs sans l'aventure que je vais raconter. Un bourgeois fort riche qui savoit bien que monsieur de Maulny ĂŠtoit une fille et que je n'avois jamais attaquĂŠ son honneur parce que je ne songeois qu'Ă  ma beautĂŠ, en devint amoureux et la fit demander en mariage. Il avoit une charge de mouleur de bois et plus de cent mille francs de bien: il offrit de tout donner par contrat de mariage. Monsieur le curĂŠ m'en vint parler, sa tante pleura en me conjurant de ne point empĂŞcher la fortune de sa nièce, et tout d'un coup je la vois s'habiller en fille et assez gaie; cela ne lui dĂŠplut pas. Elle avoit contĂŠ sans doute tout ce qui se passoit entre nous, et on lui avoit dit qu'un vĂŠritable mari lui donneroit bien d'autres plaisirs que moi qui ne faisois que la caresser et la baiser. Je consentis Ă  son mariage, je lui renvoyai toutes ses lettres et lui fis beaucoup de prĂŠsents; mais dès que la noce fut faite, je ne la vis plus; je n'ai jamais pu souffrir les femmes mariĂŠes. Je tombai dans un grand chagrin; cela ne pouvoit pas durer, je suis fort pour la joie, et la Providence m'en envoya bientĂ´t un nouveau sujet. Je passois chez madame Durier, ma lingère, auprès de la Doctrine chrĂŠtienne, pour lui commander quelque chose, et j'y vis une fille qui me parut fort jolie; elle n'avoit pas plus de quinze ans, le teint beau, la bouche vermeille, les dents belles, les yeux noirs et vifs. Je demandai Ă  ma lingère depuis quand elle avoit cette petite fille-lĂ ? Elle me dit que ce n'ĂŠtoit que depuis quinze jours, qu'elle ĂŠtoit orpheline, qu'elle l'avoit prise par charitĂŠ, et que c'ĂŠtoit sa seconde fille de boutique. Quatre jours après, je m'y arrĂŞtai en passant; on me dit que mon linge n'ĂŠtoit pas encore prĂŞt. Je revis la petite fille et la trouvai encore plus jolie. Le dimanche suivant, on me dit Ă  9 heures (je venois de m'ĂŠveiller) que madame Durier m'envoyoit mon linge par une de ses filles; je la vis entrer et reconnus que c'ĂŠtoit la petite fille. Madame Durier avoit bien vu qu'elle ne me dĂŠplaisoit pas. Je la fis approcher de mon lit, et lui dis de dĂŠployer sa marchandise, ce qu'elle fit de fort bonne grâce; je lui dis ensuite: --Ma petite amie, approchez-vous que je vous baise. Elle fit une profonde rĂŠvĂŠrence, s'approcha et me prĂŠsenta son petit bec que je baisai trois ou quatre fois. --Seriez-vous bien aise, lui dis-je, si je voulois bien vous mettre auprès de moi dans mon dodo? --Ce me seroit bien de l'honneur, madame, me rĂŠpondit-elle: la pauvre enfant croyoit que j'ĂŠtois une femme. Je la renvoyai, et dis le lendemain Ă  sa maĂŽtresse que je voulois payer son apprentissage, et je lui donnai pour cela quatre cents francs. La joie de la petite Babet ne se peut point exprimer. --Envoyez-la moi ce soir, dis-je Ă  sa maĂŽtresse, elle soupera avec moi; je veux un peu examiner comment elle est faite, avant de lui faire plus de bien. Le mĂŞme soir, je vis arriver la maĂŽtresse avec la petite fille; la maĂŽtresse vouloit s'en aller, mais je la retins; nous soupâmes tous trois. Babet n'avoit jamais mangĂŠ de perdreaux, et sa maĂŽtresse n'en mangeoit pas souvent. Après souper, mes gens sortirent, et je dis Ă  la lingère: --J'ai de l'inclination pour Babet, mais avant de m'y attacher tout Ă  fait, je veux un peu voir comme elle est faite. Je la fis approcher, je regardai ses dents, sa gorge qui commençoit Ă  figurer; ses bras ĂŠtoient un peu maigres. --Madame, me dit la lingère, gardez Babet cette nuit; faites-la coucher auprès de vous, je vous rĂŠponds qu'elle est fort propre, elle couche avec moi; vous examinerez Ă  loisir comme elle est faite. Je trouvai qu'elle parloit bien, je gardai Babet, et envoyai un laquais quĂŠrir ses cornettes qui ĂŠtoient bien simples (elle en eut bientĂ´t de plus belles). J'avois chez moi une vieille demoiselle qui avoit ĂŠtĂŠ Ă  ma mère, et Ă  qui je payois une pension de cent ĂŠcus; je la fis venir: --Mademoiselle, lui dis-je, voilĂ  une fille qu'on veut me donner pour femme de chambre, mais je veux savoir auparavant si elle est bien propre. Examinez-la depuis la tĂŞte jusques aux pieds. Elle n'en fit pas Ă  deux fois et mit la petite fille nue comme la main (nous n'ĂŠtions que nous trois); elle lui jeta seulement une robe de chambre sur les ĂŠpaules. Je n'ai jamais vu un plus joli corps: une taille droite, de petites hanches, une gorge naissante blanche comme neige; elle lui remit sa chemise, et je lui dis: --Ma mignonne, couchez-vous dans mon lit. Je me mis Ă  ma toilette et fus bientĂ´t couchĂŠe; j'avois bien envie d'embrasser le petit bouchon. --Madame, me dit la vieille demoiselle, dans deux ans, ce sera la plus jolie personne de Paris. Je la baisai trois ou quatre fois avec grand plaisir, je la mis tout entière entre mes jambes, et la caressai fort: elle n'osoit dans les commencements rĂŠpondre Ă  mes caresses, mais bientĂ´t elle s'enhardit, et j'ĂŠtois quelquefois obligĂŠ de lui dire de me laisser en repos. J'envoyai quĂŠrir madame Durier et lui dis que je prenois Babet pour ma femme de chambre, que je voulois pourtant qu'elle apprĂŽt le mĂŠtier de lingère, que trois jours par semaine elle iroit travailler Ă  la boutique, et que les trois autres jours elle demeureroit chez moi, et iroit apprendre Ă  coiffer; qu'elle lui donnât Ă  dĂŽner, mais que tous les soirs elle la renvoyât coucher au logis; cela fut exĂŠcutĂŠ fidèlement. Je fis faire Ă  Babet des habits un peu plus propres et quantitĂŠ de linge. Mais bientĂ´t je l'aimai de tout mon cœur; elle me suivoit partout, dans les visites et Ă  l'ĂŠglise, et partout on la trouvoit fort jolie, un petit air fin et fort modeste. Mon amitiĂŠ pour elle augmentant Ă  vue d'œil, je ne pus m'empĂŞcher de lui faire faire des habits magnifiques et le plus beau linge de Paris; j'achetai pour elle, chez monsieur Lambert, joaillier, des boucles d'oreilles de diamants brillants, qui me coĂťtèrent huit cent cinquante livres; je la fis coiffer avec des rubans argent et bleu, je lui mis toujours sept ou huit petites mouches; enfin on vit bien qu'elle n'ĂŠtoit plus sur le pied de femme de chambre, aussi en pris-je une qui ĂŠtoit plus occupĂŠe après elle qu'après moi. Je lui demandai son nom de famille, qui se trouva assez joli; je la fis appeler Mademoiselle Dany, et on ne parla plus de Babet. Qui pourroit exprimer sa joie quand elle se vit ainsi fĂŞtĂŠe! Elle m'en avoit toute l'obligation, et m'en tĂŠmoignoit Ă  tout moment sa reconnoissance. Je la menois dans mon banc Ă  Saint-MĂŠdard et la faisois asseoir auprès de moi, pour marquer le cas que j'en faisois; enfin cela alla si loin que j'aimois mieux qu'elle fĂťt parĂŠe que moi, et sans elle, j'eusse nĂŠgligĂŠ mon ajustement, mais elle en avoit assez de soin et ne songeoit qu'Ă  me mettre quelque chose qui m'embellĂŽt. Mademoiselle Dany me rendit bientĂ´t toute ma belle humeur, et je recommençai Ă  donner Ă  souper Ă  mes voisines; je priai un soir monsieur le curĂŠ, monsieur Garnier mon confesseur, monsieur Renard et sa femme, madame Dupuis et sa fille aĂŽnĂŠe; la cadette, qui avoit eu quelque inclination pour moi, avoit ĂŠpousĂŠ un jeune homme qui avoit eu une commission auprès de Lille, oĂš elle ĂŠtoit allĂŠe avec lui. Quand on me servit le souper, nous nous mĂŽmes Ă  table, mais monsieur Renard n'ayant point vu mademoiselle Dany, me demanda oĂš elle ĂŠtoit: je lui dis qu'elle souperoit dans sa chambre; tout le monde me pria de la faire venir; ils savoient bien que c'ĂŠtoit me faire plaisir; je lui mandai de descendre; elle parut aussitĂ´t, belle comme un petit ange; sa jupe et son manteau ĂŠtoient de moire d'argent, la tĂŞte chargĂŠe de rubans couleur de feu, la gorge fort dĂŠcouverte, point de collier de perles, parce qu'elle avoit le col fort beau; je lui avois dit de mettre mes belles boucles d'oreilles et quinze ou seize mouches; je me doutois bien que, quand on ne la verroit point, on la demanderoit. On se rĂŠcria sur sa beautĂŠ; elle se mit Ă  table et nous soupâmes; quand on eut fini, mademoiselle Dupuis tira de sa poche de grosses dragĂŠes, compta par ses doigts que nous ĂŠtions huit, et me pria d'en choisir huit, ce que je fis. --Il faut, madame, me dit-elle, que la plus innocente de la compagnie les distribue Ă  sa fantaisie. On donna la commission Ă  Mademoiselle Dany qui nous en donna Ă  chacun une au hasard. --Oh! rompez-les, dit mademoiselle Dupuis, et vous y trouverez une petite sentence. On le fit; il y avoit: _Je n'aime rien_; _j'aime le bon vin_; la petite eut: _A qui donnerai-je mon cœur?_ --Oh! s'ĂŠcria-t-elle, il est tout donnĂŠ. --Et Ă  qui? lui dit-on. Elle me regarda tendrement et ne rĂŠpondit point. On trouva cela fort joli: je l'appelai et la baisai. --Et moi, mignonne, je vous donne le mien. Monsieur Renard qui ĂŠtoit auprès de moi, lui fit place, et le reste du souper elle ne me quitta pas; je l'agaçai pour la faire parler: --On dit que vous ĂŞtes jolie, qu'en pensez-vous? --Mon miroir m'en dit quelque chose, dit-elle, mais ce qui me le fait croire, c'est que la belle dame m'a donnĂŠ son cœur. --Seriez-vous bien fâchĂŠe, ajoutai-je, si vous aviez la petite vĂŠrole? --Au dĂŠsespoir, madame, vous ne m'aimeriez plus! --Et moi, mignonne, si je l'avois, ne m'aimeriez-vous plus? --Ce n'est pas de mĂŞme, rĂŠpondit-elle; vous avez tant d'esprit, ma belle dame, et tant de bontĂŠ, que quand vous deviendriez aussi laide que Marguerite (c'ĂŠtoit ma cuisinière), on vous aimeroit toujours. Ces petites rĂŠponses vives firent plaisir Ă  la compagnie, et je la baisai de bon cœur; on apporta d'excellent ratafia, la bouteille fut bientĂ´t vide, j'en pris dans un petit verre et j'en renvoyois la moitiĂŠ, quand la petite prit le verre des mains du laquais, et me demanda par un petit signe la permission de le boire. --VoilĂ  une petite personne bien aimable, dit mademoiselle Renard; je ne m'ĂŠtonne pas que madame l'aime tant. --HĂŠlas! lui rĂŠpondis-je, je l'aime comme ma petite sœur; nous couchons ensemble, nous nous baisons, et nous dormons. --Oh! madame, dit monsieur le curĂŠ, nous sommes persuadĂŠs de votre sagesse. --J'en suis caution, dit monsieur Garnier; vous avez raison, madame, d'aimer mademoiselle Dany, mais permettez-moi de vous dire qu'elle montre trop sa gorge. --Eh bien! monsieur, lui dis-je, je vais lui mettre une stinquerque. Tout le monde s'y opposa, en disant que ce n'ĂŠtoit point la mode, mais je ne laissai pas de dire Ă  monsieur le curĂŠ que quand je la menerois Ă  l'ĂŠglise, elle auroit toujours une stinquerque. Je lui tins ma parole, mais la stinquerque ĂŠtoit si ĂŠtroite qu'elle ne cachoit rien, et souvent je prenois le prĂŠtexte de la raccommoder afin de pouvoir toucher Ă  sa gorge devant tout le monde. On se leva de table, on parla de nouvelles. Monsieur Garnier conta une histoire du quartier assez plaisante, d'un mari qui, en revenant le soir de la campagne, avoit trouvĂŠ dans le lit de sa femme une personne avec un bonnet de nuit d'homme, et il se trouva que c'ĂŠtoit sa sœur. Cependant mademoiselle Dany ĂŠtoit allĂŠe par mon ordre se dĂŠshabiller, et s'ĂŠtoit venue mettre dans mon lit par la petite ruelle, sans qu'on l'eĂťt vue; minuit sonna Ă  ma pendule, chacun se leva pour s'en aller; mais en passant auprès de mon lit, mademoiselle Renard y aperçut la petite Dany, et prit une bougie pour la faire voir; elle ĂŠtoit quasi Ă  son sĂŠant, de belles cornettes avec des rubans couleur de feu, une chemise avec des dentelles, ĂŠchancrĂŠe fort bas, en sorte qu'on voyoit entièrement sa gorge qui, assurĂŠment, n'ĂŠtoit point pendante; c'ĂŠtoient deux petites pommes bien blanches, dont on voyoit le tour, avec un petit bouton de rose au milieu de chacune; elle y avoit mis une grande mouche ronde, pour les faire paroĂŽtre encore plus blanches; je lui avois dit de ne point Ă´ter ses boucles d'oreilles ni ses mouches; c'ĂŠtoit en ĂŠtĂŠ, il faisoit chaud, et quoiqu'elle fĂťt fort dĂŠcouverte, elle n'avoit pas peur de s'enrhumer; toute la compagnie la baisa. --Allons-nous-en, dit mademoiselle Dupuis, et laissons coucher madame avec cette belle enfant. J'appelai mes gens qui allumèrent un flambeau et reconduisirent monsieur le curĂŠ et monsieur Garnier; monsieur Renard et sa femme n'avoient que le ruisseau Ă  passer; mademoiselle Dupuis et sa fille qui demeuroient Ă  l'Estrapade, attendirent que mes gens fussent revenus. Je me dĂŠshabillai devant elles, mis mes cornettes, et me couchai; je pris d'abord mon enfant entre mes bras, et la baisai trois ou quatre fois; je n'oubliai pas sa gorge; je la mis ensuite dans la belle ruelle, afin que mademoiselle Dupuis la vĂŽt plus Ă  son aise; je relevai sa chemise par derrière, et me collai contre son petit corps, en mettant ma main droite sur sa gorge; je l'avois instruite, elle se tenoit sur le dos et tournoit la tĂŞte du cĂ´tĂŠ gauche, afin de me donner un prĂŠtexte de m'avancer sur elle en faisant semblant de la vouloir baiser. --Voyez, mademoiselle, dis-je Ă  mademoiselle Dupuis, voyez la petite ingrate qui ne veut pas que je la baise! Et, cependant, j'avançois toujours sur elle; enfin, quand je fus bien, elle tourna un peu le visage et me donna son petit bec; je la baisai avec un plaisir incroyable, sans changer de place, voulant y revenir Ă  plusieurs fois. --M'aimes-tu, mon petit cœur? lui dis-je. --HĂŠlas! oui, madame. --Appelle-moi mon petit mari ou ma petite femme. --J'aime mieux, dit-elle, mon petit mari. Je recommençai Ă  la baiser, nos bouches ne pouvoient pas se quitter, lorsque tout d'un coup elle s'ĂŠcria: --Que je suis aise, mon cher petit mari, le petit mari de mon cœur! J'ĂŠtois bien aussi aise qu'elle, mais je ne disois mot; enfin je me remis sur le dos, et nous demeurâmes quelques moments Ă  ne rien dire et Ă  jeter de grands soupirs. --Avouez, me dit alors mademoiselle Dupuis, avouez que vous aimez bien mademoiselle Dany. --N'ai-je pas raison, et n'est-elle pas bien aimable, et ne suis-je pas bien heureuse de pouvoir l'aimer innocemment, sans offenser ni Dieu ni les hommes? Vous avez bien ouĂŻ tantĂ´t ce qu'a dit monsieur Garnier: je ne lui cache rien, et il veut bien ĂŞtre ma caution. On vint avertir que mes gens ĂŠtoient revenus; les demoiselles s'en allèrent, et nous nous endormĂŽmes jusqu'Ă  11 heures et demie, qu'on nous ĂŠveillât pour aller Ă  la messe. Il ĂŠtoit fĂŞte, nous n'eĂťmes que le temps de mettre nos jupes, une robe ballante et des coiffes. Nous vivions contents, lorsqu'il arriva encore un petit orage du cĂ´tĂŠ de monsieur le cardinal. Le supĂŠrieur du sĂŠminaire des vieux prĂŞtres, qu'on venoit d'ĂŠtablir dans le faubourg Saint-Marceau, lui alla conter que j'ĂŠtois tous les jours dans mon banc, si parĂŠe, si ajustĂŠe, si belle, avec tant de rubans et de diamants, qu'il n'osoit y mener ses sĂŠminaristes. C'ĂŠtoit mademoiselle Dany qui en ĂŠtait la cause; le bon supĂŠrieur, qui ne voit pas trop clair, l'avoit prise pour moi, et la voyant avec des habits fort brillants d'or et d'argent, il avoit cru en conscience en devoir avertir monsieur le cardinal. Monsieur le curĂŠ fut mandĂŠ et interrogĂŠ, et rĂŠpondit qu'il n'y avoit rien de nouveau, et que j'allois tous les jours Ă  l'ĂŠglise fort modestement, et que sans doute on avoit pris mademoiselle Dany pour moi. Il me conseilla pourtant d'aller voir monsieur le cardinal, de m'habiller Ă  l'ordinaire, et d'y mener mademoiselle Dany fort parĂŠe. J'y allai un jour d'audience, j'avois ma robe noire, une jupe aussi noire, je cachai mon corps de moire d'argent, une cravate de mousseline, ma perruque avec peu de poudre, de petites boucles d'or aux oreilles, et des emplâtres de velours aux tempes. Mademoiselle Dany, en rĂŠcompense, ĂŠtoit fort ajustĂŠe, un habit d'une ĂŠtoffe d'or Ă  fleurs naturelles, bien coiffĂŠe, mes boucles de diamants brillants, sept ou huit mouches. Nous demeurâmes dans une antichambre jusqu'Ă  ce que monsieur le cardinal y vĂŽnt; en reconduisant madame la duchesse d'EstrĂŠes, il m'aperçut et vint Ă  moi. --Monseigneur, lui dis-je, je viens me justifier; ayez la bontĂŠ de regarder mon habillement; je ne vais pas autrement Ă  Saint-MĂŠdard; si vous ne me trouvez pas bien, j'y changerai ce qu'il plaira Ă  Votre Éminence. --Vous ĂŞtes fort bien, me dit-il, après m'avoir bien examinĂŠe, et je vois bien que l'on vous a pris pour cette belle demoiselle-lĂ . Il me demanda Ă  qui elle ĂŠtoit, et je lui contai sa fortune. Il loua ma charitĂŠ, et m'exhorta Ă  avoir soin d'elle. --Mademoiselle, lui dit-il gracieusement, soyez aussi sage que vous ĂŞtes belle. Et il alla donner audience Ă  d'autres personnes; nous nous en allâmes et fĂťmes bien regardĂŠes par deux cents moines qui ĂŠtoient dans les antichambres. Monsieur le curĂŠ de Saint-MĂŠdard m'attendoit dans la salle, je lui contai la rĂŠception que monsieur le cardinal nous avoit faite; il entra plus avant, et me dit le lendemain que monsieur le cardinal lui avoit dit qu'il m'avoit vue habillĂŠe fort modestement, et qu'il ĂŠtoit content, mais qu'il avoit oubliĂŠ de me remercier de toutes les charitĂŠs que je faisois dans la paroisse. On peut juger que cela me fit un grand plaisir; je retournai trois mois après Ă  son audience, Ă  la prière de monsieur le curĂŠ, pour lui proposer un nouvel ĂŠtablissement pour vingt orphelins de la paroisse; j'offrois de louer la maison et de leur donner cinq cents livres par an; plusieurs femmes de tanneurs qui sont riches, offroient des sommes considĂŠrables; il m'ĂŠcouta et me promit de venir sur les lieux examiner la chose. J'ĂŠtois venue toute seule sans la petite Dany. Le saint cardinal en fut peut-ĂŞtre fâchĂŠ, et me dit que je devenois coquette, mais qu'il me le pardonnoit Ă  cause des bonnes œuvres que je faisois. Il s'ĂŠtoit peut-ĂŞtre aperçu que je montrois mon corps de moire d'argent, qu'il n'avoit point vu l'autre fois, et que j'avois de plus beaux pendants d'oreilles et sept ou huit mouches. Je devins rouge comme du feu. --Au moins, me dit-il tout bas, si vous ĂŞtes coquette, vous ĂŞtes modeste; l'un passera pour l'autre. Je lui fis une profonde rĂŠvĂŠrence, et m'en allai. Il vint quinze jours après Ă  Saint-MĂŠdard; monsieur le curĂŠ m'en avertit, je me rendis Ă  la descente de son carrosse. Il voulut bien aller Ă  pied visiter la maison que je voulois louer pour les petits orphelins, et la trouva commode; il fit deux rues Ă  pied, et s'ĂŠtant aperçu que ma robe et mes jupes traĂŽnoient Ă  terre, il voulut absolument qu'un de mes laquais prĂŽt mes queues, quoique je m'en dĂŠfendisse par respect. Je n'ĂŠtois pas tombĂŠe dans la mĂŞme faute qu'Ă  sa dernière audience, et je n'avois ni mouches ni pendants d'oreilles. --Monseigneur, rĂŠpondis-je, j'attendois Votre Éminence. Il se mit Ă  rire, et ne laissa pas de louer fort mon habillement. --Il seroit Ă  souhaiter, dit-il tout haut, que toutes les dames fussent habillĂŠes aussi modestement. Il y en avoit lĂ  plus d'une qui pensoient en elles-mĂŞmes que quand il n'y ĂŠtoit pas je faisois un peu plus la belle. L'ĂŠtablissement des orphelins rĂŠussit et va fort bien. Peut-on s'imaginer que quelque chose eĂťt pu troubler une vie si dĂŠlicieuse? Ce fut monsieur Mansard, surintendant des bâtiments, qui, par amitiĂŠ, vint m'avertir que cinq ou six personnes avoient demandĂŠ mon appartement au Luxembourg, en disant au roi que je ne m'en souciois point, et que j'avois une maison au faubourg Saint-Marceau, oĂš je demeurois toujours, qu'il m'avoit dĂŠfendu plusieurs fois, mais qu'Ă  la fin il succomberoit, Ă  moins que je ne revinsse loger au Luxembourg. Je l'ai cru, et m'en suis bien repentie depuis; je revins dans cette malheureuse maison et j'allai le soir chez monsieur Terrac, oĂš l'on joue continuellement; je rejouai et perdis des sommes immenses, je perdis tout mon argent et ensuite mes pendants d'oreilles et mes bagues; il n'y eut plus moyen de faire la belle. La rage me prit, je vendis ma maison du faubourg Saint-Marceau, je la perdis; je ne songeai plus Ă  m'habiller en femme, et m'en allai voyager pour cacher ma misère et ma honte, et tâcher de dissiper mon chagrin. Je mis avant que de partir la pauvre petite Dany dans une communautĂŠ oĂš elle se conduisit Ă  merveille; elle se fit deux ans après religieuse, et je payai sa dot. [Illustration: dĂŠco] III LES INTRIGUES DE L'ABBÉ AVEC LES PETITES ACTRICES MONTFLEURY ET MONDORY[4] Je ne doute point, madame, que l'histoire de la marquise de Banneville ne vous ait fait plaisir: j'ai ĂŠtĂŠ ravie de me voir en quelque façon autorisĂŠe par l'exemple d'une personne si aimable; j'avoue pourtant que son exemple ne doit pas tirer Ă  consĂŠquence. La petite marquise pouvoit bien faire des choses qui m'ĂŠtoient dĂŠfendues, sa prodigieuse beautĂŠ la mettant Ă  l'abri de tout. Mais pour revenir Ă  mes aventures particulières, nous demeurâmes encore cinq ou six jours Ă  la campagne; il fallut enfin la quitter pour retourner Ă  Paris et au palais. La prĂŠsidente ramena la petite Montfleury Ă  son père, et lui fit promettre de l'envoyer quelquefois souper chez elle, et coucher quand il seroit trop tard. Cela arrivoit souvent: le carrosse de la prĂŠsidente la ramenoit le lendemain matin, et il n'y paroissoit pas. [4] Il y a certainement entre ce chapitre et le prĂŠcĂŠdent une lacune causĂŠe par la destruction d'un des fragments du manuscrit original. C'est l'introduction d'un personnage ĂŠpisodique, la marquise-marquis de Banneville dont le caractère a dĂť se dĂŠvelopper dans des pages qu'on n'a pas retrouvĂŠes. Cependant le marquis de Carbon qui avoit fait ses affaires dans ses terres, revint Ă  Paris et me vint chercher en arrivant. Il ĂŠtoit 7 heures du soir; il trouva dans la cour monsieur le prĂŠsident qui rentroit chez lui; ils se firent bien des compliments; le prĂŠsident aimoit le marquis. --Vous venez voir ma nièce, lui dit-il, elle est plus jolie que jamais; elle est avec ma femme, je vais vous prĂŠsenter. Ils montèrent ensemble; le marquis salua la prĂŠsidente et me fit aussi cet honneur-lĂ . On commença une belle conversation qui dura jusqu'Ă  ce que monsieur le prĂŠsident vĂŽnt annoncer que le souper ĂŠtoit servi, et prier le marquis d'en ĂŞtre. Il ne se fit pas prier, mais il se repentit d'ĂŞtre demeurĂŠ lorsqu'il vit arriver mademoiselle de Mondory que le prĂŠsident avoit envoyĂŠ chercher dans son carrosse pour souper au logis. La jalousie du marquis se rĂŠveilla; il faisoit ce qu'il pouvoit pour paroĂŽtre de bonne humeur, mais je lisois dans son cœur, tout ĂŠtoit forcĂŠ en lui, et de temps en temps il me jetoit des regards de tendresse, de dĂŠpit, et quelquefois de colère. La petite Mondory triomphoit et m'accabloit de caresses. --Allons, mademoiselle, me disoit-elle malicieusement, il est tard, allons dans notre chambre, il faut nous friser pour demain. Le marquis n'y put tenir davantage; ce qu'il voyoit le mettoit au dĂŠsespoir, il s'approcha de mon oreille, et me dit tout bas: --Je vous laisse avec votre comĂŠdienne, je ne troublerai point vos plaisirs. Il s'en alla brusquement; j'eusse bien voulu l'adoucir par quelques petites paroles, je ne le voulois pas perdre, et mon cœur se gouvernoit Ă  son ordinaire, il balançoit entre elle et lui. Mais je fus vĂŠritablement touchĂŠe la première fois que nous allâmes Ă  la comĂŠdie; nous ĂŠtions dans la première loge que le prĂŠsident avoit fait louer; la prĂŠsidente, une de ses amies, le marquis et moi ĂŠtions au premier rang; on joua _Venceslas_, pièce de Rotrou; la petite Mondory y faisoit le premier rĂ´le, mais quand elle me vit dans la loge, parĂŠe et contente auprès du marquis, elle se mit Ă  pleurer si fort qu'Ă  peine pouvoit-elle dire ses vers; je me mis Ă  pleurer aussi, voyant bien que c'ĂŠtoit moi qui lui faisois verser tant de larmes. Le marquis s'en aperçut et me dit tout bas: --Mademoiselle, vous l'aimez encore. --Monsieur, lui rĂŠpliquai-je, je n'irai jamais Ă  la comĂŠdie. Ma rĂŠponse le toucha, et sans me le dire, il alla prier mademoiselle de Mondory de me venir voir; elle n'en voulut rien faire et se sauva derrière le thÊâtre, toujours pleurant; elle feignit un mal de dents ĂŠpouvantable. Pour l'effacer entièrement de mon esprit, je rĂŠsolus d'aller voyager tout de bon, pour dissiper mon chagrin, quitter, si je le pouvois, toutes mes petites enfances, qui commençoient Ă  n'ĂŞtre plus de saison, et m'attacher Ă  quelque chose de plus solide; je n'ĂŠtois plus dans cette grande jeunesse qui fait tout excuser, mais je pouvois encore passer pour femme, si j'eusse voulu. J'amassai donc le plus d'argent que je pus, remis mes affaires entre les mains du prĂŠsident, et partis pour l'Italie avec un justaucorps et une ĂŠpĂŠe. J'y ai demeurĂŠ dix ans, Ă  Rome ou Ă  Venise, et m'y suis abĂŽmĂŠ dans le jeu. Une passion chasse l'autre, et celle du jeu est la première de toutes: l'amour et l'ambition s'ĂŠmoussent en vieillissant, le jeu reverdit quand tout le reste se passe. Adieu, madame, je vous conterai quand vous voudrez mes voyages d'Italie et d'Angleterre. [Illustration: dĂŠco] [Illustration: dĂŠco] IV LA COMTESSE DES BARRES[5] Quand ma mère mourut, elle jouissoit de plus de vingt-cinq mille livres de rente; elle avoit eu cinquante mille ĂŠcus en mariage, quatre mille francs de douaire, qui faisoient un fonds de quatre-vingt mille francs, huit mille livres de pension d'un grand prince, et six mille francs d'une grande reine, son ancienne amie, et cependant elle ne laissa que douze cents francs d'argent comptant, des pierreries, des meubles, de la vaisselle d'argent, mais aussi elle ne devoit pas un sol. [5] L'ordre de ce chapitre est interverti, mais, Ă  cause de nombreuses lacunes, nous ne saurions lui assigner sa vĂŠritable place. Nous ĂŠtions trois frères: j'ĂŠtois le cadet; l'aĂŽnĂŠ ĂŠtoit intendant de province, le second avoit un rĂŠgiment, et moi j'avois dix mille livres de rente de patrimoine, tant du cĂ´tĂŠ de mon père que du cĂ´tĂŠ d'une tante qui m'avoit fait son hĂŠritier, et quatorze mille livres de rente en bĂŠnĂŠfices. Je dis d'abord Ă  mes frères que je voulois faire nos partages du bien de ma mère; ils m'avoient fait ĂŠmanciper, afin de n'avoir pas un tuteur incommode avec qui il eĂťt fallu discuter toutes les affaires de la maison; ils acceptèrent ma proposition, se doutant que je les traiterois bien. Nous avions par nos partages Ă  peu près soixante et dix mille francs du bien de ma mère; je pris dans mon lot les pierreries pour vingt mille francs, pour huit mille francs de meubles et six mille francs de vaisselle d'argent. Cela faisoit trente-quatre mille francs; il en restoit trente-six pour achever ma part; je les abandonnai Ă  mes frères, et tout ce qui ĂŠtoit dĂť Ă  ma mère, tant de ses pensions que de son douaire, ce qui montoit encore Ă  plus de quarante mille francs. Nous fĂťmes tous trois contents. J'ĂŠtois ravi d'avoir de belles pierreries; je n'avois jamais eu que des boucles d'oreilles de deux cents pistoles et quelques bagues, au lieu que je me voyois des pendants d'oreilles de dix mille francs, une croix de diamants de cinq mille francs, et trois belles bagues. C'ĂŠtoit de quoi me parer et faire la belle, car depuis mon enfance j'avois toujours aimĂŠ Ă  m'habiller en fille, mon aventure de Bordeaux le prouve assez, et quoique j'eusse alors vingt-deux ans, mon visage ne s'y opposoit point encore. Je n'avois point de barbe, on avoit eu soin, dès l'âge de cinq ou six ans, de me frotter tous les jours avec une certaine eau qui fait mourir le poil dans la racine, pourvu qu'on s'y prenne de bonne heure; mes cheveux noirs faisoient paroĂŽtre mon teint passable, quoique je ne l'eusse pas fort blanc. Mon frère aĂŽnĂŠ ĂŠtoit toujours dans les intendances, et l'autre Ă  l'armĂŠe, mĂŞme l'hiver. Monsieur de Turenne qui l'aimoit fort, lui faisoit donner de l'emploi toute l'annĂŠe pour l'avancer. Une campagne d'hiver, oĂš l'on n'hasarde point sa vie, avance plus que deux campagnes d'ĂŠtĂŠ, oĂš l'on peut ĂŞtre tuĂŠ Ă  tout moment; la raison en est bien aisĂŠe Ă  trouver, c'est que la plupart des jeunes gens veulent venir passer l'hiver Ă  Paris pour aller Ă  la comĂŠdie, Ă  l'opĂŠra, et voir les dames; il y en a peu qui sacrifient le plaisir Ă  la fortune. Je n'ĂŠtois donc contraint de personne, et je m'abandonnai Ă  mon penchant. Il arriva mĂŞme que madame de La Fayette, que je voyois fort souvent, me voyant toujours fort ajustĂŠ avec des pendants d'oreilles et des mouches, me dit en bonne amie que ce n'ĂŠtoit point la mode pour les hommes, et que je ferois bien mieux de m'habiller en femme. Sur une si grande autoritĂŠ, je me fis couper les cheveux pour ĂŞtre mieux coiffĂŠe, j'en avois prodigieusement, et il en falloit beaucoup en ce temps-lĂ  quand on ne vouloit rien emprunter; on portoit sur le front de petites boucles, et de grosses aux deux cĂ´tĂŠs du visage et tout autour de la tĂŞte, avec un gros bourrelet de cheveux, cordonnĂŠ avec des rubans ou des perles, si on en avoit. J'avois assez d'habits de femme, je pris le plus beau, et allai rendre visite Ă  madame de La Fayette, avec mes pendants d'oreilles, ma croix de diamants; elle s'ĂŠcria en me voyant: --Ah! la belle personne! Vous avez donc suivi mon avis, et vous avez bien fait. Demandez plutĂ´t Ă  monsieur de la Rochefoucault (qui ĂŠtoit alors dans sa chambre). Ils me tournèrent et retournèrent, et furent fort contents. Les femmes aiment qu'on suive leur avis, et madame de La Fayette se crut engagĂŠe Ă  faire approuver dans le monde ce qu'elle m'avait conseillĂŠ, peut-ĂŞtre un peu lĂŠgèrement. Cela me donna courage, et je continuai pendant deux mois Ă  m'habiller tous les jours en femme; j'allai partout faire des visites, Ă  l'ĂŠglise, au sermon, Ă  l'opĂŠra, Ă  la comĂŠdie, et il me sembloit qu'on y ĂŠtoit accoutumĂŠ; je me faisois nommer par mes laquais Madame de Sancy. Je me fis peindre par Ferdinand, fameux peintre italien, qui fit de moi un portrait qu'on alloit voir; enfin je contentai pleinement mon goĂťt. J'allois au Palais-Royal toutes les fois que Monsieur ĂŠtoit Ă  Paris; il me faisoit mille amitiĂŠs, parce que nos inclinations ĂŠtoient pareilles; il eĂťt bien souhaitĂŠ pouvoir s'habiller aussi en femme, mais il n'osoit, Ă  cause de sa dignitĂŠ (les princes sont emprisonnĂŠs dans leur grandeur); il mettoit les soirs des cornettes, des pendants d'oreilles et des mouches, et se contemploit dans des miroirs. EncensĂŠ par ses amants, il donnoit tous les ans un grand bal, le lundi gras. Il m'ordonna d'y venir en robe dĂŠtroussĂŠe, Ă  visage dĂŠcouvert, et chargea le chevalier de Pradine de me mener Ă  la courante. L'assemblĂŠe fut fort belle: il y avoit trente-quatre femmes parĂŠes de perles et de diamants. On me trouva assez bien, je dansois dans la dernière perfection et le bal ĂŠtoit fait pour moi. Monsieur le commença avec mademoiselle de Brancas qui ĂŠtoit fort jolie (ç'a ĂŠtĂŠ depuis la princesse d'Harcourt), et un moment après il alla s'habiller en femme et revint au bal en masque. Tout le monde le connut, d'abord il ne cherchoit pas le mystère, et le chevalier de Lorraine lui donnoit la main; il dansa le menuet, et alla s'asseoir au milieu de toutes les dames; il se fit un peu prier avant que d'Ă´ter son masque, il ne demandoit pas mieux et vouloit ĂŞtre vu. On ne sauroit dire Ă  quel point il poussa la coquetterie en se mirant, en mettant des mouches, en les changeant de place, et peut-ĂŞtre que je fis encore pis; les hommes, quand ils croient ĂŞtre beaux, sont une fois plus entĂŞtĂŠs de leur beautĂŠ que les femmes. Quoi qu'il en soit, ce bal me donna une grande rĂŠputation, et il me vint force amants, la plupart pour se divertir, quelques-uns de bonne foi. Cette vie ĂŠtoit dĂŠlicieuse, lorsque la bizarrerie, ou pour mieux dire la brutalitĂŠ de monsieur de Montausier me renversa tout. Il avoit amenĂŠ Monsieur le dauphin Ă  Paris, Ă  l'opĂŠra, et l'avoit laissĂŠ dans une loge avec la duchesse d'Usez, sa fille, pour aller faire des visites dans la ville; il n'aimoit pas la musique. L'opĂŠra ĂŠtoit commencĂŠ il y avoit une demi-heure, lorsque madame d'Usez m'aperçut dans une loge de l'autre cĂ´tĂŠ du parterre, mes pendants d'oreilles brilloient d'un bout de la salle Ă  l'autre; madame m'aimoit fort, elle eut envie de me voir de plus près, et m'envoya La..., qui ĂŠtoit Ă  monsieur le dauphin, me dire de la venir trouver; j'y allai aussitĂ´t, et l'on ne sauroit dire toutes les amitiĂŠs que le petit prince me fit; il pouvoit avoir douze ans. J'avois une robe blanche Ă  fleurs d'or, dont les parements ĂŠtoient de satin noir, des rubans couleur de rose, des diamants, des mouches. On me trouva assez jolie; monseigneur voulut que je demeurasse dans sa loge, et me fit part de la collation qu'on lui servit; j'ĂŠtois Ă  la joie de mon cœur. Rabatjoie arriva; monsieur de Montausier venoit de ses visites, d'abord madame d'Usez lui dit mon nom, et lui demanda s'il ne me trouvoit pas bien Ă  son grĂŠ. Il me considĂŠra quelque temps, et puis me dit: --J'avoue, madame, ou mademoiselle (je ne sais pas comment il faut vous appeler), j'avoue que vous ĂŞtes belle, mais en vĂŠritĂŠ n'avez-vous point de honte de porter un pareil habillement et de faire la femme, puisque vous ĂŞtes assez heureux pour ne l'ĂŞtre pas? Allez, allez vous cacher, monsieur le dauphin vous trouve fort mal comme cela. --Vous me pardonnerez, monsieur, reprit le petit prince, je la trouve belle comme un ange. J'ĂŠtois très fâchĂŠe, et je sortis de l'opĂŠra sans retourner Ă  ma loge, rĂŠsolue de quitter tous ces ajustements qui m'avoient attirĂŠ une si fâcheuse rĂŠprimande; mais il n'y eut pas moyen de m'y rĂŠsoudre, je pris le parti d'aller demeurer trois ou quatre ans dans une province oĂš je ne serois point connue, et oĂš je pourrois faire la belle tant qu'il me plairoit. Après avoir examinĂŠ la carte, je crus que la ville de Bourges me convenoit; je n'y avois jamais ĂŠtĂŠ, ce n'ĂŠtoit pas un passage pour aller Ă  l'armĂŠe, et j'y pourrois faire ce qu'il me plairoit. Je voulus aller moi-mĂŞme reconnoĂŽtre les lieux; je partis dans le carrosse de Bourges, avec un seul valet de chambre, nommĂŠ Bouju, qui ĂŠtoit Ă  moi depuis mon enfance. J'avois pris une perruque blonde, moi qui avois les cheveux noirs, afin que quand j'y retournerois personne ne me reconnĂťt. Nous arrivâmes Ă  la meilleure hĂ´tellerie, et dès le lendemain je promenai dans la ville que je trouvai assez Ă  mon grĂŠ. Je m'informai s'il n'y avoit point de maison de campagne Ă  vendre dans le voisinage; on me dit que le château de Crespon ĂŠtoit en dĂŠcret, et qu'il appartenoit Ă  un trĂŠsorier de France, nommĂŠ monsieur Gaillot. J'allai voir la maison et trouvai un lieu charmant, une maison bâtie depuis vingt ans, qu'on vouloit vendre toute meublĂŠe, un parc de vingt arpents, des parterres, des potagers, des eaux plates, un petit bois, de bonnes murailles, et au bout du parc une grande grille de fer qui donnoit sur un ruisseau qui eĂťt portĂŠ bateau s'il n'y avoit eu dessus plusieurs moulins oĂš l'on venoit moudre, pour la plus grande partie, de la farine pour la ville de Bourges; mais je remarquai que vis-Ă -vis du parc il y avoit une demi-lieue oĂš il n'y avoit point de moulins, et que je pourrois y avoir une petite berge pour me promener. Je fus charmĂŠe; l'on me dit que le dĂŠcret se poursuivoit au Châtelet de Paris; je n'en voulus pas voir davantage et repartis pour Paris, impatient de me faire adjuger la seigneurie de Crespon; il y avoit un gros village. Dès que je fus arrivĂŠe, j'allai chercher les procureurs dont j'avois pris les noms et la demeure; ils me dirent que la terre avoit ĂŠtĂŠ adjugĂŠe Ă  vingt et un mille livres, et que pour y revenir il falloit tiercer, c'est-Ă -dire en donner vingt-huit mille livres. On m'avoit assurĂŠ Ă  Bourges qu'elle valoit plus de dix mille ĂŠcus; j'en avois envie, je tierçai, et fus envoyĂŠ en possession de la terre. Ce fut monsieur Acarel, mon homme d'affaires, qui la prit en son nom, et m'en fit le mĂŞme jour une dĂŠclaration; il partit quelques jours après pour en aller prendre possession; je lui avois confiĂŠ mon dessein. Monsieur Gaillot le reçut Ă  merveille, il gagnoit sept mille francs Ă  quoi il ne s'attendoit pas. Monsieur Acarel lui dit que la terre ĂŠtoit pour une jeune veuve nommĂŠe madame la comtesse _des Barres_, qui vouloit s'y venir ĂŠtablir. Acarel conserva le concierge, et monsieur Gaillot lui promit d'avoir l'œil Ă  tout jusqu'Ă  ce que madame la comtesse fĂťt arrivĂŠe. Monsieur Acarel revint enchantĂŠ de ma nouvelle acquisition: je brĂťlois d'envie de partir, mais il me fallut plus de six semaines pour faire mes prĂŠparatifs. J'ĂŠcrivis Ă  mes frères que j'allois voyager pendant deux ou trois ans, et que je laissois une procuration gĂŠnĂŠrale Ă  monsieur Acarel. Bouju avoit une femme fort adroite qui me coiffoit parfaitement bien; mais quand je lui eus dit que je ne voulois plus quitter l'habit de femme, elle me conseilla de continuer Ă  me faire couper les cheveux Ă  la mode, et je le fis; il n'y avoit plus moyen de s'en dĂŠdire. Je me fis faire deux habits magnifiques d'ĂŠtoffes d'or et d'argent, et quatre habits plus simples mais fort propres; j'eus des garnitures de toutes sortes, des rubans, des coiffes, des gants, des manchons, des ĂŠventails et tout le reste, jugeant bien que dans une province je ne trouverois rien de tout cela. Je renvoyai tous mes valets, sous prĂŠtexte de mon voyage, et je les payai; ensuite je louai une petite chambre garnie auprès du Palais, et Bouju m'alla louer dans le faubourg Saint-HonorĂŠ une maison pour un mois, oĂš il fit conduire mon carrosse, quatre chevaux et un cheval de selle; il arrĂŞta aussi un bon cocher, un cuisinier, un palefrenier pour servir de postillon, une femme de chambre pour m'habiller et me blanchir, et trois laquais, deux grands et un petit pour me porter la queue; il fit repeindre mon carrosse en ĂŠbène, et y fit mettre des chiffres avec une cordelière pour marquer la veuve, et quand tout fut prĂŞt, il vint me trouver Ă  ma petite chambre. Sa femme m'apporta une grisette fort propre que je mis avec des coiffes et un masque; cela ĂŠtoit fort commode en ce temps-lĂ , et l'on ne craignoit point d'ĂŞtre reconnu. Bouju alla payer son hĂ´tesse, et nous montâmes dans un carrosse de louage qui nous attendoit Ă  la porte. Nous allâmes Ă  la maison du faubourg Saint-HonorĂŠ, oĂš mes nouveaux domestiques reconnurent madame la comtesse des Barres pour leur maĂŽtresse. Ils parurent assez contents de ma vue, et je leur promis de leur faire du bien, pourvu qu'ils me servissent avec affection et qu'ils n'eussent point de querelle ensemble. Deux jours après, nous partĂŽmes pour aller Ă  Bourges; je voulus que monsieur Acarel vĂŽnt m'y installer, il ĂŠtoit dans mon carrosse avec madame Bouju. Son mari et AngĂŠlique, ma femme de chambre, ĂŠtoient dans le carrosse de voiture; mon cuisinier ĂŠtoit sur mon cheval de selle. J'avois dans les coffres de mon carrosse ma vaisselle d'argent, et sous mes pieds ma cassette de pierreries que je ne perdois pas de vue; mes meubles, lits, tapisseries, habits, linges, ĂŠtoient dans les magasins du carrosse public, oĂš l'on avoit mis deux chevaux de plus, tant il ĂŠtoit chargĂŠ, quoique nous fussions au mois de mai, oĂš les chemins sont beaux. Nous partĂŽmes le mĂŞme jour et nous fĂŽmes les mĂŞmes traites que le carrosse de voiture, afin que je pusse avoir mes gens tous les soirs pour me servir. La première couchĂŠe, en descendant de carrosse, je vis un de mes cousins germains sur la porte de l'hĂ´tellerie, mais je n'Ă´tai pas mon masque, et il n'y connut rien; nous ĂŠtions partis le lendemain avant qu'il fĂťt ĂŠveillĂŠ. En arrivant Ă  Bourges, nous allâmes descendre chez madame Gaillot; monsieur Acarel lui avoit ĂŠcrit le jour et l'heure que nous devions arriver, il vint au-devant de nous dans son carrosse Ă  un quart de lieue de la ville; il monta dans le mien, et monsieur Acarel et madame Bouju montèrent dans le sien. J'ĂŠtois bien aise de l'entretenir en particulier; il me fit le portrait de toute la ville de Bourges, et me parut homme de bon esprit; il avoit pourtant dĂŠrangĂŠ ses affaires, mais il lui restait encore du bien. Nous arrivâmes chez lui, il me prĂŠsenta Ă  sa femme et me mena dans son appartement oĂš il me laissa sans songer Ă  m'entretenir: je jugeai qu'il n'ĂŠtait pas trop provincial. J'allai, dès le lendemain, voir ma maison qui me plut encore davantage, et j'y fis porter tous mes meubles; il fallut pourtant que je demeurasse quatre ou cinq jours chez monsieur Gaillot, jusqu'Ă  ce que tout fĂťt rangĂŠ. Je ne vis personne Ă  Bourges et ne fis aucune visite; j'allois seulement Ă  la messe, et lorsque je m'apercevois qu'on avoit envie de me voir, j'Ă´tois mon masque un moment, ce qui redoubloit la curiositĂŠ. Enfin j'allai m'ĂŠtablir tout de bon Ă  Crespon; j'y trouvai un curĂŠ fort homme de bien sans faire le bigot; il aimoit l'ordre et la joie, et savoit fort bien allier les devoirs de sa profession avec les plaisirs de la vie. Je vis d'abord que je m'en accommoderois Ă  merveille; je lui appris mon humeur, afin qu'il s'y accommodât, cela ĂŠtoit juste, et l'assurai que je ne voulois point qu'il s'y contraignĂŽt pour moi, parce que je ne me contraindrois point pour lui; je lui dis que je serois fort assidu Ă  la paroisse, que je tâcherois Ă  avoir le carĂŞme de bons prĂŠdicateurs, que j'aurois soin des pauvres, que je le priois d'ĂŞtre de mes amis et de venir souvent souper chez moi sans façon, que je n'en mettrois pas plus grand pot au feu et je lui tins parole. J'avois toujours Ă  dĂŽner un bon potage et deux grosses entrĂŠes, un gros bouilli et deux assiettes d'entremets, de bon pain, de bon vin; le rĂ´ti du soir ĂŠtoit tout prĂŞt Ă  mettre en broche quand il arrivoit quelqu'un. Il y avoit dans mon village deux ou trois maisons de gentilshommes qui n'ĂŠtoient pas fort aisĂŠs. Le curĂŠ m'amena le chevalier d'Hanecourt qui me parut un esprit doux et mĂŠdiocre, mais il ĂŠtoit beau comme le jour, et le savoit bien. Il avoit ĂŠtĂŠ mousquetaire et avoit fait trois ou quatre campagnes; le mĂŠtier lui avoit semblĂŠ rude, et depuis deux ans il s'ĂŠtoit remis Ă  prendre des lièvres. Il fit d'abord le passionnĂŠ, mais je ne tâtai point de ses mines, et crus qu'il ne me trouvoit belle que parce que j'ĂŠtois riche; je le traitai pourtant fort honnĂŞtement et souffris ses assiduitĂŠs. Quand ma maison fut rangĂŠe, j'allai Ă  Bourges. J'affectai d'avoir un habit fort honnĂŞte, mais fort simple, des dentelles mĂŠdiocres, point de diamants, des boucles d'oreilles d'or, une coiffure fort modeste, des coiffes que je n'Ă´tai point dans mes visites, des rubans noirs, point de mouches. J'allai descendre chez monsieur et madame Gaillot, qui me menèrent chez monsieur du Coudray, lieutenant gĂŠnĂŠral. C'ĂŠtoit un homme fort laid, mais de bonne mine, et qui avoit beaucoup d'esprit; il me reçut avec de grandes distinctions, et me prĂŠsenta sa femme et sa fille. La femme avoit cinquante ans, et on voyoit bien qu'elle avoit ĂŠtĂŠ belle; la fille en avoit quinze ou seize, un petit pruneau relavĂŠ, mais si vive, de si bonne humeur, qu'elle en ĂŠtoit fort aimable. Pendant que j'y ĂŠtois, il vint une visite. C'ĂŠtoit la marquise de la Grise avec sa fille qui me parut fort jolie. Je n'eus pas le temps de l'examiner, la nuit alloit tomber, je revins chez moi. Je fis grande amitiĂŠ avec la lieutenante gĂŠnĂŠrale qui me rendit ma visite dès le lendemain; j'eus le plaisir de lui montrer les appartements tournĂŠs et meublĂŠs autrement qu'elle ne les avoit vus. Ma grande chambre ĂŠtoit magnifique: une tapisserie de Flandre des plus fines, un lit de velours incarnat avec des franges d'or et de soie, des sièges de commoditĂŠ que j'avois fait de mes vieilles jupes, une cheminĂŠe de marbre; il n'y manquoit que des miroirs, mais j'en eus de fort beaux quinze jours après. Madame la marquise du Tronc mourut dans son château, Ă  trois ou quatre lieues de Bourges; ses meubles furent vendus, et j'achetai Ă  fort bon marchĂŠ deux trumeaux de glace, deux glaces de cheminĂŠe, un grand miroir et un chandelier de cristal. On peut juger que ma chambre en fut bien parĂŠe. J'avois de plain-pied une antichambre, une grande chambre, un cabinet et une galerie dans le retour sur le jardin, et dans le double du bâtiment, une chambre Ă  coucher, un petit oratoire et deux gardes-robes, avec un degrĂŠ de dĂŠgagement. De l'autre cĂ´tĂŠ de l'escalier ĂŠtoit une salle Ă  manger avec un petit degrĂŠ qui montoit de la cuisine. J'avois aussi un appartement bas que je destinai aux hĂ´tes, sans compter un corridor qui rĂŠgnoit le long du bâtiment, oĂš il y avoit cinq ou six chambres avec de bons lits; je ne parle point des chambres des valets ni des ĂŠcuries oĂš il ne manquoit rien. Je menai madame la lieutenante gĂŠnĂŠrale par toute la maison, et lui donnai un fort bon dĂŽner, quoiqu'elle ne fĂťt venue qu'Ă  midi et demi, afin que je ne fisse rien d'extraordinaire. Elle me pria de lui faire l'honneur de venir dĂŽner chez elle le jeudi suivant, et me dit qu'elle y feroit trouver les principales dames de la ville, qui mouroient d'envie de me voir. Je me rendis au jour marquĂŠ, mais je crus devoir mettre mes plus beaux atours; je n'avois encore paru Ă  Bourges que fort nĂŠgligĂŠe. Je mis un corps de robe d'une ĂŠtoffe Ă  fond d'argent et brodĂŠe de fleurs naturelles, une grande queue traĂŽnante, la jupe de mĂŞme; ma robe ĂŠtoit rattachĂŠe des deux cĂ´tĂŠs avec des rubans jaune et argent et un gros nœud par derrière pour marquer la taille; mon corps ĂŠtoit fort haut et rembourrĂŠ par-devant, pour faire croire qu'il y avoit lĂ  de la gorge, et effectivement j'en avois autant qu'une fille de quinze ans. On m'avoit mis dès l'enfance des corps qui me serroient extrĂŞmement et faisoient ĂŠlever la chair, qui ĂŠtoit grasse et potelĂŠe. J'avois eu aussi fort grand soin de mon col que je frottois tous les soirs avec de l'eau de veau et de la pommade de pieds de mouton, ce qui rend la peau douce et blanche. J'ĂŠtois coiffĂŠe avec mes cheveux noirs Ă  grosses boucles, mes grands pendants d'oreilles de diamants, une douzaine de mouches, un collier de perles fausses plus belles que les fines, et d'ailleurs, en me voyant tant de pierreries, on n'eĂťt jamais cru que j'eusse voulu rien porter de faux. J'avois changĂŠ Ă  Paris ma croix de diamants, que je n'aimois point, contre cinq poinçons que je mettois dans mes cheveux; ma coiffure ĂŠtoit garnie de rubans jaune et argent, ce qui faisoit fort bien avec des cheveux noirs, point de coiffe, nous ĂŠtions au mois de juin, un grand masque qui me cachoit toutes les joues, de peur de hâle, des gants blancs, un ĂŠventail, voilĂ  ma parure; on n'eĂťt jamais devinĂŠ que je n'ĂŠtois pas une femme. Je montai dans mon carrosse, avec madame Bouju Ă  onze heures et demie, pour aller Ă  Bourges; j'arrivai chez madame la lieutenante gĂŠnĂŠrale qui alloit monter en carrosse; elle voulut, en me voyant, remonter chez elle, mais je l'en empĂŞchai quand je sus qu'elle alloit Ă  la messe Ă  l'ĂŠglise cathĂŠdrale; c'ĂŠtoit la messe des paresseuses, toutes les belles de la ville y ĂŠtoient et tous les galants; je montai dans son carrosse et nous y allâmes. On me regarda tant et plus; ma parure, ma robe, mes diamants, la nouveautĂŠ, tout attiroit l'attention. Après la messe, nous passâmes entre deux haies pour aller Ă  notre carrosse, et j'entendis plusieurs voix dans la foule qui disoient: ÂŤVoilĂ  une belle femmeÂť; ce qui ne laissoit pas que de me faire plaisir. La compagnie priĂŠe nous attendoit au logis; monsieur le lieutenant gĂŠnĂŠral me vint donner la main Ă  la descente du carrosse, et je trouvai dans l'appartement la marquise de la Grise et sa fille, monsieur et madame Gaillot et l'abbĂŠ de Saint-Siphorien, qui avoit une abbaye Ă  deux lieues de Bourges; c'ĂŠtoit un vieillard qui avoit beaucoup d'esprit, et qui se sentoit encore de la galanterie du temps passĂŠ. --Madame, me dit-il, on m'en avoit beaucoup dit, et j'en trouve encore davantage. Je rĂŠpondis Ă  ces civilitĂŠs, et embrassai madame de la Grise qui me parut bonne femme; elle n'avoit pas plus de quarante ans et ne faisoit point la belle; tout son amour-propre s'ĂŠtoit tournĂŠ sur sa fille qui le mĂŠritoit bien. C'ĂŠtoit de ces petites beautĂŠs fines qui n'ont que la cape et l'ĂŠpĂŠe, de petits traits, un beau teint, de petits yeux pleins de feu, la bouche grande, les dents belles, les lèvres incarnates et rebordĂŠes, les cheveux blonds, la gorge admirable, et quoiqu'elle eĂťt seize ans, elle n'en paroissoit que douze. Je la caressai fort, elle me plut, je la baisai cinq ou six fois de suite, la mère ĂŠtoit ravie; je raccommodai sa coiffure qui n'ĂŠtoit pas de bon air, je lui dis avec amitiĂŠ qu'elle montroit trop sa gorge, et je lui montrai Ă  attacher sa collerette un peu plus haut; la pauvre mère n'avoit point la parole pour me remercier. --Madame, lui dis-je, j'ai auprès de moi une femme qui m'a ĂŠlevĂŠe, qui est fort adroite, c'est elle qui me coiffe, et il me semble qu'on me trouve assez bien. Toute la compagnie s'ĂŠcria qu'on ne pouvoit pas ĂŞtre mieux coiffĂŠe, et qu'on voyoit bien que je venois de Paris oĂš les dames ont le bon air. --Ce n'est pas, ajoutai-je, que je ne sache me coiffer toute seule; on est quelquefois paresseuse, mais c'est un grand avantage Ă  une demoiselle de se passer quand elle veut de sa femme de chambre. --Madame, dis-je Ă  madame de la Grise, si vous voulez me confier mademoiselle votre fille pour huit jours, je vous rĂŠponds qu'elle saura se coiffer parfaitement. Je lui ferai ĂŠtudier ce joli mĂŠtier-lĂ  trois heures par jour, je ne la quitterai pas de vue, elle couchera avec moi et sera ma petite sœur. Madame de la Grise me dit qu'elle auroit l'honneur de me voir chez moi pour me remercier de toutes les bontĂŠs que j'avois pour sa fille; je n'insistai pas davantage. On vint dire qu'on avoit servi, nous ĂŠtions douze Ă  table; la chère fut grande, assez mal servie, le mari et la femme donnoient Ă  tous moments des ordres quelquefois diffĂŠrents; c'ĂŠtoit une criaillerie perpĂŠtuelle. Pour moi, je parlois Ă  mes gens en particulier, et puis je ne les regardois plus; tout alloit comme il pouvoit, et ordinairement tout alloit bien. Après le dĂŽner, on but chacun un petit coup de rossolio de Turin; on ne connoissoit alors ni cafĂŠ ni chocolat; le thĂŠ commençoit Ă  naĂŽtre. On passa Ă  quatre heures dans un grand cabinet oĂš la musique nous attendoit; elle ĂŠtoit composĂŠe d'un thĂŠorbe, d'un dessus, d'une basse de viole et d'un violon; une demoiselle jouoit du clavecin et prĂŠtendoit accompagner, mais elle le faisoit fort mal, ce n'ĂŠtoit pas sa faute, elle s'en ĂŠtoit dĂŠfendue autant qu'elle avoit pu. L'organiste de la cathĂŠdrale, qui devoit faire ce personnage, ĂŠtoit malade, et madame la lieutenante vouloit absolument un concert bon ou mauvais. Il commença et visa d'abord au charivari. Je ne pus m'empĂŞcher de donner quelques avis Ă  la demoiselle que son clavecin ĂŠtoit d'un demi-ton trop bas, qu'il falloit faire des pauses et observer des silences en de certains endroits; mes avis ne furent pas inutiles, elle n'en savoit pas assez pour en profiter. --Mais, madame, me dit le vieil abbĂŠ de Saint-Siphorien, vous parlez comme si vous saviez parfaitement la musique; mettez-vous lĂ  et accompagnez. La pauvre demoiselle sortit aussitĂ´t de sa place, et tout le monde me pressa tant, que je la pris. Je voulus d'abord donner quelques idĂŠes de ma capacitĂŠ, et je jouai quelques prĂŠludes de fantaisie et la _Descente de Mars_, oĂš il faut beaucoup de lĂŠgèretĂŠ de main; tous les musiciens virent bien Ă  qui ils avoient affaire et me prièrent de rĂŠgler leur concert. Je n'y eus pas grande peine, j'accompagnois Ă  livre ouvert toutes sortes de musique, mĂŞme italienne. Le concert joua juste et de mouvement, et il ĂŠtoit huit heures qu'on ne croyoit pas qu'il en fĂťt six; madame Bouju vint m'avertir que mon carrosse ĂŠtoit prĂŞt. Je n'aimois pas Ă  me mettre Ă  la nuit avec mes pierreries, je pris congĂŠ de la compagnie et les priai de me venir voir, ils me le promirent. Je ne croyois pas qu'ils me tiendroient si tĂ´t parole. Je les vis arriver le lendemain Ă  midi dans un grand et vieux carrosse de la marquise de la Grise; il en sortit elle et sa fille, monsieur le lieutenant gĂŠnĂŠral, sa femme et sa fille, et l'abbĂŠ de Saint-Siphorien. Il ĂŠtoit bon homme, et tout le monde vouloit l'avoir. Je vis leur carrosse par la fenĂŞtre. J'ĂŠtois vĂŠritablement dans mon nĂŠgligĂŠ: une robe de chambre de taffetas incarnat, un fichu, une ĂŠchelle de rubans blancs, des cornettes Ă  dentelles avec des rubans incarnat sur la tĂŞte, pas une mouche, mes petites boucles d'or; je descendis en bas et les reçus avec la mĂŞme joie que si j'avois ĂŠtĂŠ bien parĂŠe. --Mesdames, leur dis-je, vous m'aurez vue de toutes les façons. --Je ne sais, madame, dit le vieil abbĂŠ, laquelle de toutes ces façons vous est le plus avantageuse, mais je sens bien qu'il y a quarante ans j'aurois mieux aimĂŠ la bergère que la princesse. On se mit Ă  rire. Je proposai d'aller dans le jardin, et je les menai jusqu'au bois, afin de donner le temps Ă  mon cuisinier de mettre Ă  la broche; une demi-heure après, on nous vint dire qu'on avoit servi; le dĂŽner fut petit et bon. --Vous n'avez, mesdames, leur dis-je, que le nĂŠcessaire, vous en trouverez toujours autant, j'ai envie que vous y reveniez souvent. Je trouvai mademoiselle de la Grise plus jolie que jamais, et sous prĂŠtexte de lui montrer quelque chose sur le clavecin, je l'entretins en particulier. --Ma belle enfant, lui dis-je, vous ne m'aimez point. Elle se jeta Ă  mon col, au lieu de me rĂŠpondre. --Parlez-moi avec franchise, seriez-vous bien aise de venir passer huit jours avec moi? Elle se mit Ă  pleurer et m'embrassa avec tant de tendresse, que je connus bien que son petit cœur ĂŠtait touchĂŠ. --Mais, lui dis-je, madame votre mère y consentira-t-elle? --Ma chère mère en meurt d'envie, mais elle n'oserait vous en parler, elle a peur que tout ce que vous avez dit lĂ -dessus ne soit un compliment. --Eh bien! ma chère enfant, lui dis-je en la baisant de tout mon cœur, je ferai tomber le discours sur votre coiffure, et nous verrons ce qu'elle dira. Nous rentrâmes aussitĂ´t oĂš ĂŠtoit la compagnie, et sous prĂŠtexte de quelque ordre que j'avois Ă  donner, je fis le bec Ă  madame Bouju qui un moment après passa par la chambre oĂš nous ĂŠtions pour aller Ă  ma garde-robe; je l'appelai et lui dis: --Madame, voyez un peu la coiffure de mademoiselle de la Grise; comment la trouvez-vous? Elle la tourna et dit: --En vĂŠritĂŠ, madame, c'est dommage qu'une si belle personne, et qui a de si beaux cheveux, soit si mal coiffĂŠe Ă  l'air de son visage. Elle nous fit remarquer ensuite qu'elle avoit trop de cheveux sur le front, et que les boucles qui accompagnoient son visage l'offusquoient et cachoient ses belles joues. Je pris la parole et dis Ă  madame de la Grise: --Vous voulez bien que je vous envoie demain madame Bouju pour coiffer Mademoiselle de la Grise? vous verrez quelle diffĂŠrence il y aura. Le vieil abbĂŠ interrompit et me dit: --Est-il juste, madame, que vous vous priviez de vos gens? Vous offrĂŽtes hier Ă  madame de la Grise de garder sa fille pendant huit jours, et de la rendre savante en coiffure. --Si madame la comtesse, dit madame la lieutenante gĂŠnĂŠrale, m'en offroit autant pour ma fille, je la prendrois au mot. --Et moi, dit la petite fille, j'en serois bien aise. --Ah! madame, s'ĂŠcria madame de la Grise, n'allez pas sur notre marchĂŠ! --Mes belles demoiselles, leur dis-je en riant, je garderai chez moi celle qui m'aimera le mieux. --C'est moi! c'est moi! s'ĂŠcrièrent-elles toutes deux en mĂŞme temps, en se jetant Ă  mon col; leur petite dispute rĂŠjouit fort toute la compagnie. --Ne vous fâchez point, leur dis-je, nous avons de quoi vous contenter toutes deux l'une après l'autre. Je parlois ainsi afin de faire croire que je les aimois ĂŠgalement. --Il est juste, dit madame de la Grise, que ma fille passe la première, et la voilĂ  toute prĂŞte. --Je n'en suis point jalouse, dit la lieutenante gĂŠnĂŠrale, pourvu que la mienne ait son tour. --Comme il vous plaira, leur dis-je; je les aime fort toutes deux, et serai ravie de leur rendre un petit service. Il fut rĂŠsolu que mademoiselle de la Grise demeureroit chez moi, et que mademoiselle du Coudray y viendroit après faire le mĂŞme apprentissage. Ces dames s'en retournèrent Ă  Bourges, et dès le soir on apporta Ă  mademoiselle de la Grise ses coiffures et du linge. J'envoyai chercher monsieur le curĂŠ pour souper avec nous; il amena le chevalier d'Hanecourt, et je leur prĂŠsentai ma petite pensionnaire qui rioit aux anges; après le souper je renvoyai le curĂŠ et le chevalier. J'avois impatience de me coucher, et je crois que la petite fille en avoit aussi bonne envie que moi. Madame Bouju la coiffa de nuit et la fit coucher la première dans mon lit, Ă  la petite ruelle; je vins peu de temps après, et dès que je fus couchĂŠe, je lui dis: --Approchez-vous, mon petit cœur. Elle ne se fit pas prier, et nous nous baisâmes d'une manière fort tendre; nos bouches ĂŠtoient collĂŠes l'une sur l'autre. Je tins longtemps la petite fille entre mes bras, et baisai sa gorge qui ĂŠtoit fort belle; je lui fis mettre aussi la main sur le peu que j'en avois, afin qu'elle fĂťt encore plus rassurĂŠe que j'ĂŠtois femme; mais je n'allai pas plus loin le premier jour, je me contentai de voir qu'elle m'aimoit de tout son cœur. Le lendemain nous eĂťmes plusieurs visites du voisinage; la petite fille s'ennuyoit et me disoit tout bas: --Ma belle dame (c'est le nom qu'elle s'avisa de me donner), que je trouve le journĂŠe longue! J'entendis ce qu'elle vouloit dire. Dès que nous fĂťmes couchĂŠes, il ne fallut pas lui dire de s'approcher, elle pensa me manger de caresses; je crevois d'amour et je me mis en devoir de lui donner de vĂŠritables plaisirs. Elle me dit d'abord que je lui faisois mal, et puis elle fit un cri qui obligea madame Bouju de se lever pour voir ce que c'ĂŠtoit. Elle nous trouva fort près l'une de l'autre; la petite pleuroit, et toutefois elle eut le courage de dire Ă  Bouju: --Madame, c'est une crampe Ă  quoi je suis sujette, qui m'a fait bien du mal. Je la baisai de tout mon cœur, et ne quittois point prise. --Ah! quelle douleur! s'ĂŠcria-t-elle encore. --Mademoiselle, dit Bouju qui ĂŠtoit une vieille narquoise, cela passera, et vous serez bien aise quand vous ne sentirez plus de mal. En effet le mal ĂŠtoit passĂŠ, et les larmes de douleur devinrent des larmes de plaisir; elle m'embrassoit de toute sa force et ne disoit mot. --M'aimes-tu bien, mon petit cœur? lui dis-je. --HĂŠlas! oui; je ne me sens pas, je ne sais ce que je fais. M'aimerez-vous toujours, ma belle dame? Je lui rĂŠpondis par cinq ou six baisers fort humides, et je recommençai la mĂŞme chanson; elle ne nous donna pas tant de peine que la première fois, la petite fille ne cria plus, elle fit seulement de longs soupirs qui venoient de son cœur; nous nous endormĂŽmes. Nos plaisirs ne nous faisoient pas oublier ce que nous avions promis Ă  la mère. Bouju s'appliqua Ă  lui apprendre Ă  se coiffer, mais je lui dis de faire filer ses leçons au moins quinze jours. Je commençois Ă  craindre de perdre de vue ma petite amie, et je ne songeois qu'avec dĂŠdain Ă  celle qui lui devoit succĂŠder. Trois jours après, madame de la Grise vint dĂŽner avec nous. J'avois dit Ă  la petite fille qu'il ne falloit pas lui dire que nous nous aimions tant; elle m'avoit rĂŠpondu: --Oh! que je n'ai garde, ma belle madame, de dire Ă  ma chère mère les plaisirs que nous avons ensemble; elle seroit jalouse, car nous couchons presque toujours ensemble et nous ne sommes pas si aises; j'aime pourtant bien ma chère mère, mais j'aime encore mieux et mille fois davantage la belle madame. L'innocence de cette pauvre enfant me faisoit plaisir et un peu de peine, mais je rejetois bien loin une pensĂŠe qui eĂťt troublĂŠ ma joie. Madame de la Grise trouva sa fille fort bien coiffĂŠe, mais elle n'eut pas le plaisir de la voir Ă  la besogne. --Madame, lui dis-je, demeurez avec nous le reste de la journĂŠe, et vous verrez demain comment elle s'y prend; mon lit est grand, nous coucherons ensemble, et la petite couchera avec Bouju. Elle se fit un peu prier et y consentit, puis j'en fus assez fâchĂŠe, c'ĂŠtoit une nuit perdue, mais d'un autre cĂ´tĂŠ, cela ĂŠtablissoit merveilleusement la confiance de la mère. Nous dĂŽnâmes, nous nous promenâmes dans le parc, et le soir après souper je fis dire des vers Ă  mademoiselle de la Grise. J'ĂŠtois bonne comĂŠdienne, c'ĂŠtoit mon premier mĂŠtier. --J'ai choisi, dis-je Ă  la mère, une comĂŠdie sainte (c'est _Polyeucte_), elle n'y verra que de bons sentiments. La petite fille disoit les vers assez mal, mais j'avois connu qu'avec un peu d'application, elle les diroit aussi bien que moi; elle les entendoit, et il suffit d'entendre pour bien prononcer. Madame de la Grise ne pouvoit se lasser de me remercier; je lui fis de petites confidences sur sa fille, qu'elle ne se tenoit pas assez droite, qu'elle ĂŠtoit malpropre, qu'elle ne rangeoit pas ses hardes, afin qu'elle lui en fĂŽt de petites rĂŠprimandes; cela faisoit merveille et lui faisoit connaĂŽtre que je voulois son bien et que je n'en ĂŠtois pas coiffĂŠe. Nous soupâmes et nous nous couchâmes; on avoit seulement mis des draps blancs pour madame de la Grise. Quand nous fĂťmes couchĂŠes, je m'approchai d'elle, je la baisai deux ou trois fois, et puis me mis Ă  ma ruelle, en lui disant: --Dormons... C'est ainsi, madame, lui dis-je, que j'en use avec votre enfant, et je vous assure qu'elle dort comme un sabot; elle fait de l'exercice toute la journĂŠe, court dans le jardin avec AngĂŠlique, il faut bien que cela dorme. Le lendemain, le pauvre mère fut ravie quand elle la vit tourner une boucle avec une adresse surprenante. Bouju lui disoit: --Je vous assure, madame, que dans quinze jours, mademoiselle en saura autant que moi. Nous dĂŽnâmes, et madame de la Grise s'en alla et nous fit grand plaisir. --Que nous nous baiserons ce soir! disait la petite. Il me semble qu'il y a dix ans que je n'ai embrassĂŠ la belle madame. Dès que nous eĂťmes soupĂŠ, nous nous couchâmes; il falloit bien rĂŠcompenser le temps perdu. Nous prĂŽmes nos plaisirs ordinaires, la pauvre enfant n'y entendoit pas finesse. Quatre ou cinq jours après, la lieutenante gĂŠnĂŠrale, sa fille, madame de la Grise et le bon abbĂŠ vinrent dĂŽner avec nous et y passèrent la journĂŠe. La petite du Coudray qui avoit beaucoup d'esprit, disoit continuellement: --En vĂŠritĂŠ, mademoiselle de la Grise est bien longtemps Ă  apprendre Ă  coiffer: il me semble que j'aurois croquĂŠ cela en quatre leçons; on ne demandoit que huit jours, et il y en a plus de quinze. Elle croyoit avancer ses affaires, et les reculoit; j'aurois voulu qu'elle eĂťt ĂŠtĂŠ bien loin, j'aimois ma petite amie, et pour elle, je ne l'aimois point du tout. Nous fĂťmes encore trois semaines dans les plaisirs, mademoiselle de la Grise se coiffoit parfaitement bien; je la menai Ă  sa mère, mais je voulus qu'elle se coiffât toute seule ce jour-lĂ , sans que Bouju y mĂŽt la main, et avant que de partir, je lui mis aux oreilles de petites boucles d'un seul rubis entourĂŠ de douze petits diamants, elles ĂŠtoient fort jolies. --Je vous ferois bien un plus beau prĂŠsent, lui dis-je, mais, mon petit cœur, on en parleroit. Madame de la Grise fut charmĂŠe; elle la montroit Ă  tout le monde et assuroit sur ma parole qu'elle s'ĂŠtoit coiffĂŠe toute seule; elle faisoit quelque façon de lui laisser prendre les petites boucles. --C'est une bagatelle, lui dis-je, je les avois ĂŠtant fille, elles ne me conviennent plus. Madame la lieutenante gĂŠnĂŠrale lui dit en riant: --Si madame la comtesse en donne autant Ă  ma fille, j'en serai bien aise. C'ĂŠtoit me l'offrir, il fallut bien la prendre, j'y ĂŠtois engagĂŠe. Je l'emmenai avec moi, et la gardai seulement huit jours; Bouju lui apprit Ă  coiffer si prodigieusement vite, que j'en ĂŠtois ĂŠtonnĂŠe. C'ĂŠtoit un petit esprit vif, ardent, qui se coiffoit le matin, et au lieu de s'aller promener, se dĂŠcoiffoit l'après-dĂŽnĂŠe, pour se recoiffer le soir; elle couchoit avec moi, je la baisois en nous couchant, je recevois ses petites caresses, mais je ne me hasardois Ă  rien avec elle. Outre qu'elle n'ĂŠtoit pas si aimable que mademoiselle de la Grise, je la trouvois plus fine et peut-ĂŞtre plus instruite. Elle n'eĂťt jamais cru comme Agnès qu'on fait les enfants par l'oreille. Elle ĂŠtoit flatteuse au point, et je l'aurois peut-ĂŞtre aimĂŠe si je n'eusse pas vu l'autre. Enfin, au bout de huit jours, je la ramenai Ă  Bourges, triomphante; elle savoit fort bien se coiffer, et croyoit avoir gagnĂŠ une bataille, d'avoir appris en si peu de temps. Sa mère prit part Ă  son triomphe. Mademoiselle de la Grise avouoit qu'il lui avoit fallu un mois pour en apprendre autant: --Vous savez bien ce qui en est, ma belle madame, me disoit-elle en particulier, mais je me soucie peu que tout le monde me trouve une sotte, pourvu que vous pensiez autrement. On me vint dire, deux jours après, que monsieur l'intendant ĂŠtoit arrivĂŠ Ă  Bourges pour faire le rĂŠpartement des tailles; il s'appeloit monsieur de la Barre, il avoit ĂŠtĂŠ intendant d'Auvergne, et prit ensuite l'ĂŠpĂŠe, fit de belles actions Ă  la guerre, et devint vice-roi du Canada, oĂš il est mort. Je crus qu'il ĂŠtoit de mon devoir et de mon intĂŠrĂŞt de l'aller voir. J'y allai habillĂŠe fort modestement, j'avois seulement mes boucles d'oreille de diamants et trois ou quatre mouches. La lieutenante gĂŠnĂŠrale me prĂŠsenta, il me reçut Ă  merveille, on lui avoit dĂŠjĂ  parlĂŠ de moi. Trois ou quatre jours après, la lieutenante gĂŠnĂŠrale m'avertit dès le matin qu'il devoit me venir voir le lendemain, et qu'il l'avoit priĂŠe d'ĂŞtre de la partie. Je lui prĂŠparai une petite fĂŞte. Je mis ce jour-lĂ  le plus bel habit que j'eusse. Je me coiffai avec des rubans jaune et argent, mes grands pendants d'oreilles, un collier de perles, une douzaine de mouches, je n'oubliai rien Ă  mon ajustement. Il arriva Ă  midi, avec le lieutenant gĂŠnĂŠral, sa femme et sa fille; dès que je vis son carrosse dans l'avenue, je descendis en bas pour le recevoir; les intendants sont les rois des provinces, on ne sauroit leur faire trop d'honneur. Il parut surpris de la beautĂŠ de ma maison et de la propretĂŠ de mes meubles. Je lui proposai d'aller faire un tour de jardin en attendant qu'on servĂŽt. Monsieur le curĂŠ et monsieur le chevalier d'Hanecourt m'aidèrent Ă  faire les honneurs. Une demi-heure après, nous retournâmes Ă  la maison, et nous vĂŽmes arriver madame et mademoiselle de la Grise, avec l'abbĂŠ de Saint-Siphorien. On se mit Ă  la table, la chère fut grande et dĂŠlicate, tout ĂŠtoit bon. Nous passâmes dans mon cabinet, oĂš la musique ĂŠtoit toute prĂŞte. J'avois fait venir les musiciens de Bourges, et je me mis au clavecin pour accompagner. --Comment, dit monsieur l'intendant, madame la comtesse en est aussi? Je ne rĂŠpondis que par trois ou quatre pièces de Chambonnière, que je jouai toute seule, et puis le concert commença. Il ĂŠtoit composĂŠ d'un dessus et d'une basse de viole, d'un thĂŠorbe, d'un violon et de mon clavecin; nous ne jouâmes que des pièces que nous avions bien concertĂŠes. L'intendant parut charmĂŠ; le concert dura jusqu'Ă  six heures du soir. On proposa la promenade; nous n'avions ĂŠtĂŠ qu'Ă  l'entrĂŠe du parc, nous allâmes jusques Ă  la grille et nous vĂŽmes sur la petite rivière une berge que j'avois fait faire depuis peu. Il y avoit des sièges bien matelassĂŠs, au milieu une table longue couverte de tous les fruits de la saison; les demoiselles, qui ne s'y attendoient pas, furent ravies, et mangèrent bien des pĂŞches. Nous nous promenâmes pendant plus d'une heure et demie, et quand on eut fait collation, je proposai de donner la comĂŠdie Ă  monsieur l'intendant; j'avois appris Ă  mademoiselle de la Grise une scène de _Polyeucte_. --Allons, mademoiselle, lui dis-je, prenez le chapeau de monsieur l'intendant, il vous portera bonheur, vous serez _SĂŠvère_, et moi _Pauline_. Nous commençâmes; le pauvre intendant faisoit de continuelles exclamations. --J'ai ouĂŻ, disoit-il, la Duparc, elle n'approche pas de madame la comtesse. --Eh! monsieur l'intendant, lui dis-je, c'est mon premier mĂŠtier; j'avois une mère qui avoit composĂŠ une troupe parmi ses voisins et voisines, et tous les jours, nous jouions ou _Cinna_ ou _Polyeucte_ ou quelque autre pièce de Corneille. La petite de la Grise ne joua pas mal. La nuit approchoit, on rentra dans le parc, il y avoit encore du chemin, les carrosses ĂŠtoient prĂŞts; la compagnie s'en alla fort contente de la rĂŠception que je leur avois faite, et ma paroisse ne s'en trouva pas mal; monsieur le curĂŠ n'oublia pas de la recommander Ă  monsieur l'intendant. Madame de la Grise avoit besoin de monsieur l'intendant aussi bien que moi, et voulut aussi lui donner une fĂŞte; elle me consulta, un jour que je l'ĂŠtois allĂŠe voir Ă  Bourges. Je lui conseillai de lui donner un bon souper et un bal, point de musique, on ne lui pouvoit donner rien de nouveau lĂ -dessus: --Et mĂŞme si vous voulez, madame, ajoutai-je en riant, je me ferai encore comĂŠdienne pour l'amour de vous; mademoiselle de la Grise fait assez bien son petit personnage. Elle me dit qu'il lui falloit huit jours pour se prĂŠparer, et qu'elle me prieroit de venir voir la disposition de ma maison pour contrĂ´ler. --Mais, madame, ma fille jouait si mal auprès de vous. --Il est surprenant, lui dis-je, qu'elle joue si bien; je ne lui ai donnĂŠ que cinq ou six leçons; encore autant, elle fera mieux que moi; un petit voyage Ă  Crespon ne lui seroit pas inutile; elle se fortifieroit dans sa coiffure. --Madame, me dit madame de la Grise, vous avez trop de bontĂŠs pour ma fille, j'ai peur d'en abuser. Elle ne laissa pas de la faire appeler. --Ma fille, lui dit-elle, voulez-vous bien aller passer cinq ou six jours avec madame la comtesse? Elle ne rĂŠpondit point, et courut Ă  sa chambre faire son petit paquet qu'elle apporta sous son bras. --Il me semble, ma fille, que vous n'ĂŞtes guère fâchĂŠe de me quitter? --Ma chère mère, lui rĂŠpondit-elle, je suis bien aise d'aller avec madame la comtesse. Nous l'embrassâmes toutes deux, sa rĂŠponse avoit ĂŠtĂŠ si spirituelle! Je retournai chez moi; ce fut une vĂŠritable joie dans la maison quand on vit la petite fille, on l'aimoit, et tous les domestiques s'ĂŠtoient aperçus que je l'aimois de tout mon cœur. --Mademoiselle, lui dit Bouju, venez-vous encore apprendre quelque chose? vous savez le frisĂŠ, mais vous ne savez pas si bien le tapĂŠ. Nous soupâmes; il ĂŠtoit tard, nous mourions d'envie de nous coucher; la nuit nous parut plus agrĂŠable qu'elle n'avoit encore fait; une petite absence aiguise l'appĂŠtit. Le lendemain, il me vint dans l'esprit que j'ĂŠtois bien ingrate, et que, depuis plus de six semaines, je n'avois pas donnĂŠ signe de vie Ă  monsieur et madame Gaillot; je leur envoyai sur-le-champ mon carrosse avec une lettre par laquelle je les conjurois devenir passer deux ou trois jours dans leur maison, et qu'ils en ĂŠtoient toujours les maĂŽtres. Ils ne se firent pas prier, et je les vis arriver avant midi; ils voulurent loger dans le dortoir, ils en connoissoient les lits et choisirent le meilleur. Je les rĂŠgalai le mieux qu'il me fut possible; nous allâmes nous promener après dĂŽner; il n'y eut pas un coin dans le parc qu'ils ne voulussent voir, et toujours pour admirer les augmentations que j'y avois faites. Enfin ils me mirent sur les dents, et mademoiselle de la Grise aussi; ils s'en aperçurent un peu tard, et m'en firent bien des excuses: --Il n'y paroĂŽtra plus, leur dis-je, quand nous aurons bien dormi. Nous soupâmes, et madame Gaillot me pressa de me coucher. --Je ne suis pas accoutumĂŠe, leur dis-je, Ă  m'endormir de si bonne heure, mais je ne serai pas fâchĂŠe de me coucher, cela me reposera, Ă  condition que nous causerons jusqu'Ă  minuit. Bouju vint, et AngĂŠlique, mon autre femme de chambre; on me frisa, on mit mes cheveux sous des papillottes, on attacha mes cornettes, on me mit une camisole chamarrĂŠe de dentelles d'Alençon, j'Ă´tai mes boucles d'oreilles de diamants, et en mis de petites d'or, mes mouches tomboient assez d'elles-mĂŞmes, et je me couchai entre deux draps. --Toutes les dames ne vous ressemblent pas, me dit madame Gaillot, et il faut ĂŞtre aussi belle que vous ĂŞtes, pour avoir si peu besoin de secours ĂŠtrangers; votre miroir vous suffit et vous dit continuellement que vous avez tout par vous-mĂŞme. Mademoiselle de la Grise ĂŠtoit lĂ  toute droite. --Allons, allons, petite fille, lui dis-je, venez vous coucher, vous ĂŞtes aussi lasse que moi. AngĂŠlique l'eut dĂŠshabillĂŠe en un moment, elle se mit Ă  sa petite ruelle. Monsieur et madame ĂŠtoient dans la grande ruelle, et commençoient Ă  me conter une histoire arrivĂŠe depuis peu Ă  Bourges, lorsque je dis Ă  mademoiselle de la Grise qui faisoit la sĂŠrieuse: --Approchez-vous, mon enfant; venez me donner le bonsoir, et puis vous dormirez; nous ne voulons pas vous contraindre. Elle s'approcha, et je la pris entre mes bras, et la fis passer du cĂ´tĂŠ de la grande ruelle; elle ĂŠtoit sur le dos, et moi j'ĂŠtois sur le cĂ´tĂŠ gauche, la main droite sur sa gorge, nos jambes entrelacĂŠes l'une dans l'autre; je me penchai tout Ă  fait sur elle pour la baiser. --Voyez, dis-je Ă  madame Gaillot, la petite insensible! elle me fait faire tout le chemin, et ne rĂŠpond point aux amitiĂŠs que je lui fais. Cependant j'avançois mes affaires, je baisois sa bouche plus vermeille que le corail, et lui donnois en mĂŞme temps de plus solides plaisirs elle n'eut pas la force de se retenir et dit Ă  demi-haut, avec un grand soupir: --Ah! que j'ai de plaisir! --Vous voilĂ  donc rĂŠveillĂŠe, ma belle demoiselle? lui dit monsieur Gaillot. Elle vit bien qu'elle avoit dit une sottise. --Il est vrai, dit-elle, je mourois de froid quand je suis entrĂŠe dans le lit, et prĂŠsentement j'ai chaud, je suis bien aise. Je ne la baisois plus et m'ĂŠtois aussi remise sur le dos. --Elle ne m'aime point, leur dis-je, et vous voyez que je l'aime bien. --Le moyen, reprit madame Gaillot, qu'elle n'aime pas une si belle dame. --Cela n'est pas vrai, dit la petite fille en se mettent Ă  son sĂŠant, j'aime la belle dame de tout mon cœur. Et en mĂŞme temps elle se jeta sur moi Ă  corps perdu, et me baisoit avec des transports qui marquoient que c'ĂŠtoit tout de bon. --Chacun Ă  son tour, lui dis-je; vous ĂŠtiez froide comme une glace il n'y a qu'un moment, et prĂŠsentement j'ai envie de l'ĂŞtre, mais je n'en ai pas la force. En disant cela, je la fis remettre Ă  sa place, et repris, sous prĂŠtexte de la baiser, l'attitude convenable Ă  nos vĂŠritables plaisirs. Les personnes qui les regardoient les augmentoient encore; il est bien doux de tromper les yeux du public. Nous nous remĂŽmes ensuite tranquillement sur le chevet; nos tĂŞtes ĂŠtoient l'une auprès de l'autre, et nos corps se joignoient encore de plus près. --Mon fils, disoit madame Gaillot Ă  son mari, as-tu jamais vu deux visages plus gracieux? --Il est vrai, lui dis-je, que mon petit cœur est fort joli. --Et vous, belle madame, vous n'ĂŞtes pas jolie, vous ĂŞtes belle comme un ange! Et en disant cela nous nous baisions. --Mon enfant est fort jolie, disois-je Ă  madame Gaillot, mais moi, je suis vieille auprès d'elle; songez que j'ai vingt ans. C'est ainsi que se passa la soirĂŠe; nos hĂ´tes s'en allèrent et nous nous endormĂŽmes. Le lendemain, monsieur le curĂŠ et monsieur le chevalier d'Hanecourt soupèrent avec nous; madame Gaillot me pressa fort de me coucher comme la veille. --Ce n'est pas de mĂŞme, lui dis-je, la compagnie est plus grosse, il faut y faire plus de façons. Je me laissai pourtant persuader. --Ce ne seroit pas pour moi, madame, que vous vous contraindriez, disoit monsieur le curĂŠ. La petite fille se coucha aussi et s'approcha de moi fort près, nos tĂŞtes se touchoient, mais nous ne nous baisions pas. --Vous ne vous aimez donc plus aujourd'hui dit madame Gaillot, vous ne vous baisez pas. --Monsieur le curĂŠ, dis-je en riant, ne le trouveroit peut-ĂŞtre pas bon? --Moi, madame? et qu'y a-t-il de plus innocent? C'est une sœur aĂŽnĂŠe qui baise sa cadette. Après cette permission, je fis passer mademoiselle de la Grise, comme la veille, du cĂ´tĂŠ de la grande ruelle et de la compagnie; elle se mit sur le dos (elle savoit bien comment il falloit se mettre) et je m'avançai sur elle pour la baiser. Ce baiser fut long, et nous n'avions point encore eu tant de plaisir; je quittois sa bouche de temps en temps, et rangeai ma tĂŞte sur le chevet Ă  cĂ´tĂŠ de la sienne, mais sans changer la situation de nos corps. --C'est ma petite femme, disois-je Ă  monsieur le curĂŠ. --Vous ĂŞtes donc aussi mon petit mari! s'ĂŠcria la petite fille en ouvrant les yeux qu'elle avoit tenus longtemps fermĂŠs. --J'y consens, lui dis-je, je serai ton petit mari, et tu seras ma petite femme; voilĂ  monsieur le curĂŠ qui y consentira aussi. --De tout mon cœur, dit-il en riant. --Et moi, dit monsieur Gaillot je m'offre Ă  nourrir tous les enfants qui viendront de ce mariage. Pendant qu'ils se rĂŠjouissoient, nous nous rĂŠjouissions aussi; j'avois repris ma petite femme, et je la baisois mieux que je n'avois encore fait; nous ne profĂŠrions pas une parole, seulement quelquefois: ÂŤMon petit mari, mon cher cœurÂť, et bien des soupirs. --VoilĂ  donc une affaire faite, dit madame Gaillot, voilĂ  madame la comtesse mariĂŠe; ses amants n'ont qu'Ă  chercher fortune ailleurs. Elle disoit cela malicieusement, Ă  cause du chevalier d'Hanecourt qui ne trouvoit pas le mot pour rire Ă  tout ce que nous faisions. Nous nous remĂŽmes ensuite Ă  notre sĂŠant, avec des petits manteaux fourrĂŠs sur nos ĂŠpaules; il commençoit Ă  faire froid. Puis nous causâmes fort gaĂŽment, je leur lus mes lettres de Paris (on aime les nouvelles dans les provinces), et on s'alla coucher. Les jours suivants se passèrent aussi agrĂŠablement, ce fut une plaisanterie perpĂŠtuelle sur notre petit mariage; monsieur et madame Gaillot retournèrent Ă  Bourges, et en parlèrent Ă  tout le monde, et lorsque madame de la Grise me vint voir: --Comment, mon beau monsieur, me dit-elle en riant, vous ĂŠpousez ma fille sans me le dire. --Au moins, lui dis-je, madame, ç'a ĂŠtĂŠ en bonne compagnie et en prĂŠsence de mon curĂŠ. --Madame, me dit-elle, ma maison est prĂŞte, me voulez-vous faire le plaisir de la venir voir? Il est jeudi, ce sera dimanche que je donnerai Ă  souper Ă  monsieur l'intendant. Je l'assurai que je serois chez elle le lendemain Ă  trois heures après midi; je n'y manquai pas, mais je ne ramenai point mademoiselle de la Grise; je dis Ă  sa mère qu'elle avoit la migraine, que je l'avois fait coucher, et que dimanche nous irions dĂŽner avec elle. --Nous aurons, lui dis-je, assez de temps pour nous habiller, l'intendant ne viendra chez vous qu'Ă  huit heures du soir. Je trouvai la maison fort bien disposĂŠe, une grande salle pour les valets, la chambre de madame de la Grise pour le bal (on en avoit Ă´tĂŠ le lit), son cabinet qui ĂŠtoit assez grand pour une retraite qui soulageroit beaucoup la salle de bal, et sa chambre Ă  coucher pour nous habiller. J'approuvai tout, et m'en retournai Ă  Crespon; j'y trouvai ma petite femme qui fut aussi aise que moi. Nous avions encore trois jours Ă  ĂŞtre ensemble, et ils furent bien employĂŠs, monsieur le curĂŠ nous tint compagnie les soirs; le chevalier d'Hanecourt n'y vint point, il ĂŠtoit malade ou faisoit semblant de l'ĂŞtre; il ĂŠtoit un peu jaloux. Le dimanche, après avoir entendu la grand'messe, je montai dans mon carrosse avec mademoiselle de la Grise et Bouju. Nous portâmes tout ce qu'il falloit pour nous parer. Nos cheveux ĂŠtoient frisĂŠs de la veille et sous des papillottes. Nous fĂŽmes un dĂŽner fort lĂŠger, tant nous avions envie de nous ajuster. Je voulus absolument que Bouju coiffât mademoiselle de la Grise la première, elle devoit ĂŞtre la reine du bal. Quand elle fut tout Ă  fait habillĂŠe et coiffĂŠe, je lui Ă´tai les boucles d'oreilles de rubis que je lui avois donnĂŠes, et lui mis mes beaux pendants d'oreilles de diamants; la mère se rĂŠcria qu'elle ne le souffriroit point, mais je lui dis si fortement qu'elle me dĂŠsobligeroit, qu'enfin elle y consentit. Je lui mis aussi dans les cheveux mes poinçons de diamants. J'ĂŠtois ravie de la voir si belle, et je la baisois de temps en temps pour ma peine. --Et vous, madame, dit mademoiselle de la Grise, vous n'aurez plus rien. Il est vrai que vous ĂŞtes belle, vous n'avez pas besoin d'ĂŞtre ajustĂŠe. Je mis aussi Ă  ma petite femme douze ou quinze mouches; on n'en sauroit trop mettre, pourvu qu'elles soient petites. Pour moi, j'avois une fort belle robe, bien coiffĂŠe, un collier de perles, des pendants d'oreilles de rubis; ils ĂŠtoient faux, mais on les croyoit fins: le moyen de croire que madame la comtesse qui avoit tant de belles pierreries, en voulĂťt porter des fausses? Il y avoit douze dames priĂŠes au souper, et chacune devoit avoir un cavalier pour la mener Ă  la première courante. A sept heures, tout ĂŠtoit arrivĂŠ. Monsieur l'intendant ne vint qu'Ă  huit; on se tint jusques au souper dans le cabinet, et suivant que nous l'avions projetĂŠ, nous rĂŠcitâmes deux scènes de _Cinna_; la petite fille les dit Ă  merveille, et l'on convint que j'ĂŠtois une bonne maĂŽtresse, mais aussi ĂŠtoit-elle une bonne ĂŠcolière. On avoit mis deux tables dans la salle de bal, de douze couverts chacune, servies toutes deux ĂŠgalement; les dames s'ĂŠtoient partagĂŠes. Le souper fut fort bon. A dix heures et demie, la compagnie repassa dans le cabinet, et l'on rangea la salle de bal, on alluma les bougies, et le bal commença Ă  onze heures, la courante d'abord, et puis les petites danses. On vint dire Ă  minuit Ă  madame de la Grise qu'il y avoit en bas des masques qui demandoient Ă  entrer; on en fut ravi. Il en parut deux bandes fort propres, on les fit danser aussitĂ´t, mais il y eut un masque qui se distingua extrĂŞmement: il avoit un habit magnifique et dansoit parfaitement bien, personne ne le reconnoissoit. Je dansai souvent avec lui, je mourois d'envie de le connoĂŽtre; il ne voulut point Ă´ter son masque. Je le menai dans le cabinet et je le pressai tant quand nous fĂťmes seuls, qu'il me fit voir le visage du chevalier d'Hanecourt. J'avoue que cette galanterie me toucha, et je le priai de ne se point dĂŠmasquer, puisqu'il n'ĂŠtoit venu au bal que pour moi; on ne l'eĂťt jamais devinĂŠ. Il avoit mis Ă  son habit une annĂŠe de son revenu. Il sortit sans qu'on s'en aperçÝt, et retourna chez lui. Nous dansâmes jusqu'Ă  quatre heures, et madame de la Grise ne voulut jamais souffrir que je m'en allasse Ă  cette heure-lĂ ; elle avoit fait mettre des draps blancs au lit de sa petite chambre, et j'y couchai. Elle voulut absolument coucher avec sa fille dans le lit de sa femme de chambre. Je retournai le lendemain Ă  Crespon, et soupai avec monsieur le curĂŠ et le chevalier d'Hanecourt. Je traitai celui-ci mieux qu'Ă  l'ordinaire et lui fis assez d'amitiĂŠs; cela lui donna la hardiesse de s'ouvrir Ă  monsieur le curĂŠ sur le dessein qu'il avoit de m'offrir ses services. Il me voyoit une jeune veuve assez bien faite et fort riche, il eĂťt bien voulu m'ĂŠpouser. Monsieur le curĂŠ qui ĂŠtoit son ami, m'en fit la proposition, mais de fort loin, et je la rejetai d'encore plus loin. --Monsieur, lui dis-je, je suis heureuse et maĂŽtresse de mes actions, je ne veux point me rendre esclave; j'avoue que le chevalier est fort aimable, je chercherai quelque occasion de lui faire plaisir, mais je ne l'ĂŠpouserai point. Après cela, je lui dis que j'ĂŠtois fâchĂŠe que le chevalier eĂťt fait faire un si bel habit pour l'amour de moi, et je lui donnai une bourse oĂš il y avoit cent louis d'or, en le priant de la mettre sur la table du chevalier sans qu'il s'en aperçÝt, que s'il m'en parloit, je nierois toujours la chose. Le curĂŠ loua ma gĂŠnĂŠrositĂŠ, et me dit que je ne pouvois jamais mieux l'employer. Il n'y avoit plus que trois semaines de carnaval, lorsqu'il arriva Ă  Bourges une troupe de comĂŠdiens; j'en fus bientĂ´t avertie par madame la lieutenante gĂŠnĂŠrale qui me pria Ă  souper après la comĂŠdie; je n'y manquai pas, et eus assez de plaisir. Le sieur du Rosan qui faisoit le rĂ´le d'amoureux, jouoit comme Floridor, et il y avoit une petite fille de quinze ou seize ans, qui ne faisoit que les suivantes et que je dĂŠmĂŞlai comme une très bonne comĂŠdienne. Tout le reste des acteurs et des actrices ĂŠtoit au-dessous du mĂŠdiocre. Dans les villes de province, on joue la comĂŠdie tous les jours. C'ĂŠtoit une affaire de retourner tous les soirs Ă  Crespon; madame de la Grise me proposa de passer le carnaval chez elle. --Madame, me dit-elle, vous ne m'incommoderez point du tout, je couche toujours dans ma petite chambre. Je vous donnerai la grande, et une garde-robe pour vos femmes. --Mais, rĂŠpliquai-je, oĂš couchera mademoiselle de la Grise? --Belle demande, dit-elle en riant, avec son mari. --J'accepte, rĂŠpartis-je aussi en riant. Cependant, tout le carnaval je m'acquittai de mon devoir sans que la petite fille se doutât de rien; elle ĂŠtoit dans l'innocence, mais ce n'ĂŠtoit plus le temps de la petite Montfleury. J'allai chez moi le lendemain, et donnai ordre qu'on m'apportât tous les jours Ă  Bourges des chapons gras qu'on ĂŠlevoit dans ma basse-cour, des lĂŠgumes du potager, et des fruits d'hiver, dont j'avois une bonne provision; cela ne laissoit pas de faire plaisir Ă  la cuisine de madame de la Grise. Nous allions tous les jours Ă  la comĂŠdie; au bout de deux ou trois jours, j'envoyai quĂŠrir du Rosan, et lui dis que la petite comĂŠdienne ĂŠtoit capable de jouer les grands rĂ´les. --Il est vrai, madame, me dit-il, mais nos premières comĂŠdiennes n'y consentiront jamais, si vous ne vous servez de votre autoritĂŠ. J'en parlai Ă  monsieur l'intendant qui les en pria fort honnĂŞtement, et le jour suivant, mademoiselle Roselie (c'ĂŠtoit son nom) fit le rĂ´le de Chimène dans _le Cid_; elle s'en acquitta fort bien. La petite fille me plaisoit, elle ĂŠtoit fort jolie, j'ĂŠtois nĂŠe pour aimer des comĂŠdiennes. Je la fis venir chez moi, et lui donnai des avis. --Ma belle, lui dis-je, il y a des endroits oĂš il faut prononcer les vers fort vite, et d'autres fort doucement; il faut changer de ton, tantĂ´t haut et tantĂ´t bas; vous bien mettre dans la tĂŞte que vous ĂŞtes Chimène, ne point regarder les spectateurs, pleurer quand il le faut, ou du moins en faire semblant. Je pratiquai devant elle les leçons que je lui donnois, elle connut bientĂ´t que j'ĂŠtois maĂŽtresse passĂŠe. Dès le lendemain, je reconnus Ă  sa manière de jouer que j'y avois mis la main, sa tante et tous les comĂŠdiens me remercièrent. --C'est un trĂŠsor, leur dis-je, que vous aviez chez vous sans le connoĂŽtre, et ce sera peut-ĂŞtre la meilleure comĂŠdienne de son siècle. Les applaudissements du public les assuroient de la mĂŞme chose, et leurs parts qui augmentoient tous les jours les persuadoient encore mieux. La petite fille ĂŠtoit ravie de se voir princesse, et fĂŞtĂŠe de tout le monde. L'archevĂŞque de Bourges arriva dans ce temps-lĂ ; il ĂŠtoit de la maison de***, bon homme, nullement magicien, rĂŠglĂŠ dans sa conduite, mais il aimoit tous les plaisirs innocents. Mme la lieutenante gĂŠnĂŠrale me mena chez lui; il me reçut Ă  merveille, et me parla de ma maison dont on lui avoit fait une peinture un peu flattĂŠe. Il me promit de la venir voir, et je le priai de me faire cet honneur-lĂ . Le dimanche gras, j'allai Ă  Crespon prĂŠparer tout pour le recevoir; mes appartements ĂŠtoient assez bien meublĂŠs, mais je fis dresser un thÊâtre en forme, dans une chambre oĂš il devoit y avoir plus de cent bougies allumĂŠes; je voulois donner la comĂŠdie au bon ĂŠvĂŞque sans qu'il en sĂťt rien; je fis avertir secrètement les comĂŠdiens. Il arriva le dimanche Ă  quatre heures, il faisoit un assez beau soleil, je les fis entrer seulement dans le parterre, le froid nous chassa bientĂ´t Ă  la maison, toutes les dames de Bourges s'y ĂŠtoient rendues. Je menai monseigneur dans la salle de la comĂŠdie, et le fis asseoir dans un fauteuil, presque malgrĂŠ lui: --Vous ĂŞtes Ă  la campagne, monseigneur, lui dĂŽmes-nous; ceci est sans consĂŠquence. La comĂŠdie commença, il ne put s'en dĂŠdire; d'ailleurs c'ĂŠtoit _Polyeucte_, une comĂŠdie sainte; il fut tout rassurĂŠ. La petite Roselie fit Pauline, et charma toute la compagnie. Le bon archevĂŞque la fit venir, il avoit grande envie de la baiser, mais il n'osa. Je le fis pour lui, je commençois Ă  l'aimer sĂŠrieusement et la regardois comme mon ouvrage. Le souper suivit la comĂŠdie et fut bon et fort long, on y but la santĂŠ de l'archevĂŞque; il ĂŠtoit minuit quand on retourna Ă  la ville, il n'y eut que madame de la Grise qui demeura avec sa fille. Je l'avois priĂŠe, et j'avois mes petites raisons pour cela, de donner son carrosse pour ramener les comĂŠdiens, après qu'ils eurent bien soupĂŠ, le mien n'eĂťt pas suffi; je lui donnai Ă  mon tour le lit de ma grande chambre, mais pour le coup, je fus prise pour dupe, elle fit coucher sa fille avec elle, et je n'eus garde d'insister. Le lendemain, je retournai Ă  Bourges avec elles, sous prĂŠtexte d'aller remercier l'archevĂŞque, mais en effet pour voir Roselie que j'avois bien envie de possĂŠder trois ou quatre jours toute seule Ă  Crespon. J'allai pour cela Ă  la comĂŠdie deux heures avant qu'elle commençât; tous les comĂŠdiens et comĂŠdiennes me vinrent remercier, ils ĂŠtoient charmĂŠs de Roselie. Je pris sa tante Ă  part, et lui dis qu'il ne falloit pas la tuer en la faisant jouer tous les jours et que tout au plus elle ne pouvoit jouer que deux fois la semaine, faisant les grands rĂ´les et ayant quelquefois Ă  dire cinq ou six cents vers. --Je le vois bien, madame, me dit la bonne tante, mais nos camarades ne songent qu'Ă  gagner de l'argent, et quand elle joue, il y a bien plus de monde. --Donnez-la-moi, lui dis-je, il est aujourd'hui dimanche, je vous la ramènerai jeudi, et Ă  l'avenir, croyez-moi, ne la faites jouer que le dimanche et le jeudi, cela la reposera. Je vous promets mĂŞme de lui faire rĂŠpĂŠter son rĂ´le, elle n'en fera pas plus mal. Elle me remercia fort, et je menai sa nièce coucher Ă  Crespon. On peut croire aisĂŠment qu'elle coucha avec moi. Je la caressai de mon mieux, et la voulus mettre d'abord sur le pied de mademoiselle de la Grise, mais elle rĂŠsista. Elle ĂŠtoit vĂŠritablement fort sage, je le vis bien dans la suite, mais elle ĂŠtoit mieux instruite que la petite de la Grise: une comĂŠdienne Ă  seize ans en sait plus qu'une fille de qualitĂŠ Ă  vingt. Je la pressai, elle m'avoit obligation, et voyoit bien que je l'aimois, je lui promis de ne l'abandonner jamais. Je la tenois entre mes bras et la baisois de tout mon cœur, nos bouches ne pouvoient se quitter, nos deux corps n'en faisoient qu'un. --Fiez-vous Ă  moi, lui disois-je; vous voyez, mon petit cœur, que je me fie Ă  vous; mon secret, le repos de ma vie est entre vos mains. Elle ne rĂŠpondoit point et soupiroit; je la pressois de plus en plus, je sentois que sa rĂŠsistance mollissoit, je redoublai mes efforts, et achevai cette sorte de combat oĂš le vainqueur et le vaincu se disputent l'honneur du triomphe. Il me sembloit que j'avois encore plus de plaisir avec elle qu'avec mademoiselle de la Grise, la condition et l'innocence de l'une ĂŠtoient bien remplacĂŠes par la gentillesse de l'autre qui avoit tous les agrĂŠments de la coquetterie. Notre coup d'essai devint la règle de notre vie, son plaisir lui fit croire aisĂŠment que je l'aimerois toujours, elle m'accabloit d'amitiĂŠs, et je fus obligĂŠe de la conjurer de modĂŠrer sa tendresse aux yeux du public, quoique nous pussions nous donner les marques les plus fortes sans craindre la mĂŠdisance. Le jeudi suivant, je ne manquai pas de ramener Roselie Ă  Bourges; on trouva qu'elle faisoit toujours de mieux en mieux. J'allai souper chez monsieur le lieutenant gĂŠnĂŠral, mademoiselle de la Grise y ĂŠtoit, fort nĂŠgligĂŠe et fort triste; je l'aimais encore, quoique la petite comĂŠdienne eĂťt pris le dessus, et je lui demandai avec amitiĂŠ ce qu'elle avoit; elle se mit Ă  pleurer, et s'enfuit. Je lui reparlai encore après souper. --HĂŠlas! madame, me dit-elle, pouvez-vous me demander ce que j'ai? Vous ne m'aimez plus, et vous allez coucher Ă  Crespon avec Roselie; elle est plus aimable que moi, mais elle ne vous aime pas tant. Je la laissois dire et ne savois que lui rĂŠpondre, lorsque sa mère me pria de passer dans son cabinet, et me dit que monsieur le comte des Goutes, demandoit sa fille en mariage. C'ĂŠtoit un gentilhomme du pays, qui avoit huit Ă  dix mille livres de rente; je lui conseillai de ne pas manquer cette affaire-lĂ , tant pour me dĂŠlivrer de l'importunitĂŠ de la petite fille, que parce qu'elle ĂŠtoit bonne, et aussi Ă  cause de mes remords. J'avois toujours peur que le petit commerce que nous avions ensemble ne produisĂŽt quelque mauvais effet qui eĂťt ĂŠtrangement embarrassĂŠ la compagnie, au lieu qu'avec Roselie j'allois Ă  bride abattue, sans avoir peur de faire un faux pas. Huit jours après, on dĂŠclara le mariage de mademoiselle de la Grise avec le comte des Goutes, et j'allai Ă  Bourges leur faire mes compliments. Je crus ĂŞtre obligĂŠe, en honneur et conscience, de donner des avis Ă  mademoiselle de la Grise. --Ma chère enfant, lui dis-je, vous allez vous marier, il faut tâcher d'ĂŞtre heureuse. Votre mari est bien fait, et paroĂŽt fort honnĂŞte homme, il vous aime, mais il ne sera pas toujours amant, il faut vous attendre Ă  excuser ses humeurs. Vous ĂŞtes sage, il ne faut jamais lui donner lieu d'ĂŞtre jaloux. Ne songez qu'Ă  lui plaire, vous attacher Ă  votre mĂŠnage, avoir bien soin de vos enfants, si Dieu vous fait la grâce d'en avoir; c'est la bĂŠnĂŠdiction du mariage et le plus doux lien des gens mariĂŠs. Mais ĂŠcoutez-moi, ma chère enfant, je crois que vous vous souvenez assez des heureuses nuits que nous avons passĂŠes ensemble; souvenez-vous bien de faire par raison, avec votre mari, la première nuit de vos noces, tout ce que vous fĂŽtes avec moi naturellement et sans savoir ce que vous faisiez. Laissez-vous longtemps presser, dĂŠfendez-vous, pleurez, criez, afin qu'il croie vous apprendre ce que je vous ai appris; de lĂ  dĂŠpend toute la douceur de votre vie. Je vous ouvre les yeux prĂŠsentement, parce qu'il le faut absolument; vous ne devez pas ĂŞtre en peine de votre secret, je suis aussi intĂŠressĂŠe que vous Ă  le garder. La pauvre fille se mit Ă  pleurer. Sa mère entra dans le cabinet oĂš nous ĂŠtions. --Madame, lui dis-je, elle pleure, il faut louer sa modestie. Sa mère la baisa: --Ma fille, lui dit-elle, vous avez bien de l'obligation Ă  madame la comtesse; suivez les conseils qu'elle vous donnera, et cachez vos larmes. Nous rentrâmes dans la chambre oĂš ĂŠtoit la compagnie. Le lendemain, l'archevĂŞque les maria lui-mĂŞme, et trois jours après les mariĂŠs allèrent Ă  leur terre qui est Ă  sept lieues de Bourges. Je leur promis de les aller voir, et je leur tins parole deux mois après. Elle ĂŠtoit dĂŠjĂ  grosse; je la trouvai occupĂŠe de son mari et du plaisir d'avoir une maison arrangĂŠe. C'est un grand plaisir pour une jeune femme qui sort de dessous l'aile de sa mère et qui ordonne en maĂŽtresse. Il me parut que je ne lui ĂŠtois pas encore tout Ă  fait indiffĂŠrente, mais Ă  la fin la vertu fit en elle ce que l'inconstance avoit fait en moi. Après Pâques, l'archevĂŞque s'en alla Ă  Paris, l'intendant n'ĂŠtoit plus Ă  Bourges, toute la noblesse qui y passoit l'hiver ĂŠtoit allĂŠe chacun dans son village. Les comĂŠdiens ne gagnèrent pas de quoi payer les chandelles, ils annoncèrent leur dĂŠpart. Roselie pleuroit nuit et jour dans la crainte de me quitter; j'en ĂŠtois aussi fâchĂŠe qu'elle. Je menai sa tante Ă  Crespon, et lui dis que je voulois faire la fortune de sa nièce, que si elle vouloit me la donner, je la mènerois Ă  Paris dans six mois, et la ferois recevoir Ă  l'hĂ´tel de Bourgogne, sa capacitĂŠ et mes amis m'assurant de rĂŠussir dans mon dessein. J'appuyai ma proposition d'une bourse de cent louis d'or, que je mis dans la main de la bonne tante; elle n'en avoit jamais tant vu ensemble. --Il faudroit, madame, que j'eusse perdu le sens, si je refusois la fortune de ma nièce; je vous la donne, et j'espère que vous ne l'abandonnerez pas. Notre marchĂŠ conclu, elle retourna Ă  Bourges, et dit Ă  la troupe qu'elle n'ĂŠtoit plus en peine de sa nièce, et que madame la comtesse s'en ĂŠtoit chargĂŠe. C'ĂŠtoit une grande perte pour eux, mais telle est la destinĂŠe des comĂŠdiens de campagne, dès que quelqu'un d'eux devient bon, il quitte, et vient Ă  Paris. En effet, du Rosan leur joua bientĂ´t après le mĂŞme tour. Floridor connoissoit son mĂŠrite et le pressoit depuis six mois d'aller Ă  Paris. Il ĂŠtoit chef de sa troupe, et il aimoit la petite Roselie qu'il prĂŠvoyoit devoir ĂŞtre un jour une bonne comĂŠdienne; cela le retenoit, mais quand il vit que j'avois pris la petite fille, il n'hĂŠsita plus, il alla s'offrir Ă  l'hĂ´tel de Bourgogne, et il fut reçu avec l'acclamation du public. Dès que les comĂŠdiens furent partis, je retournai Ă  ma maison, et ne vins plus guère Ă  Bourges; j'avois mis avec moi Roselie que j'aimois fort, et madame la comtesse des Goutes s'en ĂŠtoit allĂŠe avec son mari. Je ne songeois plus Ă  elle, une femme mariĂŠe ne m'ĂŠtoit plus rien, le sacrement effaçoit d'abord tous ses charmes. Monsieur le curĂŠ et le chevalier d'Hanecourt nous tenoient compagnie; le chevalier avoit pris son parti en homme sage, et s'ĂŠtoit rĂŠduit Ă  ĂŞtre de mes amis. Je mis Roselie sur un autre pied que celui d'une comĂŠdienne; je lui fis faire des habits fort propres, j'envoyai Ă  Paris quatre de mes poinçons de diamants, qu'on troqua contre de fort belles boucles d'oreilles que je lui donnai. Je la menois partout avec moi dans les visites de mon voisinage; sa beautĂŠ et sa modestie charmoient tout le monde. Je m'avisai d'aller Ă  la chasse et de m'habiller en amazone; j'y fis aussi habiller Roselie, et la trouvai si aimable avec une perruque et un chapeau, que peu Ă  peu je la fis tout Ă  fait habiller en garçon. C'ĂŠtoit un fort joli cavalier, et il me sembloit que je l'en aimois davantage; je l'appelois mon petit mari; on l'appeloit partout le petit comte ou monsieur comtin; il me servoit d'ĂŠcuyer. Je me lassai de lui voir une perruque, et lui fis couper un peu de cheveux; elle avoit une tĂŞte charmante, ce qui la rendoit bien plus jolie; la perruque vieillit les jeunes gens. Ce divertissement ĂŠtoit fort innocent et dura sept ou huit mois, mais par malheur monsieur comtin eut mal au cœur, perdit l'appĂŠtit, prit la mauvaise habitude de vomir tous les matins. Je soupçonnai ce qui ĂŠtoit arrivĂŠ, et lui fis reprendre ses habits de fille, comme plus convenables Ă  son ĂŠtat prĂŠsent, et plus propres Ă  le cacher; je lui faisois mettre des grandes robes de chambre traĂŽnantes et sans ceinture, on disoit qu'elle ĂŠtoit malade; les migraines, les coliques vinrent Ă  notre secours. La pauvre enfant pleuroit souvent, mais je la consolois en l'assurant que je ne l'abandonnerois jamais. Elle m'avoua qu'elle n'avoit ni père ni mère, et ne savoit d'oĂš elle ĂŠtoit; que sa tante ĂŠtoit une tante postiche, qui l'avoit prise en amitiĂŠ Ă  l'âge de quatre ans. Je ne m'ĂŠtonnai plus qu'elle me l'eĂťt donnĂŠe si aisĂŠment. Au bout de cinq ou six mois, je vis très bien que tout se dĂŠcouvriroit en province, et avec scandale. L'aimant autant que je faisois, je songeai Ă  la mettre entre les mains de personnes habiles qui pussent la guĂŠrir d'un mal qui n'est pas dangereux, pourvu qu'on ne l'aigrisse pas en le voulant trop cacher. Il falloit aller Ă  Paris oĂš l'on se cache aisĂŠment. Je recommandai ma maison Ă  monsieur le curĂŠ, et partis dans mon carrosse avec Roselie, Bouju et sa femme, mon cuisinier Ă  cheval. J'avois mandĂŠ Ă  monsieur Acarel de me louer une maison avec un beau jardin dans le faubourg Saint-Antoine, rĂŠsolue d'aller peu Ă  la ville, jusqu'Ă  ce que la petite fĂťt guĂŠrie. Dès que je fus arrivĂŠe, je mis Roselie chez une sage-femme qui en eut grand soin; je l'allois voir tous les jours et lui faisois de petits prĂŠsents pour la rĂŠjouir. Je ne songeois qu'Ă  elle, je ne songeois point Ă  moi ni Ă  me parer. J'avois des habits fort propres, et toujours des coiffes, sans mettre jamais ni pendants d'oreilles ni mouches. Enfin Roselie mit au monde une petite fille que j'ai fait bien ĂŠlever, et Ă  l'âge de seize ans je l'ai mariĂŠe Ă  un gentilhomme de cinq ou six mille livres de rente; elle est fort heureuse. Sa mère, au bout de six semaines, redevint plus belle que jamais, et alors je resongeoi aussi Ă  ma beautĂŠ. Je m'ajustai fort, et allai Ă  la comĂŠdie avec deux dames de mes voisines. Roselie y parut comme un petit astre; mais elle fut bien ĂŠtonnĂŠe, et moi aussi, lorsqu'elle vit sur le thÊâtre du Rosan qui faisoit le personnage de Maxime dans _Cinna_. Il nous reconnut aisĂŠment et vint nous voir dans notre loge. Il ne se sentoit pas de joie, et il me parut que Roselie n'ĂŠtoit pas fâchĂŠe. Je lui dis oĂš je demeurois, et lui permis de me venir voir. Nous le vĂŽmes dès le lendemain, et il ne finissoit point sur la beautĂŠ de la petite fille; sa passion se rĂŠveilla. --Madame, me dit-il, ma fortune est faite; je n'ai encore qu'une demi-part, mais je l'aurai bientĂ´t tout entière; c'est huit mille livres de rente. J'ĂŠpouserai Roselie, si vous me la voulez donner, et je me flatte que faite comme elle est, si elle n'a point oubliĂŠ Ă  dire des vers, je la ferai recevoir dans la troupe. Je lui rĂŠpondis que je lui en parlerois, et qu'il revĂŽnt dans trois ou quatre jours. Je lui en parlai dès la mĂŞme nuit, en l'embrassant de tout mon cœur: --Voyez, lui dis-je en pleurant, si vous me voulez quitter. Elle dit assez froidement qu'elle feroit tout ce que je voudrois. Cela ne me plut pas, et je rĂŠsolus de la marier. Je la fis coucher dès le lendemain dans une chambre sĂŠparĂŠe; cela la toucha, elle me crut en colère; quand tout le monde fut couchĂŠ, elle me vint trouver dans mon lit, et me demanda cent fois pardon. --Eh! madame, me dit-elle, quand je serois mariĂŠe, ne m'aimeriez-vous plus? --Non, ma chère enfant, lui dis-je, une femme mariĂŠe ne doit aimer que son mari. Elle se mit Ă  pleurer, et m'embrassa si tendrement que je lui pardonnai et m'imaginai ĂŞtre encore Ă  Crespon. Du Rosan revint et pressa. Je lui dis que Roselie n'ayant pas de bien, il falloit voir, avant toutes choses, si elle seroit reçue dans la troupe. --Non, madame, reprit-il comme un homme fort amoureux, je ne demande rien; sa petite personne est un assez grand trĂŠsor. Je ne l'ĂŠcoutai pas, et lui dis que le lendemain j'irois Ă  la comĂŠdie, que Roselie seroit dans ma loge, fort parĂŠe, qu'il la fĂŽt remarquer Ă  ses camarades, et qu'après la pièce ils me vinssent tous prier de venir sur le thÊâtre, quand tout le monde seroit sorti, pour faire dire quelques vers Ă  la fille. Cela fut exĂŠcutĂŠ; on joua _le Menteur_; Floridor, après la pièce, nous conduisit sur le thÊâtre, et pour me rĂŠjouir, je dis avec la petite fille des scènes de _Polyeucte_, que nous avions dites ensemble plus de cent fois. Les comĂŠdiens ĂŠtoient dans l'extase, et sans autre examen vouloient recevoir Roselie, mais je m'y opposai. --Il faut, leur dis-je, consulter le public. Faites-la afficher, qu'elle joue cinq ou six fois, et puis vous verrez. Du Rosan trouvoit cela bien long, et moi je le trouvois bien court. Il falloit, le lendemain des noces, renoncer pour jamais Ă  ce que j'aimois; je m'y rĂŠsolus pourtant et ne voulus point empĂŞcher l'ĂŠtablissement de ma chère enfant; je m'ĂŠtois aussi aperçue qu'elle ne haĂŻssoit pas du Rosan. Elle joua publiquement sur le thÊâtre de l'hĂ´tel de Bourgogne, et dès la première fois, le parterre la fit taire Ă  force d'acclamations. Les comĂŠdiens la reçurent dans les formes, et lui donnèrent en entrant une demi-part. Elle n'avoit point d'habits de thÊâtre, ils sont fort chers; je lui donnai mille ĂŠcus pour en avoir, et du Rosan lui en donna autant. Il commença Ă  presser son mariage; je reculois toujours; tantĂ´t c'ĂŠtoient des habits que je lui faisois faire, tantĂ´t c'ĂŠtoit du linge; je voulois faire la noce chez moi. Enfin le jour fatal arriva; Roselie fut mariĂŠe, et je ne lui touchai plus le bout du doigt. Je fis la noce Ă  mes dĂŠpens, et l'accablai de petits prĂŠsents. Je lui avois donnĂŠ Ă  Crespon des boucles d'oreilles de quatre mille francs. Dès que la petite fille fut mariĂŠe, je ne songeai plus qu'Ă  moi, l'envie d'ĂŞtre belle me reprit avec fureur; je fis faire des habits magnifiques, je remis mes beaux pendants d'oreilles qui n'avoient pas vu le jour depuis trois mois; les rubans, les mouches, les airs coquets, les petites mines, rien ne fut oubliĂŠ; je n'avois que vingt-trois ans, je croyois ĂŞtre encore aimable, et je voulois ĂŞtre aimĂŠe. J'allois Ă  tous les spectacles et Ă  toutes les promenades publiques; enfin j'en fis tant que plusieurs gens me reconnurent et me suivirent pour savoir oĂš je logeois. Mes parents trouvèrent mauvais que je fisse encore un personnage qu'on avoit pardonnĂŠ Ă  une grande jeunesse; ils me vinrent voir, et m'en parlèrent si sĂŠrieusement que je me rĂŠsolus de quitter tout ce badinage, et pour cela j'allai voyager tout de bon en Italie. Une passion chasse l'autre: je me mis Ă  jouer Ă  Venise, je gagnai beaucoup, mais je l'ai bien rendu depuis. La rage du jeu m'a possĂŠdĂŠ et a troublĂŠ ma vie. Heureux si j'avois toujours fait la belle, quand mĂŞme j'eusse ĂŠtĂŠ laide! Le ridicule est prĂŠfĂŠrable Ă  la pauvretĂŠ. [Illustration: dĂŠco] [Illustration: dĂŠco] BIBLIOGRAPHIE OUVRAGES DE M. L'ABBÉ DE CHOISY, QUI N'ONT PAS ÉTÉ IMPRIMÉS, 3 vol. manuscrits, in-4Âş. _Bibliothèque de l'Arsenal_, sous la cote: 35 _B. Lettres_. On lit, en tĂŞte du premier volume, cette note autographe du marquis d'Argenson: ÂŤCes ouvrages de l'AbbĂŠ de Choisy m'ont ĂŠtĂŠ remis après sa mort et sont tirĂŠs d'une quantitĂŠ de papiers inutiles qu'il avait nĂŠgligĂŠs. J'ay rangĂŠ en ordre ce qui m'a paru bon et passable. Mon dessein ĂŠtoit qu'ils ne sortissent pas de mon cabinet. Mais parmy quelques personnes Ă  qui je n'ay pu refuser d'en donner lecture, il y en a qui ont pris sur elles Ă  mon insu de donner au public la plus grande partie de ces mĂŠmoires dont cecy est l'original. L'AbbĂŠ Dolivet, son amy, croyt que l'austheur avoit fini les mĂŠmoires pour l'histoire de Louis XIV, et qu'il brĂťla, un an avant que de mourir, ce qui en manque icy. Ces mĂŠmoires sont au premier volume.Âť Le tome III contient les _cinq fragments de la vie de cet ecclĂŠsiastique habillĂŠ en femme_, titre dont nous nous sommes inspirĂŠs après Paul Lacroix. Le second fragment et le quatrième sont intervertis. * * * * * _Histoire de Mme la Comtesse des Barres, Ă  Mme la Marquise de Lambert_, Anvers, 1735, in-12 de 138 p. Edition donnant seulement une partie des _Aventures_. Elle a ĂŠtĂŠ rĂŠimprimĂŠe Ă  Bruxelles, en 1736, et Ă  Paris en 1807. On en attribue la publication Ă  l'abbĂŠ Langlet-Dufresnoy. Gay croit qu'elle aurait ĂŠtĂŠ en outre rĂŠimprimĂŠe sous ce titre: _Histoires secrettes de plusieurs demoiselles, leur aventures galantes_. Paris, Tiger, s. d. in-12. * * * * * _Vie de M. l'AbbĂŠ de Choisy, de l'AcadĂŠmie Française_. Lausanne, 1742, in-8Âş. RĂŠimprimĂŠ sous la mĂŞme rubrique en 1748. Edition lĂŠgèrement augmentĂŠe, donnĂŠe par l'AbbĂŠ d'Olivet. * * * * * _Aventures de l'AbbĂŠ de Choisy habillĂŠ en femme_. Quatre fragments inĂŠdits Ă  l'exception du dernier qui a ĂŠtĂŠ publiĂŠ sous le titre: _Histoire de la Comtesse des Barres_; prĂŠcĂŠdĂŠs d'un avant-propos par M. P. L. (Paul Lacroix). Paris, Jules Gay, 1862. Pet. in-12 de XXII-120 p. TirĂŠ Ă  115 exemplaires. RĂŠimprimĂŠ cinq fois: en 1870, Bruxelles, pour Jules Gay; en 1880, Bruxelles, pour Gay et DoucĂŠ; en 1880, Bruxelles, pour Kistemaeskers; en 1880, Bruxelles, avec un document inĂŠdit par Mme Marc de Montifaud; enfin, en 1884, toujours sous la rubrique Bruxelles, in-18. [Illustration: dĂŠco] TABLE NOTICE 1 CHAP. I.--Premières intrigues de l'abbĂŠ de Choisy sous le nom de Madame de Sancy 11 CHAP. II.--Les amours de M. de Maulny.--Rupture.--Mademoiselle Dany 46 CHAP. III.--Les intrigues de l'abbĂŠ avec les petites actrices Monfleury et Mondory 67 CHAP. IV.--La Comtesse des Barres 72 BIBLIOGRAPHIE 143 4623.--Tours, imprimerie E. ARRAULT et Cie. End of the Project Gutenberg EBook of Aventures de l'abbĂŠ de Choisy habill Š en femme, by François-TimolĂŠon de Choisy *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK AVENTURES DE L'ABBE DE CHOISY *** ***** This file should be named 54035-0.txt or 54035-0.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: http://www.gutenberg.org/5/4/0/3/54035/ Produced by Clarity, HĂŠlène de Mink, and the Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive/American Libraries.) 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32,836 words • 547h 16m read

— End of Aventures de l'abbé de Choisy habillé en femme —

Book Information

Title
Aventures de l'abbé de Choisy habillé en femme
Author(s)
Choisy, abbé de
Language
French
Type
Text
Release Date
January 21, 2017
Word Count
32,836 words
Library of Congress Classification
DC
Bookshelves
FR Biographie, Mémoires, Journal intime, Correspondance, Browsing: Biographies, Browsing: Gender & Sexuality Studies, Browsing: History - European
Rights
Public domain in the USA.