Cover of Arnoldiana, ou Sophie Arnould et ses contemporaines; - recueil choisi d'Anecdotes piquantes, de Réparties et de bons Mots de Mlle Arnould précédé d'une notice sur sa vie précédé d'une Notice sur sa Vie et sur l'Académie impériale de Musique.

Arnoldiana, ou Sophie Arnould et ses contemporaines; - recueil choisi d'Anecdotes piquantes, de Réparties et de bons Mots de Mlle Arnould précédé d'une notice sur sa vie précédé d'une Notice sur sa Vie et sur l'Académie impériale de Musique.

French 50,515 words 841h 55m read Feb 24, 2012

Excerpt

The Project Gutenberg EBook of Arnoldiana, ou Sophie Arnould et ses
contemporaines;, by Albťric Delville

This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with
almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or
re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included
with this eBook or online at www.gutenberg.org

Title: Arnoldiana, ou Sophie Arnould et ses contemporaines;
recueil choisi d'Anecdotes piquantes, de Rťparties et de
bons...

Read the Full Text

The Project Gutenberg EBook of Arnoldiana, ou Sophie Arnould et ses contemporaines;, by Albťric Delville This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org Title: Arnoldiana, ou Sophie Arnould et ses contemporaines; recueil choisi d'Anecdotes piquantes, de Rťparties et de bons Mots de Mlle Arnould prťcťdť d'une notice sur sa vie prťcťdť d'une Notice sur sa Vie et sur l'Acadťmie impťriale de Musique. Author: Albťric Delville Release Date: February 24, 2012 [EBook #38974] Language: French Character set encoding: ISO-8859-1 *** START OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ARNOLDIANA, OU SOPHIE ARNOULD *** Produced by Clarity, Vinciane Knappenberg and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive/Canadian Libraries) Note de transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont ťtť corrigťes. L'orthographe d'origine a ťtť conservťe et n'a pas ťtť harmonisťe. ARNOLDIANA. _Se trouve au Palais-Royal_, {DELAUNAY, libraire, galerie de bois, {nļ 243; { {BLANCHARD, libraire, galerie de CHEZ {bois, nļ 249; { {PETIT, libraire, galerie de bois, {nļ 257; { {DENTU, libraire, galerie de bois, {nļ 266. ARNOLDIANA, OU Sophie Arnould _et ses Contemporaines_; RECUEIL CHOISI d'Anecdotes piquantes, de Rťparties et de bons Mots DE MLLE ARNOULD; prťcťdť d'une Notice sur sa Vie et sur l'Acadťmie impťriale de Musique. _PAR L'AUTEUR DU BI»VRIANA._ Son coeur n'eut jamais part aux jeux de son esprit. PARIS, GERARD, rue Saint-Andrť des Arcs, nļ 59. 1813. AVANT-PROPOS Il en est des _ana_ comme de la plupart des ouvrages littťraires, _sunt bona_, _sunt mala_, _sunt mediocria plura_; on pourrait comparer ces sortes de recueils ŗ une cordonnerie, oý chacun trouve chaussure ŗ son pied. Voilŗ ce qui explique le prodigieux dťbit de toutes ces compilations indigestes qui se copient les unes les autres; car depuis longtemps on ne fait des livres qu'avec des livres, et les modernes ressassent continuellement ce que les anciens ont ťcrit. L'opuscule que nous publions ne contient que des choses qui ont dťjŗ ťtť dites; mais il prťsente beaucoup de traits peu ou point connus, beaucoup d'anecdotes dramatiques qui ne se reproduisent plus. Les peines que nous avons prises pour en faire la dťcouverte, les soins que nous nous sommes donnťs pour les rťdiger doivent nous assurer un droit de propriťtť qu'on refuse ordinairement aux simples compilateurs. Les _ana_ ťtaient savans dans le siŤcle oý l'on cultivait les sciences: dans celui oý l'on effleure tout, oý l'on analise tout, les _ana_ doivent suivre le goŻt du siŤcle; aussi un grand nombre de recueils d'anecdotes et de jeux d'esprit affichent ce titre avantageux, qui malheureusement a servi de passeport ŗ bien des sottises. La majeure partie des ouvrages que nous voyons appartient plutŰt aux mots qu'aux choses; ce sont les mots qui ont engendrť toutes les petites piŤces lťgŤres dont le mťrite consiste surtout dans l'association des termes ou dans la tournure des phrases: de lŗ cette foule de jeux de mots qui bien souvent donnent de l'esprit ŗ ceux qui n'en ont pas. L'ARNOLDIANA ne semblera peut-Ítre qu'une facťtie aux gens frivoles qui ne s'attachent qu'aux mots; mais pour le philosophe qui observe les choses cet opuscule doit Ítre un appendice au tableau des moeurs du 18e siŤcle. Le rŰle brillant qu'ont jouť dans les beaux jours du rŤgne de Louis XV les actrices, les chanteuses, les danseuses et les courtisanes de toutes classes, rappelle des ťvťnemens singuliers qui ont influť plus qu'on ne pense sur le systŤme social. Sophie Arnould a occupť pendant une trentaine d'annťes une place distinguťe parmi les beaux-esprits: elle ťtait charmante au thť‚tre et jouait en perfection; mais ce qui la faisait rechercher avec empressement c'ťtait l'esprit ŗ la mode, cet esprit frondeur et libertin qui plaisait alors dans le monde, et donnait du relief ŗ celui ou ŗ celle qui le mettait en usage. Elle ťtait vive, ťtourdie, et hasardait toutes les idťes qui se prťsentaient ŗ son imagination. La plupart de ses bons mots ont le ton de fille, mais d'une fille de beaucoup d'esprit. Dans la quantitť des plaisanteries qu'elle se permettait il se rencontrait souvent des saillies heureuses qui faisaient oublier les mauvaises: la coterie qui se rassemblait chez elle les recueillait avec aviditť, et les publiait avec complaisance. Sophie Arnould remplaÁa dans le dťpartement des bons mots la cťlŤbre Cartou, qui mourut en aqw 1770 pensionnaire de l'Opťra. Cette chanteuse avait un talent mťdiocre, mais elle s'ťtait acquis une grande considťration entre ses camarades par ses saillies ingťnieuses, dont quelques-unes ont ťtť rťdigťes en apophtegmes, ont fait proverbes, et sont consignťes dans un ouvrage intitulť le _Code lyrique_. Quelqu'un disait que Mlle Arnould avait son esprit en argent comptant:--C'est dommage, reprit-on, _qu'elle le mette en petite monnaie_.--Quoi qu'il en soit, peu de femmes ont eu la rťpartie aussi vive que cette charmante actrice. Ses bons mots sont trŤs-nombreux, et chacun s'est plu ŗ les rťpťter; mais en voyageant ils s'altťraient, ils changeaient de maÓtres; beaucoup de gens se sont parťs de ses dťpouilles: au surplus on n'emprunte qu'aux riches. Fontenelle a dit: ęLorsque je me permets quelque plaisanterie un peu libre les jeunes filles et les sots ne m'entendent point.Ľ Sophie Arnould n'eŻt osť donner cette excuse, car la gaze dont elle voilait ses gaillardises ťtait quelquefois si lťgŤre qu'on devinait aisťment ce qu'elle voulait dťguiser. Nous avons ťcartť de cet opuscule des propos graveleux qui firent autrefois fortune dans les coulisses et les petits soupers; mais nous avons cru devoir insťrer quelques mots ŗ double entente, afin de conserver ŗ notre hťroÔne le caractŤre qui la distinguait. Lorsqu'on examine un portrait pourrait-on reconnaÓtre le modŤle si le peintre n'en avait pas exactement dessinť tous les traits? Il en est ainsi d'un personnage cťlŤbre dont un ťcrivain peint l'esprit; il doit en indiquer les traits caractťristiques, sans quoi l'ouvrage n'a point de physionomie. Les matťriaux de l'_Arnoldiana_ ťtaient rassemblťs il y a plusieurs annťes, et cet ouvrage devait paraÓtre sous le titre d'_Esprit de Mlle Arnould_; mais au moment oý nous comptions le publier, ayant appris qu'un opuscule du mÍme genre allait circuler sous ce titre, nous avons cru devoir changer le frontispice de notre livre, qui au fond est le vťritable esprit de Sophie Arnould, mis en scŤne et prťsentť sous tous ses aspects. NOTICE SUR L'OP…RA. L'Opťra passe gťnťralement pour le plus ťtonnant et le plus fastueux des spectacles de l'Europe: c'est dans ce temple, thť‚tre des brillantes illusions et des illustres galanteries, que le gťnie, les talens et les gr‚ces se rťunissent pour produire le plus magnifique et le plus enchanteur de tous les jeux publics: lŗ de jeunes prÍtresses sont formťes aux arts aimables qui peuvent ťmouvoir les sens et les sťduire; les unes charment l'oreille en cťlťbrant les louanges des dieux et des dťesses; d'autres, par des danses passionnťes, en caractťrisent les attitudes, en peignent la situation la plus voluptueuse; toutes s'efforcent ŗ l'envi d'allumer dans tous les coeurs ce beau feu, ‚me de l'univers, qui tour ŗ tour le consume et le reproduit. Les Italiens sont les premiers qui aient fait jouer des opťras; ils commencŤrent ŗ paraÓtre sous le pontificat de Lťon X, et l'on prťtend que ce fut Ottavio Rinnucini, poŽte florentin, qui donna la maniŤre de reprťsenter en musique les ouvrages dramatiques. Sous le rŤgne de Louis XII on composait ŗ la cour des ballets oý l'on mettait des rťcits et des dialogues en plusieurs parties; mais on faisait venir d'Italie les musiciens et les chanteurs. En 1581 le marťchal de Brissac, gouverneur du Piťmont, envoya ŗ la reine mŤre son valet de chambre, surnommť Beaujoyeux, lequel ťtait un bon violon, et qui fit le ballet des noces du duc de Joyeuse avec Mlle de Vaudemont, soeur de la reine. Beaulieu et Salomon, maÓtres de la musique du roi, l'aidŤrent dans la composition des rťcits et des airs de ballet; la Chesnaye, aumŰnier du roi, composa une partie des vers, et Jacques Patin, peintre du roi, travailla aux dťcorations. Rinnucini suivit en France Marie de Mťdicis. AprŤs lui il ne parut que de mauvais ballets, qui consistaient dans le choix d'un sujet bouffon; tel fut celui du ballet des _Fťes de la forÍt de Saint-Germain_, dansť au Louvre par Louis XIII en 1625, oý Guillemine la quinteuse, Robine la hasardeuse, Jacqueline l'ťtendue, Alison la hargneuse et Macette la cabrioleuse montrŤrent leur pouvoir. La premiŤre de ces fťes prťsidait ŗ la musique, la seconde aux jeux de hasard, la troisiŤme aux folies, la quatriŤme aux combats, et la cinquiŤme ŗ la danse. En 1651 Pierre Corneille donna, pour le divertissement de Louis XIV, _AndromŤde_, tragťdie ŗ machines. L'annťe suivante Benserade composa _Cassandre_, mascarade en forme de ballet, qui fut dansťe par le roi au palais Cardinal. L'abbť Perrin, de galante mťmoire, hasarda des paroles franÁaises, lesquelles, quoique trŤs-mauvaises, rťussirent au moyen de la musique de Cambert, organiste de Saint-Honorť: c'ťtait une pastorale en cinq actes qui fut chantťe ŗ Vincennes devant le roi: la nouveautť qu'on y remarqua fut un concert de flŻtes. En 1660 le cardinal Mazarin fit reprťsenter dans la salle des machines des Tuileries, pendant le mariage du roi, _Ercole amante_, que l'on traduisit en vers franÁais: le roi et la reine y dansŤrent; l'abbť Mťlany y chanta un rŰle; presque tous les acteurs ťtaient Italiens. Cet opťra ťtait prťcťdť d'un prologue, usage qui a ťtť suivi depuis et qui est maintenant supprimť. Le marquis de Sourdac, ŗ qui l'on doit la perfection des machines propres aux opťras, donna ŗ ses frais _la Toison d'Or_, dans son ch‚teau de Neubourg en Normandie, pour rťjouissances publiques du mariage du roi, et ensuite en gratifia la troupe du marais, oý elle fut trŤs-applaudie. Les succŤs que _Pomone_, premier opťra franÁais, obtint aprŤs avoir ťtť longtemps rťpťtť dans la salle de l'hŰtel de Nevers, procurŤrent ŗ l'auteur, l'abbť Perrin, des lettres patentes pour l'ťtablissement de l'Opťra en France. Les reprťsentations publiques de cette pastorale commencŤrent en 1671, dans un jeu de paume de la rue Mazarine. L'abbť Perrin, ne pouvant soutenir seul la dťpense d'une telle entreprise, s'associa avec Cambert pour la musique, avec le marquis de Sourdac pour les machines, et pour les principaux frais avec le sieur Champenon, riche capitaliste. M. de Sourdac, ayant fait beaucoup d'avances et mÍme payť les dettes de l'abbť Perrin, s'empara du thť‚tre, quitta l'abbť, et prit pour poŽte le sieur Gilbert, secrťtaire de la reine Christine: _les Peines et les Plaisirs de l'Amour_, pastorale hťroÔque, furent son coup d'essai. Lulli, surintendant de la musique du roi, profitant de cette division, acheta le privilťge du sieur Perrin; il prit pour machiniste le signor Vigarini, gentilhomme Modťnois, et pour poŽte le tendre Quinault; il plaÁa son thť‚tre dans un jeu de paume de la rue de Vaugirard, et y donna en 1672 _les fÍtes de l'Amour et de Bacchus_, pastorale composťe de fragmens de diffťrens ballets. Dans une des reprťsentations, que le roi honora de sa prťsence, le prince de Condť, les ducs de Montmouth, de Villeroy, et le marquis de Rassan dansŤrent une entrťe avec les artistes salariťs. _Le Triomphe de l'Amour_ est le premier opťra dans lequel on introduisit des danseuses. Ce ballet fut d'abord exťcutť ŗ Saint-Germain-en-Laye, devant sa majestť, le 21 janvier 1681. Plusieurs princes, seigneurs et dames de la cour y dansŤrent. Le mťlange des deux sexes rendit cette fÍte si brillante qu'on crut qu'il ťtait indispensable, pour le succŤs de ce genre de spectacle, d'y remplacer les dames de la cour par des danseuses de profession, et depuis cette ťpoque elles ont toujours continuť d'Ítre une des portions les plus brillantes de l'Opťra. La rťunion de Quinault et de Lulli porta nos opťras ŗ leur plus haut degrť de perfection. En 1673, aprŤs la mort de MoliŤre, Lulli transporta ses machines ŗ la salle du Palais-Royal, laquelle occupait une partie du terrain oý est maintenant la rue du Lycťe. Les enfans de Lulli succťdŤrent ŗ leur pŤre dans la direction de ce spectacle, qui depuis fut confiť ŗ diffťrens directeurs et administrateurs. Un terrible incendie ayant dťvorť, le 6 avril 1763, tous les b‚timens de l'Opťra, le duc d'Orlťans obtint du roi que la nouvelle salle fŻt construite ŗ la mÍme place, et l'inauguration s'en fit le 24 janvier suivant. Dans l'intervalle les reprťsentations de l'Opťra eurent lieu sur le thť‚tre des Tuileries. Un second incendie consuma, le 8 juin 1781, tout ce qui composait ce riche spectacle; la salle fut rťduite en cendres; il n'en resta que les gros murs. On ťleva un nouveau thť‚tre sur le boulevart Saint-Martin, et, par un prodige presque unique dans les fastes de l'architecture, cette salle fut totalement achevťe dans l'espace de six semaines. L'ouverture s'en fit le 27 octobre de la mÍme annťe. Mlle Montansier, ancienne directrice de la comťdie de Versailles, ayant fait construire en 1793 une vaste salle sur l'emplacement de l'hŰtel Louvois, rue Richelieu, le Gouvernement en fit l'acquisition pour l'Opťra, et l'inauguration de ce temple magique eut lieu le 15 juillet 1794. Le thť‚tre, crťť sous le nom d'_Opťra_, prit le titre d'_Acadťmie royale de musique_ en 1671; il le garda jusqu'en 1792. Il reÁut successivement ceux d'_Acadťmie de Musique_, d'_Opťra national_, de _Thť‚tre de la Rťpublique et des Arts_, de _Thť‚tre de l'Opťra_, de _Thť‚tre des Arts_, et dťfinitivement d'_Acadťmie impťriale de Musique_, qu'il porte actuellement. Il est certain que le spectacle que nous nommons Opťra n'a jamais ťtť connu des anciens, et qu'il n'est ŗ proprement parler ni comťdie ni tragťdie. Quoique plusieurs poŽtes, en s'unissant ŗ d'habiles musiciens, aient donnť de fort beaux opťras, on n'en peut citer qu'un trŤs-petit nombre dans lesquels se trouvent tout ŗ la fois la magnificence des dťcorations, l'harmonie de la musique, le sublime de la poťsie, la rťgularitť de l'action, et l'intťrÍt soutenu pendant cinq actes. ęL'Opťra, dit Voltaire, est un spectacle aussi bizarre que magnifique, oý les yeux et les oreilles sont plus satisfaits que l'esprit, oý l'asservissement ŗ la musique rend nťcessaires les fautes les plus ridicules, oý il faut chanter des ariettes dans la destruction d'une ville et danser autour d'un tombeau, oý l'on voit le palais de Pluton et celui du soleil, des dieux, des dťmons, des magiciens, des monstres, puis des ťdifices formťs et dťtruits en un clin-d'oeil. On tolŤre ces extravagances, on les aime mÍme, parce qu'on est lŗ dans le pays des fťes, et pourvu qu'il y ait du spectacle, une belle musique, de jolies danses, quelques scŤnes attendrissantes, on est satisfait.Ľ ęJe ne sais, disait La BruyŤre, comment, avec une musique si parfaite, une dťpense toute royale, l'Opťra a rťussi ŗ m'ennuyer.Ľ ęUn opťra, disait l'abbť Desfontaines, est toujours un trŤs-mauvais poŽme, et le plus bel ouvrage en ce genre est un monstre.Ľ Ce spectacle ťtant plus fait pour le plaisir des yeux et des oreilles que pour celui de l'esprit, tous les arts d'agrťment se sont ralliťs pour l'embellir, et la danse remplit tellement aujourd'hui les divers actes de nos opťras, que ce thť‚tre paraÓt Ítre dressť moins pour la reprťsentation d'un poŽme lyrique que pour une acadťmie de danse. C'est spťcialement en cela que l'emporte l'Opťra de Paris sur tous les spectacles de l'Europe. Quelle rťunion de talens dans les divers genres! Quelle brillante galerie, si l'on y ajoute cette multitude de filles charmantes qui dans les choeurs et les ballets tapissent les deux cŰtťs du thť‚tre! Quand on se trouve en cercle avec cette foule d'odalisques on croit Ítre dans le paradis de Mahomet, entourť de houris; ce n'est pas qu'on les juge‚t toutes jolies si l'on voulait analiser ces figures; mais la richesse de leurs ornemens, leurs vÍtemens voluptueux, leurs coiffures ťlťgantes corrigent ou font disparaÓtre les disgr‚ces de la nature. En un mot, le dťsir de plaire donne tant d'activitť ŗ ces nymphes agaÁantes, qu'on peut difficilement rťsister ŗ leur sťduction. On raconte qu'un capucin, transportť d'un saint zŤle, s'ťcria au milieu de son sermon: _Oui, oui, mes chers auditeurs, l'Opťra est le vestibule de l'Enfer!_ Ce qui invite tant de femmes ŗ s'ťvertuer ŗ ce spectacle plus qu'ŗ tout autre, c'est le dťsir de faire fortune et d'acquťrir d'illustres amans, car en fait de chanteuses on observe que les coryphťes seuls s'attirent des hommages et des adorateurs; les autres restent dans la mťdiocritť avec la plus agrťable figure. Au contraire, toutes les danseuses rťussissent, et il n'en est presque aucune qui n'arrive au spectacle dans un char brillant. On prťtend qu'un ťtranger proposa ce problÍme ŗ d'Alembert, qui rťpondit que c'ťtait _une suite nťcessaire des lois du mouvement_. Cette rťpublique lyrique, composťe au moins de trois cents personnes, serait bientŰt tombťe dans le dťsordre et l'anarchie si quelque magistrat ne veillait constamment sur elle. Depuis son origine jusqu'en 1790 l'Opťra fut sous la surveillance des gentilshommes de la chambre, et c'ťtait le secrťtaire d'ťtat au dťpartement de Paris qui en avait la haute police. En 1776 le roi nomma six commissaires pour gouverner ce thť‚tre avec l'autoritť la plus absolue. En 1790 il passa entre les mains de la municipalitť. En 1793 les acteurs se chargŤrent eux-mÍmes de l'administrer, et un an aprŤs il fut mis sous une direction de gens de lettres nommťs par le ministre de l'Intťrieur. Au mois de frimaire an II un arrÍtť des consuls plaÁa ces directeurs sous la surveillance et la direction principale de l'un des prťfets du palais du Gouvernement. Aujourd'hui c'est le premier chambellan de S. M. l'Empereur et Roi qui est le surintendant de ce spectacle. Un des anciens privilťges de l'Opťra ťtait de soustraire la jeunesse libertine ŗ l'autoritť paternelle ou aux recherches de la police. Il ne fallait avoir que quelques complaisances pour les gentilshommes de la chambre, et sans aucun talent l'administration vous engageait, et cet engagement vous mettait ŗ l'abri des lois. Louis XVI rťforma cet abus au commencement de son rŤgne. Avant l'arrÍt de 1776 on entrait librement au foyer des actrices. C'ťtait lŗ qu'elles recevaient les hommages des spectateurs qui s'y rendaient en foule, et chacun pouvait en libertť approcher ces divinitťs et jouir du coup d'oeil sťduisant que prťsentait leur toilette. C'ťtait lŗ qu'on rencontrait ces aimables rouťs, Ítres sans soucis, se jouant de toutes les femmes en paraissant les adorer; charmans dans un tÍte ŗ tÍte, sťmillans dans un repas, habiles ŗ raconter l'aventure de la veille, savans dans l'art de bien placer le mot du jour, ils prenaient toutes les nuances du camťlťon, et les meilleures sociťtťs auraient cru manquer d'usage en ne les accueillant pas. C'ťtait encore lŗ qu'on voyait papillonner ces Ítres amphibies, qui n'ťtaient ni prÍtres ni laÔcs, connaissant tout, exceptť l'ťtude et la religion, et qui sous le nom d'abbťs circulaient dans le monde comme une fausse monnaie. C'ťtait lŗ enfin qu'allaient et venaient assidŻment des milliers de jeunes gens et de vieillards qui seraient demeurťs absolument muets s'ils n'avaient eu pour entretien les actrices et les spectacles, les ruelles et les coulisses. On met en usage dans ce vťritable palais d'Armide toutes les ruses que la voluptť enseigne pour sťduire. Les femmes surtout, convaincues qu'on en impose avec un beau nom, ont grand soin, du moment qu'elles sont initiťes, de dťposer celui qu'elles ont reÁu en naissant pour en prendre de plus conformes ŗ leur nouvelle situation. Cette manie des noms supposťs a produit des scŤnes plaisantes; on a vu plus d'une fois se prťsenter ŗ la porte de l'Opťra une pauvre journaliŤre couverte de haillons pour rťclamer sa fille ou sa niŤce, que le jour prťcťdent elle a reconnue dans un brillant ťquipage, et dont elle a su la profession par un laquais. Un jeune homme, allant chez une danseuse de l'Opťra, se plaignit de l'impertinence de son portier, et lui dit:--Vous devriez bien chasser ce drŰle-lŗ de chez vous.--J'y ai bien pensť, rťpondit-elle; mais, que voulez-vous, _c'est mon pŤre_.-- Dans les beaux jours de l'Opťra une jolie actrice se montrait au foyer toute resplendissante de diamans, elle ťtait respectťe de ses compagnes en raison de sa robe ťclatante, de sa voiture lťgŤre, de ses chevaux superbes; il s'ťtablissait mÍme un intervalle entr'elles selon le degrť d'opulence; cette nymphe, plus ou moins illustrťe par le rang de son amant, recevait avec hauteur celle qui dťbutait; elle traitait avec les airs d'une femme de qualitť le bijoutier et la marchande de modes; le magistrat dťridait son front en sa prťsence; le courtisan lui souriait; le militaire n'osait la brusquer; sa toilette ťtait tous les matins surchargťe de nouveaux prťsens; le Pactole semblait rouler ťternellement chez elle. Mais la mode qui l'ťleva vient ŗ changer; une petite rivale, qu'elle n'apercevait pas, qu'elle dťdaignait, se met insolemment sur les rangs, brille, l'ťclipse, et fait dťserter son salon. La courtisane superbe, quoique ayant encore de la beautť, se trouve l'annťe suivante seule avec des dettes immenses; tous les amans se sont enfuis, et quand ses affaires sont liquidťes ŗ peine a-t-elle de quoi payer sa chaussure et son rouge. De toutes les femmes entretenues dix font fortune au bout de quelques annťes. Que devient le reste? C'est la grenouille qui a profitť d'un rayon de soleil pour se reposer sur une belle prairie, et qui se replonge dans son marais. Voyez Cartou, qui s'est retirťe doyenne des choeurs de l'Opťra; elle comptait l'illustre Maurice de Saxe parmi ses conquÍtes; elle le suivit au fameux camp de Mulhberg, oý elle eut la gloire de souper avec les deux rois Auguste II de Pologne et Frťdťric-Guillaume de Prusse, accompagnťs des princes leurs fils et leurs successeurs au trŰne. Cette aimable chanteuse a brillť par ses diamans et ses ťquipages; elle a donnť des fÍtes aux beaux-esprits; elle a dit des bons mots qu'on cite encore, et sur la fin de sa carriŤre un vieux laquais formait toute sa compagnie. Voyez Gaussin; elle a jetť pendant longtemps le mouchoir ŗ qui elle a voulu: princes, officiers de distinction, graves prťsidens, sťmillans conseillers, auteurs sublimes, fermiers gťnťraux, tout ce monde, aux poŽtes prŤs, a contribuť ŗ l'enrichir; et cette actrice charmante, qui eŻt pu comme Rhodope ťlever une pyramide en se faisant apporter une pierre par chacun de ses amans; cette fille si tendre, vieillie et ruinťe, finit par ťpouser un danseur, qui la rouait de coups, et lui fit faire une rude pťnitence de tous les pťchťs qu'elle avait commis. Voyez Fel, qui a fait la gloire de l'Acadťmie royale de Musique et du concert spirituel, dont les accens enchanteurs l'ont disputť pendant longtemps ŗ la mťlodie du rossignol; elle crut autrefois honorer un souverain en le recevant dans ses bras; elle rendit fou le tendre Cahusac, qui, n'ayant pu l'ťpouser, alla mourir de chagrin ŗ Charenton. Cette nymphe mangea les revenus de plusieurs provinces, et fut rťduite sur la fin de sa carriŤre ŗ quÍter un regard ou ŗ dťshonorer son goŻt. Voyez Defresne, devenue par spťculation Mme la marquise de Fleury; cette beautť, aprŤs avoir ťtť l'entretien de tous les cercles, avoir vu ŗ ses pieds tout ce que la cour et la ville offraient de plus grand; aprŤs avoir dissipť la ranÁon d'un roi, tomba par son inconduite dans une indigence extrÍme et mourut sans secours, quoiqu'elle laiss‚t deux fils, dont l'un ťtait capitaine de dragons et l'autre d'infanterie, dťcorťs du nom et des armes des Fleury. Si l'on passait en revue les LaÔs anciennes et modernes qui tour ŗ tour ont brillť sur la scŤne du monde, on formerait un tableau curieux des caprices de la fortune, qui souvent va chercher sous les livrťes de la misŤre la femme qui doit un jour voir ŗ ses pieds les plus grands personnages de l'Etat. Les courtisanes semblent avoir ťtť plus en honneur chez les Romains que parmi nous, et chez les Grecs que parmi les Romains. Les courtisanes grecques ťtaient d'autant plus attrayantes qu'aux charmes de la figure, aux attraits d'une coquetterie raffinťe, ŗ une parure sťduisante, ŗ une ťlťgance recherchťe, elles joignaient tous les agrťmens de l'esprit, la vivacitť, la finesse, la subtilitť des rťparties; elles assaisonnaient les plaisirs de leur sociťtť par tout ce que le sel attique avait de plus piquant. Plusieurs d'entr'elles cultivaient avec succŤs les belles-lettres et les mathťmatiques; les plus cťlŤbres sont Aspasie, qui donna des leÁons de politique et d'ťloquence ŗ Socrate et ŗ PťriclŤs; LaÔs, qui tourna la tÍte ŗ tant de philosophes, et qui compta Aristippe parmi ses amans; Leontium, qui ťcrivit sur la philosophie, et qui fut tendrement aimťe d'Epicure et de ses disciples; Phrynť, amante de PraxitŤle, et qui fit reb‚tir ŗ ses dťpens la ville de ThŤbes, dťtruite par Alexandre; ThaÔs, qui suivit ce hťros dans ses conquÍtes, et qui aprŤs la mort de son illustre amant se fit tellement aimer de Ptolťmťe, roi d'Egypte, que ce prince l'ťpousa; Thargťlie, maÓtresse de XerxŤs, qu'elle aida ŗ faire la conquÍte de la GrŤce, et qui, aprŤs avoir longtemps exercť ses talens et ses charmes, termina ses courses en Thessalie, dont elle ťpousa le souverain. On peut mettre sur la mÍme ligne l'inimitable Ninon de l'Enclos, l'objet de l'admiration des hommes et de la jalousie des femmes, dont la maison ťtait le rendez-vous de ce que Paris possťdait de plus illustre, qui, dans le cours d'une vie de quatre-vingt-dix ans, a vu son pays se renouveler et changer plus d'une fois de goŻt, sans qu'elle ait jamais cessť d'Ítre de celui de tout le monde, sans paraÓtre jamais diffťrer d'elle-mÍme, et sans ressembler ŗ personne. Ces aimables enchanteresses, dont la destinťe est de faire ou des mťcontens ou des ingrats, sont depuis longtemps l'objet de la censure, et nos thť‚tres, destinťs ŗ Ítre l'ťcole des moeurs, sont devenus celle de la galanterie. Mais n'est-ce que sur la scŤne que les chances heureuses du vice dťgoŻtent un sexe fragile des hasards de la vertu? Combien dans nos cercles les plus austŤres de LucrŤces, qui, plus adroites que sages, sous le voile de la pudeur, qui n'est pas toujours celui de l'innocence, ne pourraient pas soutenir devant le crťdule Hymen l'ťpreuve de Tutia, qui, se voyant accusťe de n'avoir pas bien gardť son feu sacrť, s'engagea pour sa justification ŗ porter de l'eau dans un crible! NOTICE SUR SOPHIE ARNOULD. Sophie Arnould naquit ŗ Paris le 14 fťvrier 1740. Son pŤre tenait rue des Fossťs-S.-Germ.-l'Auxerrois une vaste hŰtellerie, connue sous le nom d'_hŰtel de Lisieux_[1]. Il avait cinq enfans, deux garÁons et trois filles; Sophie ťtait l'aÓnťe de celles-ci. L'aisance dont jouissait M. Arnould lui permit de donner ŗ sa famille une ťducation soignťe; ses demoiselles eurent diffťrens maÓtres, notamment de musique et de chant, ce qui dťcida la vocation de deux d'entr'elles[2]. [1] C'est dans cette maison que pťrit l'amiral de Coligny pendant le massacre de la Saint-Barthťlemi, et non dans l'hŰtel Montbazon, rue Bťtizi, comme le racontent plusieurs annalistes. L'hŰtel de Lisieux prťsente encore dans ses distributions tout ce qui convenait alors ŗ l'habitation d'un grand officier de la couronne; mais si l'hŰtel Montbazon n'a pas la gloire d'avoir appartenu ŗ l'amiral de Coligny, il a, dit-on, celle d'avoir servi de logement ŗ la belle duchesse de Montbazon, si tendrement aimťe du cťlŤbre abbť de Rancť. On prťtend qu'au retour d'un voyage cet abbť, alors trŤs-mondain, allant voir sa maÓtresse, dont il ignorait la mort, monta par un escalier dťrobť, et qu'ťtant entrť dans l'appartement il trouva sa tÍte dans un plat: on l'avait sťparťe du corps parce que le cercueil de plomb ťtait trop petit. Cet affreux spectacle opťra subitement sa conversion, et l'abbť de Rancť, dťgoŻtť du nťant des choses terrestres, alla s'enfermer dans son abbaye de la Trappe, dont il devint le rťformateur avec une austťritť sans exemple. [2] La cadette, nommťe Rosalie, entra dans la musique de la chambre du roi en 1770, et elle y est restťe jusqu'en 1792. Sophie Arnould annonÁa de bonne heure les plus heureuses dispositions. La beautť de sa voix engagea sa mŤre ŗ la conduire dans quelques communautťs, oý elle chantait les leÁons de tťnŤbres. Un jour qu'elle ťtait allťe au Val-de-Gr‚ce la princesse de ModŤne, qui y faisait sa retraite, entendit les accens mťlodieux de la jeune cantatrice; elle voulut la connaÓtre, et, enchantťe de ses gr‚ces et de son amabilitť, elle l'honora bientŰt de sa protection. Sophie Arnould joignait ŗ une figure gracieuse un son de voix qui ravissait et une sensibilitť qu'elle savait communiquer ŗ tous ceux qui l'ťcoutaient; sa taille ťtait moyenne et bien prise; elle avait surtout des yeux superbes, et l'ensemble de ses traits lui donnait une de ces physionomies heureuses qui flattent et plaisent au premier aspect. M. de Fondpertuis, intendant des menus, l'ayant entendue chanter, eut le dťsir de la faire entrer dans la musique de la reine. Il en parla ŗ Mme de Pompadour, qui la fit demander. Sophie alla chez la favorite avec sa mŤre, et ne dťmentit point dans cette ťpreuve la rťputation brillante qu'elle s'ťtait acquise. Mme de Pompadour la combla d'ťloges et dit ŗ ceux qui l'entouraient: ęCette jeune personne fera quelque jour une charmante princesse.Ľ Mme Arnould, qui craignait que les talens de sa fille ne lui fissent jouer un trop grand rŰle, rťpondit ŗ la marquise: ęJe ne sais, madame, comment vous l'entendez; ma fille n'a point assez de fortune pour ťpouser un prince, et elle est trop bien ťlevťe pour devenir princesse de thť‚tre.Ľ Cependant cette bonne mŤre cťda aux insinuations de quelques amis, et consentit ŗ ce que Sophie fŻt mise sur l'ťtat de la musique du roi. Cet engagement n'ťtait qu'un prťtexte pour attirer Sophie sur un plus grand thť‚tre, et lui faire parcourir une carriŤre digne de ses rares talens. MM. Rebel et Francoeur, surintendans de la musique du roi, la sollicitŤrent secrŤtement d'entrer ŗ l'Opťra. Cette jeune virtuose, subjuguťe par tous les prestiges qui l'environnaient, consentit facilement ŗ cette proposition, et bientŰt aprŤs on lui envoya un ordre de dťbut pour l'Acadťmie royale de Musique. Cet ťvťnement imprťvu affligea vivement Mme Arnould; elle gťmit sur la destinťe de sa fille, et, plus jalouse de son bonheur que de sa gloire, elle eŻt prťfťrť la voir couler des jours purs et tranquilles au sein d'une heureuse obscuritť. Elle voulut alors mettre Sophie au couvent; mais une autoritť supťrieure la forÁa d'obťir. Tout ce qu'elle put faire pour prťserver sa chŤre Sophie des dangers auxquels l'exposaient sa jeunesse et ses charmes, fut de la surveiller sans cesse; elle la conduisait elle-mÍme ŗ l'Opťra, l'attendait dans une loge et la ramenait chez elle quand son rŰle ťtait fini. Sophie Arnould dťbuta ŗ l'Acadťmie royale de Musique le 15 dťcembre 1757, et fut reÁue l'annťe suivante. Elle parut aux yeux des connaisseurs l'actrice la plus naturelle, la plus onctueuse, la plus tendre qu'on eŻt encore vue. Elle est sortie telle des mains de la nature, et son dťbut a ťtť un triomphe[3]. [3] Mlle Fel lui avait enseignť l'art du chant, et Mlle Clairon avait formť son jeu. A cette ťpoque un jeune seigneur, ťpris de belle passion pour Sophie, forma le projet de la soustraire ŗ la surveillance maternelle et de la faire jouir de l'indťpendance de toutes ses compagnes de l'Opťra. La chose ťtait difficile; mais l'amour est ingťnieux; les obstacles l'irritent, et tout finit par lui cťder. Le comte de L. usa d'un stratagÍme dramatique; il dťguisa son rang et sa fortune, se fit passer pour un poŽte de province qui venait ŗ Paris faire jouer une tragťdie, et, sous le nom de Dorval, prit un logement ŗ l'hŰtel de Lisieux. Son esprit et sa courtoisie le firent bientŰt remarquer; il enivra Mme Arnould de complimens flatteurs, et sťduisit Sophie par les plus brillantes promesses; une ancienne gouvernante aida les deux amans ŗ briser leurs entraves, et un soir d'hiver, ŗ la suite d'une lecture larmoyante qui avait obscurci les yeux de toute la famille, Dorval et Sophie disparurent. Cet enlŤvement fit beaucoup de bruit; Mme de L. ťtait gťnťralement estimťe, et l'on bl‚mait hautement l'infidťlitť de son mari. Il cherchait ŗ se justifier auprŤs de l'abbť Arnauld en lui faisant l'ťloge de sa maÓtresse:--Avez-vous tout dit? rťpondit l'abbť. Mettez le mťpris public dans l'autre cŰtť de la balance.--Le comte lui sauta au cou:--Mon cher abbť, s'ťcria-t-il, je suis le plus heureux des hommes; j'ai tout ŗ la fois une femme vertueuse, une maÓtresse charmante et un ami sincŤre.-- Sophie Arnould se distingua bientŰt par de grands talens, et l'on fut ťtonnť de voir sur la scŤne de l'Opťra, oý jusqu'alors on n'avait presque aperÁu que des mannequins plus ou moins bien exercťs, une actrice remplie de gr‚ces et de sensibilitť, qui offrait la rťunion touchante et nouvelle d'une voix charmante au mťrite rare d'un jeu vrai et puisť dans la nature. Cette femme cťlŤbre a excitť l'enthousiasme des amis de la musique et de l'art dramatique pendant tout le temps qu'elle est restťe au thť‚tre. Dorat, dans son poŽme de la Dťclamation, a cťlťbrť cette voix retentissante dans le fracas des airs, ces sons plaintifs et sourds, et tout l'intťrÍt qu'inspirait cette grande actrice lorsqu'elle offrait Psychť mourante aux spectateurs attendris. Mais c'est dans _Castor et Pollux_ qu'elle dťployait tout ce que l'‚me la plus tendre peut produire de sentiment: un jour qu'elle venait de remplir le rŰle de ThťlaÔre elle se donnait beaucoup de peine pour prouver ŗ Bernard qu'il en ťtait l'auteur, car ce poŽte sur la fin de sa vie avait perdu la mťmoire et presque la raison; enfin il dit, sortant comme d'un rÍve: ęOui sans doute, Castor est mon ouvrage, et TH…LAŌRE est ma gloire.Ľ Ce n'est pas seulement comme actrice que Sophie Arnould s'est fait connaÓtre; son nom est placť ŗ cŰtť de celui de Fontenelle et de Piron, si connus par leurs saillies piquantes. Douťe d'une imagination vive et fol‚tre, elle brillait surtout dans les ŗ-propos, et rťpandait avec autant de facilitť que de gr‚ces les bons mots, les fines plaisanteries, et malgrť la causticitť de quelques sarcasmes, elle sut se conserver de nombreux amis. On lui a reprochť de faire de l'esprit en y mÍlant celui des autres; elle passait surtout pour mťdisante, et ses camarades mÍmes ťprouvŤrent plus d'une fois ses railleries; mais comme elle n'ťtait ni tracassiŤre, ni haineuse, ni jalouse, ni intrigante, on s'amusait des jeux de son esprit en louant les qualitťs de son coeur. Quelquefois on lui rendait les traits piquans qu'elle lanÁait aux autres: ses dents ťtaient vilaines, et les moins clairvoyans pouvaient aisťment s'en apercevoir; un jour elle disait, en parlant de sa franchise, qu'elle avait le coeur sur les lŤvres: ęJe ne suis pas surpris, lui rťpartit Champcenetz, que vous ayez l'haleine si perfide.Ľ En 1763, ťpoque oý la jeunesse, l'esprit et les gr‚ces de Sophie Arnould attachaient ŗ son char l'ťlite de la cour et de la ville, Dorat lui consacra une longue ťpÓtre; Bernard, Laujeon, Marmontel, RulhiŤres et autres poŽtes l'ont ťgalement chantťe. Favart, subjuguť par sa voix ravissante, a fait pour elle le madrigal suivant: Pourquoi, divine enchanteresse, Me troubles-tu par tes accens? Tu me fais sentir une ivresse Qui ne va pas jusqu'ŗ tes sens. Peut-Ítre que dans ma jeunesse Mon bonheur eŻt ťtť le tien: Je t'aime, et le temps ne me laisse Que le dťsir... Dťsir n'est rien. Ah! tais-toi; mais non, chante encore; Qu'avec tes sons voluptueux Mon reste d'‚me s'ťvapore, Et je me croirai trop heureux. Garrick, cťlŤbre acteur et directeur d'un des thť‚tres de Londres, fit alors un voyage ŗ Paris; il visita tous les spectacles, et lia connaissance avec les principaux acteurs. Mlles Clairon et Arnould furent, dit-on, les deux seules actrices dont il admira les talens. Une philosophie naturelle, qu'elle dut ŗ ses rťflexions plus qu'ŗ son ťducation, lui fit rechercher la sociťtť des hommes les plus cťlŤbres, dont elle vťcut entourťe. D'Alembert, Diderot, Duclos, Helvťtius, Mably, J.-J. Rousseau et beaucoup d'autres ont eu avec elle des rapports plus ou moins intimes; c'est en vivant avec eux, c'est en lisant leurs ouvrages qu'elle se prťparait un automne heureux et tranquille. Son printemps fut embelli de tous les charmes que la fortune et la beautť peuvent procurer; ťmule de Ninon de Lenclos, elle vit sur ses pas les hommes les plus aimables et les plus spirituels. Ses talens et son esprit lui ont mťritť le surnom d'Aspasie de son siŤcle, de mÍme que son modŤle avait reÁu celui de moderne Leontium. Dans le cours de sa brillante carriŤre, ŗ une ťpoque oý la galanterie franÁaise ťtait portťe au plus haut degrť, il eŻt ťtť difficile ŗ Sophie Arnould de rťsister aux sťductions qui l'entouraient; on lui a connu plusieurs amans; mais elle a toujours conservť pour le comte de L., le premier et le plus doux objet de son coeur, un attachement tendre et soumis, que l'ascendant qu'il avait pris sur elle fortifiait sans cesse: ils vivaient ensemble comme certains ťpoux; les infidťlitťs de l'un motivaient celles de l'autre; mais Sophie y mettait plus de mystŤre, et sauvait les apparences autant qu'elle le pouvait. Le comte de L. ne pouvait faire un choix plus analogue ŗ ses goŻts, et ses amours, ses bouderies, ses ruptures et ses raccommodemens forment un long ťpisode dans la vie de cette actrice. En 1761 M. de L. ayant fait un voyage ŗ GenŤve pour consulter Voltaire sur une tragťdie d'Electre de sa faÁon, Sophie, excťdťe de la jalousie de son amant, profita de son absence pour rompre avec lui. Elle avait renvoyť ŗ Mme de L. tous les bijoux dont lui avait fait prťsent son mari, mÍme le carrosse, et dedans deux enfans qu'elle avait eus de lui; elle s'ťtait tenue cachťe pour se soustraire aux fureurs d'un amant irritť; elle s'ťtait mÍme mise sous la protection du comte de Saint-Florentin, dont elle avait implorť la bienveillance. On ne peut peindre le dťsespoir oý cette rupture avait jetť M. de L.; tout Paris ťtait inondť de ses ťlťgies; enfin, ŗ la fougue d'une passion effrťnťe ayant succťdť le calme de la raison, il s'ťtait livrť aux sentimens gťnťreux qui devaient nťcessairement reprendre le dessus dans un coeur comme le sien. Une entrevue avait eu lieu entre sa maÓtresse et lui; il avait poussť la grandeur d'‚me au point de lui dťclarer qu'en renonÁant ŗ elle il n'oubliait pas ce qu'il se devait ŗ lui-mÍme, et lui envoyait en consťquence un contrat de deux mille ťcus de rentes viagŤres. Sur le refus de Sophie, Mme de L. ťtait intervenue, et avait sollicitť l'actrice sublime de ne point refuser un bienfait auquel elle voulait participer elle-mÍme: elle lui avait dťjŗ fait dire qu'elle prendrait soin de ses enfans comme des siens propres. Sophie, pour se distraire d'une passion qui faisait le tourment de sa vie, avait passť dans les bras de M. Bertin, nouvelle victime de l'infidťlitť de Mlle Hus, actrice du thť‚tre FranÁais. Le trťsorier des parties casuelles crut trouver dans Sophie ce qu'il cherchait depuis si longtemps; il n'ťpargna rien pour mťriter la bienveillance de sa nouvelle maÓtresse; tout fut prodiguť; mais l'excŤs de sa gťnťrositť ne put triompher d'une passion mal ťteinte: l'amant tyrannique rťgnait au fond du coeur; ses ťcarts disparurent; on oublia ses torts, et l'amour rťunit deux amans qui, plus ťpris que jamais l'un de l'autre, prťsentŤrent un ťvťnement qui fit l'entretien de tout Paris. L'infortunť Bertin, aussi honteux de sa tendresse que piquť du changement de sa conquÍte, tomba dans le plus cruel dťsespoir. Ce raccommodement fit moins d'honneur ŗ la constance des deux personnages que de tort ŗ leur bonne foi. M. Bertin avait payť les dettes de la belle fugitive, il avait mariť sa soeur, et dťpensť pour elle plus de vingt mille ťcus: il eŻt fallu pour conserver l'hťroÔne que l'amant en faveur eŻt remboursť ŗ l'amant disgraciť les frais considťrables que lui avaient occasionnťs ses nouvelles amours; mais ŗ cette ťpoque la gťnťrositť financiŤre s'ťtendait si loin, on en cite des traits de prodigalitť si merveilleux, qu'il semble que le Pactole coulait chez les traitans. M. de L. lut en 1763, ŗ l'assemblťe de l'Acadťmie des Sciences, dont il ťtait membre, un mťmoire sur l'inoculation, dans lequel il improuvait l'arrÍt du Parlement sur cette matiŤre. Ce seigneur fut en consťquence arrÍtť par ordre du roi, et conduit ŗ la citadelle de Metz. Sophie, ennuyťe de l'absence de son amant, saisit l'instant de la sensation trŤs vive qu'elle avait faite ŗ la cour en jouant le rŰle de Cťphise dans l'opťra de _Dardanus_; elle se jeta aux pieds du duc de Choiseul, et demanda dans cette posture pathťtique le rappel du proscrit. Le coeur du ministre galant s'ťmut; il se prÍta de la meilleure gr‚ce du monde ŗ des instances si tendres. M. de L. rendit hommage de sa libertť ŗ son auteur; il lui consacra les premiers jours de son retour, et pour ne point troubler ses plaisirs Mme de L. se retira au couvent. Mlle Heynel, cťlŤbre danseuse de Stutgard, dont on a tant prŰnť le succŤs prodigieux, produisit en 1768 une merveille plus grande encore. Ses charmes subjuguŤrent M. de L. au point de lui faire oublier ceux de Sophie; il donna pour cadeau ŗ l'allemande soixante mille livres, et quinze mille ŗ un frŤre qu'elle aimait beaucoup; il ajouta un ameublement exquis, un ťquipage complet et un assortiment de bijoux. On estime que la premiŤre avait coŻtť plus de cent mille livres ŗ ce magnifique seigneur: Mlle Heynel ne s'ťtait jugťe modestement qu'ŗ mille louis. En 1769 Sophie, ťtant ŗ Fontainebleau, manqua si essentiellement ŗ Mme Dubarry, qu'elle s'en ťtait plainte au roi; Sa Majestť avait ordonnť que cette actrice fŻt mise pour six mois ŗ l'hŰpital; mais la favorite, revenue bientŰt ŗ son caractŤre de douceur et de modťration, demanda elle-mÍme la gr‚ce de celle dont elle avait dťsirť le ch‚timent, et sacrifia sa vengeance personnelle aux plaisirs du public, qui aimait cette actrice. Le roi eut de la peine ŗ se laisser flťchir; il fallut toutes les gr‚ces de sa maÓtresse pour retenir sa sťvťritť. Les camarades de Sophie, trop souvent en butte ŗ ses sarcasmes, profitŤrent de l'occasion pour s'en venger, et rťpandirent avec une charitť merveilleuse son aventure de Fontainebleau; et lorsque cette actrice paraissait parmi elles on l‚chait toujours un petit mot d'_hŰpital_, ce qui humiliait beaucoup cette superbe reine d'opťra. Sophie voulut se retirer cette annťe-lŗ; mais on lui refusa la gratification extraordinaire de mille livres, attendu la frťquence de ses absences, ses incommoditťs et ses caprices continuels, qui l'empÍchaient de jouer les trois quarts de l'annťe. On lui dťmontra que chacune de ses reprťsentations coŻtait plus de cent ťcus ŗ l'administration; elle se jugea au-dessus de tous les calculs, et parut dťcidťe ŗ quitter le thť‚tre. L'annonce de cette retraite mit l'Opťra dans une grande agitation. Des personnes de la cour du plus haut parage se mÍlŤrent du raccommodement; on engagea les directeurs ŗ pardonner les ťcarts de cette aimable actrice, et celle-ci ŗ faire soumission aux premiers. Toute cette intrigue demanda beaucoup de temps, de prudence et de soins; enfin on vint ŗ bout de rťunir les personnages, et Sophie consentit ŗ rester. Le comte de L., dont le fond de gaietť inťpuisable ťtait merveilleusement secondť par son imagination, fit quelques voyages en Angleterre. AprŤs avoir diverti Londres il voulut amuser Paris de ses plaisanteries ingťnieuses, et l'on en cite plusieurs qui furent trouvťes charmantes. A son retour dans la capitale il continua de voir Sophie comme la plus tendre de ses amies. Au mois de fťvrier 1774 il forma une assemblťe de quatre docteurs de la Facultť de Mťdecine, appelťs en consultation. La question ťtait de savoir si l'on pouvait mourir d'ennui: ils furent tous pour l'affirmative, et aprŤs un long prťambule, oý ils motivaient leur jugement, ils signŤrent dans la meilleure foi du monde. Croyant qu'il s'agissait de quelque parent du consultant, ils dťcidŤrent que le seul remŤde ťtait de dissiper le malade en lui Űtant de dessous les yeux l'objet de son ťtat d'inertie et de stagnation. Muni de cette piŤce en bonne forme, le facťtieux seigneur courut la dťposer chez un commissaire, et y porta plainte en mÍme temps contre le prince d'Hťnin, qui, par son obsession continuelle autour de Mlle Arnould, ferait infailliblement pťrir cette actrice, sujet prťcieux au public, et dont en son particulier il dťsirait la conservation. Il requťrait en consťquence qu'il fŻt enjoint audit prince de s'abstenir de toutes visites chez elle jusqu'ŗ ce qu'elle fŻt parfaitement rťtablie de la maladie d'ennui dont elle ťtait atteinte, et qui la tuerait, suivant la dťcision de la Facultť... Cette plaisanterie un peu forte brouilla plus que jamais ces deux rivaux; ils se battirent, et le prince n'en continua pas moins ses visites chez Sophie, qui, pour le dťdommager, finit par lui accorder ses bonnes gr‚ces[4]. [4] Par reconnaissance le prince payait chaque annťe ŗ sa maÓtresse les frais d'un ťquipage. Dans ces temps de dťbordement les filles de spectacles se livraient aux goŻts les plus condamnables. Sophie, se trouvant compromise dans quelques scŤnes scandaleuses qui entachaient sa rťputation, voulut par un piťge adroit dťtromper le public; un ťmule de Vitruve la seconda, et Paris fut bientŰt instruit d'un prťtendu mariage de l'architecte B. avec Mlle Arnould; mais elle nťgligea de conserver la renommťe de cet hymen supposť, et rťpondit ŗ ceux qui lui reprochaient de bonne foi de s'en tenir ŗ un simple architecte aprŤs avoir vťcu avec les plus grands seigneurs: ęJe n'avais rien de mieux ŗ faire pour employer les pierres qu'on jette de tous cŰtťs dans mon jardin.Ľ Sophie eut ensuite la fantaisie d'Ítre dťvote; sa mauvaise santť affaiblissait sa philosophie, et l'avenir parfois l'effrayait. Deux directeurs ŗ rabat voulurent s'emparer de sa conscience: ęO ciel! s'ťcria-t-elle, c'est encore pis que des directeurs d'opťra.Ľ Il parut alors une caricature reprťsentant Mlle Arnould aux pieds de son confesseur, et derriŤre cet homme ťtait Mlle R., qui se dťsolait; au bas on lisait ces vers: Ne pleurez point, jeune R***; Arnould, courtisane prudente, En quittant l'arŤne galante Garde une rťserve ŗ l'amour. La fortune, qui jusque-lŗ avait souri ŗ Mlle R., lui fit ťprouver ses disgr‚ces; l'essor brillant qu'elle avait pris, ses goŻts et ses folies occasionnŤrent un dťficit ťnorme dans ses finances, et cette actrice, poursuivie par ses crťanciers, fut obligťe de s'expatrier; enfin l'affaire s'arrangea, les dettes furent payťes, et Fanny revint ŗ Paris, oý ses talens lui valurent la rťception la plus flatteuse. Sophie, aprŤs avoir ťtť quelque temps brouillťe avec Mlle R., se rapprocha d'elle, et le comťdien F. entra pour beaucoup dans le raccommodement. Cette sociťtť, tout en s'aimant beaucoup, ne renonÁait point aux gaietťs piquantes et saugrenues qui se prťsentaient. Une Dlle V., amie de Sophie, ťtant accouchťe, fit prier cette derniŤre d'Ítre la marraine de son enfant, et la proposition fut acceptťe: il fallait un parrain; l'accouchťe crut faire sa cour en proposant F.; Sophie rťpondit qu'elle ne le connaissait pas le jour. En remplacement on parla d'A. M., gendre de Sophie: ęC'est, reprit-elle, un ennuyeux qui ressemble ŗ ces vieux laquais qu'on appelle la _Jeunesse_.Ľ Cette ťpigramme ťcarta encore le second parrain projetť. Enfin Sophie, aprŤs avoir rťflťchi, dit: ęNous allons chercher bien loin ce que nous avons sous la main; le parrain sera Fanny;Ľ mais comme un tel parrain ne pouvait passer, elle employa ŗ la cťrťmonie son fils Camille. Mlle Arnould se nommait Madeleine; mais elle prťfťrait celui de Sophie, qu'elle avait choisi comme plus agrťable et plus noble: c'est sous ce nom que tous ses amis la fÍtaient. Voici des couplets qui lui furent adressťs par A. M. avant qu'il n'entr‚t dans sa famille: AIR: Qui par fortune trouvera Nymphe dans la prairie. Amis, cťlťbrons ŗ l'envi La fÍte de Sophie; Que chacun de nous rťuni La chante comme amie. Nous ne pouvons lui prťsenter De fleur plus naturelle Qu'en nous accordant pour chanter: C'est toujours, toujours elle! Si quelqu'un parle d'un bon coeur, On cite alors Sophie; Si l'on dťcerne un prix flatteur, Elle est encore choisie; Si quelqu'un trouve ŗ l'Opťra Gr‚ce et voix naturelle, Cet ťloge dťsignera C'est toujours, toujours elle. En vain l'Envie aux triples dents Voulut blesser Sophie; Elle rťpand que ses talens Semblent rose flťtrie: Mais elle parut dans Castor Si touchante et si belle, Que chacun s'ťcria d'accord: C'est toujours, toujours elle! Le Temps cruel, qui dťtruit tout, Respectera Sophie; Par son pouvoir le dieu du goŻt Prolongera sa vie. Le charme de ses doux accens Nous la rendra nouvelle; On rťpťtera dans vingt ans: C'est toujours, toujours elle. On avait donnť ŗ l'abbť Terray le sobriquet de _grand Houssoir_, nom qui convenait assez ŗ sa figure et ŗ sa besogne; il _houssa_ terriblement les fermes au renouvellement du bail de 1774. Les nouvelles croupes et les intťrÍts qui furent donnťs ŗ la famille Dubarry et aux crťatures du contrŰleur gťnťral des finances firent beaucoup crier les traitans. On dit ŗ Sophie Arnould qu'elle avait une _croupe_ dans le nouveau bail des fermiers gťnťraux, et l'on fit circuler sous son nom la lettre suivante, adressťe ŗ l'abbť Terray. MONSEIGNEUR, ęJ'avais toujours ouÔ dire que vous faisiez peu de cas des arts et des talens agrťables; on attribuait cette indiffťrence ŗ la duretť de votre caractŤre. Je vous ai souvent dťfendu du premier reproche; quant au second, il m'eŻt ťtť difficile de m'ťlever contre le cri gťnťral de la France entiŤre; cependant je ne pouvais me persuader qu'un homme aussi sensible aux charmes de notre sexe pŻt avoir un coeur de bronze. Vous venez bien de prouver le contraire; vous vous Ítes occupť de nous au milieu des fonctions les plus importantes de votre ministŤre. Forcť de grever la nation d'un impŰt de 162 millions, vous avez cru devoir en rťserver une partie pour le thť‚tre lyrique et les autres spectacles; vous savez qu'une dose d'Allard, de Caillaud, de Raucourt est un narcotique sŻr pour calmer les opťrations que vous lui faites ŗ regret. Vťritable homme d'ťtat, vous en prisez les membres suivant l'utilitť dont ils sont avec vous. Le gouvernement fait sans doute en temps de guerre grand cas d'un guerrier qui verse son sang pour la patrie; mais en temps de paix le coup d'oeil d'un militaire mutilť ne sert qu'ŗ affliger; il faut au contraire des gens qui amusent; un danseur, une chanteuse sont alors des personnages essentiels, et la distinction qu'on ťtablit dans les rťcompenses des deux espŤces de citoyens est proportionnťe ŗ l'idťe qu'on en a. L'officier estropiť arrache avec peine et aprŤs beaucoup de sollicitations et de courbettes une pension modique; elle est assignťe sur le trťsor royal, espŤce de crible sous lequel il faut tendre la main avant de recueillir quelques gouttes d'eau. L'acteur est traitť plus magnifiquement; il est accolť ŗ une sangsue publique, animal nťcessaire qu'on fait ainsi dťgorger en notre faveur de la substance la plus pure dont il se repaÓt. C'est ŗ pareil titre sans doute, monseigneur, c'est ŗ la profondeur de votre politique que je dois attribuer le prix flatteur dont vous honorez mon faible talent. Vous m'accordez, dit-on, une croupe; mais c'est une croupe d'or; vous me faites chevaucher derriŤre Plutus. Je ne doute pas que, dressť par vous, il n'ait les allures douces et engageantes; je m'y commets sous vos auspices, et cours avec lui les grandes aventures. ęJe suis avec un profond respect, ęMONSEIGNEUR, ęVotre, etc.Ľ Paris, 4 janvier 1774. Quelle que soit l'authenticitť de cette piŤce, il est certain que Sophie obtint du contrŰleur gťnťral, peu de jours avant la mort de Louis XV, un intťrÍt sur les fermes valant sept mille livres de rente. Se trouvant ŗ la vente de M. Randon de Boisset, elle porta au double pour premiŤre enchŤre le prix mis par le crieur au buste de Mlle Clairon. L'admiration ferma la bouche ŗ tous les amateurs; on eŻt rougi de disputer ŗ Mlle Arnould le prix du sentiment; le buste lui resta. Ce fut une espŤce de couronne qui lui fut dťcernťe au milieu des applaudissemens de toute l'assemblťe, et ce moment a ťtť consacrť par le quatrain suivant, qu'un anonime lui envoya sur-le-champ: Lorsqu'en t'applaudissant, dťesse de la scŤne, Tout Paris t'a cťdť le buste de Clairon, Il a connu les droits d'une soeur d'Apollon Sur un portrait de MelpomŤne. Sophie Arnould, malgrť ses talens, ťtant devenue en 1776 presque inutile aux directeurs de l'Opťra, ces messieurs, pour exciter son zŤle, lui proposŤrent de ne plus l'appointer et de lui payer une somme convenue chaque jour qu'elle paraÓtrait; elle se f‚cha, et menaÁa de donner sa _dťmission_: ce terme ťtait alors devenu ŗ la mode parmi les grands personnages de thť‚tre. On donnait un soir un concert dans un appartement du Palais-Royal ayant vue sur le jardin; beaucoup de promeneurs ťcoutaient: Sophie, malgrť son timbre affaibli, s'avisa de chanter un air d'Iphigťnie; tout ŗ coup une voix s'ťlŤve, interrompt ses chants par des sons lugubres, et fait entendre ces paroles, qu'une divinitť infernale adresse ŗ Alceste dans le dernier acte de cet opťra: Caron t'appelle; entends sa voix. La cantatrice fut abasourdie, et depuis ce moment, dŤs qu'elle paraissait en public, des gens charitables ne manquaient pas de fredonner l'air d'Alceste. Quelque temps aprŤs elle reÁut une leÁon aussi forte et plus dťsagrťable encore; jouant _Iphigťnie_, elle disait ŗ Achilles: Vous brŻlez que je sois partie. Le parterre lui appliqua ce vers, et se mit ŗ battre des mains. Elle fut d'ailleurs souvent maltraitťe dans ce rŰle, malgrť la prťsence de la reine, qui la protťgeait et qui l'applaudissait. Sophie Arnould ayant perdu sa belle voix, son grasseyement, autrefois l'un des charmes de sa jeunesse, devint si dťsagrťable qu'elle cessa tout ŗ fait de plaire au public. L'abbť Galiani se trouvant au spectacle de la cour, on lui demanda son avis sur la voix de Mlle Arnould:--C'est, dit-il, le plus bel asthme que j'aie entendu.--Enfin Sophie cťda aux sages conseils de ses amis, et elle se retira en 1778 avec une pension de 2,000 liv. Cette actrice a obtenu autant de succŤs que de gloire, parce qu'elle unissait le sentiment ŗ la perfection; mais ce qu'on aura de la peine ŗ croire c'est que cette Sophie, si touchante au thť‚tre, si folle ŗ souper, si redoutable dans les coulisses par ses ťpigrammes, employait ordinairement les momens les plus pathťtiques, les momens oý elle faisait pleurer ou frťmir toute la salle, ŗ dire tout bas des bouffonneries aux acteurs qui se trouvaient en scŤne avec elle, et lorsqu'il lui arrivait de tomber gťmissante, ťvanouie entre les bras d'un amant au dťsespoir, tandis que le parterre criait et s'extasiait, elle ne manquait pas de dire au hťros ťperdu qui la soutenait:--Ah, mon cher Pillot, que tu es laid!--On peut remarquer que tous les acteurs ont l'habitude de se dire de pareilles folies pendant leur jeu muet; mais ce qui surprendra c'est que celui de cette actrice n'en souffrait point, et il ťtait impossible que le spectateur qui la voyait dans ces momens dťcisifs suppos‚t qu'elle fŻt assez peu affectťe pour dire des billevesťes. Sophie Arnould a eu de M. le comte de L. trois garÁons et une fille; l'aÓnť s'appelait Louis Dorval, le second Camille Benerville, et le troisiŤme Constant Dioville; Alexandrine ťtait le nom de leur soeur. L'aÓnť mourut ŗ l'‚ge de quatre ans, et le troisiŤme, devenu colonel de cuirassiers, fut tuť ŗ la bataille de Wagram; Camille est existant, et porte l'un des noms de famille de son pŤre, ayant ťtť lťgitimť avec son frŤre Constant. Alexandrine Arnould, nťe en 1767, ťpousa en 1780 A. M.; c'ťtait un jeune littťrateur dont on a ťbauchť le portrait dans les couplets suivans[5]: [5] Ces vers ont ťtť faits il y a longtemps par un des amis d'A. M.; mais cette plaisanterie et beaucoup d'autres n'Űtent rien ŗ son mťrite littťraire. Quel est l'homme de lettres ŗ l'abri des ťpigrammes? Publier un ouvrage marquant, disait Diderot, c'est mettre la tÍte dans un guÍpier. AIR: Vive Henri quatre. Hormis ŗ table, Il est toujours au lit; Qu'il est aimable Quand il sait ce qu'il dit! Mais c'est pis qu'un diable Pour cacher son esprit. A l'art de plaire, Qu'il esquive souvent, Par caractŤre Il joint heureusement L'esprit de se taire, Et chacun est content. A. M., tout en parcourant la lice acadťmique, ne cessait d'enfanter des madrigaux en l'honneur de mesdemoiselles Arnould, mŤre et fille; voici des vers qu'il destinait ŗ Ítre mis au bas du buste de Sophie: Ce buste nous enchante; ah, fuyez, mes amis, Fuyez! Que de pťrils on court prŤs du modŤle! Je n'ai jamais vu d'homme en sa prťsence admis Qui n'entr‚t inconstant et ne sortit fidŤle. Ce poŽte ťtait si ťpris de sa future, d'une figure commune et passablement laide, qu'il la considťrait comme une Vťnus; il lui adressa le quatrain suivant, qui dans le temps parut d'un ridicule rare aux yeux de ceux qui connaissaient l'hťroÔne: Celle dont le portrait ici n'est point flattť, Digne des chants d'Ovide et du pinceau d'Apelle, N'a rien vu sous les cieux d'ťgal ŗ sa beautť, Rien, si ce n'est l'amour que je ressens pour elle. L'esprit de Mme M. tenait beaucoup de celui de sa mŤre; ces deux personnes se faisaient parfois des niches assez gaies. Sophie avait aimť le comťdien F., et aprŤs quelques mois l'avait congťdiť avec ťclat: Mme M. fut enchantťe de cette rupture, qu'elle croyait sincŤre. Un matin elle alla voir sa mŤre, et la trouva tÍte ŗ tÍte avec F.; quand celui-ci se fut retirť elle tťmoigna son ťtonnement ŗ Sophie: ęC'est pour affaire que cet homme est venu ici, dit-elle, car je ne l'aime plus.--Ah! j'entends, rťpliqua Mme M.; vous l'_estimez_ ŗ prťsent;Ľ allusion au conte qui finit par ce vers: Combien de fois vous a-t-il estimť? On demandait ŗ cette dame quel ‚ge avait sa mŤre:--Je n'en sais plus rien, rťpondit-elle; chaque annťe ma mŤre se croit rajeunie d'un an; si cela continue je serai bientŰt son aÓnťe.-- L'ťpigramme, comme on voit, ťtait hťrťditaire dans cette famille; mais le coeur d'Alexandrine ne ressemblait pas ŗ celui de Sophie. Quoiqu'elle eŻt deux enfans d'A. M., elle divorÁa pour ťpouser un habitant de Luzarches, qu'elle a rendu veuf peu de temps aprŤs, en lui laissant aussi deux enfans. Quelques annťes avant la rťvolution Sophie Arnould habitait ŗ Clichy-la-Garenne une maison de campagne oý, partagťe entre les souvenirs et les jouissances que lui assurait son amour pour les arts, elle se livrait presque entiŤrement ŗ l'agriculture et aux douceurs d'une vie paisible et retirťe. Elle vendit cette propriťtť, et acheta ŗ Luzarches, en 1790, la maison des pťnitens du tiers-ordre de Saint-FranÁois, et sur la porte elle fit graver cette inscription: ITE MISSA EST. (Allez vous-en; la messe est dite.) Elle avait choisi au fond du cloÓtre un endroit qu'elle destinait pour son tombeau, et elle y fit inscrire ce verset de l'Ecriture: Multa remittuntur ei peccata quia dilexit multum. Beaucoup de pťchťs lui seront remis, parce qu'elle a beaucoup aimť. Des agens du comitť rťvolutionnaire de Luzarches vinrent un jour chez elle faire une visite domiciliŤre; quelques _frŤres_ la traitant de suspecte: ęMes amis, leur dit-elle, j'ai toujours ťtť une citoyenne trŤs-active, et je connais par coeur les droits de l'homme.Ľ Un des membres aperÁut alors sur une console un buste de marbre qui la reprťsentait dans le rŰle d'Iphigťnie; il crut que c'ťtait le buste de Marat, et, prenant l'ťcharpe de la prÍtresse pour celle de leur patron, ils se retirŤrent trŤs ťdifiťs du patriotisme de l'actrice. La rťvolution, qui a rompu tant de liens, dispersa tous les amis de Sophie; elle perdit alors une grande partie de sa fortune, qui se montait ŗ prŤs de trente mille livres de rente, tant en pensions qu'en contrats; nťanmoins elle eŻt pu s'assurer un sort indťpendant si elle n'eŻt pas mis toute sa confiance dans un homme d'affaires dont les malversations achevŤrent de la ruiner. On a vu dans ces temps de confusion cette femme, cťlŤbre par son esprit et par ses conquÍtes, cette femme, qui pouvait le mieux rappeler l'image d'une courtisane grecque, implorer vainement des secours auprŤs du Gouvernement; on a entendu mÍler aux concerts mystiques des obscurs thťophilantropes cette voix qui tonnait dans Armide, qui soupirait dans Psychť, et on a gťmi en pensant ŗ l'incertitude des ťvťnemens et aux mystŤres de la fatalitť. Sophie vťgťtait dans un dťnuement presque absolu lorsqu'elle apprit, en 1797, que M. F. venait d'Ítre nommť l'un des premiers magistrats de l'ťtat; son coeur tressaillit et s'abandonna facilement ŗ la douce espťrance que son ancien ami, ťlevť au faÓte des grandeurs, viendrait bientŰt ŗ son secours; elle lui fit part de sa position pťnible, et il l'invita ŗ dÓner pour le lendemain. Mme D., prťsente ŗ cette rťunion, fut enchantťe de rencontrer Sophie Arnould, qu'elle ne connaissait que de rťputation; elle alla lui faire une visite, et, la voyant misťrablement logťe chez un perruquier de la rue du Petit-Lion, elle lui proposa un appartement dans sa maison. Sophie accepta avec la plus vive reconnaissance une offre aussi gťnťreuse, et trouva bientŰt prŤs de sa nouvelle amie tous les charmes que les bons coeurs rťpandent autour d'eux. M. F., redevenu ministre en 1798, fit obtenir ŗ Sophie une pension de 2,400 fr. et un logement ŗ l'hŰtel d'Angivilliers, prŤs le Louvre. Alors quelques amis se rapprochŤrent d'elle; des gens de lettres et des artistes lui formŤrent encore une sociťtť agrťable. Sophie Arnould conserva jusqu'au dernier instant tout l'enjouement de son esprit; les gr‚ces semblaient avoir effacť la date de son ‚ge, et la vivacitť de ses saillies faisait oublier les ravages que le temps avait fait ŗ ses charmes. Elle ťtait attaquťe d'un squirrhe au rectum, qui lui ťtait survenu ŗ la suite d'une chute: un jour, qu'elle avait rassemblť plusieurs docteurs pour examiner le siťge secret de ce mal douloureux, elle dit: ęFaut-il que je paie maintenant pour faire voir cette chose-lŗ, tandis qu'autrefois...Ľ Elle mourut ŗ l'hŰtel d'Angivilliers sur la fin de 1802; sa dťpouille mortelle fut portťe dans le champ du repos de Montmartre; aucune pompe funŤbre ne l'accompagna, aucun marbre ne lui servit de tombe: un de ses amis, tťmoin de cette modeste sťpulture, s'ťcria douloureusement: Ainsi tout passe sur la terre, Esprit, beautť, gr‚ces, talens, Et, comme une fleur ťphťmŤre, Tout ne brille que peu d'instans! ARNOLDIANA. Sophie Arnould avait dix-huit ans moins deux mois lorsqu'elle parut pour la premiŤre fois ŗ l'Acadťmie royale de Musique; elle dťbuta dans le divertissement du ballet des _Amours des Dieux_, par un air dťtachť qui commence ainsi: _Charmant Amour_[6]. On lui a souvent entendu dire que _cette invocation lui avait portť bonheur_. [6] Un amateur, ravi de ses accens mťlodieux, lui adressa cet impromptu: Que ta voix divine me touche! Et que je serais fortunť Si je pouvais rendre ŗ ta bouche Le plaisir qu'elle m'a donnť! Dorat entra dans les mousquetaires ŗ l'ťpoque oý Sophie Arnould fut reÁue ŗ l'Opťra; mais il quitta bientŰt l'ťtat militaire pour se livrer entiŤrement ŗ la littťrature. Ce poŽte avait la prťtention de passer pour homme ŗ bonnes fortunes; Sophie, qui connaissait la faiblesse de ses moyens, lui dit un jour: ę_Mon cher Dorat, vous voulez jouer le berger TIRCIS; mais vous n'Ítes pas fait pour ce rŰle-lŗ._Ľ * * * * * Dans une promenade au bois de Romainville elle rencontra Gentil-Bernard, qui, rÍvant ŗ _l'Art d'Aimer_, ťtait assis comme Tityre ŗ l'ombre d'un hÍtre:--Que faites-vous donc dans cette solitude? lui demanda Sophie.--Je m'entretiens avec moi-mÍme, rťpondit le poŽte: ę_Prenez-y garde_, reprit-elle; _vous causez avec un flatteur_.Ľ On a vu rarement le double talent de la dťclamation et du chant rťunis dans le mÍme sujet: Chassť possťda ce rare mťrite; sa voix et son jeu l'ťlevŤrent au rang des plus grands acteurs lyriques. Cet artiste se retira en 1757. Un musicien s'ťtant prťsentť pour lui succťder, Sophie lui dit: ę_Monsieur, si vous voulez Ítre des nŰtres, t‚chez de vous faire CHASS…._Ľ * * * * * Mlle Clairon[7] naquit en 1723 ŗ Condť, petite ville du dťpartement du Nord, pendant le carnaval. Lŗ tout le monde aimait le plaisir: le curť et son vicaire ťtaient masquťs, l'un en Arlequin et l'autre en Gilles. On apporta l'enfant, qui avait l'air mourant, et le curť l'ondoya sans changer d'habit. Cette cťlŤbre actrice qui occupa la scŤne avec tant d'ťclat, dťbuta ŗ l'Opťra-Comique ŗ peine ‚gťe de douze ans; elle passa de lŗ aux Italiens, au grand Opťra, enfin aux FranÁais, oý la gloire l'attendait. Elle ťtait galante, voluptueuse et peu intťressťe. Quelque temps avant sa retraite, qui eut lieu en 1766, on parlait sourdement de son mariage avec M. de Valbelle, son amant intime, et en attendant elle vivait avec un Russe d'une rťputation singuliŤre. On disait ŗ Mlle Arnould que ce sigisbťe se contentait de lui baiser la main: ę_C'est tout ce qu'il peut faire de mieux_,Ľ rťpondit-elle. [7] Garrick, cťlŤbre acteur anglais, se trouvant ŗ Paris en 1763, mit ce quatrain au bas d'un tableau qui reprťsentait Mlle Clairon couronnťe par MelpomŤne: J'ai prťdit que Clairon illustrerait la scŤne, Et mon espoir n'a point ťtť dťÁu: Elle a couronnť MelpomŤne; MelpomŤne lui rend ce qu'elle en a reÁu. Albaneze, sopraniste du Conservatoire de Naples, et l'un des plus fameux castrats[8] que nous ayons eus, vint ŗ Paris ŗ l'‚ge de dix-huit ans. Une dame, l'ayant entendu chanter, en devint amoureuse, et parlait avec enthousiasme du charme de sa voix: ę_Il est vrai_, dit Sophie, _que son organe est ravissant; mais ne sentez-vous pas qu'il y manque quelque chose?_Ľ [8] Barthe composa en 1767 une piŤce de vers intitulťe: _Statuts pour l'Acadťmie royale de Musique_. Voici l'un des vingt-deux articles qui les composent: Tous remplis du vaste dessein De perfectionner en France l'harmonie, Voulions au pontife romain Demander une colonie De ces chantres flŻtťs qu'admire l'Ausonie; Mais tout notre conseil a jugť qu'un castra, Car c'est ainsi qu'on les appelle, Etait honnÍte ŗ la chapelle, Mais indťcent ŗ l'Opťra. Mlle Beaumenard, actrice de la Comťdie franÁaise, avait jouť en 1743 ŗ l'Opťra-Comique, oý elle ťtait connue sous le nom de _Gogo_. Aucune actrice n'a demeurť si longtemps au thť‚tre. Le fermier gťnťral d'Ogny lui ayant donnť une superbe riviŤre de diamans, une de ses camarades en admirait l'ťclat, mais trouvait que cette riviŤre descendait bien bas: ę_C'est qu'elle retourne vers sa source_, observa Sophie.Ľ * * * * * Chťvrier a prťsentť dans son Colporteur une satire affreuse des moeurs du siŤcle; les principales actrices de Paris y sont passťes en revue, et chacune a son paquet. Cet ťcrivain virulent, poursuivi par la police, alla mourir en Hollande en 1762. Le bruit ayant couru qu'il s'ťtait empoisonnť: ę_Juste ciel!_ dit Mlle Arnould, _il aura sucť sa plume_.Ľ Poinsinet a fait imaginer le mot _mystification_ pour exprimer l'art de tirer parti d'un homme simple en s'amusant de sa crťdulitť. Cet Ítre singulier ne manquait pas de cette vivacitť d'esprit naturel qui s'exhale quelquefois en saillies piquantes; mais il ťtait absolument dťnuť de jugement. Un de ses prŰneurs vantait un jour les nombreux ouvrages de Poinsinet en disant que peu d'auteurs avaient son esprit: ę_Je pense comme vous_, reprit Mlle Arnould; _Poinsinet a tant d'esprit dans sa tÍte que le bon sens n'a jamais pu s'y loger_.Ľ * * * * * Le lord Craffort, grand adorateur des vierges de l'Opťra, faisait le dťvot et se ruinait au jeu. Sophie lui dit un jour: ę_Milord, vous ressemblez aux BONS CHR…TIENS d'hiver; vous mŻrirez sur la paille._Ľ * * * * * J.-P.-N. Ducommun est auteur de l'Eloge du sein des Femmes. Un amateur, citant cet ouvrage ŗ Sophie, disait qu'une belle gorge ťtait ce qu'il prisait davantage chez les dames, mais que depuis longtemps il n'en trouvait pas: ę_Vraiment!_ rťpondit-elle; _vous ne savez donc plus ŗ quel SEIN vous vouer?_Ľ * * * * * Ce fut au danseur Lťger que Mlle G. dut son premier pas et un enfant, dont elle accoucha dans un grenier[9], au milieu de l'hiver, sans feu et sans linge. Depuis cette ťpoque elle gagna un hŰtel, un suisse, six chevaux, autant de domestiques, et une fois autant d'amans. On assure qu'elle a dŻ ses vertus et son humanitť ŗ l'ťtat de dťnuement oý elle se trouva au commencement de sa carriŤre. Cette danseuse ťtait fort maigre, et quoique sa danse fŻt maniťrťe et pleine d'affťteries, on l'avait surnommťe le _squelette des gr‚ces_. Un jour qu'elle dansait avec Gardel, son soupirant, et Dauberval, son favori, Sophie dit: ę_Je crois voir deux chiens qui se disputent un os._Ľ [9] Barthe, dans ses Statuts pour l'Opťra, dit ŗ ce sujet: Que celles qui, pour prix de leurs heureux travaux, Jouissent ŗ vingt ans d'une honnÍte opulence, Ont un hŰtel et des chevaux, Se rappellent parfois leur premiŤre indigence, Et leur petit grenier et leur lit sans rideaux. Leur dťfendons en consťquence De regarder avec pitiť Celle qui s'en retourne ŗ piť; Pauvre enfant dont l'innocence N'a pas encore rťussi, Mais qui, gr‚ces ŗ la danse, Fera son chemin aussi. Un petit-maÓtre, beau comme Adonis et pauvre comme Job, ťpousa la veuve d'un riche marchand de bois qui fournissait l'Opťra; un ami de la dame s'ťtonnait qu'ŗ son ‚ge elle eŻt fait choix d'un tel ťtourdi: ę_Mais cette femme entend trŤs-bien le mťnage_, dit Mlle Arnould; _pour que le feu s'ťprenne ne faut-il pas que le bois sec soit sous le bois vert_.Ľ * * * * * Mlle Defresne, fille d'une blanchisseuse de Paris, ťtait citťe en 1735 comme une des plus jolies personnes qu'on pŻt voir; sa beautť fit sa fortune, et aprŤs avoir longtemps circulť dans le monde elle ťpousa le marquis de Fleury, qui lui vendit son nom et ses titres moyennant une pension viagŤre. Depuis cette mutation Mme la marquise de Fleury eut des armoiries, des gens qui portaient la queue de sa robe, et un carreau ŗ l'ťglise. Un jour qu'elle ťtalait ŗ Saint-Roch son faste et son hypocrisie, Sophie dit ŗ quelqu'un: ę_Examinez donc cette nouvelle marquise; elle devient dťvote ŗ vue d'oeil; elle prie Dieu quand on la regarde._Ľ * * * * * Une actrice de l'Opťra vivait avec un joueur qui lui mangeait tout ce qu'elle gagnait. Sophie, la voyant recourir souvent aux emprunts, lui dit:--Ton amant te ruine; comment peux-tu rester avec lui?--Cela est vrai; mais c'est un si bon diable! ę_Je ne m'ťtonne plus_, reprit sa camarade, _si tu t'amuses ŗ tirer le diable par la queue_.Ľ * * * * * M. de Sennecterre, devenu aveugle, donna en 1762 une pastorale intitulťe _Hylas et Zťlie_; les paroles en sont plates, la musique pauvre, et les ballets insignifians. Mlle Arnould dit _que ce spectacle ťtait un opťra d'aveugle fait pour Ítre entendu par des sourds_. * * * * * Il est des femmes chez lesquelles rŤgne une bontť d'‚me incompatible avec des rigueurs constantes; elles n'ont pas la force de rťsister ni le courage de refuser. La tendre Gaussin[10] ťtait de ce caractŤre; jamais un refus n'est sorti de sa bouche. On disait que Chťvrier avait recueilli les noms de mille trois cent soixante-douze soupirans auxquels cette actrice gťnťreuse avait rendu service: ę_Cela prouve un grand coeur_, observa Sophie; _mais qui sert tout le monde n'oblige personne_.Ľ [10] Gaussin en recevant le jour Offrit l'art d'aimer et de plaire, Et jamais enfant de l'amour Ne ressembla mieux ŗ son pŤre. A. D. Un Anglais qui faisait la cour ŗ Mlle Beaumenard vint prier Sophie de le raccommoder avec cette actrice.--Qui vous a donc brouillť?--Vous savez bien qu'elle avait un ťpagneul; ce petit animal venait toujours me mordre les jambes; je lui ai donnť un coup de pied, et il en est mort.--Ah, milord, quel coup de pied!--Cela est vrai; mais, voulant rťparer le mal, je lui ai portť un joli petit chien anglais.--Hť bien?--Hť bien, elle a pris la petite bÍte, l'a jetťe par la fenÍtre, et il est restť mort sur le pavť.--_Encore!_ rťpartit Sophie; ę_mais c'est le massacre des innocens que cette histoire-lŗ_.Ľ Il se trouvait ŗ Paris en 1763 un arriŤre petit-fils de Racine par les femmes. Comme il ne restait aucun m‚le, et que le dernier mort et son fils avaient trŤs-peu joui de leurs entrťes au thť‚tre FranÁais, ce jeune homme crut pouvoir recueillir cette espŤce de succession littťraire, et attendre cette gr‚ce du respect et de la reconnaissance des comťdiens pour leur bienfaiteur; mais ces messieurs, sous prťtexte qu'une telle faveur nuirait ŗ leurs intťrÍts, refusŤrent tout net les entrťes au descendant de Racine. Mlle Arnould dit en apprenant cette lťsinerie: ę_Qu'est-ce qu'une ENTR…E de plus ou de moins pour des gens qui vivent de RACINE._Ľ * * * * * Un jeune homme lisait des vers faits contre une femme dont il avait ŗ se plaindre; un ami de la belle prit l'ťpigramme et la dťchira. Il s'en suivit une dispute fort vive qui les conduisit au bois de Boulogne, oý l'agresseur reÁut un violent coup d'ťpťe. Celui-ci, quelque temps aprŤs, ťtant au foyer, racontait sa triste aventure: ę_Voilŗ ce qui arrive_, dit Sophie; _qui casse les VERS les paie_.Ľ * * * * * Mlle Dubois dťbuta au thť‚tre FranÁais en 1759, et par l'effet de la jalousie et des cabales elle resta douze ans ŗ l'essai. Cette actrice, voulant courir plusieurs carriŤres ŗ la fois, se fit recevoir au Concert spirituel en 1763; mais quoiqu'elle eŻt du talent et une figure intťressante, on lui trouvait de grands bras, des gestes monotones et une ‚me froide. Quelque temps avant son dťbut quelqu'un ayant demandť ŗ Sophie ce qu'elle pensait de cette chanteuse, elle rťpondit: ę_C'est une VOIX DE BOIS que nous essaierons cet hiver._Ľ * * * * * Peu d'hommes ont ťtť traitťs de la nature aussi bien que le philosophe Helvťtius; elle lui avait accordť la beautť, la santť et le gťnie. Dans sa jeunesse il ťtait bon danseur et frťquentait souvent l'Opťra; aimable, beau, riche et gťnťreux, il dut faire beaucoup de conquÍtes, et Sophie devint une des siennes. Il lui avait envoyť le jour de sa fÍte, un riche cadeau, et il resta quelque temps sans lui parler. Sophie, ennuyťe de ce retard, lui dit naÔvement: ę_Est-ce que vous voulez perdre ce que vous m'avez donnť?_Ľ Mlle Durancy[11] fut consacrťe au thť‚tre dŤs sa plus tendre enfance. Douťe d'une intelligence supťrieure, et encouragťe par ses premiers essais en province, elle dťbuta ŗ la Comťdie franÁaise en 1759, dans l'emploi des soubrettes, ŗ peine ‚gťe de treize ans; elle passa ensuite ŗ l'Opťra en 1762, et s'ťleva aux rŰles de reines. Cette actrice avait la voix rauque et le cri un peu poissard; un jour qu'elle chantait le rŰle de Clytemnestre dans Iphigťnie, elle fut sifflťe: ę_Cela est ťtonnant_, dit Sophie, _car Durancy a la voix du peuple_.Ľ [11] Cette actrice jouant le rŰle d'Ernelinde dans l'opťra de ce nom, Favart lui adressa ces vers: O Durancy! par quels charmes puissans, Par quel heureux prestige abuses-tu mes sens? C'est l'effet de ton art suprÍme. Je cours ŗ l'Opťra pour t'entendre et te voir: L'actrice disparaÓt; tu trompes mon espoir; Je ne vois plus qu'Ernelinde elle-mÍme. * * * * * Le docteur BartŤs disait un soir au foyer de l'Opťra que la goutte est la seule maladie qui donne de la considťration dans le monde: ę_Je le crois bien_, reprit Mlle Arnould; _c'est la croix de Saint-Louis de la galanterie_.Ľ * * * * * En 1763 plusieurs amateurs reÁurent pour ťtrennes un petit almanach contenant vingt-six couplets sur vingt-six danseuses de l'Opťra et leurs entreteneurs. Mlle Lany, qui ŗ cette ťpoque ťtait la premiŤre danseuse de l'Europe, se trouvait ŗ la tÍte de cette satire, et en paraissait dťsolťe: ę_De quoi te plains-tu, ma chŤre Lany!_ lui dit Sophie; _on a rendu justice ŗ tes talens, puisqu'on t'a choisie pour ouvrir le bal_.Ľ * * * * * Laharpe[12] dans sa jeunesse fut mis au Fort-l'EvÍque pour avoir fait une satire contre ses professeurs. A cette ťpoque il arriva au concert spirituel un accident qui mit ce spectacle en dťsordre; une harpe fut brisťe au milieu d'une symphonie par la chute d'une personne. Comme on cherchait ŗ remplacer cet instrument, Mlle Arnould s'ťcria: ę_Si vous voulez Ítre d'accord, n'allez pas chercher LAHARPE du Fort-l'EvÍque._Ľ [12] M. F. D. N. a fait sur ce littťrateur l'ťnigme suivante: J'ai sous un mÍme nom trois attributs divers; Je suis un instrument, un poŽte, une rue: Rue ťtroite, je suis des pťdans parcourue; Instrument, par mes sons je charme l'univers; Rimeur, je l'endors par mes vers. Clairval dťbuta ŗ l'Opťra-Comique en 1756. Aucun acteur n'a jouť avec plus de noblesse le _Magnifique et l'Amant jaloux_. Il ťtait trŤs bel homme; ses maniŤres ťtaient sťduisantes; il n'en fallait pas davantage pour qu'il devÓnt la coqueluche de toutes les femmes. Sa passion pour le jeu lui fit perdre 30,000 l. au jeu de la Belle. Sophie dit en apprenant cette mťsaventure: ę_Il n'y a pas de mal qu'une BELLE lui soit cruelle._Ľ * * * * * Deux jeunes danseurs s'amusaient ŗ lutter en attendant une rťpťtition. Une figurante, qui prenait intťrÍt ŗ ces athlŤtes, s'approcha d'eux pour mieux juger de leur adresse; lorsqu'elle revint ŗ sa place Sophie lui dit en riant: ę_Hť bien, ma chŤre, tu connais maintenant le fort et le faible de cette affaire-lŗ?_Ľ M. Bertin avait fait une telle dťpense pour Mlle Hus, que le mobilier de cette actrice ťtait estimť plus de 500,000 liv. Tant de bienfaits ne purent fixer le coeur de cette volage, et M. Bertin la trouva, un beau matin, couchťe dans sa maison de campagne avec le fils de l'entrepreneur des eaux de Passy. Quelques jours aprŤs Sophie dit ŗ M. Bertin: ę_J'ai des obstructions; dites-moi donc comment Mlle Hus se trouve des eaux de Passy?_Ľ * * * * * Le 6 avril 1763, entre onze heures et midi, le feu se dťclara, on ne sait comment, dans la salle de l'Opťra: en peu de temps l'incendie dťvora tout. Quelques heures aprŤs ce funeste ťvťnement, une grande dame rencontra Sophie, et lui dit d'un air effrayť:--Mademoiselle, racontez-moi ce qui s'est passť ŗ cette terrible incendie? ę_Madame_, rťpondit-elle, _tout ce que je puis vous dire c'est qu'incendie est du masculin_.Ľ * * * * * Mlle Mirť[13], plus cťlŤbre courtisane que bonne danseuse, ťtait fort exigeante en amour; il lui fallait preuve sur preuve, et plus d'un brave y succomba. L'un d'eux ťtant mort au champ d'honneur, Sophie dit ŗ ce sujet: ę_Ordinairement la lame use le fourreau; mais ici c'est le fourreau qui a usť la lame._Ľ [13] Dauberval, devenu l'amant de cette nymphe, fit faire un cachet sur lequel il ťtait reprťsentť en chasseur, avec ces mots pour lťgende: Quand je n'ai pas MIR… je manque mon coup. * * * * * Le pauvre dťfunt avait ťtť musicien. Un de ses camarades voulant lui faire une ťpitaphe, Sophie proposa le rťbus suivant: _La mi rť la mi la._ La Mirť l'a mis lŗ. * * * * * Un cri gťnťral s'ťleva contre la nouvelle ťdition des OEuvres de Corneille publiťe par Voltaire; on fut indignť non seulement de la critique amŤre et dure que le commentateur faisait de Pierre Corneille, mais de ce qu'il y enveloppait les deux piŤces de Thomas restťes au thť‚tre. Sophie, entendant analiser cette espŤce de satire, se mit ŗ dire: ę_Voltaire eŻt mieux fait de b‚iller (BAYER) aux corneilles que de songer ŗ leur couper les ailes._Ľ * * * * * Mlle Maisonneuve, petite-fille de la femme de chambre de Mlle Gaussin, dťbuta en 1763: elle jouait dans _la Gouvernante_; et comme elle ťtait en tÍte ŗ tÍte avec son amant on vint l'avertir de se retirer. En fuyant elle tomba dans la coulisse et laissa voir son derriŤre. Le public fÍta beaucoup ce nouveau visage, et Sophie s'ťcria: ę_Quel heureux dťbut! jamais actrice ne mťrita mieux d'Ítre claquťe._Ľ * * * * * Un danseur, rentrant tout essoufflť dans la coulisse, dit en se jetant sur un siťge:--Je n'en puis plus! N'est-il pas un autre emploi qui m'enrichisse sans tant me fatiguer? ę_Hť bien!_ rťpondit Sophie, _il faut prendre l'emploi de cocu; c'est la femme qui en fait tout l'exercice_.Ľ * * * * * Mlle Dumesnil, actrice de la Comťdie franÁaise, buvait comme une ťponge [14]. Son laquais, lorsqu'elle jouait, ťtait toujours dans la coulisse pour l'abreuver, et ce vice la mettait souvent dans le cas de substituer sur la scŤne les ťcarts de sa raison aux dťsordres des grandes passions qu'elle devait peindre. Un jour qu'elle remplissait le rŰle de Mťdťe quelqu'un dit en l'applaudissant:--Ne semble-t-il pas que ses yeux distillent le poison? ę_Dites plutŰt_, reprit Sophie, _que le vin lui sort par les yeux_.Ľ [14] Malgrť ce dťfaut cette actrice fit l'ornement du thť‚tre FranÁais dans les rŰles de fureur, de reine et de mŤre. Quand Dumesnil vient sur la scŤne Au grť des connaisseurs parfaits, On croit entendre MelpomŤne Rťciter les vers qu'elle a faits. N. En 1763 on entendit au concert spirituel un cor de chasse qui ťtonna tout Paris; c'ťtait le seigneur Rhodolphe. Jusque-lŗ cet instrument n'avait point ťtť portť ŗ un tel degrť de perfection; il imitait tour ŗ tour la flŻte la plus douce et la trompette la plus ťclatante. Un musicien, jaloux de ces succŤs, prťtendit qu'un cor de chasse ne pouvait exciter aucun sentiment tendre. ę_A vous entendre_, dit Mlle Arnould, _on croirait que Rhodolphe est un COR sans ‚me_.Ľ * * * * * Une Mme Lecoq, attachťe ŗ l'administration de l'Opťra, frťquentait souvent ce spectacle; elle avait la voix fausse, et cependant elle aimait beaucoup ŗ fredonner. Un jour elle se plaignait de ce que son mari la faisait toujours taire quand elle rťpťtait des airs nouveaux. ę_Madame_, lui dit Sophie, _c'est que la poule ne doit jamais chanter devant le coq_.Ľ * * * * * Le sieur Guignon, reÁu ŗ la musique du roi en 1733, devint l'ťmule du fameux Leclair pour le violon. Son talent supťrieur pour le jeu de cet instrument lui avait mťritť l'office de _roi et maÓtre des mťnťtriers du royaume_. Mlle Arnould se trouvant en soirťe avec la femme de ce musicien, on lui proposa de faire avec elle une partie de wisk. ę_Je ne veux point d'une telle partner_, dit Sophie; _cette dame porte guignon_.Ľ * * * * * Mlle Fel a ťtť l'une des meilleures actrices de l'Opťra pour les rŰles tendres, et la plus agrťable cantatrice du concert spirituel. C'est, disait-on, un rossignol qui chante, un ruisseau qui murmure un zťphir qui fol‚tre. Elle quitta le thť‚tre en 1758, et afficha pendant quelque temps une sorte de sagesse. Quelqu'un citant la vie retirťe de Mlle Fel, Sophie rťpliqua: ę_Ne vous y fiez pas; cette fille ressemble ŗ Pťnťlope; elle dťfait la nuit ce qu'elle a fait le jour._Ľ * * * * * AprŤs l'incendie de l'Opťra en 1763 on ťleva sur le mÍme terrain une nouvelle salle qui s'ouvrit le 24 janvier 1764[15]; elle ťtait richement dťcorťe, mais la construction du parterre et des loges fut gťnťralement critiquťe. Le paradis en ťtait si reculť et si exhaussť qu'on y ťtait comme dans un autre monde. Mlle Arnould dit ŗ l'architecte Soufflot: ę_Ah, monsieur! que deviendrons-nous s'il faut crier comme des_ DIABLES _pour Ítre entendus du_ PARADIS?Ľ [15] Cette salle fut restaurťe par M. Moreau en 1769; on proposa d'y mettre cette inscription: Ici les dieux du temps jadis Renouvellent leurs liturgies: Vťnus y forme des LaÔs; Mercure y dresse des Sosies. * * * * * Champfort avait vingt-un ans lorsqu'il donna sa comťdie de la _Jeune Indienne_. Cette piŤce, dont le sujet est tirť du Spectateur Anglais, n'eut pas de succŤs, ce qui fit dire ŗ Sophie que _l'_INDIENNE _avait fait baisser la_ TOILE. * * * * * Mlle Duprat de l'Opťra perdit le procŤs qu'elle avait intentť ŗ Poinsinet pour cause d'escroquerie, malgrť le mťmoire que fit pour elle M. Coqueley de Chaussepierre, avocat au parlement et chef du conseil des comťdiens.--Quel dťsagrťment! disait Mlle Durancy; cela me fait encore dťtester davantage les procŤs. ę_Je le crois_, reprit Sophie; _tu ne chicanes point, toi; tu accordes tout_.Ľ * * * * * Mlle Robbe dťbuta ŗ l'Opťra en 1765. Cette jolie danseuse inspira de l'amour au comte de L., qui fit part ŗ Sophie de l'impression que la nouvelle fťe avait faite sur son coeur. Celle-ci reÁut la confidence avec philosophie; elle prit sur elle de suivre le nouveau goŻt de son infidŤle, et d'en apprendre des nouvelles de sa propre bouche. Un jour qu'elle lui demandait oý il en ťtait, il ne put s'empÍcher de lui tťmoigner qu'il ťtait dťsolť de rencontrer toujours chez sa divinitť un certain chevalier de Malte qui l'offusquait fort. ę_Hť bien_, rťpartit Sophie, _ce rival accomplit son voeu de chevalier de Malte; il fait la guerre aux infidŤles_.Ľ * * * * * De tous les auteurs dramatiques Lemierre est celui dont le style ‚pre et rude rappelle davantage celui de la fameuse Pucelle de Chapelain. Parmi les vers tudesques dont ce poŽte a parsemť sa tragťdie de Guillaume Tell, on remarque ce passage rocailleux: Je pars, j'erre en ces rocs dont partout se hťrisse Cette chaÓne de monts qui couronne la Suisse. La Veuve du Malabar offre celui-ci: Toi prÍtre! toi bramine! et tu n'es pas mÍme homme. Mlle Arnould avait surnommť Lemierre _le chapelain de Saint-Roch_[16]. [16] …PIGRAMME. Prenez les vers du rocailleux Lemierre, Dont un moment ici j'emprunte la maniŤre; Lisez, relisez-les souvent Si votre langue a de la gÍne, Ils feront pour son mouvement L'effet de ces cailloux que m‚chait DiogŤne. N. Le duc de *** ťtait bossu, et avait, comme beaucoup de grands, la manie d'afficher des goŻts qu'il n'ťprouvait pas; il possťdait surtout une riche collection de livres qu'il citait souvent. Sophie disait de ce seigneur: ę_Sa bibliothŤque a le sort de sa bosse; elle est ŗ lui, il s'en fait honneur, et jamais il ne la regarde._Ľ * * * * * Le cťlŤbre musicien Rameau[17] mourut en 1764. L'Acadťmie royale de musique fit cťlťbrer pour lui, dans l'ťglise de l'Oratoire, un service solennel. Plusieurs beaux morceaux des opťras de Castor et de Dardanus furent adaptťs aux priŤres qu'il est d'usage de chanter dans cette cťrťmonie. Mlle Arnould, rappelant le nom et les talens de l'homme illustre que la France venait de perdre, s'ťcria: ę_Nos lauriers ont perdu leur plus beau_ RAMEAU!Ľ [17] On prťtend que tout ce que son curť put tirer de lui dans ses derniers momens, furent ces mots-ci: _Que diable venez-vous me chanter, M. le curť? vous avez la voix fausse._ * * * * * Vestris pŤre, surnommť le _diou de la danse_, ayant appelť Mlle Heynel catin[18], le public, ŗ qui elle appartenait, le forÁa de lui faire des excuses en plein thť‚tre. La veille de cette rťparation Mlle Heynel se plaignait du propos indťcent de Vestris. ę_Que veux-tu, ma chŤre_, rťpondit Sophie, _il faut se consoler de tout; les gens aujourd'hui sont si grossiers qu'ils appellent les choses par leur nom_.Ľ [18] Quelques annťes aprŤs Vestris fit oublier son offense par l'hommage de son amour, et ces deux amans allŤrent ensuite se jurer une flamme ťternelle sur l'autel de l'hymenťe. * * * * * La fille d'un premier prťsident de la Chambre des Comptes de DŰle, ŗ la veille d'Ítre forcťe ŗ un mariage qui lui rťpugnait, introduisit secrŤtement son amant dans sa chambre, et rendit ses pŤre et mŤre tťmoins malgrť eux de son mariage physique. Cet ťvťnement singulier fit beaucoup de bruit, et il s'en suivit un long procŤs: ę_Voilŗ oý conduit la tyrannie des parens_, dit Mlle Arnould; _quand une fille est condamnťe ŗ l'hymen elle en appelle ŗ l'amour_.Ľ * * * * * Mlle Gaussin, cette hťroÔne du thť‚tre franÁais, dont les talens et les gr‚ces ont ťtť si chantťs, ťpousa en 1758 un danseur italien, nommť _Toalaigo_, qui la rendit fort malheureuse; cinq ans aprŤs elle quitta le thť‚tre et se fit dťvote: ę_Tel est le sort des femmes galantes_, dit Sophie; _elles se donnent ŗ Dieu quand le diable n'en veut plus_.Ľ * * * * * _Le Siťge de Calais_, tragťdie de Dubelloy, jouťe en 1765[19], obtint un succŤs prodigieux, gr‚ces au sujet national que l'auteur avait choisi, et au jeu brillant de Molť. Dans le mÍme temps les comťdiens italiens annoncŤrent _Tom Jones_, comťdie de Poinsinet. Sophie dit: ę_Je ne crois pas que Poinsinet fasse lever_ le siťge de Calais.Ľ [19] On fit paraÓtre ŗ cette ťpoque les vers suivans: Belloy nous donne un siťge; il en mťrite un autre. Graves acadťmiciens, Faites-lui partager le vŰtre, Oý tant de bonnes gens sont assis pour des riens. * * * * * Le Concert spirituel ťtait un spectacle public dans lequel on exťcutait, les jours oý les thť‚tres ťtaient fermťs, des motets et des symphonies; il avait ťtť ťtabli en 1725 dans la salle des suisses des Tuileries, et on le rťtablit en 1763, aprŤs l'incendie de l'Opťra, afin de dťdommager le public de la privation de ce spectacle, en attendant que la nouvelle salle fŻt construite. Mlle Arnould disait _que ces concerts ťtaient de l'onguent pour la brŻlure_. * * * * * La comťdie du _Cercle_ est la seule piŤce de Poinsinet qui soit restťe au thť‚tre. Cet ouvrage est un mťlange de plusieurs scŤnes pillťes dans une comťdie de Palissot, jouťe ŗ Nancy en 1756, sous le mÍme titre. Lorsque cette piŤce en mosaÔque parut, Sophie qui connaissait la source oý Poinsinet avait puisť, lui dit un jour qu'il se targuait de cette composition: ę_Mon cher Poinsinet, il ne faut pas juger le vin au CERCLE._Ľ * * * * * Lorsqu'elle mit au monde son premier nť tous ses amis allŤrent chez elle entretenir les caquets de l'accouchťe--Bon dieu, dit-elle, que l'on souffre pour des jeux d'enfant!--Il est un remŤde qui prťvient ces douleurs-lŗ, observa gravement un mťdecin.--Quel est-il?--La continence.--_Que me proposez-vous lŗ_, s'ťcria-t-elle; _le remŤde est pire que le mal_. * * * * * Mlle Clairon fut la premiŤre qui osa paraÓtre sur la scŤne sans paniers, et son exemple fut imitť par toutes ses compagnes. Cette actrice, ayant refusť de jouer dans _le Siťge de Calais_ avec un nommť _Dubois_, accusť d'une bassesse, excita parmi ses camarades, quoique la piŤce fŻt affichťe, une telle insurrection, que la plupart furent mis au Fort-l'EvÍque; la reine du thť‚tre y alla comme les autres; le public s'amusa beaucoup des dťbats du tripot comique, et Mlle Arnould s'ťcria: ę_Cette conduite est impardonnable; jamais on n'a vu une troupe bien disciplinťe manquer un jour de SI…GE._Ľ * * * * * Favart a fait le portrait de Mlle Beaumenard dans son opťra de _la Coquette sans le savoir_. Cette actrice sur la fin de son ťtť s'ťprit de belle passion pour son camarade Belcourt, et l'ťpousa en lui offrant les dťpouilles d'une multitude d'amans ruinťs en son honneur. Quelqu'un, citant l'inconstance et la lťgŤretť de Mme Belcourt, comparait les coquettes aux girouettes: ę_Ce sont bien de vraies girouettes_, reprit Sophie; _car elles ne se fixent que quand elles sont rouillťes_.Ľ * * * * * Les Italiens donnŤrent en 1766 _le Braconnier et le Garde de Chasse_, comťdie mÍlťe d'ariettes. Cette piŤce fut trouvťe dťtestable, et on la raya du rťpertoire. Quelque temps aprŤs quelqu'un dit devant Mlle Arnould:--On n'entend plus parler du _Braconnier_:--ę_C'est qu'on l'a envoyť aux galŤres_,Ľ rťpondit-elle. * * * * * Un exempt fut chargť de conduire Mlle Clairon au Fort-l'EvÍque ŗ cause de son incartade contre l'acteur _Dubois_. L'hťroÔne, s'adressant ŗ l'alguazil, lui dit que ses biens, sa personne et sa vie dťpendait de S. M., mais qu'elle ne pouvait rien sur son honneur. Ce propos rapportť ŗ Sophie, elle rťpartit: ę_C'est juste; partout oý il n'y a rien le roi perd ses droits._Ľ * * * * * Deux jolies danseuses discutaient la beautť de leurs gorges; elles prirent pour arbitre Mlle Arnould, qui, aprŤs avoir examinť les piŤces du procŤs, jugea qu'il serait difficile de dťcider laquelle des deux mťritait le prix: ę_Au surplus_, ajouta-t-elle, _il est permis ŗ chacun de prÍcher pour son SEIN_.Ľ * * * * * Mlle Beaumesnil, ‚gťe de dix-sept ans, remplaÁa en 1766 Mlle Arnould dans le rŰle de Sylvie; elle fut la premiŤre qui eut assez l'esprit de son art pour se dťcolorer sur la scŤne, afin de mieux rendre en plusieurs circonstances la situation de son personnage. Cette actrice avait pour favori un mťdecin qui lui faisait prendre tous les matins un lavement, afin d'entretenir sa fraÓcheur. Sophie se trouvant chez elle au moment de l'opťration:--Tu vois, lui dit Beaumesnil, comme mon docteur me prouve sa tendresse.--_Cette attention-lŗ_, rťpondit sa camarade, _est un vrai_ remŤde d'amour. * * * * * Louis XV avait un sťrail qu'on appelait _le Parc aux Cerfs_. Les jeunes personnes qu'on y ťlevait n'en sortaient que pour se marier. Le chevalier de..., n'ayant point de fortune, consentit en faveur de la dot ŗ prendre une de ces sultanes validťs. Sophie, le voyant quelque temps aprŤs dans un brillant ťquipage, lui dit en riant: ę_Ah, ah, chevalier! on voit bien que vous Ítes entrť dans les affaires du roi._Ľ * * * * * M. Bouret, ce fameux fermier gťnťral qui mangea, dit-on, quarante-deux millions et qui mourut insolvable, affichait un luxe dont on ne peut se faire d'idťe; il le poussait au point d'avoir nourri une vache avec des petits pois verts ŗ cent cinquante livres le litron, pour rťgaler dans la primeur une femme qui ne vivait que de lait. Ce fastueux financier dťsirait former une liaison avec Mlle Arnould. Il se jeta ŗ ses genoux; elle parut inexorable: il lui jura de l'aimer toute sa vie; elle fut inflexible: il lui prťsenta un superbe diamant; elle sourit, et lui dit en parodiant le mot de Henri IV ŗ Sully: ę_Relevez-vous; on croirait que je vous pardonne._Ľ * * * * * On lui parlait d'une certaine dame qui, tout en affichant la dťvotion, n'en prenait cependant qu'ŗ son aise: ę_Apparemment_, reprit-elle, _qu'elle veut aller en paradis en pantoufles_.Ľ * * * * * Mlle Durancy ťtait meilleure actrice que chanteuse: ayant eu des diffťrends avec les directeurs de l'Opťra, qui ne prisaient pas assez ses talens, elle rentra ŗ la Comťdie franÁaise en 1766, pour doubler Mlle Dubois, qui succťdait ŗ Mlle Clairon comme chef d'emploi; mais bientŰt la jalousie de sa rivale la forÁa de retourner ŗ l'Opťra. Sophie disait de cette transfuge: ę_De tous les auteurs que Durancy a essayťs les FranÁais sont encore ceux qu'elle prťfŤre._Ľ * * * * * Clairval, cťlŤbre acteur de l'Opťra-Comique, avait ťtť dans sa jeunesse garÁon perruquier. La beautť de son physique lui procura beaucoup d'aventures galantes; celle qu'il eut avec la duchesse de Stainville fit beaucoup de bruit. Quelqu'un racontait ŗ Sophie que M. de Stainville avait fait dire ŗ ce comťdien qu'il lui ferait donner cent coups de b‚ton, s'il revoyait sa femme: ę_Quelle impertinence!_ dit-elle; _cet homme-lŗ mťriterait bien que Clairval lui_ LAVAT LA T TE.Ľ * * * * * Un danseur de l'Opťra briguait les faveurs d'une jeune figurante, nommťe _Chardon_; un jour de rťpťtition il s'avisa de lui chanter un couplet de sa faÁon, mais d'une voix si fausse, que toutes les oreilles se redressŤrent. ę_Vous l'entendez_ dit Sophie; _il fait l'‚ne pour avoir du chardon_.Ľ * * * * * Le marquis de Prest, aprŤs avoir longtemps soupirť pour Sophie, obtint enfin le bonheur de passer quelques heures avec elle; mais le pauvre marquis employa fort mal son temps. Depuis cette sťance, lorsqu'elle parlait de lui, elle citait ce vers de La Fontaine: De loin c'est quelque chose et de prŤs ce n'est rien. * * * * * Mlle Vestris, danseuse ŗ l'Opťra, italienne de naissance, et dont les goŻts divers ťtaient trŤs connus, se rťcriait sur la fťconditť de sa camarade Rey, et ne concevait pas comment cette fille s'y laissait prendre si facilement:--ę_Tu en parles bien ŗ ton aise_, dit Sophie; _une souris_...Ľ (le reste est connu). * * * * * On peut citer Mlle G.... parmi les courtisanes qui ont fait la plus grande fortune. Le noble militaire, le grave robin, le fastueux financier, le clergť mÍme, tout a voulu G., et n'a rien ťpargnť pour s'en procurer la possession. Cependant elle n'ťtait pas jolie, et sa taille maigre et longue lui donnait assez l'air d'une araignťe. Dansant ŗ l'Opťra en 1766, elle fut renversťe par une piŤce de dťcoration qui lui dťmit le bras: ę_Pauvre G.!_ dit Sophie; _si elle ne s'ťtait cassť qu'une jambe, cela ne l'empÍcherait pas de danser_Ľ[20]. [20] On sait que cette cťlŤbre danseuse avait plus de gr‚ces que de lťgŤretť. Plusieurs compagnies s'ťtant proposťes en 1766 pour avoir la direction de l'Opťra, tous les acteurs et actrices de ce spectacle demandŤrent que l'administration leur en fŻt confiťe, et de se rťgir comme les comťdiens. Ils prťsentŤrent un mťmoire fort dťtaillť ŗ M. le comte de Saint-Florentin, et dťposŤrent 600,000 liv. pour cautionnement. Cette demande ne fut point acceptťe, en raison des inconvťniens de la rťgie de la Comťdie-FranÁaise. Quelques banquiers ayant proposť de faire les fonds de cette entreprise, Mlle Arnould dit _que ces offres ťtaient inutiles; car certainement les actrices de l'Opťra avaient plus de fonds que ces messieurs n'avaient d'avances_. * * * * * Elle s'ťtait permis quelques quolibets sur les ridicules d'un certain Duc qui passait pour avoir peu d'esprit. Ce seigneur se trouvant au foyer de l'Opťra un soir que Sophie y faisait circuler ses bons mots, il s'approcha d'elle et lui dit d'un ton impťrieux:--C'est donc vous, mademoiselle, qui plaisantez les grands, qui faites le bel esprit?--_Moi, monseigneur? bel esprit! pas plus que vous, je vous assure._ * * * * * Le duc de Praslin[21] a longtemps vťcu avec Mlle Dangeville, actrice de la Comťdie-FranÁaise. Lorsqu'il mourut on trouva dans son coffre-fort onze cent mille livres en or, et sa maÓtresse n'avait qu'un revenu trŤs mťdiocre. Ce seigneur demandait un jour ŗ Sophie Arnould des nouvelles d'une fille de l'Opťra, dont il cherchait ŗ se rappeler le nom.--C'est une jeune personne, lui dit-il, dont le nom finit en _ain_.--_Ah, M. le duc!_ rťpondit-elle, _vous ne le trouverez pas; tous nos noms finissent comme cela_. [21] C'est ŗ un maÓtre d'hŰtel de cette maison qu'on doit l'espŤce de dragťe nommťe _praline_. * * * * * Mlle PagŤs-Deschamps ayant lu la vie de Mme de La ValliŤre, ťprouva l'effet de la gr‚ce, et alla expier ses pťchťs aux Carmťlites de la rue Saint-Jacques; mais un beau jour cette nťophyte fut surprise au parloir avec un officier du rťgiment de Conflans, qui, malgrť la grille, lui rappelait encore les vanitťs de ce monde. A cette nouvelle Sophie s'ťcria: ę_L'homme est comme le serpent, qui passe aisťment le corps oý il a mis la tÍte._Ľ Le marquis de Saint Hur... avait reÁu des coups de canne et ne paraissait pas vouloir s'en venger.--Comment peut-il laisser cette affaire lŗ? dit quelqu'un.--_Bah!_ reprit Sophie, _cet homme a le bon esprit de ne pas s'inquiťter de ce qui se passe derriŤre lui_. * * * * * Mlle Allard[22], danseuse remarquable par ses folies et sa gaietť, pťnťtrťe de douleur de la mort de son amant, M. _Bontemps_, dťclara que de six semaines elle ne pourrait contribuer aux plaisirs du public: ę_Plaignons-la_, dit Sophie, _son BON TEMPS est passť_.Ľ [22] Allard, vive, aimable et jolie, Amuse et charme tour ŗ tour; Elle sourit comme l'Amour Et danse comme la Folie. A. D. Mlle Peslin ťtait une des plus vigoureuses danseuses de l'Opťra; elle eut beaucoup d'amans, et le marquis de F. fut un de ceux qu'elle affectionna davantage. Elle se f‚cha contre Sophie, parce qu'elle avait rťpandu quelques propos sur son compte.--Je te prie, lui dit-elle sŤchement, de ne plus parler de moi ni en bien ni en mal.--_Ah! ma chŤre_, reprit sa camarade, _je ne pourrai jamais t'obťir qu'ŗ moitiť_. * * * * * M. de Sartines, lieutenant de police, voulut un jour savoir le nom de plusieurs grands personnages auxquels Mlle Arnould avait donnť ŗ souper la veille; il fait venir la reine de l'Opťra et lui dit:--Mademoiselle, oý avez-vous soupť hier?--Je ne me le rappelle pas, monseigneur.--Vous avez soupť chez vous?--Cela est possible.--Vous aviez du monde?--Vraisemblablement.--Vous aviez entr'autres des personnes de la premiŤre qualitť?--Cela m'arrive quelquefois.--Quelles ťtaient ces personnes?--Je ne m'en souviens pas.--Vous ne vous souvenez pas de ceux qui ťtaient ŗ souper chez vous?--Non, monseigneur.--Mais il me semble qu'une femme comme vous devrait se rappeler ces choses-lŗ.--_Oui, monseigneur_, rťpartit Sophie; _mais devant un homme comme vous je ne suis pas une femme comme moi_. * * * * * Mlle Arnould ayant ťtť dťtenue pendant vingt-quatre heures au Fort-l'EvÍque, pour avoir rťpondu peu respectueusement au lieutenant de police, trouva dans cette prison un pŤre de famille arrÍtť pour une dette de dix mille livres. Le dťsir de faire en sa faveur une bonne action lui suggťra l'idťe de proposer ŗ ses amis une loterie ŗ cinq louis le billet, d'une prťtendue _chaÓne_, dont elle disait vouloir se dťfaire. Les billets furent bientŰt placťs; elle rassembla chez elle tous les actionnaires, et lorsqu'on fit le tirage des numťros, il sortit un billet sur lequel ťtait ťcrit: Un vieillard, pour dette arrÍtť, N'avait pas la moindre espťrance, Et seule, en vain j'aurais tentť De lui donner sa dťlivrance; Mais dans ses fers, gr‚ces ŗ vous, Il n'est plus rien qui le retienne, Et, de concert, chacun de vous Brise un des anneaux de sa _chaÓne_[23]. [23] Ce couplet est extrait de la piŤce de _Sophie Arnould_. AussitŰt parut le vieillard, que Sophie avait secrŤtement tirť de sa prison. Tout le monde applaudit ŗ ce joli tour, et la fille de cet infortunť fut encore dotťe par la bienfaisance de l'assemblťe, qui doubla la valeur des mises. Cette anecdote a fourni ŗ MM. Barrť, Radet et Desfontaines le sujet d'une comťdie intitulťe _Sophie Arnould_, piŤce qui fut reprťsentťe pour la premiŤre fois ŗ Paris, sur le thť‚tre du Vaudeville, en pluviŰse an 13. * * * * * L'amant de Mlle Durancy alla un matin lui souhaiter sa fÍte; et, pour mieux placer son bouquet, il lui enleva son fichu. La belle, prise au dťpourvu, voulut se f‚cher. ę_Calme-toi_, lui dit Sophie, qui entra dans ce moment-lŗ, _ne sais-tu pas qu'un jour de fÍte on dťcouvre les seins_ (saints).Ľ * * * * * Le docteur BarthŤs se trouvant au foyer de l'Opťra, une jeune figurante tirait en fol‚trant son ťnorme perruque: ę_Finis donc, espiŤgle_, lui dit Mlle Arnould; _tu enlŤves ŗ monsieur toute sa rťputation_.Ľ * * * * * Une actrice avait jouť un mauvais tour ŗ un de ses favoris, nommť _de Pierres_, lequel la menaÁa de la dťvisager s'il la rencontrait. Sophie ayant invitť cette nymphe ŗ venir avec elle ŗ la promenade, elle s'y refusa dans la crainte de rencontrer son adversaire: ę_Sois tranquille_, lui dit sa camarade; _je te mŤnerai par un chemin oý il n'y a pas DE PIERRES_.Ľ * * * * * Elle aimait beaucoup le spectacle et manquait rarement d'assister aux nouveautťs. Se trouvant ŗ une reprťsentation de Guillaume Tell, tragťdie de Le Mierre, et n'y voyant presque pas de spectateurs, mais beaucoup de personnages suisses sur le thť‚tre, elle dit: ę_C'est ici l'inverse du proverbe, point d'argent point de Suisses; on y voit plus de Suisses que d'argent._Ľ * * * * * Mlle Doligny[24], ťlŤve de Molť, dťbuta au Thť‚tre-FranÁais en 1763. Beaucoup de naturel, de sensibilitť, d'intelligence, lui conciliŤrent les suffrages; mais un ton pleureur et monotone, une figure froide et triste, ont toujours dťplu en elle aux vrais connaisseurs. Cette actrice a donnť pendant quelque temps l'exemple d'une vertu rare au thť‚tre. Le marquis de G., ťperduement amoureux d'elle, lui fit d'abord des offres brillantes qu'elle refusa; il poussa la folie au point de la demander en mariage et de lui envoyer le contrat prÍt ŗ signer: elle rťpondit prudemment qu'elle s'estimait trop pour Ítre sa maÓtresse, et trop peu pour Ítre sa femme.--Ce trait est unique dans les fastes de l'Opťra, s'ťcria un vieux routier; en vťritť la femme est un Ítre indťfinissable.--_Pardonnez-moi_, rťpartit Mlle Arnould, _la femme est un grand enfant qu'on amuse avec des joujoux, qu'on endort avec des louanges, et qu'on sťduit avec des promesses; Doligny y sera prise comme tant d'autres_. [24] Dorat adressa ŗ cette charmante actrice le quatrain suivant: Par tes talens, unis ŗ la dťcence, Tu te fais respecter et chťrir tour ŗ tour: Si tu souris comme l'Amour, Tu parles comme l'Innocence. * * * * * Le comte de L. ayant fait la conquÍte de Mlle Robbe, revint peu ŗ peu ŗ sa chŤre Sophie. Il ťtait un soir assis prŤs d'elle au foyer de l'Opťra, et conversait avec vivacitť. Mlle Robbe en conÁut de la jalousie, et tira M. de L. par son habit. Sophie qui s'en aperÁut, dit ŗ la danseuse: ę_Mademoiselle, vous voulez que tout soit pour vous; cependant chacun est bien aise d'avoir son COMTE._Ľ * * * * * Mlle Clairon avait pris sous sa protection un jeune homme de seize ans, d'une charmante figure; elle voulait en faire un acteur, et lui donnait elle-mÍme des leÁons de dťclamation. Ses talens se dťveloppaient ainsi que sa beautť; elle l'avait surnommť _l'Amour_, et il n'ťtait connu que sous ce nom; mais ce jeune sujet s'ťtant hasardť ŗ prendre des leÁons d'un autre genre et d'une autre maÓtresse, la jalousie s'alluma dans le coeur de la moderne Calypso, et elle renvoya _l'Amour_ nu, comme on peint ce dieu. Une conduite aussi inhumaine fit dire ŗ Sophie ę_qu'on voyait bien que la reine du thť‚tre n'ťtait pas la mŤre de L'AMOUR_.Ľ * * * * * Poinsinet ťtait de l'Acadťmie de Dijon; mais il perdit cette place ŗ la suite d'un procŤs singulier qu'il eut avec Mlle Duprat, qui l'accusait de lui avoir escamotť une montre d'or. Un jour que ce poŽte, si souvent mystifiť, lisait une comťdie composťe, selon sa coutume, de traits pillťs Áŗ et lŗ, tout ŗ coup un chien se mit ŗ japper. ę_Voyez_, dit Sophie, _comme cet animal aboie au voleur_.Ľ * * * * * Mlle Laville ťtait une fort jolie personne ŗ laquelle un jeune artiste de l'Opťra enseignait la musique vocale. Cet artiste vantait un jour ŗ Sophie les charmes de son ťcoliŤre. ę_Ah! fripon_, lui dit-elle, _je gage qu'en donnant vos leÁons vous avez un oeil AU CHANT et l'autre A LA VILLE_.Ľ * * * * * Un censeur atrabilaire ťtant au foyer de l'Opťra, bl‚mait l'inconduite de certaines femmes galantes qui semblent braver toutes les lois de la biensťance; il critiquait surtout le luxe scandaleux des courtisanes et des actrices. Mlle Arnould, ennuyťe de cette diatribe, lui dit sŤchement: ę_Eh! monsieur, laissez-les jouir de la perte de leur rťputation._Ľ * * * * * Mlle G., par une charitť bien rare chez les danseuses de l'Opťra, rťpandait les largesses de ses amans sur des familles infortunťes qu'elle allait chercher embťguinťe dans une coiffe noire, avec tout l'attirail d'une dťvote consommťe. L'hiver de 1768 fut fort rude; elle distribua en un seul jour une somme de 10,000 liv. que le prince de Soubise lui avait donnťe pour ses ťtrennes. Sophie Arnould voulant marcher sur ses traces, alla visiter les pauvres malades de l'HŰtel-Dieu. Etant parvenue dans la salle des femmes en couche, elle dit aux soeurs qui l'accompagnaient: ę_Ce n'est pas ici que vous regrettez votre voeu de virginitť?_Ľ * * * * * Un homme de la cour, entichť de la mťtromanie, lui adressa un madrigal de sa faÁon. Cette petite piŤce avait coŻtť ŗ l'auteur beaucoup plus qu'elle ne valait. Un de ses amis ayant demandť ŗ Mlle Arnould ce qu'elle en pensait, elle rťpondit: ę_Ces vers ressemblent aux eaux de Versailles; ils ne coulent pas de source._Ľ * * * * * M. Dangť, fermier gťnťral, ťtant ŗ l'Opťra, rencontra M. de Bťranger, lieutenant gťnťral; il le prit pour un de ses amis, et lui donna un soufflet en signe de familiaritť. Le traitant s'apercevant de sa mťprise se sauve; le militaire veut courir aprŤs; Sophie l'arrÍte et lui dit: ę_Ah! monsieur, qu'allez-vous faire? Vous ne savez donc pas quel DANG… vous courez?_Ľ * * * * * Mlle Beaumenard, dont le luxe avait scandalisť tant de duchesses, avait la sotte manie d'avoir des amans ŗ ses gages; elle donnait d'une main ce qu'elle recevait de l'autre, et Belcourt acheva, en l'ťpousant, de ruiner ses ťpargnes. Sophie disait ŗ son sujet: ę_Il est des femmes qui regardent les amans du mÍme oeil que les cartes; elles s'en servent pour jouer quelque temps; elles les rejettent ensuite, en demandent de neuves, et finissent par perdre avec les neuves tout ce qu'elles ont gagnť avec les vieilles._Ľ * * * * * Elle eut une discussion fort vive avec un nommť Talon, violoncelle du Concert spirituel. Comme il cherchait ŗ la molester par des sarcasmes un peu mordans, elle lui rťpondit: ę_Mon pauvre Talon, tout ce que vous dites part de si bas que cela ne peut m'atteindre._Ľ * * * * * M. F. publia ŗ l'‚ge de treize ans un recueil de poťsies; sa grande jeunesse et la vivacitť de son esprit lui ayant acquis de puissantes protections, il vint se fixer ŗ Paris, et Mlle Arnould voulut Ítre son MťcŤne. Ninon de Lenclos lťgua au jeune Voltaire, dont elle prťsagea la cťlťbritť, une somme pour acheter des livres. Sophie Arnould, en s'attachant le jeune F., n'entrevit pas la carriŤre brillante qu'il devait parcourir; mais elle applaudit ŗ ses talens, les encouragea, et eut toujours pour lui la tendresse d'une mŤre. Un jour qu'elle le priait de faire une chanson sur ses genoux, il lui rťpondit par cet impromptu: Sur vos genoux, Ű ma belle Sophie! A des couplets je songerais en vain; Le sentiment vient troubler le gťnie, Et le pupitre ťgare l'ťcrivain. * * * * * Le prince de Soubise possťdait dans le village de Pantin une petite maison divisťe en deux corps de logis, dont l'un ťtait un temple dťdiť ŗ l'Amour, et l'autre un thť‚tre consacrť aux beaux-arts. Mlle G., souveraine de ces lieux enchantťs, y attirait tour ŗ tour les beautťs postulantes de l'Opťra, ainsi que les meilleurs acteurs des grands thť‚tres, et elle-mÍme y jouait les principaux rŰles. Quelqu'un qui avait assistť aux fÍtes charmantes que l'on donnait dans ce riant sťjour, disait que Mlle G. ťtait une bonne actrice. ę_Oui_, reprit Sophie, _bonne sur un thť‚tre de PANTIN_.Ľ * * * * * Mlle Arnould ayant ťchouť dans le rŰle de Colette du _Devin du Village_, dťsirait depuis longtemps faire celui de Colin; elle avait pour exemple Mme de Pompadour, qui remplit autrefois ce rŰle d'homme ŗ Bellevue avec le plus grand succŤs. Le prince de Conti, qui se mÍlait alors des affaires de l'Opťra, lui donna des conseils, et Sophie joua son nouveau rŰle; mais elle ťchoua encore dans cette entreprise, et ne fut pas applaudie comme elle s'y attendait. ę_Ah!_ dit-elle en rentrant au foyer, _je le sens maintenant, l'habit ne fait pas l'homme_.Ľ * * * * * M., auteur d'un traitť sur l'Amitiť, n'avait point encore eu d'enfans, quoique mariť depuis plusieurs annťes. Se trouvant dans une maison oý ťtait Mlle Arnould, il raconta d'un air joyeux qu'un de ses amis, cťlŤbre mťdecin, avait enfin trouvť le secret de rendre mŤre sa tendre ťpouse. ę_Ah! monsieur_, reprit Sophie, _que l'AMITI… a enfantť de prodiges! et qu'il y a de maris, comme vous, qui sont redevables ŗ leurs amis de la fťconditť de leurs femmes_!Ľ Mlle Rosalie Levasseur n'avait point cette rťunion d'avantages extťrieurs qui semblent placer l'actrice sur la ligne oý marche le rŰle qu'elle reprťsente; mais elle avait de l'esprit, de l'intelligence, de la sensibilitť, et savait communiquer ŗ sa figure la physionomie convenable ŗ l'‚ge et ŗ la nature de son personnage. Elle jouait un jour le rŰle de l'Amour dans l'opťra de Psychť, et sa voix n'ťtait pas juste. ę_Ah!_ dit Sophie, _cet Amour-lŗ est aussi faux que les autres_.Ľ * * * * * On faisait le parallŤle des veuves et des jeunes filles sur le penchant que leur sexe a pour l'amour, et l'on avanÁait qu'une veuve doit Ítre plus calme, parce qu'elle a la curiositť de moins. ę_Cela est vrai_, dit Mlle Arnould; _mais elle a l'habitude de plus_.Ľ P. remua ciel et terre pour faire jouer sa comťdie des _Courtisanes_; mais cette piŤce fut alors trouvťe trop contraire ŗ l'honnÍtetť publique et ŗ la dignitť du Thť‚tre-FranÁais pour Ítre reÁue[25]. Toutes les sectaires de Vťnus furent enchantťes du jugement, et P. devint leur bÍte noire. Sophie disait en parlant de cet ouvrage, ę_qu'il y avait du mouvement et de l'intťrÍt dans les COURTISANES, mais qu'en gťnťral on y trouvait peu de conduite_.Ľ [25] Cependant cette piŤce, protťgťe par M. de Maurepas, fut reprťsentťe avec le plus grand succŤs au Thť‚tre-FranÁais, appelť maintenant l'_Odťon_. Mlle C. n'a jamais ťtť plus applaudie qu'en jouant la courtisane Rosalie, rŰle oý elle dťveloppa pour la premiŤre fois tout le charme de ses talens. Elle alla avec M. de L. chez un curť des environs de Paris, qui nourrissait des poissons dans un trŤs-beau vivier. AprŤs le dÓner on proposa le divertissement de la pÍche; leur hŰte y consentit quoiqu'avec peine, et ŗ chaque poisson que l'on prenait, un gros soupir s'ťchappait de sa poitrine. Sophie en devina la cause, et dit aussitŰt: ę_M. le curť, que ne nous dites-vous comme Jťsus-Christ_: Allez et ne P CHEZ plus.Ľ * * * * * Mlle G. se rendit cťlŤbre par les spectacles magnifiques qu'elle donnait ŗ sa superbe maison de Pantin. Le public briguait l'honneur d'y Ítre admis, et il y avait toujours un concours prodigieux; c'ťtait le rendez-vous des plus jolies filles de Paris et des aimables libertins; on avait eu soin d'y ťtablir des loges grillťes pour les femmes honnÍtes, pour les gens d'ťglise et les personnages graves qui craignaient de se compromettre parmi cette foule de folles et d'ťtourdis. Collť avait consacrť son thť‚tre de sociťtť ŗ Ítre jouť chez Mlle G.; Carmontel fit un recueil de proverbes dramatiques destinťs au mÍme effet, et M. de la Borde les mit en musique. Cette danseuse ayant figurť dans un ballet dont la comtesse du Barry rťgala son illustre amant, reÁut du roi une pension de 1,500 liv.; cette lťgŤre faveur fut acceptťe ŗ cause de la main dont elle provenait; car on sent que ce n'ťtait qu'une goutte d'eau dans un fleuve. Sophie dit en apprenant ce petit surcroÓt de fortune: ę_J'en ferai compliment ŗ G.: voilŗ de quoi payer le moucheur de chandelles de son spectacle._Ľ M. aimait beaucoup les champignons, et il en avait toujours sur sa table. Un jour que Mlle Arnould dÓnait chez lui, il lui parla de l'amour qu'il ressentait pour elle. ę_C'est sans doute un amour de champignons_, rťpondit-elle; _vous savez que cela passe comme cela vient_.Ľ * * * * * Un homme fort laid venait de recevoir un coup de fouet ŗ travers le visage; il se plaignait devant Sophie de la brutalitť des cochers de fiacre. ę_C'est bien dťsagrťable_, reprit-elle; _il suffit qu'on ait mal quelque part pour qu'on s'y attrape_.Ľ * * * * * Le comte de Buffon aimait la sociťtť des femmes et la recherchait avec aviditť. Il invita un jour Mlle Arnould ŗ venir au jardin des Plantes voir des oiseaux rares qui arrivaient de Cayenne; elle y alla avec quelques amis, et enchantťe de la conversation simple, noble et nourrie de ce grand naturaliste[26], elle dit ŗ ceux qui l'entouraient: ę_Je ne pense jamais aux merveilles de la nature, sans me rappeler que M. de Buffon en est une._Ľ [26] M. de Buffon se promenant ŗ la campagne, une jeune personne lui demanda la diffťrence qu'il y a entre un boeuf et un taureau? Il rÍva un instant et rťpondit: Vous voyez bien, Mademoiselle, ces veaux qui bondissent dans la prairie? les taureaux sont leurs pŤres et les boeufs sont leurs oncles. * * * * * Mlle Laguerre, cťlŤbre actrice de l'Opťra, vendait ťtant jeune des pierres ŗ dťtacher. Un jour elle monta sur le marche-pied du carrosse de la duchesse de Villeroy qui se promenait sur le boulevart, lui offrit sa marchandise, et ajouta qu'elle savait bien chanter; cette petite ťtait jolie, elle intťressa Mme de Villeroy qui la fit venir chez elle, et lui trouvant en effet une fort belle voix, l'envoya ŗ Mlle Arnould en la lui recommandant. Sophie la fit dťcrasser, lui donna des maÓtres et la rendit une des meilleures chanteuses de l'Opťra. Malheureusement cette fille conserva tous les vices de sa basse extraction, et Sophie disait en voyant la dťpravation de ses moeurs: ę_C'est un beau fruit dont le coeur est g‚tť._Ľ * * * * * On a comparť les gens riches qui ont beaucoup de valets aux cloportes qui ont beaucoup de pieds, et dont la marche est fort lente. Un traitant qui ťtait dans cette catťgorie, pestait contre ses laquais. ę_Monsieur_, lui dit Sophie, _lorsque Dieu faisait les anges, le diable faisait les laquais_.Ľ * * * * * Mlle Allard s'ťtait attirťe les hommages d'un seigneur allemand, qui, consumť d'amour pour elle, voulait absolument l'ťpouser. Sur les refus de la danseuse, le baron lui ťcrivit:--_Qu'il n'avait d'autre parti ŗ prendre que de se brŻler la cervelle, mais qu'il irait la lui brŻler auparavant._--Mlle Allard, effrayťe, montra ce billet doux ŗ Sophie, qui lui dit: ę_Puisque l'amour de ton baron est si violent, ťpouse-le, ma chŤre, et je te rťponds qu'il en sera bientŰt guťri._Ľ * * * * * Mlle Grandi, danseuse figurante de l'Opťra, d'un talent mťdiocre et d'une figure trŤs ordinaire, se plaignait sur le thť‚tre d'avoir perdu un amoureux qui lui avait donnť mille louis en cinq semaines; un des spectateurs lui dit qu'elle ťtait faite pour remplacer aisťment cette perte; la demoiselle rťpond que cela ne se rťpare pas si aisťment: elle ajoute, qu'en tout cas elle ne veut point d'amant ŗ moins d'un carrosse et de deux bons chevaux, avec au moins cent louis de rentes assurťes pour les entretenir. La conversation tombe; le lendemain il arrive chez Mlle Grandi un magnifique carrosse attelť de deux chevaux, trois autres suivent en laisse, et l'on trouve cent trente mille livres en espŤces dans la voiture. La danseuse fut agrťablement surprise d'une telle aubaine, et vint de suite ŗ la rťpťtition de l'Opťra en faire part ŗ ses camarades. Comme elle se tourmentait beaucoup pour savoir si cet amant magnifique ťtait jeune ou vieux, beau ou laid: ę_Ma chŤre Grandi_, lui dit Mlle Arnould, _quand un si brillant cadeau tombe des nues, celui qui le fait ne peut Ítre qu'un ange_.Ľ * * * * * Poinsinet venait quelquefois au cercle de Mlle Arnould, et il apportait toujours des vers de sa faÁon dont il s'imaginait rťgaler l'assemblťe. Sophie voyant que ses lectures soporifiques ťtaient peu goŻtťes, dit ŗ quelqu'un: ę_Les vers de Poinsinet ont le sort des enfans g‚tťs; leur pŤre est le seul qui les aime._Ľ * * * * * Mlle Durancy ayant eu une couche fort laborieuse, toutes ses camarades allŤrent lui faire visite.--Pourquoi donc, s'ťcria la malade, faut-il tant souffrir pour un instant de plaisir?--_Hťlas! ma chŤre_, rťpondit Sophie, _les douleurs de l'enfantement sont pour nous les remords de la voluptť_. * * * * * En 1768, le fameux Rebel[27], cet administrateur gťnťral de l'Opťra, ce suprÍme dictateur de la rťpublique lyrique, pour se dťdommager du peu d'amateurs qui venaient ŗ son spectacle, imagina de former, pour les bals, des quadrilles qu'il composa des danseuses les plus ťlťgantes et les plus agrťables, avec des habillemens trŤs propres ŗ exciter la curiositť des amateurs. Cette nouveautť attira beaucoup de monde, et Sophie dit en cette occasion: ę_D'aprŤs le goŻt que le public tťmoigne pour la danse, le meilleur moyen de soutenir l'Opťra, c'est d'alonger les ballets et de raccourcir les jupes._Ľ [27] Barthe, dans ses Statuts pour l'Opťra, dit au sujet de l'opulence de ce directeur: Rien pour l'auteur de la musique, Pour l'auteur du poŽme rien, Et le poŽte et le musicien Doivent mourir de faim suivant l'usage antique. Jamais le grand talent n'eut droit d'Ítre payť; Le frivole obtient tout, l'or, les cordons, la crosse: Rameau dut aller ŗ piť, Les directeurs en carrosse. * * * * * A l'ťpoque oý Mlle G. florissait, elle avait trois soupers par semaine; l'un composť des plus grands seigneurs de la cour et de toutes sortes de gens de considťration; l'autre, d'auteurs, d'artistes, de savans, qui venaient amuser cette danseuse; enfin, un troisiŤme, vťritable orgie, oý ťtaient invitťes les filles les plus sťduisantes et les plus voluptueuses. Elle donnait en outre ŗ la ville et ŗ la campagne des spectacles charmans, oý elle rťunissait les meilleurs acteurs et actrices de la capitale. Sophie allait quelquefois ŗ _Pantin_ pour y jouir des fÍtes que Mlle G. y donnait en son nom, mais dont le prince de Soubise payait la plus grande partie des frais. Un particulier de sa connaissance ayant demandť dans les Petites-Affiches une habitation aux environs de Paris, elle lui rťpondit par ces deux vers d'une ancienne chanson: ę_Que PANTIN serait content S'il avait l'art de vous plaire!_Ľ * * * * * M. Vassal, fils d'un receveur des finances, ayant donnť trente mille livres ŗ Mlle Thierry pour la dťdommager de l'ennui qu'elle avait ťprouvť ŗ Sainte-Pťlagie, Sophie dit en apprenant ce trait de prodigalitť: ę_Quand on a tant d'argent de trop, pourquoi le bonheur n'est-il pas ŗ vendre?_Ľ * * * * * Le sťjour que l'envoyť de Maroc fit ŗ Paris en 1768 donna lieu ŗ des ťclaircissemens curieux sur le sťrail du grand-seigneur. On apprit que l'empereur qui rťgnait alors avait seize cents femmes, chacune dans un lit ŗ part; que la jalousie est extrÍme parmi ces odalisques, et que le sultan n'a le droit d'appeler ŗ sa couche une de ces esclaves qu'aux jours de fÍtes extraordinaires; autrement elles courent grand risque pour leurs jours. Sous le rŤgne d'Achmet, la jalousie des favorites fit empoisonner cent cinquante Circassiennes qui avaient eu l'honneur de s'attirer les regards de leur maÓtre les jours non permis. On racontait ces dťtails devant Mlle Arnould, qui s'ťcria: ę_Que je plains ces inutiles victimes du faste d'un despote! Un Turc dans son sťrail ose se comparer ŗ un coq! mais jamais coq n'a fait garder ses poules par des chapons._Ľ * * * * * Mlle Beauvoisin, courtisane d'une jolie figure, mais sans taille et sans gr‚ces, avait ťtť obligťe, pour cette raison, de quitter l'Opťra dont elle avait ťtť danseuse. Elle s'avisa de tenir une maison de jeu, et ses charmes, son luxe et l'affluence des joueurs opulens rendirent sa maison cťlŤbre. Cette belle, si accommodante dans le tÍte ŗ tÍte, faisait la prude dans la sociťtť. Un jour elle dit ŗ Mlle Arnould, ŗ propos de quelques plaisanteries un peu libres:--Je ne puis souffrir les ťquivoques.--_Mademoiselle est sans doute_, rťpartit Sophie, _comme ces personnes qui, blasťes sur le vin, en sont ŗ l'eau-de-vie_. * * * * * Caron de Beaumarchais ťtait en 1768 plus renommť par ses intrigues galantes que pour ses talens littťraires; il s'ťtait liť avec Sophie, et la voyait souvent. Un jour qu'il dissertait avec elle sur les diffťrentes sortes d'amours, il en est deux surtout, disait-il, qui maÓtrisent nos sens; l'un est un _ange_, il ťpure nos ‚mes; l'autre est un _diable_, qui enflamme nos coeurs. A ces mots, il voulut joindre le geste aux paroles. ę_ArrÍtez_, s'ťcria Sophie, _vous avez donc le DIABLE au corps_?Ľ * * * * * Le marquis de L*** et le marquis C*** s'ťtaient cotisťs pour dťcocher ŗ Sophie une ťpigramme si indťcente qu'elle ne put s'empÍcher de leur dire: ę_Je ne m'attendais pas ŗ Ítre si maltraitťe par vous, monsieur de C. qui Ítes le premier de votre maison, et vous, monsieur de L. qui Ítes le dernier de la vŰtre._[28]Ľ [28] M. de L. descendait d'un ministre, et M. de C. d'un valet de chambre. * * * * * Le docteur Bouvart avait l'esprit caustique. Le poŽte Barthe voulant l'emmener ŗ la premiŤre reprťsentation de sa comťdie des _Fausses Infidťlitťs_, ę_N'en faites rien_, dit Mlle Arnould, _cet homme emporterait la piŤce_.Ľ * * * * * M. de BiŤvre ťtait fils d'un chirurgien du roi, nommť _Mareschal_. Dťdaignant le nom de son pŤre, il acheta la terre de _BiŤvre_, et en entrant dans les mousquetaires il se fit appeler le marquis de BiŤvre. Sophie Arnould l'entendant annoncer sous ce nouveau titre, eut la malice de dire: ę_Il a bien mal fait de prendre la qualitť de MARQUIS, il ne lui en aurait pas plus coŻtť de se faire appeler le MAR…CHAL DE BI»VRE._Ľ * * * * * Molť[29], comťdien excellent, mais fort _vain_, eut une fiŤvre maligne en 1769; le public lui prouva son attachement en demandant tous les jours de ses nouvelles ŗ l'acteur qui venait annoncer. Sa convalescence fut longue, et le _vin_ lui ayant ťtť ordonnť pour ranimer ses forces, il en reÁut en un jour plus de deux mille bouteilles de diffťrentes dames de la cour. Sophie dit en apprenant cette nouvelle: ę_Molť doit Ítre tout VIN de ces attentions-lŗ._Ľ [29] Cet acteur est mort le 11 dťcembre 1802, et a emportť les regrets de tous les amis de Thalie. Tour ŗ tour sublime et charmant, Des coeurs il a trouvť la route la plus sŻre; On est tentť de croire en le voyant Que l'art, en formant son talent, Avait donnť le mot ŗ la nature. VIG…E. * * * * * Le singe de Nicolet attirait tout Paris par la gentillesse de ses tours; on lui fit parodier fort ingťnieusement la maladie de Molť et tous les ridicules qui s'en suivirent. Il parut sur le thť‚tre en bonnet de nuit et en pantoufles; il joua le moribond, et cherchait ŗ exciter la commisťration publique, ce qui fit beaucoup rire aux dťpens de l'acteur, dont la fatuitť ťtait excessive. ę_Comme cette farce est dťsagrťable pour ce pauvre Molť_, dit Sophie; _on n'est jamais plus maltraitť que par ses confrŤres_.Ľ * * * * * Les premiers sujets des grands spectacles ont toujours eu la manie de se dire malade lorsque, par caprice ou pour se faire dťsirer, ils ne voulaient pas remplir leurs rŰles. Mlle Arnould jouait rarement[30], et le public en murmura plus d'une fois; mais lorsqu'elle reparaissait, les mťcontens oubliaient tout pour l'applaudir. Mlle Laguerre qui devait la doubler, s'ťtant trop fatiguťe en jouant Armide, ne put paraÓtre ŗ son tour; on vint chercher Sophie pour la remplacer, en lui disant que la dťbutante ťtait indisposťe. ę_Peste!_ reprit-elle, _cette jeune personne se conduit fort bien; la voilŗ dťjŗ malade comme un premier sujet_.Ľ [30] Barthe, dans ses Statuts pour l'Opťra, critique ainsi les principaux acteurs: Ordre ŗ Pillot de ne plus dťtonner, A Muguet de prendre un air leste, A Durand d'ennoblir son geste, A Gťlin de ne pas tonner; Que le Gros chante avec une ‚me, Beaumesnil avec une voix; Que la fťconde ARNOULD se montre quelquefois, Et que Guimard toujours se p‚me. * * * * * Mlle Asselin, danseuse de l'Opťra, faisait beaucoup de dťpense et payait fort mal ses crťanciers. AprŤs avoir eu successivement plusieurs amans qui n'avaient point amťliorť ses affaires, elle s'amouracha d'un mousquetaire nommť _de Termes_. Sophie ayant appris cette nouvelle liaison, lui dit:--_Eh bien! ma chŤre, voilŗ toutes tes dettes payťes._--Comment cela?--_Qui a TERME ne doit rien._ Dorat ťtait d'une constitution faible. Nť de parens ťnervťs, livrť lui-mÍme au torrent des plaisirs, sans caractŤre et sans ťnergie, il ne pouvait avoir que des gr‚ces dans l'esprit, et ses gr‚ces ťtaient maniťrťes. ę_Ce petit Dorat_, disait Mlle Arnould, _ressemble ŗ une colonne de marbre; il est sec, froid et poli_.Ľ * * * * * Un jeune acteur douť d'un physique agrťable, mais ayant une prononciation vicieuse, venait dťbuter ŗ Paris. On le prťsenta ŗ Sophie; elle lui fit rťpťter quelques rŰles, et dit ensuite ŗ son MťcŤne: ę_Votre protťgť est charmant; il ne lui manque que la parole._Ľ * * * * * Mlle Durancy amena un soir au foyer de l'Opťra un petit garÁon d'une charmante figure. Cet enfant de l'amour ťtait caressť de tout le monde, et il rendait caresse pour caresse. Sophie le voyant aller de l'un ŗ l'autre, lui dit, en le prenant sur ses genoux: ę_Mon petit ami, est-ce que tu cherches ton papa?_Ľ * * * * * Un jeune seigneur, grand chasseur et fort inconstant dans ses amours, lui adressa les propositions les plus galantes. Sophie, qui connaissait sa lťgŤretť, lui envoya pour rťponse un tableau qui reprťsentait un lťvrier dormant auprŤs d'un liŤvre, avec ces mots pour devise: _Il nťglige ce qu'il a pris._ * * * * * Milord Forbes, pour voir plus souvent Mlle Lafond, lui proposa d'Ítre sa maÓtresse de langue, et lui offrit pour ce service cent louis par mois. La belle ne se fit pas tirer l'oreille, et l'ťcolier devint bientŰt maÓtre. Mlle Arnould ayant appris cet arrangement, dit: ę_Milord a sagement fait; avant de s'engager dans une affaire, il est bon de prendre LANGUE._Ľ * * * * * Mlle Mazarelli, courtisane fameuse par plus d'une aventure, devint la maÓtresse de M. de Montcrif; elle avait puisť prŤs de cet Anacrťon le goŻt de la belle littťrature; elle faisait mÍme gťmir la presse, et ne frťquentait plus que des savans. ę_Comme les goŻts changent avec l'‚ge!_ dit Sophie; _jadis Mazarelli ne s'attachait qu'aux beaux corps, maintenant elle n'a commerce qu'avec les beaux esprits_.Ľ * * * * * La vie privťe de Louis XV autorisa les scŤnes scandaleuses qui se multipliŤrent sous son rŤgne. Ce monarque blasť n'eut pas honte d'ťlever jusqu'ŗ son trŰne une fille publique nommťe Lange, et qui bientŰt devint comtesse Dubarri[31]. Une telle mťtamorphose anoblit pour un temps l'ťtat de courtisane, qui depuis la rťgence avait offert tant de chances de fortune. Lorsque cette cťlŤbre LaÔs devint la maÓtresse du roi, Sophie dit: ę_Qu'elle avait changť sa monnaie contre un LOUIS._Ľ [31] La chronique scandaleuse a prťtendu que Mme Dubarri devait le jour ŗ un _picpus_ nommť Gomar. En 1768, cette dame conversait avec M. de Choiseul sur les moines que le gouvernement voulait alors dťtruire. La favorite ťtait contre eux; le ministre en prenait la dťfense, et pour frapper en leur faveur le dernier coup, il ajouta avec finesse: _Vous conviendrez au moins, Madame, qu'ils savent faire de beaux enfans._ Lorsque Favart donna sa _RosiŤre de Salency_, une jeune figurante demanda ŗ Sophie ce que c'ťtait qu'une rosiŤre.--_C'est une jeune fille couronnťe de roses pour en avoir dťfendu le bouton._--_En ce cas_, rťpondit naÔvement la danseuse, _je ne serai jamais rosiŤre_. * * * * * Un jour qu'elle jouait le rŰle de ThťlaÔre dans Castor et Pollux, la foule ťtait si grande qu'on ťtouffait dans toutes les parties de la salle. Quelqu'un vint sur le thť‚tre s'en plaindre ŗ Mlle Arnould. C'ťtait prťcisťment dans le temps que les arrÍts du conseil venaient de paraÓtre au sujet de la rťduction des effets royaux. ę_Oý est notre cher abbť Terray?_ dit Sophie; _que n'est-il lŗ pour vous rťduire de moitiť!_Ľ * * * * * Mlle G. rassemblait en 1769, dans un hŰtel de la chaussťe d'Antin, nommť le _Palais de Terpsichore_, la foule de tous les plaisirs: ŗ AthŤnes et ŗ Rome, oý les courtisanes ťtaient si rťvťrťes, on ne trouva jamais l'exemple d'un pareil luxe. Mais le prince de Soubise ayant retirť ŗ cette nymphe les 72,000 liv. de rentes dont il la gratifiait, et M. de Laborde, valet de chambre du roi, s'ťtant ruinť ŗ son service, elle fut obligťe de suspendre les dťlicieux spectacles qu'elle donnait, et ses crťanciers la tourmentŤrent au point qu'elle se vit ŗ la veille de dťposer son bilan. Un des fournisseurs ayant demandť si cette LaÔs ferait honneur ŗ ses affaires: ę_En doutez-vous?_ lui dit Sophie; _je rťponds que G. mourra au lit d'honneur_.Ľ * * * * * M. d'Aucourt, fermier gťnťral et bel esprit, est l'auteur des _Mťmoires Turcs_, oý il rappelle les aventures galantes de l'envoyť de _Maroc_ qui vint en France en 1768. Il les dťdia ŗ Mlle Duthť, ce qui fit la fortune de l'ouvrage. Les talens cachťs de cet heureux musulman rťpondaient ŗ sa taille supťrieure et ŗ sa vaste corpulence, et les odalisques de plus d'un thť‚tre ont attestť ses prouesses. Mlle Peslin fut une de celles qui lui firent cueillir le plus de lauriers. Sophie dit ŗ ce sujet: ę_Depuis que Peslin a trouvť chaussure ŗ son pied, elle ne veut plus que du MAROQUIN._Ľ * * * * * Tandis que le boucher Colin achevait de se ruiner avec Mlle Duplant, cette actrice avait encore d'autres amans pour ses menus plaisirs.--Il faut que cet homme ait l'esprit _bouchť_, dit un plaisant, pour ne pas s'apercevoir des incartades de sa maÓtresse.--_Vous ne savez donc pas_, reprit Sophie, _que pour mieux l'attraper elle le fait jouer ŗ Colin-maillard_. * * * * * Poinsinet[32] partit pour l'Espagne en 1769; il comptait travailler dans ce royaume ŗ la propagation de la musique italienne et des ariettes franÁaises; malheureusement il se noya dans le Guadalquivir. Lorsque Mlle Arnould apprit cet ťvťnement, elle s'ťcria: ę_Pauvre Poinsinet, voilŗ donc tous tes projets ŗ vau-l'eau?_Ľ [32] On connaÓt ces vers tirťs de la Dunciade de Palissot: Alors tomba le petit Poinsinet; Il fut dissous par un coup de sifflet. Telle au matin une vapeur lťgŤre S'ťvanouit aux premiers feux du jour, Tel Poinsinet disparut sans retour. Une figurante vivait avec un maÓtre de danse qu'on appelait _Moka_, parce que, semblable au bon cafť de ce nom, il ťtait _petit_, _vieux_ et _sec_.--Il a toutes les qualitťs du coeur, disait-elle en parlant de son amant; c'est dommage qu'il ne soit pas un peu plus _vert_.--_Hť bien!_ rťpartit Sophie, _il faut le planter lŗ pour reverdir_. * * * * * Un jeune homme bien nť, mais plus fastueux que sage, aprŤs avoir mangť sa lťgitime avec une danseuse de l'Opťra, nommťe Martigny, se trouva rťduit ŗ vivre d'un talent qu'il avait jusque-lŗ cultivť pour son agrťment, et il se fit peintre en miniature. Quelque temps aprŤs Sophie dit ŗ sa camarade: ę_ReÁois mon compliment_, ma chŤre Martigny, _je croyais ton amant ruinť, et je viens d'apprendre qu'il fait FIGURE dans le monde._Ľ * * * * * Quoique Mlle Laguerre eŻt acquis une fortune considťrable, elle ne s'occupait aucunement de ses parens. Son pŤre vendait des cantiques dans les carrefours, et sa mŤre allait offrant dans les promenades cette sorte d'oublis qu'on appelle _le plaisir des dames_. Un jour Sophie rencontra sur les boulevarts la mŤre Laguerre, et elle dit en la montrant ŗ quelqu'un: ę_Cette pauvre femme n'a pas gagnť dans le cours de sa vie, avec_ le plaisir des dames, _ce que sa fille gagne dans une heure en se livrant au_ plaisir des hommes.Ľ * * * * * Le chevalier de T., officier aux gardes, avait une grande taille et un petit esprit. Elle le comparait ŗ ę_ces hŰtels garnis dont l'appartement le plus ťlevť est ordinairement le plus mal meublť_.Ľ * * * * * M. Bertin, trťsorier des parties casuelles, dont les folies amoureuses ont tant coŻtť ŗ l'ťtat, frťquentait souvent les coulisses: Mlle Arnould l'avait surnommť l'_inspecteur des parties casuelles_. Un ťtranger qui le rencontrait toujours ŗ son poste favori, et qui ne connaissait pas ses titres, demanda ŗ Sophie si ce monsieur avait un emploi ŗ l'Opťra. ę_Certainement_, rťpondit-elle; _ne voyez-vous pas qu'il contrŰle les grandes et les petites entrťes_.Ľ * * * * * On cite dans les fastes de l'Opťra cette journťe mťmorable oý Sophie Arnould et Geliotte, reprťsentant l'acte de Vertumne et Pomone, ils recommencŤrent ŗ deux fois, et l'assemblťe, aussi brillante que nombreuse, en fut dans le ravissement. On complimenta beaucoup Sophie sur un triomphe aussi ťclatant. ę_Hťlas!_ dit-elle, _je paie tous les jours l'honneur de m'Ítre ťlevťe par la peine de me soutenir_.Ľ * * * * * Un de ces aimables rouťs[33], remplis de gr‚ces et de dťfauts, et dont le persiflage est tout l'esprit, voyant Sophie richement parťe et couverte de diamans, s'approcha d'elle en la lorgnant, et lui demanda si ses bijoux lui avaient coŻtť bien cher. ę_Mon petit ami_, rťpondit-elle, _vous croyez sans doute parler ŗ votre maman_?Ľ [33] Les libertins de qualitť, dit un moraliste, prenaient le surnom de _rouťs_ pour se distinguer de leurs laquais, qui n'ťtaient que des _pendards_. * * * * * Beaumarchais n'ťtait point aimť. Quelqu'un mit sur l'affiche de la premiŤre reprťsentation des Deux Amis[34]: _par un auteur qui n'en a aucun_. Cette piŤce tomba presqu'aussitŰt qu'elle parut. Quelque temps aprŤs cette chute l'auteur eut la maladresse de plaisanter sur l'abandon dans lequel le public semblait laisser l'Opťra. La salle ťtait nouvellement restaurťe, et on allait y donner la reprise d'une ancienne piŤce. Beaumarchais dit ŗ Sophie:--Votre salle est trŤs-belle, mais vous n'aurez personne ŗ votre Zoroastre.--_Pardonnez-moi_, reprit-elle, _vos AMIS nous en enverront_. [34] On fit sur cette comťdie le quatrain suivant: J'ai vu de Beaumarchais le drame ridicule, Et je vais en un mot dire ce qu'il en est: C'est un change oý l'argent circule Sans produire aucun intťrÍt. * * * * * Mlle D*** ťtait devenue amoureuse d'un M. Levacher de Charnois, gendre du comťdien Prťville. C'ťtait un bel esprit qui rťdigeait le Journal des Thť‚tres. D***, enchantťe de trouver dans ce jeune homme les agrťmens de la figure et les ressources de l'esprit, goŻtait dans cette liaison un charme inexprimable; mais M. de Charnois s'ťtant rťconciliť avec sa femme, abandonna sa maÓtresse. La nymphe ne put soutenir une telle rupture, et en mourut de douleur. ę_Mourir pour un infidŤle_, s'ťcria Sophie, _voilŗ une mode que les actrices ne suivront pas_.Ľ Quelqu'un rapportait que le mťdecin Chirac, interrogť si le commerce des femmes est nuisible, avait rťpondu:--_Non, pourvu qu'on ne prenne point de drogue; mais j'avertis que le changement est une drogue._--_Hť bien_, rťpartit Sophie, _c'est pourtant cette drogue-lŗ qui fait aller le commerce_. * * * * * Mlle d'Albigny, pensionnaire de l'Opťra, s'ťtait mise sur le pied des dames du bel air, et ayant donnť ŗ jouer chez elle, fut envoyťe, par ordre du roi, ŗ la SalpÍtriŤre. A son retour cette princesse voulant Ítre bien avec tout le monde, admit ŗ l'honneur de sa couche le commissaire de son quartier. Quelques jours aprŤs Sophie lui demanda ę_comment elle trouvait la chair de commissaire?_ (la chŤre).Ľ Le chevalier de C. ťtait d'une gaucherie et d'une indiffťrence insoutenables; on ne savait par oý le prendre pour l'ťmouvoir. Mlle Arnould s'ťtant infructueusement occupťe de son ťducation, le congťdia en disant que ę_c'ťtait une cruche sans anse_.Ľ * * * * * J.-J. Rousseau allait en 1770 souper chez Sophie Arnould avec l'ťlite des petits-maÓtres et des talons rouges; il avait choisi RulhiŤres pour conducteur, et il se trouvait souvent lŗ en fort bonne compagnie. Voulant prouver que la plupart de nos tragťdies lyriques ne doivent leurs succŤs qu'aux charmes de la musique, il disait:--_S'il est possible de faire un bon opťra, il ne l'est pas qu'un opťra soit un bon ouvrage._--_Voilŗ pourquoi_, rťpartit Sophie, _chez nous le SON vaut mieux que la farine_. * * * * * Elle s'intťressait pour un jeune homme auquel elle dťsirait faire obtenir un emploi qui dťpendait de M. D., fermier gťnťral, lequel, disait-on, avait ťtť laquais; elle attendait depuis deux heures dans l'antichambre du traitant qui ťtait remplie de valets. Un jeune seigneur sortant du cabinet du financier, tťmoigna sa surprise ŗ Sophie de la voir attendre en si mauvaise compagnie. ę_Je ne crains point ces messieurs_, rťpondit-elle, _tant qu'ils sont encore laquais_.Ľ * * * * * Louis-Gabriel Fardeau, procureur au Ch‚telet, composait des piŤces pour le thť‚tre des Associťs. Un plaisant trouva dans l'anagramme de ses noms son vťritable portrait: _Il a l'air du boeuf gras._ Ce dramatiste s'ťtant avisť de faire sa cour ŗ une danseuse de l'Opťra, Sophie dit ŗ sa camarade: ę_Comment peux-tu supporter ce FARDEAU? Un procureur de son espŤce n'aime les femmes que pour les formes._Ľ * * * * * AprŤs le dťplacement de M. de Choiseul on fit des tabatiŤres oý il y avait d'un cŰtť le portrait du duc de Sully, ministre de Henri IV, et de l'autre celui du duc de Choiseul[35], ministre de Louis XV. ę_C'est bien_, dit Mlle Arnould en voyant une de ces boÓtes; _on a mis ensemble la recette et la dťpense_.Ľ [35] Vers sur M. de Choiseul, aprŤs sa retraite des affaires: Comme tout autre, dans sa place, Il put avoir des ennemis; Comme nul autre, en sa disgr‚ce, Il acquit de nouveaux amis. Le baron de Grimm, devenu amoureux de Mlle Fel, chanteuse ŗ l'Opťra, et n'ayant pu s'en faire ťcouter, tomba dans une sorte de catalepsie qui, pendant plusieurs jours, parut l'avoir privť de tout mouvement. Le mťdecin Senac se douta de la ruse et en parla ŗ Mlle Arnould qui lui dit en riant: ę_Mon cher docteur, si Fel ťtait auprŤs de votre malade, il ressusciterait bientŰt._Ľ * * * * * Mlle Lemaure, cette sublime actrice de la scŤne lyrique, si connue par ses caprices et sa belle voix, s'ťtait retirťe du thť‚tre en 1743. Les entrepreneurs du Colisťe mirent en 1771 ses talens ŗ contribution, et elle y chanta le monologue de l'acte du Sylphe avec un succŤs prodigieux. Cette cantatrice ťtait fort laide. Sophie disait: ę_On a beau l'applaudir, elle fait toujours mauvaise mine._Ľ * * * * * L'intťrÍt renferme un poison si actif, si subtil, que dŤs qu'il vient se joindre ŗ un sentiment, il le corrompt et finit par l'ťteindre. Mlle Laguerre en offrit un exemple, et la galanterie ne fut pour elle qu'un commerce. Cette chanteuse ayant mis sur la liste de ses nombreux favoris[36] un apothicaire nommť La C., Sophie le surnomma ę_le premier commis de LA GUERRE_.Ľ [36] Barthe, dans ses Statuts pour l'Opťra, dit ŗ ce sujet: Le nombre des amans limitť dťsormais Et pour la blonde et pour la brune, Dťfense d'en avoir jamais Plus de quatre ŗ la fois; ils suffisent pour une. Que la reconnaissance ťgale les bienfaits; Que l'amour dure autant que la fortune. Un financier, vieux et blasť, venait de prendre ŗ ses gages une jeune et jolie danseuse.--Comment va ton monsieur? lui demandait une de ses camarades.--Il paraÓt beaucoup m'aimer, rťpondit-elle, car il ne fait que m'embrasser. ę_Tant pis pour toi_, rťpartit Sophie; _qui trop embrasse mal ťtreint_.Ľ * * * * * Le marquis de LettoriŤre, officier aux gardes, passait pour le plus joli homme de Paris; il avait fait faire son portrait pour le donner ŗ une actrice connue pour Ítre moins tendre qu'intťressťe. Mlle Arnould, ŗ laquelle il le montra, lui dit: ę_Vous Ítes beau comme l'Amour, mais votre Danať aimerait mieux l'effigie du roi que la vŰtre._Ľ * * * * * On parlait de la prochaine reprťsentation du Faucon, opťra comique de Sedaine. Sophie semblait n'en avoir pas bonne opinion; elle se fit presser quelque temps pour s'expliquer et dťclarer les motifs de son prťjugť. ę_C'est que_, reprit-elle avec vivacitť par ce vers de Boileau: Rien n'est beau que le vrai, le vrai seul est aimable.Ľ * * * * * Mlle Allard fut la maÓtresse du duc de Chartres, du prince de Guimenťe, du duc de Mazarin et d'un rťgiment de roturiers. S'ťtant fait peindre par Lenoir dans l'ťtat oý parut Vťnus devant le berger P‚ris, quelqu'un dit que la tÍte de cette figure n'ťtait pas ressemblante. ę_Qu'est-ce que cela fait_, reprit Sophie; _Allard serait sans tÍte que tout Paris la reconnaÓtrait_.Ľ * * * * * Marmontel dťbuta dans la carriŤre littťraire par des tragťdies et des opťras. Ses Contes Moraux, qui parurent bientŰt aprŤs, lui acquirent la plus grande rťputation; il y puisa le sujet de quelques jolies comťdies, et l'on sait que sa piŤce de Zťmire et Azor est tirťe d'un ancien conte intitulť _la Belle et la BÍte_. Mlle Arnould ťtant allťe voir jouer ce demi-opťra, elle dit ŗ quelqu'un qui s'extasiait sur cet oeuvre dramatique: ę_C'est la musique qui est LA BELLE._Ľ * * * * * Le Mierre[37] lui disait un jour:--Rappelez-vous que d'Alembert, aprŤs la premiŤre reprťsentation d'Hypermnestre, a dit que j'ai fait faire un pas ŗ la tragťdie. Elle reprit en riant: ę_Est-ce en avant ou en arriŤre?_Ľ [37] M. F. D. N., pťnťtrť de la lecture des ouvrages de ce poŽte, a composť le distique suivant pour le portait de Mme Le Mierre: Bras, front, sein, port, teint, taille, oeil, pied, nez, dent, main, bouche, Tout en elle est attrait, tout est tentant, tout touche. * * * * * Quelques jours aprŤs la nomination de M. de Boynes au dťpartement de la marine, on donna ŗ l'Opťra une piŤce dont un des actes offrait la vue d'une mer couverte de vaisseaux. Le nouveau ministre se trouvant ŗ cette reprťsentation, quelqu'un le fit remarquer ŗ Mlle Arnould. ę_Ne voyez-vous pas_, dit-elle, _qu'il vient ici prendre une idťe de la marine_.Ľ * * * * * On dit que Valeria Coppiola, cťlŤbre chorťgraphe romaine, dansait, sautait et cabriolait encore sur le thť‚tre ŗ l'‚ge de cent quatre ans, aprŤs y avoir figurť pendant quatre-vingt onze ans consťcutifs: une danseuse de l'Opťra voulant sauter sur ses traces, refusait sa retraite malgrť ses longs travaux. ę_Elle est bienheureuse d'Ítre aussi ingambe_, dit Sophie, _car ŗ son ‚ge on ne sait ordinairement sur quel pied danser_.Ľ * * * * * La manie des titres de noblesse fit prendre ŗ M. de Pezai celui de marquis[38], quoiqu'il ne fŻt que le fils d'un nommť Masson, ancien commis du contrŰle gťnťral. Ce poŽte voulant paraÓtre ŗ la cour, acheta une gťnťalogie qui le faisait descendre d'un comte Massoni d'Italie, et ŗ la faveur de ce brillant vernis il ťpousa une jolie femme ŗ laquelle M. de Maurepas fit donner par le roi une dot considťrable. ę_Ce jeune homme_, disait Sophie, _a tant de prťtentions qu'il donnerait la moitiť de son bien pour Ítre auteur, et le reste pour Ítre gentilhomme_.Ľ [38] M. R. a fait sur ce littťrateur l'ťpigramme suivante: Ce jeune homme a beaucoup acquis, Beaucoup acquis, je vous assure; Car, en dťpit de la nature, Il s'est fait poŽte et marquis. * * * * * Aux fÍtes de la cour qui eurent lieu ŗ Versailles ŗ l'occasion du mariage du dauphin, Mme la duchesse de Villeroi composa les paroles d'un ballet mÍlť de chant et de danse, intitulť _la Tour enchantťe_. Cette tour ťtait une petite machine en papier huilť vert et blanc. Mlle Arnould qu'on y voyait ŗ travers une petite porte de gaze blanche, avait l'air d'un avorton conservť dans un bocal d'esprit de vin. On en fit la remarque ŗ Sophie aprŤs la piŤce, et elle rťpondit: ę_Cela est tout simple, puisque je suis le fruit d'une fausse couche de Mme la duchesse de Villeroi._Ľ * * * * * Sedaine[39] ťtant venu lui faire visite aprŤs la reprťsentation d'une de ses piŤces qui n'avait pas rťussi, on mit cet ťvťnement sur le tapis. Le poŽte s'accusa d'avoir mal pris son temps, et dit:--La poire n'est pas mŻre.--_Cela ne l'a pas empÍchť de tomber_, reprit Sophie. [39] Rťponse ŗ une dame qui, aprŤs la lecture des oeuvres de Sedaine, marquait de la surprise sur les nombreux succŤs de cet auteur: Eh! pourquoi, s'il vous plaÓt, n'aurait-il pas la vogue? Il entend bien le dialogue; Dans la Gageure il est divin, Montauciel fait pleurer, Victorine fait rire: Ma foi! pour Ítre un ťcrivain, Il ne lui manque rien que de savoir ťcrire. N. * * * * * Elle avait fait placer dans sa chambre ŗ coucher un trŤs-beau lit dont le ciel offrait la forme d'une coupe renversťe. Un vieil amateur examinant l'ťlťgance de ce nouveau meuble, s'ťcria:--Voici un bien beau _dŰme_.--_Oui_, rťpondit-elle; _mais ce n'est pas celui des Invalides_. * * * * * Mlles VerriŤre ťtaient en 1772 deux courtisanes du vieux sťrail, puisque l'une d'elles avait appartenu au marťchal de Saxe et en a eu une fille; mais leur opulence, la sociťtť distinguťe qui allait chez elles, leurs talens et l'habitude oý elles ťtaient de donner des spectacles, y attiraient beaucoup d'amateurs. Colardeau, longtemps attachť ŗ leur char, fut remplacť par La Harpe, qui jouait la comťdie dans cette assemblťe. Sophie disait en faisant allusion aux diffťrens rŰles que ces nymphes avaient jouť dans le monde: ę_Une femme galante est un recueil d'historiettes dont l'introduction est le plus joli chapitre; on se le prÍte, on s'en amuse; mais ce livre est bientŰt lu; enfin il se dťlabre, et il ne reste aux curieux que l'errata._Ľ * * * * * Coqueley de Chaussepierre, avocat plus renommť par ses bouffonneries que par son ťloquence, se plaignait d'avoir ťtť cruellement trompť par une femme charmante dont la fraÓcheur l'avait sťduit. ę_Voilŗ comme vous faites tous_, lui dit Sophie; _vous aurez jugť son affaire sur l'ťtiquette du sac_.Ľ Lorsque Dorat faisait la cour ŗ Mlle Dubois, actrice du Thť‚tre-FranÁais, celle-ci alla consulter sa bonne amie Sophie sur le traitement qu'on devait faire ťprouver ŗ ce soupirant. ę_Ma chŤre Dubois_, lui dit-elle, _on ne prend un homme que pour l'un de ces trois motifs, parce qu'il est riche, qu'il est homme ŗ sentimens, ou qu'il est fort; ton Dorat est une petite espŤce, pauvre, froid et faible_[40]_; ce n'est donc pas lŗ ton fait_.Ľ [40] Bon Dieu! que cet auteur est triste en sa gaÓtť; Bon Dieu! qu'il est pesant dans sa lťgŤretť: Que ses petits ťcrits ont de longues prťfaces! Ses fleurs sont des pavots, ses ris sont des grimaces. Que l'encens qu'il prodigue est fade et sans odeur! Il est, si je l'en crois, un heureux petit-maÓtre; Mais si j'en crois ses vers, ah! qu'il est triste d'Ítre Ou sa maÓtresse ou son lecteur. LA HARPE. Une grande dame se trouvant au Concert spirituel prŤs de Mlle Arnould, dit aprŤs s'Ítre informťe du nom de l'actrice:--On devrait bien distinguer par des marques honorables toutes les femmes honnÍtes.--_Madame_, rťpartit Sophie, _pourquoi voulez-vous mettre les filles dans le cas de les compter_? * * * * * Deux mousquetaires courtisaient Mlle Granville de l'Opťra. L'un d'eux dit ŗ Sophie en parlant de son camarade:--Nous sommes rivaux et nous vivons en frŤres.--_Oui_, rťpondit-elle, _mais vous vous aimez comme deux frŤres qui ont une succession ŗ partager_. * * * * * Mlle Laguerre n'ťtant que fille des choeurs fut, dit-on, trouvťe en flagrant dťlit dans une loge. Cette aventure amusa beaucoup les habituťs de l'Opťra; mais comme ce n'ťtait pas la premiŤre de ce genre, l'affaire n'eut aucune suite. Quelques jours aprŤs, par un temps trŤs-froid, cette actrice parut ŗ la rťpťtition avec une robe toute garnie de fleurs. ę_Bon Dieu!_ lui dit Sophie, _tu as l'air d'une serre chaude_.Ľ * * * * * Un anglomane lisait une traduction qu'il avait faite de la tragťdie de Macbeth, et en vantait beaucoup les beautťs. ę_Quel sujet noir et froid!_ s'ťcria Sophie; _c'est une nuit d'hiver que cette piŤce-lŗ_.Ľ * * * * * Les cheveux ťtaient un des genres de beautť qui brillaient en Mme Dubarri, et qu'elle soignait davantage; elle avait appartenu dans sa jeunesse au coiffeur Lamet, et c'est d'elle que sont venus depuis, lorsqu'elle fut dans le cas de faire exemple, les chignons adoptťs par les femmes du plus haut parage. Cette mode fit naÓtre des chansons et des caricatures aux auteurs desquelles la bontť de la favorite pardonna toujours; mais un jour Sophie fut menacťe de Sainte-Pťlagie, pour avoir dit au sujet d'une prochaine disgr‚ce de Mme Dubarri: ę_Quand le BARIL roulera, le chancelier aura les jambes cassťes._Ľ * * * * * Le marquis de Pezai, surnommť le singe de Dorat, portait des talons rouges et se donnait tous les airs d'un grand seigneur. Une dame ŗ laquelle il faisait la cour demanda ŗ Mlle Arnould si elle connaissait sa famille.--_Certainement_, rťpondit-elle, _c'est le fils de Scarron_.--Vous plaisantez, sans doute?--_Non, vraiment; Scarron n'a-t-il pas fait le MARQUIS RIDICULE?_ * * * * * Le docteur Lťger, mťdecin renommť parmi les vierges de l'Opťra, s'ťtonnait de ce que les femmes galantes donnaient plus d'amour qu'elles n'en prenaient. ę_C'est comme les bons mťdecins_, dit Sophie, _qui ne prennent jamais de mťdecine_.Ľ * * * * * Le boucher Colin, aprŤs avoir fait pendant six ans les honneurs de la cuisine de Mlle Duplant, se trouva totalement ruinť, et fut obligť de se mettre ŗ l'annťe chez un confrŤre qu'il avait lui-mÍme occupť dans sa splendeur. Pendant une rťpťtition, on laissa par mťgarde aller sur le thť‚tre de l'Opťra un gros chien de boucher. Sophie appela aussitŰt sa camarade, et lui dit: ę_Tiens, Duplant, voici le coureur de ton amant._Ľ * * * * * Le marquis de LettoriŤre[41], cet aimable rouť qui ruina tant de femmes, et dont la dťpense aurait tari les sources du Pactole, avait ťtť mis aux arrÍts pour avoir battu un de ses crťanciers. Il perÁa pendant la nuit le mur de sa prison et alla coucher avec une nymphe de l'Opťra. A cette nouvelle Sophie dit: ę_Cet ťtourdi paie joliment ses dettes; il fait un trou pour en boucher un autre._Ľ [41] Ce jeune militaire ťtant de service ŗ Versailles, gagna la petite vťrole de Louis XV, et en mourut. On l'enterra comme un homme qui n'avait plus rien; on l'oublia comme un ruban dont la mode est passťe. * * * * * Mlle Duperrey, charmante danseuse de l'Opťra, pleine de gr‚ces et de talens, se mit au couvent par dťpit de n'avoir pu fixer le danseur Dauberval qu'elle voulait ťpouser. Quelques jours avant cette fugue, Sophie lui avait dit: ę_Ma chŤre Duperrey, la femme qui se marie met la main dans un sac oý il n'y a qu'une anguille sur une centaine de serpens; il y a cent ŗ parier contre un qu'au lieu de l'anguille c'est un serpent qu'elle prendra._Ľ * * * * * M. *** avait le dťfaut de bredouiller; un jour qu'il faisait de grands complimens ŗ Mlle Arnould sur son esprit et ses talens: ę_Mťnagez mon amour-propre_, lui dit-elle, _et souvenez-vous qu'en fait de flatterie on aime mieux le peintre que le barbouilleur_.Ľ * * * * * Les Fables de Dorat ont des gr‚ces que ce genre semble proscrire, et l'affectation du bel esprit en ťcarte presque toujours la simplicitť et la naÔvetť du fabuliste. On a dit qu'il voulait rire comme La Fontaine, mais qu'il n'avait pas la bouche faite comme lui. Mlle Arnould disait, en faisant allusion aux gravures prodiguťes dans les Fables de ce poŽte musquť: ę_Ce pauvre Dorat se sauve par les planches._Ľ * * * * * Un de ces petits maÓtres en soutane qui fourmillaient alors dans toutes les sociťtťs, et qui, comme l'abbť Pellegrin, dÓnaient de l'autel et soupaient du thť‚tre, se lia avec Sophie, et voulut goŻter le plaisir des ťlus: _ęO ciel! que me proposez-vous lŗ_, s'ťcria-t-elle; _vous ne savez donc pas que j'ai rayť de mes tablettes l'histoire ecclťsiastique?_Ľ * * * * * C'est le 5 fťvrier 1772, dit le baron de Grimm dans sa correspondance, que le duc de la Vauguyon alla rendre compte au tribunal de la justice ťternelle de la maniŤre dont il s'ťtait acquittť du devoir effrayant et terrible d'ťlever un dauphin de France, et recevoir le ch‚timent de la plus criminelle des entreprises, lorsqu'elle ne s'accomplit pas au grť de toute la nation. Le lendemain de son dťcŤs, l'Opťra donna _Castor et Pollux_. Le ballet des diables ayant manquť, et messieurs les dťmons dansant tout de travers, Sophie Arnould dit: ę_Qu'ils ťtaient si troublťs par l'arrivťe de M. le duc de la Vauguyon que la tÍte leur en pťtait._Ľ * * * * * M. ***, intendant du prince de Guťmenť, devait sa fortune ŗ celle de son maÓtre, dont il n'avait pas mal embrouillť les affaires. Cet homme avait de l'esprit, faisait des vers et travaillait ŗ un opťra. Un de ses amis ayant communiquť l'ouvrage ŗ Mlle Arnould, elle lui dit: ę_Je trouve que l'auteur a un peu pillť; mais au surplus c'est digne d'un_ VOLTAIRE (vole terre).Ľ * * * * * Mlle Rey avait entrepris de dťgourdir un grand jeune homme qui ťtait _clerc_ de notaire. Un jour cet aimable prťcepteur se plaignit ŗ Sophie de la bÍtise de son ťlŤve: ę_Tu ne savais donc pas_, lui rťpondit-elle, _que les plus grands clercs ne sont pas les plus fins_.Ľ * * * * * L'abbť Terray fut nommť contrŰleur gťnťral des finances en 1769. Peu de ministres se sont trouvťs dans une position plus difficile et plus orageuse, et ceux dont il avait blessť les intťrÍts particuliers pour sauver la fortune publique s'en vengŤrent par mille quolibets. Ce ministre ayant paru, ŗ l'entrťe de l'hiver, avec un superbe manchon, Mlle Arnould dit: ę_Qu'a-t-il besoin d'un manchon? il a toujours les mains dans nos poches._Ľ * * * * * Mlle R...., nťe en 1756, dťbuta ŗ la Comťdie-FranÁaise en 1772, avec le plus grand ťclat. Ses talens excitŤrent la jalousie de ses camarades, et Mlle Vestris, maÓtresse du marťchal duc de Duras, forma contre elle une cabale affreuse. Un jour qu'elle jouait l'_Emilie_ de Cinna, un chat qui se trouvait dans la salle se mit ŗ miauler. ę_Je parie_, dit Sophie, _que c'est le chat de la Vestris_.Ľ[42] [42] En 1779 il parut une chanson sur les actrices de la Comťdie-FranÁaise. Voici le premier couplet: _Air des trois Fermiers._ La VESTRIS achŤte ŗ grand prix Les bravo de la populace; A force d'art et de grimace, Elle fait applaudir ses cris. Mais elle ne vaut, ŗ tout prendre, (_bis_ Pas un sou, Pas un sou, Pas un soupir tendre. _bis._) On sait que M. Masson de Pezai prenait le titre de marquis afin d'augmenter ses qualitťs. Un jour que ce poŽte signait devant Sophie, en y joignant sa nouvelle seigneurie, elle lui dit: ę_Prenez garde ŗ ce que vous faites, le sobriquet de_ marquis _pourrait bien vous rester_.Ľ * * * * * Le prince _d'Hťnin_, capitaine des gardes du comte d'Artois, n'ťtait pas fort considťrť. Champcenetz l'appelait le _Nain des princes_. Ce seigneur ťtant devenu amoureux de Mlle Arnould, employa tous ses moyens pour lui plaire. Un jour qu'il s'efforÁait vainement d'obtenir un tendre aveu, Sophie excťdťe rompit enfin le silence, et lui dit: ę_Vous ne savez donc pas qu'il est souvent aussi difficile de faire parler une femme que de la faire taire._Ľ Mlle Clťophile sortit de chez Audinot pour entrer danseuse ŗ l'Opťra; elle appartenait en 1773 au comte d'Aranda, qui lui donnait trois cents louis de fixe par mois; ce qui la mit dans le cas de reprťsenter convenablement. Cette nymphe, qui avait le regard un peu _rude_, ayant fait faire son portrait, conduisit Mlle Arnould chez son peintre. L'artiste dit ŗ celle-ci:--Croiriez-vous, mademoiselle, que je suis amoureux de mon modŤle?--ę_En ce cas_, rťpondit Sophie, _faites-lui donc les yeux DOUX_.Ľ * * * * * Le prťsident de..., auteur d'assez mauvais ouvrages, aprŤs avoir vťcu dans la dissipation, se retira du monde pour cultiver dťvotement les lettres. Quelqu'un disait, en parlant de lui:--Voilŗ donc le prťsident devenu ermite; il a enfin renoncť ŗ _Satan_ et ŗ ses _pompes_.--Mlle Arnould rťpartit: ę_Il devrait bien aussi renoncer ŗ ses oeuvres._Ľ * * * * * M. de BuzenÁais, et le prince de Nassau qui n'ťtait pas reconnu en Allemagne, s'ťtaient battus en duel: on disait devant Sophie que le premier avait fait beaucoup de faÁons avant de s'y dťterminer, et que c'ťtait d'autant plus singulier qu'il passait pour bien manier l'ťpťe. ę_C'est que_, reprit-elle, _les grands talens se font toujours prier_.Ľ * * * * * Un auteur lui remit un opťra en cinq actes, en la priant de l'examiner et de lui en donner son avis. Il ajouta que dans cette composition il n'avait pas voulu suivre la route ordinaire, et qu'il s'ťtait surtout appliquť ŗ ťviter le style du langoureux _Quinault_ et du philosophe _Voltaire_. ę_Monsieur_, lui rťpondit Sophie, _ťviter Voltaire et Quinault, c'est s'asseoir par terre entre deux beaux siťges_.Ľ * * * * * M. Jacquemain, joaillier de la couronne, avait fait des folies pour mademoiselle Granville, de l'Opťra. Sophie ayant vu cette nymphe en petite loge avec M. de Joinville, maÓtre des requÍtes, lui demanda le lendemain: ę_Si elle avait changť de metteur en oeuvre._Ľ * * * * * Mlle C... naquit ŗ Venise en 1754, mais elle fut ťlevťe en France; elle dansa d'abord dans les ballets de la Comťdie-Italienne et se fit remarquer par sa beautť. Le lord Mazarin en devint ťperduement amoureux et voulut l'enlever. Ce danger fit quitter le thť‚tre ŗ la belle C...; ses parens l'emmenŤrent en province, oý elle perfectionna les dons prťcieux que la nature lui avait accordťs; elle revint ensuite ŗ Paris, et elle fut reÁue ŗ la Comťdie-Italienne en 1773. Ses charmes maÓtrisaient tous les coeurs; son jeu, sa voix, son maintien, tout sťduisait en elle, et chaque jour poŽtes et financiers dťposaient ŗ ses pieds le tribut de leur adoration. Cette charmante actrice avait peu d'esprit. Un jour elle dit ŗ Mlle Arnould:--On m'adresse souvent des vers; je voudrais bien apprendre ŗ m'y connaÓtre.--_Rien n'est plus facile_, rťpondit Sophie; _dis toujours qu'ils sont mauvais, et tu ne te tromperas guŤre_. * * * * * Le volume des Fables de Dorat se vendait un louis dans sa nouveautť[43]. Quelqu'un se rťcriait sur la chŤretť de cet ouvrage. ę_Examinez donc bien_, dit-elle, _le papier, les gravures et les vignettes; vous verrez que les vers sont pour rien_.Ľ [43] Lorsque ce poŽte fit paraÓtre son poŽme des _Baisers_, Guichard lui adressa ce quatrain: Pour vingt baisers sans chaleur, sans ivresse, Prendre un louis! y penses-tu? Eh, mon ami! pour un ťcu J'en aurai cent de ta maÓtresse. * * * * * Un danseur entretenait une jeune figurante dont la complexion ťtait fort maigre, et lorsqu'il ťtait avec elle il ne l'appelait jamais que _mon chou_. Ce mot souvent rťpťtť fit dire ŗ Sophie: ę_Il paraÓt que cet homme-lŗ ne fait pas ses CHOUX gras._Ľ On a vu dans le mÍme temps figurer ŗ l'Opťra trois soeurs qui portaient toutes les trois des noms de fleurs; l'une s'appelait _Rose_, l'autre _Hyacinthe_, et la derniŤre _Marguerite_. Comme on les nommait devant Sophie, elle s'ťcria: ę_Bon Dieu! quelle plate-bande!_Ľ * * * * * Un musicien, un peu gascon, se vantait d'Ítre aimť d'une femme charmante qui demeurait dans le faubourg Saint-Marceau.--Oh! oh! dit un plaisant, il y a bien de la boue dans ce quartier-lŗ.--Cela n'empÍche pas, reprit l'artiste, que ma conquÍte y fait _du bruit_.--_En ce cas_, reprit Sophie, _je gage que votre belle a des sabots_. * * * * * Un jeune mousquetaire qui croyait sans doute que l'amour tient lieu de tout, faisait une cour assidue ŗ une jolie danseuse, mais dont le coeur ne s'ouvrait qu'avec une clef d'or. Un jour qu'il se plaignait de n'obtenir de sa belle que de vaines promesses, Mlle Arnould lui dit: ę_Il faut Ítre bien novice pour ignorer que l'amant qui ne dťpense qu'en soupirs n'est payť qu'en espťrances._Ľ * * * * * Ce qui a surtout nui ŗ l'abbť Terray[44] dans l'esprit des Parisiens, c'est qu'il montrait dans ses rťponses trop de mťpris pour l'opinion publique. On lui reprochait un jour qu'une de ses opťrations ressemblait fort ŗ prendre l'argent dans les poches. ę_Et oý voulez-vous donc que je le prenne?_Ľ rťpondit-il. Une autre fois on lui disait, une telle opťration est injuste. ę_Qui vous dit qu'elle est juste?_Ľ rťpliqua-t-il. Un coryphťe de l'Opťra ťtant allť solliciter prŤs de lui le paiement des pensions de plusieurs de ses camarades, revint tristement dire ŗ Sophie que l'abbť Terray l'avait fort mal accueilli. ę_Je n'en suis point surprise_, rťpondit-elle; _comment paierait-il ceux qui chantent, quand il ne paie pas ceux qui pleurent_.Ľ [44] Lorsqu'on porta les sacremens ŗ ce ministre, une poissarde se mit ŗ dire: _On a beau lui porter le bon Dieu, il n'empÍchera pas que le diable ne l'emporte._ * * * * * Un jeune poŽte paraissait indťcis sur le genre de composition dramatique dont son gťnie devait s'occuper.--Conseillez-moi, disait-il ŗ Mlle Arnould, oý dois-je me fixer, et quel modŤle prendrai-je?--_Croyez-moi_, rťpondit-elle, _fixez-vous au Thť‚tre-FranÁais, et t‚chez d'y prendre RACINE_. * * * * * En 1773 le Palais-Royal, bien diffťrent de ce qu'il est aujourd'hui[45], renfermait un jardin beaucoup plus vaste. Une allťe d'antiques marronniers formant le berceau, prťsentait un agrťable spectacle par la brillante compagnie qui s'y rassemblait trois fois par semaine; des concerts dťlicieux qui se prolongeaient jusqu'ŗ deux heures du matin, ajoutaient aux charmes des belles soirťes d'ťtť. Sophie occupait alors un appartement qui donnait sur ce jardin. Voulant tirer un feu d'artifice ŗ l'occasion de la naissance du duc de Valois, elle ťcrivit au duc d'Orlťans la lettre suivante: [45] C'est en 1781 que le duc de Chartres fit construire le nouveau Palais-Royal; on y afficha les vers suivans: Le prince des gagne-deniers, Abattant des arbres antiques, Nous rťserve sous ses portiques, Au travers de petits sentiers, L'air ťpurť de ses boutiques Et l'ombrage de ses lauriers. ęMONSEIGNEUR, ęSuivant un usage antique, ŗ la naissance des rois on apportait de l'or, de la myrrhe et de l'encens; l'or aujourd'hui serait une offrande trop vile pour un grand prince comme vous; la myrrhe est, je crois, un aromate peu agrťable; quant ŗ l'encens, tant de mains dťlicates le font fumer devant vous que je n'ai garde de m'en mÍler. Par la position de ma demeure sur le jardin de votre palais, Monseigneur, je me trouve ŗ portťe de faire parvenir jusqu'ŗ l'auguste accouchťe l'ťclat et le bruit de notre hommage. Le dťdaignerez-vous? Je n'ai ŗ prťsenter ŗ Votre Altesse qu'un petit feu, une explosion vive et beaucoup de fumťe; celui dont brŻlent nos coeurs pour Votre Altesse est plus durable et ne s'ťteindra qu'avec nos vies. ęJe suis, etc.Ľ Le duc d'Orlťans accorda la demande, et Sophie fit tirer son petit feu, ŗ la grande satisfaction de tous ceux qui en furent tťmoins. * * * * * Le marquis de L. ayant eu du goŻt pour Mlle Grandi, danseuse ŗ l'Opťra, celle-ci peu cruelle l'admit ŗ sa couche et fit les choses trŤs-gťnťreusement, s'en rapportant ŗ la munificence du seigneur, et n'imposant aucune condition. Le lendemain son amant lui demanda ce qui lui faisait plaisir. Elle parla de _chatons_, qui s'assortiraient ŗ merveille avec un collier qu'elle avait. Le surlendemain il arriva ŗ Mlle Grandi une corbeille pleine de petits chats. Cette facťtie fit beaucoup rire, et lorsque Sophie revit sa camarade, elle lui dit: ę_Je ne suis point surprise de ce qui t'arrive, ma chŤre Grandi; tes SOURIS doivent attirer les CHATS._Ľ * * * * * Une actrice de l'Opťra qui faisait la prude amena un soir au foyer une petite fille de sa faÁon, qu'elle appelait sa niŤce. Cette jolie enfant ťtait remplie de gr‚ces, et chacun la faisait jaser. Quand ce fut au tour de Sophie, elle lui dit: ę_Ma petite, il y a longtemps que je n'ai eu le plaisir de te voir; comment se porte mademoiselle ta mŤre?_Ľ Le duc de la VrilliŤre[46] avait pour maÓtresse une femme d'un excessif embonpoint, qui avait beaucoup d'empire sur son esprit. Un jeune homme ayant besoin de la protection de ce ministre, demanda ŗ Mlle Arnould le moyen de lui prťsenter un placet. ę_Adressez-vous ŗ sa maÓtresse_, rťpondit-elle; _on parvient ŗ tout par le canal des GRASSES_.Ľ [46] Ce ministre s'ťtait successivement appelť Phťlippeaux, Saint-Florentin et la VrilliŤre. On lui a fait cette ťpitaphe: Ci-gÓt, malgrť son rang, un homme fort commun, Ayant portť trois noms et n'en laissant aucun. * * * * * Mlle Allard s'ťtant plus occupťe de ses plaisirs que de ses intťrÍts, se trouva sur la fin de sa brillante carriŤre sans fortune et sans amans; elle acquit avec les annťes un embonpoint excessif, et l'ťnormitť de sa taille ťloigna peu ŗ peu tous ses adorateurs. ę_Pauvre Allard_, disait Sophie, _elle s'agrandit sans garder ses conquÍtes_.Ľ * * * * * Le chevalier de C., vivement ťpris des charmes de Mlle Arnould, lui jurait un amour ťternel, et ne demandait en retour qu'une heure de complaisance. ę_Le dťsir vous aveugle_, lui dit-elle; _une femme dont on sollicite les faveurs est comme une ťnigme dont on cherche le mot: dŤs qu'on a pťnťtrť l'une et l'autre, elles sont bientŰt oubliťes_.Ľ * * * * * Mlle Jude ťtait une danseuse surnumťraire de l'Opťra, qui, ŗ la faveur de ce titre, ŗ l'abri des persťcutions de ses parens et des recherches de la police, se livrait au culte de Vťnus avec tant d'ardeur, d'intelligence et d'ťconomie que malgrť qu'elle fŻt trŤs-jeune encore, elle avait dťjŗ des rentes, de l'argent comptant et un fort beau mobilier. Ayant pris un abbť pour son coadjuteur, elle eut des scrupules sur un tel choix. ę_Rassure-toi_, lui dit Sophie; _il est bien dťfendu aux prÍtres d'avoir des femmes; mais aucun canon n'a interdit aux femmes l'usage des prÍtres_.Ľ * * * * * On donna en 1774, pour les fÍtes de la cour, l'opťra de _Cťphale_. Le poŽme est de Marmontel et la musique de Grťtry. Cette piŤce obtint un grand succŤs ŗ Versailles, mais elle trouva des juges sťvŤres ŗ Paris. Le mot latin _aura_, que le poŽte crut devoir conserver en franÁais, fit naÓtre le jeu de mots _ora pro nobis_, et Sophie eut la malice de dire ę_que la musique de_ Cťphale _lui paraissait beaucoup plus franÁaise que les paroles_.Ľ[47] [47] LE CONCERT CHAMP TRE. Qu'ils me sont doux ces champÍtres concerts Oý rossignols, pinsons, merles, fauvettes, Sur leur thť‚tre, entre des rameaux verts, Viennent _gratis_ m'offrir leurs chansonnettes! Quels opťras me seraient aussi chers? Lŗ n'est point d'art, d'ennui scientifique: Gluck et Rameau n'ont point notť les airs; Nature seule en a fait la musique, Et _Marmontel_ n'en a point fait les vers. LEBRUN. * * * * * Le 24 mars 1774, Mlle Arnould, par un pur caprice, refusa de chanter, et ce jour-lŗ elle eut la hardiesse de se montrer ŗ l'Opťra, en disant ę_qu'elle venait prendre une leÁon de Mlle Beaumesnil_.Ľ Les directeurs se plaignirent au duc de la VrilliŤre, qui, au lieu d'envoyer cette actrice rebelle au Fort-l'EvÍque, se contenta de la rťprimander. Des spectateurs de mauvaise humeur allŤrent ŗ l'Opťra le mardi suivant pour la siffler; mais ils n'en eurent pas le courage, et la sťduction de son jeu leur fit oublier ce projet. * * * * * Le duc de F.[48] ne pouvant obtenir les faveurs d'une jeune personne aussi sage que belle, ne trouva pas d'autre expťdient que de l'enlever aprŤs avoir mis le feu ŗ la maison. On racontait l'ťvťnement devant plusieurs vieilles coquettes qui se rťcriŤrent beaucoup sur les circonstances de ce rapt. ę_Hťlas!_ dit Sophie, _les libertins enlŤvent les belles, mais le temps plus cruel enlŤve la beautť_.Ľ [48] Ce jeune seigneur avait un prťcepteur que son pŤre, le duc de R., trouva un jour en tÍte ŗ tÍte avec sa chŤre moitiť. _Que n'ťtiez-vous lŗ, Monsieur?_ lui dit la duchesse avec dignitť; _quand je n'ai pas mon ťcuyer je prends le bras de mon laquais_. * * * * * Le _notaire_ Clauze, grand amateur de filles et fort inconstant, eut, dit-on, les prťmices de Mlle Dorival, l'une des plus jolies danseuses de l'Opťra, et peu de temps aprŤs il quitta cette nymphe pour un nouvel objet. Dorival pleurant la perte de son infidŤle, Sophie lui dit pour la consoler: ę_Fais_ un acte _de contrition, pauvre innocente, et souviens-toi qu'ŗ CythŤre on ne fait point de_ bail ŗ vie.Ľ * * * * * Lorsque Dorat fit jouer sa comťdie de _la Feinte par amour_, il ťtait attachť au char de Mlle Dupuis de l'Opťra. Cette actrice s'ťtant amourachťe d'un jeune mousquetaire, supposa une longue indisposition pour Ítre plus libre chez elle. Quelque temps aprŤs Dorat demanda ŗ Sophie si Mlle Dupuis avait ťtť rťellement malade. ę_Non_, rťpondit-elle, _c'est une FEINTE par amour_.Ľ * * * * * Le baron du Hou.... avait fait dans ses terres, en Normandie, une _coupe de bois_ de 80,000 liv., afin de mieux payer les faveurs d'une courtisane nommťe _Brťman_. Ce fou fieffť ťtant venu ŗ l'Opťra dans un costume magnifique, Mlle Arnould dit ŗ quelqu'un: ę_Regardez donc le baron comme il porte bien son BOIS._Ľ * * * * * Les _ponts_ ont singuliŤrement influť sur la vie de Mme Dubarri. Cette cťlŤbre courtisane naquit ŗ Paris au _Pont-aux-Choux_, et dŤs l'‚ge le plus tendre elle exerÁa ses talens sur le _Pont-Neuf_; le _Pont-Royal_ la vit le sceptre en main, et ŗ la mort de son illustre amant elle fut exilťe au _Pont-aux-Dames_. AprŤs avoir ťmigrť en Angleterre elle revint ŗ Paris en 1793, et finit sa vie prŤs du _Pont de la Rťvolution_. Sophie apprenant la mort de Louis XV et l'exil de Mme Dubarri, dit en regardant tristement ses camarades: ę_Nous voilŗ orphelines de pŤre et de mŤre._Ľ * * * * * P. n'ayant pu faire jouer sa comťdie des _Courtisanes_, attaqua juridiquement la troupe des comťdiens franÁais, et publia une ťpÓtre intitulťe: _RemercÓmens des Demoiselles du monde aux Demoiselles de la Comťdie-FranÁaise, ŗ l'occasion des_ Courtisanes, _comťdie_. Cette satire ameuta contre lui toutes les prÍtresses de Vťnus. Quelqu'un disait ŗ Sophie que P.[49], si mťchant dans ses ťcrits, ťtait pourtant un bon homme. ę_Ne vous y fiez pas_, reprit-elle, _il a des griffes jusque dans les yeux_.Ľ [49] Ce littťrateur disait ŗ Chťnier que deux concurrens pour une place ŗ l'Institut lui avaient passť sur le corps: _Mon ami_, rťpondit le poŽte, _vous Ítes le pont aux ‚nes_. * * * * * Une figurante jeune et jolie se fit quelque temps remarquer par sa conduite sage et rťservťe; elle rťsista au torrent qui entraÓnait ses camarades, et pour se faire une ťgide contre les traits de la sťduction, elle prit un mari. Quelqu'un admirant les moeurs de cette danseuse, disait qu'elle avait beaucoup de vertus. ę_Hť bien_, reprit Sophie, _elle a cela de commun avec les SIMPLES_.Ľ * * * * * Mlle Laguerre se promenait dans les coulisses de l'Opťra, entourťe de quelques adorateurs. Sophie s'approcha de cette nymphe, et lui touchant son ventre qui s'arrondissait visiblement: ę_Voilŗ_, dit-elle, _le recueil de ces messieurs_.[50]Ľ [50] Allusion plaisante ŗ un ouvrage qui, sous ce titre, jouissait alors d'une certaine vogue. * * * * * Un _procureur_ au parlement qui s'ťtait presque ruinť au service de Mlle Duplant, vint un soir au foyer de l'Opťra. Quelqu'un qui le reconnut dit ŗ voix basse:--_Voici un dindon que_ Duplant _a bien plumť_.--_Cela ne l'empÍche pas de voler_, rťpartit Sophie. * * * * * Une dame de _Hunolstein_[51] s'engoua tellement de Sophie qu'elle avait vue dans le rŰle d'_Iphigťnie_, qu'elle en ťtait devenue presque amoureuse. Celle-ci voulant en marquer sa reconnaissance, lui envoya un chapeau fort galant qu'elle nomma _chapeau ŗ l'Iphigťnie_. La jeune dame ne pouvant parvenir ŗ ajuster cette coiffure ŗ son goŻt, envoya chez l'actrice un laquais balourd qui fit plaisamment sa commission. Il trouva Sophie ŗ sa toilette entre le prince d'Hťnin son amant payant, et un coiffeur son amant payť; il lui dit:--Mademoiselle, Mme la comtesse vous remercie du chapeau que vous lui avez envoyť, mais elle ne peut rťussir ŗ l'arranger comme vous, et elle vous prie de lui envoyer celui qui vous le met.--_Iphigťnie_ alors se tournant avec majestť vers ses deux favoris, leur dit le plus gravement du monde: ę_Hť bien, qui est-ce qui marche aujourd'hui?_Ľ [51] Cette dame ťtait une jeune et jolie femme attachťe ŗ la duchesse de Chartres. Le marquis de la Fayette qui en ťtait ťpris, ne pouvant rťussir auprŤs d'elle, de dťpit passa chez les insurgens, et elle devint indirectement le principe de sa fortune et de sa gloire. * * * * * Le 22 fťvrier 1774, l'Acadťmie royale de Musique donna la premiŤre reprťsentation de _Sabinus_, tragťdie lyrique en quatre actes, qui avait ťtť reprťsentťe ŗ Versailles pour les fÍtes de la cour le 4 dťcembre 1773; le poŽme est de Chabanon, la musique de Gossec. Cet opťra n'eut pas plus de succŤs ŗ la ville qu'ŗ la cour; on ne s'aperÁut pas mÍme de l'attention que les auteurs avaient eue de le rťduire en quatre actes aprŤs l'avoir donnť d'abord en cinq; ce qui fit dire ŗ Mlle Arnould que ę_le public ťtait un ingrat de s'ennuyer quand on se mettait en QUATRE pour lui plaire_.Ľ * * * * * Elle rencontra, en se promenant au bois de Boulogne, un mťdecin de sa connaissance qui cheminait avec un fusil sous le bras.--_Oý allez-vous donc ainsi armť?_ lui demanda Sophie.--Je vais ŗ Longchamp voir un malade.--_Il paraÓt_, reprit-elle, _que vous avez peur de le manquer_. * * * * * Une jeune danseuse s'ťtait avisťe de devenir amoureuse folle d'un violon de l'Opťra. Sa mŤre s'en plaignit amŤrement en prťsence de Sophie, qui dit ŗ la novice:--_Mademoiselle, vous n'avez point l'esprit de votre ťtat; on vous passe de cťder ŗ quelque caprice, pourvu que cela ne fasse pas de bruit; mais une demoiselle d'Opťra ne doit avoir ouvertement un coeur que pour la fortune._--C'est bien parlť, s'est ťcriťe la mŤre. Oh! Mademoiselle, que ma fille n'a-t-elle votre esprit! Il n'est pas surprenant que vous soyez si riche. * * * * * En 1775 on donna ŗ l'Opťra _CythŤre assiťgťe_, opťra-comique de Favart, remis en musique par Gluck. Cette piŤce est le triomphe de la beautť sur la force; malheureusement Favart a tirť un mauvais parti de ce sujet. Lors de la premiŤre reprťsentation les guerriers, pour monter ŗ l'assaut, apportaient des ťchelles. On demanda ŗ quoi bon. Sophie rťpondit que ę_c'ťtait pour afficher un nouvel opťra_.Ľ * * * * * Mlle Grandi s'ťtait liťe avec un Amťricain qu'elle trouva un matin couchť avec une jeune nťgresse. Cette infidťlitť piqua son amour-propre, et ses camarades en furent bientŰt instruites. Sophie lui dit pour la consoler: ę_Ah! ma chŤre, les hommes sont des camťlťons qui changent de couleur pour tromper toutes les femmes._Ľ * * * * * Elle ťtait dans un cercle oý plusieurs acadťmiciens faisaient assaut d'esprit; c'ťtait un vrai cliquetis de pointes et de saillies. ę_Ne trouvez-vous pas_, dit-elle ŗ une de ses voisines, _que les beaux-esprits sont comme les roses; une seule fait plaisir, un grand nombre entÍte_.Ľ * * * * * Mlle Duthť[52], originairement figurante ŗ l'Opťra, puis aux promenades nocturnes du Palais-Royal, fut la premiŤre maÓtresse du duc de Chartres, et elle devint ensuite celle du comte d'Artois. Un peintre nommť Perrin voulut se signaler, en 1775, par le portrait de cette cťlŤbre courtisane; il en avait fait deux qu'il montrait aux amateurs; l'un trŤs-grand, oý il la reprťsentait en pied, parťe de tout le luxe des vÍtemens ŗ la mode; l'autre plus petit, oý il la montrait nue, avec le dťtail de tous ses charmes. Quelqu'un s'ťcria en voyant ce dernier tableau:--Voici une charmante Danať.--_Dites plutŰt_, reprit Sophie, _le tonneau des DanaÔdes_. [52] En 1775 le comte d'Artois ayant eu part aux faveurs de cette nymphe, les plaisans dirent que ce prince venait ŗ Paris prendre _du thť_ quand il ťtait gorgť de biscuit de _Savoie_. On sait que la comtesse d'Artois ťtait une princesse de Savoie. * * * * * Il parut en 1775 une facťtie intitulťe _les Curiositťs de la Foire_, oý les filles les plus cťlŤbres de Paris ťtaient dťsignťes allťgoriquement sous des noms d'animaux rares; elles en furent cruellement offensťes, mais ne purent se venger de l'auteur anonyme. Le sieur Landrin, poŽte vouť au thť‚tre d'Audinot, imagina de composer une petite piŤce sur ce sujet et sous le mÍme titre. Mlle Duthť assistant ŗ la premiŤre reprťsentation, s'y reconnut si sensiblement, qu'elle en tomba en syncope. Cet ťvťnement fit grand bruit parmi les filles du haut style. Les partisans de cette nymphe criŤrent au scandale, et le duc de Dur., son amant, obtint, malgrť l'approbation de la police et les dťsirs du public, que cette piŤce ne fŻt plus jouťe. Mlle Arnould, piquťe contre quelques seigneurs de la cour qui commentaient cette satire, dit: ę_Pourquoi n'a-t-on pas mÍlť quelques courtisans parmi les courtisanes? Dans une mťnagerie, les m‚les doivent figurer ŗ cŰtť des femelles._Ľ * * * * * M. _Poisson_ de Malvoisin recherchait les bonnes gr‚ces d'une jeune figurante, qui le rebutait toujours ŗ cause de son ‚ge. Sophie dit ŗ cette novice: ę_Ce ne sont pas les annťes qu'il faut compter; dans les mariages que fait Plutus, on voit presque toujours jeune chair et vieux POISSON._Ľ * * * * * Elle passa pour avoir ťtť en mariage rťglť, pendant huit jours, avec M. Bertin, que les nymphes de l'Opťra appelaient _Bertinus_. Un jour deux hommes se trouvant sur le thť‚tre de l'Opťra derriŤre Sophie, sans le savoir, plaignaient beaucoup M. Bertin des infidťlitťs et des mauvais procťdťs qu'il avait essuyťs de la part de ces demoiselles, ajoutant qu'il ne le mťritait pas, qu'il ťtait gťnťreux, aimable, facile, etc., etc. Sophie se retourne et dit: ę_On voit bien que ces messieurs ne l'ont pas eu._Ľ * * * * * Mlle Levasseur, en entrant ŗ l'Opťra, changea de nom comme toutes ses compagnes, et prit celui de _Rosalie_; mais la comťdie intitulťe _les Courtisanes_ la dťgoŻta de son choix. L'une des hťroÔnes de cette piŤce s'appelle _Rosalie_, et Rosalie actrice ne voulant pas Ítre confondue avec Rosalie courtisane, reprit son premier nom. Sophie disait de Mlle Levasseur qui ťtait passablement laide: ę_Cette Rosalie, au lieu de changer de nom, aurait bien dŻ changer de visage._Ľ * * * * * La duchesse de Chaulnes ayant ťpousť un maÓtre des requÍtes nommť de Giac, perdit par cette mťsalliance le tabouret qu'elle avait ŗ la cour; elle disait ŗ ceux qui s'ťtonnaient qu'elle eŻt sacrifiť son rang ŗ de folles amours:--_J'aime mieux Ítre couchťe qu'assise._--Cette dame ťtait connue pour Ítre fort galante. Un jour elle rencontra Mlle Arnould et lui demanda comment allait le mťtier. ę_Assez mal_, rťpondit-elle, _depuis que les duchesses s'en mÍlent_.Ľ * * * * * Le goŻt des noms supposťs a produit parfois les scŤnes les plus plaisantes, et il n'ťtait pas rare de voir se prťsenter ŗ la porte de l'Opťra une pauvre journaliŤre couverte de haillons, pour rťclamer sa fille ou sa niŤce que le jour prťcťdent elle avait vue dans un brillant ťquipage. Mlle Dorival ťprouva cette humiliation. Un soir qu'elle avait dansť dans _Ernelinde_, la mŤre ayant pťnťtrť jusqu'au foyer, se jeta dans les bras de sa fille qui la reÁut avec dignitť en l'appelant _madame_. A ce titre la tendresse maternelle se changea en fureur, et cette comťdie eŻt fini par un drame, si le marquis de Chabrillant, amant de la danseuse, n'eŻt pas entraÓnť la mŤre dans un cabinet oý on lui fit boire force rasades pour appaiser son ressentiment. Mlle Arnould, prťsente ŗ cette scŤne bachique, et voyant cette bonne mŤre vider tous les flacons que l'on apportait, dit au marquis: ę_En vťritť, c'est une M»RE A BOIRE que cette femme-lŗ._Ľ * * * * * _Le Barbier de Sťville_ est le mieux conÁu et le mieux fait des ouvrages dramatiques de Beaumarchais; les caractŤres en sont bien marquťs et assez soutenus pour le genre de l'_imbroglio_. Cependant le public accueillit froidement cette comťdie: elle fut d'abord jouťe en cinq actes (le 23 fťvrier 1775), mais l'auteur en supprima un, et l'intrigue y gagna. Quelqu'un ayant dit ŗ Sophie que Beaumarchais allait mettre sa piŤce en quatre actes: ę_Il ferait bien mieux_, reprit-elle, _de mettre ses actes en PI»CES_.Ľ Le marquis de BiŤvre fut le premier amant de Mlle R., comme le comte de L. fut celui de Mlle Arnould. L'intimitť qui rťgna pendant quelque temps entre ces deux actrices, lia naturellement M. de BiŤvre avec Mlle Arnould, et c'est dans sa sociťtť qu'il reÁut le sobriquet de _marquis Bilboquet_, par allusion ŗ son adresse ŗ jouer de cet instrument et ŗ la frivolitť de son caractŤre. Sa manie des calembours le rendit cťlŤbre, et plus d'un bel esprit t‚cha de l'imiter. Un soir qu'il ťtait chez Sophie Arnould, une jolie femme lui dit en souriant:--Faites donc un calembour sur moi.--_Attendez donc qu'il y soit_, reprit Sophie. * * * * * Mlle Cr. aprŤs avoir fait par prťcaution trois quarantaines de suite, entra au couvent des Carmťlites oý elle devint enceinte ŗ force de travailler ŗ oublier le monde avec le directeur de cette maison. ę_Cette vieille fille_, disait Sophie, _s'est retirťe du monde par dťpit, s'est mise au couvent par ennui, et s'y est fait faire un enfant par habitude_.Ľ * * * * * Mlle Arnould avait l'art dangereux de saisir les ridicules et d'en faire le sujet de ses plaisanteries; aussi recevait-elle parfois des ťpigrammes dont elle ne se vantait pas. On lui faisait un jour des complimens sur son esprit. Quelqu'un crut la mortifier en disant:--Bah! maintenant l'esprit court les rues.--Elle rťpartit aussitŰt:--_Monsieur, c'est un bruit que les sots font courir._ * * * * * Le duc de Bouillon fut tellement ťpris des charmes de Mlle Laguerre, qu'il dťpensa pour elle 800,000 liv. dans l'espace de trois mois. Cette excessive prodigalitť ŗ l'ťgard d'une impure rťvolta tous les crťanciers du duc; leurs plaintes parvinrent aux pieds du trŰne, et ce seigneur fut exilť dans une de ses terres. Peu de jours aprŤs quelqu'un s'informa de la santť de Mlle Laguerre[53]. ę_J'ignore comment elle va maintenant_, rťpondit Sophie; _mais le mois dernier la pauvre enfant ne vivait que de BOUILLON_.Ľ [53] Cette actrice n'espťrant plus rien de son amant, l'abandonna ŗ son malheureux sort. M. de BiŤvre fit ŗ ce sujet les vers suivans: Vous Ítes surpris que Laguerre Ait quittť le pauvre Bouillon? Depuis que Turenne est en terre La paix est dans cette maison, Et le bon duc hait tant _la guerre_ Qu'il en redoute jusqu'au nom. Aux fÍtes de Longchamp, en 1775, les filles entretenues tenaient le premier rang[54]. La fameuse Duthť s'y fit voir dans une voiture ťlťgante attelťe de six chevaux blancs, dont les harnais ťtaient de maroquin bleu, recouverts d'acier poli rťflťchissant de toutes parts les rayons du soleil. ę_Quand on observe un tel luxe_, dit Sophie, _doit-on Ítre surpris si tant de grandes dames se dťgoŻtent de l'ťtat d'honnÍtes femmes_.Ľ [54] En 1768 Mlle G., que Marmontel appelait _la belle damnťe_, s'ťtait montrťe aux promenades de Longchamp dans un char d'une ťlťgance exquise. On remarqua surtout les armes parlantes qui en dťcoraient les panneaux. Au milieu de l'ťcusson se voyait un marc d'or d'oý sortait un gui de chÍne; les Gr‚ces servaient de support, et les Amours couronnaient le cartouche. Le comte Dubarri possťdait aux environs de Paris une petite maison de campagne oý il ťlevait en cachette une jolie villageoise nommťe _Barbe_. Le chevalier de G. dťcouvrit la cachette, et dit ŗ Mlle Arnould qu'il avait profitť de l'absence du comte pour lui souffler sa maÓtresse. ę_Vous Ítes bien heureux_, rťpondit-elle, _que ce n'ait pas ťtť son jour de BARBE_.Ľ * * * * * Le baron de Grimm n'ťtait pas riche en agrťmens extťrieurs, mais sa mise ťtait toujours fort recherchťe, et pour corriger les dťfauts de son visage, il y mettait du _rouge et du blanc_. Mlle Fel de l'Opťra, ŗ laquelle il faisait une cour assidue, parlait un jour de la laideur de son soupirant. ę_De quoi te plains-tu_, lui dit Sophie, _n'est-il pas fait ŗ peindre?_Ľ Elle rencontra sur l'escalier du thť‚tre une trŤs-agrťable chanteuse des choeurs qui tenait par la main une petite fille.--_Mon Dieu, le joli enfant! ŗ qui est-il?_--A moi, mademoiselle.--_A vous? mais il me semble que vous n'Ítes pas mariťe._--Non, mademoiselle, mais je suis de l'Opťra. * * * * * On lui racontait l'histoire singuliŤre d'un curť de la Guienne, qui, pour avoir gardť une continence trop parfaite, ťprouva une longue maladie ŗ laquelle il eŻt succombť sans une demoiselle qui voulut bien Ítre son mťdecin. ę_Tel est l'empire de notre sexe_, dit Sophie; _la femme est comme la gr‚ce ŗ laquelle on peut rťsister, mais ŗ laquelle on ne rťsiste jamais_.Ľ * * * * * Le lundi gras 1775, Mme Dugas, femme d'un gentilhomme lyonnais, suivit pendant quelque temps, au bal de l'Opťra, un masque habillť en vieille femme, qu'un jeune cavalier accompagnait. Croyant reconnaÓtre la reine ŗ laquelle le comte d'Artois donnait le bras, Mme Dugas se prťcipita ŗ ses genoux et lui demanda la permission de lui baiser la main.--Vous ne me connaissez pas, Madame, rťpondit le masque.--Mettez la main sur mon coeur, s'ťcria Mme Dugas, et sentez ŗ ses battemens s'il mťconnaÓt des maÓtres pour lesquels il est passionnť.--En mÍme temps elle prit la main du masque, la porta ŗ son coeur et la baisa. Le masque embarrassť s'esquiva dans la foule, et Mme Dugas se releva au milieu d'un concours nombreux attirť par la nouveautť du spectacle, et l'accompagnant de mille battemens de mains. Le masque que Mme Dugas avait pris pour la reine ťtait Sophie Arnould, qui s'en est fort amusťe avec ses amis. * * * * * Mlle Dubois, de la Comťdie-FranÁaise, laissa en mourant plus de 25,000 l. de rentes. C'ťtait, en son temps, une des courtisanes les plus citťes pour leur cupiditť et l'art d'escroquer les dupes; du reste elle avait toujours ťtť mťdiocre au thť‚tre, et n'avait pas su tirer parti des heureux moyens que la nature lui avait donnťs. Un jour elle se plaignait d'approcher de trente ans, quoiqu'elle en eŻt davantage. ę_Console-toi_, lui dit Sophie, _tu t'en ťloignes tous les jours_.Ľ * * * * * Dans le cours de ses folies amoureuses, Mlle Laguerre n'eut qu'une seule fille, qui mourut en bas ‚ge[55]. Lorsque Sophie apprit que sa camarade ťtait enceinte, elle s'ťcria: ę_Ah! tant mieux, nous verrons les fruits de LA GUERRE._Ľ [55] Barthe dit ŗ ce sujet, dans ses Statuts pour l'Opťra: Donnons ordre ŗ ces demoiselles De n'accoucher que rarement; En deux ans une fois, une fois seulement: Paris ne goŻte point ces couches ťternelles. Dans un embarras maudit Ces accidens-lŗ nous plongent: Plus leur taille s'arrondit Plus nos visages s'allongent. * * * * * Le duc de D., abandonnť ŗ toutes les suites malheureuses d'une mauvaise conduite, fut exilť pour ses dťportemens. Ce jeune seigneur, avant de partir, alla avec plusieurs amis souper chez Mlle Arnould, et jura entre ses mains qu'il conserverait son coeur ŗ toutes les nymphes de l'Opťra. ę_Quelle injustice!_ s'ťcria Sophie; _on exile ce pauvre duc parce qu'il s'est ruinť pour quelques jolies femmes; mais il n'a fait que suivre l'usage_.Ľ * * * * * Dorat[56] dissipa une fortune assez considťrable en magnifiques ťditions de ses ouvrages; celle de ses Fables lui coŻta 30,000 fr. et se vendit mal. Des malins en coupŤrent les estampes, les payŤrent au libraire et lui laissŤrent les vers. Ces mortifications ne le rebutŤrent pas; il rassembla toutes les poťsies qui lui restaient en porte-feuille, et en intitula le recueil: _Mes nouveaux Torts_. Sophie lui dit: ę_C'est de tous vos ouvrages celui qui remplit le mieux son titre._Ľ [56] Ce poŽte mourut ŗ Paris d'une maladie de langueur, le 29 avril 1780. On lui fit cette ťpitaphe: De nos papillons enchanteurs Emule trop fidŤle, Il caressa toutes les fleurs, Exceptť l'immortelle. * * * * * Lorsque Lekain mourut (le 8 fťvrier 1778), on dit que ce tragťdien, en passant l'_Achťron_, avait laissť ses talens sur _la rive_. En effet, Larive possťdait ŗ un degrť ťminent tous les talens de la dťclamation. En 1775 il mit au thť‚tre _Pygmalion_, scŤne lyrique de J.-J. Rousseau, et joua ce monologue avec un charme qui lui fit beaucoup de partisans. Mlle R. ayant dans cette piŤce reprťsentť la statue, Sophie dit que ę_c'ťtait le meilleur rŰle qu'elle eŻt encore fait_.Ľ Un mťlomane proposa sťrieusement de mettre en opťra les douze travaux d'Hercule. Un jour qu'on dissertait sur les hauts faits de ce demi-dieu, un plaisant dit qu'il fallait qu'Hercule sŻt la physique pour opťrer tant de prodiges. ę_En ce cas_, rťpartit Mlle Arnould, _il ťtait impossible de rťsister ŗ un savant de cette force-lŗ_.Ľ * * * * * M. Dupin, fils de l'ancien fermier gťnťral de ce nom, avait ťtť l'ťlŤve de J.-J. Rousseau, et c'ťtait un des plus mauvais sujets que l'on pŻt voir; il entretenait une danseuse de l'Opťra qui l'aimait beaucoup. Quelqu'un s'ťtonnant que cette fille eŻt pu s'attacher ŗ un amant si peu gťnťreux: ę_Il paraÓt qu'elle n'est pas sur sa bouche_, rťpondit Sophie; _elle est contente pourvu qu'elle ait Dupin_ (du pain).Ľ Un jeune mousquetaire, connu par plus d'une gasconnade, racontait qu'il s'ťtait un jour battu avec un _comte italien_, et qu'avec la pointe de son ťpťe il lui avait enlevť un oeil, lequel ťtait restť au bout du fer comme un bouton de fleuret. Tout le monde se mit ŗ rire, et Sophie lui dit: ę_Bah! c'est un CONTE BORGNE que vous faites lŗ._Ľ * * * * * Un acteur de l'Opťra s'ťtait mariť ŗ une jolie personne de province; ses camarades ťtant allťs visiter sa nouvelle compagne, Mlle Arnould s'amusa surtout ŗ lutiner la mariťe, qui lui dit naÔvement:--Je vous assure que c'est un fort bon acteur.--_Vous confirmez sa rťputation_, rťpartit Sophie; _il a toujours passť pour bien entrer dans son personnage_. Mlle C.[57] des Italiens ťtait une femme superbe, mais prodigieusement grosse et grande; elle eut beaucoup d'amans, entr'autres le duc de Fronsac. Satisfaite de sa fortune, elle quitta la scŤne au moment mÍme oý les plaisirs et la gloire l'environnaient. Un jeune homme vivement ťpris de cette courtisane ne se lassait pas d'en vanter les talens et les gr‚ces. Sophie ennuyťe de cette apologie, s'ťcria: ę_Tout le monde connaÓt son grand mťrite, Monsieur; mais on s'est si souvent ťtendu sur ce sujet-lŗ qu'il devrait Ítre ťpuisť._Ľ [57] Cette actrice chantait ordinairement fort bien dans _la Fausse Magie_ l'ariette qui commence par ces mots: _Comme un ťclair_. Elle venait de finir assez mal ce morceau, lorsqu'un amateur arrive tout essoufflť dans une loge, et demande vivement:--A-t-elle chantť _Comme un ťclair_?--Non, Monsieur, elle a chantť _comme un cochon_. * * * * * Elle assistait ŗ une partie de pÍche oý il se trouva un de ces bavards ennuyeux qui se croient propres ŗ tout, et qui ressemblent en tout ŗ la mouche du coche. Cet homme s'approcha de Mlle Arnould, et lui demanda avec sa loquacitť ordinaire, la permission de _pÍcher_ avec elle. ę_Eh quoi! Monsieur_, rťpartit Sophie, _vous voulez P CHER et vous n'avez pas le FILET_.Ľ * * * * * Marmontel travailla pour les trois principaux thť‚tres; il aimait beaucoup les femmes et ťtait fort entreprenant auprŤs d'elles; Mlle Arnould faisant allusion ŗ ses travaux dramatiques et galans, disait: ę_Je ne voudrais pas combattre avec cet homme-lŗ, il est armť de toutes PI»CES._Ľ * * * * * On donna en 1776 un ballet intitulť _les Romans_. Cet ouvrage rappelant les anciens tournois fut exťcutť avec beaucoup de pompe et d'appareil. On y remarqua Mlle Duplant dťguisťe en homme sous les traits de FERRAGUS, prince de Castille, et elle remplit ŗ merveille ce rŰle fier et vigoureux. Cette actrice dit en rentrant au foyer:--En vťritť, la moitiť du parterre m'a prise pour un homme.--_Qu'est-ce que cela fait_, reprit Sophie, _si l'autre moitiť sait le contraire_? * * * * * Champfort, aprŤs avoir composť quelques comťdies, voulut s'ťlever sur un ton plus haut et donna sa tragťdie de _Mustapha et Zťangir_. Quelqu'un annonÁant la premiŤre reprťsentation de cette piŤce dit qu'elle avait brouillť Thalie avec l'auteur. ę_Il paraÓt_, rťpartit Sophie, _que Champfort prend la chose au tragique_.Ľ * * * * * Mlle Coupť[58], retirťe depuis longtemps de l'Opťra, vivait avec M. Rollin, fermier gťnťral. Elle vint un soir ŗ l'Opťra et causa avec des actrices. Quelqu'un s'informa quelle ťtait cette dame: ę_Eh quoi!_ rťpondit Sophie, _vous ne la reconnaissez pas? C'est l'histoire ancienne de M. Rollin._Ľ [58] Cette actrice avait ťtť fort jolie et mťritait le quatrain suivant: Coupť, mille Amours sur vos traces Viennent entendre vos chansons; Vous les attirez par vos sons, Et les retenez pas vos gr‚ces. N. Mlle Levasseur devait ŗ l'art la moitiť de ses charmes, et son cabinet de toilette ťtait un sanctuaire impťnťtrable lorsque la prÍtresse y opťrait ses mystŤres. Sophie ťtant allťe la voir dans ce moment critique, une femme de chambre lui dit confidentiellement que sa maÓtresse ne pouvait la recevoir parce qu'elle faisait son visage. Sophie tire aussitŰt sa boÓte ŗ rouge, en rťpondant: ę_Portez-lui cela de ma part, et dites-lui que c'est pour l'achever de peindre._Ľ * * * * * Un habituť de l'Opťra se plaignait de ce que les actrices dirigeaient tout, brouillaient tout et commandaient en despotes dans ce spectacle. ę_Voulez-vous_, dit Sophie, _que ce soient les hommes qui distribuent les rŰles, et qui rŤgnent sur ce thť‚tre? nommez les femmes directrices; car tant que les hommes resteront directeurs, ils seront eux-mÍmes dirigťs par les femmes_.Ľ * * * * * On lui demandait ce qu'elle pensait de l'arcade qui sert de porte ŗ l'hŰtel Thťlusson, situť au bout de la rue Cťrutti. Elle rťpondit: ę_C'est une grande bouche qui s'ouvre pour dire une sottise._Ľ * * * * * Louise Contat[59], nommťe par les gens de lettres la Thalie de la Comťdie-FranÁaise, eut Prťville pour maÓtre; elle dťbuta le 3 fťvrier 1776. Une jolie figure, des gr‚ces naÔves, un son de voix enchanteur, et cet art d'Ítre propre ŗ _presque_ tous les emplois, firent sa rťputation. Sophie assistant ŗ la reprťsentation d'un drame oý cette actrice ťtait fort dťplacťe, riait continuellement, et disait ŗ ses voisins qui s'ťtonnaient de cette gaietť folle: ę_Je ne cesserai de rire que lorsqu'elle me fera pleurer._Ľ [59] A Mlle Contat, jouant le rŰle de Thalie dans _la Centenaire_ de Corneille: A voir tous les Amours voltiger sur vos traces, A cet air enchanteur, ŗ ce ton sťduisant, On croirait que Thalie a cťdť son talent A la plus belle des trois Gr‚ces. HOFFMAN. * * * * * Un journaliste publia en 1776 une lettre de Sophie Arnould, dans laquelle cette actrice annonce qu'elle est nťe en 1744, qu'elle a reÁu le jour dans l'alcove de l'amiral de Coligny, et que cette anecdote est la seule illustration de sa naissance. On lui rťpondit fort poliment qu'elle se trompait sur ces trois points; 1ļ que son baptistaire datait du 14 fťvrier 1740; 2ļ que les chambres ŗ coucher des grands seigneurs du seiziŤme siŤcle ťtaient sans alcoves; 3ļ qu'une actrice de l'Opťra n'avait pas besoin d'une autre illustration que celle de ses talens ou de sa beautť. * * * * * La mort du prince de Conti laissa veuves beaucoup de vierges de l'Opťra. On trouva dans son immense mobilier plusieurs milliers de bagues de diffťrentes espŤces. Son altesse avait l'habitude de constater chacun de ses exploits amoureux par cette lťgŤre dťpouille; il fallait que la femme dont il obtenait les faveurs lui donn‚t sa bague ou son anneau, et sur le champ il ťtiquetait ce bijou du nom de l'ancienne propriťtaire. Quelqu'un parlant ŗ Sophie de cette singuliŤre manie, elle rťpondit: ę_Je ne vois en cela qu'une allťgorie; une femme aimable n'est-elle pas un anneau qui circule dans la sociťtť, et que chacun peut mettre ŗ son doigt?_Ľ * * * * * Colardeau, dans la vigueur de l'‚ge, pťrit victime d'une passion malheureuse. Il ťtait liť depuis longtemps avec deux filles cťlŤbres qui, ŗ l'instar de Mlle G., avaient dans leur hŰtel un thť‚tre et tous les accessoires de l'opulence. Colardeau fit, en faveur de l'aÓnťe, vivement ťprise de lui, un drame en deux actes intitulť: _La Courtisane amoureuse_; mais cette courtisane[60], ingrate et perfide, laissa ŗ son favori un souvenir amer de ses embrassemens, et la santť dťlicate du poŽte en fut altťrťe au point de pťrir insensiblement. Au commencement de cette maladie de langueur, un de ses amis voulant en dťguiser la cause, dit ŗ Sophie qu'il ťtait malade de la petite vťrole. ę_Bah!_ reprit-elle, _est-ce que vous prenez Colardeau pour un enfant?_Ľ [60] M. de BiŤvre disait que le coeur des courtisanes est comme un miroir qui rťflťchit tous les objets qu'on lui prťsente, sans en garder jamais aucun souvenir. * * * * * On lui faisait remarquer les armoiries d'un certain duc connu par le dťrťglement de ses moeurs et la nullitť de ses moyens. ę_Voilŗ_, dit-elle, _une affiche bien pompeuse pour une piŤce bien mťdiocre_.Ľ * * * * * Un abbť qui pinÁait agrťablement de la guitare, fut priť d'accompagner une romance. Il y consentit quoiqu'il eŻt la voix fausse. On demanda ensuite ŗ un musicien nommť _Lemoine_ comment il trouvait que l'abbť eŻt chantť?--Parfaitement, rťpondit-il.--Cela est faux, dit tout bas quelqu'un.--_En ce cas_, reprit Sophie, _LEMOINE rťpond comme l'ABB… chante_. * * * * * Elle donnait un repas oý se trouva Linguet[61], son conseil et son ami. A chaque mets qu'on lui offrait, cet avocat rťpondait modestement qu'il avait peu d'appťtit, et cependant il acceptait tout et mangeait comme un ogre. Mlle Arnould dit aux convives au moment oý Linguet usait encore de son refrain: ę_Vous pouvez en croire monsieur, la_ faim _de l'orateur est de persuader_.Ľ (La fin.) [61] Le _marťchal_ duc de Duras ťtait chargť en 1779 de la surveillance des thť‚tres. Linguet ayant dans une de ses feuilles maltraitť ce seigneur au sujet de ses vexations contre Mlle Sainval aÓnťe, celui-ci fit dire au journaliste qu'il eŻt ŗ s'abstenir de parler de lui, ou qu'il lui ferait donner des coups de b‚ton. _Tant mieux_, rťpliqua Linguet; _on pourra du moins dire qu'il s'est servi de son b‚ton_. * * * * * _Colalto_ ťtait un acteur de la Comťdie-Italienne dans le rŰle de _Pantalon_, oý il excella pendant vingt ans. La piŤce des _Trois Jumeaux Vťnitiens_ rend son nom immortel, et l'on se souviendra longtemps de l'art ťtonnant avec lequel ce comťdien exťcutait et variait ses diffťrens rŰles. On sait que Mlle R. se mettait souvent en homme. Un plaisant ayant fait courir le bruit que cette actrice allait se marier: ę_Je gage_, dit Sophie, _que c'est avec Colalto, car R. aime beaucoup les PANTALONS_.Ľ Mlle Laguerre ťtait fort avare et faisait de temps en temps la vente de ses meubles et de ses bijoux. Un jour qu'elle procťdait ŗ cette opťration, des femmes de qualitť marchandŤrent divers objets prťcieux, et se plaignirent de leur chŤretť. ę_Il paraÓt, Mesdames_, leur dit Mlle Arnould, _que vous voudriez les avoir ŗ prix coŻtant_.Ľ * * * * * Gluck[62] a la gloire d'avoir fait en musique ce que Corneille a fait en poťsie; il a conÁu, il a crťť la vťritable tragťdie lyrique. _Iphigťnie_, _Orphťe_, _Alceste_ et _Armide_ sont des chefs-d'oeuvres qui ne vieilliront jamais. Cependant le mťrite de ce cťlŤbre compositeur ťprouva de violentes critiques. Un Picciniste disait ŗ Mlle Arnould:--L'illusion est dťtruite, la musique de Gluck est tombťe.--_Oui, tombťe du ciel_, rťpondit-elle. [62] Marmontel s'ťtait uni ŗ Piccini pour refaire l'opťra de _Roland_. Les Gluckistes logŤrent le poŽte rue _des Mauvaises-Paroles_, et le musicien rue _des Petits-Champs_. Les Piccinistes prirent leur revanche, et firent placarder que le chevalier Gluck, auteur d'_Iphigťnie_, d'_Orphťe_, d'_Alceste_ et d'_Armide_, logeait rue _du Grand-Hurleur_. * * * * * En 1776, trois nouvelles actrices dťbutŤrent pour le chant ŗ l'Opťra. Mademoiselle Lambert avait une jolie figure, mais point de talent; Mlle Sevri faisait de jolies cadences, mais avait besoin de goŻt; enfin Mlle Monville possťdait une belle voix, mais ťtait gauche au thť‚tre. Ces trois nymphes, qui dťjŗ avaient placť leur honneur ŗ fonds perdu, se promenaient un soir au Palais-Royal. Quelqu'un ayant demandť qui elles ťtaient, Sophie rťpondit: ę_Ce sont trois GRACES qui prennent l'air un peu tard._Ľ (_l'R._) * * * * * Dauberval, cťlŤbre danseur de l'Opťra et compositeur du charmant ballet de _la Fille mal gardťe_, s'ťtait chargť de l'ťducation thť‚trale d'une jolie figurante. Un jour qu'elle avait dansť un nouveau pas, Dauberval dit ŗ ses camarades d'un air satisfait:--Trouvez-vous que mon ťlŤve ait fait des progrŤs?--Sophie Arnould s'apercevant que l'embonpoint de cette danseuse s'augmentait chaque jour, rťpondit aussitŰt:--_Une ťcoliŤre docile doit profiter ŗ vue d'oeil sous un maÓtre tel que vous._ * * * * * Un officier aux gardes nommť de la Roirie devint ťperdument amoureux de Mlle Beaumesnil[63], actrice de l'Opťra, l'enleva ŗ son oncle qui l'entretenait, et non content de cet exploit, voulut l'ťpouser. Ce jeune fou fit part ŗ Sophie de son projet; elle t‚cha de l'en dťtourner, et finit par lui dire: ę_Prenez-y garde, le coeur d'une femme galante est comme une rose dont chaque amant emporte une feuille; il ne reste bientŰt plus que l'ťpine au mari._Ľ [63] Cette nymphe eut la gťnťrositť de refuser les propositions de son amant, qui, de dťsespoir, se retira ŗ la Trappe: il dťmentit en cela le caractŤre national. Lorsqu'un objet fait rťsistance, L'Anglais fier et vain s'en offense; L'Italien est dťsolť; L'Espagnol est inconsolable; L'Allemand se console ŗ table; Le FranÁais est tout consolť. N. M. Gruet, avocat en parlement, et M. A. M., gendre de Mlle Arnould, ont remportť en 1776 le prix de l'Acadťmie franÁaise. Tous les deux, par un pur hasard, avaient choisi pour sujet _les Adieux d'Hector et d'Andromaque_. M. A. M., engouť de ce brillant succŤs, dit ŗ sa belle-mŤre:--Si je ne suis pas de l'Acadťmie ŗ trente ans, je me brŻle la cervelle.--_Taisez-vous, cerveau brŻlť_, rťpartit Sophie. * * * * * Ce littťrateur a fait plusieurs piŤces de thť‚tre, dont une en vers intitulťe _le Rendez-Vous du Mari_, fut reprťsentťe en 1780. Il joua lui-mÍme, au Thť‚tre-FranÁais en 1791, le rŰle de _Nasser_ dans sa tragťdie d'_Abdelasis et Zuleima_, et il rťclama l'indulgence du public dans une fable qu'il lui adressa. Une partie des OEuvres poťtiques de M. A. M. a ťtť imprimťe en 1808, sous le titre d'_Annťe champÍtre_. On y trouve les vers suivans destinťs pour le portrait de Sophie Arnould: Ses gr‚ces, ses talens ont illustrť son nom; Elle a su tout charmer, jusqu'ŗ la jalousie: Alcibiade en elle eŻt cru voir Aspasie, Maurice, Lecouvreur; et Gourville, Ninon. * * * * * M. de *** avait ťpousť deux femmes. La premiŤre ťtait riche et sage; la seconde pauvre et galante. ę_La destinťe de cet homme est singuliŤre_, disait Mlle Arnould; _dans sa jeunesse il a eu la corne d'abondance, et dans sa vieillesse il a l'abondance des cornes_.Ľ * * * * * On avait Űtť ŗ l'auteur du _Devin du Village_ ses entrťes ŗ l'Opťra, ŗ cause de sa Lettre sur la musique. Lorsqu'on voulut les lui rendre:--Pourquoi, dit-il, me dťrangerais-je de si loin pour aller ŗ l'Opťra, tandis que j'ai ŗ ma porte les chouettes de la forÍt de Montmorency?--Mlle Arnould dit en apprenant cette boutade:--_Le goŻt de Jean-Jacques est fort naturel; un hibou[64] doit aimer les chouettes._ [64] Mme N. disait: On reproche ŗ Jean-Jacques d'Ítre un hibou; oui, mais c'est celui de Minerve; et quand je songe au _Devin du Village_, j'ajoute: dťnichť par les Gr‚ces. * * * * * Une trŤs-jolie femme, mais peu spirituelle et fort ennuyeuse, se plaignait d'Ítre obsťdťe par la foule de ses amans. ę_Hť! madame_, lui dit Sophie, _il vous est bien facile de les ťloigner; vous n'avez qu'ŗ parler_.Ľ Robbť de Beauveset logeait et vivait en 1776 chez la duchesse d'Olonne, si fameuse par le dťrťglement de ses moeurs. M. de Laverdi, contrŰleur gťnťral, avait fait obtenir ŗ ce poŽte une pension de 1,200 liv., ŗ condition qu'il brŻlerait tous ses ouvrages licencieux. On regretta surtout un poŽme intitulť _la Jobiade_, dans un des chants duquel les diables assemblťs composent le poison dont ils se proposent d'infecter le vertueux Job, et avec lui le genre humain. Ce morceau ayant paru manuscrit, Sophie Arnould s'ťcria en le lisant: ę_Quelle audace poťtique! Pour peindre_ la cacomonade _avec tant d'ťnergie, il faut que l'auteur soit bien plein de son sujet_[65].Ľ [65] Ce mot a ťtť attribuť ŗ Piron; mais souvent les beaux esprits se rencontrent. Sophie Arnould avait son franc-parler dans tous les lieux oý elle se trouvait. La facilitť avec laquelle elle saisissait l'ŗ-propos, la tournure plaisante qu'elle donnait aux choses les plus sťrieuses, tout en elle faisait goŻter les folies qu'elle dťbitait. Un capitaine de dragons, pour vivre avec plus d'aisance, s'ťtait associť avec une antique beautť qui partageait avec lui son lit, sa table et sa bourse. Un de ses amis le rencontrant au foyer de l'Opťra, persifla son incroyable constance. Sophie dit ŗ cet ťtourdi: ę_Monsieur, une vieille banniŤre est l'honneur du capitaine._Ľ * * * * * Le vieux duc de *** avait pris pour ses menus plaisirs une jeune figurante qui perdit en peu de temps son embonpoint et sa fraÓcheur. On faisait remarquer ŗ Sophie ce changement subit. ę_Hťlas!_ dit-elle, _une jeune fille entre les mains d'un vieillard est un oiseau entre les mains d'un enfant_.Ľ * * * * * En 1777 il y avait dans le bois de Boulogne une espŤce de vide-bouteille nommť _Bagatelle_. Le comte d'Artois en fit l'acquisition, et voulant se satisfaire aux frais de qui il appartiendrait, il paria 100,000 liv. avec la reine que le palais qu'il voulait y faire construire serait commencť et achevť durant le voyage de Fontainebleau, au point d'y donner au retour une fÍte ŗ Sa Majestť. Le pari fut tenu, et ce jardin, dans sa nouveautť, parut avoir ťtť crťť par magie. Mlle Arnould s'y trouvant avec l'architecte Bellanger, ŗ qui l'on doit les dessins de ce charmant sťjour, lui dit: ę_Vous devez Ítre bien satisfait de votre ouvrage; Paris s'occupera longtemps de BAGATELLE._Ľ Sophie avait de fort beaux yeux, et c'est en raison de ce don de la nature que le comte de L. disait en la voyant: _Delicta juventutis meś ne memineris, domine._ Ce seigneur vťcut longtemps avec elle; mais on se lasse de tout, c'est une loi de la nature. Un jour il lui reprochait d'Ítre un peu mťdisante. ę_Si vous m'aimiez encore_, reprit-elle, _vous oublieriez prŤs de moi tous les dťfauts de mon sexe_.Ľ * * * * * M. Turgot[66], qui se retira du ministŤre en 1776, devait supprimer les soixante fermiers gťnťraux lorsqu'il fut disgraciť. ę_Nous l'avons ťchappť belle_, dit Mlle Arnould; _que deviendraient nos domaines si nous n'avions plus de fermiers?_Ľ [66] A cette ťpoque un plaisant fit ainsi le tableau des ministres: Monsieur Turgot brouille tout, Monsieur de Saint-Germain renverse tout, Monsieur de Malesherbes sait tout, Monsieur de Sartines doute de tout, Monsieur de Maurepas rit de tout. * * * * * Les particuliers tirent par-ci par-lŗ quelque douce vengeance des atteintes que leurs fronts reÁoivent souvent de la part des grands. Le prince de *** entrant un soir furtivement chez sa maÓtresse, trouva le chevalier de L. dans une place qu'il croyait avoir le droit exclusif d'occuper, du moins avait-il fait des dťpenses ťnormes pour se l'assurer. Mademoiselle G., chanteuse ŗ l'Opťra, aussi sensible ŗ l'agrťable tournure du capitaine qu'aux hommages ťclatans du vieux gťnťral, partageait ťgalement ses faveurs entre eux. Le prince se retira discrŤtement, et envoya cinq cents louis avec le congť; mais la belle lui tenait au coeur, et quelque temps aprŤs, comme il se plaignait de son inconduite devant Mlle Arnould, elle lui dit en souriant: ę_Monseigneur, la sagesse d'une actrice n'est que l'art de bien fermer les portes._Ľ * * * * * Mlle Laprairie brilla quelque temps sur la scŤne lyrique, et depuis l'homme en place jusqu'ŗ l'artisan, tout ressentit le pouvoir des yeux de cette enchanteresse; elle avait puisť chez l'abbť Terray des goŻts que le prince de Soubise se plut ŗ cultiver. Ce seigneur magnifique lui fit quitter l'Opťra pour n'Ítre plus qu'ŗ lui; ensuite elle abandonna l'amour pour se ranger sous les drapeaux de l'hymen, et Gardel l'aÓnť devint son ťpoux. Quelqu'un disait que cette LaÔs ne serait pas plus fidŤle ŗ son mari qu'elle ne l'avait ťtť ŗ ses amans. Sophie rťpondit: ę_Cela peut Ítre; mais ce qui doit consoler un mari d'Ítre trompť par sa femme, c'est qu'il reste toujours propriťtaire d'un bien-fonds dont les autres n'ont que l'usufruit._Ľ * * * * * D'Alembert ťtait b‚tard de Mme de Tencin, comme Mlle Lespinasse ťtait b‚tarde du cardinal de Tencin. Identitť d'origine et espŤce de parentť, premiŤre cause des liaisons de ces deux personnages qui s'ťtaient connus chez Mme du Deffand, oý Mlle Lespinasse avait fait son apprentissage de bel esprit. Mlle Arnould, qui tenait aussi bureau d'esprit, recevait souvent la visite de Marmontel. Un jour cet acadťmicien vantait avec chaleur Mlle Lespinasse.--_Vous en parlez en amant_, lui dit Sophie.--On peut s'y tromper; l'amitiť n'est-elle pas la soeur de l'amour?--_Je le crois_, reprit-elle, _mais ce n'est pas du mÍme lit_. * * * * * On lui disait que M. ... ťtait tellement indolent et paresseux, qu'il ne faisait absolument rien du matin au soir.--Et Madame, demanda quelqu'un, agit-elle de mÍme?--_C'est la meilleure femme du monde_, rťpondit Sophie; _pour ne pas fatiguer son mari, elle se fait faire ses enfans par d'autres_. * * * * * Un officier aux gardes ayant passť une nuit laborieuse avec Mlle Laguerre, racontait le lendemain au foyer tous les assauts que cette amazone lui avait livrťs sans avoir voulu lui faire aucun quartier. ę_Hť! Monsieur_, lui dit Sophie, _vous deviez savoir que LA GUERRE et LA PITI… ne s'accordent point ensemble_.Ľ * * * * * La marquise d'Aupy, connue par ses galanteries, avait donnť un rendez-vous nocturne au chevalier de C., nouvel adorateur de ses charmes, lorsqu'un f‚cheux survint tout ŗ coup, et troubla les plaisirs qu'elle s'apprÍtait ŗ goŻter. C'ťtait un ancien amant favorisť, le comte de V., mais qui ťtait presque oubliť, parce que son amour durait depuis huit grands jours. Les deux rivaux se rapprochŤrent en riant, et comme aucun des deux ne voulait cťder la place, la marquise, pour les mettre d'accord, leur proposa de jouer ses bontťs dans un cent de piquet. Ces aimables rouťs trouvŤrent l'expťdient unique, et le chevalier fit son adversaire repic et capot. Mlle Arnould entendant raconter cette aventure, s'ťcria: ę_Quelle prťsence d'esprit! On m'avait bien dit que cette femme-lŗ ne perdait jamais LA CARTE._Ľ * * * * * Elle dit un jour ŗ M. Amelot, ŗ l'occasion des troubles qui rťgnaient ŗ l'Opťra en 1776, et de la rigueur que ce ministre dťployait: ę_Vous devez savoir, Monseigneur, qu'il est plus aisť de composer un parlement qu'un opťra_[67]_._Ľ [67] Apostrophe mortifiante pour monsieur Amelot, qui, ťtant intendant de Bourgogne lors des troubles de la magistrature en 1771, contribua ŗ la destruction et reconstruction du parlement de Dijon. * * * * * Quelqu'un mťcontent de la perte d'un procŤs, dťclamait contre les abus qui assiťgent le temple de Thťmis. ę_Ne trouvez-vous pas_, dit Sophie, _que la justice ressemble ŗ une vierge dťguisťe; elle est sollicitťe par le plaideur, tourmentťe par le procureur, cajolťe par l'avocat et soutenue par le juge, qui finit par la violer_.Ľ * * * * * On avait annoncť au Thť‚tre-FranÁais la comťdie du _Misantrope_. L'acteur qui devait en remplir le principal rŰle tomba malade, et la piŤce fut remise. ę_Comment n'a-t-on pas songť ŗ Raucourt?_ dit Mlle Arnould; _elle qui joue si bien le MISANTROPE_.Ľ * * * * * Un ancien danseur de l'Opťra, nommť _Hennequin_, fit la folie de se jeter par la fenÍtre d'un troisiŤme ťtage, de dťsespoir d'avoir ťtť trompť par une prÍtresse du thť‚tre lyrique; ce n'est pas pardonnable ŗ un homme qui devait connaÓtre les _us et coutumes_ de l'Opťra. Sophie dit ŗ ce sujet: ę_De tous les SAUTS que j'ai vus, celui-lŗ est le plus fou._Ľ * * * * * Il parut ŗ l'Opťra en 1777 une danseuse jeune et jolie, nommťe Cťcile. Au talent le plus brillant elle joignait une taille, des gr‚ces, une figure, une fraÓcheur qui sťduisaient tout. Les nombreux amateurs de nouveautťs ťtaient fort empressťs de savoir qui toucherait le coeur de cette novice, et plus d'un richard marchanda ses prťmices; mais cette nymphe, plus tendre qu'intťressťe, donna pour rien ŗ son maÓtre G. un bijou qui lui eŻt valu des monceaux d'or. Cette charmante personne ayant demandť naÔvement ŗ Sophie ce qu'il fallait pour toujours plaire aux hommes, celle-ci rťpondit: ę_Douce humeur, douce peau et douce haleine._Ľ Toutes les filles[68] de l'Opťra et d'ailleurs, instruites du bonheur que Mlle Michelot, jolie figurante dans les ballets, avait eu de plaire au comte d'Artois, enviŤrent son bonheur; mais ce ne fut qu'une simple passade, et la jolie danseuse eut le destin de la rose: elle trouva ensuite d'illustres amans qui lui firent ťprouver le mÍme sort. ę_Cette pauvre Michelot_, dit Sophie, _ressemble ŗ ces vins dont tout le monde veut goŻter, et dont personne ne veut faire son ordinaire_.Ľ [68] Pour ťtablir une hiťrarchie parmi les femmes attachťes aux grands spectacles, on disait les _dames_ de la Comťdie-FranÁaise, les _demoiselles_ de la Comťdie-Italienne, et les _filles_ de l'Opťra. * * * * * Mlle Arnould voulut plusieurs fois quitter le thť‚tre par boutade; elle disait ŗ ceux qui s'ťtonnaient que la gloire n'eŻt plus de charmes pour elle: ę_Quand on a passť les deux tiers de sa vie au grand jour, il est sage de passer le reste ŗ l'ombre._Ľ * * * * * Mlle d'Eon de Beaumont fut un personnage extraordinaire: on la vit successivement avocat, guerrier, ambassadeur et ťcrivain politique. Ses parens dťsirant un fils, cachŤrent, dit-on, son sexe, la vÍtirent en homme et lui en donnŤrent l'ťducation. L'incertitude de son ťtat devint le sujet d'un pari et d'un procŤs considťrable, qui fut terminť au banc du roi, d'aprŤs les dťclarations de Mlle d'Eon, qui s'avoua pour femme. Elle vint ŗ Paris en 1777, et parut ŗ la cour en costume fťminin, avec la _croix_ de Saint-Louis. Quoi qu'il en soit, le sexe de la chevaliŤre d'Eon est encore un problÍme pour beaucoup d'incrťdules. Lorsque Sophie rencontrait cette amazone parťe de sa dťcoration, elle disait en souriant: ę_Voici le mystŤre de la CROIX._Ľ * * * * * Le comte de Maurepas[69], que Louis XVI rappela au ministŤre en montant sur le trŰne, ťtait un grand amateur de jolies filles, et allait souvent ŗ l'Opťra, comme le magasin de cette marchandise. La vieillesse ne lui avait point Űtť ce goŻt-lŗ, et les soucis du gouvernement lui rendaient un tel plaisir encore plus nťcessaire. Ce ministre aimait aussi beaucoup les ouvrages graveleux, et M. Amelot, pour lui plaire, faisait, dit-on, ramasser dans Paris toutes les chansons gaillardes et autres opuscules de ce genre, que la licence des moeurs faisait ťclore. M. de Maurepas disait un soir au foyer de l'Opťra:--Dans ma jeunesse, quand on voulait des femmes, il n'y avait qu'ŗ se baisser et en prendre.--_Mais aujourd'hui, Monseigneur_, rťpartit Sophie, _on n'en prend plus que quand on se relŤve_. [69] En 1775 ce ministre ťtait ŗ l'Opťra la veille d'une ťmeute. On fit ŗ ce sujet l'ťpigramme suivante: Monsieur le comte, on vous demande; Si vous ne mettez le holŗ Le peuple se rťvoltera. --Dites au peuple qu'il attende; Il faut que j'aille ŗ l'Opťra. * * * * * Mme de C. avait conservť dans un ‚ge avancť une profonde sensibilitť; elle ťtait surtout trŤs indulgente pour les faiblesses de son sexe. Un jour elle disait ŗ ce sujet:--Quelle est la femme qui peut se vanter de rťsister ŗ l'ťmotion de ses sens et aux instances d'un homme qui lui plaÓt, rťunis ŗ l'occasion? La plus vertueuse est celle ŗ qui pour cesser de l'Ítre, une de ces circonstances a manquť.--Mlle Arnould applaudit beaucoup ŗ ce discours, et dit en regardant Mme de C.:--_On voit bien que l'Amour a passť par-lŗ._ * * * * * Voltaire ťcrivait de Ferney, le 9 novembre 1777: ęVous avez vu ici le mariage de M. de Florian, vous verriez aujourd'hui celui de M. le marquis de Villette. Je dis marquis, parce qu'il a effectivement une terre ťrigťe en marquisat par le roi pour lui, comme seigneur de sept grosses paroisses, suivant les lois de l'ancienne chevalerie; il est, en outre, possesseur de 40,000 ťcus de rentes; il partage tout cela avec Mlle de Varicourt, qui demeure chez Mme Denis. La jeune personne lui apporte en ťchange dix-sept ans, de la naissance, des gr‚ces, de la vertu, de la prudence; M. de Villette fait un excellent marchť.Ľ Mlle de Varicourt ťtait fille d'un officier des gardes du corps peu ŗ l'aise et ayant douze enfans. Il ťtait question de la faire religieuse, lorsqu'elle fit part ŗ Voltaire de son f‚cheux destin. Le philosophe bienfaisant obtint de la famille qu'elle viendrait passer quelque temps ŗ Ferney. La jeune personne s'y est si bien conduite, qu'elle y a acquis le surnom de _Belle et Bonne_; ce qui dťtermina le marquis de Villette ŗ lui faire sa fortune en l'ťpousant. Quelque temps aprŤs son mariage, il demanda ŗ Mlle Arnould ce qu'elle pensait de sa femme; elle rťpondit: ę_C'est une charmante ťdition de la Pucelle_[70]_._Ľ [70] M. Laus de Boissi ťtant chez Mme de Villette lors de sa premiŤre grossesse, trouva sur la cheminťe un _Mathieu Lśnsberg_. Ah! Madame, s'ťcria-t-il aussitŰt, voici une prophťtie qui vous concerne, et il lut le quatrain suivant qu'il venait de composer, comme s'il l'eŻt trouvť dans l'almanach: De _Belle et Bonne_ il doit naÓtre un enfant Qui recevra le surnom de sa mŤre: Il y joindra gr‚ce, esprit, enjouement; Car il faut bien qu'il tienne de son pŤre. * * * * * Une mendiante enceinte portant ŗ son cou deux enfans, implorait au coin d'une rue la pitiť publique. Un vieux cťlibataire qui donnait le bras ŗ Mlle Arnould, trouva fort ťtrange que cette femme s'occup‚t si constamment de la propagation de sa pauvre espŤce. ę_Que voulez-vous_, reprit Sophie, _ces malheureux n'ont souvent que cela pour souper_.Ľ * * * * * Vestris dťbuta le 18 septembre 1778[71], ŗ l'‚ge de treize ans. Ce cťlŤbre danseur est fils naturel de l'Italien Vestris et de Mlle Allard, d'oý lui vient le surnom de Vestr'Allard, que les Anglais lui ont donnť. Ce fut dans les coulisses que Mlle Allard accoucha. Cette danseuse ťtant enceinte, faisait remarquer ŗ ses camarades comme son enfant remuait. ę_Excellent augure_, dit Sophie; _c'est un pas de ballet qu'il rťpŤte_.Ľ [71] Le jour de ce dťbut son pŤre, le _diou de la danse_, vÍtu d'un riche habit de cour, l'ťpťe au cŰtť, le chapeau sous le bras, se prťsenta avec son fils sur le bord de la scŤne, et, aprŤs avoir adressť au parterre des paroles pleines de dignitť sur la sublimitť de son art et les nobles espťrances que donnait l'auguste hťritier de son nom, il se tourna d'un air imposant vers le jeune candidat, et lui dit: _Allons, mon fils, montrez votre talent au poublic; votre pŤre vous regarde._ * * * * * M. P. ťtait amoureux fou de Mlle Dorival; mais cette jolie danseuse ne pouvait le souffrir. Il en fit faire le portrait qu'il plaÁa sur une tabatiŤre. Un jour il dit ŗ quelques actrices:--Hť bien, Mesdemoiselles, je possŤde enfin Dorival, et je la tiens dans ma poche.--_Il vaudrait bien mieux_, rťpartit Sophie, _que vous l'eussiez dans votre manche_. * * * * * Le marquis de BiŤvre, surnommť le pŤre des calembours, dissertait un jour avec elle sur les divers _esprits_, et il soutenait que ce mot avait toujours besoin d'un commentaire.--Par exemple, disait-il, l'_esprit devin_ des prophŤtes n'est point _l'esprit de sel_ des railleurs; l'_esprit immonde_ des libertins n'est ni l'_esprit fort_ des crocheteurs, ni l'_esprit familier_ des valets, et le _bel esprit_ d'une savante est bien loin du _bon esprit_ d'une mťnagŤre: _esprit_ est donc un terme vague auquel chacun attache un diffťrent _sens_.--_Je suis de votre avis_, rťpliqua Mlle Arnould; _car je connais des gens d'esprit qui n'ont pas le sens commun_. * * * * * M. Campan, valet de chambre de la reine, fit obtenir ŗ M. de VÓmes l'administration gťnťrale de l'Opťra. Le nouvel administrateur s'annonÁa par des rťformes considťrables; il fit graver sur la porte de son bureau ces trois mots en lettres d'or: _Ordre_, _justice_ et _sťvťritť_. Toutes les nymphes de l'Opťra se rťcriŤrent contre cette affiche, et parvinrent ŗ faire rayer le mot _sťvťritť_. Malgrť son zŤle et son courage, M. de VÓmes ne put rťformer un grand nombre d'abus sans dťplaire aux grandes puissances, sans rťvolter contre lui tous les ordres de l'ťtat confiť ŗ sa tutelle. On prťsagea que son ministŤre ne serait pas de longue durťe, ce qui est arrivť; et le peu d'ťgard qu'il eut aux principes reÁus et aux anciens usages le fit surnommer par Mlle Arnould ę_le Turgot de l'Opťra_.Ľ * * * * * Un fat se plaignait de la dťpense qu'il ťtait obligť de faire pour nourrir ses chevaux. Quelqu'un lui dit:--Au lieu d'avoir tant de bÍtes dans votre ťcurie, que ne rťservez-vous une partie de votre revenu pour vous procurer la compagnie des gens d'esprit?--Mes chevaux me traÓnent, rťpondit le fat; et entre nous, les gens d'esprit...--_Les gens d'esprit_, rťpartit Sophie, _vous portent sur leurs ťpaules_. Pendant le dernier sťjour que Voltaire fit ŗ Paris en 1778[72], il alla faire une visite ŗ Mlle Arnould: on l'en avait prťvenue, et pour mieux fÍter le grand homme, elle rassembla une partie de sa famille. AussitŰt que Voltaire entra dans l'appartement, tous les enfans se jetŤrent ŗ son cou.--_Vous voulez m'embrasser_, leur dit-il, _et je n'ai plus de visage_.--La conversation s'engagea, et le poŽte dit ŗ Sophie:--Ah! Mademoiselle, j'ai quatre-vingt-quatre ans, et j'ai fait quatre-vingt-quatre sottises.--_Belle bagatelle_, reprit l'actrice; _moi qui n'en ai pas quarante, j'en ai fait plus de mille_. [72] Voltaire ťtait logť chez le marquis de Villette, qui, jouissant peut-Ítre avec trop de vanitť du bonheur de montrer son hŰte ŗ tout Paris, s'attira ce quatrain: Petit Villette, c'est en vain Que vous prťtendez ŗ la gloire; Vous ne serez jamais qu'un nain Qui montre un gťant ŗ la foire. * * * * * Mlle Arnould avait une fille assez laide et fort rousse. Cet enfant de l'amour ayant atteint l'‚ge de pubertť sans avoir fait un faux pas, un malin observa que sa couleur ne contribuait pas peu ŗ la maintenir sage. ę_Vous avez raison_, rťpartit Sophie, _ma fille est comme Samson; sa force est dans ses cheveux_.Ľ * * * * * En 1778 Monvel fit dťbuter au Thť‚tre-FranÁais une demoiselle _Mars_, qui pour un moment produisit le concours occasionnť prťcťdemment par Mlle Raucourt. Cette actrice ťtait douťe d'une belle figure, d'une taille haute et d'un bel organe, mais elle n'avait pas assez de talens pour se soutenir sur la scŤne franÁaise. Un amateur engouť de la dťbutante, fit faire son portrait par un artiste qui la peignit extrÍmement p‚le. ę_O ciel!_ s'ťcria Sophie en le voyant, _est-ce qu'on a peint MARS en carÍme?_Ľ * * * * * Le mťdecin Guibert de Prťval dissertait sur les avantages de son art. ę_Mon cher docteur_, lui dit-elle, _quand je vous vois traiter un malade, il me semble voir un enfant qui mouche une chandelle_.Ľ * * * * * Mlle Duplant, qui remplissait ŗ l'Opťra les rŰles ŗ baguette, ťtait d'une corpulence volumineuse; il se prťsenta pour la doubler une actrice de province qui avait une fort belle voix, mais dont la taille effilťe contrastait singuliŤrement avec celle de Mlle Duplant. Elle ne fut pas reÁue, et Sophie dit plaisamment: ę_Si cette femme tient tant aux rŰles ŗ baguettes, que ne se fait-elle fusťe volante._Ľ * * * * * C'est aux Chinois que les Anglais doivent l'art de composer les jardins paysagistes[73], nommťs abusivement _jardins anglais_. Sophie alla visiter dans sa nouveautť celui que M. Boutin avait fait construire, et qui s'appelle maintenant _Tivoli_. En voyant la bizarrerie de tous les objets qu'on y a rassemblťs, elle s'ťcria:--_On a mis ici la nature en mascarade._--Mais remarquez donc cette jolie riviŤre.--_Oh! oui_, reprit-elle, _cela ressemble ŗ une riviŤre comme deux gouttes d'eau_. [73] La plus belle promenade d'AthŤnes s'appelait _le Cťramique_, d'un mot grec qui signifie _tuile_, origine semblable ŗ celle du plus beau jardin de Paris, qu'on nomme _les Tuileries_. On sait que le cťlŤbre LenŰtre en a dirigť l'exťcution. Sur la forme d'un beau jardin Si le goŻt devient incertain, Anglais, Chinois gardez le vŰtre; Car jamais vous n'aurez _LenŰtre_. * * * * * Un jour qu'il y avait une grande rťunion au concert spirituel qui se donnait aux Tuileries pendant la quinzaine de P‚ques, on fit passer les musiciens dans la salle du conseil. ę_S'accorder dans une salle de conseil_, dit Sophie, _c'est un vrai tour de page_.Ľ * * * * * On lui demandait pourquoi Mlle V., son amie, avait quittť un certain acteur qu'elle avait comblť de ses bontťs.--_Les hommes sont si trompeurs_, rťpondit-elle.--Cet amant semblait cependant la payer de retour.--_Comme cela_, reprit Sophie; _il ťtait assez bien pour la reprťsentation, mais il manquait toujours aux rťpťtitions_. * * * * * On sait que Mlle R.[74] a passť pour avoir, comme la chevaliŤre d'Eon, un sexe fort ťquivoque. Un ťtranger se trouvant avec cette actrice l'appelait _Madame_. Sophie qui l'entendit reprit aussitŰt: ę_Dites MADEMOISELLE, ou plutŰt MONSIEUR._Ľ [74] Cette nymphe reÁut un jour ce madrigal: Pour te fÍter, belle R., Que n'ai-je obtenu la puissance De changer vingt fois en un jour Et de sexe et de jouissance! Oui, je voudrais pour t'exprimer Jusqu'ŗ quel degrť tu m'es chŤre, Etre jeune homme pour t'aimer, Et jeune fille pour te plaire. Une jeune dťbutante[75] qui passait pour un petit dragon de vertu, avait appris un pas fort difficile qu'elle n'osait rťpťter en public: enfin elle s'enhardit et rťussit complŤtement.--Ah! dit-elle en rentrant dans la coulisse, que j'ai eu de peine ŗ faire ce pas-lŗ.--_Bah!_ reprit Sophie, _il n'y a que le premier PAS qui coŻte_. [75] Barthe, dans ses Statuts pour l'Opťra, adresse aux dťbutantes l'article suivant: Pour toute jeune dťbutante Qui veut entrer dans les ballets, Quatre examens au moins c'est la forme constante; Primo, le duc qui la prťsente, Y compris l'intendant et les premiers valets: Ceux-ci prŤs de la nymphe ont droit de prťsťance; Secundo, nous, ses directeurs; Tertio, son maÓtre de danse; Quarto, pas plus de trois acteurs. Une courtisane nommťe Dorval avait ťpousť depuis peu le marquis d'Aubard. Un soir que cette LaÔs ťtait ŗ l'Opťra dans une parure ťblouissante, quelqu'un demanda ŗ Mlle Arnould qui ťtait cette grande dame. ę_C'est une petite personne_, rťpondit-elle, _qui s'est laissť tomber d'un quatriŤme ťtage dans un carrosse sans se faire de mal_.Ľ * * * * * La galanterie n'est guŤre connue qu'en France, oý la mode qui influe sur les moeurs fait consister la gloire d'un sexe dans ce qui fait la honte de l'autre, dans la manie des bonnes fortunes; mais les coureurs de ruelles font souvent des dupes. Sophie disait de M. L. qui affichait de grandes prťtentions en amour: ę_Cet homme n'a que le premier jet._Ľ * * * * * Dugazon ťtait regardť comme un excellent mime; c'ťtait un bouffon du premier ordre sur la scŤne, et mÍme dans la sociťtť; mais il avait le dťfaut de trop charger ses rŰles, et ŗ force de vouloir faire rire il manquait quelquefois son but. On demandait ŗ Mlle Arnould ce qu'elle pensait de cet acteur. ę_C'est un bon comťdien_, rťpondit-elle, _plaisanterie ŗ part_.Ľ * * * * * Mlle Laguerre unissait souvent l'Amour et Bacchus, et rarement elle montait sur le thť‚tre sans avoir sablť quelques verres de Champagne. Le lendemain d'une orgie qu'elle avait faite chez M. Haudry de Souci, riche fermier gťnťral dont elle ťpuisait la fortune, cette actrice dit ŗ ses camarades qu'elle avait bu de toutes sortes de vins. ę_Je gage_, reprit Sophie, _que tu n'as jamais goŻtť celui de Constance_.Ľ M. de Chalabre ťtait fils d'un joueur renommť. Le jeu avait fait passer de pŤre en fils dans cette famille une assez belle fortune que les faveurs de la cour accrurent encore. Mlle Arnould passant auprŤs d'une terre que ce joueur venait d'acheter, quelqu'un lui en fit remarquer l'habitation. ę_Oh! oh!_ dit-elle, _c'est bien fort pour un ch‚teau de CARTES_.Ľ * * * * * Un jour qu'elle avait dťployť dans un cercle brillant toutes les gr‚ces de son esprit, une dame, connue par son amabilitť, lui dit avec enthousiasme:--Jamais, Mademoiselle, je n'ai entendu parler avec autant de charmes.--_Madame n'est donc pas une femme qui s'ťcoute?_ rťpondit-elle. * * * * * Voltaire, dans ses derniers jours, ne pouvait voir sans un violent chagrin qu'on se permÓt ŗ l'Opťra d'estropier nos belles tragťdies; il entendait parler d'_Electre_; il tremblait pour _Alzire_, pour _Sťmiramis_, pour _TancrŤde_. ę_J'approuve fort M. de Voltaire_, dit Sophie; _un bon pŤre doit craindre que ses enfans ne se g‚tent ŗ l'Opťra_.Ľ * * * * * Le comte de Merci Argenteau, ambassadeur d'Autriche, devint tellement amoureux de Mlle Levasseur, qu'il lui acheta une baronnie de 25,000 liv. de rentes, lui fit construire un hŰtel, et la combla de biens. Son excellence voulut en 1779 la faire renoncer ŗ l'Opťra; mais l'amour de son art l'empÍcha d'y consentir, et elle ne se retira qu'en 1788. Cette actrice fut pendant quelques annťes l'un des soutiens des ouvrages de Gluck. Un jour que l'on donnait _Alceste_, un dťtracteur de cette nouveautť s'ťcria au second acte:--Ah! Rosalie, vous m'arrachez les oreilles.--_Ah! Monsieur, quelle fortune_, rťpliqua Sophie, _si c'ťtait pour vous en donner d'autres_! * * * * * M. de J. possťdait en mÍme temps la feuille des bťnťfices et la maigre G.[76]. Ce voluptueux prťlat lui portait beaucoup d'intťrÍt, et partageait avec elle et une de ses niŤces le fruit de ses simonies. Sophie disait de sa camarade G.: ę_Je ne conÁois pas comment ce petit ver ŗ soie n'est pas plus gras; il vit sur une si bonne FEUILLE!_Ľ [76] Un jour que cette danseuse jouait le rŰle de _Campaspe_ dans le ballet d'_Alexandre_, Favart lui adressa ces vers: Dans ce ballet, nouvelle Terpsichore, Vous prťsentez ŗ nos regards surpris La superbe Pallas, la sensible Cypris, La lťgŤre Diane et la charmante Flore. Sous leurs diffťrens attributs Tous les coeurs sont forcťs de vous rendre les armes. Eh! le moyen de braver tant de charmes? Si l'on rťsiste ŗ Flore, on est pris par Vťnus. * * * * * Voltaire, peu de temps avant sa mort, voulant faire jouer sa tragťdie d'_IrŤne_, toute la troupe des comťdiens franÁais alla chez lui. Le poŽte dit ŗ Mme Vestris qui devait remplir le rŰle principal:--Madame, j'ai travaillť pour vous cette nuit comme un jeune homme de vingt ans.--Sophie Arnould, prťsente ŗ cette audience, reprit avec sa malice ordinaire:--_Au moins, ce n'a pas ťtť sans rature._ * * * * * Volange dťbarrassa Mlle Laguerre d'une partie des dťpouilles du duc de Bouillon, et ce fut avec cet acteur forain qu'elle contracta le goŻt de dťbauche qui l'entraÓna dans la tombe au milieu de son printemps. La santť de cette actrice se trouvant dťrangťe par suite de ses nombreux excŤs, tous ses amis dťploraient sa triste situation. ę_Hťlas!_ dit Sophie, _c'est un si rude mťtier que celui de LA GUERRE_.Ľ * * * * * Plusieurs peintres avaient travaillť ŗ un portrait de saint Louis destinť pour les Invalides, et n'avaient pu y rťussir complŤtement. Lors de l'exposition, Mlle Arnould dit: ę_Jamais le proverbe_ gueux comme peintre _ne s'est mieux vťrifiť qu'aujourd'hui, car ŗ dix ils n'ont pu faire CINQ LOUIS_. (saint Louis.)Ľ * * * * * Mlle Levasseur, veuve de J.-J. Rousseau, qui de sa servante ťtait devenue sa femme[77], rentra dans son premier ťtat en ťpousant le nommť _Montretout_, laquais du marquis de Girardin, seigneur d'Ermenonville, chez lequel le philosophe s'ťtait retirť. M. de Girardin fut indignť de la bassesse de cette femme, et tous les partisans de Jean-Jacques le furent ťgalement de lui avoir vu placer son affection dans une telle compagne. ę_Pourquoi bl‚mer le choix de cette veuve?_ dit Sophie; _elle ťpouse un homme qui n'a rien de cachť pour elle, et dans tous les ťtats de la vie on aime mieux son ťgal que son maÓtre_.Ľ [77] M. Lebegue de Presle, mťdecin et ami de J.-J. Rousseau, ťtant allť le voir ŗ Ermenonville quelque temps avant sa mort, il le trouva montant pťniblement de sa cave, et lui demanda pourquoi ŗ son ‚ge il ne confiait pas ce soin ŗ Mme Rousseau? _Que voulez-vous?_ rťpondit-il; _quand elle y va elle y reste_. * * * * * Elle avait une affaire de cheminťe avec le ministre qui administrait le dťpartement de Paris. M. Thomas, chargť d'arranger cela, lui dit:--Mademoiselle, j'ai eu occasion de voir M. le duc de la VrilliŤre et de l'entretenir de votre cheminťe. Je lui ai d'abord parlť en citoyen, ensuite en philosophe.--_Eh! Monsieur_, reprit-elle vivement, _ce n'ťtait ni en citoyen ni en philosophe; c'ťtait en ramoneur qu'il fallait lui parler_. * * * * * Mlle Clťophile quitta le thť‚tre pour se livrer entiŤrement aux aventures galantes. Un mal d'aventure lui ayant enlevť le palais de la bouche, on le lui remplaÁa par une feuille d'or, ce qui la faisait nasillonner d'une maniŤre dťsagrťable. Cette disgr‚ce la rendit sage; elle donna dans les beaux-esprits et les philosophes. La Harpe devint amoureux fou de cette nymphe[78]; il menait ses confrŤres chez elle, et osa un jour l'introduire ŗ l'Acadťmie, oý il la plaÁa parmi les femmes les plus honnÍtes. Cette courtisane avait des prťtentions ŗ l'esprit, citait beaucoup et faisait souvent des _quiproquo_. Se trouvant dans un cercle prŤs de Mlle Arnould, elle commit un anachronisme fort ridicule. ę_Hť bien_, s'ťcria Sophie, _il y a cependant trente ans que Mademoiselle ťtudie l'HISTOIRE_.Ľ [78] Ce poŽte, dans son enthousiasme, lui adressa une chanson remplie de gr‚ce et de sentiment. En voici un couplet: Quoiqu'Amour m'ait dans ses chaÓnes Engagť plus d'une fois, Quoiqu'Amour, malgrť ses peines, M'ait fait adorer ses lois, Par une erreur trŤs facile Dans un coeur bien enflammť, Je crois, prŤs de Clťophile, N'avoir pas encore aimť. * * * * * Mme M. avait, comme on le sait, les cheveux d'un blond fort ťquivoque. Quelqu'un demanda ŗ Mlle Arnould s'il ťtait vrai qu'un certain lord fŻt amoureux de sa fille? ę_Je n'ai pas encore ouÔ-dire_, rťpondit-elle, _qu'aucun Anglais ait fait la conquÍte de la toison d'or_.Ľ * * * * * Mlle Duplant ťtait une belle femme. Cette actrice, en jouant le rŰle de _Circť_, avait appris ŗ charmer les amans fortunťs qui se prťsentaient. Sa cupiditť lui ayant fait quitter le comte de D. pour un riche boucher dont nous avons dťjŗ parlť, quelqu'un s'ťtonna que cette LaÔs ne sŻt pas distinguer un gentilhomme d'un homme de la plus vile _espŤce_. ę_Chacun a son prix_, rťpartit Sophie; _mais en fait d'espŤce, un homme de quantitť vaut mieux qu'un homme de qualitť_.Ľ * * * * * Son jockey ťtant revenu tout crottť de faire une commission pressťe:--_Oý diable t'es-tu donc mis?_ lui dit-elle.--Je courais si fort que je suis tombť dans le ruisseau.--_Je ne t'avais pas dit_, reprit-elle, _d'aller ventre ŗ terre_. * * * * * M. Moline fit reprťsenter en 1780 une pastorale intitulťe _Laure et Pťtrarque_. Il se trouvait alors ŗ l'Opťra une figurante nommťe _Laure_, qui sortant de jouer dans cette piŤce se plaignit en rentrant au foyer d'un grand mal de coeur. ę_Je gage_, dit Sophie, _que cette jeune fille porte avec elle les OEuvres de Pťtrarque_.Ľ * * * * * Depuis longtemps M. de L. avait coutume de passer avec elle toutes ses soirťes d'hiver. Un jour il voulait s'en excuser sous quelque prťtexte; mais ce fut en vain, et aprŤs maintes sollicitations auxquelles il ne put rťsister, elle finit par lui dire: ę_Mon cher comte, quand on a brŻlť des mÍmes feux, il faut cracher sur les mÍmes tisons._Ľ * * * * * Lorsque Mlle G. ťtait la maÓtresse de M. de J., on lui prťsenta un jeune abbť en la priant de lui faire obtenir un bťnťfice. La prÍtresse de Terpsichore demanda gravement:--_A-t-il des moeurs?_--Celui qui rapportait cette anecdote ajouta:--La question de Mlle G. est d'autant mieux fondťe qu'elle connaÓt _la morale_.--_Oui_, rťpartit Sophie, _comme les voleurs connaissent la marťchaussťe_. * * * * * Le marquis de BiŤvre dťjeŻnant un jour chez elle, on servit un melon auquel il reprocha d'avoir _les p‚les couleurs_. ę_N'en soyez point surpris_, reprit Sophie, _c'est qu'il relŤve de COUCHE_.Ľ * * * * * Un banquier fort sot personnage ayant obtenu ŗ prix d'or les faveurs de Mlle A., actrice des Italiens, ťtait dans une sociťtť oý se trouvait Mlle Arnould. Notre Midas, en vantant toutes ses conquÍtes, parla d'A., et dit que la belle l'avait _grandement logť_. ę_Cela doit Ítre_, reprit Sophie qui voulait venger sa camarade, _car elle m'a dit qu'elle ne pensait pas que vous eussiez un si petit train_.Ľ * * * * * Les premiŤres reprťsentations de _la Veuve du Malabar_[79] furent mal accueillies; mais Le Mierre, ŗ la faveur de quelques corrections, obtint que cette _Veuve eŻt ses reprises_, et elle reparut dans le monde avec un peu plus d'ťclat. Comme le succŤs de cette piŤce tenait au perfectionnement du _bŻcher_, Sophie dit: ę_Qu'entre la Veuve du Malabar de 1770 et celle de 1780, il y avait la diffťrence d'une falourde ŗ une voie de bois._Ľ [79] Un provincial venait d'arriver ŗ Paris; son hŰte lui demanda s'il voulait voir _la Veuve du Malabar_.--_Ah! que nenni_, reprit-il; _je m'en tiendrai, s'il vous plaÓt, ŗ ma femme_. * * * * * Barthe ťtait un auteur pťtri d'amour-propre, et assez ignorant de tout ce qui n'avait pas rapport au thť‚tre et ŗ la poťsie; c'ťtait presque un second Poinsinet, qui prÍtait singuliŤrement aux mystifications. Mlle Arnould voulant s'en amuser forma un grand souper dont il ťtait; elle avait donnť le mot ŗ Volange, que le rŰle de _Jeannot_ rendait alors cťlŤbre. Ce farceur se fit annoncer sous le nom du _chevalier de Mťdicis_, qu'on dit ŗ Barthe Ítre un b‚tard de la maison de ce nom. Ce seigneur parut le distinguer entre tous les convives, le prit ŗ l'ťcart, lui parla de tous ses ouvrages avec admiration; ce qui excita celle du poŽte, auquel il proposa de faire un poŽme ťpique en l'honneur de sa maison. Cette farce dura pendant tout le repas: enfin, au moment oý Barthe ťtait le plus enchantť de l'Italien, la maÓtresse de la maison demanda un verre, et regardant le prťtendu chevalier: _ŗ ta santť, Jeannot_. On peut juger combien Barthe fut dťcontenancť; il devint le plastron de mille quolibets, et _Jeannot_ ne fut pas des derniers ŗ le turlupiner. * * * * * Un ancien musicien de l'Opťra venait d'ťpouser une femme jeune et jolie. Ce bon mari vantait sans cesse la fidťlitť de sa compagne. ę_Si cela ťtait_, lui dit Sophie, _auriez-vous tant d'amis_?Ľ * * * * * En 1780 un grand nombre d'amateurs dťsirant conserver la mťmoire des cinq plus parfaites danseuses de l'Opťra qui existaient alors, sollicitŤrent le sieur Machy, sculpteur, d'en perpťtuer les traits. En consťquence il ouvrit une souscription. Mlle Guimard devait Ítre reprťsentťe en _Terpsichore_; Mlle Heynel en _nymphe_; Mlles Allard et Peslin en _bacchantes_, et Mlle Thťodore en _bergŤre_. Ces statues ťtant principalement destinťes aux boudoirs et aux petits rťduits, devaient Ítre en _biscuit_ de huit pouces de hauteur. Un amant de Mlle Heynel ťtant sur le point de retourner en Angleterre, Sophie lui dit en riant: ę_J'espŤre, Monsieur, que vous ne vous embarquerez pas sans BISCUIT._Ľ * * * * * Le thť‚tre de l'Opťra fut dťtruit pour la seconde fois le 8 juin 1781. A peine le spectacle ťtait-il fini, que le sťjour des gr‚ces et des divinitťs, que tous ces palais, ces temples magnifiques, ces bosquets enchanteurs devinrent tout ŗ coup la proie des flammes. Un cruel incendie consuma la salle; plusieurs personnes pťrirent; le feu dura pendant huit jours. Le lendemain matin le peuple regardait les affreux ravages du feu avec un visage consternť. BientŰt une voiture chargťe de costumes ťchappťs aux flammes traversa la place du Palais-Royal. Un crocheteur s'avisa de mettre sur sa tÍte un casque qu'il trouva sous sa main; il se couvrit ensuite d'un manteau de pourpre. Debout sur la charrette, comme un vainqueur qui fait son entrťe dans un char de triomphe, il attira les regards du public, dont la tristesse se changea tout ŗ coup en ťclats de rire. Voilŗ le chagrin du FranÁais. Quelques jours aprŤs il y eut des ťtoffes couleur de feu d'Opťra. Mlle Arnould voyant ses camarades se dťsoler de la perte qu'ils ťprouvaient, leur dit en soupirant: ę_Hťlas! mes amis, ne sommes-nous pas tous condamnťs au FEU?_Ľ * * * * * A la seconde reprťsentation d'_Iphigťnie en Tauride_ (en janvier 1781), Mlle Laguerre qui en remplissait le principal rŰle ťtait ivre[80], mais ivre au point de chanceler sur la scŤne et de se rendre fort incommode ŗ toutes les prÍtresses empressťes de la soutenir. Tous les secours qui pouvaient dissiper promptement les vapeurs qui offusquaient encore le cerveau de la princesse lui furent administrťs dans l'intervalle du second acte, et la mirent en ťtat de chanter avec plus de dťcence dans les deux derniers. Quelqu'un ayant demandť si cette actrice jouait Iphigťnie en Aulide ou en Tauride: ę_Non, Monsieur_, rťpondit Sophie, _c'est Iphigťnie en Champagne_.Ľ [80] On lui adressa le lendemain ce _madrigal_: Vous chantez comme une syrŤne, Vous buvez autant que SilŤne, Et vous aimez mieux que Cypris; Des plaisirs vous Ítes la reine: Partout vous remportez le prix, A la table, au lit, sur la scŤne. * * * * * M*** dťbuta au Thť‚tre-FranÁais en 1770; il fut le contemporain de _Lekain_, de _Brisard_, de _Prťville_, et son nom s'associe naturellement ŗ ces noms cťlŤbres. Cet acteur a produit plusieurs ouvrages dramatiques qui ont joui d'un grand succŤs; mais sa moralitť ne rťpondait pas ŗ ses talens. Accusť d'un pťchť que les dames ne pardonnent pas, il se rťfugia en SuŤde oý il fut bien accueilli du roi qui lui fit une pension de 20,000 liv. pour Ítre son lecteur et l'un des premiers comťdiens de sa capitale. Sa fuite ayant eu lieu ŗ l'ťpoque de l'embrasement de l'Opťra: ę_Je ne suis point surprise du dťpart de M***_, dit Mlle Arnould; _voilŗ tant d'incendies; le pauvre garÁon a craint la brŻlure_.Ľ * * * * * Mlle LefŤvre[81], seconde femme de Dugazon, dťbuta ŗ la Comťdie-Italienne le 19 juin 1777 par le rŰle de Pauline dans _le Sylvain_; elle se montra l'ťmule de Mme Favart, marcha de prŤs sur ses traces, et comme elle contribua au succŤs de plusieurs ouvrages dramatiques; _Nina_ ou _la Folle par amour_ fut son triomphe. Sa beautť compromit plus d'une fois sa vertu, et son mari ťtait le premier ŗ la dťcrier. ę_Cet homme est bien inconsťquent_, disait Sophie; _il peut penser de sa femme tout ce qu'il voudra, mais il ne faut pas en dťgoŻter les autres_.Ľ [81] Cette actrice ťtant allť jouer ŗ Amiens, un jeune homme lui offrit son coeur et vingt-cinq louis; elle le toise avec dignitť et lui dit d'un ton imposant: _Jeune homme, gardez votre hommage et vos vingt-cinq louis; si vous me plaisiez je vous en donnerais cent._ * * * * * Mlle Thťodore ne se dťtermina ŗ danser sur le thť‚tre que par complaisance pour son maÓtre Lany, jaloux de prouver au public qu'il ťtait en ťtat de transmettre son talent. Cette charmante personne nourrissait son esprit des ouvrages de J.-J. Rousseau, et lorsqu'elle entra ŗ l'Opťra, elle ťcrivit ŗ ce philosophe austŤre pour lui demander des instructions sur la maniŤre de s'y conduire. Jean-Jacques fut flattť d'un pareil hommage, et ne dťdaigna pas de rťpondre ŗ sa lettre. Sophie qui avait peu de confiance dans cette belle affiche, et qui ne croyait pas qu'on pŻt Ítre sage et danser ŗ l'Opťra, dit ŗ quelqu'un qui prŰnait Mlle Thťodore: ę_Ne voyez-vous pas qu'elle veut arriver au vice par le chemin de la vertu?_Ľ * * * * * M. Blanchard, qui depuis est devenu un cťlŤbre aťronaute, annonÁa au mois d'aoŻt 1782 qu'il naviguerait dans les airs au moyen d'un bateau volant. Ce projet rappela la folie de M. Desforges, chanoine d'Etampes, qui, voulant aussi traverser les airs en cabriolet, se cassa le cou dans son jardin, et celle du marquis de Baqueville qui, de son hŰtel de la rue de Baune, au moyen de deux ailes ŗ ressorts, alla tomber sur un des bateaux qui couvrent la Seine, en se brisant les os. Ces essais malheureux ne dťgoŻtŤrent point M. Blanchard, qui fit insťrer dans les Petites-Affiches une lettre assez platement ťcrite sur les rťsultats de son expťrience. Mlle Arnould dit ŗ ce sujet: ę_Avec cet esprit-lŗ, M. Blanchard[82] s'ennuiera bien en l'air._Ľ [82] Cet aťronaute ayant fait en 1784 une ascension malheureuse, on chanta le couplet suivant, qu'on pourrait appliquer ŗ plusieurs de ses confrŤres: Au champ de Mars il s'enrŰla, Au champ voisin il resta lŗ, Beaucoup d'argent il ramassa, _Sic itur ad astra_. * * * * * Un danseur ŗ l'Opťra ayant ťtť trouvť couchť avec une soeur du couvent de Saint-Mandť, cette religieuse fut conduite dans une maison de force, et son amant au Fort-l'EvÍque. Cette soeur avait ťtť femme de chambre de Mme Dubarri, lui avait donnť de la jalousie, et avait ťtť obligťe de prendre le voile pour se soustraire ŗ la vengeance de sa maÓtresse. Lorsque Sophie apprit son incartade, elle dit: ę_J'ai toujours pensť que cette fille ne serait qu'une soeur CONVERSE._Ľ * * * * * Le poŽte Barthe, dont nous avons dťjŗ parlť, avait autant de ridicules que d'esprit, et l'on s'amusait souvent ŗ ses dťpens. Un jour qu'il se f‚chait des ťpigrammes qu'on lui lanÁait: ę_Calmez-vous_, lui dit Mlle Arnould; _ne savez-vous pas que ce n'est qu'aux arbres ŗ fruit que les vauriens jettent des pierres_.Ľ Elle avait un petit chien auquel elle ťtait fort attachťe; il tomba malade; on le porta chez le fameux _Mesmer_[83], qui magnťtisa l'animal. Le malade ťprouva la crise la plus favorable; il guťrit. On le rapporte ŗ sa maÓtresse, qui donne gaÓment un certificat de guťrison; mais le lendemain le chien meurt. ę_Au moins_, dit Sophie, _je n'ai rien ŗ me reprocher; le pauvre animal est mort en parfaite santť_.Ľ [83] Un anti-mesmeriste fit alors circuler cette ťpigramme: Le magnťtisme est aux abois; La Facultť, l'Acadťmie L'ont condamnť tout d'une voix, Et mÍme couvert d'infamie. AprŤs ce jugement bien sage et bien lťgal, Si quelqu'esprit original Persiste encor dans son dťlire, Il sera permis de lui dire: Crois au magnťtisme.... animal. Mlle L***, de la Comťdie-FranÁaise, ťtait entretenue par M. Landry, receveur gťnťral des finances, qui lui prodiguait l'argent avec un luxe digne de sa qualitť. Ce financier la quitta, quoiqu'il en eŻt des enfans, et ťpousa une autre courtisane. Un tel abandon donna de l'humeur ŗ la charmante L*** dont la santť pťriclitait depuis longtemps. DťgoŻtťe des vains plaisirs de ce monde, elle devint l'ťdification du public, et ne joua pas moins bien le rŰle de dťvote que celui de soubrette. Mlle Arnould, apprenant que cette nťophyte voulait aller vivre dans un couvent, s'ťcria: ę_Oh! la friponne; elle s'est fait sainte en apprenant que Jťsus s'est fait homme._Ľ * * * * * M. G..., fils d'un avocat de Bordeaux, vint ŗ Paris en 1782; il ťtait douť de l'organe le plus beau et le plus merveilleux. Il contrefaisait, ŗ s'y tromper, toutes les voix des acteurs et des actrices, tous les instrumens d'un orchestre; ŗ lui seul il exťcutait un opťra: ce talent unique l'eut bientŰt faufilť parmi les filles du haut style; c'ťtait ŗ qui l'aurait. Quand il eut chantť, dans l'oratorio d'Haydn, le rŰle d'_Uriel_, Sophie dit: ę_Je n'avais pas besoin de le voir ici pour savoir qu'il chantait comme un ANGE._[84]Ľ [84] Un amateur qui avait admirť aux concerts de Feydeau les talens de M. G., observait qu'il n'avait cependant qu'un petit filet de voix.--Tudieu! reprit quelqu'un qui pendant la romance avait ťvaluť la recette, vous appelez cela un _petit filet_, qui pÍche huit mille francs dans la poche des Parisiens! DŤs que le drame d'_Henriette_ eŻt ťtť jouť, la critique ne respecta ni le sexe ni les goŻts de l'auteur. Quelqu'un dit alors que Mlle R... employait mal sa langue. ę_Certainement_, ajouta Sophie, _car souvent elle se sert du fťminin au lieu du masculin_.Ľ * * * * * Mlle Aurore, ťlŤve de l'Acadťmie royale de Musique, aimait la littťrature et les beaux-arts. Voulant perfectionner ses talens, elle s'adressa ŗ Mlle R..., et rťclama sa bienveillance par des vers assez bien faits. Les goŻts de cette actrice lui ayant dťplu, elle se tourna du cŰtť de Mlle Arnould, et lui proposa de la guider dans la carriŤre du thť‚tre. Celle-ci y consentit; mais trouvant cette jeune personne plus sage qu'elle ne le pensait, elle lui dit: ę_Prends-y garde_, ma chŤre amie, _Dieu a maudit un figuier prťcisťment parce qu'il ressemblait ŗ une vierge_.Ľ * * * * * Le comte de L..., connu pour avoir ťtť l'un des plus aimables seigneurs de l'ancienne cour, avait dans le caractŤre un fond de bizarrerie qui le rendait quelquefois difficile ŗ vivre. Tour ŗ tour caressant et brusque, tendre et grondeur, jaloux et volage, il voulait rťgner en maÓtre sur le coeur de ses maÓtresses. Sa libťralitť seule excusait ses dťfauts, et l'on sait que l'inconstance de ses goŻts ťpuisa son immense fortune. Sophie lui fut toujours attachťe, et dans le calme de l'‚ge mŻr elle regrettait encore le temps orageux de ses premiŤres amours. Elle en causait un jour avec RulhiŤres; et, lui racontant les fureurs de son premier amant, elle ajouta avec une naÔvetť charmante: ę_Ah! c'ťtait le bon temps; j'ťtais bien malheureuse._Ľ * * * * * En 1782 le prince de Guťmenť, grand chambellan de France, fit une faillite d'environ vingt-cinq millions[85]; ce fut une dťsolation gťnťrale dans tout Paris, tant le nombre des crťanciers ťtait considťrable. Mlle Arnould y perdit trente mille francs. Un de ses amis dťplorait ce f‚cheux ťvťnement: ę_Hťlas!_ dit-elle, _ce qui vient de la flŻte retourne au tambour_.Ľ [85] Le jeune Vestris ayant fait ŗ son pŤre des mťmoires effrayans, il fit venir cet enfant prodigue, et, ŗ la suite d'une longue rťprimande, il lui dit gravement qu'_il ne voulait pas de Guťmenť dans sa famille_. Mlle Duplant avait un fils qu'elle aimait tendrement: elle cťda mÍme ŗ cet enfant de l'amour, par acte devant notaire, une petite terre qu'elle possťdait depuis plusieurs annťes. Cette bonne mŤre tťmoignait un jour l'intention de faire ťlever son fils au sein de sa famille. ę_En ce cas_, lui dit Mlle Arnould, _il faut l'envoyer au collťge des Quatre-Nations_.Ľ * * * * * Rien n'ťtait moins ťdifiant que d'entendre au Concert spirituel chanter Mlles Saint-Huberti et Girardin, qui, dans le costume le plus voluptueux, la gorge mi-nue, les yeux en coulisse, rťcitaient avec des prťtentions ťrotiques une paraphrase des psaumes de David. Toute la troupe lyrique ťtait sur le mÍme ton. Sophie apercevant un jour Mlle Dubuisson, chanteuse des choeurs, environnťe d'une compagnie d'officiers aux gardes qui tour ŗ tour l'agaÁaient: ę_Cette petite fera son chemin_, dit-elle ŗ quelqu'un; _voyez comme elle se pousse dans l'ťpťe_.Ľ * * * * * Elle racontait fort plaisamment la confession de Mlle Laguerre, et disait que cette pťcheresse pleurant comme une Madeleine aux pieds de son directeur, avouait avec componction qu'elle avait ruinť un ťvÍque, ce qui la tourmentait infiniment. ę_Manger le bien de l'Eglise_, s'ťcriait-elle! _Dieu ne me le pardonnera jamais._Ľ Elle nomma ensuite un financier qu'elle avait dťvorť: ę_Ah! pour celui-lŗ je ne saurais m'en confesser, car c'est la meilleure action que j'aie pu faire._Ľ * * * * * Beaumarchais passa quatre ans ŗ combattre les obstacles sans cesse renaissans qu'on mettait ŗ recevoir le _Mariage de Figaro_. Le jour de la premiŤre reprťsentation de cette piŤce (27 avril 1784), la critique la menaÁait d'une chute prochaine. ę_Oui_, dit Mlle Arnould, _c'est une piŤce qui tombera.......... quarante fois de suite_.Ľ Cette prťdiction a ťtť plus que rťalisťe, car le _Mariage de Figaro_ a eu plus de cent reprťsentations consťcutives. * * * * * Mme B. de S., ci-devant C. de G.[86], philosophe comme un docteur, savante comme un bel-esprit, donnait par goŻt dans les sciences, et par dťlassement dans la galanterie. Un jour La Harpe vantait l'ťrudition d'un ouvrage qu'elle venait de publier. ę_Comment cette femme ne serait-elle pas profonde_, dit Sophie, _il y a quinze ans qu'elle fait son cours d'humanitťs_.Ľ [86] A MADAME DE G., AUTEUR DE MILLE ET UN OUVRAGES. Vous avez la fureur d'ťcrire, Et rien ne peut la rťprimer; Mais avant de vous faire lire T‚chez de vous faire estimer. A. D. * * * * * Le comte de R... ťtait fils d'un cabaretier de _Bagnols_, en Languedoc; on l'a souvent attaquť sur sa naissance et son comtť, et il n'a jamais rťpondu. Un jour qu'il avait reÁu une ťpigramme extrÍmement mordante, il dit au foyer de l'Opťra qu'il rouerait de coups l'auteur de ce brŻlot. Mlle Arnould dit tout bas ŗ quelqu'un: ę_Appaisez donc R...., et recommandez-lui de faire comme son pŤre, qui mettait de l'eau dans son vin._Ľ Le 16 juillet 1784 le roi de SuŤde ťtant ŗ l'Opťra avec la reine Sa Majestť voulut faire voir ŗ cet illustre ťtranger les talens du jeune Vestris[87], qu'il n'avait point encore vu, parce que ce danseur arrivait de Londres. Elle lui fit dire de danser; il rťpond qu'il ne le peut pas, qu'il a mal au pied. Comme la reine savait que ce n'ťtait qu'un prťtexte, elle lui envoie un second message par lequel elle _l'en prie_. Sa priŤre n'eut pas plus d'effet que son ordre. Le lendemain il fut conduit ŗ l'hŰtel de la Force. Le pŤre Vestris ayant appris l'insolence de son fils, lui tťmoigna son indignation. _Comment_, lui dit-il, _la reine de France fait son devoir, elle te prie de danser, et tu ne fais pas le tien! je t'Űterai mon nom_. Ce propos singulier, mais digne du personnage, surprit beaucoup moins que l'action du fils. Sophie dit ŗ ce sujet: ę_Ces gens-lŗ prouvent bien qu'ils ont l'esprit aux talons._Ľ [87] En 1779 ce petit mutin n'ayant absolument pas voulu doubler son pŤre dans un des derniers ballets d'_Armide_, reÁut l'ordre de se rendre au Fort-l'EvÍque. Rien de plus pathťtique que les adieux du pŤre et du fils: _Allez_, lui dit le _diou_ de la danse, _allez, mon fils; voilŗ le plus beau jour de votre vie_. _Prenez mon carrosse et demandez l'appartement de mon ami le roi de Pologne; je paierai tout._ * * * * * Beaumarchais voulant accroÓtre la vogue dont il jouissait, proposa une institution patriotique en faveur des pauvres mŤres nourrices dont il se dťclarait le chef. La lettre contenant ses idťes ŗ ce sujet fut insťrťe dans le Journal de Paris, mais ne produisit point l'enthousiasme dont il s'ťtait flattť. Pour exciter l'ťmulation des personnes gťnťreuses, il annonÁa quelques jours aprŤs que la cinquantiŤme reprťsentation de son _Figaro_ serait donnťe au profit des pauvres mŤres. Au jour marquť il se trouva ŗ la cinquantiŤme reprťsentation du _Mariage de Figaro_ presqu'autant de monde qu'ŗ la premiŤre. ę_Voyez_, dit Sophie, _comme cet auteur sait allier le bien et le mal; il donne du lait ŗ l'enfance et du poison ŗ la jeunesse_.Ľ * * * * * On attendait ŗ Paris en 1786 un prince indien qui voyageait, disait-on, avec un quarteron de femmes.--Que dira M. l'archevÍque, observa quelqu'un, souffrira-t-il un tel scandale? Les moeurs seront blessťes si l'on permet que cet ťtranger conserve son sťrail; et puis, il faut qu'il se fasse chrťtien.--_Oh mon Dieu!_ dit Mlle Arnould, _il n'a qu'ŗ embrasser notre religion, on lui passera toutes les filles de l'Opťra_. * * * * * On peut regarder la fameuse affaire du collier comme le premier acte de la rťvolution franÁaise. Le cardinal de Rohan fut un des acteurs malheureux de cette singuliŤre piŤce qu'on regardait alors comme un Conte des mille et une Nuits. Sophie dit aprŤs avoir lu le mťmoire de cet illustre accusť: ę_Le cardinal n'est pas franc du COLLIER._Ľ * * * * * Mlle Olivier ťtait la maÓtresse de Dazincourt lorsqu'elle mourut en couche ‚gťe de vingt-trois ans. Ce ne sont pas seulement les charmes de sa figure qui l'ont fait regretter, c'est l'ťgalitť de son caractŤre, la douceur de ses moeurs, sa gaietť franche et spirituelle: on se rappelle avec quel succŤs elle a ťtabli le rŰle de _Chťrubin_ dans la _Folle Journťe_, et comme elle imitait la tendre Gaussin dans celui d'_Elťonore_ de l'_Ecole des MŤres_. Mlle Arnould disait en citant cette jeune actrice, qui n'ťtait point vťnale, n'ťcoutait que son coeur et restait fidŤle ŗ l'objet de son choix: ę_C'est une personne charmante qui vit le plus honnÍtement possible hors du mariage et du cťlibat._Ľ * * * * * Un jeune homme vivement ťpris d'une actrice, pressť par ses parens de quitter Paris, et ne voulant ni s'ťloigner de sa maÓtresse ni dťsobťir ŗ son pŤre, s'avisa d'un expťdient singulier; il prit un pistolet et se perÁa le bras; cette blessure le retint nťcessairement ŗ Paris.--Voilŗ, dit une femme, ce qui s'appelle bien aimer!--_Oui_, reprit Sophie, ę_c'est aimer ŗ la folie, et alors on mťrite les petites-maisons_.Ľ * * * * * Beaumarchais offrit un composť de singularitťs, mÍme dans un siŤcle oý tant de choses ont ťtť singuliŤres; il parvint ŗ une trŤs grande fortune sans possťder aucune place; il fit de grandes entreprises de commerce en vivant en homme du monde; il eut au thť‚tre des succŤs sans exemple avec des ouvrages du second ordre; il obtint la plus grande cťlťbritť par des procŤs qui avec tout autre que lui seraient demeurťs aussi obscurs qu'ils ťtaient ridicules; enfin cet homme original a rťussi dans presque tout ce qu'il a entrepris. Un bonheur aussi constant a fait dire ŗ Mlle Arnould: ę_Beaumarchais sera pendu; mais la corde cassera[88]._Ľ [88] En 1774 Caron de Beaumarchais ayant perdu un procŤs portť au parlement Maupeou, on adressa ŗ ses juges le quatrain suivant: O vous, qui lancez le tonnerre, Quand vous descendrez chez Pluton, Prenez votre chemin par terre; Vous seriez mal menťs dans la barque ŗ _Caron_. * * * * * On sait que R. avait usurpť le titre de _comte_ comme Pezai celui de _marquis_. Ce littťrateur ayant lancť une ťpigramme contre Mlle Arnould, elle se trouva quelque temps aprŤs dans un cercle oý aprŤs avoir vantť l'esprit de R. on parla de sa maison, qu'un savant gťnťalogiste, M. de Varoquier de Mťricourt de Lamotte de Combles, prťtendait originaire d'Italie. ę_Bah!_ dit-elle, _c'est un COMTE pour rire que l'on nous fait lŗ_.Ľ * * * * * Pendant le cours d'une discussion politique oý l'on s'ťpuisait devant elle en projets sur le bien, sur le bonheur public, grands mots qui revenaient sans cesse ŗ la bouche des interlocuteurs, survient M. L., amateur passionnť des arts. ę_Que vous arrivez ŗ propos_, lui dit-elle; _on agite ici la question du beau idťal; je compte sur votre avis_.Ľ * * * * * Elle ťtait ŗ l'assemblťe nationale le jour qu'on arrÍta la vente des biens ecclťsiastiques. Ce dťcret excita, comme cela se devait, des rťclamations bruyantes; chaque membre du clergť se levait et changeait de place ŗ chaque instant. Mlle Arnould, impatientťe de ce brouhaha, dit ŗ quelques abbťs: ę_Messieurs, on veut vous raser; mais si vous remuez tant vous vous ferez couper._Ľ * * * * * Une femme galante dissertant sur la politique, disait que la constitution anglaise ťtait celle qui lui plaisait le plus. ę_C'est sans doute_, rťpartit Sophie, _ŗ cause de l'_habeas corpus.Ľ * * * * * Lorsqu'on proposa dans l'assemblťe constituante de charger les magistrats civils de quelques fonctions religieuses exercťes par les prÍtres, elle dit: ę_Je ne serais pas f‚chťe que l'on supprim‚t le baptÍme; du moins tout ne se ferait pas par compŤre et par commŤre._Ľ On lisait devant elle un ouvrage sur la rťvolution, lequel ne paraissait pas lui inspirer beaucoup d'intťrÍt. Son lecteur qui s'apercevait que le sommeil la gagnait, crut ŗ propos d'ťlever la voix. Il en ťtait ŗ un passage ŗ peu prŤs ainsi conÁu: _Toute la France n'ťtait alors qu'une vaste Bastille._ ę_Oh! cela est bien vrai_, dit-elle aussitŰt en l'interrompant et feignant de revenir d'une sorte d'assoupissement, _cela est bien vrai, un vaste jeu de quilles_.Ľ * * * * * Mlle Saint-Huberti, en paraissant ŗ l'Opťra, causa une rťvolution dans l'art du chant: on n'avait point encore vu d'exemple d'une dťclamation aussi noble et d'une sensibilitť aussi touchante; elle quitta le thť‚tre jeune encore, et aprŤs avoir ťtť la maÓtresse du marquis de Louvois et de plusieurs autres, elle devint l'ťpouse du comte d'Entraigues, membre de l'assemblťe constituante; ce qui fit dire ŗ Mlle Arnould que ce reprťsentant ę_avait changť le frontispice d'un livre qui avait eu beaucoup de vogue_.Ľ * * * * * Il fut ordonnť en 1793 que chaque individu affich‚t sur sa porte son nom, son ‚ge et sa profession. Sophie Arnould subit la loi commune, mais elle ne mit que quarante-trois ans, quoiqu'elle eŻt deux lustres de plus.--Je crois que vous trichez, lui dit un de ses amis, car tout le monde vous donne cinquante ans.--_Il se peut qu'on me les donne_, reprit-elle, _mais je ne les prends pas_. * * * * * Alexandrine Arnould faisant mauvais mťnage avec M. A. M., le quitta et vint demeurer chez sa mŤre ŗ Luzarches; elle y fit connaissance d'un nommť la N***, fils du maÓtre de poste de l'endroit, et trouvant sans doute dans cet amant les qualitťs qu'elle dťsirait dans un mari, elle divorÁa pour l'ťpouser. Sophie bl‚ma beaucoup l'inconduite de sa fille, et rťpondit ŗ quelqu'un qui voulait l'excuser: ę_Une telle union me paraÓt un scandale; le divorce n'est que le sacrement de l'adultŤre._Ľ[89] [89] M. Bourgueil a fait sur ce trait le quatrain suivant: L'autre soir du divorce on causait entre amis; Chacun de cette loi parlait ŗ sa maniŤre. Cette loi, dit Chloť, moi je la dťfinis Le sacrement de l'adultŤre. Un poŽte disait qu'il ťtait fort difficile d'improviser en franÁais, parce que cette langue a beaucoup de mots qui n'ont point leurs semblables pour la rime. Tel est le mot _peuple_, par exemple. ę_Ah!_ reprit-elle, _je savais bien que le peuple n'a ni rime ni raison_.Ľ * * * * * Elle s'informait de la santť d'un riche fournisseur de sa connaissance.--Il est allť prendre les eaux de BarrŤge, rťpondit-on.--_Je le reconnais bien lŗ_, dit-elle; _il faut toujours qu'il prenne quelque chose_. * * * * * La disette ťtait si grande en 1795, que le peuple de Paris fut rťduit ŗ de faibles rations de pain. On chantait alors dans tous les spectacles _le Rťveil du Peuple_. Un jour qu'ŗ l'Opťra on demandait ŗ grands cris _le Rťveil du Peuple_, elle dit tout bas ŗ un de ses amis qui criait comme les autres: ę_Ne l'ťveillez pas; qui dort dÓne._Ľ * * * * * On parlait devant elle d'un particulier qui ŗ une ťpoque assez rapprochťe avait donnť dans tous les excŤs des niveleurs, et fini par amasser une fortune considťrable; ce qui fit dire ŗ l'un des assistans avec l'accent de l'indignation:--_Est-il permis, grands dieux! qu'un tel homme prospŤre._--Sophie rťpartit aussitŰt par cet autre vers: Le bonheur des mťchans comme un torrent s'ťcoule! * * * * * Un dťputť ayant prononcť, au conseil des cinq-cents, un discours en faveur des enfans nťs hors du mariage, quelqu'un marqua son ťtonnement de voir les b‚tards aussi bien traitťs que les enfans lťgitimes. ę_C'est cependant assez naturel_, reprit-elle, _car maintenant rien n'est plus lťgitime que tout ce qui ne l'est pas du tout_.Ľ * * * * * M. B. ťtait fataliste par systŤme. Il avait envie de se marier, et il prťtendait possťder l'art de rendre une femme fidŤle. Un jour qu'il faisait confidence de son secret ŗ Mlle Arnould, il ajouta:--Je suis sŻr de n'Ítre jamais cocu.--_Ce que vous dites est fort bon_, reprit-elle, _mais la destinťe_! * * * * * Un nouveau parvenu ťtait au spectacle prŤs de M. R., son ancien ami, qu'il feignait de ne pas apercevoir. M. R., citant cette rencontre ŗ Mlle Arnould, dit en gťmissant:--Quel changement! il n'a pas eu l'air de me reconnaÓtre.--_Je le crois bien_, rťpartit-elle, _il ne se reconnaÓt pas lui-mÍme_. * * * * * Une ancienne actrice de l'Opťra voulant rťclamer sa pension d'ťmťrite, fit une pťtition qu'elle comptait prťsenter au ministre de l'intťrieur: elle consulta Mlle Arnould sur le style de cette piŤce, qui commenÁait ainsi: _Monseigneur, je chantais autrefois..._--Sophie l'interrompt en disant: ę_Cela ne vaut rien; si vous dites que VOUS CHANTIEZ AUTREFOIS, on vous rťpondra: H… BIEN! DANSEZ MAINTENANT._Ľ * * * * * Elle dissertait avec un membre de l'Institut sur le nouveau systŤme des poids et mesures; elle en approuvait l'uniformitť, mais elle en bl‚mait les dťnominations. ę_On aura beau faire_, disait-elle, _les hommes auront toujours deux poids et deux mesures_.Ľ Puis, prenant son ton plaisant, elle ajouta: ę_Cette nomenclature scientifique ne pourra jamais se loger dans la tÍte des femmes: elles aimeront bien le CENTIM»TRE, mais comment leur parler de ST»RE._Ľ (de s' taire.) * * * * * Elle se lia dans le cours de la rťvolution avec l'abbť Lemonnier, ancien chapelain de la Sainte-Chapelle de Paris; il ťtait vraiment curieux d'entendre converser cette femme spirituelle avec cet ingťnieux fabuliste; tous deux semblaient rajeunir par les gr‚ces de l'esprit; leur conversation ťtait une joŻte continuelle de bons mots et de saillies piquantes. Elle disait que ę_de tous les gens A FABLES_ (affables) _qu'elle avait connus, l'abbť Lemonnier ťtait le plus aimable_.Ľ Quoiqu'elle eŻt vťcu dans sa jeunesse au milieu des plus brillans ťlŤves de Terpsichore, elle n'eut jamais aucun goŻt pour la danse. ę_A quoi sert_, disait-elle, _de savoir danser si ce talent multiplie les FAUX PAS_?Ľ Elle ťtait souvent entourťe de poŽtes, la poťsie lui offrait mÍme des charmes, et jamais elle n'a pu composer un seul vers. Elle disait plaisamment ŗ ce sujet: ę_Si dans ma vie j'ai fait quelques vers, il ne me sont pas sortis de la tÍte._Ľ * * * * * Pendant longtemps Sophie vit naÓtre autour d'elle tous les agrťmens que procure l'opulence: l'indťpendance ťtait ŗ ses yeux le premier des biens; et elle refusa plusieurs partis qui eussent pu sťduire son ambition si elle n'eŻt mis les plaisirs du coeur au-dessus des calculs de l'intťrÍt[90]. Son ‚me voluptueuse considťrait _l'amour comme le plus agrťable ťpisode du roman de la vie, et l'hymen comme l'ťteignoir de l'amour_. [90] M. Bertin, trťsorier des parties casuelles, avait voulu l'ťpouser; mais elle refusa sa main par attachement pour le comte de L. * * * * * Elle conserva dans ses derniŤres annťes tout le feu de ses beaux yeux, au point qu'on pouvait y lire toute son histoire; et malgrť une maladie cruelle qui la faisait beaucoup souffrir, son esprit montra toujours le mÍme enjouement. On la fťlicitait de possťder encore cet heureux don de la nature. ę_Hťlas!_ dit-elle, _tout passe avec l'‚ge, une vieille femme n'est plus qu'une VIELLE organisťe_.Ľ Le 22 octobre 1802, peu d'heures avant de mourir, elle disait au curť de Saint-Germain-l'Auxerrois qui lui avait administrť tous les sacremens: ę_Je suis comme Madeleine, beaucoup de pťchťs me seront remis, parce que j'ai beaucoup aimť._Ľ * * * * * Sophie Arnould joignit aux talens qu'elle dťploya sur la scŤne ce que l'ťtude ne donne pas, cet esprit vif et brillant qui s'ťchappe comme par ťclairs, et qui dans ses saillies porte le caractŤre de la rťflexion. Cette femme rare fut vivement regrettťe de tous ceux qui l'avaient connue, des mťlomanes pour ses talens, des gens d'esprit pour sa conversation, et de ses amis pour son bon coeur. L'un de ces derniers composa pour elle les vers suivans: La plus charmante des actrices Doit rťsider au sťjour des ťlus. La rigide vertu lui reprocha des vices; Mais le vice admira ses aimables vertus. L'esprit, les talens et les gr‚ces Brillaient chez elle tour ŗ tour, Et les beaux-arts, en composant sa cour De la vieillesse ťcartaient les disgr‚ces. O vous! nymphes de l'Opťra, Dont l'amour embellit la vie, Pour modŤle prenez Sophie, Et chacun vous adorera. * * * * * On a remarquť que les trois plus grandes actrices du dix-huitiŤme siŤcle, Clairon, Dumesnil et Arnould ont fini en 1802 leur brillante carriŤre; de mÍme que les trois plus cťlŤbres acteurs de leur temps, Eckhof en Allemagne, Garrick en Angleterre, et Lekain en France, sont morts dans la mÍme annťe en 1778. FIN. End of the Project Gutenberg EBook of Arnoldiana, ou Sophie Arnould et ses contemporaines;, by Albťric Delville *** END OF THIS PROJECT GUTENBERG EBOOK ARNOLDIANA, OU SOPHIE ARNOULD *** ***** This file should be named 38974-8.txt or 38974-8.zip ***** This and all associated files of various formats will be found in: https://www.gutenberg.org/3/8/9/7/38974/ Produced by Clarity, Vinciane Knappenberg and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive/Canadian Libraries) Updated editions will replace the previous one--the old editions will be renamed. Creating the works from public domain print editions means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to copying and distributing Project Gutenberg-tm electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG-tm concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you charge for the eBooks, unless you receive specific permission. If you do not charge anything for copies of this eBook, complying with the rules is very easy. You may use this eBook for nearly any purpose such as creation of derivative works, reports, performances and research. They may be modified and printed and given away--you may do practically ANYTHING with public domain eBooks. Redistribution is subject to the trademark license, especially commercial redistribution. *** START: FULL LICENSE *** THE FULL PROJECT GUTENBERG LICENSE PLEASE READ THIS BEFORE YOU DISTRIBUTE OR USE THIS WORK To protect the Project Gutenberg-tm mission of promoting the free distribution of electronic works, by using or distributing this work (or any other work associated in any way with the phrase "Project Gutenberg"), you agree to comply with all the terms of the Full Project Gutenberg-tm License (available with this file or online at https://gutenberg.org/license). Section 1. General Terms of Use and Redistributing Project Gutenberg-tm electronic works 1.A. By reading or using any part of this Project Gutenberg-tm electronic work, you indicate that you have read, understand, agree to and accept all the terms of this license and intellectual property (trademark/copyright) agreement. If you do not agree to abide by all the terms of this agreement, you must cease using and return or destroy all copies of Project Gutenberg-tm electronic works in your possession. If you paid a fee for obtaining a copy of or access to a Project Gutenberg-tm electronic work and you do not agree to be bound by the terms of this agreement, you may obtain a refund from the person or entity to whom you paid the fee as set forth in paragraph 1.E.8. 1.B. "Project Gutenberg" is a registered trademark. It may only be used on or associated in any way with an electronic work by people who agree to be bound by the terms of this agreement. There are a few things that you can do with most Project Gutenberg-tm electronic works even without complying with the full terms of this agreement. See paragraph 1.C below. There are a lot of things you can do with Project Gutenberg-tm electronic works if you follow the terms of this agreement and help preserve free future access to Project Gutenberg-tm electronic works. See paragraph 1.E below. 1.C. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation ("the Foundation" or PGLAF), owns a compilation copyright in the collection of Project Gutenberg-tm electronic works. Nearly all the individual works in the collection are in the public domain in the United States. If an individual work is in the public domain in the United States and you are located in the United States, we do not claim a right to prevent you from copying, distributing, performing, displaying or creating derivative works based on the work as long as all references to Project Gutenberg are removed. Of course, we hope that you will support the Project Gutenberg-tm mission of promoting free access to electronic works by freely sharing Project Gutenberg-tm works in compliance with the terms of this agreement for keeping the Project Gutenberg-tm name associated with the work. You can easily comply with the terms of this agreement by keeping this work in the same format with its attached full Project Gutenberg-tm License when you share it without charge with others. 1.D. The copyright laws of the place where you are located also govern what you can do with this work. Copyright laws in most countries are in a constant state of change. If you are outside the United States, check the laws of your country in addition to the terms of this agreement before downloading, copying, displaying, performing, distributing or creating derivative works based on this work or any other Project Gutenberg-tm work. The Foundation makes no representations concerning the copyright status of any work in any country outside the United States. 1.E. Unless you have removed all references to Project Gutenberg: 1.E.1. The following sentence, with active links to, or other immediate access to, the full Project Gutenberg-tm License must appear prominently whenever any copy of a Project Gutenberg-tm work (any work on which the phrase "Project Gutenberg" appears, or with which the phrase "Project Gutenberg" is associated) is accessed, displayed, performed, viewed, copied or distributed: This eBook is for the use of anyone anywhere at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this eBook or online at www.gutenberg.org 1.E.2. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is derived from the public domain (does not contain a notice indicating that it is posted with permission of the copyright holder), the work can be copied and distributed to anyone in the United States without paying any fees or charges. If you are redistributing or providing access to a work with the phrase "Project Gutenberg" associated with or appearing on the work, you must comply either with the requirements of paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 or obtain permission for the use of the work and the Project Gutenberg-tm trademark as set forth in paragraphs 1.E.8 or 1.E.9. 1.E.3. If an individual Project Gutenberg-tm electronic work is posted with the permission of the copyright holder, your use and distribution must comply with both paragraphs 1.E.1 through 1.E.7 and any additional terms imposed by the copyright holder. Additional terms will be linked to the Project Gutenberg-tm License for all works posted with the permission of the copyright holder found at the beginning of this work. 1.E.4. Do not unlink or detach or remove the full Project Gutenberg-tm License terms from this work, or any files containing a part of this work or any other work associated with Project Gutenberg-tm. 1.E.5. Do not copy, display, perform, distribute or redistribute this electronic work, or any part of this electronic work, without prominently displaying the sentence set forth in paragraph 1.E.1 with active links or immediate access to the full terms of the Project Gutenberg-tm License. 1.E.6. You may convert to and distribute this work in any binary, compressed, marked up, nonproprietary or proprietary form, including any word processing or hypertext form. However, if you provide access to or distribute copies of a Project Gutenberg-tm work in a format other than "Plain Vanilla ASCII" or other format used in the official version posted on the official Project Gutenberg-tm web site (www.gutenberg.org), you must, at no additional cost, fee or expense to the user, provide a copy, a means of exporting a copy, or a means of obtaining a copy upon request, of the work in its original "Plain Vanilla ASCII" or other form. Any alternate format must include the full Project Gutenberg-tm License as specified in paragraph 1.E.1. 1.E.7. Do not charge a fee for access to, viewing, displaying, performing, copying or distributing any Project Gutenberg-tm works unless you comply with paragraph 1.E.8 or 1.E.9. 1.E.8. You may charge a reasonable fee for copies of or providing access to or distributing Project Gutenberg-tm electronic works provided that - You pay a royalty fee of 20% of the gross profits you derive from the use of Project Gutenberg-tm works calculated using the method you already use to calculate your applicable taxes. The fee is owed to the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, but he has agreed to donate royalties under this paragraph to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation. Royalty payments must be paid within 60 days following each date on which you prepare (or are legally required to prepare) your periodic tax returns. Royalty payments should be clearly marked as such and sent to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation at the address specified in Section 4, "Information about donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation." - You provide a full refund of any money paid by a user who notifies you in writing (or by e-mail) within 30 days of receipt that s/he does not agree to the terms of the full Project Gutenberg-tm License. You must require such a user to return or destroy all copies of the works possessed in a physical medium and discontinue all use of and all access to other copies of Project Gutenberg-tm works. - You provide, in accordance with paragraph 1.F.3, a full refund of any money paid for a work or a replacement copy, if a defect in the electronic work is discovered and reported to you within 90 days of receipt of the work. - You comply with all other terms of this agreement for free distribution of Project Gutenberg-tm works. 1.E.9. If you wish to charge a fee or distribute a Project Gutenberg-tm electronic work or group of works on different terms than are set forth in this agreement, you must obtain permission in writing from both the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and Michael Hart, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark. Contact the Foundation as set forth in Section 3 below. 1.F. 1.F.1. Project Gutenberg volunteers and employees expend considerable effort to identify, do copyright research on, transcribe and proofread public domain works in creating the Project Gutenberg-tm collection. Despite these efforts, Project Gutenberg-tm electronic works, and the medium on which they may be stored, may contain "Defects," such as, but not limited to, incomplete, inaccurate or corrupt data, transcription errors, a copyright or other intellectual property infringement, a defective or damaged disk or other medium, a computer virus, or computer codes that damage or cannot be read by your equipment. 1.F.2. LIMITED WARRANTY, DISCLAIMER OF DAMAGES - Except for the "Right of Replacement or Refund" described in paragraph 1.F.3, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, the owner of the Project Gutenberg-tm trademark, and any other party distributing a Project Gutenberg-tm electronic work under this agreement, disclaim all liability to you for damages, costs and expenses, including legal fees. YOU AGREE THAT YOU HAVE NO REMEDIES FOR NEGLIGENCE, STRICT LIABILITY, BREACH OF WARRANTY OR BREACH OF CONTRACT EXCEPT THOSE PROVIDED IN PARAGRAPH 1.F.3. YOU AGREE THAT THE FOUNDATION, THE TRADEMARK OWNER, AND ANY DISTRIBUTOR UNDER THIS AGREEMENT WILL NOT BE LIABLE TO YOU FOR ACTUAL, DIRECT, INDIRECT, CONSEQUENTIAL, PUNITIVE OR INCIDENTAL DAMAGES EVEN IF YOU GIVE NOTICE OF THE POSSIBILITY OF SUCH DAMAGE. 1.F.3. LIMITED RIGHT OF REPLACEMENT OR REFUND - If you discover a defect in this electronic work within 90 days of receiving it, you can receive a refund of the money (if any) you paid for it by sending a written explanation to the person you received the work from. If you received the work on a physical medium, you must return the medium with your written explanation. The person or entity that provided you with the defective work may elect to provide a replacement copy in lieu of a refund. If you received the work electronically, the person or entity providing it to you may choose to give you a second opportunity to receive the work electronically in lieu of a refund. If the second copy is also defective, you may demand a refund in writing without further opportunities to fix the problem. 1.F.4. Except for the limited right of replacement or refund set forth in paragraph 1.F.3, this work is provided to you 'AS-IS' WITH NO OTHER WARRANTIES OF ANY KIND, EXPRESS OR IMPLIED, INCLUDING BUT NOT LIMITED TO WARRANTIES OF MERCHANTIBILITY OR FITNESS FOR ANY PURPOSE. 1.F.5. Some states do not allow disclaimers of certain implied warranties or the exclusion or limitation of certain types of damages. If any disclaimer or limitation set forth in this agreement violates the law of the state applicable to this agreement, the agreement shall be interpreted to make the maximum disclaimer or limitation permitted by the applicable state law. The invalidity or unenforceability of any provision of this agreement shall not void the remaining provisions. 1.F.6. INDEMNITY - You agree to indemnify and hold the Foundation, the trademark owner, any agent or employee of the Foundation, anyone providing copies of Project Gutenberg-tm electronic works in accordance with this agreement, and any volunteers associated with the production, promotion and distribution of Project Gutenberg-tm electronic works, harmless from all liability, costs and expenses, including legal fees, that arise directly or indirectly from any of the following which you do or cause to occur: (a) distribution of this or any Project Gutenberg-tm work, (b) alteration, modification, or additions or deletions to any Project Gutenberg-tm work, and (c) any Defect you cause. Section 2. Information about the Mission of Project Gutenberg-tm Project Gutenberg-tm is synonymous with the free distribution of electronic works in formats readable by the widest variety of computers including obsolete, old, middle-aged and new computers. It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg-tm's goals and ensuring that the Project Gutenberg-tm collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg-tm and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation web page at https://www.pglaf.org. Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation's EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Its 501(c)(3) letter is posted at https://pglaf.org/fundraising. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state's laws. The Foundation's principal office is located at 4557 Melan Dr. S. Fairbanks, AK, 99712., but its volunteers and employees are scattered throughout numerous locations. Its business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887, email [email protected]. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation's web site and official page at https://pglaf.org For additional contact information: Dr. Gregory B. Newby Chief Executive and Director [email protected] Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation Project Gutenberg-tm depends upon and cannot survive without wide spread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. Many small donations ($1 to $5,000) are particularly important to maintaining tax exempt status with the IRS. The Foundation is committed to complying with the laws regulating charities and charitable donations in all 50 states of the United States. Compliance requirements are not uniform and it takes a considerable effort, much paperwork and many fees to meet and keep up with these requirements. We do not solicit donations in locations where we have not received written confirmation of compliance. To SEND DONATIONS or determine the status of compliance for any particular state visit https://pglaf.org While we cannot and do not solicit contributions from states where we have not met the solicitation requirements, we know of no prohibition against accepting unsolicited donations from donors in such states who approach us with offers to donate. International donations are gratefully accepted, but we cannot make any statements concerning tax treatment of donations received from outside the United States. U.S. laws alone swamp our small staff. Please check the Project Gutenberg Web pages for current donation methods and addresses. Donations are accepted in a number of other ways including including checks, online payments and credit card donations. To donate, please visit: https://pglaf.org/donate Section 5. General Information About Project Gutenberg-tm electronic works. Professor Michael S. Hart was the originator of the Project Gutenberg-tm concept of a library of electronic works that could be freely shared with anyone. For thirty years, he produced and distributed Project Gutenberg-tm eBooks with only a loose network of volunteer support. Project Gutenberg-tm eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as Public Domain in the U.S. unless a copyright notice is included. Thus, we do not necessarily keep eBooks in compliance with any particular paper edition. Most people start at our Web site which has the main PG search facility: https://www.gutenberg.org This Web site includes information about Project Gutenberg-tm, including how to make donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation, how to help produce our new eBooks, and how to subscribe to our email newsletter to hear about new eBooks.

50,515 words • 841h 55m read

— End of Arnoldiana, ou Sophie Arnould et ses contemporaines; - recueil choisi d'Anecdotes piquantes, de Réparties et de bons Mots de Mlle Arnould précédé d'une notice sur sa vie précédé d'une Notice sur sa Vie et sur l'Académie impériale de Musique. —

Book Information

Title
Arnoldiana, ou Sophie Arnould et ses contemporaines; - recueil choisi d'Anecdotes piquantes, de Réparties et de bons Mots de Mlle Arnould précédé d'une notice sur sa vie précédé d'une Notice sur sa Vie et sur l'Académie impériale de Musique.
Author(s)
Arnould, Sophie
Language
French
Type
Text
Release Date
February 24, 2012
Word Count
50,515 words
Library of Congress Classification
ML
Bookshelves
FR Biographie, Mémoires, Journal intime, Correspondance, Browsing: Biographies, Browsing: Music, Browsing: Performing Arts/Film
Rights
Public domain in the USA.